Revue de l’Enseignement Philosophique - 35°Année - N°3 -
Février-Mars 1985.
connaissance certaine, la science qui nous rend « maîtres et possesseurs
de l’univers ». Spinoza, c’est le moralisme d’un homme sans religion, pour
qui la science n’a pas de valeur en elle-même, mais seulement comme ce
qui doit nous mener à l’acquisition du bien suprême, à la réalisation de
notre perfection, à la béatitude ou à la joie qui ne peuvent se réaliser que
dans et par l’acte d’intellection. Descartes veut le pouvoir de l’homme
sur lui-même et sur le monde dans I’affirmation d’une liberté que seule la
raison peut nous donner. Spinoza veut le bonheur et la cité qui offrirait
à tous les hommes la possibilité d’acquérir ce bonheur auquel seule la
raison nous permet d’accéder.
Spinoza a parfaitement compris le sens du Discours de la méthode,
que le dessein de Descartes n’était pas « d’enseigner la méthode que
chacun doit suivre pour bien conduire sa raison », mais seulement de
montrer en quelle sorte il avait tâché de conduire sa raison pour s’efforcer
de réformer ses propres pensées et de bâtir dans un fond qui serait tout
à lui.
Ainsi le Traité de la purification de l’entendement nous propose
une introduction méthodologique, une sorte de propédeutique nécessaire
non pas pour purifier l’entendement de ses lecteurs, ce qui ne peut être
fait que par eux, mais pour montrer comment il a purifié son entendement,
quel a été son itinéraire intellectuel, sa méthode, afin de les préparer à
l’intelligence des vérités qu’il avait l’intention d’exposer. Il s’agit de sa
méthode, celle par laquelle il va, à son tour, réformer ses propres pensées
et bâtir dans un fond tout à lui. Spinoza est cartésien au bon sens du
terme, il a compris que l’homme ne peut advenir, que la pensée ne peut
se déployer que dans le temps d’une liberté affirmée, à la condition que
chacun pour soi veuille et sache vivre la geste de l’intellection.
De même que l’on ne peut pas, sans perdre son identité, penser la
pensée d’un autre, on ne peut pas pratiquer une méthode qui ne corres-
pond ni à notre histoire, ni à notre nature. On ne peut pas apprendre
une méthode comme on apprend des connaissances établies. La méthode
s’apprend dans et par son exercice même, elle est la conquête d’une pen-
sée qui se cherche. Elle est la connaissance réflexive, réflexion sur une
connaissance acquise et une expérience vécue, mais plus encore réflexion
sur l’acte même et le mouvement de l’acquisition, cela selon des modalités
qui doivent être propres à chacun. .
Dans le temps de l’enfance et de l’adolescence on se laisse prendre par
4