Estelle de Massia 1ère année, FC Fiche d'Histoire n°2 – La face sombre des « Lumières » Le mouvement des « Lumières » désigne le mouvement philosophique du XVIIIème siècle. Si les philosophes des Lumières divergent sur certains points, entre spiritualistes, matérialistes, déistes ou athées, tous s'accordent sur plusieurs principes : les idées ne proviennent que des sensations ; religion révélée et raison ne sont pas conciliables ; la société policée n'est pas naturelle à l'homme. Les philosophes veulent constater les défauts de l'homme et de la société, pour les enrayer et reconstruire ensuite la machine à tout niveau : humain, éthique, religieux et politique. On constate que l'historiographie a fait des philosophes des Lumières des champions d'humanisme, de tolérance, de liberté, d'égalité. Toutefois cette image, véhiculée depuis la Révolution et enseignée aujourd'hui, est fausse : c'est ce paradoxe qu'a étudié Xavier Martin, professeur de philosophie du droit. Comment l'étude des œuvres des philosophes montre-t-elle le véritable aspect des théories des Lumières ? Trois grands traits de la philosophie des Lumières deviennent alors évidents : son mépris et sa haine pour le genre humain, son intolérance viscérale et sa violente aversion pour les valeurs chrétiennes. I – L'humanisme des Lumières : un profond mépris pour le genre humain 1. Une dévaluation de l'homme Pour la plupart des philosophes, il n'y a pas ou peu de différences entre l'homme et l'animal. La Mettrie affirme que « l'un et l'autre ont une même origine, une même formation, les mêmes fonctions et la même fin ». pour Diderot, l'homme vient de l'animal, et il n'a pas de raison d'être, parce qu'il est pris dans le mouvement du monde, sans savoir pour quelle raison, ni pour quel but. En réalité, les philosophes des Lumières ne définissent pas l'homme : il existe et il fonctionne, c'est tout. Il n'est pour Mirabeau qu'un « animal bon et juste et qui veut jouir ». Loin d'être de fervents humanistes, les philosophes des Lumières dévaluent donc l'homme, en le reléguant à l'état infra-animal car son instinct est perverti par la raison humaine. 2. Un obscur déterminisme : l'homme machine Certains philosophes vont même plus loin, en ne voyant en l'homme qu'une machine soumise aux sensations : pour Simon, le salut de l'homme en société passe par sa transformation en automate. Helvetius pense que l'homme n'est qu'un simple rouage de la mécanique sociale, une « marionnette humaine » dans la masse grégaire. Les penseurs des Lumières refusent de s'interroger sur la nature de l'esprit humain : ils ne considèrent que ce que l'homme fait, que ce qui est démontrable. Diderot refuse toute distinction de l'âme et du corps. Les idées ne dépendent que des sensations : c'est le règne du sensualisme. Pour eux, si la masse populaire « pense », c'est uniquement un acte passif, une prise de conscience mécanique. Toutes leurs théories débouchent donc sur un sombre déterminisme : l'homme n'est plus que le jeu de ses appétits et de ses besoins. 3. Un mépris inimaginable de l'homme La conséquence de ces sombres théories est le mépris, voire la haine pour le genre humain. L'historiographie apprend aux élèves que le respect et l'amour du peuple sont nés avec les Lumières. En réalité, si les philosophes s'aiment eux-mêmes et entre eux, ils méprisent le peuple qui se situe « entre l'homme et la bête ». Voltaire affirme qu'il méprise la masse de ses semblables, parce qu'ils sont des non-pensants, des « bêtes brutes appelées hommes ». La philosophie des Lumières cultive ce mépris comme une doctrine : Voltaire déteste profondément les hommes, le genre humain, le public qu'il considère comme un « peuple égaré, ignorant, volage », et même la nature humaine. Chez lui, ce mépris va jusqu'à la haine et l'intolérance. II – Un mépris qui entraine l'intolérance 1. Les philosophes, champions de la « tolérance »? Les philosophes méprisent surtout ceux qui ne pensent pas comme eux, ce qui prouve leur manque de tolérance. Voltaire n'a que mépris et paroles injurieuses pour les jeunes auteurs qui osent le critiquer. A maintes reprises, il cite leurs écrits de travers et invente des calomnies sur leur compte, afin de persuader l'opinion et les Grands qu'il faut les enfermer. Par des lettres de cachets, il parvient à faire enfermer trois fois La Beaumelle à la Bastille, parce que ce jeune auteur gardait son indépendance d'esprit, sa propre liberté de penser, et qu'il avait osé critiquer Voltaire. Le soi-disant champion de la « tolérance », ne supporte pas la critique à son égard, et se montre totalement intolérant envers ceux qu'il calomnie. Xavier Martin montre qu'il correspond à la définition qu'il donne du « persécuteur » dans son Dictionnaire philosophique : « c'est celui dont l'orgueil blessé et le fanatisme en fureur irritent le prince ou les magistrats contre des hommes innocents qui n'ont d'autre crime que de n'être pas de son avis ». 2. L'intolérance au sein même du cercle des Lumières Cette intolérance sévit même entre philosophes et montre que la philosophie des Lumières, loin de prôner la liberté de penser, veut en réalité dominer l'opinion. « Le vrai esprit des Encyclopédistes était une fureur persécutante du système, une intolérance d'opinion qui voulait détruire jusqu'à la liberté de penser » écrit Chateaubriand. Il y a chez eux une véritable persécution philosophique contre tous ceux qui pensent différemment, comme Rousseau, et une volonté de les écraser. Malsherbes utilise largement la censure dans ce but là. Gaxotte nous dit : « les philosophes criaient à la tyrannie. La véritable tyrannie était celle qu'ils exerçaient sur la Littérature ». Tous ceux qui ont fréquenté leur cercle, affirment qu'il y régnait une véritable pensée unique, une sorte de despotisme littéraire. Voltaire était le chef tyrannique de cette « secte » philosophique, ce qui a fait dire à Madame du Chatelet : « je ne connais pas d'endroits dans le monde où il soit moins permis de dire ce qu'on pense et où on soit plus forcé de dire ce qu'on ne pense pas ». En effet, celui qui osait émettre un avis différent s'exposait aux calomnies, à la censure, ou même à la Bastille. 3. Un racisme haineux On a fait de la tolérance une des armes les plus efficaces de la philosophie des Lumières : certes, pour beaucoup des philosophes, aucune religion ne mérite que l'on se batte pour elle, et ils les tolèrent toutes. Cependant Voltaire, par exemple, exprime avec une rage surprenante son mépris pour les Juifs, Arabes, et Turcs. Ce racisme va même jusqu'à un fantasme d'extermination, et jusqu'au délire. De même d'Holbach qualifie les Juifs de « dégradés », de « galeux », et « d'usuriers ». Quant à Voltaire, il parle de « horde hébraïque », de peuple absurde et fanatique, dont les livres sacrés sont « plus méprisables que les contes arabes ou persans ». Les philosophes lancent des insultes gratuites dans l'unique but de choquer et de blesser. Dans un article intitulé Tolérance Voltaire dit : « c'est avec regret que je parle des Juifs : cette nation est la plus détestable qui ait jamais souillé la terre ». Cette haine se manifeste aussi contre l'Islam et se confond avec une hostilité virulente contre les Arabes et les Berbères que le philosophe qualifie « d'animaux d'Afrique ». III – La question de Dieu et de la religion : une profonde aversion 1) Le refus de la religion révélée Pour les philosophes des Lumières, la question de Dieu apporte des divergences : certains n'y croient pas comme La Mettrie et Helvétius. D'autres pensent que s'il existe, cela est indémontrable par la raison. Pour Rousseau, Dieu est un être intelligent, une Providence. Cependant, tous se dressent contre la Révélation, car pour eux un Dieu révélé ne peut avoir de nature divine. Partant de ce principe, ils pensent qu'il n'y a pas de vraie religion et qu'elles se valent toutes. Ils prônent la tolérance dans ce domaine. 2. Un but inavoué : « écraser l'infâme » Cependant, sous cette couverture de tolérance, certains philosophes affichent une attitude profondément anti-cléricale. Mais ce qui est surprenant, c'est la violence avec laquelle ils l'expriment, car ce qu'ils haïssent par dessus tout c'est l'idée de la création de l'homme à l'image de Dieu, l'idée de la grâce, l'idée de la liberté humaine et du salut. Voltaire affirme qu'en tuant l'Église on ferait « la plus belle et la plus respectable entreprise qui puisse signaler l'esprit humain ». « Écraser l'infâme » devient le maître-mot de certains philosophes : ce n'est plus du mépris, c'est de l'agressivité et une haine profonde. Pour eux, l'Église superstitieuse « avilit la nature humaine ». Aussi la religion n'est bonne que pour les sots, que pour la masse ignorante du peuple. Pour ces philosophes, c'est plus qu'une passion, c'est obsession, une hystérie anti-chrétienne. 3. La sombre morale des Lumières : tout porte à la haine Ces exemples montrent que loin d'être animés d'une profonde ferveur envers l'humanité, la philosophie des Lumières est profondément ancrée dans la haine. D'Alembert dit : « je fais du genre humain deux parts, l'opprimante et l'opprimée, je hais l'une et je méprise l'autre ». De même, en haïssant ses rivaux, son public, l'Église et ses dogmes, c'est en réalité la nature humaine que déteste Voltaire, au point d'en être dégouté. Dans Candide, il la présente sous son aspect le plus déplorable et le plus misérable. En effet, dans la morale énoncée par les Lumières, on révoque tout ce qui n'est pas prouvé par les sensations. On constate chez eux un matérialisme omnipotent qui nourrit par conséquent leur mépris de la vision chrétienne de la nature humaine et de sa dignité. Ce qu'ils haïssent surtout, c'est la vision de l'homme créé à l'image de Dieu dans la Genèse. Donc, la dévalorisation de l'homme va de pair avec leur lutte contre l'infâme. L'auteur Benjamin Constant écrivait : « étrange philosophie à dire vrai que celle du XVIIIème siècle, prenant du plaisir à tout dégrader, à tout avilir ». Cette idée rejoint celle de Xavier Martin, qui apporte par ses recherches un éclairage différent de celui colporté par l'historiographie : l'image académique des Lumières qui est enseignée aujourd'hui n'est qu'une sorte de mythologie dans le discours politico-médiatique universitaire. Il faut cependant se rendre à l'évidence : le siècle des Lumières n'est pas celui de l'humanisme, ni de la tolérance. Bien au contraire, la dignité humaine est dénigrée, l'humanité méprisée, la morale inexistante...Fruit politique plus ou moins partiel de ce siècle, la Révolution portait ces germes de haine en elle, et elle a su les développer dans un climat d'intolérance et de fanatisme. Tant qu'elle dure, la Révolution saccage les liens sociaux et familiaux, encourage les actes sanguinaires, développe la puissance homicide de la haine. La conséquence logique des idées des Lumières c'était la Révolution, parce qu'elle s'inscrivait dans un siècle rendu égoïste, et miné par les sombres théories des Lumières.