Historique d'une création
Il s'agira d'une reprise, ou pour être plus exact, d'une recréation puisque c'était un chantier
fait à Signal (Aude) il y a longtemps, bien longtemps, en 1997. Un chantier à partir d'un texte
d'Eugène Durif qui s'appelait Il faut que l'une ait raison pour que l'autre ait tort et qui était
sous-titré Eloge de la gélodacrye - l'art de rire et de pleurer en même temps. Nous en avions
donné deux représentations au Festival Théâtres (que nous avions créé avec la compagnie que
nous avions fondée 4 ans plus tôt avec Jean-Marc Bourg, Jean Varela, Véronique Do Beloued
et Christian Pinaud). Mais il n'y eut jamais de suite, malgré mon désir. Et à cette époque, les
priorités allaient ailleurs.
Eugène Durif nous avait confié ce texte qui dormait sans succès dans un tiroir et que je
décidais de livrer sous la forme d'un chantier, une ébauche.
J'ai rencontré Eugène à Paris où je vivais alors. J'aimais ses pièces mais je ne le connaissais
pas personnellement et j'étais impressionné d’avoir à lui dire le coup pendable que je
préparais. Nous nous sommes vus à plusieurs reprises et je lui ai fait part progressivement de
mon désir de remodeler ce texte de la veine « cabaret » de ses écrits et qui comportait de fait
de nombreuses chansons et moments instrumentaux sur lesquels je voulais revenir.
Je désirais -sans toucher son écriture - supprimer les chansons afin de renforcer la comédie
du ratage et de l'abandon dont je pressentais la puissance mais que venaient contredire, de
mon point de vue, les multiples moments musicaux. En effet, comment expliquer que les
personnages disent, à longueur de répliques, qu'ils ne savent et ne réussissent à rien faire et
d'un autre côté les faire chanter et jouer toutes sortes d'instruments à la fin de chaque fin de
scène... Le genre renvoyait bien entendu au cabaret. Mais ce cabaret empêchait l'éclosion
d'une comédie pathétique et désolée, cousine lointaine de Godot, dans laquelle les deux
héroïnes, deux jeunes femmes, La Groule et L’Effarée (personnages aux noms comme des
masques), figures échappées d'un slapstick attendent quelque chose, c’est à dire quelqu'un,
quelqu'un qui leur manque, pour enfin chanter. Mais qui ne viendra pas. Et comme chez
Beckett, quelqu'un d'autre arrivera à la place du Godot, à la place de ce qu'on espère ou de ce
qu'on attend. Ce n'est ni Pozzo ni Lucky qui débarquent. Chez Durif ça s'appelle le Tiers, un
type qui s'appelle Tiers, comme on nomme une tierce personne et soit-disant musicien.
J'expliquai longuement à Eugène ma vision de son texte et mon désir de supprimer les
chansons.
Bienveillant, ou simplement était-il heureux que je m'intéresse à ce texte plus ou moins
abandonné et lui offre une deuxième vie ? Il m'accorda mon insolence.
Lors d'un autre rendez-vous, j'allais un peu plus loin, craignant que ce ne fût cette fois
irrecevable. Je demandais également à supprimer un tableau et inverser l'ordre de deux autres
tableaux - conséquences devenues nécessaires pour moi depuis la suppression des chansons
et afin d'accentuer la verve burlesque de la pièce.