Théâtre du Rond-Point (Paris) mars 2014 Comédie dramatique de

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OCCIDENT
Théâtre du Rond-Point
(Paris) mars 2014
Comédie dramatique de Rémi De Vos, mise en scène Dag Jeanneret, avec Stéphanie Marc et
Christian Mazzuchini.
Il éructe : "Salope ! Putain ! Ta gueule !". Elle réplique : "Sale facho alcoolique et impuissant". Voilà les mots
doux qu'échangent les deux protagonistes qui forment un couple ordinaire au bord de l'implosion.
Ces hostilités verbales constituent le déclencheur pavlovien de la maelstromique scène de ménage
récurrente emblématique de l'enfer conjugal que Rémi De Vos décline en variations allegro presto sur le
mode de la danse de mort dans "Occident"
Lui, larvaire, veule, pitoyable, victime d'une triple impuissance, impuissance littéraire (écrivain devenu
improductif), impuissance sexuelle (corollaire d'un alcoolisme avéré) et existentielle (écoeuré par son
humanité ravagé, la haine de soi entraînant la haine de l'autre) vomit sur l'Homme avec un petit discours de
raciste de comptoir.
Elle, impitoyable et imperturbable, fidèle au poste au retour de chaque beuverie pour (dé)battre de ses
obsessions xénophobes et alimenter son accusation d'infidélité nymphomaniaque, loin de l'attendue position
victimaire, guerroie avec la superbe du gladiateur.
Saisi par le vertige de l'amour fatigué, ce couple de quadras, qui se situe entre celui de "Une laborieuse
entreprise" de Hanokh Levin et "les beaufs" de Cabu, se livre à une ressassante joute verbale rythmée par
l'antienne "Je t'aime, je te tue" qui constitue le levier d'un affrontement stérile pour exister dans leur huis-clos
intime par l'humiliation, la défaite et surtout la soumission de l'autre,
Pour orchestrer la petite musique de chambre de ce pandémonium matrimonial qui ne fait pas dans la
dentelle, ni de la préciosité verbale de la langue classique ni de la pastorale, tout en témoignant d'une varie
humanité certes égarée, composées d'altercations orgasmiques émaillées de menaces de mort conduisant à
un succédané de jouissance par l'avilissement, Dag Jeanneret a opté pour des parti-pris forts de mise en
scène.
En premier lieu, il n'a pas cédé à la tentation par trop facile et faussement évidente du réalisme naturaliste
en évitant toute référence socio-temporelle avec la scénographie minimaliste de Cécile Marc qui se limite à
un praticable trifrontal pouvant évoquer le cirque de l'Antiquité ou le ring de boxe.
Ensuite, il a choisi de transposer ce maelstrom verbal dans le registre de la comédie grinçante avec accents
jubilatoires, trait de génie qui laisse ouvert le champ des possibles en termes d'identification, de projection
et/ou de réflexion ne bridant pas le sens de manière drastique.
En effet, suivant la focale propre à chaque spectateur, la partition ressortira à l'affrontement morbide
d'amants désespérés, au duo de clowns tragi-comiques, au psychodrame identitaire, au mode de
fonctionnement sado-masochiste de certains couples ou au jeu de rôles.
Pour scander ces variations quasi-mélodiques sous haute tension, Dag Jeanneret a puisé, de manière aussi
inattendue que judicieuse dans le répertoire de la musique baroque avec pour intermèdes des extraits, non
des allegros bucoliques mais les prestos tel celui de "L'été", des concertos " Les quatre saisons" de Vivaldi.
Pour porter cette partition corrosive aux dialogues violents et triviaux mettant aux prises deux victimesbourreaux, s'imposent des solistes qui en ont sous la pédale pour assurer le colossal travail qui sous-tend ce
difficultissime exercice pugilistique qui ne donne pas droit à l'erreur et que Dag Jeanneret dirige avec
efficacité.
Christian Mazzuchini, à la parfaite gestuelle fébrile de l'alcoolique au verbe mauvais, est la pathétique
baudruche qui veut refaire le monde et monte en mayonnaise au quart de tour pour s'effondrer comme une
chiffe molle sous le couperet tranchant des réparties assassines de sa moitié.
Et quelle moitié ! Stéphanie Marc, méconnaissable en tenue négligée de ménagère de moins de cinquante
ans après son excellente incarnation dans "Marilyn Monroe, entretiens", est la partenaire infernale et
meurtrie, imparable et imperturbable, manipulatrice et arbitre pour demain soit le même jour. Amour à mort.
Dis-moi que tu m'aimes. Je vais te tuer. Et si on allait voir la mer... Magistral. Martine Piazzon
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