9. Les sécrétions gastriques

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9.
Les sécrétions gastriques
Le principal rôle de l'estomac est de transformer les aliments à l'état de chyme semiliquide afin de les rendre acceptables pour l'intestin. L'agent de cette transformation
est le suc gastrique. De plus, l'estomac sécrète un mucus qui forme une couche de
protection pour la muqueuse gastrique vis-à-vis de l'acidité gastrique et qui en
lubrifiant les ingesta en facilite le passage vers l'aval.
9.1. Les zones de la muqueuse de l'estomac
La muqueuse gastrique n'est pas homogène et elle est formée par quatre différents
types d'épithélium dont le développement présente de grandes variations
interspécifiques : les épithéliums oesophagien, cardial, fundique et pylorique (voir
figure 7.4. et le chapitre 7.1.2).
L'épithélium oesophagien n'est pas sécrétoire. L'épithélium de la zone cardiale est
très développé chez le porc mais beaucoup plus limité chez les autres espèces.
Cette zone sécrète du mucus et divers électrolytes.
L'épithélium muqueux fundique (qui occupe 80% de l'estomac chez l'homme (fig.
9.1.) est constitué d'une seule couche de cellules épithéliales. Il est ponctué de
millions de cryptes gastriques ou puits (pits en anglais). Les cryptes couvrent 50%
de la surface de l'épithélium et elles sont séparées les unes des autres par une
distance de 0.1 mm. Les cryptes sont des invaginations et conduisent aux glandes
gastriques qui sécrètent le suc gastrique (fig. 9.2 à 9.5).
Figure 9.1. Estomac : vue de la muqueuse sécrétoire chez l'homme
77
Figure 9.2. : Les zones anatomiques et fonctionnelles de la muqueuse de
l'estomac. Chez l'homme et le chien, les glandes acidosécrétrices occupent la
majeure partie de l'estomac.
Zones
fonctionnelles
Zones
Anatomiques
Glandes
Oxyntiques ( ou
Cardia
fundus
corps
acido-sécrétrices)
Surface (85%)
Glandes
pyloriques
Surface (15%)
Antre
pylore
Figure 9.3.: La surface muqueuse de l'estomac est ponctuée de milliers de
cryptes (puits) donnant accès aux glandes gastriques.
Ouverture d'une crypte gastrique
78
Figure 9.4. Les cryptes gastriques
Figure 9.5. Histologie fonctionnelle de l'estomac. L’épithélium est constitué par
une couche monocellulaire. Elle forme des millions cryptes gastriques conduisant
aux glandes gastriques qui sécrètent le suc gastrique. Il y a 5 types de cellules dans
ces glandes (voir fig.9.6 et 9.7).
79
Les glandes gastriques débouchent dans des cryptes et elles sont formées de 5
types de cellules (fig. 9.6 et 9.7):
1) les cellules à mucus du collet. Elles produisent un mucus alcalin à l'entrée
des cryptes
2) les cellules pariétales (ou bordantes) produisant le HCl (et chez l'homme le
facteur intrinsèque). Elles sont séparées de la lumière tubulaire par les
cellules peptiques et elles déversent leur production de HCl par des
canalicules intercellulaires
3) les cellules principales ou peptiques produisent le pepsinogène qui est la
forme inactive de la pepsine. Le pepsinogène sera transformé en pepsine
sous l'action du HCl. Chez les ruminants les cellules pariétales de l'abomasum
produisent la rénine (présure) qui est impliquée dans la coagulation (caillage)
et la digestion du lait.
4) Les cellules endocrines situées en profondeur libèrent vers la lamina propia
la gastrine, la sérotonine, la CCK et la somatostatine. Les cellules
entérochromaffines produisent de l'histamine qui en agissant sur les
récepteurs H2 provoque une sécrétion acide des cellules pariétales.
5) Au fond des glandes se trouvent les cellules souches qui assurent le
renouvellement de tous les autres types de cellules.
La zone pylorique est située au niveau de l'antrum ; elle sécrète du mucus (débit de
1 à 5 mL/h chez le chien). Très visqueuse, cette sécrétion lubrifie la surface de
l'estomac sur laquelle s'opère un continuel va-et-vient de chyme. On trouve
également dans l'antrum des cellules sécrétant de la gastrine.
80
Figure 9.6. Les types de cellules des glandes gastriques.
1- Cellules à mucus du collet.
Elles produisent un mucus
alcalin à l’entrée des cryptes.
2- Cellules pariétales Elles
sécrètent du HCl et le facteur
intrinsèque. L’HCl est
nécessaire à l’activation de la
pepsine.
Figure 9.7. Les types de cellules des glandes gastriques (suite)
3- Cellules principales : Elles produisent
le pepsinogène qui est la forme inactive
de la pepsine. Elles produisent chez les
ruminant la rénine (présure) impliquée
dans la coagulation (caillage) et la
digestion du lait.
4- Cellules endocrines : Elles libèrent
vers la lamina propria la gastrine,
l’histamine, les endorphines, la
sérotonine, la cholecystokinine et la
somatostatine.
5- Cellules souches :
Pour le renouvellement de tous les autres
types de cellules
9.2. Le suc gastrique
Le suc gastrique est un liquide incolore, fluide, inodore et acide (pH ≈ 1). La
production de suc gastrique est de l'ordre de 3 mL/h chez le chien, de 1 à 1.5 L
par jour chez l'homme et 1.5 L par heure pour le cheval.
81
Le suc gastrique est très riche en [H+] : de 0 à 150 mMol/L après une injection
d'histamine soit un gradient de concentration avec le plasma de 2000.
Le mécanisme de formation de l'HCl est présenté sur la figure 9.8.
Figure 9.8. Mécanisme de formation de la sécrétion acide par la cellule
pariétale. L'acide carbonique (H2CO3) formé sous l'action catalytique de l'anhydrase
carbonique est le donneur d'ions H+. Ces derniers sont pompés en-dehors de la
cellule pariétale à son pôle apical par une pompe ATPase. L'omeprazole bloque
l'ATPase et à ce titre inhibe la sécrétion d'H+ (l'oméprazole est le prototype des
inhibiteurs de la pompe à protons utilisée pour prévenir ou traiter les ulcères gastrointestinaux notamment chez le cheval et le chien).
Membrane basale
Membrane apical
H2O + CO2
-
Cl
oméprazole
K+
_
H2CO3
HCO3-
Cl-
HCO3-
ATPase
H+
H+
Vague
alcaline
Sang
Cellule pariétale
canalicule
Les ions H+ sont produits en permanence à partir de l'acide carbonique (H2O +
CO2 → H2CO3 → HCO-3 et H+) sous l'action catalytique de l'anhydrase carbonique.
Les ions H+ intracellulaires sont échangés contre des ions K+ au pôle apical de la
cellule pariétale. Il s'agit d'un mécanisme actif exigeant de l'ATP et une ATPase
membranaire (grande richesse des bordures en brosses en ATPase). L'oméprazole
est un médicament inhibiteur de la pompe à proton. Il bloque de façon irréversible
l'ATPase. Pour chaque H+ excrété au pôle apical de la cellule pariétale, un ion
HCO3- est excrété du côté basal vers le sang (ce qui est à l'origine de la vague
alcaline post-prandiale c'est-à-dire de l'augmentation du pH).
HCO3- est échangé contre un ion Cl- par un antitransporteur anionique. L'ion Cl- sera
excrété au pôle apical pour rejoindre les ions H+ via un canal chlorure.
82
9.3. Le pH gastrique
Le pH gastrique va dépendre du taux de production des ions H+ (qui peut être
multiplié par 20 pendant le repas), de l'action tampon ou non des aliments (protéines)
et des facteurs de dilution avec les autres composants du suc gastrique.
La figure 9.9. compare les sécrétions acides et les pH gastriques chez l'homme et
le chien. Contrairement à l'homme, chez le chien la sécrétion basale d'HCl est
très limitée mais la réponse maximale (obtenue par une injection d'histamine) est
supérieure à celle de l'homme. Chez le chien nourri avec de la viande, l'action
tampon des aliments est très limitée.
Figure 9.9. Sécrétions gastriques acides : comparaison du chien et de
l'homme. Chez le chien les sécrétions basales d'HCl sont faibles mais la capacité de
réponse de la muqueuse de l'estomac (test à l'histamine) est plus grande. Chez
l'homme la nourriture (surtout les protéines) a des propriétés tampon ce qui explique
que le pH gastrique peut être plus élevé en période post-prandiale que chez le sujet
à jeun.
mEq / hr
Sécrétion basale
Pic de sécrétion
(réponse à l’histamine )
pH - à jeun
- post-prandial
3.7 ± 2.1
23 ± 7
<1-3
Effet tampon
de la nourriture
(pH de 3-4)
0.1
39 ± 5
0.5 mEq / kg /hr
1.5
Peu d’effet tampon de
la nourriture
(moyenne des pH= 2.1)
Chez le cheval à jeun, la sécrétion d'acide gastrique n'est pas interrompue (la
production va de 4 à 60 mMol de HCl par heure), le pH gastrique est plus basique
chez le cheval recevant de l'herbe ou du foin (fig.9.10).
83
Figure 9.10 Acidité gastrique chez le cheval à jeun ou recevant une nourriture
(foin, herbe). On notera la plus grande acidité de l'estomac chez le sujet à jeun ce qui
est un facteur de risque.
7
A jeun
8
7
5
6
4
5
pH
pH
6
3
Herbe, foin
4
3
2
2
1
1
0
Time
0
Time
La valeur du pH gastrique varie selon les sites de l'estomac, avec des valeurs
proches de la neutralité dans la région au voisinage du cardia (saccus cecus), des
pH plus acides au voisinage de la margo-plicatus (3.0 à 6.0) et des régions plus
acides vers le pylore (1.5 à 4.0). Le régime alimentaire a un impact sur l'acidité
gastrique. La mise à jeun favorise l'acidité gastrique (pH = 1) alors que l'ingestion
de fourrage (avec une abondante sécrétion salivaire) donne des pH gastriques
moyens plus élevés (pH = 3.0).
Chez le cheval, l'acidité gastrique est l'un des facteurs impliqués dans la prévalence
élevée des ulcères gastriques (Equine Gastric Ulcer Syndrome ou EGUS). De 25 à
50% des poulains et de 60 à 90% des chevaux adultes (notamment ceux qui sont à
l'entraînement) présentent des ulcères gastriques. Ces ulcères sont souvent
localisés dans la zone non glandulaire de l'estomac et au voisinage de la margoplicatus. Les ulcères liés aux AINS sont plutôt antraux. Les EGUS ont une
physiopathologie similaire à celle des syndromes de reflux oesophagiens avec une
localisation préférentielle (environ 80% des ulcères) à l'épithélium œsophagien de
l'estomac qui est moins bien protégé (pas de glande à mucus) et qui se trouve
exposé aux sucs gastriques contenant le HCl, la pepsine et les sels biliaires. Le
cheval de course est particulièrement prédisposé aux ulcères car sa muqueuse
oesophagienne serait davantage exposée à l'agressivité du suc gastrique au cours
de l'effort (dans les conditions de repos, cette partie de l'estomac (saccus caecus)
n'est pas exposée au contenu digestif car elle se trouve au-dessus du SOI). Il est à
noter que la mise à jeun du cheval (avant une intervention chirurgicale ou en cas de
coliques) est un facteur favorisant l'occurrence des ulcères qui apparaissent en
48h (fig. 9.11).
84
Figure 9.11. : Ulcères gastriques chez le cheval obtenus par des privations
intermittentes de nourriture. On notera que les ulcères surviennent dans la zone
squameuse de l'estomac et non dans la partie glandulaire c'est-à-dire au-dessus de
la margo plicatus car cette zone est moins bien protégée que la zone fundique.
Day 0
48 H r
96 H r
9.4. La pepsine
La pepsine est la plus importante des enzymes protéolytiques. Elle est sécrétée sous
la forme d'une pro-enzyme inactive nommée pepsinogène par les "cellules
principales" fundiques et antrales. Elle est immédiatement transformée en pepsine
active à pH 2. La réaction est autocatalytique.
La pepsine est une endopeptidase c'est-à-dire qu'elle coupe les liaisons C0-NH
dans lesquelles les groupements aminés appartiennent aux acides aminés
aromatiques (phenylalanine, tyrosine…). Cela entraîne la libération de peptones
(polypeptides à PM élevés). Son pH optimal d'activité est de 1.5 à 3.5 et elle est
inactive lorsqu'elle passe dans le duodénum. Les facteurs de libération de la
pepsine sont la stimulation vagale (avec l'acétylcholique), la gastrine et l'histamine
(libérées localement).
La chymosine (ou labferment ou présure ou rénine) est une autre enzyme
protéolytique qui est impliquée dans la digestion du lait.
Le facteur intrinsèque est une glycoprotéine permettant l'absorption de la vitamine
B12, son statut est incertain chez l'animal.
85
9.5. Le mucus gastrique
Le mucus gastrique correspond à un ensemble de mucosubstances (glycoprotéines),
il est produit par les cellules cardiales, pyloriques et fundiques (cellules du collet).
Les glandes pyloriques ne contiennent que peu de cellules peptiques et pas de
cellules pariétales mais surtout les glandes à mucus. On nomme mucus visible la
couche extracellulaire de 1 à 1.5 mm d'épaisseur qui tapisse toute la muqueuse
gastrique. Ce mucus est en partie précipité par l'HCl et il forme des filaments (un gel)
muqueux. Avec le mucus contenu dans les cellules épithéliales de surface (mucus
invisible) (fig.9.12), le mucus visible forme une double barrière de protection. Sa
suppression diminue la résistance aux stress chimiques, thermiques, mécaniques.
Cette barrière évite un contact direct entre les cellules de l'estomac et le suc
gastrique (HCL et pepsine). Le pH à la surface de la barrière est de 1.5 alors qu'il
est de 7 en zone profonde au contact des cellules (fig. 9.13.). Les cellules à mucus
produisent des ions HCO3- qui neutralisent localement les ions H+. Les
prostaglandines (PgE2 et PgI2) stimulent la sécrétion de HCO3-. Les AINS
s'opposent à cette sécrétion et favorisent l'occurrence d'ulcères.
Figure 9.12.: Mucus visible, tapissant la paroi de l'estomac et mucus invisible,
dans les cellules. Le mucus visible forme une couche de 1 à 1.5 mm d'épaisseur
qui tapisse les cellules de l'estomac et en assure la protection contre l'acidité du
contenu gastrique.
Le mucus visible
Mucus invisible
86
Figure 9.13.:Contrôle du gradient de pH entre le contenu de l'estomac et la paroi
cellulaire par le mucus et la production d'HCO3-. Le gel de mucus visible (1.5 mm)
sépare les cellules (pH de 7) du contenu de l'estomac (pH = 1.5). Les cellules à
mucus produisent du HCO3- qui neutralise localement les ions H+.
9.6. Contrôle de la sécrétion gastrique
La sécrétion du suc gastrique est à la fois nerveuse via le nerf vague (X),
hormonale (gastrine) et locale (histamine).
Les cellules pariétales sont stimulées par l'acétylcholine (récepteur muscarinique de
type M3), l'histamine (récepteur de type H2) et la gastrine (récepteur de type
CCKb) (fig. 9.14).
Figure 9.14: Médiateurs impliqués dans la sécrétion du suc gastrique
Acétylcholine (Ach)
récepteurs de type
M3
Histamine
récepteur de type H2
Gastrine
récepteur de type CCKB
(gastrine et CCK ont des
structures voisines)
Histamine
Ach
Cimetidine
Atropine
Gastrin
ATP
↑Ca
CAMP
Proglumide
++
↑Ca++
Common
intermediate
Potentiation
87
L'histamine est produite par les cellules entérochromaffines et elle est libérée sous
l'action de la gastrine. Les médicaments anti-histaminiques de type anti-H2 réduisent
la sécrétion acide de l'estomac.
Sur le plan temporel, la sécrétion acide chez l'homme et le chien se déroule en 3
temps par rapport au repas avec les phases céphalique, gastrique et intestinale.
Chez les ruminants, le porc et le cheval, les sécrétions sont plus au moins continues
car l'estomac n'est jamais vide (cheval) ou reçoit continuellement de digesta
(abomasum).
Chez le chien, les observations de repas fictifs (canules oesophagiennes) de Pavlov
ont montré que la simple vue (anticipation réflexe) du repas entraînait une sécrétion
gastrique (pendant 1-2h). Cette phase est d'origine vagale et elle porte sur la pepsine
et l'HCl.
La phase céphalique est suivie par la phase gastrique qui est déclenchée par la
présence de nourriture dans l'estomac. La phase gastrique est liée à la libération
systémique de gastrine. Une chute du pH<3.0 limite la sécrétion de gastrine. La
gastrine libère essentiellement de l'HCl.
La dernière phase est intestinale et elle correspond à l'arrivée de chyme dans le
duodénum. Cela déclenche une sécrétion accrue de CCK et de sécrétine qui aura
pour effet d'inhiber la sécrétion de gastrine et d'inhiber la contraction gastrique.
Chez les bovins pré-ruminants, la régulation de la sécrétion acide est similaire à celle
des monogastriques. Chez les bovins ruminants, l'abomasum produit 30L de suc
gastrique par jour. La sécrétion est continue car l'arrivée de digesta est continue (pas
de stimulation par la prise de nourriture). L'arrivée de digesta tamponné favorise la
sécrétion de gastrine.
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