La transition énergétique, entre histoire politique

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La transition énergétique, entre histoire politique et politique de l'histoire.
Sylvain Di Manno
[email protected]
doctorant en histoire des
sciences et des techniques
à l’École des hautes études
en sciences sociales.
https://dimannosylvain.wordpress.com/
ECOLE THEMATIQUE DE L'INSTITUT FRANCILIEN RECHERCHE
INNOVATION SOCIETE – Automne 2014 – La transition comme question
politique et objet de recherche pour les SHS.
Groupe de travail n°2
Communication du jeudi 25 septembre 2014
Ce texte est libre de diffusion. Il peut donc être librement repris et partagé à des fins non
commerciales, à condition cependant de ne pas le modifier et de mentionner son auteur.
Résumé :
Depuis les années 1970 (contexte des chocs pétroliers et des mouvements de contestation du nucléaire), le vocable de
transition s'est progressivement affirmé comme idiome de référence des politiques énergétiques (aux échelles nationales
et des institutions internationales) ainsi que de l'analyse historique des questions d'énergie. L'importation de ce vocable
par le gouvernement français en 2012 via la mise en place du Débat national sur la transition énergétique lors de la
Conférence environnementale et le récent projet de loi de transition énergétique pour la croissance verte, est
l'expression de ce phénomène d'ascension et de généralisation de l'usage du terme de transition par les organismes
internationaux (OCDE, Banque mondiale, etc) concernant notamment les questions énergétiques (mais pas
uniquement). A travers cette communication, on ne cherchera pas à retracer l'histoire de la montée en référence et de la
cristallisation du vocable de transition au sein des différentes arènes nationales et internationales concernant les
questions énergétiques. Une telle histoire, qui n'existe actuellement qu'à l'état fragmentaire, reste malheureusement
encore à écrire.
L'utilisation du terme de transition pour l’énergie sera abordée ici à travers un questionnement
historiographique. On interrogera les enjeux indissociablement heuristiques et politiques de l'usage de ce vocable par
les historiens de l'énergie, notamment à travers la portée prospective de ce terme. En effet, la plupart des auteurs font
un usage indifférencié des dimensions analytiques et prescriptives de la notion de transition : l'étude historique des
transitions énergétiques passées devant justifier ou éclairer dans un second temps la transition à venir. La frontière
(supposée) entre histoire et politique est ainsi franchie.
La communication se découpera en trois temps. A partir d'une étude comparative des publications historiques
françaises et anglo-saxonnes sur la (les) transition(s) énergétique(s), on montrera que chez la plupart des auteurs
l'utilisation du vocable de transition répond d'une conception linéaire et téléologique de l'histoire des techniques, qui
peine à traduire la réalité et la complexité des phénomènes historiques étudiés (pas de transitions observables
historiquement dans la consommation des matériaux énergétiques, ni de remplacement historique de certaines
techniques par d'autres). Dans un second temps on s'intéressera à l'utilisation de ces travaux historiques et de leurs
schémas analytiques au sein des arènes politiques, à partir d'une étude de cas détaillée sur la documentation publiée
par le ministère de l'écologie, du développent durable et de l'énergie dans le cadre de son projet de loi sur la transition
énergétique. On fera ainsi ressortir le rôle idéologique joué par les historiens de l'énergie via leur utilisation noncritique du vocable de transition. Enfin, on reviendra dans une troisième temps sur les propositions critiques récentes
de la part de certains historiens de « s’extraire de l’imaginaire transitionniste » (Fressoz 2013). On tentera de défendre
ici l'intérêt heuristique de la notion de transition pour l'histoire énergétique. Tout en étant conscient des risques de
linéarisation de l'histoire et d'embarquement des sciences sociales à des fins de justification politique, on montrera que
le vocable de transition se révèle particulièrement fécond, à condition cependant de décentrer le regard des seuls
facteurs techniques vers l'inclusion de ces derniers dans les hybrides sociaux-techniques vastes sur lesquels se
constituent les régimes économiques et politiques que nous connaissons (Mitchell 2013). La notion de transition ne sert
ainsi plus à qualifier les techniques énergétiques, mais les successions hégémoniques de régimes politiques, reposant
sur des assemblages spécifiques de ressources matérielles et énergétiques.
1
Introduction – Une question historiographique
Avant d'entrer dans le vif du sujet de cette communication, une précision s'impose quant aux
motivations premières de cette étude et aux attentes à en formuler. La question des transitions
énergétiques, présente dans mes recherches, ne forme pas pour autant l'objet principal de mes
interrogations actuelles. Il s'agit d'une notion que je mobilise d'avantage en termes contextuels, et
non comme un vocable dont il s'agirait de retracer la généalogie, ou bien comme un concept à
travailler en soi. Disons que je m'appuie sur un ensemble de travaux d'histoire de l'énergie qui
m'aident à penser les bases matérielles – en particulier en termes de ressources énergétiques – des
sociétés contemporaines et de leur histoire1. Je ne vous offrirai donc pas ici un aperçu du contenu de
mes recherches de thèse, mais plutôt des ébauches de réponses à des questionnements surgis de mes
lectures de thèse, lorsque je parcourais la littérature historienne existante sur les questions de
transitions énergétiques.
Mes recherches portent en effet sur les sciences géophysiques au moment de leur émergence
comme corps de pratiques cohérent et autonome, dans divers champs scientifiques et industriels
(mon spectre de recherche englobe une période allant de 1880 à 1940 environ). L'histoire de ces
pratiques d'étude systématique des phénomènes physiques de la Terre est indissociable des enjeux
géopolitiques et économiques dans lesquels ces pratiques ont été historiquement prises. Les
sciences géophysiques furent notamment portées par des acteurs militaires intéressés par les
retombées en terme de maîtrise opérationnelle de l'espace à l'échelle du globe, et par des acteurs
industriels cherchant à développer des méthodes de prospection minière et pétrolière. Les bureaux
miniers et pétroliers des États occidentaux ont de même déployé des efforts importants entre les
deux guerres afin de cartographier les caractéristiques géophysiques – notamment des zones
coloniales – dans une perspective de contrôle des stocks mondiaux de pétrole.
Mon spectre de recherche 1880-1940 répond bien à une période qualifiée par les historiens de
l'énergie comme une transition énergétique [je reviendrai plus loin sur la question de la longue
temporalité des périodes historiques qualifiées de transitions énergétiques]. Celle-ci correspondrait
plus ou moins à la montée en puissance des énergies pétrolières et électriques, via notamment les
machines électriques et les moteurs à explosion, diesel, etc. Dans le sillage des historiens
matérialistes de l'énergie, mes recherches tendent à aborder ce phénomène de transition comme un
construit historique. A l'encontre d'un modèle innovationnel et déterministe des dynamiques qui
seraient au cœur des transitions énergétiques – les caractéristiques intrinsèques des ressources
énergétiques et des innovations motrices pousseraient naturellement l'adoption de nouveaux
systèmes énergétiques – , il s'agit de s'intéresser aux nombreux investissements, aussi bien en
1
Notamment Jean-Claude DEBEIR, Jean-Paul DELÉAGE et Daniel HÉMERY, Les Servitudes de la puissance: une histoire
de l’énergie, Paris, Flammarion, 1986 ; Timothy MITCHELL, Carbon democracy: le pouvoir politique à l’ère du
pétrole, Paris, La Découverte, 2013 ; Bruce PODOBNIK, Global Energy Shifts: Fostering Sustainability in a Turbulent
Age, Temple University Press, 2005.
2
termes économiques que de savoirs, qui furent au cœur des dynamiques d'adoption massive de
nouveaux dispositifs moteurs dans certaines régions du globe.
Un point semble remarquable, lorsque l'on porte son attention sur la littérature historique
concernant les transitions énergétiques, à savoir le peu de réflexions critiques existantes sur l'usage
du vocable de « transition ». Si les auteurs offrent des conceptions généralement différentes sur ce
qui doit définir ces phénomènes de transition et les dynamiques qui s'y jouent, quasiment aucun ne
justifie l'usage du terme en question. Force est pourtant de constater que le vocabulaire ne manque
pas pour désigner le mouvement d'un état historique A à un état historique B différent en qualités :
évolution, transformation, changement, mutation, révolution, succession, etc. Ces termes
représentent évidemment des nuances de sens sur lesquelles nous reviendrons ; l'emploi de l'un
d'entre eux en histoire n'est pas arbitraire. Bornons nous pour l'instant à remarquer que le registre
auquel ils renvoient est, de manière plus évidente que pour d'autres termes, composite : à la fois
analytique et prescriptif, à la fois scientifique et politique.
C'est de ce constat d'ambivalence que part cette communication ; ambivalence de registre qui fait
écho à la multiplicité des arènes au sein desquelles cette notion de « transition énergétique » est
mobilisée et circule. Une rapide recherche bibliométrique 2 semble montrer que l'engouement pour
cette question dans la littérature française (universitaire et plus large) est récent.
Si le terme commence lentement à apparaître à partir de la deuxième moitié des années 2000, on
note une nette envolée autour de l'année 2012. Cette date coïncide avec l'arrivée au pouvoir du
président de la république François Hollande et de son premier gouvernement. Or le candidat du
parti socialiste avait fait de la « transition énergétique » un axe important de sa politique écologique
et économique, à l'inverse du président sortant, qui insistait dans son programme sur la « poursuite
2
Recherche effectuée en juin 2014 à partir de : la base de données de la Bibliothèque Nationale de France sur
l'ensemble des publications imprimées en France de type monographique entre 1960 et 2014, et dont les titres
incluent les expressions « transition énergétique » (au singulier et pluriel) ; les bases de données des fournisseurs de
publications universitaires Cairn, JSTOR et Persée concernant les disciplines histoire, sociologie, sciences
politiques, géographie, philosophie, économie, sciences de l'environnement, finance, et droit, interrogées sur les
mêmes critères. Si cette recherche ne prétend pas à l'exhaustivité, elle permet cependant de se donner une idée des
temporalités et de l'ampleur de l'engouement pour la notion de transition énergétique en France.
3
du développement des énergies renouvelables ». On note d'entrée ici un des intérêts de cette notion
de transition pour le candidat Hollande : bien que les contenus formels des programmes des deux
candidats soient très semblables en termes de mesures environnementales, la notion de transition
permet de marquer une rupture symbolique avec la politique menée par le précédent
gouvernement3.
Dans le sillage du sommet de Rio+20 et de l'affirmation de l'« économie verte » comme nouveau
mode de régulation des effets dévastateurs des modes de production actuels sur l'environnement, la
« transition énergétique » a été présentée par le nouveau gouvernement comme la modalité
principale de mise en application des principes de l'« économie verte », et comme un des éléments
de relance de l'économie française via la « croissance verte ». La nouvelle ministre de l'écologie a
ainsi organisé dès la rentrée parlementaire de 2012 une Conférence environnementale sur le mode
du Grenelle de l'environnement, sur le thème de « la transition écologique et énergétique »4. Celleci débouchant sur un planning pour la transition énergétique, organisé sous la forme d'une
concertation nationale qui a finalement conduit en juillet 2014 au projet de loi « sur la transition
énergétique et la croissance verte ».
Par ailleurs, si la « transition énergétique » semble se cristalliser relativement tardivement en
France comme vocable-clé des politiques économiques et écologiques, il ne faudrait cependant pas
masquer des généalogies de ce concept remontant plus loin dans le temps. Certains auteurs font
remonter sa naissance à 1974, suite au premier choc pétrolier, l’administration états-unienne puis la
toute récente Agence internationale de l'énergie de l'OCDE propulsent cette notion qui permet de
contrecarrer les analyses en termes de « crise énergétique » et de justifier de nouvelles politiques
énergétiques pour les pays occidentaux, centrées sur le développement des énergies dites
« domestiques » (nucléaire et gaz naturel) 5. En Europe, le terme est particulièrement repris dans les
pays du Nord, en contexte d'ascension du mouvement anti-nucléaire et des partis verts. Dans le cas
allemand, le gouvernement s'empare du terme en 1980, un an après l'accident de Three Miles
3
4
5
La notion de « transition énergétique » n’apparaît pas dans les documents du Grenelle de l'environnement
(rencontres multipartites organisées en 2007 en aval de l'élaboration des politiques environnementales du
gouvernement Fillon) relatifs à l'énergie. On y retrouve des expressions telles que « vers une société sobre en
énergies et en ressources », « rénovation énergétique », « rupture technologique ». La seule occurrence se trouve
dans un dossier de presse de 2008 du ministère de l'écologie, et le terme n'apparaît que dans les titres et intertitres;
la transition énergétique n'y est pas définie, ni présentée comme une mesure politique. (Lutter contre les
changements climatiques et maîtriser l'énergie, Rapport de synthèse du Groupe 1 du Grenelle de l'environnement,
http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Changement_climatiqueSynthese_Rapport.pdf ;
Grenelle
environnement, réussir la transition énergétique. 50 mesures pour un développement des énergies renouvelables à
haute qualité environnementale, Ministère de l'écologie, 17 novembre 2008, http://www.developpementdurable.gouv.fr/IMG/pdf/DP_energies_renouvelables.pdf)
Ministère de l'écologie, La Conférence environnementale. Feuille de route pour la transition écologique, 14-15
septembre
2012,
Paris,
http://www.developpementdurable.gouv.fr/IMG/pdf/Feuille_de_Route_pour_la_Transition_Ecologique.pdf.
Jean-Baptiste FRESSOZ, « Pour une histoire désorientée de l’énergie », Entropia, 2013, no 15 ; B. PODOBNIK, Global
Energy Shifts, op. cit.., p. 113-141. Pour le cas états-unien, voir notamment COMMITTEE ON NUCLEAR AND ALTERNATIVE
ENERGY SYSTEMS, Energy in transition: 1985-2010 final report of the Committee on Nuclear and Alternative energy
Systems, San Francisco, W. H. Freeman, 1980.
4
Islands, afin d'annoncer sa nouvelle politique énergétique, devant diminuer la dépendance en
ressources pétrolières et fissiles. Ceci se fait en parallèle avec la publication d'un livre blanc,
Transition énergétique : croissance et prospérité sans pétrole et uranium 6, par un militant
antinucléaire allemand, Florentin Krause, ayant cofondé en 1977 un institut de recherche
scientifique indépendant, l'Öko-Institut. Originellement issu du mouvement contestataire
antinucléaire,
l'institut
s'est
rapidement
spécialisé
dans
la
publication
d'expertises
environnementales sur commande gouvernementale, industrielle, et associative.
Cette brève incursion généalogique contraste avec l'apparence de nouveauté de l'émergence de la
notion de transition pour les questions énergétiques en France. La cristallisation de ce terme à
l'échelle internationale (OCDE, ONU) remonte aux années 1970-1980, dans le contexte des crises
pétrolières et des mesures de politique économique développées afin d'y répondre 7. Il serait
intéressant d'étudier si la période des années 1990 - première moitié des années 2000 correspond à
une relative perte d'hégémonie de la notion de transition énergétique au niveau des instances
politiques et économiques internationales. Il apparaît en tous cas que la cristallisation actuelle de la
notion de transition pour les question énergétiques s'inscrit, aux échelles nationales et
internationales, dans le cadre des politiques de relance économique suite à la crise de 2008.
La hausse importante du nombre de publications universitaires françaises sur la transition
énergétique semble s'inscrire dans cette dynamique : si la majorité des ouvrages parus de 2012 à
2014 sont des publications officielles émanant
d'institutions d’État, ou des publications des
différents participants au processus consultatif (firmes de l'énergie, think-tanks, associations, etc),
on assiste à un engouement parallèle pour la notion de transition énergétique dans le champs des
sciences humaines et sociales prises au sens large, que ces publications s'intéressent à l'objet
transition énergétique en lui-même, ou bien aux processus à l'œuvre derrière les mesures politiques
actuelles de « transition ».
De ce point de vue, il semble légitime de se questionner sur le possible effet de mode des transitions
énergétiques, avec l'ensemble des contreparties inhérentes à un tel phénomène : manque de recul
critique sur l'intérêt heuristique de cette notion pour l'histoire, sur ses aspects potentiellement
idéologiques, etc. Le terme de transition est-il le plus adapté afin de penser les phénomènes
historiques complexes qu'il est sensé traduire ? A partir de ces constats, la question centrale que
cette communication souhaiterait poser concerne la place du discours historique dans les usages
politiques de la notion de « transition énergétique ». Pour cela, je partirai d'abord de l'usage
historien de ce concept. Il s'agira de comprendre quels sont les schémas narratifs accolés à cette
6
7
Florentin KRAUSE, Hartmut BOSSEL et Friedrich MÜLLER-REISSMAN, Energiewende : Wachstum und Wohlstand ohne
Erdöl und Uran, Öko-Institut, 1980.
Voire notamment la publication des NATIONS UNIES, La Transition énergétique dans la région de la C.E.E., New
York, Nations Unies, 1984.
5
notion, dans quelles lectures de l'histoire des techniques les historiens de l'énergie adeptes des
transitions inscrivent leurs analyses. Je m'intéresserai dan un second temps à l’utilisation du
discours historique dans la promotion des politiques actuelles dites de transition énergétique. On
sera donc amené à questionner le statut social de l'historien et la portée idéologique de sa
production. Enfin, mon attention se portera plus précisément sur l'intérêt heuristique de la notion de
transition pour l'histoire énergétique. A partir de travaux critiques proposant de « s'extraire de
l'imaginaire transitionniste », je tenterai de défendre l'usage de la notion de transition en histoire, en
me plaçant dans une démarche de lecture matérialiste des dynamiques historiques.
L'énergie au prisme de l'histoire
La littérature historienne sur les questions énergétiques est principalement l’œuvre d'auteurs
militants écologistes. Je me concentrerai ici plus spécifiquement sur leurs représentants anglosaxons et français8. La construction d'un certain discours historique sur l'énergie s'inscrit dès le
départ comme un acte politique. De cette démarche militante naît une manière particulière
d'appréhender l'enquête historienne. Il est certes devenu évident depuis l’École des Annales que
l'écriture de l'histoire est un jeu incessant de va-et-vient entre passé et présent : l'histoire est une
manière de donner du sens à un vécu ; elle s'inscrit dans un rapport social au temps spécifique à
l'énonciateur. Mais les historiens des transitions énergétiques ne vont pas seulement chercher du
sens présent dans le passé, ils souhaitent aussi y trouver des clés pratiques pour le futur. Ces
ouvrages incorporent ainsi une forte dimension prescriptive : partant de la nécessité actuelle de
s'engager dans un phénomène de « transition énergétique », ils cherchent à faire ressortir des
expériences passées les dynamiques qui pourraient être au cœur d'une nouvelle transition. L'urgence
environnementale actuelle est projetée sur l'expérience du passé.
L'historien et militant écologiste français Jean-Paul Deléage justifie ainsi son ouvrage sur l’histoire
de l'énergie :
« Comment la comprendre [la crise énergétique contemporaine] aussi si l’on ne la
rapporte pas aux divers modes de fonctionnement énergétique des sociétés du passé, si
l’on ne tente pas de repérer dans l’histoire les solutions logiques que les groupes
humains ont sans cesse inventées ou réinventées pour assurer les conditions
énergétiques de leur survie ou de leur croissance ? Ce n’est que par la connaissance et
8
On se base ici sur le corpus d'ouvrages suivant : Vaclav SMIL, Energy In World History, Boulder, Westview Press,
1994 ; Vaclav SMIL, Energy Transitions: History, Requirements, Prospects., Praeger, 2010 ; Jeremy RIFKIN, The
Third Industrial Revolution: How Lateral Power Is Transforming Energy, The Economy, and The World, New York,
Palgrave Macmillan, 2013 ; B. PODOBNIK, Global Energy Shifts, op. cit. ; E. A. WRIGLEY, Energy and the English
Industrial Revolution, Cambridge ; New York, Cambridge University Press, 2010 ; J.-C. DEBEIR, J.-P. DELEÁ GE et D.
HEM
́ ERY, Les Servitudes de la puissance, op. cit. ; Yves BOUVIER, Les défis énergétiques du XXIeme siècle.
Transition, concurrence et efficacité au prisme des sciences humaines, Bruxelles, PIE Peterlang, 2012 ; Jean-Pierre
HAUET, Comprendre l’énergie: Pour une transition énergétique responsable, Editions L’Harmattan, 2014.
6
la compréhension du processus historique de longue durée […] qu’il devient possible
de cerner l’éventail des choix réels. »9
La démarche de Deléage, que l'on retrouve dans la grande majorité des travaux d'histoire des
transitions énergétiques, est comparative : il souhaite tirer un bilan des différentes structures
énergétiques des sociétés passées et tenter de comprendre ce qui fut moteur dans leur
transformation. Dans cette perspective, l'Histoire est prise dans un double rôle. D'un côté elle
ordonne le passé en offrant un schéma narratif explicatif de la situation actuelle de crise
environnementale. De ce point de vue elle acquiert même parfois un rôle rédempteur : Deléage
affirme que « la richesse pétrolière et électrique de nos sociétés a pour contrepartie la pauvreté des
représentations de sa genèse et de son devenir ». Le déficit de conscience historique et de
réflexivité serait ainsi l'une des causes de la crise présente. D'un autre côté, l'Histoire se doit de
fournir des exemples de pistes tirées des expériences du passé ; les transitions passées informent la
transition présente.
Depuis les quelques dernières années, on assiste à une floraison de colloques universitaires
(économie, histoire, géographie, sociologie, etc) s'inscrivant dans une démarche analogue, tenant
parfois de la posture des sciences sociales embarquées. On pourrait prendre l'exemple du colloque
organisé en 2009 à l'Université de Savoie sur les défis énergétiques du XXIème siècle abordés sous
le prisme des sciences sociales :
« En fait, elles [les sciences humaines et sociales] rassemblent des disciplines qui
permettent surtout d'échapper à des lectures conjoncturelles. Des disciplines qui
étudient dans la longue durée des acteurs et des conduites, et les relations entre les
acteurs définies par des conduites. Des disciplines qui, à ces titres, sont au cœur de la
réflexion générale. »10
ou encore les 6ème journées d'histoire industrielle sur « La transition énergétique, un concept
historique ? » qui se tiendront en octobre prochain à Mulhouse :
« certains choix énergétiques se sont heurtés à des impasses, à des verrous
technologiques, à des réticences de tous ordres voire à des défiances qu’elles soient
scientifiques ou sociétales. Afin de prévenir de telles conséquences aujourd’hui, les
préoccupations des grands programmes de recherche ou des réflexions prospectives
s’inscrivent dans des approches interdisciplinaires légitimant l’apport des sciences
humaines et sociales (SHS) pour mieux comprendre des métamorphoses de nos sociétés.
Les sciences historiques ambitionnent d’apporter certaines clefs de lecture sur ces
périodes d’émergence, de rupture, de blocage et de développement de nouveaux
paramètres énergétiques. »11
On rejoint ici le constat d'ambivalence du départ quant aux multiples registres de la notion de
9 J.-C. DEBEIR, J.-P. DELÉAGE et D. HÉMERY, Les Servitudes de la puissance, op. cit.., p. 8-9.
10 Y. BOUVIER, Les défis énergétiques du XXIeme siècle. Transition, concurrence et efficacité au prisme des sciences
humaines, op. cit.., p. 9-10.
11 Appel à communication pour les 6ème Journées d'Histoire industrielle des 23-24 octobre 2014 sur « La transition
énergétique, un concept historique ? ».
7
transition : de manière inéluctable, l'historien des transitions énergétiques doit savoir qu'il se
retrouvepris – même malgré lui – dans un plasma où science et politique sont difficilement
dissociables.
Entrons plus en profondeur dans ces textes, et intéressons nous maintenant aux schémas narratifs
des transitions énergétiques tels qu'ils sont proposés par ces auteurs. Là-aussi on retrouve de très
grandes similitudes. Tout d'abord, ces histoires sont des histoires longues (jusqu'à plusieurs dizaines
de milliers d'années), avec une visée englobante. Il s'agit souvent d'écrire une histoire générale de
l'humanité, basée sur des déterminations énergétiques, et pouvant aller dans le cas de Vaclav Smil
jusqu'à une « histoire générale du monde », faune et flore confondues12. Ces histoires sont
constituées d'une succession d'« ères énergétiques », marquées par des rapports énergétiques
constants, et scandées par des phénomènes de « transitions énergétiques ». Or si ces phénomènes de
transition peuvent sembler événementiels à l'échelle des périodes de temps balayées par ces
historiens, il s'agit en fait de très longs processus à l'échelle de la vie humaine – de plusieurs
centaines à quelques dizaines d'années.
Il existe bien évidemment de grands dissensus entre les auteurs concernant les dynamiques
naturelles et sociales au cœur des processus de transition énergétique. La majorité d'entre-eux optent
pour une approche innovationnelle, selon laquelle les innovations techniques (agriculture, élevage,
moulins à eau et à vent, machines à vapeur, moteurs à essence, machines électriques, etc.) forment
le principal moteur des successions de modèles énergétique 13. Ces histoires se construisent
généralement comme une succession de grandes inventions ponctuelles ouvrant la voie à de
nouvelles ères économiques et sociales, selon un schéma classiquement linéaire et progressiste ; les
sujets en sont à la fois l'humanité (pour les périodes de stagnation) et les grands inventeurs (pour les
révolutions techniques). Plusieurs auteurs préfèrent insister sur l'importance de facteurs de pression
naturels, tels la disparition progressive de ressources ou bien leur surabondance, dans les
dynamiques de transition14. Les schémas narratifs tiennent ici d'un certain déterminisme
géographique et géologique : l'émergence du charbon en Angleterre est expliquée par les ressource s
en bois limitées de l'île et sa surabondance en charbon, l'émergence du pétrole états-unien par la
configuration géologique particulière des champs de Pennsylvanie, etc. Enfin, un autre groupe
d'auteurs préfère insister sur les facteurs économiques et sociaux à l’œuvre derrière les phénomènes
de transition énergétique15. Les transitions répondent ici à des projets et à des réalisations
historiques portés par des groupes sociaux déterminés : classes économiques et sociales ou certaines
12 V. SMIL, Energy In World History, op. cit. ; E. A. WRIGLEY, Energy and the English Industrial Revolution, op. cit.
13 V. SMIL, Energy Transitions, op. cit. ; J. RIFKIN, The Third Industrial Revolution, op. cit. ; J.-P. HAUET, Comprendre
l’énergie, op. cit.
14 Kenneth POMERANZ, Une grande divergence. La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, Paris,
Albin Michel, 2010 ; B. PODOBNIK, Global Energy Shifts, op. cit.
15 J.-C. DEBEIR, J.-P. DELEÁ GE et D. HEM
́ ERY, Les Servitudes de la puissance, op. cit. ; T. MITCHELL, Carbon democracy,
op. cit. ; B. PODOBNIK, Global Energy Shifts, op. cit.
8
de leurs franges, États-nations souhaitant étendre leur contrôle et domination, etc.
Malgré ces grandes différences d'interprétation des dynamiques au cœur des processus de transition,
on retrouve un certain nombre de constantes dans les schémas narratifs portés par ces histoires de
l'énergie. Tout d'abord, une histoire faite de paliers, marqués par une certaine stabilité technique et
sociale, et ponctuée de révolutions – technique, naturelle ou sociale – marquant une déstabilisation
et un passage à un nouveau palier : sans être nécessairement linéaire et progressive, il s'agit bien
d'une histoire de successions. Sous ce schéma, les auteurs ont beaucoup de mal à penser la
continuité et la coexistence des différentes techniques énergétiques à une même époque ; chaque
régime vient remplacer le précédent. Deuxièmement, il s'agit aussi d'une histoire centrée sur une
humanité un peu particulière, de type blanche, européenne et mâle, ou peut-être plus précisément,
centrée sur des pratiques énergétiques rattachables aux intérêts des groupes historiquement
dominants. Ces histoires ont du mal à penser la coexistence de plusieurs régimes de rapport à
l'énergie, en fonction des classes sociales et des cultures dont il est question. Ce faisant, une partie
de ces récits ont tendance à dépolitiser l'histoire énergétique, en lui rattachant une humanité
générique faisant fi des rapports de classe, de race et de sexe se jouant dans cette histoire, et en
gommant des responsabilités différenciés dans le diagnostic environnemental actuel. Enfin, un
troisième élément de constance dans ces schémas de narration concerne l'imminence de la transition
à venir, que celle-ci soit poussée par des dynamiques d'innovation (technologies vertes), naturelles
(changement climatique, épuisement des ressources de pétrole), ou sociales (crise économique,
période d'instabilité hégémonique mondiale, etc).
Au delà d'une lecture relativement techniciste, linéaire et téléologique des dynamiques historiques,
il s'agit de pointer la difficulté de ces représentations à saisir la complexité des phénomènes en jeu
dans les processus historiques étudiés derrière le vocable de transition. Bruce Bodobnik préfère à ce
titre le terme de « surimposition énergétique »16, qui permet de mieux traduire la réalité des
processus en œuvre historiquement; à savoir une consommation continuellement croissante
d'énergies sous toutes ses formes : les nouvelles sources d'énergie ne viennent pas remplacer les
précédentes, mais s'y accumuler.
L'histoire énergétique au prisme du politique
Un constat très clair se fait à la lecture des nombreux documents publiés dans le cadre du Débat
national sur la transition énergétique (documents de préparation, rapports des commissions de
16 B. PODOBNIK, Global Energy Shifts, op. cit.., p. 7.
9
travail, déclarations officielles, etc) organisé par le gouvernement français entre 2012 et 2014 17 :
ceux-ci s'inscrivent tous dans un rapport au temps particulier, futuriste : celui de la prospective. Les
deux catégories temporelles les plus largement représentées sont d'abord le futur puis le présent. Il
s'agit pour les différents acteurs de se mettre d'accord sur un constat de situation et sur un objectif
vers lequel tendre, puis enfin sur les moyens à se donner. Dans ce mode de pensée de l'ordre du
stratégique, la seule fonction réservée au discours historique est introductive et légitimante. On ne
retrouve pas ici la conception des historiens de l'énergie précédemment étudiés selon lesquels
l'histoire du passé est un vivier de solutions, une génératrice de possibles. Le problème de ces
acteurs est l'histoire du futur, et à cela vient se rajouter une croyance quasiment partagée en
l'innovation comme solution. La rédemption par l'histoire laisse ici place à la rédemption par la
création.
Le schéma d'articulation temporelle présent dans la quasi-totalité des documents est le suivant :
1- thèse du présent : « L'énergie est au cœur du quotidien des Français : se chauffer, se
déplacer, s'éclairer, se nourrir, produire, notre vie accompagne la vie de tous les
jours. »
2- antithèse du futur : « Beaucoup de nos concitoyens sont confrontés à l’augmentation
de leur facture ; le changement climatique est de plus en plus perceptible ; le poids des
hydrocarbures (pétrole, gaz) constitue l’essentiel de notre déficit commercial. »
3- synthèse stratégique : il faut engager une transition énergétique.
Le passé représente ainsi une catégorie temporelle quasiment absente des publications que j'ai
étudiées. La connaissance historique n'y est pas mobilisée à des fins pratiques. Pour autant, ceci ne
signifie pas une absence totale du registre historique. Si les documents de travail ne font pas usage
de l'histoire, les documents officiels d'introduction, de synthèse et de conclusion mobilisent un
certain type de discours historique dans leurs parties introductives. En voici une citation
exemplaire :
« Exploitant la force du vent, l’Europe du XVe siècle révolutionnait son modèle
agricole et découvrait l’Amérique. Au XIXe siècle, la machine à vapeur puis
l’électricité ont fait le monde moderne que nous connaissons, et avec lui la mobilité des
hommes et l’expansion des villes. À chaque fois, la transition énergétique a été source
de bénéfices sociaux et économiques. L’énergie, et la façon dont les hommes la
maîtrisent, est au fondement de nos modes de vie et de l’organisation de nos sociétés.
Alors que la première et la deuxième révolution industrielle, fondées en grande partie
sur l’exploitation du charbon et du pétrole, ont ouvert un siècle et demi de croissance
mondiale, une nouvelle transition énergétique est nécessaire. »18
Ce qui me semble frappant dans ces usages du discours historique, c'est leur similitude avec les
constantes narratives identifiées plus haut. La transition y apparaît comme imminente, poussée par
17 On s'est basé ici sur l'ensemble des documents publiés par le Ministère de l'écologie dans le cadre de sa démarche
de débat national sur la transition énergétique et de préparation de son projet de loi. Voir l'ensemble des documents
cités en sources pour plus de précisions.
18 Introduction du bilan de synthèse du processus de débat national de juillet 2013.
10
la raison et la nécessité. Elle est un phénomène doux et consensuel, relevant de la sphère technique.
Toute perspective de conflictualité ou tout antagonisme y est banni. En ce sens, on rejoint le constat
de dépolitisation énoncé plus haut. On note par ailleurs que ces discours réduisent la transition à son
statut phénoménal. En cela, ils s'opposent aux travaux historiques les plus élaborés, qui tentent de
faire ressortir des systèmes explicatifs des dynamiques de transition. Ici, au contraire, la transition
ne s'explique pas, elle est le déroulement inévitable du progrès.
La principale fonction du discours historique semble être, dans la documentation étudiée, d'inscrire
les actions politiques dans une temporalité de l'inéluctabilité. C'est une autre facette des rapports
entre politique et histoire que l'on aborde ici : non plus celle de l'historien militant qui produit un
savoir spécifique depuis son point de vue situé, mais celle des enjeux idéologiques de la pratique
historienne.
Les valeurs heuristiques de la notion de transition
Revenons-en maintenant à la question de départ : la notion de transition énergétique est-elle un
simple effet de mode ou bien un réel outil heuristique pour l'historien? Nécessairement, un peu des
deux à la fois. Les développements qui précèdent espèrent avoir réussi à montrer que le vocable de
« transition énergétique » est dès le départ pris dans des enjeux politiques, ceux de la planification
énergétique suite au premier choc pétrolier, ceux des luttes écologistes, ceux des politiques actuelles
de « transition énergétique » menées par les gouvernements à l'échelle du globe. De ce constat doit
naître une extrême prudence quant à l'utilisation de ce terme, mais pas nécessairement une
inhibition. La notion de transition peut très bien s'avérer utile afin de traduire la complexité des
évolutions énergétiques des sociétés passées. Il semble par contre difficile d'emprunter cette notion
tout en échappant à un positionnement dans l'espace déjà constitué des luttes pour la définition et
l'usage de ce terme.
L'histoire énergétique a démontré, au moins pour les deux derniers siècles et demi, par l'étude des
statistiques de production et de consommation des ressources énergétiques, l'existence de vraies
périodes d'évolution tendancielle dans la prédominance de l'usage de certaines ressources.
11
Fig : le transitions énergétiques depuis le XIXème siècle, d'après Bruce Podobnik (2005), en part relative de consommation
mondiale d’énergie
Si l'existence empirique des phénomènes appelés transitions énergétiques semble relativement
claire, tout le problème est de proposer des lectures convaincantes des dynamiques au cœur de ces
évolutions dans la production et la consommation d'énergie. Un premier point potentiellement
dérangeant derrière la notion de transition est qu'elle désigne des périodes de temps longues et mal
délimitées. Quand commence et se termine une transition ? Au moment où une forme d'énergie
devient relativement prépondérante sur les autres, ou bien lorsque les dynamiques qui sont au cœur
de son expansion semblent se lancer ? Il semble plus facile de dater les périodes selon lesquelles un
mode de production/consommation énergétique semble relativement dominant. De plus, le terme de
transition met l'accent sur un moment particulier de ces processus historiques, à savoir la phase de
transformation. Il laisse penser qu'un ensemble de facteurs (innovationnels, naturels, sociaux) sont
spécifiquement rattachables à cette période de transition : il existe un avant et un après bien définis
et des moyens précis de passer de l'un à l'autre. En accentuant sur la discontinuité entre les
différentes périodes, ce mode de pensé peine à concevoir le caractère progressif des transformations
historiquement à l’œuvre et la persistance des techniques énergétiques les plus anciennes 19. Par
exemple, l'imposition des dispositifs moteurs à pétrole fut très progressive, nécessitant notamment
l'intervention des producteurs pétroliers auprès des pouvoirs publics dans la première décennie du
XXème siècle (afin de rentabiliser ces dispositifs techniques via les marchés militaires), puis le
recours au plan Marshall afin de pétroliser l'Europe et affaiblir le pouvoir de contestation des
ouvriers du charbon20. On est très loin ici du discours canonique de la découverte des techniques de
forage par Edwin Drake dans les champs de Pennsylvanie en 1859.
Par ailleurs, un autre point sensible est la confusion possible sur l’objet même de la transition dite
énergétique. Sur la base de quels usages particuliers se fait l'assignation du caractère « énergétique »
à certaines ressources naturelles et dispositifs techniques ? Un exemple de ce problème concerne le
bois, qui en fonction même de son usage – pour la construction ou le chauffage – peut être assigné
comme ressource énergétique ou pas. La question doit nécessairement se poser à l'historien : que
19 Un exemple marquant de ceci est l'importance à l'échelle mondiale des techniques de trait (humain et animal) dans
les sphères du transport et de l'agriculture dans toute l'histoire du XIXème et du XXème siècle. Voir David
EDGERTON, Quoi de neuf ? : Du rôle des techniques dans l’histoire globale, Paris, Seuil, 2013.
20 Voir les thèses de T. MITCHELL, Carbon democracy, op. cit.
12
qualifie la notion d'énergie mobilisée dans leur histoire ?
Face à ces ambiguïtés et aux enjeux idéologiques de la notion de transition, certains auteurs
suggèrent de se départir de ce terme. Pour Déléage, il existe aujourd'hui une « injonction » à la
transition : « Dans le monde entier, les États et les dirigeants des plus importantes filières
énergétiques sont à la recherche d'un nouveau compromis social et politique autour de cette idée de
''transition énergétique'' »21 ; et pour Jean-Baptiste Fressoz, il s'agit de « s'extraire de l'imaginaire
transitionniste » car celui-ci « empêche de voir la persistance des systèmes anciens et surestime les
déterminants techniques au détriment des arbitrages économiques »22. Le terme de transition ne
paraît en effet pas le plus pertinent afin d'analyser les évolutions énergétiques passées. Reste
cependant à lui trouver un remplaçant.
Avant toute chose, il faut bien réaliser qu'une histoire de l'énergie qui cherche à analyser des
phénomènes du type des transitions énergétiques s'inscrit nécessairement, de par l'ampleur
temporelle et géographique des phénomènes étudiés et la multiplicité des paramètres pouvant
entrer en compte (facteurs géopolitiques, économiques, sociaux, culturels, techniques, etc), dans
une démarche de type macroscopique. Cela ne veut pas dire qu'elle est incompatible avec une
histoire beaucoup plus fine, détaillée et proche des acteurs – par exemple de l'émergence de la
société de consommation dans l'ère culturelle spécifique des États-Unis puis de son étendue
progressive aux zones européennes et asiatiques 23 – , mais son propos est d'un ordre différent.
Il me semble que l'intérêt premier des histoires énergétiques les plus abouties (Deléage, Mitchell,
Podobnik notamment) est d'insister, chacune à leur manière, sur les importantes architectures
matérielles (qu'elles soient statiques ou en terme de flux) sur lesquelles reposent les sociétés
humaines, notamment les sociétés capitalistes contemporaines. Derrière les « systèmes
énergétiques » de Déléage et Podobnik ou bien les « hybrides sociaux-techniques » de Mitchell,
repose l'idée fondamentale selon laquelle les structures sociales viennent se bâtir sur des réseaux
complexes de production, de transport et de consommation des ressources, notamment énergétique.
Par ailleurs, l'insistance sur les énergies me semble cruciale dans une démarche historique
matérialiste, c'est-à-dire qui considère l'organisation sociale de la production comme un facteur
historique déterminant. Pourquoi une histoire des ressources énergétiques ? Précisément parce
qu'une manière de concevoir leur spécificité est d'examiner les usages auxquels elles répondent dans
les processus productifs : elles n'en sont pas simplement l'objet (comme une autre ressource), mais
21 J.-C. DEBEIR, J.-P. DELÉAGE et D. HÉMERY, Les Servitudes de la puissance, op. cit.., p. 505-547.
22 J.-B. FRESSOZ, « Pour une histoire désorientée de l’énergie », op. cit.
23 Voir à ce titre l'article de Emily S. ROSENBERG, « Le « modèle américain » de la consommation de masse », Cahiers
d’histoire. Revue d’histoire critique, 2009, no 108, p. 111-142.
13
elles en forment une composante dynamique, de manière analogue au travail humain. On notera
d'ailleurs que le projet historique de la science thermodynamique fut d'offrir une grille
commensurabilité entre les travaux de type mécaniques et ceux humains 24. De ce point de vue, ce
qui forme l'enjeu des transitions énergétiques, de l'évolution dans la consommation absolue et
relative de ces ressources, c'est l'évolution progressive des modes et des capacités de production –
soit que certaines techniques offrent de nouvelles applications, soit et surtout qu'elles permettent de
ré-organiser les modes de production pour des raisons diverses, notamment de rentabilité
économique.
A partir de là, comment envisager les phénomènes pointés par les historiens des transitions
énergétiques ? Bruce Podobnik propose un schéma intéressant selon lequel les grandes phases
énergétiques se superposent avec les séquences hégémoniques au niveau mondial. Les périodes de
stabilité hégémonique seraient caractérisées par la croissance des systèmes énergétiques dominants,
alors que les périodes d'instabilité seraient marquées par l'émergence de nouveaux systèmes 25. Les
facteurs énergétiques favorisant ou défavorisant l’extension temporelle des séquences
hégémoniques sont notamment liés à la stabilité de l'architecture générale garantissant les flux de
ressources (que les facteurs de pressions soient naturels ou sociaux), et s'inscrivent dans un
ensemble plus large de paramètres géopolitiques, économiques et innovationnels au cœur des
évolutions historiques des rapports hégémoniques. On retrouve ici des élaborations théoriques qui
croisent les perspectives de la démocratie carbone de Timothy Mitchell, avec les développements
historiens en terme de système-mondes de Immanuel Wallerstein et Giovanni Arrighi26, et ceux plus
économiques de l'école de la régulation27.
De ce point de vue, il semblerait plus juste sur le plan historique de parler de successions de
régimes énergétiques accolées à des transformations de rapports hégémoniques. Il ne s'agirait pas de
considérer une succession linéaire, mais plutôt comment des régimes économiques particuliers,
fondés sur une certaine organisation de la production, se construisent et s'étendent sur des
architectures matérielles et énergétiques données ; et comment la remise en cause historique de ces
formations hégémoniques, parfois même à cause des contradictions existant entre leur
développement et leur base énergétique, conduit à une reconfiguration – toujours partielle – des
infrastructures énergétiques précédentes.
24 François VATIN, « Le « travail physique » comme valeur mécanique (xviiie-xixe siècles). Deux siècles de
croisements épistémologiques entre la physique et la science économique », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire
critique, 2009, no 110, p. 117-135.
25 B. PODOBNIK, Global Energy Shifts, op. cit.., p. 1-17.
26 Immanuel WALLERSTEIN, Le capitalisme historique, Paris, La Découverte, 2011 ; Giovanni ARRIGHI, The Geometry of
Imperialism: The Limits of Hobson’s Paradigm, Édition : 2nd Revised edition., London : New York, N.Y., U.S.A,
Verso, 1983.
27 Robert BOYER, La théorie de la régulation : une analyse critique , Paris, La Découverte, 1986 ; Bernard GERBIER,
« Pour une théorie de la dynamique du capitalisme », in Les transformations du capitalisme contemporain, Paris,
L’Harmattan, 2007, p. 143-164.
14
Si l'histoire semble nous apprendre qu'il est difficile d'appréhender les périodes de transition
énergétique, et qu'il paraît plus juste de s'intéresser aux facteurs matériels de stabilité et d'instabilité
des phases de croissance énergétique, s'agit-il pour autant d'abandonner le vocable de « transition
énergétique » ? Deux éléments semblent s'y opposer. Tout d'abord sur un plan historique. Affirmer
que le cœur des dynamiques de transition est en fait à examiner au niveau des antagonismes internes
aux modes de production et à leurs formes hégémoniques d'expression, ne signifie pas pour autant
qu'il ne faut pas s'intéresser aux solutions concrètes historiquement mises en place afin de rétablir
un nouvel ordre économique et matériel. S'il n'existe pas de période aisément délimitable afin de
définir l'expérience historique de transition charbon-pétrole, il est intéressant de pointer tout un
ensemble de mesures, effectivement mises en place entre 1900 et 1960, qui ont assuré la croissance
de la consommation de pétrole et l'assise de l'hégémonie états-unienne face à l'ancienne puissance
industrielle britannique :
- Avant la Première Guerre mondiale, le pétrole était principalement destiné dans à l'éclairage
et à l'industrie mécanique. L'industrie du pétrole connut une phase de croissance, au début des
années 1910 principalement imputable à la capacité des entrepreneurs du pétrole et de
industrielle aéronautique de convaincre les pouvoirs publiques de leur intérêt militaire. Les
cas de la pétrolisation du parc marine militaire britannique poussée par l'Anglo Persian
petroleum company et la Shell , et celui de l'aviation militaire française sont bien
documentés28.
- La Première Guerre mondiale fut un catalyseur de la production de pétrole au niveau
mondial des engins motorisés au pétrole. En fonction des domaines, les capacités productives
concernant ces appareils ont été multipliées par un facteur entre 5 et 10. L'économie de
guerre, dirigée par les grandes têtes de l'industrie lourde, fit exploser la production d'engins
motorisés au pétrole et permit de mettre en place des modes de production à la chaîne qui
connurent leur heure de gloire après le conflit 29.
- La Première Guerre mondiale débouche aussi sur la chute de l'Empire ottoman, et sur le
partage du Moyen-orient et de son pétrole par les puissances occidentales. L'hégémonie
grandissante des États-Unis va notamment s’asseoir sur le contrôle des réserves moyenorientales de pétrole30.
- A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis d'Amérique entreprennent une
politique de pétrolisation de l'ensemble de l'économie européenne via le Plan Marshall, afin
de lutter contre le pouvoir des mineurs de blocage de l’économie dans cette zone. Timothy
Mitchell estime que 10 % des dépenses du plan Marshall ont été effectivement affectées à
cette fin.
Ces éléments démontrent que s'il n'est peut-être pas approprié de parler de périodes de transition
énergétique dans l'histoire, il semble pour autant justifié de parler de mesures politiques de
28 Daniel YERGIN, The Prize: The Epic Quest for Oil, Money & Power, Édition : Reissue., New York, Free Press,
2008 ; Emmanuel CHADEAU, « État, industrie, nation : la formation des technologies aéronautiques en France (19001950) », Histoire, économie et société, 1985, vol. 4, no 2, p. 275-300.
29 Aimée MOUTET, « Introduction de la production à la chaîne en France du début du XXème siècle à la grande crise en
1930 », Histoire, économie et société, 1983, vol. 2, no 1, p. 63-82 ; B. PODOBNIK, Global Energy Shifts, op. cit..,
p. 68-91.
30 T. MITCHELL, Carbon democracy, op. cit.
15
transition énergétique – conscientes ou non – comprises dans le sens de tentatives d'influencer les
bases matérielles existantes à un moment donné. Ceci nous amène au deuxième point.
Que les mesures actuelles de « transition énergétique » ne s'engagent pas dans une réalisation
historique de l'ordre de ce qu'elles annoncent – la grande marche inéluctable du progrès – ne
signifie pas pour autant qu'elles n'ont pas d'effets concrets. En ce sens, dans le contexte
contemporain particulièrement tendu en termes de flux énergétiques (déstabilisations dans la zone
moyen-orientale et en Afrique de l'ouest et centrale, conflit actuel en Ukraine, etc), les politiques
actuelles peuvent bien être considérées comme des politiques analogues à celles qualifiées
historiquement de transition énergétique : elles tentent d'apporter un certain nombre de réponses aux
contradictions énergétiques de l'ordre économique existant – par le développement des énergies
présentes sur le sol national (gaz de schistes, hydraulique, éolien, solaire, etc) et la diversification
des formes d’énergie afin de diminuer la dépendance en fournisseurs extérieurs, par le financement
de l'innovation technique dans ces domaines, par le renforcement du déploiement militaire dans
certaines zones stratégiques, etc. Si la « transition énergétique » ne correspond donc pas à ce qu'elle
se donne à être, un programme de mesures politiques est bien mis en place sous ce nom, avec des
enjeux matériels réels.
L'histoire énergétique passée nous apprend que les transitions énergétiques « n’obéissent ni à une
logique interne de progrès […]. Par contre, les logiques de pouvoir, les choix politiques, militaires
et idéologiques furent structurantes »31. Elles ont été l'objet de luttes entre des mesures et des
projets politiques concurrents. C'est en cela aussi que la notion de transition énergétique importe : il
s'agit de faire ressortir la diversité historique des programmes de transition qui se sont affrontés. La
différence notable d'aujourd'hui est que la transition énergétique se veut consciente d'elle-même.
Ceci fait que son nom même est un objet de lutte entre les différents acteurs partageant des
programmes opposés.
31 J.-B. FRESSOZ, « Pour une histoire désorientée de l’énergie », op. cit.
16
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http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/dnte-socle-de-
connaissances.pdf
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sur la transition énergétique, juillet 2014, http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/0_Expose_des_motifs.pdf
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Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Rapport du groupe de travail
''Quelles trajectoires pour atteindre le mix énergétique en 2025 ?'', http://www.developpementdurable.gouv.fr/IMG/pdf/gt2_mix-energetique_dnte.pdf
Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Rapport du groupe de travail
''Quels choix en matière d'énergies renouvelables et de nouvelles technologies de l'énergie et quelle
stratégie
de
développement
industriel
et
territorial ?'',
http://www.developpement-
durable.gouv.fr/IMG/pdf/gt3_energies-renouvelables_dnte.pdf
Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Synthèse des travaux du débat
national
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juin
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http://www.developpement-
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