Les discriminations sur le marché du travail : le point de vue

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Business School
WORKING PAPER SERIES
Working Paper
2014-408
Les discriminations sur le marché du
travail : le point de vue de la
psychanalyse
Fredéric Teulon
http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html
IPAG Business School
184, Boulevard Saint-Germain
75006 Paris
France
IPAG working papers are circulated for discussion and comments only. They have not been
peer-reviewed and may not be reproduced without permission of the authors.
Les discriminations sur le marché du travail :
le point de vue de la psychanalyse
________________________________________________________________________
Fredéric Teulon
IPAG Research Lab, IPAG Business School, Paris, France
[email protected]
« La psychanalyse peut apporter une perspective scientifique aux sciences
psychologiques et sociales déjà constituées, l’inconscient jouant un rôle,
bien souvent primordial, dans la totalité des conduites humaines »
Freud, L’intérêt de la psychanalyse (1913, p. 12)
1
Résumé
Les discriminations en entreprises sont liées à des comportements en partie conscients
et en partie inconscients des employeurs. Elles sont le sous produit d’une circulation
imparfaite de l’information ou la conséquence d’un goût ou d’un « dégoût » vis-à-vis
de certaines catégories de personnes (comportement peu ou pas rationnel lié à des
préjugés). L’article fait le lien entre les discriminations et des schèmes de pensée
intériorisés et refoulés. Les structures symboliques de cet inconscient collectif,
androcentrique ou xénophobe sont mises en avant. Paradoxalement les discriminations
sont renforcées par le fait que les victimes finissent par adopter inconsciemment le
raisonnement qui justifie le maintien des discriminations.
Mots clés
Inconscient collectif, discriminations, comportements non conscients,
stéréotypes.
Abstract
Discrimination behaviors in business are related in part to the conscious or
unconscious attitudes of employers. They are the byproduct of a situation where
information flows imperfectly or the result of a taste (or disgust) of some of the
employers (non-rational behavior related to bias). The article makes the link between
discrimination and internalized patterns of thought and turned back. The symbolic
structures of the collective unconscious, male-centered and xenophobic are
highlighted. Paradoxically discrimination are reinforced by the fact that the women or
ethnic minorities dominated, subconsciously, end up adopting the reasoning behind the
continuation of discrimination.
Key words
Collective unconscious, discriminations, nonconscious behavioral,
stereotypes.
2
Qu’est-ce que la psychologie et la psychanalyse peuvent apporter à la
compréhension de l’entreprise ? Cette dernière est un monde social et psychique au
moins à un quadruple titre : 1/ la firme résulte d’un acte créateur. L’entrepreneuriat
peut être analysé comme une sublimation, une réalisation détournée d’un désir
socialement inacceptable (pulsion érotique ou de mort) transformée en désir que la
société peut accepter ; 2/ la firme est un assemblage de liens humains qui ne peut
fonctionner que si les sentiments trop négatifs ou hostiles sont refoulés.
L’appartenance de l’individu à un groupe professionnel modifie son comportement
(celui-ci est façonné par le filtre de ce qui est dicible et recevable par les membres
du groupe). L’entreprise peut donc être à l’origine de souffrances psychiques chez
les salariés, mais elle peut être aussi le lieu et le moyen de la réalisation imaginaire
des désirs infantiles (Anzieu, 1975) ; 3/ Le salarié se soumet à la « direction » de
l’entreprise, comme l’enfant qui suit les consignes de ses parents1. Ainsi, le
Directeur général d’une firme occupe la place symbolique du père (identification
liée à l’angoisse originelle de la séparation d’avec les parents, d’où la tendance
régressive des subordonnés). Ceci rejoint la thématique de la « toute puissance »
des managers ou encore celle des rapports entre sexualité et fonctionnement des
organisations (Acker & Van Houten, 1974) et la problématique du leadership
comme construction mentale (Zaleznik, 1989) ; 4/ la firme est prise dans un
environnement qui non seulement agit sur elle (et avec lequel elle doit composer),
mais surtout qui est présent au travers de ses membres, porteurs d’un inconscient
collectif (Jung, 1913).
Dans les sciences de gestion, cette influence du monde psychique sur les
discriminations à l’égard de groupes minoritaires ou stigmatisés est un domaine qui
commence à être exploré notamment dans des travaux anglo-saxons : sur l’identité
au travail (Tajfel & Turner, 1985), sur les stéréotypes masculins (Duehr & Bono,
2006) ou sur le formatage des différences sexuelles par les structures
organisationnelles (Ely & Padavic, 2007). Ces approches se démarquent des études
standards qui ont fait de la discrimination un phénomène essentiellement
économique.2
1
Freud (1927-a) montre que les individus se sont créés un Dieu/Père car ils ont des difficultés à assumer leur
condition d’adulte. La figure du père instaure une relation réconfortante.
2
Voir la section 2 qui présente les travaux de Gary Becker et d’Edmund Phelps.
3
L’objet de cet article est de s’appuyer sur l’approche psychanalytique pour
traiter des discriminations - en matière d’embauche ou de carrière (questionnées
avec les concepts de la psychanalyse). Nous souhaitons contribuer à une meilleure
compréhension des mécanismes inconscients qui sont à l’origine de processus
discriminatoires dans le monde de l’entreprise. La première section rappelle la
réalité des discriminations dans le monde de l’entreprise. Les limites des
explications économiques sont présentées dans la section 2. La section suivante
présente le paradigme psychanalytique comme grille de lecture des comportements
humains. Enfin la section 4 rappelle que la domination dans le monde du travail a
une dimension symbolique.
1. Les discriminations en question
L’ampleur des discriminations est difficile à évaluer car on les assimile souvent
aux inégalités ou à des différences liées à des effets de structure. Sur le marché du
travail, elles correspondent néanmoins à une réalité maintes fois constatée par des
travaux empiriques.
1.1. Un certain aveuglement
Une partie de la littérature s’efforce de minorer l’importance des discriminations.
Ainsi, selon Gilder (1981), il faut dégonfler le « mythe de la discrimination »; la
différence de revenu entre les Noirs et les Blancs aux Etats-Unis reflèterait surtout
une réalité sociodémographique (et donc des effets de structure) : l'âge moyen de la
population noire est inférieure à celle de la population blanche, les Noirs vivent plus
souvent dans le Sud des États-Unis, c'est-à-dire dans des États plus pauvres en
matière de revenus. Enfin, les Noirs sont les principaux bénéficiaires des programmes
d'aide fédéraux ce qui les incite à rester dans la pauvreté. De même Heckman (1998)
estime que la plus grosse part de la disparité de salaires entre Blancs et Noirs est due
à des différences de qualification et non à des discriminations.
En ce qui concerne les discriminations liées au genre, les féministes américaines
estiment que le caractère sexiste de l’entreprise est en partie masqué par la
représentation abstraite du travail (Acker & Van Houten, 1974) ou par la neutralité
apparente des règles de fonctionnement des organisations (Ely & Padavic, 2007). La
pensée organisationnelle traditionnelle que l’on trouve dans les manuels de
4
management (Lupton, Argyris, March, Etzioni…) est désexualisée, elle raisonne à
partir de l’image d’un travailleur universel et de concepts supposés neutres et
objectifs (la hiérarchie, les coûts de transaction, la technologie…).
1.2. La réalité des discriminations
Il y a discrimination sur le marché du travail alors que des individus qui ont des
caractéristiques semblables (même expérience professionnelle, diplôme similaire)
n’ont pas les mêmes opportunités d’embauche ou de carrière (des individus lèsent
d’autres personnes en fonction de préjugés, de stéréotypes ou de critères biaisés, alors
même que souvent ils font face à une réalité qui contredit leur comportement).
Les discriminations peuvent se manifester à plusieurs niveaux (embauche,
rémunération…) et toucher des groupes plus ou moins identifiés (les femmes, les
minorités ethniques…). Elles peuvent être directes ou indirectes. Les discriminations
directes sont explicites et directement exprimées. Sur un même continuum et de
manière plus subtile, le Code du travail distingue également les discriminations
indirectes. Il s’agit de discriminations systémiques résultant d’un système dont les
règles de fonctionnement et les conventions sont en apparence neutres, mais dont les
modalités de fonctionnement conduisent à défavoriser de manière significative des
personnes en raison de leur appartenance réelle ou supposée à des groupes stigmatisés
(Banton, 1994). La notion de discrimination indirecte engage un élargissement du fait
discriminatoire qui n’est plus saisi uniquement en situation, mais s’apprécie comme
un système d’interactions complexes et inconscientes dont il importe d’évaluer la
genèse (Boltanski et Thevenot, 1991). Dès lors, il semble nécessaire de déterminer les
éléments générateurs, source de discriminations, tels que les préjugés et les
stéréotypes.
Allport (1954, p.27) définit le préjugé comme « une attitude négative ou une
prédisposition à adopter un comportement négatif envers un groupe, ou envers les
membres de ce groupe qui repose sur une généralisation erronée et rigide » Ce sont
des pré-jugements (Billig, 1984) qui sont acquis par les individus à travers leur
expérience sociale et qui sont marqués par leurs habitudes inconscientes. Ainsi, les
individus peuvent être la cible de préjugés, à cause de leur appartenance à une
catégorie sexuelle ou ethnique. Les préjugés imposent des généralisations
défavorables à l’égard de chacun des membres d’un groupe particulier. Ils peuvent
toucher n’importe quelle catégorie sociale tierce envers laquelle on éprouve des
sentiments défavorables. Les stéréotypes peuvent être considérés comme la
composante cognitive des préjugés. Le stéréotype peut être définit comme l’ensemble
5
des croyances relatives aux caractéristiques des membres d’un groupe. Ainsi, les
stéréotypes constituent des raccourcis cognitifs permettant de percevoir un ensemble
d’individus comme faisant partie de la même catégorie et d’en inférer via un
inconscient collectif, par la suite, que toutes ces personnes ont des caractéristiques
communes. Le contenu des stéréotypes est composé des croyances concernant les
caractéristiques des membres d’un groupe. Ces croyances sont ensuite, généralisées à
tous les membres de ce groupe. A la différence des préjugés, les stéréotypes ne sont
pas forcément négatifs, ils peuvent contenir des croyances à la fois, positives et
négatives, au sujet des caractéristiques de divers groupes sociaux.
Pour décrocher un emploi, un stage ou même un entretien, il vaut mieux s’appeler
Charles-Henri que Mohamed… En France, les jeunes générations issues de
l’immigration – notamment lorsqu’elles sont issues du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne – sont confrontées à des difficultés récurrentes d’insertion dans le monde
de l’entreprise (Silberman & Fournier, 2006; Brinbaum & Guignard, 2011). Aux
Etats-Unis, Bertrand et Mullainathan (2004) ont mené une vaste enquête pour mesurer
la discrimination raciale sur le marché du travail en répondant avec des CV fictifs aux
offres d’emploi dans les journaux de Boston et de Chicago. Afin de mesurer la
perception inconsciente des employeurs, ils ont mis en avant des prénoms et des noms
très américains (Emily ou Greg) ou au contraire à consonance africaine (Lakisha ou
Jamal). Les résultats montrent une discrimination significative contre les personnes
supposées être afro-américaines, les CV de « Blancs » recevant des rappels de 50 pour
cent plus élevés. Au fait intéressant, le niveau de la discrimination ne dépend pas du
secteur d’activité : la discrimination est donc bien un phénomène collectif qui affecte
l’immense majorité des employeurs.
2. Les explications économiques de la discrimination et leurs limites
L’analyse économique de la discrimination repose sur deux types d’explications qui
mettent en avant l’une comme l’autre, d’une part, le comportement individuel des
employeurs, d’autre part les préjugés et les croyances. La première insiste sur
l’existence d’un goût pour la discrimination, l’autre renvoie à l’application du critère
de rationalité dans un contexte d’information parfaite.
2.1. Préjugés et goûts pour la discrimination
Le prix Nobel d’économie Gary Becker (1957) estime que la discrimination
raciale est un problème comme un autre et que, par conséquent, les instruments
habituels de l’économie peuvent lui être appliqués. Selon Becker, une partie des
6
employeurs a un « goût pour la discrimination » (lié à leur volonté de ne pas être
mis en contact avec des minorités), goût au nom duquel ils supportent un
désavantage concurrentiel (en refoulant à l'embauche des candidats valables, les
employeurs se placent dans un état d'équilibre sous-optimal). Lorsqu'un employeur
blanc embauche peu ou pas de main-d'œuvre noire, il agit comme si le coût de cette
main-d'œuvre était égale à :
w.(1+d)
avec w le taux salaire courant et d >0 le « coefficient de discrimination ».
Dans la perspective ouverte par Becker, la théorie de la discrimination permet
de compléter la théorie du capital humain ; en effet, cette dernière est incapable à
elle seule d'expliquer certaines inégalités de salaires (celles qu'on trouve entre des
travailleurs dotés d'une efficacité productive a priori identique). Becker montre que
les employeurs ont un goût pour la discrimination contre les Noirs et qu’ils sont
prêts à payer pour cela. Le résultat paradoxal est que la discrimination raciale nuit
aux capitalistes blancs et aux travailleurs noirs, alors qu’elle profite aux capitalistes
noirs et aux travailleurs blancs ! Becker conclue sur le fait que sur la longue période
seule les entreprises non discriminantes peuvent survivre (les autres subissent le
surcoût w.d et sont donc éliminées du marché).
2.2. Rationalité des employeurs et discrimination statistique
Un deuxième type d’explication, développée initialement par Phelps (1972) et
Arrow (1973), relie, d’une part, la discrimination à l’embauche et, d’autre part,
l’imperfection de l’information disponible pour juger de la productivité des candidats
(hypothèse d’asymétrie d’information ou d’information imparfaite).
Phelps et Arrow considèrent que la discrimination provient de ce que le marché du
travail rémunère des capacités non filtrées par le diplôme3 et qui dépendent du genre,
de l'origine sociale ou ethnique. Les employeurs méconnaissent l’efficacité
potentielle des candidats (faute d’avoir les informations pertinentes), ils se contentent
de porter un jugement à partir de leur sexe ou de la couleur de leur peau (à défaut
d’avoir des informations fiables et objectives, ils cherchent à minimiser les risques).
Lors du processus d’embauche, à défaut de pouvoir juger le demandeur d’emploi sur
des qualités professionnelles telles que la loyauté ou l’ardeur au travail (qualités
invisibles hors du contexte de travail), l’employeur sélectionne à partir de critères
3
Le système éducatif est un premier filtre : l’obtention de diplômes valide des talents que les entreprises
seraient par elles-mêmes incapables d’observer tout autant que des compétences acquises.
7
plus ou moins visibles tels que la race, la religion, le genre, la corpulence,
l’orientation sexuelle…4 Les critères les plus visibles vont être activés en priorité et
ce sont eux qui vont servir de support à la discrimination : la couleur de la peau, l’âge
et le sexe constituent, à l’évidence, les signaux immédiatement perceptibles.
L’employeur fonde sa décision sur la productivité moyenne du groupe auquel il
rattache le demandeur d’emploi (c’est en ce sens que l’on parle de discrimination
statistique).
Ceci renvoie à la théorie du signalement développée par Spence (1973 et 1974) :
puisque l’information est coûteuse, l’employeur recrute d’après son expérience des
personnes qui présentent des signaux favorables en termes de sexe, d’âge, d’origine
ethnique, de formation ou de lieu de résidence. Le niveau de la discrimination peut
être mesuré par l’écart entre productivité estimée et productivité effective (Aigner &
Cain, 1977) :
H= p+μ
avec
p la véritable productivité du salarié (non observable au moment de l’embauche)
H la productivité telle quelle est estimée par l’employeur
μ un coefficient d’erreur lié à l’imperfection de l’information et aux croyances des employeurs
2.3. Les limites des explications économiques
En réduisant les discriminations dans le monde du travail à un manque d’information
ou à des préférences non spécifiées, l’approche économique apparait comme étant
réductrice.
L’analyse économique repose sur un paradoxe ; les employeurs discriminent, mais ce
n’est pas leur intérêt puisqu’ils se privent ainsi d’une main-d’œuvre compétente. Les
économistes considèrent les préjugés comme étant une donnée qui relève des goûts
propres à chaque individu et vis-à-vis desquels la science n’a rien à dire : « De
gestibus non est disputandum » (Stigler & Becker, 1977).
Les autres sciences humaines et la psychanalyse peuvent apporter une vision
complémentaire : 1/ en expliquant l’origine des préjugés ; 2/ en montrant que les
discriminations ne relèvent pas de la rationalité.
4
Le sociologue Erving Goffman (1961) distingue les personnes stigmatisées (stigmate visible) et celle qui
sont stigmatisables (stigmate non directement perceptible comme l’orientation sexuelle).
8
3. Le paradigme psychanalytique comme grille de lecture des
comportements humains
La psychologie sociale s’efforce de combiner les processus mentaux individuels et
la dimension collective des comportements observés. Elle permet de rompre avec
l’approche objectivante (en termes d’intérêt et de coûts/avantages) et individualiste
des économistes. Ainsi, la théorie de l’identité sociale (Tajfel & Turner, 1985) montre
que les individus sont soucieux de rester membres des groupes auxquels ils
appartiennent, cela leur permet de construire et de maintenir une d’identité sociale
positive. Puisque l’individu est lié au groupe, il cherche à le valoriser et ceci au
détriment des autres groupes qui servent aussi de faire valoir (Bourhis & Leyens,
1999). L’individu tend alors à se conformer de manière consciente ou inconsciente
aux stéréotypes prédominants liés à son groupe (ingroup) et à avoir des
comportements discriminatoires envers les autres (outgroup). Tajfel et Turner (1985)
à travers une étude expérimentale, soulignent que pour maintenir les frontières avec
l’outgroup, l’individu va chercher à s'engager dans des stratégies destinées à
maintenir et promouvoir une image valorisante liée à son groupe. Ainsi les
stéréotypes ne servent pas uniquement à simplifier l’environnement, ils remplissent
également une fonction sociale : celle d’expliquer les processus discriminatoires et de
les justifier par rapport au groupe auquel appartient l’individu (Tajfel, 1981).
Un autre apport de la psychologie sociale consiste à relier les préjugés à des
expériences personnelles traumatisantes : ce sont les personnes les plus frustrées,
ayant connu le plus d’échecs dans leur vie affective qui, en règle générale,
manifestent les préjugés les plus forts (Fein & Spencer, 1997) : l’évaluation négative
d’autrui sert à réparer l’image soi.
La psychanalyse va plus loin. Elle nous invite à développer une autre approche
des discriminations reposant sur des schèmes psychologiques invisibles : instincts,
préjugés ou archétypes qui suivent leur propre voie obscure. Les employeurs sont
sous l’emprise de représentations collectives d’origines diverses qui leur préexistent
et qui ont – depuis leur conception natale - formaté leur personnalité.5
3.1. L’inconscient collectif d’entreprise comme terra incognita
5
C’est bien le changement auquel la psychanalyse nous invite : l’individu ne préexiste pas aux représentations
sociales. Ces dernières lui donnent son identité et participent à la construction de son identité (Freud, 1913-a).
Freud a été fortement critiqué lorsqu’il a expliqué la transmission de ces représentations par l’hérédité : «
L’hérédité archaïque de l’homme ne comporte pas que des prédispositions ; mais aussi des contenus idéatifs,
des traces mnésiques qu’ont laissées les expériences faites par les générations antérieures » (1939, p. 134).
L’alternative à l’hérédité est la transmission psychologique des représentations collectives.
9
Même si Freud n’a jamais étudié les entreprises, sa réflexion concernant les
collectifs constitue une part importante de son œuvre (1913-a et 1921). Le célèbre
psychanalyste viennois s’est intéressé à l’inconscient individuel, au Surmoi (lieu
d’intériorisation de la morale socialement définie) et à l’impact des représentations
forgées par les groupes sur le psychisme individuel.
A la suite de Freud, nous faisons comme si l’inconscient individuel était une
réalité à l’image du conscient, mais en fait nous ne connaissons pas sa véritable
nature ; nous ne pouvons l’inférer qu’à partir du conscient. De même que nous
pouvons postuler la chose en soi derrière l’apparence, il faut postuler – derrière le
conscient accessible à notre expérience – l’existence d’un inconscient qui ne peut
jamais être l’objet d’expérience directe. L’inconscient est un autre lieu dans lequel
l’individu n’existe plus. Il rassemble des pensées en exil, un espace où rodent des
fantômes dans un ailleurs. Il est une feinte pour tenter d’échapper à l’intolérable,
une façon de rendre l’âme pour demeurer vivant. Dans son Introduction à la
Psychanalyse (p. 51), Freud propose l’image suivante :
« Nous assimilons le système de l’inconscient à une grande antichambre dans
laquelle les tendances psychiques se pressent, tels des êtres vivants. A cette
antichambre est attenante une autre pièce, plus étroite, une sorte de salon dans
lequel séjourne la conscience. Mais à l’entrée de l’antichambre, dans le salon,
veille un gardien qui inspecte chaque tendance psychique, lui impose la censure et
l’empêche d’entrée dans le salon si elle lui déplait. »
L’inconscient est difficilement saisissable, il révèle notre part d’ombre et il se
révèle au détour des actes manqués, des lapsus, des non-dits, des plaisanteries…
Ces symptomatologies sont les témoins de désirs refoulés d’un inconscient qui
cherche à se faire entendre. « L’inconscient semble être un cercle dont le centre est
partout et la circonférence nulle part. »6 C’est un peu comme si l’on voulait
marquer le mensonge du sceau de la vérité.
Les phénomènes relatifs à l’inconscient ne relèvent pas nécessairement de
l’irrationalité alors que les phénomènes conscients ne sont pas toujours rationnels
(les individus peuvent être excessivement optimistes ou au contraire déprimés…).
Les définitions standard de la rationalité comme comportement d’adéquation entre
les moyens utilisés et les fins poursuivies ou comme comportement consistant à
6
Nous empruntons cette formule à l’étude critique de Michel Onfray sur Freud, Le crépuscule d’une idole,
Paris, éd. Livre de poche, 2010, p. 330. Onfray s’inspire ici d’une formule de Pascal.
10
tenir compte de ses erreurs (Popper, 1953) ne sont pas opérationnelles pour traiter
de l’inconscient qui est un domaine de leur être que les individus ne contrôlent pas.
L’inconscient a ses raisons (mais on ne les connait pas), il est structuré, mais sa
structure n’est pas visible. C’est le domaine par excellence des émotions et des
pulsions, et du refoulement.
Au-delà de l’inconscient individuel, de nombreux psychanalystes postulent – à la
suite des travaux de Freud et de Jung - l’existence d’un inconscient collectif. En
s’interrogeant sur les rouages et les archétypes de l’inconscient collectif, Jung le
décrit comme ce qui rassemble les instincts fondamentaux de l’homme. Il montre la
disposition du psyché à faire renaître au présent des expériences ou des sentiments
qui ont marqué l’histoire des sociétés humaines. A ce sujet, Freud (1913-a)
suggérait la possibilité d’une transmission collective par l’inconscient reliant des
personnes proches ; il écrivait : « Nous postulons l’existence d’une âme collective
(…) [et la possibilité qu’] un sentiment se transmettrait de génération en génération
se rattachant à une faute dont les hommes n’ont plus conscience et le moindre
souvenir. » Le message freudien renvoie à l’existence d’un fond phylogénétique
transmis d’âge en âge et remontant à la période de l’humanité la plus éloignée.
L’inconscient primitif des premiers hommes se trouverait actif dans le dispositif
psychique de nos contemporains (Freud, 1913-a et 1916). Que trouve-t-on en
héritage de nos ancêtres des cavernes ? Le meurtre du père, bien sûr, le complexe
d’Œdipe mais aussi la position inférieure de la femme, la peur de l’étranger ou le
malaise lié à la vue des handicapés.
Dans un monde kaléidoscopique de valeurs remaniées, de pistes mobiles et de
cadres changeants, l’inconscient collectif - « terra incognita » car largement ignoré
et peu exploré - représente une tendance lourde qui renvoie au mystère des origines,
aux mythes et aux fondements des sociétés humaines. En ce sens il est un élément
structurant du psychisme, mais aussi de toute organisation collective.
L’ancrage du sujet dans son environnement ne doit pas être compris comme un
contrat passé entre un individu libre et la société, mais comme une relation de
dépendance entre un milieu et un individu, lui-même déterminé par des actions
spécifiques d’intériorisation des éléments de ce milieu.7
7
Roudinesco (2011) montre que l’intériorisation du milieu dans le vécu de l’espèce humaine s’applique
particulièrement aux relations familiales (voir sur ce point Lacan, « Les complexes familiaux dans la
formation de l’individu », in Autres Ecrits, 2001, Paris, Le Seuil). Par extension, cette intériorisation joue
11
L’appareil psychique de l’individu est immergé dans la langue qu’il utilise, i.e.
dans une structure symbolique qui s’impose à lui à son insu. Lacan (1966-a)
suggère que l’inconscient est structuré sur le modèle du langage, ce qui amène à
poser le primat du signifiant (la forme, le symbole) sur le signifié (le concept) : si la
structure symbolique de l’inconscient conditionne son contenu, alors la rationalité
des comportements rencontre des limites liées à l’organisation du psychisme
humain (« le moi n’est pas le maître dans sa propre maison » disait Freud8, formule
reprise par Lacan lorsqu’il dit : « nul sujet ne peut être la cause de soi »9). Une
lecture lacanienne de l’entreprise, basée sur la chose et son contraire, est possible :
l’interdit et la transgression, la captation imaginaire (le miroir) et sa destitution
(l’objet déchu), l’ordre symbolique (la raison, le signifiant, le langage) et la force
d’imposition du réel (la névrose, la part maudite).
Les entreprises projettent sur elles-mêmes un discours rationalisateur qui est – en
réalité – souvent pris à défaut : c’est ce que nous voulons montrer ici à propos des
discriminations sur le lieu de travail. Un exemple d’attitude discriminante fondée
sur des archétypes est celle qui consiste à croire que les personnes atteintes d’un
handicap congénital sont frappées d’une malédiction divine (Cagnolo, 2009).
Les structures de domination ont un caractère transculturel. Dans La domination
masculine, Bourdieu estime que l’ethnologie fait office d’archéologie objective de
notre inconscient. L’étude des rites kabyles10 l’amène à mettre en évidence des
oppositions ancrées dans notre appareil cognitif que l’on retrouve dans la société
française : homme/femme, sec/humide, extérieur/intérieur, haut/bas, droit/courbe…,
oppositions qui valorisent l’homme et déprécient la femme. Ici La domination
masculine rejoint Totem et Tabou, et la permanence des structures de domination
rejoint l’universalité du complexe d’Œdipe.
3.2. Etiquetage et codage
Les discriminations en entreprises sont liées à des comportements conscients ou
inconscients des employeurs. Il convient d’insister sur l’impact des processus
également dans le monde du travail, marqués par les deux pôles maternels (l’entreprise, la protection) et
paternel (le patron, l’autorité).
8
Sigmund Freud (1927-b), p. 118.
9
Jacques Lacan (1966-b), p. 830.
10
Bourdieu justifie son choix en expliquant que la tradition culturelle des Berbères de Kabylie « constitue une
réalisation paradigmatique de la tradition méditerranéenne. »
12
d’étiquetage sur les pratiques d’embauche et de promotion, et sur la propension des
employeurs à adapter leur démarche aux ressources supposées de leurs employés
telles qu’ils les anticipent : face à un public féminin, ou de personnes réputées
moins douées (ce qui revient tendanciellement au même), une grande majorité
d’employeurs renoncent aux ambitions qu’ils auraient avec d’autres salariés11.
De nombreux traits de personnalité peuvent être considérés comme des
étiquettes de synthèse utilisées pour coder dans la mémoire l’information relative à
un individu (Srull & Wyer, 1979). Ce processus de codage psychique et inconscient
est influencé par la manière dont la société se représente l’individu en question. Il
va affecter tous les jugements ultérieurs de situation où la personne est directement
ou indirectement mêlée. Il en résulte un très grand conformisme (Tetlock, 1992) et
la circulation d’informations erronées en cascade. Hirshleifer (1995) parle
d’aveugles guidant des aveugles. Les visions fausses peuvent être le résultat d'un
aveuglement par rapport à des passions ou à des intérêts, elles peuvent provenir de
défauts de perception, mais elles sont surtout le résultat de structures mentales que
les individus ne contrôlent pas. Les employeurs peuvent donc être très injustes en
toute bonne foi. Les personnes stigmatisées ne portent plus des marques corporelles
gravées sur le corps (au fer rouge) comme dans la tradition antique, elles sont
néanmoins mises à l'écart.
A l’opposé du discours rationalisateur, les discriminations reposent sur des
décisions prises à partir de jugements hâtifs et subjectifs sur la nature humaine :
ainsi on parle des qualités et des défauts de la « nature féminine ». Ces jugements
renvoient avant tout à des phénomènes cognitifs, même si les effets de contexte sont
aussi à prendre en compte (Perry & al., 1994). Des stratégies peuvent être élaborées
pour écarter les groupes indésirables. Baron et Bielby (1986) montrent que les
entreprises peuvent être amenées à changer l’intitulé des offres d’emplois selon
qu’elles souhaitent embaucher des femmes ou des hommes.
Les employeurs n’ont pas nécessairement conscience de l’impact social de leurs
décisions, par conséquent il existe un écart important entre ce que les employeurs
disent et ce qu’ils font (Pager & Quillian, 2005; Laufer, 2005).
11
On retrouve ce syndrome dans le domaine éducatif lorsqu’un professeur face à une classe réputée faible
renonce aux ambitions qu’il aurait avec d’autres classes (J.-P. Terrail, L’Ecole, l’enjeu démocratique, Paris,
La Dispute, 2004)
13
Ceci nous renvoie à la question de la rationalité des acteurs et à la psychologie.
Cette dernière montre qu’il existe des structures inconscientes qui empêchent de
prendre les bonnes décisions, qui sont à l’origine de choix incohérents dans le
temps ou qui perturbent les processus cognitifs (Tversky, Shafir & Simonson,
1997).
Le paradigme de la rationalité est incomplet. L'idéal de transparence qui est au
cœur de la théorie du choix rationnel est incapable de venir à bout de l'extériorité et
de l'opacité du collectif. Il existe des dispositifs cognitifs inconscients qui encadrent
et servent de support aux décisions individuelles. Ces dispositifs ne se résument pas
à des interactions entre acteurs rationnels.
D’une manière plus générale, en situation d’incertitude, les décisions des
individus peuvent systématiquement s’écarter des prédictions de la théorie du choix
rationnel (incapacité à analyser des situations complexes ayant des conséquences
aléatoires). Il faut tenir compte de la construction mentale de son environnement par
l’individu, de sa psychologie, de ses émotions et ses motivations (Kahneman &
Tversky, 1981).
Cette idée selon laquelle il existe un inconscient collectif qui est la variable clé
pour comprendre les discriminations s’oppose à l’analyse économique qui retient des
hypothèses
de
rationalité
absolue
des
décideurs
et
d’intentionnalité
des
discriminations.
A l’encontre des analyses fondatrices de Becker, la permanence de la
discrimination dans le temps suggère que tous les employeurs ont des préjugés ou
des jugements stéréotypés et conformistes (inscrits dans l’inconscient collectif) qui
ne correspondent en rien à un mécanisme d’offre et de demande. Au travers des
discriminations à l’embauche, les employeurs acceptent de payer un surcoût car ils
sont pris collectivement dans des présentations qui s’autoalimentent et renforcent
des croyances déformées. Ils ont en tête des images, de catégories descriptives
simplifiées par lesquelles ils cherchent à classer des groupes d’individus. Nous nous
inscrivons donc en faux contre l’idée selon laquelle la concurrence entre les
entreprises serait l’antidote à une discrimination supposée intentionnelle. La
recherche du profit et le libre jeu du marché ne conduisent pas nécessairement les
employeurs à être clairvoyants, équitables et vertueux. L’hypothèse de rationalité
limitée (Simon, 1969) requiert d’étudier des acteurs non plus en termes de choix
rationnels, d’optimisation des décisions (recruter le candidat le plus compétent pour
14
le poste), mais d’observer ses choix, en interaction avec son environnement. Le
choix de l’acteur s’opèrera en fonction des capacités cognitives dont il dispose, et il
s’arrêtera à la solution qu’il jugera la moins risquée. Par ailleurs, l’idée d’une
passivité des salariés n’est pas compatible avec leur nécessaire adhésion aux valeurs
de leur société d’appartenance et à la culture affichée par leur entreprise.
4. Domination symbolique et préférences inversées
L’entreprise doit être décryptée au-delà de ses statuts, de son règlement intérieur
ou de son organigramme officiel comme un concentré de structures symboliques.
La reproduction des rapports sociaux est d'autant mieux assurée que l'inculcation
des arbitraires de classe, de sexe ou de couleur de peau se fait sous le couvert d'un
discours idéologique valorisant officiellement l’égalité des chances ou l’égalité de
traitement. Ce discours est intériorisé par les agents, il exerce sur eux une “violence
symbolique” qui assure la pérennité de la domination et des rapports sociaux
inégalitaires et il repose du coup sur le consentement actif des agents. Les intéressés
ne manquent pas de percevoir les attentes des employeurs à leur égard, et finissent
par les intérioriser dans une sorte d’accord, ou posture de conciliation, entre des
tensions inverses.
Pour expliquer ces phénomènes d’inconscient collectif, la théorie des rôles
sociaux proposée par Eagly et Karau (2002) fournit une grille d’analyse. Ces
chercheuses postulent que les individus formulent des attentes sur les
comportements que devraient adopter les hommes et les femmes dans la société.
Deux formes d’attentes sont alors développées. Les attentes descriptives qui
décrivent les qualités, les comportements perçus comme désirables pour chaque
sexe et les attentes normatives, qui constituent des injonctions sur les
comportements attendus des membres d’un groupe socialement déterminé. D’après
la théorie des rôles sociaux, l’inconscient collectif influence les hommes et les
femmes à agir et à se comporter en fonction des attentes sociales liées à leur genre.
Ainsi, les normes descriptives – également appelées stéréotypes – associent les
femmes comme étant sociales, douces, bienveillante et gentilles. Tandis
qu’inconsciemment, il est attendu des hommes qu’ils déploient des comportements
15
ambitieux, de domination et de confiance en soi. Ces déterminants socialement
construits et inconscients s’immiscent dans la sphère professionnelle et tout
particulièrement lors des processus de recrutement, ou de mobilité pour l’accès aux
fonctions de dirigeants, et ce, tout particulièrement pour les femmes qui souhaitent
postuler aux postes de leaders. Bien souvent, elles se trouvent confrontées à un
phénomène d’incongruité entre les qualités attendues des femmes (douceur et
bienveillance) et les qualités attendues des dirigeants (rigueur et combativité).
Celles-ci se trouvent face à une impasse entre être « trop féminine », et se voir alors
discréditer aux fonctions de dirigeantes ou « trop masculine », ce qui les conduit à
violer les attentes socialement construite sur le rôle de la femme, et sont alors mal
perçues ou dévaluées (Fiske & Stevens, 1993). Les deux scénarios évoqués
conduisent à une situation discriminante. Dans un cas, la discrimination s’opère car
la femme ne s’est pas conformée aux attentes socialement prescrites liées à son rôle
de genre. Dans le second, la femme est considérée comme « incompétente » car elle
ne remplit pas les critères pour exercer les fonctions de dirigeant. Ainsi l’activation
d’un stéréotype conduit la personne visée à se conformer implicitement à un
schéma qui correspond à ce que l’on attend d’elle, ce qui le renforce. La
catégorisation des situations ou des cultures contribue à reproduire ce qu’elle
désigne (Bourdieu, 1998).
Un des paradoxes de cette situation est lié au fait que les femmes ou les
minorités ethniques dominées, en raison du poids de la domination symbolique,
finissent par adopter inconsciemment le raisonnement qui justifie le maintien des
discriminations : « Les victimes se vouent à leur destin » (Bourdieu, 1998). La
domination aliène ceux qui la subisse au point de les faire douter d’eux-mêmes, à
perdre le contrôle de la situation et à inverser l’ordre des choses. C’est l’image
connue du chômeur qui souhaitant éviter une confrontation physique humiliante
demande à l’employé d’une agence de placement : « Avez-vous bien précisé que je
suis noir ? » Sans nécessairement parler de « névrose d'échec », de dépression et
d’altération de la personnalité, le sujet discriminé peut se retrouver dans une
situation où il met autant d'énergie à entreprendre qu'il en dépense à détruire.
L’activation d’un stéréotype amène la personne visée à se conformer à un
schéma qui correspond à ce qu’on attend d’elle, ce qui renforce l’émetteur du
message dans ses convictions et dans ses croyances (Chen, 1997). Si les Noirs ont
du mal à trouver un emploi salarié, les plus dynamiques d’entre eux vont se mettre à
16
leur compte ou utiliser leur réseau de contact, et ce sont les Noirs les plus
difficilement employables qui vont rester sur le marché ouvert ; les anticipations
inconscientes des employeurs conduisent à une situation qui ne fait que conforter
leurs préjugés.
Il faut également mettre en avant le poids parfois accordé au biologique et à la
naturalisation des différences qui justifie implicitement les discriminations. Une
telle approche est dangereuse car les stéréotypes enfermement les individus dans
des standards à respecter qui ne leur correspondent pas. Par exemple, le courant de
l’essentialisme féminin (Broverman & al., 1968) vise à imputer des différences
socialement construites et historiquement institutionnalisées, à une nature
biologique fonctionnant comme une essence d’où se déduisent les actes des
individus (Bourdieu, 1998). Cette approche dite naturaliste avance par exemple que
les individus, et plus particulièrement, les catégories discriminées seraient par
instinct et donc naturellement prédestinées à se conformer aux attentes sociales
formulées à leur propos. Ces schèmes de pensée inconscients construisent et
alimentent les différences. Ces pensées latentes enfouies dans l’inconscient de
chacun, perpétuent de manière irrépressible les discriminations. Ainsi « l’ancrage
naturel des différences » justifierait alors les comportements directs et indirects de
discriminations (Junter et Séhili, 2007). De façon concomitante, ces schèmes de
pensées se répercutent dans la sphère professionnelle.
Le recours à la psychanalyse pour analyser les discriminations liées au genre est
à double tranchant : d’un côté, la psychanalyse permet de mettre en évidence leur
structure inconsciente, de l’autre, elle clame le caractère inaltérable des différences
entre les hommes et les femmes (on connait la formule de Freud : « Le destin, c’est
l’anatomie »12). Il est important de distinguer la nature biologique (ou
neurobiologique) et les constructions sociales naturalisées. La société place les
individus dans un cérémonial et les entoure de signes rituels codifiés afin de
renforcer leur identité supposée. Les croyances sur les différences entre les sexes
sont objectivées et entretenues par des rites de séparation (Goffman (1977) parle de
« réflexivité institutionnelle »).
12
C’est une manière pour Freud d’insister sur la liberté humaine : prendre acte du destin, pour mieux s’en
émanciper (« Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse », 1912, in La vie sexuelle, Paris,
PUF, 1970, p.65). Pour Lacan, l’homme est prisonnier du semblant, il est contraint pour affirmer sa nature
d’afficher force et virilité, alors que la femme serait plus proche d’une épreuve de vérité – d’une sorte
d’écriture lui permettant d’être plus vraie (Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du
semblant, 1969-1970, Paris, Le Seuil).
17
Le plus surprenant est le fait que les discriminations ne génèrent pas de révolte.
Elles sont inconsciemment acceptées comme un ordre nécessaire. On retrouve ici la
dialectique du maître et de l’esclave présentée par Hegel (1807) : la conscience de
soi requiert la reconnaissance de soi par autrui. Des évènements traumatiques (par
exemple l’esclavage13 ou le viol) peuvent se figer dans un complexe culturel qui se
transmet entre les générations.
Aucune domination ne peut apparaître ouvertement pour ce qu'elle est:
l'utilisation par un groupe de sa position de force pour s'accaparer des privilèges et
des avantages. Deux éléments sont à mettre en parallèle pour expliquer la nécessaire
légitimité de la discrimination: 1/ les membres des classes discriminées doivent
accepter inconsciemment leur situation, sans quoi celle-ci ne peut se perpétuer dans
le temps; 2/ les membres de la classe dirigeante doivent pouvoir considérer leur
domination comme naturelle, sans quoi il serait impossible d'en jouir en toute
tranquillité.
Les désirs de soumission et d’identification des salariés et les désirs de
puissance des décideurs se conjuguent tout en se tapissant dans un « inconscient
groupal ». L’entreprise se présente comme un espace de « domination symbolique »
fondé sur l’intériorisation par l’ensemble de la société d’un ordre de légitimité
culturelle des préférences. Au travers de la discrimination et de l’anamorphose de la
réalité, le sujet revit l’expérience traumatique de sa naissance, il subit les effets
puissants des codes symboliques et participe ainsi au maintien des comportements
discriminatoires qu’il subit.
Figure 1
Discrimination consciente et inconsciente
13
Sur ce point, on peut lire : Denise Gimenez Ramos, « Le complexe culturel de l’esclavage », Cahiers
Jungiens de Psychanalyse, n°133, mai 2011, p. 59-77.
18
Conclusion
L’étude de l’entreprise ne peut faire l’impasse sur les acquis de la psychanalyse.
Cette approche complète les analyses économiques et psychologiques de
l’entreprise (Figure 1).
Les thèmes développés par Freud sont d'un usage très large: le conflit originel
entre Eros (la pulsion de vie) et Thanatos (la pulsion de mort), qui autorise une
réflexion sur les phénomènes sociaux paroxystiques ; l'universalité du complexe
d'Œdipe, qui ouvre la possibilité d'étudier l'articulation entre civilisation, interdit et
culpabilité; la logique de l'inconscient, qui permet de proposer des hypothèses pour
analyser les productions symboliques et leurs codes. On peut toujours faire appel
aux travaux d’auteurs comme Mélanie Klein (1932) ou Donald Winnicott (1957)
portant sur la séparation fantasmée du sein maternel ou sur l’objet transitionnel (le
fameux « doudou » des jeunes enfants) pour trouver des prolongements en termes
de théorie des organisations… Néanmoins le cloisonnement des disciplines – qui a
été pendant longtemps la règle – fait que nous sommes au début des réflexions sur
ce que la psychanalyse peut apporter à la connaissance du fonctionnement des
firmes et de leurs membres.
Les apports de la psychanalyse européenne des années 1900/1930 (Freud,
Jung…) et de la psychologie américaine des années 1940/1970 (Murray, Allport,
Sherif…14) n’ont pas été suffisamment intégrés dans les savoirs organisationnels.
L’approche psychanalytique théorique et clinique des organisations reste peu
développée15. La psychanalyse nous suggère d’étudier l’inconscient des acteurs et
pas seulement leur rationalité ou la circulation imparfaite de l’information. Ce
changement de perspective se heurte au fait que la psychanalyse a pour objet la cure
et non l’entreprise et qu’elle n’a pas vocation à énoncer des règles permettant une
Henry Murray (1938) est l’inventeur d’un test (Thematic Apperception Test, TAT) qui pourrait être utilisé
pour faire apparaître les motivations inconscientes des employeurs; Gordon Allport (1954) a construit une
échelle qui permettrait de mesurer l’ampleur de leurs préjugés. Sherif (1967) a montré dans des expériences
célèbres comment le jugement individuel peut être influencé par les normes du groupe et comment les
individus changent inconsciemment leur perception pour se rapprocher du jugement de la majorité.
15
On peut signaler comme contre-exemple, les travaux de Manfred Kets de Vries, de Benjamin Stora, de
Michael Maccoby ou d’Abraham Zaleznik sur la psycho-dynamique du leadership et sur la classification des
leaders en tant que personnalités névrotiques. Ceci débouche sur une problématique du leadership comme
construction mentale en insistant sur le fait que l’enfance des managers a un impact sur leur style de
commandement (de ce fait la psychopathologie des leaders est susceptible d’entraîner d’importants
dysfonctionnements organisationnels).
14
19
meilleure pratique organisationnelle. Une partie du corps des psychanalystes ne
peut donc que résister à ce qui peut apparaître comme une tentative de récupération,
voire de déformation (passage d’une perspective individuelle à une analyse sociale).
Notons également la difficulté à établir un pont entre le souci d’objectivité des
sciences de gestion et le caractère abscons et subjectif de la psychanalyse : on peut
penser au mysticisme de Jung ou aux formules surprenantes de Lacan (« Moi, la
vérité, je parle », « Il n’y a pas d’Autre, de l’Autre », « La femme n’existe pas »,
« Le désir de l’homme, c’est le désir de l’Autre »…). Les figures d’Œdipe, de
Créon ou d’Antigone – mobilisées par Freud et Lacan – nous rappellent que
l’éthique de la psychanalyse n’est pas un arrangement au service d’intérêts
matériels, mais une expérience tragique de la vie, une avancée de la civilisation sur
la barbarie, un nouvel humanisme16 soucieux de défendre la liberté individuelle et
explorant le côté irrationnel de la nature humaine.
La réflexion menée ici pose la question des outils de compréhension et des
moyens qui sont à la disposition des entreprises pour lutter contre les
discriminations (Tetlock & Mitchell, 2009). Les politiques dites de « diversité »
visent explicitement à combattre la contagion pathologique liée à la peur de
l’étranger et les fixations symboliques correspondantes.
La démarche psychanalytique vise à faire en sorte qu’un sujet se libère
progressivement de ses refoulements pour prendre conscience des phénomènes qui
l’empêchent d’appréhender la réalité sans la déformer. Ainsi, l’individu élargit le
champ de sa conscience et accepte mieux l’existence d’un inconscient résiduel qu’il
ne peut maîtriser. Dans la relation de travail, cet élargissement du champ de
conscience pourrait être mis au service d’une reconnaissance de la diversité et
favoriser l’écoute de l’autre.
L’élaboration d’outils managériaux pour lutter contre les discriminations se fait
attendre (Bereni, 2009; Cagnolo, 2009). Ainsi la formation des individus (en
premier lieu, les recruteurs et décideurs) aux biais et stéréotypes 17 (relatifs aux
discriminations directes et indirectes) se révèle être une nécessité, tant managériale
(afin de ne pas commettre des discriminations qui pénalisent la performance
16
Roudinesco (2011) note à propos de Lacan : « Il partageait la conviction que la psychanalyse donnait une
dimension humaniste à la psychiatrie. Aussi récusait-il, dans la droite ligne des fondateurs de la
psychothérapie institutionnelle, l’idée d’une description des symptômes qui serait séparée du vécu subjectif de
la folie. » (p. 37)
17
Une éducation à l’empathie semble aussi nécessaire (Cagnolo, 2009).
20
organisationnelle), que juridique (les discriminations sont sanctionnées par le Code
du travail) et sociétale (l’image de l’entreprise est en jeu).
La réflexion menée ici n’est pas destinée à transformer la psychanalyse en
nouvel évangile du management et de faire des psychanalystes les apôtres de
nouvelles techniques de contrôle des esprits. Plus simplement, nous pensons que les
phénomènes inconscients sont à prendre en compte pour éclairer la complexité des
relations de travail (et plus généralement des relations humaines) parce qu’ils
permettent de rendre compte de la ténacité de certains préjugés.
L’intrusion de l’inconscient dans l’entreprise et l’image d’un homo
psychanalicus ne vont pas de soi. Il convient néanmoins d’engager le débat en
affirmant que le monde psychique ne s’arrête pas aux frontières de l’entreprise.
La psychanalyse ne peut pas être considérée comme une science (contrairement
à la psychologie), il s’agit d’une grille d’intelligibilité des situations
organisationnelles, elle a ses propres limites, elle ne peut pas se substituer aux
sciences de gestion, mais elle peut nous apporter un éclairage complémentaire.
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24
Figure 1
Discrimination consciente et inconsciente
Goûts
Comportements
Stéréotypes
/
individuels
rationnels
préjugés
conscients
conscients
conscients et
Inconscient
collectif
inconscients
(volonté de
(information
rester éloigner
imparfaite)
(archétypes)
(jugement hâtifs
des minorités)
et mécaniques
ignorants de leurs
fondements)
BECKER
PHELPS et
PSYCHOLOGIE
ARROW
SOCIALE
PSYCHANALYSE
↓
Stigmatisation et
étiquetage
↓
Discrimination
25
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