Négoce des matières premières : que cache la Suisse ? 13 février

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Négoce des matières premières : que cache la Suisse ?
Edward Harris
13 février 2014 — Avis aux agents des services fiscaux du monde entier : si vous cherchez à
augmenter vos recettes fiscales, tournez-vous vers la Suisse, dont la très puissante place de négoce
de matières premières semble alimenter des flux illicites (et non fiscalisés) de capitaux à hauteur de
plusieurs milliards de dollars par an.
Mieux connue pour ses montagnes pittoresques, la Suisse dispose, de loin, de la plus importante
place de négoce de matières premières au monde, qui représente désormais à l’échelle mondiale
plus d’un tiers des transactions de pétrole et de céréales, la moitié des transactions de café et de
sucre et près des deux tiers des transactions de métaux et de minerais.
Les négociants en matières premières jouent un rôle stratégique de mise en adéquation de l’offre et
de la demande mondiales, créant ainsi des emplois et générant un chiffre d’affaires conséquent.
Toutefois, il semblerait que les pratiques des négociants suisses relèvent de la fraude fiscale, au
moyen d’une pratique illégale dite de falsification des prix, selon un rapport publié le mois dernier
par le Center for Global Development (CGD).
En effet, la falsification des prix par les négociants suisses pourrait bien expliquer les sorties de
capitaux illicites des pays en développement qui s’élèvent à près de 120 milliards de dollars US,
d’après le rapport Estimating Illicit Flows of Capital via Trade Mispricing.
Avis aux agents des services fiscaux des pays de l’OCDE : même si le sort des pays en développement
vous importe peu, vous serez peut-être intéressés d’apprendre que le négoce de matières premières
transitant par la Suisse serait également à l’origine de flux illicites (et non fiscalisés) de capitaux vers
les pays de l’OCDE à hauteur de 575 milliards de dollars US par an, toujours selon ce rapport.
Mais comment fonctionne la falsification des prix ? Un vendeur (en Zambie, par exemple) vend une
matière première (le cuivre, par exemple) à un acheteur suisse. D’un commun accord, ils déclarent
délibérément un prix de vente et d’achat du cuivre inférieur à sa valeur réelle (et donc un montant
total inférieur pour la transaction) afin de payer moins d’impôts. Cette fausse déclaration des valeurs
d’importation ou d’exportation est ce qu’on appelle une falsification des prix. Il s’agit d’une pratique
illégale qui représente, d’après les estimations, 80 % des flux illicites de capitaux dans le monde.
Or, ces flux illicites de capitaux pourraient bien avoir coûté à l’Afrique subsaharienne jusqu’à 5,7 % de
son PIB en dix ans, empêchant de ce fait des millions de personnes de bénéficier de meilleurs
services, notamment en matière de santé et d’éducation.
Présidé par Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations Unies, l’Africa Progress Panel a
démontré dans un rapport récent que les sorties de capitaux illicites émanant d’Afrique concernent
très souvent les transactions relatives aux ressources naturelles. Ainsi, on comprend mieux pourquoi
tant de pays africains pourtant bien dotés peinent à transformer en développement humain la
richesse que représentent leurs ressources naturelles.
Le rôle potentiel de la Suisse dans ce phénomène mondial est exacerbé par l’opacité financière dont
le pays fait preuve et qui touche également sa place de négoce de matières premières.
Cette opacité est particulièrement présente dans le commerce de transit pratiqué par la Suisse, dans
le cadre duquel des négociants suisses organisent le transport de matières premières d’un pays vers
un autre, sans que celles-ci pénètrent physiquement sur le territoire suisse.
Le commerce de transit, qui représente la majeure partie du négoce de matières premières de la
Suisse, est un secteur très opaque qui porte sur des volumes considérables. D’après les auteurs du
rapport, entre 2001 et 2011, les recettes encaissées par la Suisse grâce au commerce de transit ont
été multipliées par quinze. Ils précisent également que le commerce de transit a aujourd’hui
remplacé les services financiers fournis par les banques suisses à la tête du classement des secteurs
de services à l’exportation.
Pourtant, en raison de l’opacité pratiquée par la Suisse, nous ne disposons que de très peu
d’informations. En effet, en l’absence de données détaillées sur le commerce de transit, les
chercheurs ne sont pas en mesure de confirmer (ou d’infirmer) de façon catégorique leur hypothèse
de falsification des prix et aboutissent donc à des estimations très différentes, pouvant aller de
8 milliards à 120 milliards de dollars US.
« La prédominance de la Suisse dans le négoce de matières premières, conjuguée à l’opacité
financière de son système, risque de mettre gravement en péril l’authenticité des prix dans le
commerce international », précise le rapport.
« À en juger par l’ampleur même de nos estimations les plus prudentes, les décideurs politiques, en
Suisse comme sur le plan international, auraient tout intérêt à se préoccuper de ce phénomène »,
ajoutent ses auteurs.
Dans le cadre d’un état des lieux du secteur des matières premières réalisé en mars 2013, le
gouvernement suisse a pris note de l’importance stratégique des matières premières, des risques
pour la réputation et des défis connexes en matière de corruption, de droits de l’homme et de
protection de l’environnement. Un rapport d’étape doit être publié à la fin du mois prochain.
La Suisse a déjà fait des efforts de transparence de son secteur bancaire et elle est assurément
confrontée à une concurrence féroce de la part d’États tels que Dubaï ou Singapour pour l’accueil des
grands négociants en matières premières. Toutefois, alors que sa réputation est déjà mise à mal, la
Suisse doit s’engager dans une démarche de transparence de son activité de négoce de matières
premières si elle ne veut pas être confrontée à une pression internationale grandissante.
« La Suisse devrait commencer par respecter les normes internationales en matière de transparence
des opérations de négoce », expliquent les auteurs du rapport.
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Présidé par M. Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations Unies, l’Africa Progress Panel
est un groupe de personnalités éminentes issues des secteurs privé et public qui assurent un
plaidoyer sur des questions internationales qui revêtent une importance pour l’Afrique et le
reste du monde.
Pour en savoir plus, contacter :
Edward Harris - [email protected]
(port.) +41 79 87 38 322 et (pro.) +41 22 919 7536
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