THEATRE MALY SAINT PÉTERSBOUR ATELIER PIOTR FOHENKO MOSCOU 94 II ODtoM 4933-3VX SAISON RUSSE SPECTACLES EN LANGUE RUSSE SURTITRÉS EN FRANÇAIS THÉÂTRE M A L Y - SAINT PÉTERSBOURG du 3 au 6 mars 94 FRÈRES ET SOEURS Fédor Abramov . mise en scène Lev Dodine du 9 au 12 mars 94 LES LE ÉTOILES DANS CIEL MATINAL Alexandre Galine . mise en scène Lev Dodine du 23 au 27 mars 94 création ROBERTO ZUCCO Bernard-Marie Koltès . mise en scène Lluis Pasqual du 5 au 10 avril 94 création LA CERISAIE Anton Tchékhov . mise en scène Lev Dodine ATELIER PIOTR FOMENKO - MOSCOU du 3 au 14 mai 94 BARAQU E création DE FOIRE Alexandre Blok . mise en scène Ivan Popovski ! L'ABUS D'ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. SACHEZ APPRECIER AVEC MODÉRATION. Les spectacles de cette saison russe à l'Odéon-Théâtre de l'Europe ont reçu l'aide : de l'Association Française d'Action Artistique (Ministère des Affaires Etrangères), du Département des Affaires Internationales (Ministère de la Culture et de la Francophonie), de la Direction du Théâtre et des Spectacles (Ministère de la Culture et de la Francophonie), de la Maison Yves Saint Laurent, de la BCEN-Eurobank, de la FNAC, et du Ministère de la Culture de la Fédération russe. SAISON RUSSE Il existe une mémoire collective européenne. Il appartient à l'OdéonThéâtre de l'Europe de la raviver et de la questionner saison après saison. Chacune de nos saisons est un voyage dans notre temps. A chaque voyage, nous réinventons des histoires, nous les réincarnons. Un théâtre est un lieu de rencontres. Il y a des rencontres qu'on provoque parce qu'on les désire profondément. Au départ, il y avait cette envie, cette volonté de ne pas faire de l'Odéon-Théâtre de l'Europe une simple vitrine : partir à la pêche aux spectacles européens, revenir avec les meilleurs, les présenter deux ou trois fois, et au suivant ! Il y avait autre chose à trouver, une autre façon de travailler, un autre mode d'échange, plus durable et plus enrichissant pour tous. Il y avait aussi l'intérêt manifesté depuis toujours par Lluis Pasqual pour la tradition théâtrale russe, pour l'Ecole du jeu qui est la base de notre jeu contemporain. Cette Saison russe, cet échange avec les auteurs, les metteurs en scène et les acteurs russes, je l'ai vraiment voulue. Il y a deux grandes écoles du jeu en Europe: l'anglaise et la russe. Comment faire l'Europe du théâtre sans elles? Commençons avec les Russes. Avec eux, nous avons à raconter, à jouer, à imaginer, à interroger, à rire et à pleurer. Ensemble. Llui's Pasqual Avec le Théâtre Maly de Lev Dodine nous avons mis en place de vrais rapports de partenariat : Lluis Pasqual est parti répéter Roberto Zucco avec les comédiens du Maly à Saint Pétersbourg ; Lev Dodine va pouvoir présenter sa nouvelle mise en scène de La Cerisaie et deux spectacles de son répertoire à l'Odéon-Théâtre de l'Europe ; nous allons ensemble, Maly et Odéon, faire connaître de nouvelles pièces contemporaines en Russie, en France et en Europe (puisque les spectacles co-produits partiront en tournée). Le but de cette opération n'est pas de «réussir un coup», mais de partager des envies artistiques communes et de les réaliser, en définitive de partager un bout de vie. comme producteurs, en leur permettant de créer dans la grande salle de l'Odéon leur nouveau spectacle Baraque de foire d'après Alexandre Blok. Ils pourront ensuite reprendre ce spectacle à Moscou, soit comme compagnie invitée dans un théâtre, soit, ce qui serait idéal, dans un lieu qui leur soit propre. Qu'il s'agisse d'une collaboration entre théâtres (Maly - Odéon) ou d'un soutien direct à un créateur (Popovski), cette Saison Russe, qui embrasse la littérature dramatique majeure de ce siècle, de Tchékhov à Galine en passant par Blok et Abramov, va concrétiser la politique que l'Odéon-Théâtre de l'Europe se propose : être le terrain de ferventes empoignades entre metteurs en scène, acteurs et publics d'horizons et de traditions différents. Borja Sitja Directeur de la programmation Le deuxième axe de notre démarche vise le travail avec un artiste. Dans le cas exemplaire d'Ivan Popovski, la troupe actuelle est composée d'étudiants de fin d'études de la même promotion du GITIS (Conservatoire de Moscou), en tout 15 personnes. Tous ces jeunes ont refusé les engagements qu'on leur proposait pour tenter de constituer une troupe. Là, nous intervenons plus directement 3 o u r e Lev Dodine est né à ia fin de la deuxième guerre mondiale en Sibérie. Mais c'est à Léningrad, aujourd'hui redevenue Saint-Pétersbourg, qu'il a grandi et qu'il est toujours resté attaché . A 17 ans, il a été admis à l'Institut Théâtral de Léningrad où il est entré dans la classe de Boris Zon - qui avait lui-même été élève de Stanislavski. Le professeur Zon a très vite décelé chez l'élève-comédien Dodine des qualités potentielle des metteur en scène. En 1967, sa première mise en scène. Premier amour de Tourgueniev, lors de son départ de l'Institut Théâtral est présentée à la télévision soviétique. Il travaille ensuite pendant plusieurs années au Théâtre pour l'Enfance de Léningrad et connaît son premier succès avec Entre soi on s'arrange toujours d'Alexandre Ostrovski. Il devient «metteur en scène invité» du Théâtre d'Art de Moscou, ainsi que du Théâtre Bolchoï et du Théâtre Maly de Léningrad ; il y monte des oeuvres de Valentin Raspoutine, Karel Chapek, Tennessee Williams, Dostoïevski et Abramov. En 1980, son spectacle La Maison, d'après le roman d'Abramov, constitue l'événement théâtral de l'année en Union Soviétique. Signe particulier : La Maison est une production indépendante de la compagnie que Lev Dodine vient de créer. La majorité de sa troupe est composée par ses anciens élèves de l'Institut Théâtral de Saint Pétersbourg. Car Dodine, après Stanislavski, après son maître Zon, juge inséparables le métier de metteur en scène et celui de pédagogue. Le Théâtre Maly a été fondé en 1944 et a été doté plus tard d'une salle de 465 places au 18 de la rue Rubinstein, à Saint Pétersbourg, près de la perspective Nevski. Il a, dès ses débuts, accueilli une troupe permanente d'une cinquantaine d'acteurs. Son mode de fonctionnement est celui de la plupart des théâtres russes : chaque spectacle est joué trois ou quatre fois par mois et reste de longues années au répertoire. La notoriété du Théâtre Maly date des années 70, époque où son directeur d'alors, Yefim Padve, a constitué autour de lui et animé un groupe de jeunes auteurs et metteurs en scène, parmi lesquels Lev Dodine. Lev Dodine est devenu directeur artistique du Théâtre Maly en 1983, année de la mort de l'écrivain Abramov. Parallèlement, il a continué à enseigner, et a systématiquement impliqué élèves et anciens élèves dans ses spectacles du Maly. Depuis qu'il le dirige, Dodine a inscrit au répertoire du Maly des spectacles qui ont fait le tour du monde : Frères et Soeurs d'Abramov, Les Etoiles dans le ciel matinal en font partie, avec Gaudeamus d'après Kalèdine, Les Possédés d'après Dostoïevski, La Cruche cassée de Kleist et Désirs sous les ormes d'O'Neil. Avec ses élèves de l'Institut Théâtral il vient de créer Claustrophobia. un spectacle sur la russie d'après la putsch d'août 91, sur les nouvelles phobies, les idées fixes, et les espoirs qu'ont suscité ces temps nouveaux. FRERES^ET SŒURS d'après FÉDOR ABRAMOV adaptation scénique Lev Dodine, Arkady Katzman, Sergueï Bekhterev Première partie : Rencontres et séparations Deuxième partie : Routes et croisements mise en scene LEV DODINE scénographie Edouard Kotcherguine collaboration à la mise en scène costumes pédagogue-répétiteur Roman Smirnov, Sergueï Bekhterev Inna Gabaï Valéry Galendeev directeurs de scène Natalia Sollogoub, Tamara Sadretdinova direction technique llia Tcherkassov montage du décor Konstantin Bielodoubrovsky, Piotr Razouvaiev, Alexandre Poulinets lumière Oleg Kozlov, Ekaterina Dorofeeva, Vitaly Skorodoumov son Alla Tikhomirova, Andreï Kousskov accessoires loulia Zverlina, Olga Reicher habilleuses Marina Kojina, Galina Ivanova maquilleuse Galina Varoukhina du 3 au 6 mars 1994 Production: THÉÂTRE M A L Y DE SAINT-PÉTERSBOURG le 3 mars : 1ère partie le 4 mars : 2ème partie les 5 et 6 mars : intégrales surtitrage : Macha Zonina, d'après la traduction de Monique Soldzian durée du spectacle : 1ère partie : 2h45 (avec entracte) 2ème partie : 3h (avec entracte) - Pour l'intégrale: 1H30 d'interruption entre la 1ère et 2 ème partie spectacle créé à Saint-Pétersbourg en 1985. Une première version du spectacle a été présentée à l'Opéra Comique en octobre 1988, dans le cadre du Festival d'Automne à Paris. 6 AVEC Anfissa Petrovna Minina présidente du kolkhoze «Nouvelle vie» Denis Kharitonovitch Perchine président du Kolkhoze «Nouvelle vie» Ivan Dmitrievitch Loukachine, président du kolkhoze «Nouvelle vie» Gavrila Andréevitch Ganitchev, délégué du district Mikhaïl Priasline Anna, sa mère Lizaveta ses sœurs _ Tatianka Pietka ses frères Grichka Egorcha Varvara Iniakhina Grigory Minine Piotr Jitov Aliona, sa femme lia Maximovitch Netesov Maria, sa femme Valentina Trofim Lobanov Pélagie, sa femme Advotia leurs filles Tatiana Tatiana Chestakova Mikhaïl Samotchko Nikolaï Lavrov Sergueï Bekhterev Piotr Semak Nina Semenova Natalia Akimova Olia Afanassieva Aliocha Bazarov loura Ivanov Sergueï Vlassov Natalia Fomenko Vladimir Artemov Igor Ivanov Alla Semenichina Anatoly Kolibianov Galina Filimonova Tania Popova Félix Raévsky Lidia Goriaïnova Marina Gridassova Svetlana Gaîtan Micha Kassapov Vova Mikhaïlov leurs petits enfants Natacha Barkhatova Timofeï Lobanov, leur fils Vladimir Zakhariev Anissia, sa femme Elena Vassilieva Alexandra Dourinina, sa sœur Nelli Babitcheva Raétchka Klévakina Lia Kouzmina Daria Kropotova Bronislava Proskournina Marfa Repichnaïa Svetlana Grigorieva Pavla Tougoloukova Evguénia Barkan Polina Tchougaéva Irina Nikoulina Anatoly Tchougaev (Tchougaretti), son mari Vladimir Artemov Filia-Pétoukh Mikhaïl Samotchko Ignate Baev Sergueï Moutchenikov Sofron-Moudry Sergueï Kozyrev Mitenka-Malichnia Vladimir Semitchev loura Igor Skliar le père Sergueï Kozyrev PÉKACHINO Frères et soeurs, s'ouvre sur ce discours du 3 juillet 1941 dans lequel Staline exhorte les soviétiques en ces termes: «Frères et soeurs, consacrez-vous à la victoire sur l'ennemi, faites tout ce que vous pouvez pour écraser l'ennemi, le nazi allemand.» Suivent des extraits de films qui montrent ce que vécut le peuple soviétique pendant la deuxième guerre mondiale. Après ce rappel nécessaire, l'action peut commencer. Nous sommes à Pékachino, village du Nord de la Russie, au printemps 1945, le premier printemps après la guerre. Les femmes, les infirmes et les enfants sont sur la rive du fleuve et saluent l'arrivée du premier vapeur depuis la guerre, mais aussi l'arrivée du printemps... Fedor Abramov sait de quoi il parle: il est lui-même né dans ce village de Pékachino, près d'Arkhangelsk, sur les bords de la rivière Pinéga, en 1920. Toute son oeuvre - ses romans, ses nouvelles, ses récits - tourne autour de Pékachino, de la vallée de la Pinéga, du kolkhoze. «Ce qu'il a vu au village en pleine guerre lui a arraché l'âme, explique Monique Slodzian, traductrice en français de Chroniques de Pékachino. Visages de jeunes femmes édentés, creusés par la faim et le labeur surhumain, regards poignants de gosses aux membres grêles auxquels la guerre a confisqué les rires de l'enfance. C'est donc la guerre qui décidé de son engagement d'écrivain aux côtés du village.» 8 C'est l'année même de la mort d'Abramov, en 1983, que Lev Dodine, tout nouvellement nommé directeur artistique du Théâtre Maly, a décidé d'adapter Frères et soeurs pour la scène : «J'ai d'abord écrit un scénario avec mes assistants. Nous l'avons monté et joué pour nous, puis nous l'avons volontairement abandonné pour travailler sur la matière même du texte. (...) C'est ce lent processus qui nous a permis de passer de la prose au théâtre. (...) Et puis, un jour, nous sommes allés dans le village natal d'Abramov où se passe l'action du roman. C'est la Taïga, une rivière sublime, loin dans le Nord, très beau. On y ressent encore l'âme de la Russie paysanne, on y entend les chants oubliés par les jeunes que fredonnent encore les vieilles. (...) Il y a encore là les restes d'une conception ancienne du monde que notre tragique contemporain a presque entièrement exterminée. Pour nous tous, et d'abord pour les comédiens, ce séjour fut un stimulant émotionnel irremplaçable.» Lev Dodine et sa troupe ont répété Frères et soeurs pendant un an et demi. Le spectacle était prêt. Il a encore fallu attendre plusieurs mois avant que les représentations ne soient autorisées par la commission de censure. La création a eu lieu en 1985. Depuis, Dodine n'a eu de cesse de reprendre Frères et Sœurs. Il est des rencontres qui décident du parcours de la vie d'homme pour plusieurs années et parfois pour toujours. Il me serait difficile d'imaginer mon travail dans le théâtre et mon accomplissement personnel en tant qu'être humain sans l'influence de Fédor Abramov et de son œuvre. Pas seulement parce que j'ai marché sur les quais de Léningrad et sur les chemins de Verkola en compagnie d'Abramov. - Violent et rude, sans cesse préoccupé et pensif, intransigeant et incertain. - En désaccord sur des points de détail tout en étant en parfaite harmonie sur ce qui est très important, mais c'est sans doute parce que son talent - peut-être même pouvons-nous dire son génie - accomplit ce qui est la tâche la plus importante de l'artiste : il relie le présent au passé et replace l'instant présent dans la chaîne éternelle des événements. La responsabilité la plus importante d'un artiste contemporain est d'applaudir le présent comme un fils voit son père (avec tendresse), avec la passion d'un héritier face à son passé, et la douleur de savoir que l'on est responsable de l'avenir. Le théâtre ne naît pas sans auteur. Peu importe ce que le théâtre pense, souffre ou ce dont il se réjouit, le théâtre n'existe que si les mots viennent à lui. Le théâtre s'exprime à travers les mots des autres. Pour le théâtre Maly de Saint Péterbourg, la vérité la plus essentielle est de prendre conscience de l'œuvre d'Abramov et de jouer ses pièces. C'est dans cette tâche que réside notre joie, c'est dans cette tâche que réside notre tourment et notre croix. Lev Dodine 10 Mes jeunes amis. Je voyage et vagabonde à travers les hameaux et les bourgs de l'antique terre de Novgorod ; j'entends parler de ses maladies chroniques et de ses préoccupations, et je pense constamment à vous. Acceptez mes félicitations au moment de votre entrée dans la grande vie, dans le monde sacré et implacable de l'art. Soyez toujours courageux et fidèles à vos serments. Souvenez-vous que l'art appartient aux possédés, uniquement à ceux qui sont prêts à tout lui sacrifier. Merci pour la joie de notre amitié, pour les chants folkloriques russes, pour votre jeunesse qui m'ont toujours enflammé et inspiré. N'ayez pas peur de la vie ! Lancez-vous dans la tempête ! Je crois en vous, je vous aime. Votre Frère et père, Fyodor Abramov. Télégramme adressé aux élèves de l'Ecole du théâtre Maly travaillant sur Frères et soeurs, à l'occasion de la remise des diplômes de l'école. 25 juin 1979. Je suis né dans la plus belle région de Russie, ou tout au moins celle qui me semble la plus belle : le district d'Arkhangels, sur la rivière Pinega, sur la terre des nuits blanches et des forêts infinies, au pays des légendes héroïques et des contes de fées. Je suis gorgé de Russie, de la Russie rurale, qui soutient toute notre vie urbaine. Dans la ville, nous sommes comme des radeaux flottant sur une vaste mer qui est notre patrie et qui s'appelle la Russie. La terre, les animaux, leur contact - c'est ce qui constitue l'une des réserves essentielles dont nous tirons notre humanité. Si ces relations d'amour et de bonté, avec les animaux et la terre, disparaissent, qui sait où tout cela finira... Fédor Abramov dans un article, «Le juge le plus sûr - la conscience» 11 FÉDOR ABRAMOV Fédor Alexandrovitch Abramov est né le 29 février 1920, dans le village de Verkola - qu'il rebaptisera Pékachino dans son oeuvre situé dans la région d'Arkhangelsk, au nord de la Russie. Il est mort à Léningrad en mai 1983. Cadet de sept enfants, Abramov n'a que deux ans quand son père disparait. Sa mère pourvoira seule aux besoins de toute la famille; elle mourra à la fin de la deuxième guerre mondiale. Il passe les dix-huit premières années de sa vie à Verkola, sur les bords de la rivière Pinéga. En 1939, il entre à l'Université de Léningrad. Quand la guerre éclate, il rejoint volontairement l'armée. Gravement blessé, il est presque mourant quand il est renvoyé à Verkola au cours de l'été 1942. Après une longue convalescence, il termine son service militaire et reprend ses études en 1945. Diplômé de littérature, il enseignera la littérature soviétique à I' Université de Léningrad pendant dix ans. Staline meurt en mars 1953. Un an plus tard, Abramov signe un article retentissant dans une revue littéraire: «Les kolkhozes dans la littérature de l'après-guerre». Il y dénonce les livres qui présentent l'agriculture soviétique «en route vers la prospérité», il y rappelle la misère et les famines dont souffrent les paysans sur tout le territoire de l'Union Soviétique. Cet article annonce toute l'oeuvre à venir. Quand il se met à écrire, au milieu des années 50, quand il passe de l'enseignement de la littérature à l'exercice de la littérature, Abramov se fixe un 12 objectif très clair: «Je veux que le lecteur, une fois qu'il aura lu mes oeuvres, sache comment le paysan s'habillait, ce qu'il mangeait, ce qu'il faisait, ce qu'il pensait, ce qu'il disait.» Il sera donc, admirateurs et détracteurs s'entendront sur ce point, le porte-parole des paysans, «le représentant de la prose paysanne». Abramov fait publier son premier roman. Frères et soeurs, en 1958. Ce titre deviendra ensuite celui d'une tétralogie écrite sur une vingtaine d'années: au premier volume viendront s'ajouter Deux hivers et trois étés (1968), A la croisée des chemins (1973) et La Maison (1978). L'ensemble, à travers la saga d'un village, met à jour les maux de la société soviétique de l'après-guerre aux années 70: les excès de la collectivisation, les échecs économiques, la désagrégation sociale, la perte des repères et des valeurs, le désespoir des individus... Paradoxalement, son oeuvre échappera à la censure du régime soviétique. A partir de 1985, grâce à l'adaptation théâtrale de Frères et soeurs par Lev Dodine, l'oeuvre d'Abramov fait le tour du monde. EDITIONS EN FRANÇAIS Chroniques de Pékachino (Albin-Michel), est le seul roman de Fédor Abramov traduit et disponible en français. Sous ce titre se cache la troisième partie de la tétralogie, originellement intitulée A la croisée des chemins. L OILES DANS LE CIEL MATINAL ALEXANDRE GALINE drame en deux parties mise en scene LEV DODINE collaboration à la mise en scène Tatiana Chestakova décor Alexeï Poraï-Koshits directeur de scène direction technique montage du décor lumière accessoires son habilleuse maquilleuse AVEC Maria Anna Lora Klara Alexandre Valentina Nikolaï Anjelica Nevolina Tatiana Chestakova Tatiana Rasskazova Marina Gridassova Sergueï Bekhterev Galina Filimonova Sergueï Kozyrev / Igor Ivanov Natalia Sollogoub llia Tcherkassov Konstantin Bielodoubrovsky, Alexandre Poulinets Oleg Kozlov, Vitaly Skorodoumov loulia Zverlina Alla Tikhomirova Galina Ivanova Galina Varoukhina du 9 au 12 mars 1994 Production : THÉÂTRE M A L Y DE SAINT-PÉTERSBOURG durée du spectacle : 2h15 sans entracte 14 surtitrage : Macha Zonina, d'après la traduction de Lily Denis spectacle créé à Saint-Pétersbourg en 1987. 15 Les Etoiles dans le ciel matinal, d'Alexandre Galine, raconte une histoire vraie, une histoire de vacances forcées. Juillet 1980. Les Jeux Olympiques. Moscou se prépare à accueillir ses invités et attend l'arrivée de la flamme. Elle approche, portée par des coureurs qui se relaient. Quelque part sur le bord de cette voie illuminée, une baraque isolée et délabrée. Il y a peu, elle abritait des malades d'un asile psychiatrique; maintenant, et pour quelque temps, elle héberge des «olympiennes», soit des prostituées. Elles ont été ainsi surnommées parce que les autorités de Moscou ont décidé de les «effacer» du paysage de la ville pendant toute la durée des J.O. Nous avons appris à croire que les ivrognes et les prostituées, les indigents et les handicapés physiques étaient le comble de l'immoralité et de la débauche. On nous appris à oublier que le dernier degré de la moralité et le dernier degré de la société sont deux choses très différentes et souvent diamétralement opposées. Nous avions oublié cela, nous les héritiers de Dostoïevski. Extrait d'une critique parue dans Moskovkii Novosti en 1988 16 17 Quand Lev Dodine a créé ma pièce Les Etoiles dans le ciel matinal, en 1987, Gorbatchev était au pouvoir depuis un peu plus d'un an. Le Parti communiste était encore très présent et contrôlait tout. On ne savait pas si la commission de censure donnerait ou non l'autorisation de jouer ce texte. Une fois de plus, mon théâtre était dans l'incertitude. Mais Dodine et son équipe couraient beaucoup plus de risques que moi: en voulant jouer ma pièce, c'était l'existence même de leur troupe qu'ils mettaient en jeu, c'est-à-dire en danger. Je ne pouvais que me sentir libre dans ce théâtre-là, avec ces gens-là... Et la liberté a gagné. Les Etoiles dans le ciel matinal ont été jouées. Je n'oublierai jamais la première, le choc dans la salle: les spectateurs n'avaient encore jamais vu sur une scène des gens qu'ils auraient pu croiser dans la rue, des gens comme eux, de vrais contemporains. Et puis les comédiens étaient merveilleux, Tatiana Chestakova était éblouissante dans le rôle d'Anna! Les Etoiles dans le ciel matinal racontent ce qui s'est réellement passé à Moscou en 1980, au moment des Jeux Olympiques: on avait retiré de la circulation, des rues où ils vivaient tous les jours, des gens qui dérangeaient, des gens qui la fichaient mal dans le paysage, des mendiants, des ivrognes, des prostituées. Cela pouvait paraître exceptionnel et typiquement soviétique. Mais est-ce que ça l'était vraiment? En fait, ce qui s'est produit à Moscou en 1980 se répète à chaque édition des Jeux Olympiques dans n'importe quel pays du monde. Après 1987, Les Etoiles dans le ciel matinal ont été représentées dans d'autres villes olympiques: à Los Angeles, à Tokyo, à Grenoble; à chaque fois, cette histoire russe a renvoyé le public à sa propre histoire, à des «nettoyages» similaires qu'il connaissait bien! Alexandre Galine 18 ALEXANDRE CALINE Alexandre Galine est né à Koursk en 1947. Il a passé toute son enfance et une partie de sa jeunesse dans cette petite ville de la banlieue de Saint Pétersbourg. Elevé dans un milieu très pauvre, il a connu des conditions de vie difficiles. Il ne l'a jamais oublié et son théâtre en a été définitivement marqué. D'abord ouvrier d'usine, il fait des études littéraires à Saint Pétersbourg et se rapproche du monde du théâtre en devenant marionnettiste. Il regarde, il écoute, il s'imprègne, il joue. Il comprend les règles et passe très vite à l'écriture. Son théâtre n'a rien à voir avec le théâtre officiel soviétique des années 70, il détonne, il surprend. Galine met sur la scène une part de sa vie, de ses souffrances; et il fait vivre des personnages jusqu'alors interdits: des exclus, des marginaux, des laissés-pour-compte... En 1981, avec Rétro, montée au Théâtre Maly de Saint Pétersbourg par Leonid Kheifets, Galine connaît le succès et la notoriété. La pièce va être reprise par des dizaines d'autres théâtres en Union Soviétique; puis, traduite, elle va être donnée en plusieurs langues et dans plusieurs pays. Galine va devenir le seul auteur de théâtre russe contemporain joué dans le monde entier. Tandis que les auteurs de la «nouvelle vague» des années 70 et 80 vont cesser d'être joués, Galine va survivre à la pérestroïka et à la chute du communisme. 20 A L E X E I PORAI-KOSHITZ La saison 1987-1988 restera dans les annales «la saison Galine»: six pièces de Galine seront à l'affiche des théâtres de Moscou! Et c'est au cours de cette saison que Lev Dodine créera à Saint Pétersbourg Les Etoiles dans le ciel matinal. La plupart des pièces de Galine (Rétro, Tribune Est, Le Bibliothécaire, Le Groupe, Sorry, Les Etoiles dans le ciel matinal ...) ont fait ou sont en train de faire le tour du monde: Angleterre, Allemagne, Espagne, Finlande, Etats-Unis, Japon, etc... Né en 1941 à Léningrad, Alexei Porai-Koshitz étudie la physique à l'université de Saint Pétersbourg pendant trois ans avant de devenir peinte en décor dans un des théâtres de Saint Pétersbourg. Il se forme ensuite au contact du fameux décorateur et metteur en scène Nikolaï Akimov et sortira de l'Institut de Théâtre de Saint Pétersbourg avec les plus hauts honneurs. Il crée son premier décor de théâtre pour Le Maître (conçu à partir de courtes histoires de Maxime Gorki) au Théâtre pour Enfants de Saint Pétersbourg. Galine vient de terminer à Venise le tournage de son premier film: La délégation. De son théâtre il dit: «Toute ma vie je n'ai écrit qu'une seule pièce: comment des gens sont obligés de vivre dans des conditions inhumaines.» Le succès qui en découle lui permet de travailler comme décorateur aussi bien pour les théâtres de région que ceux de Saint Pétersbourg. EDITIONS EN FRANÇAIS Les Etoiles dans le ciel matinal (Editions des Quatre Vents), traduite par Lily Denis, est la seule pièce d'Alexandre Galine disponible en langue française. Cette version française a été présentée dans une mise en scène de Lisa Wursmer au Théâtre de la Tempête en décembre 1993. Poursuivant tout au long de sa vie ses recherches dans le domaine artistique et scientifique, il a développé son désir d'explorer les technologies de la scène. Alexeï Poraï-Koshitz est directeur technique du Théâtre Maly depuis 1984. Après Les Etoiles dans le ciel matinal, il a conçu pour Lev Dodine les décors de Gaudeamus et Claustrophobia. 21 CREATION ROB BERNARD-MARIE KOLTES traduction en russe Macha Zonina mise en scène décor collaboration à la mise en scène directeur de scène direction technique montage du décor lumière son LLUIS PASQUAL Frédéric Amat Anton Kouznetsov, Grigory Ditiakowsky Tamara Sadretdinova Kirill Piskounov Konstantin Bielodoubrovsky, Alexandre Poulinets Vitaly Skorodoumov Evgunei Kagan, Andreï Kousskov costumes Galina Ivanova accessoires loulia Zverlina maquilleuse Galina Varoukhina du 23 au 27 mars 1994 Production : O D É O N-T H É AT R E DE L'EUROPE THÉÂTRE M A L Y DE SAINT-PÉTERSBOURG surtitrage : Macha Zonina durée du spectacle : 1 H50 22 AVEC Roberto Zucco sa mère la gamine sa sœur Photo de répétition son frère son père sa mère Le vieux monsieur La dame élégante son fils Le balèze Le mac impatient / Travesti / Un gars La pute affolée / Travesti L'inspecteur mélancolique / Travesti / Policier dans le parc Un inspecteur Premier gardien / Travesti Deuxième gardien / passant Premier policier / Policier dans le parc Deuxième policier le commissaire patronne du bordel une femme Première pute Deuxième pute Troisième pute Premier journaliste /autre gars Deuxième journaliste Igor Skliar Svetlana Gaïtan Nastia Vassilieva Tatiana Rasskazova Igor Ivanov Félix Raevsky Nina Semenova Evgueni Lebedev Tatiana Chestakova Nikolaï Isys Sergueï Kozyrev Nikolaï Pavlov Sergueï Bekhterev Piotr Semak Sergueï Vlassov Arkady Koval Nikolaï Lavrov Grigory Ditiatkovsky Anatoly Kolibianov Natalia Fomenko / Sergueï Moutchenikov Vera Bykova Lidia Goraïnova Galina Filimonova / Natalia Fomenko Alla Semenichina Angelika Nevolina Alexeï Zoubarev Vladimir Toumanov Roberto Zucco n'est pas une pièce réaliste. Koltès n'a pas cherché, en quelques scènes, à reconstituer minutieusement l'itinéraire du vrai tueur Roberto Succo, qui a «défrayé la chronique» en 1988. Si Succo a bien provoqué la naissance de son personnage, Bernard-Marie Koltès n'a pas voulu en savoir trop sur lui. Il s'est contenté de quelques photos, de quelques articles de presse et il a commencé à écrire «son» Zucco, son personnage qu'il a d'emblée situé au-delà du cas Succo: «Un trajet invraisemblable, un personnage mythique, un héros comme Samson ou Goliath, abattus finalement par un caillou ou par une femme...» A peine reste-t-il quelques mots du vrai Succo dans la scène VIII de Roberto Zucco, quelques mots enregistrés sur une bande magnétique qu'une journaliste a fait écouter à Koltès : «De toute façon, un an, cent ans, c'est pareil ; tôt ou tard, on doit tous mourir, tous. Et ça, ca fait chanter les oiseaux ça fait rire les oiseaux.» Encore n'est-on pas vraiment sûr que le voix sur la bande soit bien celle de Succo... Photo de répétition 24 Après avoir crée la pièce en Catalan à Barcelone en octobre 1993, Lluis Pasqual met donc en scène Roberto Zucco pour la deuxième fois. En russe, cette fois. Pour l'occasion, il dirige les comédiennes et les comédiens de Lev Dodine. C'est la première fois que la troupe du Théâtre Maly travaille avec un metteur en scène autre que Dodine. C'est aussi la première fois que Lluis Pasqual travaille avec des acteurs russes - ce dont il rêvait depuis longtemps. Après sa création à l'Odéon, le spectacle sera repris à Saint-Pétersbourg. «On a, en fort peu de temps, représenté l'oeuvre de BernardMarie Koltès dans de nombreux pays. J'éprouve, quant à moi, le désir et la nécessité d'entendre ses mots au Théâtre de l'Odéon, dans d'innombrables théâtres et de multiples langues. Participer au rayonnement de l'oeuvre de Koltès me paraît être un devoir.» (...) Quand j'ai lu Roberto Zucco, ce texte m'a transpercé... Koltès a réussi à créer un des derniers, voire le dernier grand personnage du théâtre contemporain. Ce n'est pas un héros, ce n'est pas un antihéros : c'est cet étrange équilibre qui donne sa charge émotionnelle à l'oeuvre et surtout au personnage. Un personnage complètement amoral, porteur de l'amoralité qui caractérise notre époque.» Lluis Pasqual 25 Roberto Zucco. mise en scène Lluis Pasqual-Barcelone 1993 LA BOITE Les russes et les espagnols sont deux peuples qui quand ils dansent, tapent du pied. Les uns parce qu'ils sont heureux, les autres pour exprimer leur colère. Cette comparaison, Liuis Pasqual aime à se la répéter. En s'enfonçant dans la froidure et la neige de Saint-Pétersbourg pour deux mois, durant les répétitions de Roberto Zucco, le catalan, élevé au soleil de Madrid, savait que ce ne serait pas un simple voyage. S'immiscer dans le cœur du Théâtre Maly n'est pas une mince affaire. Entrer dans l'immense cathédrale du théâtre russe, à pas feutrés ou en grande pompe, c'est un barouf assuré. «Goldoni «avaient d'ailleurs suggéré, à grands cris, les comédiens russes pour sceller cette rencontre entre latins et slaves. «Nous avons besoin de rire. Comment rattraper le temps perdu ? «se demandait de son côté Llui's Pasqual. «Lorca ? Trop facile.» Samuel Beckett et Jean Genet ont un instant effleuré les esprits. Mais on ne rattrape pas le temps perdu, on saute à pieds joints dans le présent. BernardMarie Koltés s'est alors imposé. Dans la jungle des villes russes, les Zucco se multiplient et prolifèrent. Mais entre Dostoïevski (Les Possédés est inscrit au répertoire du Maly) et Koltès, l'écart reste 26 DE PANDORE immense. Entre un an de représentations qui est la durée moyenne adaptée au rythme et à la méthode de Lev Dodine, et les deux mois pour répéter Roberto Zucco de Saint Pétersbourg à Paris, il y avait un défi à relever. Le théâtre Maly possède certainement la troupe la plus maléable du monde. Soumise à rude épreuve chaque jour, c'est avec autant de passion, d'énergie et de confiance, qu'elle s'en est remise à Lluis Pasqual. A ces généreux virtuoses de Tchékhov, Pouchkine et Abramov, Pasqual ouvre les portes de son domaine où se cueillent comme des fleurs les poèmes de Lorca. Et ils ont eu pour accompagnateur le héros sacrilège de Koltès, un guide sans morale, qui ne craint pas d'empoigner à bras le corps tous les tabous. De cette rencontre, Lluis Pasqual est le témoin merveilleux, dans les coulisses, assis en équilibre entre la scène et le public, et on peut être sûr qu'en entrant au Maly, qu'il marque en étant le premier metteur en scène étranger à y pénétrer, il a eu la même sensation d'Épiméthée ouvrant la boîte de Pandore. BERNARD-MARIE Bernard-Marie Koltès naît à Metz en1948. A 22 ans, il va au théâtre pour la première fois. Dans la foulée, il écrit sa première pièce, Les Amertumes, d'après Enfance de Gorki, et la monte lui-même à Strasbourg. Hubert Gignoux la voit et propose à Koltès d'entrer au Théâtre National de Strasbourg: il y restera huit ans ; il en profitera pour écrire et mettre en scène des textes qui n'ont pas été rejoués depuis (La marche, Procès ivre, Récits morts ...) Quand le théâtre lui en laisse le loisir, Koltès voyage: l'URSS, le Nigeria, le Mali, la Côte-d'lvoire, le Guatemala, le Sénégal, New-York, encore NewYork, toujours New-York. En 1972, France-Culture met en ondes un de ses textes: L'Héritage. Récidive en 1974 avec Des voix sourdes. En 1977, Bruno Boeglin met en scène à Lyon Salinger (adaptée par Koltès d'après les nouvelles de Salinger) et Koltès lui-même monte une de ses pièces au festival d'Avignon: La nuit juste avant les forêts. KOLTES Patrice Chéreau crée encore deux pièces de Koltès aux Amandiers de Nanterre : Quai Ouest en 1986, Dans la solitude des champs de coton en 1987. Tabataba est présentée en Avignon, puis sur France-Culture, en 1986. Bernard-Marie Koltès meurt le 15 avril 1989. Il vient de terminer sa dernière pièce: Roberto Zucco, créée le 12 avril 1990, à la Schaubùhne de Berlin, dans sa version allemande, par Peter Stein. La création en langue française a lieu le 7 novembre 1991, au TNP de Villeurbanne, dans une mise en scène de Bruno Boeglin. Bernard - Marie Koltès FRÉDÉRIC ŒUVRE ÉDITÉE Les pièces de Bernard-Marie Koltès sont disponibles aux Editions de Minuit: Combat de nègre et de chiens, Quai Ouest, Dans la solitude des champs de coton. Le retour au désert, La nuit juste avant les forêts, Roberto Zucco suivi de Tabataba. On trouve aussi chez le même éditeur: La fuite à cheval très loin dans la ville (roman) et Le Conte d'hiver (traduction de la pièce de Shakespeare par Koltès). AMAT Après des études d'architecture et de décor de théâtre à Barcelone, Frédéric Amat commence à exposer à partir de 1970, et notamment en 1976 et 1977 des œuvres réalisées durant son séjour en Afrique du nord, avec pour thème les verbes : casser, attacher, enduire, recouvrir, cacher, blesser, qui sont les constantes de sa peinture. En 1979, Gabriel Monnet organise à Paris la première lecture publique de Combat de nègre et de chiens. La pièce sera diffusée sur France-Culture en 1980. Elle sera créée sur la scène du Théâtre des Amandiers de Nanterre par Patrice Chéreau en 1983. Ce spectacle assurera la notoriété de Bernard-Marie Koltès. Après deux ans au Mexique, et sept ans passés à New-York - où il travaille et expose - il entame en 1986 sa collaboration avec Lluis Pasqual pour El Publico de Federico Garcia Lorca au Piccolo Teatro de Milan. Puis il créé les décors et les costumes de Tirano Banderas mis en scène par Lluis Pasqual en 1992, et, en 1993, le décor de Roberto Zucco créé au Théâtre Lliure de Barcelone. Entre temps, en 1981, le Petit Odéon avait accueilli une reprise de La nuit juste avant les forêts dans une mise en scène de Jean-Luc Boutté. Il travaille également au décor de différents spectacles de danse et continue d'exposer - dernièrement : Barcelone, Grenade et Mexico. 28 29 CRÉATION LA C ERISAI E ANTON TCHÉKHOV mise en scène décor collaborateur à la mise en scène costumes pédagogue-répétiteur LEV DODINE Edouard Kotcherguine Vladimir Toumanov Inna Gabaï Valéry Zvezdatchkine directeur de scène Natalia Sollogoub direction technique Maxim Batrakov montage du décor lumière son Peter Razouvaev, Alexandre Poulinets Oleg Kozlov, Ekaterina Dorofeeva, Vitaly Skorodoumov Andreï Kousskov, Leonide Levin, Mikhail Alexandrov habilleuses Irina Tsvetkeva, Maria Fomina accessoires loulia Zverlina, Olga Reicher maquilleuse Galina Varoukhina 10 avril 1994 Production : ODÉON-THÉÂTRE DE L'EUROPE THÉÂTRE M A L Y DE SAINT-PÉTERSBOURG durée du spectacle 2h30, sans entracte 30 surtitrage : Macha Zonina AVEC Lioubov Petrovna Ranievskaia, propriétaire terrienne Ania, sa fille Varia, sa fille adoptive Gaev Leonide Andreevitch, frère de Ranievskaia Firs, valet de chambre Lopakhine Ermolaï Alekseevitch, marchand Trofimov Piotr Seyneievitch, étudiant Simeonnev-Pichik Boris Borissovitch, propriétaire terrien Charlotte Ivanovna, gouvernante Epikhodov Simon Pantelewitch Douniacha, servante lacha, jeune laquais Un passant Chef de gare Fonctionnaire de la poste Ragouline Un officier Un lycéen musiciens invités, serviteurs Tatiana Chestakova Natalia Sokolova / Angelica Nevolina Natalia Akimova / Irina Tytchinina Sergueï Bekhterev Oleg Borissov Igor Ivanov / Piotr Semak Sergueï Kourychev / Alexeï Zoubarev Nikolaï Lavrov / Arkady Koval Angelica Nevolina / Maria Nikiforova Arkady Koval / Oleg Gaianov Tatiana Olear / loulia Moreva Nikolaï Pavlov / Igor Tchernievytch Sergueï Vlassov Sergueï Kozyrev / Sergueï Vlassov Sergueï Moutchenikov Alexeï Zoubarev Sergueï Kozyrev Piotr Semak Igor Tchernievytch Alexandre Barabline, Roustik Pozioumsky, Arkady Isynkine, Boris lakoubovsky Lev Dodine n'a pas choisi par hasard de monter La Cerisaie. Hier, en U.R.S.S., il ne jouait que les auteurs contemporains, ceux qui contournaient ou bernaient la censure pour mieux raconter «les souffrances du peuple russe»: question de survie. Question de principe aussi : il s'agissait de défendre à la fois le droit à la création et le droit à la vérité ; il s'agissait de contrer «les mensonges officiels des artistes officiels». Aujourd'hui, en Russie, l'enjeu s'est déplacé. La censure a été supprimée, la liberté de création est revenue, la liberté d'expression aussi. Il s'agit maintenant de réconcilier le peuple avec toute la culture russe, de lui rendre les oeuvres qui n'ont pas été jouées (ou trop peu jouées, ou mal jouées) pendant plus de soixante-dix ans. Le retour de Lev Dodine aux «classiques» fait écho à la réapparition symbolique de Saint-Pétersbourg sur la carte de la Russie. Désormais, il ne se sent plus seulement des obligations par rapport aux auteurs contemporains, il se sent aussi responsable des sources du répertoire théâtral. Il a choisi de le revisiter pour le faire redécouvrir aux générations successives de spectateurs qui en ont été trop longtemps privées. En 1991, il a monté Les Possédés de Dostoïevski. En 1994, il met en scène La Cerisaie de Tchékhov. Et il le revendique clairement : «Aujourd'hui est la continuation d'hier. Nous ne pouvons rien oublier, rien rejeter ni du passé ni de nousmêmes. Réunir les temps est la fonction de l'art.» 32 Comme les héros de Tchékhov, nous vivons aujourd'hui une période de cassure. Les choses sont en train de changer. Nous ne pouvons pas encore saisir distinctement ce qui s'en va. Nous nous représentons mal ce qui est en marche, mais en ces minutes fatidiques, nous commençons à entendre, si net qu'il en devient douloureux, le froissement du temps qui fuit. Chaque instant de notre vie prend un goût particulier, une valeur particulière, et répond à un désir particulier. Nous essayons de savourer chaque instant avec une avidité presque cosmique et une acuité presque tragique. L'homme fait la course avec le temps, avec soi-même, et il suffit de quelques secondes pour que celui qui le trouvait comique et pitoyable, celui-là aussi s'élance au grand galop à la poursuite de ce qu'on ne peut plus rattraper. Tchékhov était encore très jeune quand il écrivit, un an avant de mourir, sa pièce la plus comique et la plus tragique. Sa courte existence portait en elle l'éternité, parce qu'en chaque seconde, il percevait l'écho de l'éternité, qui fait l'homme si grand et si comique. Nous, les acteurs, nous prolongeons notre vie sur la scène, nous tentons de ruser avec ce qui s'en va grâce à nos rôles et à nos jeux de scène. Nous répétons aujourd'hui La Cerisaie, pour nous aujourd'hui, c'est le meilleur moyen de disputer cette course avec le temps. Nous exerçons cette activité privée de sens, transparente, enfantine, avec fougue et avec fierté, sans remarquer à quel point nous sommes certainement comiques. Nous sommes tous les enfants déchus de Dieu. Au fond, c'est ce qu'avait compris Tchékhov avec une admirable lucidité. Lev Dodine 33 ANTON TCHÉKHOV Anton Tchékhov Anton Pavlovitch Tchékhov né en 1860, termine ses études de médecine à Moscou en 1884. Si le goût du théâtre lui est venu très jeune, il se fait d'abord connaître comme auteur de récits et de nouvelles. En 1881, Tchékhov avait écrit un «drame en quatre actes», Platonov, qui n'a pas été joué. En 1887, il termine Ivanov, «drame en cinq actes» qui est aussitôt représenté. Accueil indifférent. Il faut attendre 1896 et la création de La Mouette à Saint-Pétersbourg, puis au Théâtre d'Art de Moscou dans une mise en scène de Stanislavski pour que Tchékhov soit finalement reconnu comme auteur de théâtre. En 1899, le Théâtre d'Art de Moscou reprend aussi Oncle Vania qui avait d'abord été créé en province: nouveau succès. La première des Trois soeurs a lieu à Moscou le 31 janvier 1901. C'est un triomphe pour Tchékhov: il fait enfin l'unanimité du public et de la critique. Atteint de tuberculose depuis plusieurs années, son état s'aggrave. Il séjourne souvent à Yalta. Cloué au lit, il continue à produire des nouvelles mais, pendant deux ans, il n'écrit rien pour le théâtre. EDOUARD KOTCHERGUINE La Cerisaie est donc la dernière pièce de Tchékhov; il en vient à bout durant l'année 1903, dans des conditions très pénibles: «J'écris deux lignes par jour», confesse-t-il dans une lettre à sa femme, la comédienne Olga Knipper. La Cerisaie est créée au Théâtre d'Art de Moscou le 17 janvier 1904, jour anniversaire des 44 ans de Tchékhov. Olga Knipper tient le rôle du personnage principal, celui de Lioubov Andréevna Ranevskaïa, la propriétaire de la cerisaie. En février 1904, Tchékhov retourne seul à Yalta. En juin, Olga l'accompagne à Berlin. Il meurt à Badenweiler, en Forêt Noire, le 2 juillet. Il est l'un des décorateurs qui ont contribué à la renaissance de la scène soviétique dans les années 70. Il a acquis une réputation de maître dans son domaine, et a influencé de nombreux décorateurs et étudiants. Depuis 20 ans, il a été le décorateur attitré du Théâtre Dramatique Gorki à Saint Pétersbourg et le principal collaborateur du metteur en scène Georgi Tovstonogov en URSS et à l'étranger. C'est dans les années 70 qu'il a rencontré Lev Dodine avec qui il collabore aussi bien à l'Institut Théâtral que dans divers théâtres de Saint Pétersbourg. Ils ont travaillé ensemble depuis sur plus de trente productions, dont les plus importantes sont la maison, Frères et sœurs, les possédés. La cerisaie est sa dernière collaboration avec Lev Dodine. 34 35 MOSCOU Ivan Popovski n'est pas russe. Il est né il y a vingtquatre ans en République de Macédoine, dans l'ex-Yougoslavie. Il n'avait que 19 ans, il venait tout juste de terminer son service militaire dans l'armée yougoslave, quand il est arrivé à Moscou. Il ne connaissait que quelques mots de russe. Il s'est retrouvé au GITIS, le conservatoire d'art dramatique de Moscou, élève dans le cours de Piotr Fomenko : «Je suis arrivé au moment de la perestroïka où l'on vivait chichement mais décemment ; j'ai connu ensuite une période très dure, courte heureusement, où l'on manquait vraiment de tout...» Au GITIS, Popovski a étudié la mise en scène. Durée des études : cinq ans. «Durant ces cinq années, raconte-t-il, Fomenko nous a protégés, nous étions comme dans une bulle. Je ne regardais jamais la télévision, je ne lisais aucun journal, nous ne sortions pratiquement jamais. J'ai vécu dans le monde de Shakespeare, de Tsvetaeva ... Nos conversations n'avaient d'autres sujets que le théâtre, notre travail théâtral.» C'est au GITIS avec les élèves de sa promotion que Popovski a créé son premier spectacle : Aventure de Marina Tsvetaeva. C'était en 1992, dans un couloir de l'immeuble souffreteux du GITIS : il n'y avait que 25 places I C'est déjà une troupe et ce n'en est pas encore vraiment une : Popovski et sa promotion travaillent ensemble depuis cinq ans... mais ils n'ont pas de lieu à eux. C'est déjà une troupe parce qu'ils ont décidé de ne pas se séparer, de ne pas s'éparpiller à la fin de leurs études : «C'est ensemble que nous sommes forts, explique Popovski, parce que nous faisons encore tout avec amour. Chacun pourrait vivre sa vie, entrer dans des théâtres de renom, mais nous voulons continuer ensemble. Nous faisons tout nous-mêmes: les costumes, les décors et surtout les éclairages qui posent le plus de problèmes. (...) Nous sommes un groupe soudé et reconnu comme tel qui s'entend sur une même conception du théâtre, de la vie...» En 1993, Ivan Popovski et sa troupe ont présenté Aventure en France (au Festival de Maubeuge, au Théâtre de la Cité Internationale - Paris, à Douai, à Nantes) ainsi qu'en Suisse et en Pologne.Partout le spectacle a remporté le même succès. A l'Odéon-Théâtre de l'Europe, Popovski vient réaliser un rêve qu'il avait en tête depuis quelque temps : monter «les petites pièces du grand Alexandre Blok». 37 LES VISITEURS DU CABARET L'homme au manteau Sachka Kostia (ressemblant à Hauptman) Le Garçon Le séminariste Vacia L'homme roux La jeune fille Le jeune homme Le vieux (ressemblant à Verlaine) La chanteuse Le poète BARAQUE DE FOIRE LE THÉÂTRE LYRIQUE D'ALEXANDRE BLOK adaptation et dramaturgie Dimitri Essakia, Ivan Popovski mise en scène décor et direction technique costumes IVAN POPOVSKI Vladimir Maximov Alexandre Chechounov son Dimitri Bielobrov assistant à la mise en scène Andreï Vorobiov travail de la voix chorégraphe réalisation du décor réalisation des costumes maquillage habilleuse ce O 0c O oc < > < Véra Kamychnikova Alla Sigalova Vladimir Ejakov, Chef des ateliers de construction du Théâtre Sovremennik Sergueï Bartochevitch Anna Mielechko Elena levleva Production : O D É O N-T H É AT R E DE L'EUROPE ATELIER DRAMATIQUE PIOTR FOMENKO avec l'aide du Centre Culturel français de Moscou, et le parrainage de la Banque Commerciale de Mytischi du 3 au 14 mai 1994 COMITE POUR LA CULTURE DE MOSCOU durée du spectacle : 1h30 L'adaptation de Dimitri Essakia et Ivan Popovski est réalisée à partir des deux drames lyriques La Baraque de foire et L'Inconnue , parus aux Editions l'Age d'Homme, sous le titre Oeuvres dramatiques. BANQUE COMMERCIALE (S) DE MYTISCHI surtitrage : Macha Zonina ATELIER (i PIOTR FOMENKO LES MYSTIQUES Premier mystique Deuxième mystique Troisième mystique Quatrième mystique Cinquième mystique Président des mystiques L'auteur Pierrot Arlequin Colombine L'homme en bleu L'astrologue L'Inconnue Un monsieur Kirill Pirogov Oleg Lioubimov Andreï Kazakov Madeleine Djabrailova Galina Tiounina Sergueï Yakoubienko Everett Dixon Karen Badalov Taguir Rakhimov Paulina Koutiepova / Ksenia Koutiepova en cours, à l'heure où nous imprimons Karen Badalov Galina Tiounina Andreï Kazakov LES MASQUES «Le masque bleu « «Le masque rose « L'imperméable noir L'imperméable rouge Le Chevalier L'écho Oleg Lioubimov Paulina Koutiepova Kirill Pirogov Madeleine Djabrailova Andreï Kazakov Galina Tiounina LES VISITEURS DU SALON Le maitre de maison L'invité au manteau La maîtresse de maison Georges Micha Le vieux La dame Le monsieur roux Le jeune homme Andreï Prikhodko Kirill Pirogov Madeleine Djabrailova Igor Ovtchinnikov Youri Stiepanov Sergueï Yakoubienko Ksenia Koutiepova Vladimir Maximov Oleg Lioubimov Musicien 38 Kirill Pirogov Igor Ovtchinnikov Andreï Kazakov CRÉATION Andreï Prikhodko Youri Stiepanov Vladimir Maximov Ksenia Koutiepova Oleg Lioubimov Sergueï Yakoubienko Madeleine Djabrailova Roustem Youskaiev en cours, à l'heure où nous imprimons 39 LES FORETS Début février 1994 à Moscou. Tout d'un coup le vrai hiver russe - la température est descendue cette nuit jusqu'à moins 30°- et comme dans le célèbre poème d'Alexandre Blok Les Douze, silhouettes courbées, les passants, happés par le vent et la neige, glissent sur le verglas. Dans le quartier de l'Arbat dans la «Maison des acteurs», un dédale de couloirs sur sept étages, où l'on débouche soudain sur une banque ou un restaurant de luxe incongrus, Ivan Popovski et sa troupe commencent les répétitions de leur spectacle Baraque de foire. Peu de gens, en ce moment à Moscou, se passionnent autant qu'eux pour Alexandre Blok, le grand poète du Symbolisme russe, mort de syphilis et de désespoir, en 1921, à l'âge de 41 ans. Fin tragique d'un dandy erratique qui marquait aussi la mort définitive d'une époque, celle de «l'Âge d'Argent». OBSCURES deux pièces du cycle Baraque de foire suivie de L'Inconnue, après un entracte pendant lequel ses jeunes élèves jonglaient avec des oranges dont ils bombardaient les spectateurs qui avaient mal accueillis la première partie. tout autre ordre. Le soir même il passera la nuit à peaufiner le texte avec son dramaturge et un jeune acteur virtuose du macintosh. Le lendemain, le texte sera définitivement établi (tous veulent le croire) jusqu'à sa mise à l'épreuve sur la scène. Après des nuits d'insomnie, de disputes homériques, Ivan Popovski et Dimitri Essakia ont enfin réussi à établir un texte qui réunit ces deux même pièces (Baraque de foire et L'Inconnue) pour un spectacle d'une heure vingt. La difficulté de ce genre d'exercice réside moins dans les coupes que dans les points de suture et les rajouts de poèmes, sans parler de la légitimité de telles interventions sur des textes canoniques. Pour parler de Blok, Popovski cite Piotr Fomenko qui qualifie certains textes de «forêts obscures» dans lesquelles il faut se retrouver mais qu'on n'éclairera jamais. Il ne faut surtout pas trouver de solutions aux énigmes de Blok. Ne pas sur-jouer, ne pas faire d'explication de texte. Depuis un an Ivan Popovski et son dramaturge Dimitri Essakia travaillent sur le texte qui sera créé à l'Odéon, presque un an après la venue en France de l'inoubliable Aventure de Marina Tsvetaeva. La jeune troupe de Popovski, tous élèves au GITIS (Ecole d'Art Dramatique) de Piotr Fomenko dont le travail de ces cinq dernières années comme pédagogue et metteur en scène est salué par la critique moscovite unanime, se réunit depuis quelques jours pour un «travail à la table». Une belle salle ronde marbrée, très XIXème, où chaque acteur est sollicité de donner son avis sur le dernier état du texte. Alexandre Blok, marié à une actrice, s'intéressait beaucoup au théâtre - «Mage de la théâtralité», selon Meyerhold, il voulait même aller plus loin que Tchékhov, dont «aucun de ses innombrables imitateurs n'a jamais réalisé quelque chose de valable». Il voulait rendre encore plus explicite l'expression du «courant souterrain», du soustexte. Au cours de l'année 1906, il avait écrit trois drames lyriques conçus comme un cycle indissociable. Meyerhold avait monté la même année L'important pour Popovski à ce moment de son travail est d'obtenir l'adhésion totale des acteurs à ce texte, leur avis lui importent d'autant plus - et il tient à le leur rappeler - qu'il n'est pas russe, mais macédonien... Chacun ici a son opinion sur ce grand poète emblématique redevenu si actuel en cette fin de siècle et qui dénonçait l'invasion du monde par la vulgarité (pochlost) tout en vomissant l'humanisme vélléitaire. Popovski veut faire sauter les dernières défenses de ses acteurs car les vraies difficultés sont d'un 40 Pour Blok le monde est une mascarade où Pierrot, Arlequin, Colombine et les Mystiques ridicules côtoient dans des tripots de banlieue des prostituées et des «ivrognes aux yeux de lapins». Dans cette commédia dell'arte, redécouverte en Russie à cette époque, masques et bergamasques basculent dans Dostoïevski (L'Idiot) : la vraie pureté est dans la souillure. Mêlant prose et poésie, théâtre dans le théâtre, on imagine (ceux surtout, très peu nombreux, qui ont vu Aventure) tout le parti que Popovski va pouvoir tirer de cette matière très explicitement théâtrale. Meyerhold avait coutume d'affirmer : «Le coup d'envoi de mon art (...) m'a été donné par la merveilleuse Baraque de foire.» ? Nul doute que cette quatrième mise en scène d'Ivan Popovski permettra enfin à un vaste public de découvrir un grand metteur en scène de Moscou... âgé d'à peine vingtcinq ans. Michel Parfenov 41 ET M A I N T E I AU«THEATR E Alexandre Blok, se dit <<...habité par une multitude de démons (appelés aussi «doubles») ...» Il sait l'art de faire de chaque démon son instrument, de lier par un pacte chacun des doubles ; tous vont, errant, dans des mondes violets et, sous sa férule, lui procurent les plus belles des merveilles, tout jusqu'au moindre de ses désirs : l'un lui apportera un nuage, l'autre le soupir de la mer, le troisième une améthyste, le quatrième un scarabée sacré, l'œil ailé. Leur maître déverse le tout dans le creuset de sa création artistique, et en extrait enfin, pour son propre émerveillement et amusement, l'inconnue ; l'inconnue qui est une splendide poupée. ... Mon monde personnel ensorcelé est devenu l'arène de mes propres actes, mon «théâtre anatomique», la baraque de foire, où moi aussi, aux côtés de mes ravissantes poupées , je tiens un rôle... L'océan est ANT, PLACE LYRIQUE» mon cœur, tout en lui est pareillement ensorcelé : je ne fais pas de différences entre la vie, le sommeil et la mort, ce monde et les autres mondes... La vie et l'art se sont confondus, j'ai proféré des incantations et devant moi a enfin surgi ce que je nomme (personnellement) «L'Inconnue» : la splendide poupée, le fantôme bleu, la merveille terrestre. L'Inconnue. Ce n'est point seulement une dame vêtue d'une robe noire avec des plumes d'autruche sur son chapeau. C'est un alliage diabolique de plusieurs mondes... Je me tiens devant mon œuvre, fruit de mon art, et ne sais que faire. Autrement dit, que dois-je faire de ces mondes, que dois-je faire de ma propre vie, désormais confondue avec l'art, car à mes côtés mon œuvre vit, ni vivante, ni morte... Mais tout est fantomatique...» Ces citations d'Alexandre Blok, choisies par Ivan Popovski, sont extraites de la conférence intitulée «De l'état actuel du symbolisme russe» (1910) 42 43 ALEXANDRE BLOK Si Alexandre Blok est venu au monde dans un milieu social favorisé en 1880 à Saint-Pétersbourg, il n'en a pas moins souffert d'événements pénibles: le divorce de ses parents, les maladies nerveuses qui ont affecté sa famille. Blessé, il s'est très vite réfugié dans la poésie. Ecrivain précoce, Blok signe dès 1901 une série de chants d'amour à la femme aimée, les Poèmes de la Belle Dame, qu'il fait publier en 1905 et qui lui valent d'entrée le soutien de toute l'avant-garde littéraire russe. Sa source poétique ne tarira pas jusqu'à la fin de sa vie, mais son inspiration variera: il délaissera la veine amoureuse pour s'interroger sur l'homme et les civilisations dans Poèmes d'Italie (1909), pour explorer l'âme russe dans La Bataille de Koulikovo (1908) , pour tenter de définir l'identité russe dans Les Scythes (1918), pour célébrer la révolution dans Les Douze (1918). Il sera à jamais «le grand poète symboliste russe». En fait, même si on le sait moins, Blok a autant marqué son temps et ses contemporains par son théâtre que par sa poésie. Le 14 octobre 1906 Blok lit pour la première fois une de ses pièces en public. Cela se passe au cours d'un des «samedis» de l'actrice Vera Kommissarjevskaia. Le texte s'intitule Le Roi sur la place. Chronologiquement, c'est la deuxième oeuvre dramatique de Blok. Il avait écrit un premier «drame lyrique»: La Baraque de Foire. Vsevolod Meyerhold le crée le 31 décembre 1906 au Théâtre Kommissarjevskaia 44 où il travaille après avoir quitté le Théâtre d'Art de Moscou. C'est un scandale. Dans la salle, on hurle, on acclame, on s'apostrophe. Meyerhold reprendra La Baraque de Foire en avril 1914, au Studio, et créera le même soir une autre pièce de Blok: L'Inconnue. Ces deux soirs de première, celui de 1906 et celui de 1914, sont restés comme deux des grands moments de l'histoire du théâtre russe au XXème siècle. Blok aura moins de chance avec Stanislavski au Théâtre d'Art de Moscou. Ils s'estimaient, ils étaient amis, mais leur collaboration sera un échec. Blok confiera deux de ses pièces à Stanislavski. En vain : Stanislavski ne comprendra rien à la première, Le Chant du destin, et n'essaiera même pas de la faire jouer ; il travaillera plus de cinq ans sur la deuxième de 1913 à 1918, La Rose et la croix, mais sera incapable de la transformer en spectacle. Y L A D I EDITIONS EN FRANÇAIS Œuvres dramatiques d'Alexandre Blok (Editions L'Age d'Homme) réunit: La Baraque de Foire, Le Roi sur la place, L'Inconnue, Le Chant du destin, La Rose et la croix et Ramsès. Sont également disponibles: Œuvres en prose (Editions L'Age d'Homme), Cantiques de la Belle Dame (Imprimerie Nationale), Poésies (Lettre Volée), Poèmes (Alidades), Poèmes et lettres d'Italie (Nouveau Commerce) et Les Douze (Nouveau Commerce) R M A X I M O Y Né en 1951 à Tachkent, il se passionne dès l'école pour le design industriel, dont il fait le thème de son mémoire de diplôme. Alexandre Blok Le 7 novembre 1918, Alexandre Blok assiste à la première de Mystère-Bouffe de Vladimir Malakovski. Il note dans un carnet: «Un jour à ne pas oublier.» Il a «passé le relais»... A la demande de Maxime Gorki, en 1919, il écrit une dernière pièce: Ramsès. Il meurt à SaintPétersbourg, devenue Petrograd, le 7 août 1921, miné par la faim et la maladie. H I Il commence sa carrière d'homme de théâtre en 1981 au Théâtre de miniatures de Moscou sous la direction d'Akradi Raykine. C'est sans doute Raykine qui lui transmet l'amour sans partage pour le théâtre. En 1986 il réalise son premier décor pour la pièce Hercule et les écuries d'Agiès de F.Durrenmatt mise en scène par Constantin Raykine (théâtre Satiricon). Depuis 1989 Vladimir Maximov est chef-décorateur du nouveau théâtre la Troupe Indépendante d'Alla Sigalova et a réalisé une douzaine de décors. Baraque de foire est sa troisième collaboration avec le metteur en scène Ivan Popovski après Sculpteur de masques de Crommelynck et Aventure de Marina Tsvetaeva, présenté en 1993 en France, en Suisse et en Pologne. 45 11 ## HORSE'S TAVERN LA BANQUE COMMERCIALE 16, Carrefour de l'Odéon - 75006 Paris POUR L'EUROPE DU NORD - EUROBANK, 43.54.96.91 PARTENAIRE PRIVILÉGIÉ DE LA RUSSIE, EST HEUREUSE DE S'ASSOCIER A L'ODÉON THÉÂTRE DE L'EUROPE POUR LA PRÉSENTATION DE LA SAISON RUSSE. vous propose • Au rez-de-chaussée : Un choix de 250 bières bouteilles • 12 bières pressions • 40 whiskies rares • Moules, Moules Frites • Plats internationaux • Orchestre les vendredi et samedi • Au premier étage : Son restaurant Dans un cadre intime. • Repas de 100 F à 150 F OUVERT JUSQU'À 2 H 00 DU MATIN DU LUNDI AU JEUDI ET JUSQU'À 4 H 00 DU MATIN LES VENDREDI ET SAMEDI Chèque - Carte Bleue - American Express - Tickets Restaurants - Divers BCEN-EUROBANK 79-81 BOULEVARD HAUSSMANN 7 5 3 8 2 PARIS CEDEX 08 TEL: (1) 40 0 6 43 21 FAX: (1) 40 0 6 43 15 SAISON GRANDE SALLE 21 septembre . 24 octobre 28, 29 et 30 octobre 5 novembre . 14 novembre 23 novembre . 28 novembre SAISON RUSSE 6 janvier . 27 février 19 9 4 31 ORLANDO Virginia Woolf . Robert Wilson CREATION DOKTOR MABUSE Fritz Lang . Michael Obst cinéma HOME LE BARUFFE CHIOZZOTTE Carlo Goldoni . Giorgio Strehler en langue italienne UN DELS ÛLTIMS VESPRES DE CARNAVAL Carlo Goldoni . Llui's Pasqual en langue catalane, surtitré en français FRERES ET SŒURS Fedor Abramov . Lev Dodine en langue russe, surtitré en français 9 mars . 12 mars LES ETOILES DANS LE CIEL MATINAL Alexander Galine . Lev Dodine en langue russe, surtitré en français 5 avril . 10 avril 3 mai . 14 mai octobre 94 ODÉON 12 octobre . 14 novembre de février à juin 94 ROBERTO ZUCCO Bernard-Marie Koltès . Llui's Pasqual LA CERISAIE Anton Tchékhov . Lev Dodine PLAZZA BASTILLE CARREFOUR DES ARTS Au Cœur du Marais, entre la Place des Vosges et l'Opéra Bastille CREATION LES ESTIVANTS Maxime Gorki . Lluis Pasqual 3 mars . 6 mars 23 mars . 27 mars PETIT 1993 création en langue russe, surtitré en français création en langue russe, surtitré en français BARAQUE DE FOIRE Alexandre Blok . Ivan Popovski création en langue russe, surtitré en français LE PHENIX Marina Tsvetaeva . Lluis Pasqual CREATION LETTRES DE LA RELICIEUSE PORTUCAISE THEATRE-FEUILLETON Remerciements à : Macha Zonina, Sara Sauvai, Michel Parfenov, Béatrice Picon-Vallin Crédits photographiques : Ros Ribas, p 25, 26, 27. Lise Sarfati ( Contact Press Images), p 32, 33, 36, 42, 43. Marc et Brigitte Enguerand, p 10. Agence de presse Novosti, p 21, p 45. Droits réservés, p 9, 11, 15, 16, 17, 19, 23, 24, 29, 31, 35, 41. • Conception graphique : Thierry Depagne «Impression : Jarach-Laruche ODÉON THÉÂTRE DE L'EUROPE direction LLUIS PASQUAL place de l'Odéon 75006 Paris 44 41 36 36 74, rue Amelot 75011 PARIS Tél. (33.1) 40 21 20 00 - Télex Homepla 211 764 F - Fax. 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