Orientation diagnostique devant une splénomégalie1 Item n° 332 : Devant une splénomégalie, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents. Introduction La découverte d'une rate palpable ou percutable chez un adulte affirme l'existence d'une splénomégalie (SM). Elle impose la recherche d'une cause. Syndrome assez rare en pathologie courante en France, une SM est difficile à reconnaître si on ne possède pas une technique séméiologique éprouvée. Comment affirmer une splénomégalie ? Par la palpation. C'est sur un malade en décubitus dorsal que se palpe l'hypochondre gauche : le malade détendu respire la bouche ouverte. Placé à droite du malade, l'examinateur, de la main droite, perçoit une masse dure et ovale, qui descend à l'inspiration profonde, donc mobile. Elle se situe sur la ligne mamelonnaire. Les doigts ne peuvent s'insinuer entre la masse et l'auvent costal au-dessous duquel elle se poursuit. Le pôle inférieur est ovale ; le bord antérieur classiquement crénelé n'est perçu que lorsque la rate est volumineuse. La palpation en décubitus latéral droit, traditionnellement signalée comme une technique indispensable pour une bonne palpation, n'est utile qu'en cas d'obésité. La percussion de la rate sur la paroi thoracique, face au dixième espace intercostal suppose une forte habitude de cet examen. En cas de doute, la réalisation d'une échographie de la région confirme ou non la SM : une rate normale ne dépasse pas 12 cm de longueur, 6 cm de largeur et 3 cm d'épaisseur. Une tomodensitométrie de la région pourrait également contribuer au diagnostic. Quelques erreurs d'appréciations de l'examen clinique - Le risque le plus fréquent est de méconnaître la splénomégalie, que celle-ci ne soit pas recherchée ou que la technique d'examen soit défaillante. - Un gros rein gauche est l'erreur la plus fréquente ; certes un gros rein donne un contact lombaire et reste immobile à l'inspiration profonde ; il est barré en avant par la sonorité colique. Mais une volumineuse rate donne la sensation de contact lombaire, sa mobilité peut être réduite par des adhérences périspléniques; l'échographie redresse l'erreur. - Plus rarement une confusion peut être faite avec : o un gros lobe gauche du foie o une tumeur de la grande courbure gastrique o une tumeur de la queue du pancréas o un cancer de l'angle gauche du colon 1 Pr J Pris (Service d’Hématologie) o o des adénopathies mésentériques ou retro-péritonéales une grosse surrénale Les étiologies des splénomégalies Les circonstances cliniques entourant la découverte d'une SM orientent l'enquête étiologique : - Dans une atmosphère fébrile accompagnée de manifestations articulaires, cardiovasculaires, digestives ou d'angine dysphagique, on s'oriente vers des maladies infectieuses ou inflammatoires ; la rate n'y est habituellement que de taille modeste. - Si le malade a des adénopathies, un purpura, une anémie, on pense plutôt hémopathie du groupe des leucémies aiguës (LA). - S'il existe un gros foie, une ascite, un ictère, une hémorragie digestive, des antécédents d'hépatite, une affection de l'axe spléno-portal est évoquée. C'est en fonction de ces orientations cliniques que seront demandés, selon les cas, un scanner abdominal, un hémogramme, un myélogramme, un bilan hépatique ou des hémocultures. Quatre ensembles pathologiques résument ces étiologies : 1- Des maladies fébriles dans lesquelles la SM n'est qu'un symptôme et argument de diagnostic : - Septicémies : maladie d'Osler, brucellose, typhoïde Lupus érythémateux aigu disséminé Mononucléose infectieuse Infection par le VIH Paludisme aigu Sarcoïdose (BBS) Mais aussi un tableau évident de LA lymphoblastique ou de leucémie lymphoïde chronique (LLC) - Ou de cirrhose décompensée. 2-Des hémopathies pour lesquelles hémogramme, myélogramme parfois biopsie de moelle ou scanner sont décisifs pour un diagnostic précis : - Les syndromes myéloprolifératifs : la LMC qui s'accompagne de SM dans la moitié des cas, une maladie de Vaquez où la grosse rate est un argument de poids face à la découverte d'une augmentation de l'hémoglobine et de l'hématocrite, la splénomégalie myéloïde chronique que confirmera la biopsie de moelle, une thombocytémie essentielle où la SM est rarement retrouvée. - Les hémopathies lymphocytaires : la LLC avec des adénopathies superficielles chez une personne de plus de 50 ans, une maladie de Waldenström qui en est très proche (pic d'IgM), une leucémie à tricholeucocytes (infections liées à une neutropénie profonde, tricholeucocytes dans la moelle). - Les lymphomes malins : la SM en est le seul signe ou est associée à des adénopathies superficielles palpables ou profondes (radiographie pulmonaire, scanner abdominothoracique). C'est par leur biopsie chirurgicale ou par ponction que le diagnostic de la cause de la SM est fait. La maladie de Hodgkin débute rarement par une SM isolée, celle-ci étant le plus souvent associée à des adénopathies ; par contre, les lymphomes malins non hodgkiniens (LMNH), en particulier ceux de faible agressivité, débutent souvent par des SM isolées. L'hémogramme et la biopsie de moelle sont alors un bon moyen de diagnostic ; dans ce groupe certains malades ne voient leur diagnostic réalisé qu'après splénectomie et examen anatomo-pathologique de la rate. - Les anémies hémolytiques chroniques, acquises ou congénitales, entraînent une augmentation de la taille de la rate : Minkowski-Chauffard, déficit en pyruvatekinase érythrocytaire, thalassémie majeure, drépanocytose, hémolyse par autoanticorps anti-GR associent une anémie, un subictère, une baisse de l'hémoglobine avec des réticulocytes élevés et une hyperbilirubinémie indirecte excessive. - Le diagnostic de SM de cause hématologique serait assez facile à résoudre s'il n'existait un tableau original et syndromique dénommé hypersplénisme : une grosse rate, quelle qu'en soit la cause entraîne des modifications de l'hémogramme qui peuvent faire penser à une hémopathie. On note sur celle-ci une cytopénie discrète (une bi-cytopénie essentiellement, associant une leucopénie avec neutropénie et une thrombopénie modérées) alors que la moelle est riche en cellules précurseurs. La splénectomie supprimerait la cytopénie. La diminution des éléments figurés du sang est liée à une séquestration des GR, des GB et des plaquettes dans la rate hypertrophiée. Des techniques de marquage de ces cellules par des isotopes radioactifs peuvent confirmer cette hypothèse (en particulier pour les plaquettes). - Il faut également signaler que les grosses rates induisent une hémodilution donc réalisent une fausse anémie sur l'hémogramme. 3-Les grosses rates d'hypertension portale Branchée en dérivation sur la circulation porte, la rate augmente de taille dans : - Les différentes cirrhoses, alcooliques ou post-hépatitiques, induisent une SM souvent génératrice d'un hypersplénisme (leucopénie et thrombopénie modérées, le plus souvent sans conséquence clinique) ; la réalisation d'un bilan hépatique (transaminases, phosphatases alcalines, gamma-GT, TP et TCA, électrophorèse des protides) est donc justifiée face à une SM en apparence isolée. - Les blocs sus-hépatiques sont également générateurs de SM, en particulier le syndrome de Budd-Chiari. - Les blocs sous-hépatiques liés à une compression de la veine porte ou de l'une de ses branches principales (adénopathies retro-péritonéales de causes diverses tuberculose, lymphomes, métastases ainsi que les cancers de la tête du pancréas ou une pancréatite chronique), les malformations congénitales de l'axe veineux porte peuvent être cause de SM. C'est dans ce cadre que se retrouvent syndrome et maladie de Banti. 4- Des grosses rates strictement isolées - Parasitoses : Kala-Azar, kyste hydatique de la rate. - Kystes spléniques congénitaux - Fibromes, angiomes spléniques - Maladies congénitales par surcharge : maladie de Gaucher, de Niemann-Pick. Pour certaines SM la splénectomie peut être le seul moyen de diagnostic. 5- Quelles sont les indications de splénectomie ? - La maladie de Minkowski-Chauffard - Les anémies hémolytiques auto-immunes qui résistent aux corticoïdes - Les purpuras thrombopéniques cortico-résistants ou cortico-dépendants - Les volumineuses rates mal tolérées : douloureuses, avec hypersplénisme important, résistantes à la chimiothérapie dans les hémopathies malignes (LMNH, LLC, leucémie à tricholeucocytes). - Certaines splénectomies sont périlleuses en particulier dans les cirrhoses, la splénomégalie myéloïde. 6- Suites de la splénectomie - Hyperplaquettose réactionnelle liée à la suppression du pool plaquettaire splénique ; importante dans les suites immédiates (parfois plus de 1 000 000 /µl, diminuant ensuite pour se stabiliser aux environs de 400 à 500 000 /µl, elle explique la fréquence des thromboses dans les suites opératoires : phlébites des membres inférieurs, pyléphlébites. - Hyperleucocytose modérée avec discrète hyperlymphocytose - Déficit immunitaire (les lymphocytes B de la rate sécrètent les IgM de la réponse anticorps dans les premières 24h faisant suite à une infection bactérienne) entraînant des infections graves et foudroyantes, surtout chez l'enfant de moins de 4 ans : la splénectomie n'est décidée qu'après mûre réflexion chez les enfants de moins de 10 ans. C'est ce déficit qui justifie les mesures préventives qui doivent entourer systématiquement l'intervention (programme de vaccination et couverture antibiotique). Arbre de décision du diagnostic étiologique d'une SM SPLÉNOMÉGALIE (clinique ou échographique) Maladies aiguës - Fièvre - Ganglions - Cœur - Eruptions - Ictère - Angine - Hémogramme - Hémocultures - Sérologies virales Maladies hépatiques Hémopathies - Hépatite ancienne - Alcoolisme - Gros foie - Ictère - S. d'HTP - Ascite - Ganglions - Anémie - S. Hémorragique - Ictère - Fièvre - TGO, TGP, - P Alcal, γGT, - Bilirubine, - Eφ Protides - TP, TCA - Hémogramme - Myélogramme - BM - RP - Scanner thoracoabdominal Isolées - Chirurgie ? - Surveillance ? Dans la pratique on retiendra…. 1- La découverte d'une rate palpable ou percutable chez un adulte affirme l'existence d'une splénomégalie (SM). Le diagnostic se fait par la palpation de l'hypochondre gauche sur le malade en décubitus dorsal. En cas de doute, on recourt à la réalisation d'une échographie de la région. 2- En ce qui concerne le diagnostic positif, le risque le plus fréquent est de méconnaître la splénomégalie, que celle-ci ne soit pas recherchée ou que la technique d'examen soit défaillante. Un gros rein gauche est l'erreur la plus fréquente, mais toutes les masses développées à partir des organes de la région peuvent être sources d'erreur. 3- Les circonstances cliniques entourant la découverte d'une SM orientent l'enquête étiologique. Quatre ensembles pathologiques résument ces étiologies : - des maladies fébriles dans lesquelles la SM n'est qu'un symptôme et argument de diagnostic (maladies infectieuses, maladies inflammatoires, hémopathies), - des hémopathies pour lesquelles hémogramme, myélogramme (parfois biopsie de moelle) et scanner sont décisifs pour un diagnostic précis (syndromes myéloprolifératifs, affections lymphoïdes chroniques, maladies hémolytiques chroniques), - les grosses rates d'hypertension portale (les cirrhoses en premier, mais aussi les blocs sus et sous-hématiques), - les grosses rates strictement isolées (Kala-Azar, kyste hydatique, kystes congénitaux, fibromes, angiomes, maladie de Gaucher, de Niemann-Pick). 4- La splénomégalie peut conduire à poser l'indication de la splénectomie. Celle-ci est bien codifiée dans un certain nombre de situations : la maladie de MinkowskiChauffard, les anémies hémolytiques auto-immunes qui résistent aux corticoïdes, les purpuras thrombopéniques résistants aux autres approches thérapeutiques, les splénomégalies mal tolérées par leur volume ou l'importance de leur retentissement sur le sang. Dans certaines circonstances, la splénectomie est périlleuse. Dans tous les cas, elle doit être entourée d'une préparation du patient, sur le plan immunologique (vaccination, couverture antibiotique post-opératoire). Cet acte s'accompagne d'un certain nombre de modifications qui doivent être connues pour ne pas commettre d'erreurs d'investigations ou de traitement. Il s'agit de l'hyperplaquettose qui peut atteindre plus de 1 million/µl, du déficit immunitaire qui justifie la préparation du patient et d'une possible hyperlymphocytose qui peut, longtemps après, inquiéter inutilement. SPLENOMEGALIE Ph. ARLET, G. PUGNET Devant une splénomégalie, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents – Item 332 Pour la pratique on retiendra A ) L’augmentation du volume de la rate, ou splénomégalie, doit s’envisager dans des situations cliniques bien différentes, que l’on classera en deux principales : • 1) Lors de la palpation abdominale pour des motifs variés, puisqu’il s’agit d’un geste clinique couramment effectué, le médecin découvre une masse de l’hypochondre gauche. Cette masse a les mêmes caractéristiques qu’une hépatomégalie mais du côté gauche, c'est-à-dire qu’on ne peut pas en déterminer la partie supérieure, et que la partie inférieure est bien mobile avec la respiration. Devant toute masse abdominale, il faut faire une échographie, qui sera complétée éventuellement par d’autres imageries en particulier la tomodensitométrie, mais qui pourra à elle seule préciser s’il s’agit bien d’une splénomégalie, ou s’il s’agit d’une autre masse (gros rein, masse tumorale digestive, ganglionnaire, pancréatique ou autre). De plus l’imagerie permettra de préciser les caractéristiques de cette masse, et précisément de cette splénomégalie. Elle peut être homogène ou au contraire hétérogène car la splénomégalie peut correspondre à une hypertrophie simple dans des pathologies infectieuses, inflammatoires, infiltratives ou hématologiques, ou parfois le siège d’un processus prolifératif tel qu’un kyste simple, un kyste parasitaire, une tumeur maligne, une métastase, un hématome… La deuxième situation est totalement différente : • 2) Il s’agit de la situation du médecin interniste, qui devant la suspicion d’une pathologie inflammatoire, infectieuse, ou d’une maladie de surcharge, va rechercher une hypertrophie splénique soigneusement par la palpation pour avoir un argument supplémentaire dans certaines situations de diagnostic difficile pour s’orienter vers certaines des pathologies qui peuvent s’accompagner d’une légère splénomégalie. Lorsqu’on examine un patient de manière courante, la palpation de l’abdomen se fait avec la main droite, le patient étant bien décontracté, les jambes semi-fléchies, le médecin étant placé à la droite du patient. Lorsque l’on cherche une splénomégalie, il peut être utile de se mettre à gauche du patient, de le positionner en décubitus latéral droit jambes fléchies, de mettre les deux mains appuyées sur le rebord costal, et de faire respirer le patient pour essayer de sentir un bord inférieur de rate perceptible à l’inspiration. On peut même dans cette manœuvre, pratiquer la percussion de la région de la 9ème côte car s’il y a une hypersonorité, il ne faut pas chercher très longtemps une splénomégalie à la palpation. Quels sont les examens complémentaires à faire Dans tous les cas, il est important de disposer d’une prise de sang pour avoir l’hémogramme, la vitesse de sédimentation, le bilan enzymatique hépatique, l’électrophorèse des protéines. En effet, les étiologies les plus fréquentes sont représentées par les maladies hépatiques chroniques (hypersplénisme), les maladies hématologiques aiguës et chroniques, les maladies infectieuses et plus spécialement parasitaires, de manière plus rares les maladies inflammatoires et de surcharge. B) Nous envisageons maintenant la liste des nombreuses étiologies en les classant par leur mécanisme pour mieux les retenir : 1. Les splénomégalies d’hypertension portale : a) Bloc hépatique : Cirrhose alcoolique (une des causes principales en France) Cirrhose d’autres causes (post-hépatitique…) Bilharziose Sarcoïdose b) Bloc sous-hépatique : splénomégalie sans hépatomégalie Thrombose portale, atrésie portale, cavernome. Compression (par tumeur pancréatique, par adénopathie…) c) Bloc sus-hépatique : Syndrome de Budd-Chiari (thrombose des veines sus-hépatiques) Insuffisance cardiaque congestive 2. Les hémopathies : a) Bénignes : Anémies hémolytiques chroniques ou hémolyses chroniques b) Malignes : (c’est là qu’on peut rencontrer des rates très volumineuses) Syndromes myéloprolifératifs : LMC, Maladie de Vaquez, Splénomégalie myéloïde, thrombocytémie essentielle Syndromes lymphoprolifératifs : LLC, Maladie de Waldenström, Maladie de Hodgkin, Lymphomes non Hodgkiniens Leucémies (aiguës, à tricholeucocytes) 3. Les causes infectieuses : a) Bactériennes : Bactériémies Endocardites sub-aiguë Tuberculose disséminée Syphilis secondaire Typhoïde Brucellose Rickettsiose Tularémie Bartonellose Leptospirose b) Virales : Mononucléose infectieuse Primo-infection à CMV Primo-infection à VIH Dengue Hépatites virales c) Parasitaires : Accès palustre (première cause mondiale de splénomégalie) Paludisme viscéral évolutif Toxoplasmose Leishmaniose viscérale Bilharziose Échinococcose alvéolaire Hydatidose Trypanosomiase d) Fongiques : Candidose disséminée Histoplasmose 4. Les maladies inflammatoires : PR (syndrome de Felty : PR, leuconeutropénie, splénomégalie) Lupus PAN Maladie périodique 5. Les maladies de surcharge : Hémochromatose Amylose Maladie de Gaucher Maladie de Niemann-Pick Mastocytoses Maladie de Wilson 6. Les causes tumorales : a) Bénignes : kystes, angiomes, hamartomes b) Malignes : lymphomes, métastases 7. Les splénomégalies idiopathiques.