Vers une approche interactionnelle en didactique des langues. Web

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Vers une approche interactionnelle en didactique des langues.
Web 2.0 et intercompréhension
Christian Ollivier
Résumé
Dès les années 1990, les chercheurs s’intéressant à la communication médiée par
ordinateur (CMO) en didactique des langues expriment, dans leurs publications, de
nombreux espoirs liés à l’émergence d’Internet. Ils espéraient notamment, grâce à
l’exploitation didactique des possibilités d’interaction en ligne, surmonter les limitations
des situations traditionnelles d’enseignement-apprentissage que la recherche avait fait
ressortir : nombre limité de partenaires d’interaction, faible « authenticité » de la
communication, phénomènes de double énonciation et de bi-focalisation, etc. Les
chercheurs envisageaient, pour les apprenants, des possibilités de nouvelles
d’interaction avec les membres de leur groupe-classe, mais aussi avec des personnes
extérieures, notamment des locuteurs natifs. Nos travaux permettent de faire le point
sur ces espoirs et les pratiques et recherches récentes afin de voir dans quelle mesure
les potentialités théoriques de l’Internet en CMO ont été transposées dans des pratiques
que ce soit dans le large domaine de l’enseignement-apprentissage des langues ou dans
celui plus restreint de la didactique de l’intercompréhension.
L’analyse des pratiques des enseignants, des propositions des didacticiens, des activités
présentes dans les manuels, mais aussi des situations étudiées par les chercheurs
montrent que le « fantasme de l’ouverture » n’a été que très partiellement mis en
pratique. En outre, nos recherches sur des interactions médiées par ordinateur ayant
lieu, en milieu éducatif, entre apprenants et entre apprenants et locuteurs natifs
montrent que ces interactions présentent des spécificités proches des situations
traditionnelles d’interaction et que la présence – visible ou invisible – de l’enseignant
peut largement biaiser les modalités de communication.
Partant de ce constat, nous faisons ressortir la nécessité de repenser la notion de
compétence de communication, que vise toujours (tout au moins partiellement)
l’enseignement-apprentissage des langues même à l’heure de la perspective actionnelle,
à la lumière des éclairages récents fournis par certains linguistes et philosophes du
langage. Nous revisitons les positions d’ethnologues de la communication, de linguistes
et de didacticiens ayant proposé une définition de la compétence de communication et
faisons ressortir les faiblesses des conceptions qui font certes une place importante à la
dimension sociale de la communication, mais sans lui accorder la position déterminante
qui est la sienne. En nous fondant sur la notion de primum relationis, nous proposons
une vision de la compétence de communication sous contrainte interactionnelle comme
fondement d’une approche interactionnelle en didactique des langues.
Les interactions ont fait l’objet d’une attention toute particulière chez les spécialistes de
l’apprentissage et notamment de l’apprentissage des langues. Nous remarquons
cependant que, dans la plupart des cas, les pédagogues se sont intéressés aux
interactions entre apprenants et enseignant ou entre apprenants, les interactionnistes
faisant partie des rares chercheurs à se préoccuper des interactions entre locuteurs non
natifs apprenants et locuteurs natifs. L’analyse conduit à constater que, plus que les
interactions sociales, ce sont les acquisitions essentiellement linguistiques et culturelles
et les interactions langagières qui restent au cœur des recherches. L’impact des
interactions sociales au sein desquelles les (inter)actions (langagières) des apprenants
ont lieu est peu étudié alors que ces interactions sociales précisément jouent un rôle
déterminant dans toute communication.
Sur la base de ces analyses, nous définissons l’approche interactionnelle comme une
approche didactique s’inscrivant dans les théories linguistiques et pédagogiques qui
mettent les interactions sociales en avant, lesquelles forment, à la fois, le cadre et un
élément constitutif déterminants des actions et interactions humaines. L’approche
interactionnelle place ainsi les interactions sociales au cœur de ses préoccupations et
implique de proposer aux apprenants des tâches à réaliser au sein d’interactions
sociales « authentiques », dans lesquelles ceux-ci puissent agir en tant qu’usagers de la
langue (et non primairement en tant qu’apprenants) et se concentrer sur la réalisation
sociale de la tâche tout autant, voire plus que sur l’apprentissage de la langue.
La mise en œuvre de l’approche interactionnelle passe donc par la conception de tâches
ancrées dans la vie réelle dont les acteurs ne soient pas exclusivement des apprenants et
dont l’enjeu soit réel. Nous introduisons ainsi un nouveau type de tâche – proche de la
notion de projet tout en s’en démarquant clairement – qui, en milieu éducatif, a pour
l’instant largement été écarté par les spécialistes, ceux-ci définissant les types de tâche
en fonction de leur proximité avec la vie réelle tout en excluant celle-ci du domaine de
l’enseignement-apprentissage des langues.
Sur la base de recherches qui, ces dernières années, ont fait ressortir les atouts de la
participation d’apprenants de langues à des sites Internet participatifs, nous montrons
en quoi le web 2.0 représente un terrain propice à la mise en œuvre des tâches ancrées
dans la vie réelle et montrons, à travers nos résultats de recherche, l’impact positif de
ces tâches dans le cadre de la mise en œuvre d’une communication authentique qui ne
soit pas faussée par la présence – même invisible – de l’enseignant.
Sur cette base, nous présentons le principe de « didactique invisible » pour la conception
et la réalisation de sites Internet de type 2.0 visant à promouvoir l’utilisation et
l’apprentissage des langues dans une approche interactionnelle.
Nous discutons également les limites de l’approche interactionnelle et revenons sur
quatre éléments de didactique des langues que cette approche, mise en œuvre sur le
web 2.0, remet en question : l’opposition entre interaction en milieu naturel et en milieu
institutionnel, de même que la distinction entre milieux alloglotte et homoglotte, la
distinction entre apprenant et usager et finalement le rôle de l’enseignant.
La mise en œuvre de l’approche interactionnelle et, partant, la pleine prise en compte
des interactions sociales restent embryonnaires en didactique des langues même
lorsque celle-ci s’intéresse à l’utilisation de l’Internet social. Si l’on se déplace dans le
domaine de la didactique de l’intercompréhension, une des approches plurielles et un
domaine émergent de recherche et de pratique en didactique des langues, force est de
constater que les interactions sociales sont encore moins considérées. Sur la base d’une
discussion
de
tensions
épistémologiques
qui
sous-tendent
le
monde
de
l’intercompréhension, nous mettons en effet en lumière le fait que si les chercheurs
définissent majoritairement l’intercompréhension comme un mode de communication
(interactif), la priorité a été / est souvent donnée à la réception écrite et que les
interactions (sociales) ont été / sont très peu prises en compte sauf dans quelques
projets pionniers. Nous proposons des explications à ce paradoxe en revenant sur les
difficultés que représente, en didactique de l’intercompréhension, la mise en œuvre
d’une approche interactionnelle et de tâches ancrées dans la vie réelle du fait même de
la nature de ce mode de communication.
Les études effectuées ces dernières années ouvrent en tout cas de nombreuses
perspectives de recherches à venir, que ce soit dans le domaine de la mise en œuvre de
la perspective interactionnelle à travers des tâches ancrées dans la vie réelle et à réaliser
sur le web social et/ou en didactique de l’intercompréhension, domaine qui, de par sa
« jeunesse » offre des terrains entiers à investir.
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