NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 489 Amir MASHIACH. — «( הלכה בתמורות הזמן במחשבתו של הרב שלמה זלמן אוירבךRabbi Shlomo Zalman Auerbach’s Halakhic Philosophy in a Dynamic Era of SocioTechnological Transformation»), Ramat Gan, Bar-Ilan University Press, 2013, 291 + [V] pages («Mahshavot»). Le R. Auerbach (1910-1995) naquit et passa sa vie dans le quartier haredi de Sha‘arey Hesed à Jérusalem, où il dirigea la yeshibhah Qol Torah pendant quarante ans; se refusant aux prises de positions politiques ou idéologiques et aux fonctions en vue, inconnu sur la scène publique israélienne, il a été un des grands décisionnaires rabbiniques du XXe siècle. La présente étude expose les idées générales, que l’A. nomme après Éliézer Goldmann au milieu du même siècle «méta-halakhiques», dont le décisionnaire n’a éventuellement pas conscience, qui sous-tendent sa pensée, de manière plus nette chez le R. Auerbach que chez d’autres décisionnaires plus exclusivement techniques. Il procède à partir de l’analyse de responsa, principalement ceux qui furent publiés sous le titre Minhat Shlomoh, avec une différence à faire entre le premier volume paru du vivant de l’auteur et les deux suivants, plus encore avec le recueil postérieur Minhat Shlomoh tenina’ qui paraît expurgé de décisions «problématiques»; de monographies sur divers sujets halakhiques dont la plus célèbre est Me’orey esh sur les usages de l’électricité (1935); moins révélateurs de sa pensée personnelle apparaissent les huit volumes du Shulhan Shlomoh édités par son petit-fils S. Leisersohn et les trois volumes de Halikhot Shlomoh édités par ses petits-fils Y. Trager et A. Auerbach, aussi bien que diverses productions inspirées par lui, dont la plus célèbre est Shemirat Shabbat ke-hilkhetah du R. Y. Neuwirth qui a connu, grâce à des traductions, un succès mondial dans le grand public de stricte observance. Les vies édifiantes du Rav ont été consultées avec plus de précautions encore. On n’est pas surpris qu’un auteur de cette nature tienne la Torah pour le centre de la vie juive; en tant qu’origine des décisions rabbiniques, elle inclut les sources classiques, halakhiques et aggadiques, mais non les sources spéculatives, philosophiques et kabbalistiques; en fait de coutume, les pratiques effectives du public comptent plus que celles qui sont consignées dans les livres. C’est la halakhah qui assure la sanctification immédiate de l’homme au quotidien, qui intéresse le R. Auerbach, non une halakhah théorique idéale qui serait l’expression de vérités transcendantes. Par suite, elle est sans cesse en mouvement et doit tenir compte des conditions nouvelles, celles en particulier que créent les états nouveaux des sciences et des techniques. Or, le R. Auerbach tient pour aussi illégitime d’interdire ce qui est permis que de permettre ce qui est interdit et ne s’autorise pas à décider autrement que ne l’impose le raisonnement strictement halakhique pour des raisons de défense des modes de Revue des études juives, 173 (3-4), juillet-décembre 2014, pp. 421-491. 490 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES pensée et de pratique habituels, ce qui a pu le contraindre à un type d’«écriture ésotérique» voilant au besoin sa véritable pensée. Après d’autres dont le Gaon de Vilna, il tient que la vérité halakhique a besoin de la science pour se manifester, sans restriction dans les domaines purement techniques, de manière beaucoup plus limitée toutefois en bio-éthique. Le R. Auerbach regarde le peuple comme la communauté de sainteté et le porteur de la Torah, au point que c’est la manière de faire du public qui est le plus sûr critère. Mais par peuple il faut entendre Israël en son entier ou la communauté pratiquante. Le R. Auerbach tient une des positions les plus radicales vis-à-vis des juifs laïques, leur refusant le statut de «contraints» (par ignorance de naissance, par la société ambiante) que d’autres leur reconnaissent, voyant en eux une menace, les excluant du peuple et les regardant comme non juifs en tous points. Sa position vis-à-vis de l’État d’Israël n’en est que plus originale: sur des bases halakhiques et non par sentiment personnel, il y reconnaissait la «royauté d’Israël» avec toutes les conséquences juridiques, comme la légitimité à délimiter le pays du point de vue de l’observance d’un seul jour des fêtes ou de deux. Il fut ainsi, dans la société israélienne, une personnalité reconnue du monde haredi en même temps qu’une référence ou un conseiller pour les sionistes religieux. Au centre de sa réflexion halakhique se trouve l’homme avec ses capacités et ses sentiments, d’où un mode de décision non pas objectif et idéal mais subjectif et réaliste, ce que l’A. nomme un mode de décision «humaniste» et un «formalisme téléologique» qui explique par exemple ses réticences en fait d’éthique médicale. Mais ce principe est en tension avec un autre qui, au besoin, l’emporte sur lui, celui de la tradition halakhique contre laquelle rien n’est possible, ni décisions contraires ni détournement du sens des termes. Ainsi, selon l’A., la pensée halakhique du R. Auerbach s’est-elle mue entre deux pôles, comme son activité de décisionnaire s’est partagée entre deux mondes, ceux du maintien intégral de la tradition et d’une innovation audacieuse; ce que l’A., qui appartient à l’Université Bar-Ilan et donc à l’un de ces deux mondes, dramatise en termes de tension idéologique et qui correspond sans doute à une réalité sociologique de la division de la société israélienne, mais ce qui est au fond le lot constant de tout système de droit. Ces aspects sont traités en trois parties: les sources de l’autorité halakhique; les principes qui guident la décision; halakhah et modernité. L’A. procède par analyse et commentaires de responsa authentiques. Outre des index des noms et des titres, celui des notions permet d’accéder de la manière la plus concrète à la matière halakhique. Une monographie de ce type fait connaître la pensée d’un auteur de premier plan de la halakhah vivante à un large public, en même temps qu’elle fournit de la matière aux philosophes du droit, éthiciens, sociologues et herméneutes. Jean-Pierre ROTHSCHILD Revue des études juives, 173 (3-4), juillet-décembre 2014, pp. 421-491.