490 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Revue des études juives, 173 (3-4), juillet-décembre 2014, pp. 421-491.
pensée et de pratique habituels, ce qui a pu le contraindre à un type d’«écriture
ésotérique» voilant au besoin sa véritable pensée. Après d’autres dont le Gaon de
Vilna, il tient que la vérité halakhique a besoin de la science pour se manifester, sans
restriction dans les domaines purement techniques, de manière beaucoup plus limi-
tée toutefois en bio-éthique.
Le R. Auerbach regarde le peuple comme la communauté de sainteté et le porteur
de la Torah, au point que c’est la manière de faire du public qui est le plus sûr critère.
Mais par peuple il faut entendre Israël en son entier ou la communauté pratiquante.
Le R. Auerbach tient une des positions les plus radicales vis-à-vis des juifs laïques,
leur refusant le statut de «contraints» (par ignorance de naissance, par la société
ambiante) que d’autres leur reconnaissent, voyant en eux une menace, les excluant
du peuple et les regardant comme non juifs en tous points. Sa position vis-à-vis de
l’État d’Israël n’en est que plus originale: sur des bases halakhiques et non par sen-
timent personnel, il y reconnaissait la «royauté d’Israël» avec toutes les conséquences
juridiques, comme la légitimité à délimiter le pays du point de vue de l’observance
d’un seul jour des fêtes ou de deux. Il fut ainsi, dans la société israélienne, une per-
sonnalité reconnue du monde haredi en même temps qu’une référence ou un conseil-
ler pour les sionistes religieux.
Au centre de sa réflexion halakhique se trouve l’homme avec ses capacités et ses
sentiments, d’où un mode de décision non pas objectif et idéal mais subjectif et réaliste,
ce que l’A. nomme un mode de décision «humaniste» et un «formalisme téléologique»
qui explique par exemple ses réticences en fait d’éthique médicale. Mais ce principe
est en tension avec un autre qui, au besoin, l’emporte sur lui, celui de la tradition
halakhique contre laquelle rien n’est possible, ni décisions contraires ni détournement
du sens des termes. Ainsi, selon l’A., la pensée halakhique du R. Auerbach
s’est-elle
mue entre deux pôles, comme son activité de décisionnaire s’est partagée entre deux
mondes, ceux du maintien intégral de la tradition et d’une innovation audacieuse; ce
que l’A., qui appartient à l’Université Bar-Ilan et donc à l’un de ces deux mondes,
dramatise en termes de tension idéologique et qui correspond sans doute à une réalité
sociologique de la division de la société israélienne, mais ce qui est au fond le lot
constant de tout système de droit.
Ces aspects sont traités en trois parties: les sources de l’autorité halakhique; les
principes qui guident la décision; halakhah et modernité. L’A. procède par analyse et
commentaires de responsa authentiques. Outre des index des noms et des titres, celui
des notions permet d’accéder de la manière la plus concrète à la matière halakhique.
Une monographie de ce type fait connaître la pensée d’un auteur de premier plan de
la halakhah vivante à un large public, en même temps qu’elle fournit de la matière
aux philosophes du droit, éthiciens, sociologues et herméneutes.
Jean-Pierre ROTHSCHILD