ANNEXE
Leçon 7: Du socialisme au libéralisme
ANNEXE 3
L'économie israélienne va bien, pas la population
Article de Jacques Benillouche (Slate, 8 août 2011)
Manifestation à Tel-Aviv le 6 août 2011 Nir Elias / Reuters
Dans ce petit pays, dix grandes familles et dix grands groupes contrôlent les
activités économiques essentielles et dégagent des marges anormales profitant de
leur impunité et de leur contrôle du marché.
Des dizaines de milliers d'Israéliens se sont rassemblés dans la soirée samedi 13 août
dans une douzaine de localités du pays pour dénoncer les prix élevés de l'immobilier.
C'est la première fois depuis le début du mouvement de contestation sociale il y a un mois
que des manifestations se tiennent hors de Tel-Aviv et de Jérusalem.
Les manifestations commencent à dévoiler un aspect méconnu de l’économie israélienne:
des inégalités de plus en plus grandes. Les louanges ne manquent pas sur une économie
dynamique, calquée sur celle de la Californie, au point que la majorité des sociétés
préfèrent être cotées au Nasdaq plutôt qu’à la Bourse de Tel-Aviv.
La politique économique mise en place par le ministre des finances du gouvernement
Sharon en 2003, Benjamin Netanyahou, a donné naissance à une génération d’oligarques
née sur le modèle russe. Une grande similitude existe entre la politique israélienne de
réformes et la politique de privatisation de Boris Eltsine.
Réformes brutales
Le premier ministre actuel avait décidé d’audacieuses réformes profondes, souvent
impopulaires parce que marquées du sceau du libéralisme. Netanyahou décida une
baisse importante des impôts couplée avec la refonte du système des retraites et de
l’assurance maladie. Il décida en particulier des réductions drastiques du budget avec une
réduction des allocations de chômage afin de forcer les gens à travailler plutôt qu’à
recevoir des aides de l’Etat. Les populations arabes et les juifs ultra-orthodoxes furent les
premières victimes de ces mesures.
Mais d’une situation de récession, il mena l’économie à une croissance impressionnante:
1.3% en 2003, 4,8 % en 2004, 5,2 % en 2005, 5,1 % en 2006 et 4% en 2010. La Bourse
israélienne retrouva dès la fin 2004 ses records de l'an 2000 tandis que 2006 fut l'année
des records d'investissements étrangers avec un total de plus de 23 milliards de dollars.
Le Bureau Central des statistiques a confirmé que le taux de chômage atteignait 5,7% en
mai 2011, soit le taux le plus bas depuis 20 ans.
Le nouveau budget a été voté avec peu d’avancées sociales alors que toutes les couches
de la population, la classe moyenne et la classe pauvre en particulier, sont à présent
touchées. Certes l'économie israélienne avait été bâtie à l’origine sur le modèle soviétique
des premiers dirigeants travaillistes historiques avec pléthore de bureaucratie.
Le choc imposé à l’économie par Netanyahou fit entrer le pays de plein pied dans le
système capitaliste moderne, sauvage pour certains, caractérisé en Israël par un grand
secteur public doublé d’un secteur industriel en forte croissance faisant d’Israël le second
pays en nombre de sociétés cotées au Nasdaq. D’ailleurs, la dernière crise économique
mondiale n’a pas été ressentie en Israël avec la même intensité qu’en Europe et seules
les entreprises ayant uniquement axé leur développement sur les Etats-Unis ont souffert.
Dix oligarques
Les manifestations actuelles jettent une suspicion sur les odes à la réussite d’Israël dans
le domaine de l'informatique et de la biotechnologie et imposent de parler de l'autre Israël:
celui du vrai pouvoir économique détenu par une dizaine de familles, expliquant ainsi les
similitudes avec l’histoire économique russe.
Israël a réussi à fonder une dynastie d’oligarques qui ont profité de l’aubaine des
privatisations. Dans l’ordre de leur richesse, les dix familles Ofer, Wertheimer, Arisson,
Techouva, Khan, Saban, Federman, Zevledovitz, Steinmetz et Levaïev ont alors touché le
jackpot. Une seule exception cependant pour limiter la comparaison: les privatisations se
sont déroulées en Israël visiblement de manière transparente et sous contrôle d'une
autorité de régulation indépendante.
Ainsi, une dizaine de familles gère l’économie israélienne, en toute transparence. Trois
gros distributeurs se partagent 60% de la grande distribution avec Supersol qui contrôle à
lui seul 40% du marché, imposant ainsi les prix des denrées et les bas salaires de son
personnel. Cette pénétration n'a nul équivalent dans les pays occidentaux. Le premier
distributeur français sous l’enseigne des Centres Leclerc détient 17% du marché
hexagonal, tandis que Wal-Mart contrôle 20% de la distribution au U.S.A et Tesco 25% au
Royaume-Uni.
Les groupes ne se contentent pas d’une activité unique mais ils se diversifient dans tous
les domaines. Le groupe Dankner, qui a conclu en 2010, un accord d’investissement avec
deux nouveaux associés du Qatar et d’Arabie Saoudite, vient de prendre une participation
dans Carrefour. Mais il contrôle d’autres groupes économiques dans le bâtiment, Azorim,
dans les assurances, Clal, et dans les télécommunications, Cellcom.
Il n’existe pas en France de situation qui verrait une seule entité avoir mainmise à la fois
sur les hypermarchés Carrefour, Leclerc et Intermarché, les groupes Bouygues, Axa et
l’opérateur SFR. Les revenus de ce groupe se comptent en milliards de dollars sans que
la classe moyenne israélienne n’ait profité de cette manne.
Deux banques possèdent le monopole de la stratégie bancaire dans un pays où les petites
entités financières font pâle figure. Le groupe Arison contrôle la première banque
israélienne, Bank Hapoalim, avec 40% du marché bancaire laissant la deuxième banque,
Bank Leumi, loin derrière, avec 20%. Par comparaison, les groupes BNP-Paribas et
Société Générale détiennent à peine 32% du marché en France.
Ce monopole bancaire explique d’ailleurs le taux élevé des prélèvements appliqués pour
chaque opération banale. Les utilisateurs se plaignent en permanence de la ponction
anormale qu’ils subissent sur leurs comptes. La compétition est totalement étouffée alors
que la croissance des profits augmente tous les ans et que les guichetiers de banque,
souvent au niveau bac+3, reçoivent un salaire mensuel brut de 820 euros, loin de la
moyenne théorique mathématique des salaires évaluée à 1.600 euros.
L’industriel Haim Saban contrôle la téléphonie Bezeq, l'opérateur mobile Pelephone, et le
réseau de télévision YES. Le marché de l’essence est partagé entre Delek contrôlé par
Itzhak Tshouva, Sonol par les frères Borovich, et Dor-Alon par David Wiessman.
Trois groupes conduits par ce même Itzhak Tshouva contrôlent dès à présent, avec 67%,
l’immense gisement de gaz découvert en mer Méditerranée sur le rivage de la ville de
Haïfa, appelé Léviathan, qui contiendrait la ressource naturelle de gaz la plus importante
du globe.
Marge réduite
Dix familles détiennent ainsi le pouvoir économique en Israël. La première avec 5,2
milliards d’euros de patrimoine et la dixième avec 1,10 milliards d’euros. Aucune d’entre
elles n’a choisi d’entrer en politique pour participer aux décisions de l’Etat mais,
tacitement, le pouvoir politique leur appartient déjà. Fidèle à son option économique ultra-
libérale, le gouvernement a une marge de manœuvres très étroite à moins de légiférer
pour imposer des décisions favorables aux salariés avec une hausse du salaire minimum
ou, comme en France, l’application d’une forme de participation.
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