Philosophie : la matière et l’esprit
Emmanuelle Rozier COURS TERMINALES / Le sujet, la raison et le réel
PROBLEMATISATION
Comment penser l’opposition classique entre ces deux dimensions de la réalité, et leurs
relations ? Faut-il avec un certain courant de la science (et du scientisme) réduire l’esprit
ou la pensée à de la matière (selon la perspective de la réduction physico-chimique) ?
Cette solution moniste (une seule réalité en dernière instance, la matière) a le bénéfice de
simplifier les choses, en évitant de penser un dualisme entre corps et esprit, et la question
épineuse de comment de l’immatériel pourrait-il agir sur du matériel (la question du
mouvement des corps commandé par la volonté), et la question symétrique : comment la
matière peut-elle agir sur des pensées, des états d’âme ou d’esprit ? Par exemple, comment
peut-on connaître si esprit est matière sont de nature complètement hétérogène ? Par quelle
transcendance de la pensée pourrait-elle épouser de la matière ?
NB le monisme n’est pas exclusivement matérialiste (Marx, ou le scientisme actuel), il peut
être à l’inverse spirituel : il n’y a que l’esprit, seul l’esprit est véritablement réel, pour suivre
par exemple Hegel « e réel est rationnel, le rationnel est réel ». Le réel n’est autre que
l’activité de l’esprit déterminant ce qui est en le pensant et le connaissant ; sans pensée, pas
de réel.
Mais le monisme en simplifiant les problèmes du dualisme, ne règle pas tous les problèmes,
il en soulève même d’autres. Comment penser la complexité des processus psychologiques
et de pensée en général à partir des processus matériels connus ? N’est-ce pas seulement
une réduction de l’inconnu au connu, en prenant des modèles scientifiques établis dans leur
champ, mais qui ne correspondent pas nécessairement à ce qu’il y a à connaître.
Comment penser ce que c’est que voir par exemple ? On peut se référer au processus
de la vision, une fois que l’optique a analysé que l’œil fonctionne comme une
camera oscura
(une chambre noire qui inverse l’image, ce qu’on dans l’appareil photographique que l’on
construira au XIXème siècle).
= Mais dire qu’une image se forme au fond de l’œil, est-ce dire que l’on voit ? Je peux
projeter une image sur un écran, elle existe, mais cela ne veut pas dire qu’elle est vue. Et
même à mobiliser le nerf optique, et ses connexions avec le cerveau (y compris en
identifiant les zones de celui-ci sollicitées lors de l’activité de la vision, on ne définit ni
n’explique ce que c’est que voir : non seulement orienter ses yeux par une part de
mouvement réflexes et une autre part volontaire (processus d’attention), mais encore et
surtout repérer et isoler des éléments dans le « divers sensible », dans la masse indistincte
des données sensitives : différentes zones colorées, diverses intensités, mouvement et
stabilités, etc. ; et leur donner un sens, repérer que d ces formes changeantes sont des
« entités » isolées, stables, nommables, connaissables, ce qui suppose que le voir se réfère à
de la mémoire, interprète plutôt les stabilités que les flux, et surtout se connecte sur du
sens : voir c’est une activité de l’esprit, c’est faire sens et interpréter du réel. Voir c’est donc
isoler, découper, trier, rechercher des souvenirs, identifier, sélectionner ce qu’il y a à repérer
(orienter, focaliser). Or tout cela n’est rien d’immédiat, ni d’automatiquement matériel, c’est
un ensemble de processus psychiques qui se développent, et qui se confortent les uns les
autres : on apprend à voir, à savoir voir (le jeune enfant apprend à voir au fur et à mesure
qu’il décode le monde, et notamment qu’il apprend à le nommer).
Est-ce à dire qu’il faut penser de manière dualiste, une matière d’un côté, et une réalité
immatérielle (spirituelle ?) de l’autre ? Le dualisme on l’a vu traîne son lot de problèmes
difficilement solubles, surtout en ce qui concerne les rapports entre matière et esprit, leur