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COURS TERMINALES
La matière et l’esprit
PLAN DU COURS
INTRODUCTION / La matière et l’esprit
PROBLEMATISATION
I) ESPRIT ET RAISON : La raison et le réel
1- L’universalité de la raison
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2- Connaissance immédiate ou médiation par la raison
3- La raison et ses autres
II) ESPRIT ET CORPS : indissociabilité de la matière et de l’esprit
1) Le corps tombeau de l’âme ?
2) Le corps c’est l’homme
3) Qu’est-ce que la matière ?
4) Le corps lieu problématique de l’être
III – La nature de l’esprit
1) L’esprit est liberté pure
2) L’esprit dépend de l’expérience
3) L’esprit et le cerveau, sa matière support ?
Conclusion
AUTEURS ABORDÉS
Platon, Nietzsche, Descartes, Changeux, Hegel.
REPÈRES
Idéal-réel. Abstrait-concret.
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / Le sujet, la matière et l’esprit
Philosophie : la matière et l’esprit
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INTRODUCTION / La matière et l’esprit
ACCROCHE ET POSITION DU PROBLEME
Emmanuelle Rozier
COURS TERMINALES / Le sujet, la raison et le réel
Philosophie : la matière et l’esprit
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PROBLEMATISATION
Comment penser l’opposition classique entre ces deux dimensions de la réalité, et leurs
relations ? Faut-il avec un certain courant de la science (et du scientisme) réduire l’esprit
ou la pensée à de la matière (selon la perspective de la réduction physico-chimique) ?
Cette solution moniste (une seule réalité en dernière instance, la matière) a le bénéfice de
simplifier les choses, en évitant de penser un dualisme entre corps et esprit, et la question
épineuse de comment de l’immatériel pourrait-il agir sur du matériel (la question du
mouvement des corps commandé par la volonté), et la question symétrique : comment la
matière peut-elle agir sur des pensées, des états d’âme ou d’esprit ? Par exemple, comment
peut-on connaître si esprit est matière sont de nature complètement hétérogène ? Par quelle
transcendance de la pensée pourrait-elle épouser de la matière ?
NB le monisme n’est pas exclusivement matérialiste (Marx, ou le scientisme actuel), il peut
être à l’inverse spirituel : il n’y a que l’esprit, seul l’esprit est véritablement réel, pour suivre
par exemple Hegel « e réel est rationnel, le rationnel est réel ». Le réel n’est autre que
l’activité de l’esprit déterminant ce qui est en le pensant et le connaissant ; sans pensée, pas
de réel.
Mais le monisme en simplifiant les problèmes du dualisme, ne règle pas tous les problèmes,
il en soulève même d’autres. Comment penser la complexité des processus psychologiques
et de pensée en général à partir des processus matériels connus ? N’est-ce pas seulement
une réduction de l’inconnu au connu, en prenant des modèles scientifiques établis dans leur
champ, mais qui ne correspondent pas nécessairement à ce qu’il y a à connaître.
Comment penser ce que c’est que voir par exemple ? On peut se référer au processus
de la vision, une fois que l’optique a analysé que l’œil fonctionne comme une camera oscura
(une chambre noire qui inverse l’image, ce qu’on dans l’appareil photographique que l’on
construira au XIXème siècle).
= Mais dire qu’une image se forme au fond de l’œil, est-ce dire que l’on voit ? Je peux
projeter une image sur un écran, elle existe, mais cela ne veut pas dire qu’elle est vue. Et
même à mobiliser le nerf optique, et ses connexions avec le cerveau (y compris en
identifiant les zones de celui-ci sollicitées lors de l’activité de la vision, on ne définit ni
n’explique ce que c’est que voir : non seulement orienter ses yeux par une part de
mouvement réflexes et une autre part volontaire (processus d’attention), mais encore et
surtout repérer et isoler des éléments dans le « divers sensible », dans la masse indistincte
des données sensitives : différentes zones colorées, diverses intensités, mouvement et
stabilités, etc. ; et leur donner un sens, repérer que d ces formes changeantes sont des
« entités » isolées, stables, nommables, connaissables, ce qui suppose que le voir se réfère à
de la mémoire, interprète plutôt les stabilités que les flux, et surtout se connecte sur du
sens : voir c’est une activité de l’esprit, c’est faire sens et interpréter du réel. Voir c’est donc
isoler, découper, trier, rechercher des souvenirs, identifier, sélectionner ce qu’il y a à repérer
(orienter, focaliser). Or tout cela n’est rien d’immédiat, ni d’automatiquement matériel, c’est
un ensemble de processus psychiques qui se développent, et qui se confortent les uns les
autres : on apprend à voir, à savoir voir (le jeune enfant apprend à voir au fur et à mesure
qu’il décode le monde, et notamment qu’il apprend à le nommer).
Est-ce à dire qu’il faut penser de manière dualiste, une matière d’un côté, et une réalité
immatérielle (spirituelle ?) de l’autre ? Le dualisme on l’a vu traîne son lot de problèmes
difficilement solubles, surtout en ce qui concerne les rapports entre matière et esprit, leur
Emmanuelle Rozier
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Philosophie : la matière et l’esprit
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« embrayage » notamment en terme de connaissance : connaît-on la réalité même, ou
seulement ce qui en elle, ou d’elle, se laisse appréhender par notre capacité de connaître,
autrement dit ce qui est rationnel, perceptible par les processus perceptifs humains ? Si l’on
connaît la réalité même, cela revient à dire qu’il y a une sorte de miracle à ce que la réalité
soit rationnelle, transparente à la raison, appréhendable par elle.
Qu’on assume une position moniste, ou dualiste, ou bien qu’on tente de neutraliser ces
enjeux en adoptant une position neutre, il faut, en sciences « dures » (sciences de la nature,
sciences dites expérimentales, auxquelles on ajoutera les mathématiques) comme en
sciences de l’homme faire face à cette articulation du sens et de la matière.
On peut chercher à éviter de parler d’esprit ou d’âme, pour ne pas s’inscrire dans un champ
théorique qui postule un dualisme, sans toutefois décider d’assumer un monisme strict, et on
parlera de psychisme. Mais dans tous les cas, que ce soit un monde proprement humain, où
la connaissance du réel se nuance d’imaginaire, de représentations, de croyances, de prises
de position (politiques, morales, religieuses, culturelles au sens large), et où il faut tenter
d’objectiver ces relations de la pensée et du réel, ou que ce soit dans le monde des sciences
expérimentales, où l’on entend connaître le réel lui-même, mais en lui imposant des modèles
théoriques qui ne sont autres que des manières de comprendre ce qui est, en le formalisant
dans des déterminations de pensée.
Il ne s’agit pas pour nous en introduction de régler le problème, mais simplement d’essayer
de mettre le doigt dessus : la tension entre matière et esprit, raison et réel n’est pas facile à
résorber, et elle est un objet privilégié de pensée des philosophes et des scientifiques depuis
plus de 25 siècles.
A retenir :
La matière et l’esprit s’opposent et se complètent pour former l’ensemble du réel : ce qui
pense d’un côté (l’esprit), ce qui est pensé de l’autre (la matière). Aux extrêmes, deux
philosophies s’opposent :
- le spiritualisme, pour qui la matière n’a pas d’existence réelle, seul l’esprit en a ;
- et de l’autre côté, le matérialisme, pour qui tout est matière, même l’esprit.
Si esprit et matière sont deux genres différents de réalité, comment peuvent-ils être liés ?
Comment l’esprit peut-il agir sur le corps ? Comment la matière peut-elle agi sur l’esprit ? La
matière et l’esprit s’opposent-ils vraiment ? Ce dualisme a-t-il un sens ? Peut-on réduire la
matière à l’esprit ? Ou l’esprit à la matière ? Qu’est-ce que la matière ? Elle semble ce qu’il y
a de plus concret, de plus réel, mais sait-on ce qu’elle est ? Quels rapport entre ce que la
science nous donne à penser de l’infiniment petit, de l’infiniment grand, et ce qui se laisse
appréhender à l’échelle de notre expérience commune ?
Emmanuelle Rozier
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I) ESPRIT ET RAISON : La raison et le réel
La philosophie se méfie, depuis son origine, de ce qui apparaît, car ce dont nous faisons
expérience, par les sens, est trompeur. Elle se défie également de ce qui se transmet par
« on dit », sans vérification ni des sources, ni de la méthode qui permet d’acquérir ces
informations : elle a donc une activité critique des savoirs communs que sont l’expérience
immédiate par la perception d’une part, et l’opinion ou la croyance d’autre part. Elle entend
construire une connaissance scientifique car rationnelle (par concepts) de la réalité (la
nature, physique et biologique, et le monde humain).
Il y a une certaine opposition entre la voie de la construction théorique et celle
consistant à s’en tenir aux leçons de l’expérience. Entre, d’une part, une voie où la faculté
de raisonner est menée par son élan à élaborer des notions, des principes d’explication, des
déductions dont l’ensemble est dit constituer une théorie ; d’autre part, une voie où l’on
considère qu’il n’est de guide plus sûr et plus fidèle pour la connaissance humaine que la
perception que nous avons des choses mêmes, autrement dit de l’expérience que nous
faisons de ce qui tombe sous le sens. La faculté rationnelle et la faculté empirique, dit ainsi
Francis BACON (Novum organum) en appelant à leur « mariage vrai et légitime » pour
constituer la méthode véritable, commandent deux types de démarche. La première est
caractérisée par un empressement et une certaine suffisance de l’esprit trop prompt à
s’abandonner, pour ainsi dire, à son élan théorique. La seconde l’est par la prudence et
l’humilité qui consiste pour l’entendement à se maintenir auprès des choses, des exemples,
de l’expérience, en ne s’éloignant, écrit bacon, évoquant l’image de la vision, qu’autant qu’un
certain recul peut être nécessaire pour une bonne perception de l’objet.
Considérer que la démarche empirique est la seule méthode véritable pour arriver à la
connaissance vraie, c’est demander que toute proposition que nous formulons soit réductible
à l’énoncé d’un fait d’expérience sous peine de n’être, sinon, que pure abstraction
creuse. Ainsi cette exigence devient-elle la marque même du positivisme, sous toutes ses
formes, lorsqu’elle aboutit à se mise hors jeu de ce qui apparaît alors comme l’exemple par
excellence de l’échafaudage théorique : la métaphysique dont les énoncés concernent des
objets – Dieu, l’âme, le monde, la création, etc. – qui sont situés au-delà de toute expérience
possible.
1- L’universalité de la raison
La raison peut se définir brièvement comme la capacité de raisonner. Chaque homme en
est doté, comme par nature. Même si elle s’éduque, c’est-à-dire se développe avec le temps
et avec une éducation (qu’elle soit particulière ou publique, voire nationale).
On peut en faire une faculté spécifique de l’esprit humain, en affirmant qu’elle se sépare
d’autres facultés humaines, comme la perception, la faculté d’être affecté (par le plaisir et la
peine), l’imagination, la mémoire, ou même l’entendement, etc. ; mais l’on peut refuser de
construire des entités psychiques qui soient des êtres, comme des zones ou régions de
l’esprit, cette capacité, n’en existe pas moins.
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Tout homme peut raisonner. Cette universalité est ce que DESCARTES décrit dans
l’ouverture de son Discours de la méthode :
“ Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien
pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont
point coutume d’en désirer plus qu’ils n’en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se
trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai
d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme bon sens ou raison est naturellement
égale entre tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce
que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous
conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce
n’est pas assez d’avoir de l’esprit, mais le principal est de l’appliquer bien ”.
Selon Descartes, tout homme est doué de raison. Il identifie raison et bon sens. Il y aurait
alors une identité entre les hommes car tous seraient doués de cette faculté rationnelle. Les
différences seraient alors dues à la manière de conduire cette raison. Certains le font selon
une méthode rigoureuse et ordonnée, d’autres n’en font qu’un usage limité, voire erroné, par
manque de responsabilité envers eux-mêmes. Descartes institue donc une égalité de fait
entre les hommes, et reporte toute la responsabilité du mauvais usage de la raison sur
l’éducation
3 ÉLÉMENTS forment ce qu’est la raison et la perfection de l’esprit :
- imagination
- pensée vive
- mémoire
La raison n’est pas une faculté comme les autres, elle est ce qui va permettre d’atteindre à
une forme de perfection ; ce qui est original chez Descartes c’est que pour lui, et il rend la
chose quasi définitive, la raison est universelle. Elle est en chacun, à part égale. Seul l’usage
que l’on en fait peut différer.
2- Connaissance immédiate ou médiation par la raison
C’est que la conscience, qui est toujours conscience de quelque chose – il n’y a pas de
conscience vide – ne consiste pas uniquement en une perception immédiate.
L’immédiateté de l’ici et du maintenant (hic et nunc) est une connaissance tout à fait
limitée car toujours changeante, soumise aux caprices de l’instant, de ce que je peux et
décide de percevoir maintenant. Ce n’est pas une véritable connaissance.
La véritable connaissance implique la réflexivité de la conscience devenue raison.
En quoi se distingue-t-elle de la simple conscience ? En ce qu’elle n’est pas simplement
aperception de ses objets, mais examen critique, usant de la réflexivité pour juger.
La raison se détermine donc comme doute vis-à-vis de ce que nous prenions pour vrai
auparavant. L’usage de la raison ne consiste donc pas seulement à apprendre des
choses que l’on nous enseignerait, mais à les penser, à prendre de la distance avec ces
connaissances, pour se demander s’il ne s’agit pas de croyances infondées. C’est le geste de
Descartes qui l’amenait à douter de tout : il ne voulait rien tenir pour vrai de ce qu’on lui
avait appris, et tenter de fonder en raison tout le savoir sur des bases certaines et évidentes.
L’on voit en quoi l’usage de la conscience réflexive supposait celui de la raison. La conscience
n’est véritablement source de connaissance que si elle raisonne.
Pourquoi ?
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3- La raison et ses autres
Car les sens ne sauraient suffire.
Car ce qu’on nous aura appris, pourra l’avoir été dans une perspective de faire agir sur
nous, en nous et par nous une ou des autorités : c’est le ressort de la croyance. C’est
parce que la raison est, de fait, le moyen d’examiner et de rejeter l’argument d’autorité, i.e.
de douter et de critiquer les croyances : celles de notre famille, de notre groupe social, de
notre religion, etc.
En ce sens, la raison s’oppose aux habitudes que nous avons contractées, notamment
par notre éducation. Elle seule permet la mise à distance de ce qu’immédiatement nous
prendrions pour vrai, en l’interrogeant, c’est-à-dire en en demandant les raisons.
Mais il faut prendre garde que la raison ne devienne pas une tradition en elle-même,
qui domine les autres savoirs forte d’une supériorité passée : elle doit toujours s’exercer avec
vigilance ; on ne doit pas la déléguer. Si l’on accepte que d’autres pensent pour nous, on
retombe dans le fonctionnement de l’autorité.
Or c’est en partie ce que nous vivons avec l’extension sans cesse croissance de la
différenciation sociale et technique, de la division du travail et de la constitution, dans nos
sociétés extrêmement complexes, d’“élites ” technocratiques qui confisquent la gestion, et
donc la décision en ce qui concerne la chose publique (la politique ou la république). Il y a
une tendance à la réduction de la raison à des procédures (technocratie) ou à une
tradition (rationalisme dogmatique) qui interdit le recours au “ bon sens ” critique de
chacun, i.e. qui va contre le libre et nécessaire exercice de la raison.
La raison, dans son exercice réflexif, doit se méfier de ses propres tendances
dominatrices et donc se critiquer elle-même. (Rejet du dogmatisme et distanciation
d’avec la magie et la religion.)
Conserver cependant un objet pour ne pas tomber dans le rejet de toute croyance, et ne
rien tenir pour vrai : scepticisme. La vérité est son objet.
A retenir
Connaître : ce n’est pas sentir, éprouver, comme font les bêtes ; mais c’est juger de
façon rationnelle. La vérité n’est pas dans ce qu’on voit, dans ce qu’on sent par le corps et
les organes des sens, mais dans le jugement rationnel. Seule la raison connaît
véritablement. Elle est la vérité de la connaissance ; et la connaissance de la
vérité. Car le vrai ne s’atteint pas dans l’immédiat, ou l’affect, mais dans la médiation de la
connaissance et dans la réflexion.
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II) ESPRIT ET CORPS : indissociabilité de la matière et de
l’esprit
Nous l’avons vu un des problème concernant l’esprit c’est paradoxalement son rapport au
corps. Peut-on penser l’esprit sans le corps quand on s’intéresse à l’homme ? Cela semble
difficile. Pourtant tout rapport esprit-corps est problématique en soi et doit être interrogé.
1) Le corps tombeau de l’âme ?
Platon : la question du corps pour Platon prend place dans deux dimensions de sa vie et de
son œuvre :
- la condamnation à mort de Socrate à boire la ciguë
- le système du ciel des idées
La mort pour Platon est l’horizon de la philosophie, de toute vie philosophique, la philosophie
doit préparer notre âme à ce qui se présente comme une libération. La mort de Socrate
montrera l’exemple : sur son lit de mort, il argumente, discute, échange tranquillement.
Socrate, par David.
Le corps (soma en grecque) est un tombeau (sema) ou la prison de l’âme
immortelle. Le corps suscite confusion et trouble, il nous détourne de ce qui compte
vraiment : le raisonnement, le dialogue de l’âme avec elle-même, la connaissance de ce qui
est par l’intellect.
Platon représente l’âme sous la forme d’une tripartition qui implique un rapport au corps
comme localisation symbolique de nos étages.
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L’âme est un attelage dont le cocher, la raison doit conduire vers le bien.
Le corps nous enchaine dans la caverne du sensible, il fait de l’ombre à la lumière des idées
qui seule a de la valeur aux yeux du système platonicien.
Socrate — Il suit de toutes ces considérations, poursuivit-il, que les vrais philosophes doivent
penser et se dire entre eux des choses comme celles-ci : Il semble que la mort est un
raccourci qui nous mène au but, puisque, tant que nous aurons le corps associé à la raison
dans notre recherche et que notre âme sera contaminée par un tel mal, nous n’atteindrons
jamais complètement ce que nous désirons et nous disons que l’objet de nos désirs, c’est la
vérité. Car le corps nous cause mille difficultés par la nécessité où nous sommes de le
nourrir ; qu’avec cela des maladies surviennent, nous voilà entravés dans notre chasse au
réel. Il nous remplit d’amours, de désirs, de craintes, de chimères de toute sorte,
d’innombrables sottises, si bien que, comme on dit, il nous ôte vraiment et réellement toute
possibilité de penser. Guerres, dissensions, batailles, c’est le corps seul et ses appétits qui en
sont cause ; car on ne fait la guerre que pour amasser des richesses et nous sommes forcés
d’en amasser à cause du corps, dont le service nous tient en esclavage. La conséquence de
tout cela, c’est que nous n’avons pas de loisir à consacrer à la philosophie. Mais le pire de
tout, c’est que, même s’il nous laisse quelque loisir et que nous nous mettions à examiner
quelque chose, il intervient sans cesse dans nos recherches, y jette le trouble et la confusion
et nous paralyse au point qu’il nous rend incapables de discerner la vérité. Il nous est donc
effectivement démontré que, si nous voulons jamais avoir une pure connaissance de quelque
chose, il nous faut nous séparer de lui et regarder avec l’âme seule les choses en ellesmêmes. Nous n’aurons, semble-t-il, ce que nous désirons et prétendons aimer, la sagesse,
qu’après notre mort, ainsi que notre raisonnement le prouve, mais pendant notre vie, non
pas. Si en effet il est impossible, pendant que nous sommes avec le corps, de rien connaître
purement, de deux choses l’une : ou bien cette connaissance nous est absolument interdite,
ou nous l’obtiendrons après la mort ; car alors l’âme sera seule elle-même, sans le corps,
mais auparavant, non pas. Tant que nous serons en vie, le meilleur moyen, semble-t-il,
d’approcher de la connaissance, c’est de n’avoir, autant que possible, aucun commerce ni
communion avec le corps, sauf en cas d’absolue nécessité, de ne point nous laisser
contaminer de sa nature, et de rester purs de ses souillures, jusqu’à ce que Dieu nous en
délivre. Quand nous nous serons ainsi purifiés, en nous débarrassant de la folie du corps,
nous serons vraisemblablement en contact avec les choses pures et nous connaîtrons par
nous-mêmes tout ce qui est sans mélange, et c’est en cela sûrement que consiste le vrai ;
pour l’impur, il ne lui est pas permis d’atteindre le pur. Voilà, j’imagine, Simmias, ce que
doivent penser et se dire entre eux tous les vrais amis du savoir. N’es-tu pas de cet avis ?
Platon, Phédon.
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Allégorie de la caverne : cette allégorie (représentation imagée d’une idée ou d’une
pensée) est très classique, il faut la connaitre. C’est la manière pour Platon de parler du
travail philosophique qui est conquête d’une connaissance que notre âme possède déjà.
Cette allégorie est présente dans la République, livre VII.
SOCRATE (S) - Maintenant, représente-toi notre nature selon qu'elle a été instruite ou ne l'a
pas été, sous des traits de ce genre: imagine des hommes dans une demeure souterraine,
une caverne, avec une large entrée, ouverte dans toute sa longueur à la lumière: ils sont là
les jambes et le cou enchaînés depuis leur enfance, de sorte qu'ils sont immobiles et ne
regardent que ce qui est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La
lumière leur parvient d'un feu qui, loin sur une hauteur, brûle derrière eux; et entre le feu et
les prisonniers s'élève un chemin en travers duquel imagine qu'un petit mur a été dressé,
semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, audessus desquelles ils font voir leurs marionnettes.
GLAUCON (G) - Je vois.
S. - Imagine le long du mur des hommes qui portent toutes sortes d'objets qui dépassent le
mur; des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois, faits de toutes sortes de
matériaux; parmi ces porteurs, naturellement il y en a qui parlent et d'autres qui se taisent.
G. - Voilà un étrange tableau et d'étranges prisonniers.
S. - Ils nous ressemblent. Penses-tu que de tels hommes aient vu d'eux-mêmes et des uns
et des autres autre chose que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui
leur fait face?
G. - Comment cela se pourrait-il, en effet, s'ils sont forcés de tenir la tête immobile pendant
toute leur vie?
S. - Et pour les objets qui sont portés le long du mur, est-ce qu'il n'en sera pas de même?
G. - Bien sûr.
S. - Mais, dans ces conditions, s'ils pouvaient se parler les uns aux autres, ne penses-tu pas
qu'ils croiraient nommer les objets réels eux-mêmes en nommant ce qu'ils voient?
G. - Nécessairement.
S. - Et s'il y avait aussi dans la prison un écho que leur renverrait la paroi qui leur fait face?
Chaque fois que l'un de ceux qui se trouvent derrière le mur parlerait, croiraient-ils entendre
une autre voix, à ton avis, que celle de l'ombre qui passe devant eux?
G. - Ma foi non.
S. - Non, de tels hommes ne penseraient absolument pas que la véritable réalité puisse être
autre chose que les ombres des objets fabriqués.
G. - De toute nécessité.
S. - Envisage maintenant ce qu'ils ressentiraient à être délivrés de leurs chaînes et à être
guéris de leur ignorance, si cela leur arrivait, tout naturellement, comme suit: si l'un d'eux
était délivré et forcé soudain de se lever, de tourner le cou, de marcher et de regarder la
lumière; s'il souffrait de faire tous ces mouvements et que, tout ébloui, il fût incapable de
regarder les objets dont il voyait auparavant les ombres, que penses-tu qu'il répondrait si on
lui disait que jusqu'alors il n'a vu que des futilités mais que, maintenant, plus près de la
réalité et tourné vers des êtres plus réels, il voit plus juste; lorsque, enfin, en lui montrant
chacun des objets qui passent, on l'obligerait à force de questions à dire ce que c'est, ne
penses-tu pas qu'il serait embarrassé et trouverait que ce qu'il voyait auparavant était plus
véritable que ce qu'on lui montre maintenant?
G. - Beaucoup plus véritable.
S. - Si on le forçait à regarder la lumière elle-même, ne penses-tu pas qu'il aurait mal aux
yeux, qu'il la fuirait pour se retourner vers les choses qu'il peut voir et les trouverait vraiment
plus distinctes que celles qu'on lui montre?
G. - Si.
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S. - Mais si on le traînait de force tout au long de la montée rude, escarpée, et qu'on ne le
lâchât pas avant de l'avoir tiré dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu'il souffrirait
et s'indignerait d'être ainsi traîné; et que, une fois parvenu à la lumière du jour, les yeux
pleins de son éclat, il ne pourrait pas discerner un seul des êtres appelés maintenant
véritables?
G. - Non, du moins pas sur le champ.
S. - Il aurait, je pense, besoin de s'habituer pour être en mesure de voir le monde d'en haut.
Ce qu'il regarderait le plus facilement d'abord, ce sont les ombres, puis les reflets des
hommes et des autres êtres sur l'eau, et enfin les êtres eux-mêmes. Ensuite il contemplerait
plus facilement pendant la nuit les objets célestes et le ciel lui-même - en levant les yeux
vers la lumière des étoiles et de la lune - qu'il ne contemplerait, de jour, le soleil et la
lumière du soleil.
G. - Certainement.
S. - Finalement, je pense, c'est le soleil, et non pas son image dans les eaux ou ailleurs, mais
le soleil lui-même à sa vraie place, qu'il pourrait voir et contempler tel qu'il est.
G. - Nécessairement.
S. - Après cela il en arriverait à cette réflexion, au sujet du soleil, que c'est lui qui produit les
saisons et les années, qu'il gouverne tout dans le monde visible, et qu'il est la cause, d'une
certaine manière, de tout ce que lui-même et les autres voyaient dans la caverne.
G. - Après cela, il est évident que c'est à cette conclusion qu'il en viendrait.
S. - Mais quoi, se souvenant de son ancienne demeure, de la science qui y est en honneur,
de ses compagnons de captivité, ne penses-tu pas qu'il serait heureux de son changement et
qu'il plaindrait les autres?
G. - Certainement.
S. - Et les honneurs et les louanges qu'on pouvait s'y décerner mutuellement, et les
récompenses qu'on accordait à qui distinguait avec le plus de précision les ombres qui se
présentaient, à qui se rappelait le mieux celles qui avaient l'habitude de passer les
premières, les dernières, ou ensemble, et à qui était le plus capable, à partir de ces
observations, de présager ce qui devait arriver: crois-tu qu'il les envierait? Crois-tu qu'il
serait jaloux de ceux qui ont acquis honneur et puissance auprès des autres, et ne
préférerait-il pas de loin endurer ce que dit Homère: "être un valet de ferme au service d'un
paysan pauvre", plutôt que de partager les opinions de là-bas et de vivre comme on y vivait.
G. - Oui, je pense qu'il accepterait de tout endurer plutôt que de vivre comme il vivait.
S. - Et réfléchis à ceci: si un tel homme redescend et se rassied à la même place, est-ce qu'il
n'aurait pas les yeux offusqués par l'obscurité en venant brusquement du soleil?
G. - Si, tout à fait.
S. - Et s'il lui fallait à nouveau donner son jugement sur les ombres et rivaliser avec ces
hommes qui ont toujours été enchaînés, au moment où sa vue est trouble avant que ses
yeux soient remis - cette réaccoutumance exigeant un certain délai - ne prêterait-il pas à
rire, ne dirait-on pas à son propos que pour être monté là-haut, il en est revenu les yeux
gâtés et qu'il ne vaut même pas la peine d'essayer d'y monter; et celui qui s'aviserait de les
délier et de les emmener là-haut, celui-là s'ils pouvaient s'en emparer et le tuer, ne le
tueraient-ils pas?
G. - Certainement.
S. - Ce tableau, il faut l'appliquer entièrement à ce qu'on a dit auparavant: en assimilant le
monde visible au séjour de la prison, et la lumière du feu au rayonnement du soleil. Et si tu
poses que la montée et la contemplation des réalités d'en haut représentent l'ascension de
l'âme vers le monde intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pensée, puisque tu désires la
connaître; et Dieu sais si elle est vraie. Voici comment les choses se présentent pour moi: à
l'extrémité du monde intelligible, est l'idée du Bien, qui peut à peine être contemplée mais
qu'on ne peut voir sans conclure qu'elle est bien la cause de tout ce qu'il y a de rectitude et
de beauté dans le monde: dans le monde visible, elle engendre la lumière et sa source
Emmanuelle Rozier
COURS TERMINALES / Le sujet, la raison et le réel
Philosophie : la matière et l’esprit
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souveraine, et dans le monde intelligible, souveraine, elle dispense intelligence et vérité; et
c'est elle qu'il faut contempler pour agir sagement dans la vie privée comme dans la vie
publique.
G. - Je suis de ton avis, autant que je puis te suivre.
S. - Allez, suis-moi encore sur ce point: ne t'étonne pas si ceux qui sont arrivés jusque là ne
veulent plus conduire les affaires humaines et si leurs âmes sont impatientes de rester
toujours à cette hauteur. Ce qui est bien naturel si l'on se rapporte à notre allégorie de tout
à l'heure.
G. - Oui, c'est naturel.
S. - Mais quoi! Penses-tu qu'il soit étonnant que passant des contemplations divines aux
misérables visions humaines, on soit maladroit et paraisse tout à fait ridicule quand, la vue
encore troublée, avant de s'être habitué à l'obscurité environnante, on est obligé d'entrer en
dispute devant les tribunaux ou ailleurs sur les ombres de justice ou sur les images qui
projettent ces ombres et de s'escrimer avec acharnement contre l'interprétation de ceux qui
n'ont jamais vu la justice elle-même.
G. - Ce n'est pas du tout étonnant.
S. - Un homme sensé se rappellera qu'il y a deux sortes de troubles de la vue, dus à deux
causes différentes: le passage de la lumière à l'obscurité et le passage de l'obscurité à la
lumière. Songeant que ceci vaut également pour l'âme, quand on verra une âme troublée et
incapable de discerner quelque chose, on se demandera si venant d'une existence plus
lumineuse, elle est aveuglée faute d'habitude, ou si, passant d'une plus grande ignorance à
une existence plus lumineuse, elle est éblouie par son trop vif éclat. Dans le premier cas,
alors, on se réjouirait de son état et de l'existence qu'elle mène; dans le second cas on la
plaindrait, et si l'on voulait en rire, la raillerie serait moins ridicule que si elle s'adressait à
l'âme qui redescend de la lumière.
Platon, République Livre VII
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Pour autant, Platon ne prônait pas un mépris total du corps. Un certain rapport au
corps peut nous conduire à la lumière et au beau. Il pense les conditions qui peuvent nous
conduire d’un beau corps à une conception plus idéelle de la beauté en soi. L’amour ici joue
un rôle de tremplin vers l’intelligible. Le corps en ce sens est aussi un miroir de ce qu’est
l’âme, un signe de la qualité morale d’un individu. Les grecs accordaient beaucoup
d’attention à leur corps, à son hygiène comme à sa forme générale.
Socrate ici fait figure de cas particulier : possédant un corps laid, il était aimé et reconnu
comme le plus sage des hommes, la plus belle des âmes.
Celui qu'on aura guidé jusqu'ici sur le chemin de l'amour, après avoir contemplé les belles
choses dans une gradation régulière, arrivant au terme suprême, verra soudain une beauté
d'une nature merveilleuse, celle-là même, Socrate, qui était le but de tous ses travaux
antérieurs, beauté éternelle qui ne connaît ni la naissance ni la mort, qui ne souffre ni
accroissement ni diminution, beauté qui n'est point belle par un côté, laide par un autre,
belle en un temps, laide en un autre, belle sous un rapport, laide sous un autre, belle en tel
lieu, laide en tel autre, belle pour ceux-ci, laide pour ceux-là ; beauté qui ne se présentera
pas à ses yeux comme un visage, ni comme des mains, ni comme une forme corporelle, ni
comme un raisonnement, ni comme une science, ni comme une chose qui existe en autrui,
par exemple dans un animal, dans la terre, dans le ciel ou dans telle autre chose ; beauté
qui, au contraire, existe en elle-même et par elle-même, simple et éternelle, de laquelle
participent toutes les autres belles choses, de telle manière que leur naissance ou leur mort
ne lui apporte ni augmentation, ni amoindrissement, ni altération d'aucune sorte. Quand on
s'est élevé des choses sensibles par un amour bien entendu des jeunes gens jusqu'à cette
beauté et qu'on commence à l'apercevoir, on est bien près de toucher au but ; car la vraie
voie de l'amour, qu'on s'y engage de soi-même ou qu'on s'y laisse conduire, c'est de partir
des beautés sensibles et de monter sans cesse vers cette beauté surnaturelle en passant
comme par échelons d'un beau corps à deux, de deux à tous, puis des beaux corps aux
belles actions, puis des belles actions aux belles sciences, pour aboutir des sciences à cette
science qui n'est autre chose que la science de la beauté absolue et pour connaître enfin le
beau tel qu'il est en soi. Si la vie vaut jamais la peine d'être vécue, cher Socrate, dit
l'étrangère de Mantinée, c'est à ce moment où l'homme contemple la beauté en soi.
Platon, Le Banquet, 210 c
TRANSITION / FILMS EXTRAITS :
Et si l’esprit n’avait pas de corps ?
* Johnny s’en va-t’en guerre
* Le scaphandre et le papillon
Deux films et un texte relatant une expérience vécue vont nous permettre d’aller vers des
conceptions différentes du corps.
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2) Le corps c’est l’homme
PRESENTATION DE NIETZSCHE
Naît en 1844 d’un père pasteur qui meurt quand il n’a que 4 ans ; il sera élevé entouré de
femmes : d’une mère autoritaire puis d’une sœur qui se mariera avec un antisémite fasciste
et vendra son œuvre – en la pervertissant – aux nazis. Elle livrera ses derniers écrits publiés
sous le nom de Volonté de puissance aux nazis et en fera le penseur du national-socialisme.
Il faut de brillantes études de philologie science du langage et aura même un poste à
l’Université de Bâle. Mais sa vocation est la philosophie.
Il se liera d’amitié avec Wagner qui est alors une figure intellectuelle et artistique majeure en
Allemagne.
La maladie (un trouble nerveux qui lui causa de très graves migraines et le conduisit à la
folie) l’oblige à quitter l’Université. Il vit alors dans des meublés, en Suisse, Italie et dans le
midi de la France.
En 1889 il est interné suite à une crise qui a lieu devant un cheval battu par son cocher à
Turin sur la place Santa Maria. Il meurt en 1900.
Racines de sa pensée :
- la pensée grecque dont il tire de nombreuses inspirations notamment la distinction
entre apollinien et dionysiaque. Il s’intéresse aux présocratiques les préférant et les
opposant à Socrate et Platon dont il renverse la philosophie.
- L’éternel retour des stoïciens.
- La philosophie de Schopenhauer (EXPLIQUER) qui le bouleverse et l’imprègne mais
dont il rejettera le pessimisme.
- L’analyse critique des textes et de la langues, à travers sa formation philologique.
- L’art auquel il s’initie dans son amitié avec Wagner à qui il reprochera le ton de
kermesse, l’adhésion à l’empire et avec lequel il se brouillera définitivement.
Apports conceptuels :
- Il traque les arrières-mondes sous toutes leurs formes : c'est-à-dire la préférence
pour d’autres mondes, d’autres zones de valeurs, que celle du sensible ici-bas.
- Volonté de puissance comme énergie conquérante et dominatrice comme volonté
d’un surplus de force active, faculté créatrice, et plénitude de l’âme ; création
donation.
- Le surhomme : l’homme livre d’esprit et de cœur, créateur, point le plus haut de ce
que peut l’homme.
- Ressentiment : mode de vie de l’esclave qui s’y complet, ne vit pas vraiment ;
sentiment de rancune et d’amertume, à l’origine des valeurs morales qui visent à
canaliser la puissance créatrice de l’homme fort.
Ecoute du document audio de François Châtelet.
----------------------------------------------------------------------------------------------Pour Nietzsche le corps, c’est l’homme au sens ou il ne croit pas à des qualités
suprasensibles qui définiraient l’homme.
Il écrit dans Zarathoustra (PRESENTER) « Je suis corps de part en part, et rien hors de
cela » (I, « des contempteurs du corps »). Pour lui la conscience la raison sont ramenés à
des aspects particuliers de la vie du corps qui ne possède d’unité que par son organisation.
Toutefois, en précurseur de Freud, Nietzsche envisage des dimensions pulsionnelles dont le
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corps serait le siège. C’est-à-dire qu’il ne réduit pas l’homme strictement à son corps mais
accepte une dimension psychique : il pense le corps comme structure sociale composée de
nombreuses âmes. Paradoxal puisque Nietzsche ici ramène la conscience et la raison à
quelque chose qui appartient au corps tandis que le corps lui est pensé comme multitude
d’âmes…
Pour lui santé et philosophie sont liés, et on passe par autant de philosophies que d’états de
santé.
Morale et physiologie. — Nous considérons que c’est par une conclusion prématurée que la
conscience humaine a été si longtemps tenue pour le degré supérieur de l’évolution
organique et la plus surprenante des choses terrestres, voir comme leur efflorescence
suprême et leur terme. Ce qui est plus surprenant, c’est bien plutôt le corps : on ne se lasse
pas de s’émerveiller à l’idée que le corps humain est devenu possible ; que cette collectivité
inouïe d’êtres vivants, tous dépendants et subordonnés, mais en un autre sens dominants et
doués d’activité volontaire, puisse vivre et croître à la façon d’un tout, et subsister quelque
temps — : et, de toute évidence, cela n’est point dû à la conscience. Dans ce « miracle des
miracles », la conscience n’est qu’un « instrument », rien de plus, — dans le même sens où
l’estomac en est un instrument. La splendide cohésion des vivants les plus multiples, la
façon dont les activités supérieures et inférieures s’ajustent et s’intègrent les unes aux
autres, cette obéissance multiforme, non pas aveugle, bien moins encore mécanique, mais
critique, prudente, soigneuse, voir rebelle — tout ce phénomène du « corps » est, au point
de vue intellectuel, aussi supérieur à notre conscience, à notre « esprit », à nos façons
conscientes de penser, de sentir et de vouloir, que l’algèbre est supérieure à la table de
multiplication. L’« appareil neuro-cérébral » n’a pas été construit avec cette « divine »
subtilité dans la seule intention de produire la pensée, la sensation, la volonté. Il me semble
tout au contraire que justement pour produire le penser, le sentir et le vouloir, il n’est nul
besoin d’un « appareil », mais que ces phénomènes, et eux seuls, sont « la chose ellemême ». Tout au contraire, cette prodigieuse synthèse d’êtres vivants et d’intellects qu’on
appelle l’« homme » ne peut vivre que du moment où a été créé ce système subtil de
relations et de transmissions et par là l’entente extrêmement rapide entre tous ces êtres
supérieurs et inférieurs — cela grâce à des intermédiaires tous vivants ; mais ce n’est pas là
un problème de mécanique, c’est un problème moral. Nous nous sommes désormais interdit
les divagations qui ont trait à l’« unité », à l’« âme », à la « personnalité » ; de pareilles
hypothèses compliquent le problème, c’est bien clair. Et même ces êtres vivants
microscopiques qui constituent notre corps (ou plutôt dont la coopération ne peut être mieux
symbolisée que par ce que nous appelons notre « corps » —) ne sont pas pour nous des
atomes spirituels, mais des êtres qui croissent, luttent, s’augmentent ou dépérissent : si bien
que leur nombre change perpétuellement et que notre vie, comme toute vie, est en même
temps une mort perpétuelle. Il y a donc dans l’homme autant de « consciences » qu’il y a
d’êtres (à chaque instant de son existence) qui constituent son corps. Ce qui distingue ce
« conscient » que d’habitude on s’imagine unique, l’intellect, c’est justement qu’il demeure
protégé et exclu de ces diverses consciences ; c’est qu’il est un conscience de rang
supérieur, une collectivité régnante, une aristocratie, et de ce fait on ne lui présente qu’un
choix d’expériences, et d’expériences simplifiées, faciles à dominer du regard et à saisir,
donc falsifiées — afin que de son côté il persiste dans ce travail de simplification et de
clarification, donc de falsification, et prépare ce qu’on appelle communément un « vouloir »,
— chacun de ces actes volontaires suppose en quelque sorte l’élection d’un dictateur. Mais
ce qui offre ce choix à notre intellect, ce qui a au préalable simplifié, égalisé, interprété les
expériences, ce n’est certainement pas ce même intellect, pas plus qu’il n’est celui qui
exécute la volonté, qui recueille une représentation pâle, diffuse et extrêmement inexacte de
la valeur et de la force, pour en faire de la force vivante et des mesures exactes de la valeur.
Et cette même opération qui s’accomplit ici doit se répéter sans cesse à tous les degrés
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Philosophie : la matière et l’esprit
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inférieurs, dans la relation de tous ces êtres supérieurs et inférieurs entre eux ; ce même
choix, cette même représentation d’expériences, cette façon d’abstraire et de grouper, ce
vouloir, cette traduction d’un vouloir toujours très vague en activité définie. Guidés par le fil
conducteur du corps, comme je l’ai dit, nous apprenons que notre vie n’est possible que
grâce au jeu combiné de nombreuses intelligences de valeur très inégale, donc grâce à un
perpétuel échange d’obéissance et de commandement sous des formes innombrables — ou,
en termes de morale, grâce à l’exercice ininterrompu de nombreuses vertus. Et comment
pourrait-on cesser de parler de morale !... Bavardant ainsi, je m’abandonnai sans bride à
mon instinct de pédagogue : car j’étais trop heureux d’avoir quelqu’un qui voulût bien
m’écouter. Mais, à ce moment, Ariane perdit patience — la chose se passait lors de mon
premier séjour à Naxos — : « Mais monsieur, dit-elle, vous parlez allemand comme un
cochon ! — Allemand, dis-je sans me fâcher, rien qu’allemand. Laissez là le cochon, je vous
en prie, ma déesse ! Vous sous-estimez la difficulté qu’il y a à dire en allemand des choses
subtiles. — Des choses subtiles ! s’écria Ariane indignée ; mais c’est du pur positivisme ! De
la philosophie à coups de groin ! Un méli-mélo de concepts, tiré du fumier de cent
philosophies ! Où voulez-vous encore nous mener ? » — et disant ces mots elle jouait avec
ce fil célèbre qui jadis conduisit son Thésée à travers le labyrinthe. — Et c’est ainsi qu’il
apparut qu’Ariane, en fait de culture philosophique, était en retard de deux mille ans.
Nietzsche, Fragments posthumes.
3) Qu’est-ce que la matière ?
Ce vécu du corps ne nous dit pas ce qu’est la matière dont est fait le corps. Le corps est bien
une manifestation de la matière, mais cela ne nous dit pas ce qu’est la matière ?
Deux points de vue vont nous permettre d’y voir plus clair :
 celui de Descartes pour qui la matière se résume à de l’étendue géométrique
 celui d’Einstein pour qui la matière est de l’énergie concentrée.
Deux textes permettent de cerner avec ces deux penseurs dévoués à la science qui ellemême a pour tâche première de comprendre la matière, ce qu’il en est de ce grand mystère
de la matière.
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La matière a un fonctionnement que l’on peut identifier, qui a ses lois propres et donc que la
science peut cerner, connaître.
Mais le corps n’est pas de la matière comme celle qui constitue le monde, il est de la matière
vécue. Une manifestation de la matière expérimentée par un être.
Emmanuelle Rozier
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4) Le corps lieu problématique de l’être
Le rapport au corps est aussi un rapport à l’être. On ne peut pas dissocier ce que nous
sommes de notre vécu du corps.
TD / Arte sur le corps
Connaissance sensorielle et corps : problème pas de la perception, mais du justement à
partir des informations que me donne le corps.
Le corps nous trompe ?
Méditations métaphysiques I tout ce que j’ai reçu de plus vrai appris des sens, mais éprouvé
qu’ils sont trompeurs.
Centre du monde parce qu’incarné en nous-mêmes.
Isabelle Caro anorexique : haine du corps pesanteur du corps, une vie véritable seraitelle sans corps ? Souffrante d'anorexie mentale depuis ses treize ans à cause d'une enfance
difficile4, Isabelle Caro était un symbole de ce trouble des conduites alimentaires depuis 2007
où, photographiée nue par Oliviero Toscani dans le cadre d'une campagne italienne contre
l'anorexie (No Anoressia), elle suscita la polémique3. Elle pesait alors 31 kg pour 1,64 m; la
publicité avait été retirée car elle coïncidait, volontairement, avec la semaine des
défilés de Milan3 : le but était de « choquer pour sensibiliser les consciences »2. La
photographie avait été par la suite affichée, notamment en France4. Isabelle Caro a
également collaboré avec d'autres photographes.
En 2008, elle avait écrit un livre autobiographique La petite fille qui ne voulait pas grossir3.
Elle est morte à l'hôpital Xavier-Bichat de Paris2 au retour d'un voyage professionnel
à Tokyo5. Le décès d'abord annoncé suite à une pneumopathie, serait dû à une erreur
médicale, voire de « négligences », d'après son père qui a déposé plainte pour homicide
involontaire2.
Emmanuelle Rozier
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Philosophie : la matière et l’esprit
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= « Occidental à la chair douillette ». Les défis de l’incarnation, reconquérir son corps de
l’intérieur : par la danse, par l’art, l’expression, les expériences sensorielles. C’est bien notre
état d’esprit qui nous permet d’avoir un rapport à notre corps qui fasse de nous un être
harmonieux.
A retenir :
Le corps est une matière mais pas n’importe laquelle. Sa spécificité est qu’il est mien, vécu,
pensé et fantasmé. Il est le mystère de la matière et le mystère de l’esprit. Il manifeste ce
que je suis ce que je refuse d’être à fond, ce que je pense être.
Emmanuelle Rozier
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III – La nature de l’esprit
Au point où nous en sommes, nous ne savons toujours pas ce qu’est l’esprit. Quelle est sa
nature ? Est-il une expression du corps, un souffle de vie, ou autre chose ?
1) L’esprit est liberté pure
L’esprit est ce qui nous permet de ne pas être déterminé, de ne pas être contraint à être ceci
ou cela. Là où la matière est contrainte et détermination, l’esprit est pure liberté,
potentiellement.
L’unité vient de l’esprit, il est lui même son propre centre. L’esprit est notre élément. Ce qui
nous permet d’être homme véritablement et de faire se réaliser la raison sur terre ; cad
quelque chose de supérieur, qui a une logique propre.
Mais l’esprit peut-il devenir liberté sans expérience déterminée, et données pour
fonctionner ? A partir de quelle matière l’esprit fonctionne-t-il ?
Emmanuelle Rozier
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2) L’esprit dépend de l’expérience
Comment notre esprit se forme-t-il ?
Le philosophe empiriste et anglais John Locke pense que l’esprit ne peut être que
l’expérience qui s’inscrit par le biais de la sensation. Que signifie être empiriste ? C’est faire
de l’observation des phénomènes la source de toute réflexion sur l’homme et la nature.
L’âme pour lui est vide, une table rase sur laquelle va venir s’inscrire l’expérience. La
sensation est une fonction de la conscience qui nous permet de saisir des impressions
venues du monde extérieur. L’âme c’est un principe spirituel siège des activités de la pensée.
La table rase est une expression empruntée à Aristote, elle deviendra le symbole de
l’empirisme.
Inspirateur de la philosophie des Lumières, Locke est d’abord médecin puis il participa à la
vie politique de son pays. Il écrit l’Essai philosophique concernant l’entendement humain en
1690.
Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase, vide de
tous caractères (1), sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des
idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de
l’homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie ?
D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de
toutes ses connaissances ? À cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le
fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine.
Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les
opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous
réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées.
Ce sont là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons, ou que nous
pouvons avoir naturellement.
Et premièrement nos sens étant frappés par certains objets extérieurs font entrer dans notre
âme plusieurs perceptions distinctes des choses, selon les diverses manières dont ces objets
agissent sur nos sens. C’est ainsi que nous acquérons les idées du blanc, du jaune, du
chaud, du froid, du dur, du mou, du doux, de l’amer et de tout ce que nous appelons
qualités sensibles. Nos sens, dis-je, font entrer toutes ces idées dans notre âme, par où
j’entends qu’ils font passer des objets extérieurs dans l’âme, ce qui y produit ces sortes de
perceptions. (…)
L’autre source d’où l’entendement vient à recevoir des idées, c’est la perception des
opérations de notre âme sur les idées qu’elle a reçues par les sens : opérations qui devenant
l’objet des réflexions de l’âme produisent dans l’entendement une autre espèce d’idées, que
les objets extérieurs n’auraient pu lui fournir : telles sont les idées de ce qu’on appelle
apercevoir, penser, douter, croire, raisonner, connaître, vouloir et toutes les différentes
actions de notre âme desquelles étant pleinement convaincus, parce que nous les trouvons
en nous-mêmes, nous recevons par leur moyen des idées aussi distinctes, que celles que les
corps produisent en nous lorsqu’ils viennent à frapper nos sens[…]
Comme j’appelle l’autre source de nos idées sensation, je nommerai celle-ci RÉFLEXION,
parce que l’âme ne reçoit par son moyen que les idées qu’elle acquiert en réfléchissant sur
ses propres opérations.
Essai philosophique concernant l’entendement humain (1690), trad. Costes,
Vrin, 1972, Livre II, chap. 1
Emmanuelle Rozier
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3) L’esprit et le cerveau, sa « matière support » ?
Le paradigme qui domine revient à dire que l’esprit est lié au cerveau, qu’il est le cerveau.
Mais peut-on se satisfaire de cette assimilation de l’esprit et du cerveau ? Ne dit-on pas que
nous ne connaissons pas tout ce que peut le cerveau ? Pourtant, il nous semble difficile de
penser que notre esprit n’est que connexions neuronales… Pourquoi ?
Jean-Pierre Changeux est un grand neurologue, professeur au Collège de France et il est un
représentant du matérialisme ; il a écrit de nombreux ouvrages novateurs sur le cerveau,
l’esprit. Il se dit disciple d’Epicure, de Spinoza et de Lucrèce. Professeur au collège de
France.
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ARTICLE EXTRAIT DE LIBÉRATION 28/10/2013
Le biologiste Jean-François Bouvet analyse les différences
cérébrales entre hommes et femmes. Naturelles ou
culturelles ? Les deux sont subtilement intriquées.
> Jean-François Bouvet sera au Forum «Le corps, quel engin !» organisé
par Libération à Montpellier les 8 et 9 novembre. Plus d’informations
ici.
D’un côté, des neuroscientifiques pur(e)s et dur(e)s
n’hésitant pas à parler de sexe du cerveau et faisant la part belle au déterminisme
biologique. De l’autre, celles et ceux qui, sans totalement nier l’existence de
différences cérébrales entre hommes et femmes, les cantonnent strictement au
domaine sexuel – toute autre dissemblance n’étant que réponse individuelle à la
pression du milieu, à l’apprentissage, à l’éducation, au conditionnement... au
bourrage de crâne.
Certes, dans la construction du cerveau, l’importance de la plasticité neuronale qui
permet aux neurones de modifier leurs connexions (synapses) en fonction de signaux
externes apparaît considérable. Par ce phénomène, l’inscription de l’histoire d’un
individu dans ses circuits synaptiques est permanente. Progressivement, son tissu
cérébral s’imprègne de l’environnement physique, social et intellectuel ; il en
accumule les traces et en devient une représentation singulière, produit d’une
existence elle-même singulière.
Au delà d’un «simple» organe, le cerveau est donc un système bio-culturel. Et il serait
tout aussi réducteur de nier le bio que le culturel. À commencer par l’impact
hormonal sur la structure et le fonctionnement du cerveau – lesquels, comme le
montre l’imagerie cérébrale, ne sont pas strictement identiques chez les deux sexes.
INFLUENCE HORMONALE
L’une des études les plus intéressantes à ce sujet a été réalisée récemment par des
chercheurs du National Institute of Mental Health américain. En rassemblant des
clichés IRM du cerveau de 284 sujets, filles et garçons, âgés de 9 à 22 ans, cette
équipe a pu établir le «film» de la maturation cérébrale. Résultat : le «scénario» suivi
n’est pas exactement le même chez les deux sexes. Faut-il y voir l’effet d’une influence
hormonale ? Au moins pour partie, oui. Notre cerveau regorge de récepteurs pour les
hormones sexuelles (androgènes et œstrogènes, entre autres), par le biais desquels
elles peuvent exercer leur action. Et l’on sait que les concentrations de ces hormones
Emmanuelle Rozier
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diffèrent largement selon le sexe. On sait aussi qu’elles agissent en contrôlant
l’activité des gènes.
Parmi les travaux les plus éclairants, une étude publiée par la prestigieuse revue
Nature en octobre 2011 montre que plus d’une centaine de gènes communs aux deux
sexes (la quasi totalité de nos quelque 30 000 gènes le sont) s’expriment
différemment dans le cerveau de l’homme et dans celui de la femme. Ce qui revient à
dire que le niveau d’activité de ces gènes est différent. Plusieurs d’entre eux
apparaissent liés à des pathologies (dont un à la dépression).
On voit donc que la question n’est plus tant aujourd’hui de savoir si les cerveaux
masculin et féminin diffèrent que de comprendre à quel degré. Et la subtile
intrication nature-culture n’a pas fini de fasciner.
Jean-François Bouvet est l’auteur de «Le camion et la poupée. L’homme et la femme
ont-ils un cerveau différent ?» (Flammarion, septembre 2012).
Le fait que notre cerveau soit le lieu de notre esprit est amplement admis. Pourtant, le
mystère demeure de ces connexions que nous faisons et qui nous font, de cette manière que
chacun a d’interpréter son vécu et son être et de devenir quelqu’un d’imprévisible de part la
puissance de son esprit.
A retenir
* Pour Hegel, l’esprit est liberté absolue, possibilité de changer, se changer, dépasser les
déterminations et les contraintes.
* Pour Locke, l’esprit dépend de l’expérience que nous avons, faisons, sans expérience pas
d’esprit formé.
* Pour Changeux, le cerveau de l’homme est son esprit, dans la complexité de la matière la
nature étonnante de l’esprit.
Conclusion
La nature de l’esprit demeure un mystère, qui, pour être résolu nécessite de notre part une
décision, un choix théorique.
Transition : ce cours nous conduira à deux cours en classe entière
- la conscience
- l’inconscient
Emmanuelle Rozier
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