Pigeard de Gurbert
Colles
simplement dans une ignorance volontaire de la politique : « s’enfuir d’ici là bas, le plus vite
possible » tel est le mot d’ordre de Socrate. La philosophie semble n’avoir d’autre urgence que
de tourner le dos à la politique que de s’orienter vers la seule région qui soit digne d’être pensée,
la région métaphysique.
Le métaphysique : une réalité, tout ce qui est métaphysique [Méta-physique : Au de-là _ Phusis :
la nature, temporel : l’intemporel]
La métaphysique : [Méta : déplacement, transport + ascendant, vertical, du bas vers le haut] Mise
en relation du physique (= politique) et du métaphysique (l’intemporel)
Cependant, le prologue du Phèdre de Platon (230d) installe la philosophie à l’intérieur des murs
de la cité. La scène se situe à la limite de la cité et de la campagne et Socrate exprime
explicitement son intention de rester à l’intérieur de la cité pour conduire le dialogue
philosophique : « les champs et les arbres ne consentent à rien enseigner tandis que c’est
ce que font les hommes qui sont dans la ville » [en to asteï : dans la ville. Asteios signifie en
grec le citadin, voir l’Athénien] Le destin de la philosophie se joue donc intramuros, à l’intérieur
des murs de la cité. Le périmètre de la philosophie recoupe très exactement la sphère politique.
Il faut en outre remarquer que jusque dans sa mort la philosophie n’a d’existence que politique.
Socrate ne meurt ni de vieillesse ni par accident, sa mort n’est pas un phénomène naturel mais un
évènement politique : elle est la conclusion d’un procès. Du reste, l’apologie signifie en grec
« défense », c’est un concept juridique qui suppose l’espace politique de la cité. Comme le rappel
Socrate dans L’apologie de Socrate (28 a). De sa naissance à sa mort la philosophie n’a
d’existence que politique.
Dans La République (livre V, 473 d), Platon prolonge cette idée non seulement du caractère
indissociable de la philosophie et de la politique, mais de leur identité dans la figure du
philosophe-roi. L’idée du philosophe-roi exprime sinon une réalité du moins un idéal : « que cet
ensemble, pouvoir politique et philosophie, se rencontre sur la même tête ». Il faut
toutefois relativiser le sens de cette figure du philosophe-roi dans la mesure où La République [Ta
Politeia], contrairement à ce que laisse entendre son titre n’a pas pour objet la Cité elle-même, ou
plus largement la politique, mais l’âme humaine. La question est de savoir si la justice loge dans
l’âme humaine ou si elle imposée de l’extérieur. L’âme humaine a-t-elle le sens de la justice par
elle-même ou au contraire la justice n’est elle qu’une contrainte sociale. Le problème est qu’il est
difficile d’analyser l’âme humaine, c’est pourquoi Platon va établir une analogie entre celle-ci et la
Cité. Le texte de l’âme est écrit en très petits caractères : « La cité est plus grande que
l’individu » et représente un grossissement de l’âme avec ses différentes parties, le philosophe roi
représentant la partie supérieure et rationnelle de l’âme. Ainsi, la République n’est pas un objet
politique c’est seulement l’âme humaine mais « en gros caractère » (La République, livre II,
368 d-e). Du reste, La République se conclut sur le mythe d’Er (614b), c'est-à-dire sur le destin
moral de chaque âme qui est fonction de son rapport à la justice, c'est-à-dire de son accord avec
elle-même. Dans ce livre X de La République, chaque âme se retrouve face à elle-même :
Agamemnon, qui a régné toute sa vie, se métamorphose en aigle ; Ajax [Aias : hélas] se
métamorphose en lion… La conclusion de la République concerne le destin individuel des
hommes, et non leur existence collective. Le problème de la République n’est pas un problème
politique : il s’agit de savoir comment faire pour que la partie rationnelle de l’âme gouverne.
L’idée du « philosophe-roi » n’est pas un programme politique mais psychagogique (éducation de
l’âme).
Position du problème : Ainsi, y a-t-il une ambivalence déconcertante de la politique qui peut aussi
bien condamner la philosophie à l’absence voire à la mort que désigner l’air même que respire la
philosophie ; d’où ce problème troublant : la politique représente-t-elle pour la philosophie un
lieu de séjour impossible ou, au contraire, le milieu même de son existence ? La politique est-elle
un objet impensable pour la philosophie ? Ou bien plutôt l’objet philosophique par excellence ?