Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 1 - mars 2002
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plus ainsi ; la formidable efficacité de la
médecine s’est doublée d’une complexité,
d’une dangerosité, voire d’une agressivité
qui peuvent être à l’origine de dommages
dont on explique parfois mal l’origine.
L’évolution des responsabilités profes-
sionnelles, liée au courant consumériste
des années 1970, a renforcé les obliga-
tions et les contraintes à l’égard des pro-
fessions indépendantes. Cela s’est traduit
par une limitation des clauses visant à
restreindre les responsabilités profession-
nelles. Un des moyens de procéder a été
de renforcer les règles. Le code de déon-
tologie, dans sa dernière version de 1995,
commence par un rappel de ce qu’il ne
faut pas faire. À côté de ces règles clas-
siques, on a vu apparaître un grand
nombre de textes réglementaires “tech-
niques”. Ce renforcement des contraintes
a été accentué par la jurisprudence qui,
d’une part, a pris l’initiative de créer de
toutes pièces certaines obligations acces-
soires et, d’autre part, a renforcé avec une
sévérité particulière l’appréciation de la
portée des obligations imposées aux pro-
fessionnels en développant des régimes
de responsabilité du fait des choses et du
fait d’autrui. Ainsi les chirurgiens ont-ils
une obligation de sécurité vis-à-vis du
matériel utilisé.
L’incursion du judiciaire dans le monde
médical n’est cependant pas un coup de
semonce ni une nouveauté. Elle est,
certes, progressive mais de plus en plus
prégnante. De sujet médical, l’individu
innommé est devenu un malade, puis un
patient (1),un usager, et c’est maintenant
un client qu’il faut satisfaire. Le monde
judiciaire a suivi cette évolution ; l’indi-
vidu a d’abord eu le droit de bénéficier du
savoir médical ; il en est maintenant la
victime plus ou moins consentante.
L’évolution du droit positif, dans notre
pays, se fait vers la responsabilité sans
faute. Pour permettre une indemnisation
plus facile des patients, la Cour de cassa-
tion a rendu un nouvel arrêt, déjà célèbre,
le 25 février 1997, qui renverse la preuve
de la charge, cette dernière incombant
désormais aux médecins. Cet arrêt,
qui s’appuie sur l’article 1315 du Code
civil, est un énoncé général qui relève
qu’“actuellement, tous les professionnels
sont considérés comme tenus, vis-à-vis de
leurs clients, de cette obligation qui revêt,
selon les secteurs d’activité, des formes
diverses, mais qui concerne aussi bien les
prestataires de services matériels que les
professionnels de la vente, les construc-
teurs, les assureurs, les agents immobi-
liers, les agents d’affaires, les agences de
voyages, les notaires, les avocats, les
banquiers, etc.”.
Depuis cet arrêt, qui a déjà transformé
nos pratiques, plusieurs autres arrêts ont
confirmé cette nouvelle tendance : le
médecin doit informer le patient des
risques encourus, de tous les risques, y
compris des plus exceptionnels. Mais
qu’entend-on par risque ?
Q
UELQUES DÉFINITIONS NON
MÉDICALES DU MOT RISQUE
La première difficulté que l’on rencontre
pour définir le risque tient justement à la
multitude des définitions. Ainsi, Le Petit
Robert propose : “Danger éventuel plus
ou moins prévisible”. Le risque, dans son
sens commun, c’est la survenue éven-
tuelle d’un événement négatif (le danger),
qui n’est donc pas obligatoire (“éventuel”
signifie qu’il doit être possible d’y échap-
per), mais qui n’est pas non plus totale-
ment une surprise (donc prévisible).
Les juristes et les avocats ont une définition
très agréable à l’oreille des chirurgiens :
“Éventualité d’un événement ne dépen-
dant pas exclusivement de la volonté des
parties et pouvant causer la perte d’un
objet ou tout autre dommage.” Le terme
“éventualité” a une acception plus scien-
tifique, statistique, qu’“éventuel”. “Évé-
nement” a une connotation plus neutre que
“danger”, mais la fin de la phrase montre
qu’il n’y a pas d’ambiguïté sur le caractère
négatif de l’événement pour les juristes.
Enfin, je trouve particulièrement savou-
reux le “ne dépendant pas exclusivement”.
Si apparemment les juristes acceptent
qu’existent des aléas, que le chirurgien ne
soit pas toujours responsable de ce qui
survient, il n’en est pas moins sûrement
coupable quelque part.
En médecine, le mot risque est employé
très souvent, mais avec des sens variables.
On parle ainsi du risque de complications,
mais aussi de facteurs de risque, d’un
risque statistique (risque αde première
espèce, risque βde deuxième espèce),
d’un risque relatif, d’un risque absolu,
sans oublier les terrains à risque.
Ces risques concernent les patients, bien
sûr, mais également les chirurgiens !
L
ES RISQUES DU MÉTIER
DE CHIRURGIEN
Malgré sa position apparemment enviable
et son pouvoir “de vie ou de mort” sur le
patient, le chirurgien prend également des
risques en opérant, et c’est volontaire-
ment que je les ai soulignés ici, car ils ne
sont que rarement signalés dans la littéra-
ture non médicale. À une époque où les
chirurgiens revendiquent, comme d’autres
salariés, l’application des 35 heures ou de
divers droits sociaux, il est logique que
les médecins du travail se penchent sur
les travailleurs que nous sommes et sur
les risques auxquels sont soumis les pro-
fessionnels de santé. Stress, angoisse et
fatigue arrivent en premier, mais je ne
connais pas d’études spécifiques aux chi-
rurgiens. Chaque année, un certain
nombre de nos collègues abandonnent la
profession, certains parce qu’ils se sentent
incapables d’en supporter les contraintes.
Le chirurgien abattu par un patient
mécontent reste encore du domaine de
l’anecdote ; toutefois, il nous arrive régu-
lièrement de nous faire insulter, parfois
malmener par des patients irascibles ou
drogués. Ces risques, les médecins en tant
que groupe se doivent de les assumer ;
mais, parce que leur fréquence est incon-
nue, c’est la perception individuelle que
nous en avons qui peut les rendre intolé-
rables.
Le seul risque fréquent pour le chirurgien
est la blessure, avec pour conséquence
l’infection, notamment virale. La préva-
lence des patients infectés par le VIH
(virus du sida) varie, selon les études, de
0,1 à 7,8 % ; mais jusqu’à 19,4 % des
Informer en proctologie