AFDI
Annuaire Français de Droits International
Raphael Prenat
Les régimes multilateraux de maîtrise
des exportations de technologies
sensibles à utilisation militaire
Mai 1998
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Cet article a été publié dans l’Annuaire Francais de Droit International Public de 1998, pages 298 a 311.
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Raphaël Prenat1
Les politiques liées aux transferts de technologies sont au cœur des relations internationales.
D’une part, la diffusion de technologies modèle les sociétés et détermine la répartition des richesses
entres-elles. D’où un débat constant entre nations industrielles et pays en voie de développement sur
la question du libre accès de ces derniers à la haute technologie. D’autre part, les transferts
technologiques posent des problèmes de sécurité. En effet, nombres de technologies ont une
utilisation duale, c’est-à-dire militaire et civile. Ce qui peut entraîner une volonté d’en limiter la
dissémination. Depuis l’essai nucléaire indien de 1974, on assiste à la mise en place par les Etats
fournisseurs de haute technologie d’un ensemble de processus collectif de maîtrise des exportations2.
Ces mécanismes d’actions collectives, connus sous l’appellation de régimes multilatéraux de
contrôle, visent à contribuer à la non-prolifération des armes de destruction massives et de leurs
vecteurs3. A ce jour, on peut en identifier cinq : le Comité Zangger, le Groupe des fournisseurs
nucléaires (ex Club de Londres), le Groupe australien, le MTCR (Missile Technology Control
Regime ou Regime de Contrôle de la Technologie du Missile) et l’Arrangement de Wassenaar.
Ces régimes ne sont pas exempts de toutes critiques. Nombres de pays en voie de développement
trouvent que les contrôles à l’exportation sont le fait d’Etats puissants qui s’arrogent le droit de
qualifier l’illicite et d’y réagir. De plus, ces mesures de restriction seraient, d’après eux, contraire aux
obligations internationales de non-prolifération qui reconnaissent le libre accès à la technologie pour
une utilisation pacifique. A leurs yeux, ces pratiques concertées s’apparentent à la constitution de
clubs de pays producteurs4. A contrario, les pays développés soulignent que les régimes mis en place
respectent tant la lettre que l’esprit des conventions internationales de non-prolifération. Selon eux,
le contrôle des exportations n’a pas pour but d’empêcher le développement d’autres Nations. Bien au
contraire, l’objectif serait d’ouvrir le plus largement possible l’accès à la haute technologie dans les
limites de l’acceptable. C’est-à-dire sans atteinte à la sécurité internationale et à la Paix
Un autre aspect fondamental touchant au débat sur les régimes multilatéraux de contrôle porte sur
leur nature juridique. Il ne peut s’agir en aucun cas de conventions internationales. En effet, c’est la
volonté même des participants qui exclut ces accords du domaine conventionnel. Même si ces
instruments peuvent présenter l’apparence d’un traité, leur autorité et leurs effets éventuels ne
dérivent pas du principe Pacta sunt servanda. Mais, cette dernière considération ne les fait pas
automatiquement sortir du champ du droit international. Ce n’est pas parce que la Convention de
Vienne a précisé que les traités étaient soumis au droit international qu’elle a consacré leur monopole
à cet égard. De ce fait, il n’y a pas exclusion d’autres formes d’accords5. Ainsi les membres des
régimes multilatéraux ont quand même des obligations à respecter dans le cadre de leurs relations
inter étatiques en matière de transferts de technologies vers des pays tiers. Nous sommes donc en
présence d’instruments complexes. A ce titre, il nous faut constater une diversification de l’objet
couvert par les régimes de contrôle (I). D’autre part les choix réalisés lors des négociations ont des
conséquences sur la nature de ces systèmes collectifs de maîtrise des flux technologiques (II).
1 Raphaël Prenat est doctorant en droit international à l’Université de Paris II Panthéon-Assas.
2 Tout au long de cet article, nous entendrons les termes maîtrise et contrôle des exportations dans le sens d’une
emprise rationnelle sur une activité qui le cas échéant peut entraîner des mesures de restriction.
3 Il s’agit des armes nucléaires, biologiques et chimiques ainsi que des vecteurs balistiques et des missiles de croisières.
4 Lire en ce sens l’intervention de Prakash Shah in Serge Sur (dir.), Désarmement et limitation des armements : mesures
et attitudes unilatérales, rapport de recherche de l’UNIDIR, Nations Unies, Genève, 1992, p.69 et p. 88.
5 Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public, Ed. Montchrestien, Paris, 1995, p. 85 et 86.
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I) Diversité des objets et des techniques
Depuis la gociation sur le traité de non-prolifération (TNP) de 1968, les pays fournisseurs ont
soutenu l’idée selon laquelle ils avaient pour responsabilité de faire en sorte que la coopération
internationale ne contribue pas à la prolifération des armes nucléaires. Progressivement, cette prise
de position s’est élargie à l’ensemble des transferts de technologies pouvant favoriser la production
d’armes de destruction massive et celle de leurs vecteurs. Dans un souci d’efficacité, au reste quelque
fois illusoire, les pays fournisseurs ont mis en place les instruments multilatéraux permettant de
coordonner leur action. A ce sujet, on ne peut être que surpris de la diversité des champs
technologiques couverts. A priori, il semble qu’il n’y a point de fil conducteur entre les différents
régimes et que la seule caractéristique que l’on puisse retenir soit la variété. Du fait de leur nombre et
de la multiplicité de leur angle d’attaque, il est légitime de s’interroger sur l’architecture d’ensemble
des contrôles et politiques visant à maîtriser les équipements et technologies sensibles. On peut
identifier quatre types de champs technologiques (le nucléaire, la technologie du missile, le
biologique et le chimique, les technologies duales) couvert par des régimes spécifiques, avec leurs
règles propres. Ces systèmes sont la concrétisation d’efforts entrepris pour réduire les risques de
prolifération. C’est dans le domaine nucléaire que tout a commencé par la création du Comité
Zangger et celle du Groupe des fournisseurs nucléaires.
A) Les régimes de contrôle de la technologie nucléaire6
Peu après l’entrée en vigueur du TNP en 1970, des consultations multilatérales sur le contrôle des
exportations nucléaires ont conduit à la mise en place de deux mécanismes distincts : le Comité
Zangger (du nom de son premier président) en 1971 et l’organe qui est désormais connu sous le nom
de Groupe des fournisseurs nucléaires (ex Club de Londres) en 1975.
Le comité Zangger est l’instance au sein de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique
(AIEA) dans laquelle les principaux fournisseurs se réunissent pour s’entendre sur la manière
d’appliquer le paragraphe 2 de l’article III du TNP7. En effet, les membres cherchaient à arriver à
une interprétation commune sur les équipements ou matières spécialement conçus ou préparés
pour le traitement, l’utilisation ou la production de produits fissiles spéciaux ”. En 1974, le Comité
Zangger a publié une liste de base ”, c’est-à-dire une liste d’articles requérant l’application des
garanties de l’AIEA, et des directives (convergences de vues) relatives à l’exportation de ces articles
à destination d’Etats non dotés d’armes nucléaires non-parties au TNP. Ces directives mettent trois
conditions à l’approvisionnement : une assurance d’utilisation non explosive, une obligation en
matière d’application des garanties de l’AIEA, et une disposition concernant le retransfert qui exige
de l’Etat destinataire qu’il applique les mêmes conditions s’il réexporte les articles. La liste de base
et les directives ont été publiées par l’AIEA dans le document INFCIRC/209, qui a été modifiée par
la suite. Actuellement, le Comité Zangger regroupe 33 Etats8.
6 Cf. Simone Courteix, Exportations nucléaires et non-prolifération, Ed. Economica, Paris, 1978, et “Les accord de
Londres entre pays exportateurs d’équipements et matières nucléaires ”, cet Annuaire, 1977, p. 27 à 50 .
7 Le paragraphe 2 de l’article III du TNP se lit comme suit : Tout Etat partie au Traité s’engage à ne pas fournir : a) de
matières brutes ou de produits fissiles spéciaux, ou b) d’équipements spécialement conçus ou préparés pour le
traitement, l’utilisation ou la production de produits fissiles spéciaux, à un Etat non doté d’armes nucléaires, quel qu’il
soit, à des fins pacifiques, à moins que lesdites matières brutes ou lesdits produits fissiles spéciaux ne soient soumis
aux garanties requises par le présent article.
8 Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Bulgarie, Canada, Chine, Corée du Sud,
Danemark, Espagne, Etats Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg, Norvège, Pays
Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume Uni, Russie, Slovaquie, Suède, Suisse, Ukraine.
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Le Groupe des fournisseurs nucléaires (d’abord connu sous le nom de Club de Londres) a été
créé à la suite de l’explosion indienne de 1974. Cet événement démontrait que la technologie
nucléaire transférée à des fins pacifiques pouvait être détournée vers d’autres objectifs. Les
principaux pays exportateurs de technologies nucléaires (Canada, Etats-Unis, France, Japon, RFA,
Royaume-Uni, URSS) ont alors estimé qu’il fallait adapter les conditions d’approvisionnement de
produits nucléaires de façon à mieux s’assurer que la coopération en ce domaine puisse être
poursuivie sans contribuer à la prolifération.
A la suite de négociations secrètes qui se sont tenues à Londres en 1975, un ensemble de
directives (Guidelines) et une liste de base d’articles nucléaires (Trigger list) ont été élaborés. Ces
documents ont été publiés en 1978 par l’AIEA dans le document INFCIRC/254 (modifié par la
suite). L’objectif de ces dispositions est de faire en sorte que ces transferts ne soient pas détournés
vers des activités du cycle du combustible non soumises aux garanties de l’AIEA ou des activités
explosives nucléaires. Les destinataires doivent obtenir des assurances gouvernementales officielles
à cet égard. Les directives prévoient aussi l’obligation d’appliquer des mesures de protection
physiques, la prise de précautions particulières pour le transfert d’installations et de technologies
sensibles ainsi que de matières de qualité militaire, et des dispositions renforcées en matière de
retransfert.
A la fin des années soixante-dix, alors que les accords de Londres prévoyaient des consultations
régulières, les pays adhérents ne vont plus se réunir. Il semble que la France a été en partie
responsable de cette situation9. Il faut attendre la découverte du programme clandestin irakien pour
réactiver le Groupe. Car une grande partie de l’effort de l’Iraq a consisté à acquérir des articles à
double usage qui n’étaient pas couverts par les directives, puis à construire lui-même des articles de
la liste de base. Cet enseignement a conduit à l’élaboration de nouvelles directives concernant les
articles à double usage. C’est lors de la réunion des Etats membres en avril 1992 à Varsovie que le
Groupe adoptera ce nouveau document ainsi que sa nouvelle dénomination10. Depuis cette date, une
instance de consultation sur les directives applicables aux articles double usages et d’échange
d’informations a été mise en place. De plus, une procédure pour l’échange des notifications
d’autorisation ou de refus de licence d’exportation a été instituée. Ainsi, les membres ne peuvent
approuver un transfert d’article qu’après avoir consulté un/des Etats qui auraient préalablement
refusé une exportation de même nature. Enfin, depuis 1994, le Groupe des fournisseurs nucléaires a
adopté le principe dit de non-prolifération en vertu duquel un fournisseur, en dépit des autres
dispositions des directives, ne doit autoriser un transfert que s’il a l’assurance que l’exportation ne
contribuera pas à la prolifération des armes nucléaires. A l’heure actuelle, le Groupe des
fournisseurs est composé de 35 Etats membres11.
B) Le régime de contrôle des technologies biologiques et chimiques
En avril 1984, une commission d’enquête spéciale envoyée par le Secrétaire général de l’ONU
conclut à l’utilisation d’armes chimiques lors du conflit Iran-Iraq. A la suite de cette révélation,
plusieurs gouvernements décident de mettre en place des mesures nationales de contrôle sur
9 Cf. George Le Guelte, Histoire de la menace nucléaire, Ed. Hachette, Paris, 1997, p.303 et s.
10 En effet, la décision d’abandonner le nom de “ Club de Londres ” vise à tenir compte de l’élargissement progressif du
nombre des Etats membres. Le Groupe des fournisseurs nucléaires est beaucoup plus connu sous sa terminologie
anglaise de NSG (Nuclear Suppliers Group).
11 Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Bulgarie, Canada, Corée du Sud,
Danemark, Espagne, Etats Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Japon, Lettonie, Luxembourg,
Norvège, Nouvelle Zélande, Pays Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume Uni, Russie,
Slovaquie, Suède, Suisse, Ukraine.
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