Politique et Islam des Lumières Dans la philosophie islamique, occupent une place particulière Farabi (870 – 950) et Averroes (1126 – 1198) dont la pensée politique s’inspire de la philosophie grecque. Farabi définit les rapports politiques non plus en fonction de la foi mais de la nature et accorde la primauté à la recherche non plus de ce qui vaut pour le croyant mais de ce qui vaut pour l’homme. Cependant, il concilie la religion et la philosophie politique par son adhésion à la théorie de l’émanation d’origine néoplatonicienne qui soutient que l’univers émane de l’Un selon le processus suivant : il produit l’Intelligence qui, à son tour, engendre l’Ame. Celle-ci en se multipliant dégénère jusqu’à la matière. Dès lors, l’organisation de la société est pyramidale, les facultés humaines étant inégales et hiérarchisées. Pour lui, la cité idéale est celle dans laquelle les hommes pratiquent la vertu. Le meilleur régime pour atteindre ce but est le régime monarchique non – héréditaire. A partir de là, il classe les régimes en trois catégories : les régimes ignorants où les citoyens n’ont aucune chance d’acquérir une connaissance du bonheur, les régimes mauvais où les citoyens ont une telle connaissance mais n’agissent pas conformément à ses exigences, les régimes de l’erreur où les citoyens ont acquis des connaissances fausses ou corrompues. Par ailleurs, chaque citoyen doit occuper le rang social auquel le destine la nature et il faut que le souverain dispose d’un pouvoir absolu. Il a cette autorité s’il possède la perfection de la raison qui lui permet de connaitre les êtres divins et si de ces connaissances, il en fait des images pour les mettre à la portée du commun des mortels grâce à sa faculté d’imagination. Il est, donc, à la fois, sage et prophète. Il doit également avoir une troisième qualité indispensable : la vertu guerrière. En effet, dès lors que l’on ne peut convaincre tous les hommes, l’emploi de la force est nécessaire. Dans ce cas, la guerre est juste. Défenseur de la liberté de penser par soi-même, Averroes incarne l’Islam des Lumières. Le premier volet de sa pensée est la nature des attributs de la cité idéale. Celle-ci est gouvernée par le roi-philosophe. En effet, il a intégré dans la culture de l’Islam, l’idée de Platon selon laquelle le roi doit être philosophe c'est-à-dire capable par sa puissance intellectuelle, de coordonner les différentes parties de la cité, de satisfaire ses besoins et de découvrir ses points faibles. Il doit maitriser la science et la vertu, être courageux ; magnanime, bon orateur et doit avant tout savoir convaincre les citoyens. De façon générale, il rejette l’organisation pyramidale résultant de la théorie de l’émanation. Selon lui, l’Un est le Tout de sorte que les différentes parties de la cité oeuvrent ensemble sous l’autorité du roi-philosophe. L’unité qu’il revient au souverain de réaliser est l’objectif fondamental car la mauvaise cité est celle qui est divisée. Le deuxième volet est la guerre sainte. Il comprend celle-ci comme l’islam le comprend à son époque, à savoir comme une guerre très concrète. Il l’approuve en tant que musulman conscient de son devoir. Cependant, selon lui, la guerre relève du domaine de l’équité qui commande de suspendre ou de limiter l’application de la loi si le bien de la communauté l’exige. La guerre n’est qu’un moyen de contrainte quand la persuasion ne suffit pas. Elle est donc un chemin vers Dieu. Mais ce chemin conduit aussi à l’homme. Par humain, il entend ce qui est bon à l’homme. Il en résulte que la guerre est légitime quand elle aide à faire advenir ce qui est bon pour l’homme. Le troisième volet concerne les conditions pour que se maintienne le régime parfait qui a tendance à dégénérer en régimes injustes à savoir la timocratie, l’oligarchie, la démocratie et la tyrannie. La timocratie est le régime dans lequel les gouvernants ont le gout de la domination. L’oligarchie est le régime où un petit nombre détient le pouvoir. Averroes les condamne moralement car dans ces régimes, une partie de la population s’enrichit tandis que l’autre s’appauvrit. Dès lors, les pauvres se révoltent. Victorieux car plus nombreux, ils instaurent la démocratie qui est le régime où règnent la liberté et la séparation entre les groupes sociaux qui poursuivant des fins différentes. De ce fait, elle est très éloignée de la cité idéale où l’unité prévaut. En raison de la liberté qu’elle connait, la démocratie dégénère en anarchie. Pour rétablir l’ordre, un tyran s’empare du pouvoir. La tyrannie qu’il instaure est pour Averroes le degré extrême de la dégénérescence de la cité contrairement à l’opinion de son temps qui considérait le tyran comme un héros en raison de son aptitude à mener la guerre sainte. Cependant, dépassant cette vision dogmatique, il estime qu’en fait, les régimes politiques ne poursuivent pas une seule fin. Ils poursuivent plusieurs fins qui sont celles des groupes qui composent la cité. Il ressort de cette analyse que les philosophes qui ont intégré la pensée grecque dans la tradition islamique ne sont pas en rupture avec cette tradition car ils considèrent que la société est conditionnée par la figure du chef. Cependant, ils se rapprochent de la modernité pour deux raisons. La première est qu’ils perçoivent la cité comme un tout organique devant fonctionner comme un corps humain, conception qui est à l’origine de la construction de la volonté générale à partir des volontés particulières. La seconde est l’approche rationnelle du donné révélé : il ne suffit pas de connaitre la loi pour être exemplaire. Il n’y a pas de relation entre le respect de la loi et la moralité qui est tributaire de l’éducation. Ils ont ainsi contribué à libérer le champ politique de la religion. C’est à ce titre que l’on peut les qualifier de philosophes des Lumières.