Dr Duncan Milne Neuropsychologue Apprendre au cerveau à lire Adapté par Dyslexia International © 2010 Dr Duncan Milne asbl Apprendre au cerveau à lire Préface Comment le cerveau apprend-il à lire ? Comment apprendon à lire à un groupe de cerveaux distincts ou à un type de cerveau déterminé ? La lecture est un processus artificiel, pour lequel le cerveau n’a pas été conçu au départ. Quelles en sont les parties impliquées lors de ce processus créé par l’homme ? Lors de la lecture, des images visuelles sont associées à des sons par une série de connexions dans le cerveau pour ensuite être transférées dans la partie frontale de l’hémisphère gauche. Ce livre expose les éléments de la science neurologique expliquant la lecture, et examine quelles en sont les implications pour l’enseignement de celle-ci. Apprendre au cerveau à lire est un livre destiné aux enseignants, aux parents et aux spécialistes de la lecture, qui fait appel à la recherche sur le cerveau pour appuyer la théorie ainsi que la pratique. Cet ouvrage passe en revue les principaux développements de la recherche en imagerie cérébrale des dix dernières années, ainsi que les évolutions parallèles des théories qui sous-tendent l’enseignement de la lecture et les meilleures pratiques scolaires. L’exploration du cerveau permet d’étudier le fabuleux processus de la lecture. Comment cette capacité se développe-t-elle ? Comment l’apprentissage modifie-t-il la façon dont le cerveau est configuré ? Quels sont les endroits spécifiques du cerveau qui devraient être visés pour la remédiation à la lecture ou pour un apprentissage accéléré ? Ce livre explique comment le cerveau développe des connexions lors de la lecture, et profitera à tous ceux qui s’intéressent à l’apprentissage de celle-ci, à mesure qu’ils prendront connaissance des résultats des dernières recherches sur la capacité du cerveau à lire et à écrire. Ce texte a été traduit de l’anglais Teaching the brain to read, adapté au français, et n’inclut pas les éléments pertinents pour l’anglais uniquement. La traduction a été réalisée par des étudiants de l’ISTI (Institut Supérieur de Traducteurs et Interprètes), Bruxelles, supervisés par Marie-France Baeken. Conception : Pauline Key-Kairis 2 Apprendre au cerveau à lire Sommaire Table des illustrations 5 Introduction 7 La diversité neurologique 16 Les origines du langage 16 La variation symétrique 17 Le paradoxe de la spécialisation pour la lecture 18 Résumé 21 Le cerveau lors de la lecture 23 Modules 24 Le module auditif (avant du cerveau) 24 Le module visuel (arrière du cerveau) 28 Les circuits de lecture 31 Le décodage (le circuit supérieur) 31 L’accès direct (le circuit inférieur) 34 Résumé 37 L’enseignement de la lecture 38 La méthode phonique et la méthode globale 38 Les méthodes phoniques synthétique et analytique 43 La méthode mixte 46 Résumé 51 L’orthographe et la composition 52 Le rappel direct (le circuit inférieur) 52 L’encodage (le circuit supérieur) 54 L’orthographe inventée 56 La rédaction 59 Résumé 60 3 Apprendre au cerveau à lire La dyslexie développementale 61 La dyslexie développementale et la dyslexie acquise 61 La dyslexie développementale et les simples faiblesses en lecture 63 Les recherches effectuées sur le cerveau des dyslexiques 67 Résumé 72 Les procédés de lecture 74 Le procédé de lecture dyséidétique 81 Le procédé de lecture dysphonétique 82 Relation de cause à effet 84 Intervention 88 Résumé 93 Conclusion 95 Glossaire 101 Bibliographie 110 4 Apprendre au cerveau à lire Table des illustrations 1.1Les personnes illettrées et lettrées 1.2L’électro-encéphalographie 1.3L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle 1.4La méthode multi-sensorielle du « trotteur » 2.1Les ectopies au microscope 2.2Le corps calleux hypertrophié 2.3Les cerveaux symétriques de personnalités douées 2.4La constellation des « dys » - les apprenants différents 3.1Les origines de l’alphabétisme 3.2Les modules du langage 3.3La conscience phonologique 3.4La reconnaissance des symboles 3.5Le stade logographique 3.6Le stade phonologique 3.7Le stade orthographique 3.8L’accès lexical 3.9Le lecteur expérimenté 4.1La méthode phonique et la méthode globale 4.2Les mots sémantiquement incongrus 4.3Les méthodes phoniques synthétique et analytique 4.4 Simulations informatisées des modèles de lecture 4.5 (L’illustration n’est pas reprise) 4.6 (L’illustration n’est pas reprise) 4.7La méthode mixte 4.8La lecture en groupe au moyen de méthodes phoniques « avec lettres intégrées dans les mots » 5 Apprendre au cerveau à lire 4.9Les questions à poser lors de la lecture assistée 5.1L’orthographe par rappel direct 5.2L’encodage 5.3 (L’illustration n’est pas reprise) 5.4 (L’illustration n’est pas reprise) 5.5Relecture 6.1La dyslexie acquise et la dyslexie développementale 6.2La répartition de la lecture 6.3Le modèle de décalage entre le QI et les performances 6.4La compensation chez les dyslexiques adultes 6.5Les reconnexions dans le cerveau des dyslexiques 6.6Le manque de latéralisation lors de la lecture dans le cerveau d’un individu dyslexique 7.1Les méthodes pour identifier les procédés de lecture 7.2Le procédé de lecture dysphonétique 7.3Le procédé de lecture dyséidétique 7.4Les variations de la symétrie bêta 7.5Le déséquilibre audio-visuel 7.6Les causes de variabilité de lecture 7.7Les problèmes de lecture - organigramme 7.8Le transcodage du visuel à l’auditif 7.9Les lettres amovibles 7.10Le transcodage de l’auditif au visuel 7.11Les livres audio 7.12La boîte aux lettres et les fiches pédagogiques 7.13Les fiches analogiques 8.1Les modules du langage 8.2Le modèle de la méthode mixte 6 Apprendre au cerveau à lire 1 Introduction Le cerveau humain reste sans aucun doute l’ensemble de circuits le plus remarquable au monde. Son évolution, qui a pris des millions d’années, a doté l’homme d’un système lui permettant d’avoir accès aux informations, de calculer ou de se rappeler d’un événement. Si le « matériel » du cerveau a été conçu pour permettre à l’homme de survivre, son « logiciel » possède des fonctions plus complexes. Aujourd’hui, la quantité d’informations disponibles augmente bien plus vite que la capacité du cerveau à pouvoir l’absorber. Pour suivre ce rythme, pour apprendre à lire, par exemple, cet organe doit fonctionner de manière prodigieuse. Le savoir augmente de façon exponentielle et la lecture reste le meilleur moyen pour avoir accès à de nouvelles informations. Grâce à la technologie moderne, les scientifiques peuvent examiner l’intérieur du cerveau et le voir fonctionner. Des expériences analysent la façon dont le cerveau procède dans l’accomplissement de différentes tâches. L’activité du cerveau lors de la résolution d’un problème peut être examinée, par exemple. En employant l’imagerie fonctionnelle pour étudier le cerveau, les neuroscientifiques parviennent à comprendre en partie comment le cerveau apprend, en quoi il se distingue et quelles sont les meilleures conditions à l’apprentissage (Illustration 1.1). En séparant les composants indispensables à la lecture, les neuropsychologues peuvent examiner les moyens les plus efficaces pour enseigner au cerveau, afin de rendre l’apprentissage plus rapide et plus aisé. Les spécialistes arrivent aussi à mettre au point des techniques adaptées aux différences d’apprentissage, par exemple à celles des apprenants dyslexiques. Les processus d’apprentissage tels que la lecture, l’orthographe et l’écriture, fonctionnent grâce à un circuit complexe de neurones qui relie des régions de traitement spécialisées du cerveau. Les circuits du cerveau intervenant dans la lecture se forment normalement dans l’hémisphère gauche, dans la mesure où l’on observe une prédominance dans cet hémisphère pour le langage dans 95 pour cent des cas. Toujours dans cet hémisphère, 7 Apprendre au cerveau à lire Illustration 1.1 Les personnes illettrées et lettrées L’emploi de l’imagerie cérébrale a permis de comparer le cerveau de personnes illettrées qui ne sont jamais allées à l’école avec celui de personnes lettrées ayant été scolarisées (Petersson et al. 2000). On a demandé à chaque participant de répéter des mots inventés. Alors que les personnes illettrées trouvaient cette tâche difficile, les personnes lettrées la trouvaient au contraire assez simple. Dans le cerveau des personnes scolarisées, il y a un système d’activation complexe, particulièrement dans l’hémisphère gauche. D’autre part, les personnes analphabètes présentent une sous-activation considérable de l’hémisphère gauche. En d’autres mots, ce sont les enseignants qui programment le cerveau en mettant les bonnes connexions en place ! il existe différents centres de traitement ayant des spécialisations différentes. Ils sont connus parfois sous le nom de modules et permettent à l’homme d’analyser les informations provenant de ses sens. Différents modules du langage de l’hémisphère gauche travaillent ensemble pour accomplir des tâches telles que la lecture, l’écriture et l’orthographe. Alors que l’hémisphère gauche est presque toujours dominant dans les fonctions du langage, la très grande majorité des gens écrivent de la main droite. Ceci est dû aux connexions croisées du cerveau, ce qui donne à la plupart d’entre nous une meilleure maîtrise du côté droit de notre corps. Cependant, il existe également des connexions associées au même côté du corps, qui permettent à chaque hémisphère d’envoyer des signaux 8 Apprendre au cerveau à lire aux côtés droit et gauche et d’en recevoir. De plus, les deux hémisphères sont reliés entre eux par un gros faisceau de fibres nerveuses appelé le corps calleux. Le corps calleux veille à ce que l’information puisse passer de gauche à droite et de droite à gauche. La distinction entre hémisphère gauche et hémisphère droit est, à bien des égards, une simplification excessive étant donné que le corps calleux assure un usage des deux hémisphères comme un tout intégré. On ne peut tout simplement pas se passer d’un hémisphère. Lors de la lecture ou de l’écriture, par exemple, nous employons en grande partie notre hémisphère gauche, mais nous recevons indéniablement de l’aide de notre hémisphère droit. Le cerveau humain est constitué de milliards de cellules cérébrales interconnectées. Le connexionnisme est une théorie qui permet d’expliquer comment le cerveau fonctionne et apprend grâce à un nombre presque infini de connexions pouvant se former entre les cellules du cerveau. Ce concept explique aussi la façon dont les modules spécialisés du cerveau communiquent entre eux. C’est à la fois dans et entre les régions du cerveau que s’établissent les connexions qui créent une matrice de traitement de l’information. Ces réseaux de connexions fournissent des circuits de réaction et un soutien auxiliaire pour l’apprentissage. Selon la théorie du connexionnisme, la lecture est un processus d’autoapprentissage, c’est-à-dire que dès que le cerveau a appris à lire un mot, il emploie ce savoir pour lire des mots nouveaux. Le cerveau repère vite les mots qui paraissent corrects et ceux qui doivent être vérifiés dans un dictionnaire. Cette fonction d’auto-apprentissage du cerveau implique qu’après la mise en place des bons circuits, le cerveau continue à renforcer ces circuits en les rendant plus performants. Cela prouve que le système de lecture est intelligent, et que le cerveau n’aura finalement plus besoin d’instructions explicites sur la manière de procéder pour lire. En effet, à ce stade, le cerveau est apte à apprendre seul. Les recherches dans le domaine de la lecture se sont nettement développées ces dernières années. La méthode la plus communément employée pour l’étude de la lecture est la recherche comportementale. Cette méthode consiste à examiner le comportement du lecteur lorsqu’il exécute plusieurs tâches de lecture, telles que les tests de reconnaissance des mots, ainsi que de 9 Apprendre au cerveau à lire perception phonémique et orthographique. La recherche comportementale ne permet pas de donner directement des réponses sur le fonctionnement du cerveau, étant donné que par cette méthode, on ne fait qu’examiner le produit final de la lecture. Néanmoins, elle permet de clarifier certaines zones d’ombre sur le fonctionnement du système de lecture grâce à l’observation de ces différentes tâches de lecture. En joignant l’imagerie fonctionnelle du cerveau à ces conclusions importantes, il est possible de déterminer où et quand ces processus se produisent. Il existe de nombreux tests de lecture qui permettent aux chercheurs de comprendre les points forts et les points faibles des mécanismes de lecture. Des normes sont établies à partir de tests standardisés sur un large échantillon de lecteurs choisis pour représenter l’ensemble de la population. La plupart de ces tests de lecture examinent la capacité à lire en comparant l’aptitude réelle du lecteur à celle qu’il est censé avoir acquise, compte tenu de son âge. Ces tests permettent de situer les compétences de lecture d’un enfant par rapport à celles d’autres enfants du même âge. D’autres tests comparent la capacité réelle à la capacité attendue sur la base d’une compétence similaire. Par exemple, on arrive à prévoir les compétences attendues en lecture sur la base des capacités orthographiques, parce que la lecture et l’orthographe sont intimement liées. Lorsqu’une compétence diverge par rapport aux prévisions, on peut identifier la combinaison inhabituelle de points forts et de points faibles et mettre ainsi en place la méthode la plus appropriée pour apprendre à l’enfant à lire. Une autre technique de recherche pour l’étude du processus de lecture est la simulation informatique. Plusieurs théories ont été avancées pour expliquer le mécanisme de la reconnaissance des mots dans le cerveau. Des simulations informatiques de ces théories ont été créées pour déterminer la façon dont le cerveau lit les mots. Les scientifiques peuvent aussi avoir recours à des manipulations par simulation informatique pour prédire un mode de lecture parmi des individus dyslexiques. Pour qu’un modèle théorique de la lecture soit efficace, il doit pouvoir expliquer les différents modes de lecture signalés d’un point de vue comportemental, et la façon dont le cerveau apprend à lire. 10 Apprendre au cerveau à lire L’imagerie fonctionnelle cérébrale est devenue depuis peu une technique courante pour analyser le processus de lecture. Cette technique peut servir à tester la façon dont les différents sous-processus impliqués dans la lecture interagissent au sein du cerveau. Les méthodes les plus fréquentes sont l’électro-encéphalographie (EEG), la magnéto-encéphalographie (MEG), la tomographie par émission de positons (TEP) et l’imagerie pour résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ; chacune de ces techniques présente ses avantages et ses inconvénients pour ce qui est du coût et de la qualité de l’image. Une question à laquelle les scientifiques ont pu répondre grâce aux techniques d’imagerie cérébrale est la suivante : quand se produisent, dans le cerveau, des changements liés à la lecture ? La résolution temporelle consiste à savoir quand un changement intervient dans le cerveau, ce qui permet l’examen de différentes fenêtres de temps lors de la lecture. Par exemple, l’EEG démontre que l’accès à un mot dans la base de données du cerveau prend entre 150 et 250 millièmes de seconde après lecture du mot, alors que la prononciation d’un mot prend un peu plus de temps, entre 300 et 500 millièmes de seconde après lecture du mot. L’EEG mesure les rythmes cérébraux grâce à l’application d’électrodes sur le cuir chevelu (Illustration 1.2). Les participants s’asseyent devant un écran d’ordinateur et effectuent différents tests de lecture auxquels une limite de temps a été fixée dans la procédure d’enregistrement de l’EEG. L’EEG parvient à faire la moyenne de centaines d’essais et à évaluer les réponses du cerveau à différents types de mots. En variant les types de mots employés lors des tests, on arrive à influencer les différents sousprocessus de lecture dans le cerveau. Par exemple, l’accès aux mots très fréquents (comme « je », « que », « et ») est rapide et direct, alors que l’accès aux mots non porteurs de sens (comme « quirbeau », « fropème », « borette ») prend plus de temps, car le cerveau doit décoder le mot inconnu. L’inconvénient de l’EEG est sa faible résolution spatiale par rapport à sa résolution temporelle. La résolution spatiale permet de pouvoir localiser exactement où ont lieu les modifications dans le cerveau. La MEG fonctionne en suivant le même principe que l’EEG, mais elle est aussi équipée d’un gigantesque aimant qui enregistre en même temps l’endroit où s’effectuent les changements 11 Apprendre au cerveau à lire L’électro-encéphalographie (ou EEG) consiste à appliquer des électrodes sur le cuir chevelu afin de mesurer les rythmes cérébraux. Le cuir chevelu est dégagé et on y applique une solution saline ou du gel pour diminuer l’impédance. L’EEG mesure les signaux électriques du cerveau qui passent au travers du crâne. Plus il y aura d’électrodes placées sur le cuir chevelu, meilleure sera la résolution spatiale. Le point fort de l’EEG est de pouvoir déterminer quand ont lieu les changements. L’enregistrement des signaux électriques montre, au millième de seconde près, le moment où les différentes réactions interviennent lors de la lecture. Illustration 1.2 L’électro-encéphalographie Illustration 1.3 L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle au niveau du cerveau. D’autres chercheurs ont employé l’EEG dans un scanner IRMf pour obtenir des informations tant spatiales que temporelles. Un des avantages de la méthode de l’IRMf est son excellente précision concernant l’information spatiale. Contrairement à l’EEG, le principe de l’IRMf est de calculer les zones d’activation en fonction des modifications du flux sanguin et du taux d’oxygène (Illustration 1.3). Les chercheurs associent souvent plusieurs tests pour n’isoler que le processus étudié. Ainsi, en soustrayant des tâches d’identification de mots à des tâches d’identification de lettres isolées, on obtient l’activation des différents sous-composants de la lecture. Cette machine est un scanner à imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) de l’Institut de Recherche sur le Cerveau (Brain Research Institute) à Melbourne en Australie. Si on trouve les IRM dans la plupart des hôpitaux, cette machine est équipée d’un scanner fonctionnel qui mesure non seulement la structure (ou la forme) du cerveau, mais aussi les modifications du flux sanguin et du taux d’oxygène lorsque le cerveau effectue diverses tâches ou expériences. Le scanner IRMf n’emploie pas de traceur radioactif (comme la tomographie par émission de positons), ce qui rend son utilisation sûre pour les enfants et même pour les bébés. Cette machine possède un aimant tesla 3, qui est l’un des plus grands employés sur l’être humain. La tête de la bobine contient un miroir de sorte qu’aucun mouvement de la tête n’est nécessaire pour lire l’écran. Différents mots sont présentés à l’écran, et d’un clic de souris, le participant répond selon les exigences de la tâche de lecture. De plus, le scanner enregistre plusieurs états du cerveau au repos pour ensuite déterminer l’état normal du cerveau. 12 Apprendre au cerveau à lire L’apprentissage implicite a lieu lorsqu’on apprend quelque chose sans en avoir conscience. Ce mode d’apprentissage, une des fonctions primitives du cerveau, facilite l’apprentissage, car la conscience n’accapare pas l’intégralité de la fonction cérébrale. Beaucoup de processus dans le cerveau se passent au niveau du subconscient, c’est-à-dire sans que l’on en soit conscient. Quand on lit, par exemple, on ne parcourt pas le « dictionnaire » de notre cerveau pour reconnaître chaque mot étant donné que l’information est transmise inconsciemment. La lecture est un mélange de processus conscients et subconscients. Les activités conscientes demandent plus d’énergie car elles font appel à la mémoire de travail. Au début, nous sommes conscients de lire, comme lorsque nous apprenons à rouler à vélo ou à jouer du piano. Toutefois, lorsque nous commençons à intégrer quelques éléments fondamentaux de lecture, nos capacités de compréhension se développent dans notre subconscient. Nous pouvons alors pleinement apprécier la signification de ce que nous lisons consciemment et laisser le « côté pratique » à notre subconscient. Cette capacité à employer le subconscient fait du cerveau une machine à lire plus rapide et plus précise. Tandis que notre conscience comprend le sens, on peut porter notre attention sur d’éventuelles erreurs au niveau du subconscient, telles que l’accès à un mot faux. Les circuits de réaction du subconscient détectent les erreurs pour que des corrections automatiques puissent se faire. L’apprentissage multi-sensoriel est une méthode d’enseignement qui fournit des indications implicites au subconscient. Lorsque les enfants apprennent de manière implicite, ils découvrent les règles de relation lettre-son sans s’en rendre compte, ce qui réduit le travail de traitement conscient lors du décodage et va leur permettre d’apprendre à lire plus facilement. Par exemple, l’utilisation de lettres de couleur permet non seulement d’apprendre plus facilement aux enfants à prononcer correctement de nouveaux mots, mais son usage est aussi très ludique. L’effet de création est une autre méthode d’apprentissage implicite dont le but est de faciliter l’apprentissage et de le rendre plus amusant, par la création d’un nouveau mot. L’effet de génération, appelé souvent « apprendre en faisant », facilite l’apprentissage en demandant à l’enfant de créer quelque chose. En effet, les enfants auront par exemple davantage de facilités 13 Apprendre au cerveau à lire Illustration 1.4 La méthode multi-sensorielle du « trotteur » La méthode multi-sensorielle vise les enfants ayant des besoins d’apprentissage différents et prévient les difficultés de lecture. L’apprentissage multi-sensoriel est comparable à un trotteur dont les trois roues sont les mécanismes kinesthésiques (tactiles), auditifs et visuels qui aident à construire les circuits de lecture. Une fois les bons circuits de lecture mis en place, ces roues peuvent être abandonnées dans la mesure où le cerveau est totalement apte à apprendre par lui-même. 14 Apprendre au cerveau à lire pour apprendre un nouveau mot quand ils l’ont construit eux-mêmes avec des lettres amovibles. La méthode multisensorielle dans l’acquisition de nouvelles compétences en lecture peut être comparée à un trotteur. En effet, une fois ces compétences acquises, le « trotteur multisensoriel » n’aura plus de raison d’être et l’enfant pourra s’en passer (Illustration 1.4). Ces dix dernières années, la connaissance du fonctionnement de la lecture s’est considérablement développée. Pour la première fois, le comportement physiologique du cerveau peut être examiné lors du processus de lecture. Ce nouveau domaine passionnant de la neuroscience cognitive permet d’intégrer les résultats des recherches effectuées dans différentes disciplines comme la médecine, l’enseignement, la neuropsychologie, l’informatique et l’imagerie cérébrale. Si on examine la lecture à travers ces différents domaines, un nouveau concept apparaît, celui du cerveau comme « machine à lire ». 15 Apprendre au cerveau à lire 2 La diversité neurologique L’apprentissage de la lecture fait appel à de nombreuses connexions complexes dans le cerveau. Il n’existe pas deux lecteurs qui aient la même configuration de la zone du cerveau impliquée dans la lecture. En effet, ces connexions sont propres à chaque individu, tout comme leurs empreintes digitales. La diversité neurologique permet d’expliquer pourquoi le cerveau développe sa propre façon d’apprendre à lire. Certaines personnes apprennent à lire très vite et peuvent être en avance de deux ans ou plus sur leurs camarades de classe, d’autres apprennent à lire difficilement, quels que soient les efforts qu’elles fournissent. Les origines du langage Selon les scientifiques, l’origine du langage remonterait à deux millions d’années au moins. A l’origine, notre langage n’était pas oral car la communication se faisait par gestes. En l’espace de près de deux millions d’années, le cerveau humain a évolué pour se doter de la capacité de parole. On estime que la parole s’est développée il y a 150.000 à 250.000 ans, et qu’elle est une fonction innée du cerveau, à l’instar de la marche ou de la respiration. La faculté de parler procure à l’homme différents avantages, en termes de survie, par rapport aux animaux. La communication orale ne demande pas l’usage des mains, ce qui permet de concilier travail et communication. Les mères peuvent parler à leurs enfants tout en utilisant leurs mains pour s’occuper d’eux. Le langage permet de communiquer la nuit ou sans se voir. De nos jours, grâce aux technologies modernes de communication, il est possible de contacter instantanément des individus aux quatre coins du monde. Contrairement à la parole, l’écriture et la lecture sont des inventions récentes. L’écriture date d’environ quatre mille ans et, tout comme la télévision ou la radio, elle a été conçue comme moyen supplémentaire pour communiquer. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans l’enseignement traditionnel existe depuis encore moins longtemps. Le développement d’un système 16 Apprendre au cerveau à lire de communication écrite est si récent que le cerveau n’a pas encore eu le temps d’évoluer et d’acquérir ces compétences naturellement, étant donné que chaque personne doit encore apprendre à lire et à écrire. L’invention de l’écriture a donné naissance à l’opération cognitive de la lecture, mais vu que la lecture est une invention récente, celle-ci n’est pas une fonction cérébrale transmise de manière héréditaire. C’est la raison pour laquelle la lecture doit être construite sur les systèmes existants du cerveau, grâce aux modules visuel et auditif. La lecture est un processus complètement artificiel, et il faut des années pour l’acquérir entièrement. Il n’est dès lors pas étonnant que tant d’enfants éprouvent au départ des difficultés pour apprendre à lire. Néanmoins, la lecture est importante étant donné qu’elle constitue un moyen très efficace d’acquisition rapide de nouvelles informations. La variation symétrique La plupart des cerveaux sont asymétriques, car ils favorisent l’hémisphère gauche, qui est d’ailleurs l’hémisphère dominant pour la parole. Mais comment le cerveau développe-t-il cette asymétrie ? Le cerveau fœtal humain possède beaucoup plus de cellules cérébrales que le cerveau adulte. Entre le sixième et le neuvième mois de grossesse, le cerveau fœtal va subir un processus d’élagage des synapses, au cours duquel les cellules du cerveau migrent pour former des connexions entre elles. Celles qui ne parviennent pas à former des connexions meurent. Par asymétrie de l’hémisphère gauche du cerveau humain, on entend la formation de connexions entre les régions de l’hémisphère gauche. Ce processus est le résultat de l’évolution qui a fait de l’hémisphère gauche la zone dominante pour le langage. Les processus liés au langage vont dès lors se former naturellement dans l’hémisphère gauche, hémisphère qui présente certains avantages de traitement de ces informations. Plus tard, cette spécialisation unilatérale facilite grandement l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de l’orthographe. Ainsi l’information ne doit pas être « dupliquée » par chaque hémisphère. Les mécanismes de l’évolution de l’être humain créent la diversité de façon aléatoire. Le cerveau peut se « rebeller » contre le processus de migration des cellules 17 Apprendre au cerveau à lire Illustration 2.1 Les ectopies au microscope De minuscules ectopies perturbent le processus de migration des neurones du cerveau, occasionnant des différences de connectivité, de réseau cérébral et de symétrie entre les hémisphères. par une anomalie appelée « ectopie ». Les ectopies sont des groupes de cellules cérébrales qui se forment pour perturber la migration entre le sixième et le neuvième mois de grossesse, réduisant ainsi le développement d’une asymétrie en faveur de l’hémisphère gauche (Illustration 2.1). Cette perturbation entraînera la mort de moins de cellules, ainsi que la formation de connexions anormales. On a recours à la recherche animale pour examiner les effets des ectopies sur le développement du cerveau fœtal. Si la migration des cellules du cerveau fœtal chez les rongeurs est interrompue à la suite de lésions microscopiques, des connexions anormales se forment alors avec d’autres régions du cerveau. Par exemple, si l’hémisphère gauche est perturbé, des connexions supplémentaires se forment dans l’hémisphère droit. Certains animaux développent naturellement des différences neurologiques. Environ la moitié des souris brunes de Nouvelle-Zélande développent des ectopies, ce qui entraîne de nouvelles connexions et induit des différences dans la perception spatiale. Le paradoxe de la spécialisation pour la lecture La découverte d’ectopies explique la façon dont les gènes de chaque personne peuvent modifier le degré d’asymétrie du cerveau et par conséquent affecter l’apprentissage de la lecture. Les différences de symétrie peuvent donc avoir des effets sur la connectivité inter- et intra-hémisphérique, ce qui entraîne des différences de fonctionnement au cours de la lecture (Illustration 2.2). Illustration 2.2 Le corps calleux hypertrophié Les ectopies créent des symétries dans le cerveau. Les cerveaux symétriques peuvent présenter une hypertrophie au niveau du corps calleux, c’est-à-dire le faisceau de nerfs qui relie les deux hémisphères, ce qui génère des différences dans le traitement inter-hémisphérique. 18 Apprendre au cerveau à lire Illustration 2.3 Les cerveaux symétriques de personnalités douées. Certaines célébrités ont eu beaucoup du mal à apprendre à lire, comme Léonard de Vinci, Einstein, Edison et Churchill (West, 1997). Cette perturbation n’aurait posé aucun problème à l’ère de la chasse et de la cueillette, étant donné que la lecture n’existait pas encore. À cette époque (pré-lecture), le cerveau symétrique permettait aux tribus de concevoir les choses différemment (comme employer un boomerang alors que tout le monde possédait une lance). Des activités, telles que la création de nouvelles armes pour la chasse ou de nouveaux outils pour l’agriculture, ont sans doute nécessité le développement d’un cerveau plus symétrique pour penser différemment ; voilà pourquoi la diversité neurologique constitue une part importante de l’évolution. Il est primordial d’avoir différentes façons d’appréhender un problème au sein d’un groupe. Par la présence de cerveaux symétriques et asymétriques dans un même groupe, les synergies entraînent une meilleure résolution des problèmes. Des cas anecdotiques attirent l’attention sur une longue liste de scientifiques dotés de grandes capacités créatrices, en dépit des difficultés qu’ils ont rencontrées pour apprendre à lire. Ils ont contribué à la société en pensant différemment et en mettant au point de nouveaux savoir-faire. Parmi ces personnes connues qui ont éprouvé des difficultés pour apprendre à lire, on peut citer Léonard de Vinci, Albert Einstein, Thomas Edison et Winston Churchill (Illustration 2.3). Il est intéressant de noter que, après avoir surmonté des difficultés d’apprentissage, Michael Faraday, James Maxwell et Nikola Tesla ont chacun contribué à découvrir les principes mathématiques sur lesquels repose l’imagerie cérébrale. La diversité est essentielle pour l’évolution, dans la mesure où elle permet de développer de meilleures compétences pour résoudre des problèmes. Les êtres humains travaillent généralement en groupe et communiquent avec les autres dans leur environnement. Grâce à la diversité des types de cerveau, de nouvelles idées peuvent être discutées, débattues et conçues selon différents points de vue et différents angles. Dans une classe, il existe habituellement des groupes d’enfants aux capacités multiples, non seulement en termes de vécu, mais aussi en termes de diversité neurologique. Certains enfants ont des problèmes de lecture (dyslexie), d’autres de coordination (dyspraxie), et d’autres encore d’écriture (dysgraphie). D’autres enfin ont des problèmes de concentration (TDAH, c’est-à-dire trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité), de communication 19 Apprendre au cerveau à lire verbale (dysphasie), d’orthographe (dysorthographie) ou de mathématiques (dyscalculie). Tous ces problèmes sont à bien des égards créés par l’homme. En effet, ces difficultés spécifiques ont pour cause la diversité neurologique, qui au départ fut conçue pour aider à la résolution de problèmes au sein d’un groupe, et non pas pour créer des difficultés d’apprentissage. Ainsi, bien des différences d’apprentissage découlent d’un mécanisme d’évolution conçu pour accroître la diversité. Illustration 2.4 La constellation des « dys » Il existe un grand nombre de difficultés d’apprentissage qui forme une constellation (Habib, 2003b). Les scientifiques reconnaissent aujourd’hui que tous ces troubles sont distincts, bien que des liens entre ces éléments de la constellation soient courants. La constellation des « dys » est très paradoxale : le point faible de l’un peut être le point fort de l’autre. Le concept de la constellation des « dys » décrit par Habib (2003b) est utilisé pour caractériser différentes difficultés d’apprentissage et leurs relations (Illustration 2.4). Cette constellation est loin d’avoir livré tous ses secrets et nombre d’éléments la constituant ne sont considérés que depuis peu comme des troubles distincts. Les chercheurs travaillant dans ce domaine parlent de ces nouvelles typologies en utilisant l’expression « nouvelle neuropsychologie ». Toute une série de questions, actuellement à l’état de projets de recherche, sont en attente d’être résolues par des expériences. Les différentes « étoiles » formant la constellation des « dys » sont les suivantes : –La dyslexie est un trouble affectant la capacité à acquérir les aptitudes pour la lecture. Les dyslexiques peuvent avoir du mal à prononcer des mots ou lire les mots dans leur forme globale. –La dyscalculie est un trouble qui affecte la capacité à acquérir des aptitudes arithmétiques. Les personnes 20 Apprendre au cerveau à lire atteintes de dyscalculie peuvent avoir des difficultés à lire l’heure, à calculer ou à mesurer. –La dysgraphie est un trouble qui affecte la capacité à acquérir les aptitudes pour écrire. Les personnes atteintes de dysgraphie n’ont pas une bonne coordination motrice, en particulier lorsqu’il s’agit de former des lettres. –La dysorthographie est un trouble qui affecte la capacité à assimiler les règles orthographiques. Les personnes souffrant de dysorthographie ont des problèmes pour se rappeler les mots au moyen de leur mémoire visuelle. –La dyspraxie est un trouble qui affecte l’apprentissage et l’équilibre moteur. Les personnes atteintes de dyspraxie ont des problèmes de coordination, et parfois même des problèmes de coordination œil/main. –La dysphasie est un trouble qui affecte le développement du langage oral. Les personnes souffrant de cette pathologie éprouvent des difficultés à trouver les bons mots pour s’exprimer. –Le TDAH, ou trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, est un trouble affectant l’attention. Les enfants atteints de TDAH sont souvent impulsifs et n’arrivent pas à maintenir leur concentration. Pour enseigner à des individus dont les connexions du cerveau sont différentes, il faut les encourager de manière positive afin d’établir un climat propice à la confiance et à la motivation. Apprendre est un plaisir, mais l’échec peut être traumatisant. Les enfants aux capacités contrastées se demandent pourquoi ils excellent dans certains domaines et non dans d’autres. Il faut alors leur expliquer que le cerveau n’a jamais été conçu pour lire et que nous avons tous nos forces et nos faiblesses. Résumé La diversité neurolinguistique a marqué l’évolution des êtres humains. Elle constitue un aspect essentiel de l’évolution car plus il y a de cerveaux différents, meilleure sera la résolution de problèmes au sein d’un groupe. La diversité neurologique signifie que certaines personnes ont un réseau de connexions dans leur cerveau différent de celui des autres, ce qui leur apporte des avantages potentiels en termes de créativité, d’idées originales, et de 21 Apprendre au cerveau à lire résolution de problèmes visuels et spatiaux. L’ironie de la chose est que ces avantages peuvent exister au détriment de la lecture. Il n’en reste pas moins qu’avec une instruction, une prévention et une motivation adéquates, chaque enfant peut apprendre à lire. En agissant de la sorte, les enfants peuvent apprendre à tirer profit de leurs talents dans le monde lettré qui est le nôtre. 22 Apprendre au cerveau à lire 3 Le cerveau lors de la lecture Lors de la lecture, nous activons un circuit complexe de régions et de connexions spécialisées dans le cerveau. L’architecture de neurones responsable de la lecture détermine quelles sont les parties du cerveau qui seront employées pour les différentes composantes du processus de lecture. Au fil du temps, l’homme a développé différents modules (zones de traitement), capables de traiter les informations provenant de diverses modalités, telles que les images ou les sons. C’est en fonction de son environnement que l’homme a appris à développer des liens et circuits entre ces modules, afin que puissent s’établir des connexions pour lire efficacement (Illustration 3.1). Les bases de la lecture sont les modules à partir desquels les circuits de lecture se forment. Ces circuits de lecture et ces connexions entre les modules aident à comprendre comment le cerveau lit les mots. Illustration 3.1 Les origines de l’alphabétisme Il y a deux millions d’années, ni la lecture, ni la parole n’existaient. La communication se faisait alors par gestes. Il a fallu près de deux millions d’années au cerveau pour développer la parole, qui est considérée comme une capacité innée, à l’instar de la marche et de la respiration. Il y a à peine 4.000 ans que l’homme a inventé l’écriture, et que l’opération cognitive de la lecture a donc vu le jour. Mais 4.000 ans n’ont pas suffi au cerveau pour développer des processus de lecture. C’est pourquoi le cerveau doit employer des mécanismes plus anciens, les modules visuel et auditif, et les relier à l’aide de circuits de lecture. Il faut apprendre à établir ces liens étant donné qu’ils ne se développent pas naturellement comme le langage. Dans le monde lettré qui est le nôtre, le cerveau a besoin de former des circuits de lecture afin qu’il puisse rapidement acquérir de nouvelles informations. 23 Apprendre au cerveau à lire Modules Lors de la lecture, le cerveau mobilise deux modules importants : 1Un module auditif à l’avant du cerveau, chargé du traitement de la parole ; 2Un module visuel à l’arrière du cerveau, chargé de l’accès aux images visuelles. Les modules sont des régions du cerveau qui ont développé des spécialisations pour le traitement d’informations provenant de modalités différentes (Illustration 3.2). Les modules auditif et visuel de lecture sont eux-mêmes composés de mécanismes sous-traitants, spécialisés dans différents domaines : les sons et les prononciations dans le module auditif, les lettres et les mots dans le module visuel. Le module auditif (avant du cerveau) Le module auditif à l’avant du cerveau est le siège de deux sous-composants que l’on emploie lors de la lecture : les prononciations et les phonèmes. Les prononciations Les prononciations des mots que nous apprenons au cours de notre vie sont stockées dans le module auditif, à l’avant du cerveau. La fluence verbale est une mesure du nombre de mots de la langue parlée qu’un enfant connaît, reconnaît et emploie. En outre, le fait de posséder une certaine fluence verbale est une condition importante pour apprendre à lire, puisque la parole est la résultante que nous produisons au cours de la lecture. Pour que des connexions puissent se faire entre les prononciations et les formes globales des mots, il faut que les prononciations soient déjà présentes. Les enfants développent naturellement une certaine fluence verbale au travers de leur exposition constante à des mots de vocabulaire nouveaux, étant donné que la parole est une compétence naturelle, alors que la lecture ne l’est pas. Les parents et les enseignants ont la responsabilité d’expliquer le sens des mots que les enfants ne connaissent pas et devraient les encourager à employer des mots nouveaux. Toute forme de communication aux enfants, y compris la lecture d’histoires, les aide à 24 Apprendre au cerveau à lire Illustration 3.2 Les modules du langage Il y a deux modules dans le cerveau qui forment les bases de construction des circuits de lecture. À l’avant du cerveau, on trouve le module auditif, responsable de la conscience phonémique, qui est le siège de deux sous-composants : la zone de prononciations, qui comporte tous les mots que nous pouvons prononcer, et la zone des phonèmes, qui comporte les petites unités de sons qui composent les mots. La conscience phonémique se développe lorsqu’on apprend que les mots de la langue parlée sont composés de petites unités de sons que l’on peut manipuler pour former de nouveaux mots. À l’arrière du cerveau, on trouve le module visuel, responsable de la conscience graphémique, qui est le siège de deux sous-composants : une zone de formes de mots, qui comporte des images de mots entiers, et une zone de formes de lettres, qui comporte les formes des lettres. La conscience graphémique se développe lorsqu’on comprend que les mots sont composés de différentes combinaisons de formes de lettres. 25 Apprendre au cerveau à lire développer une certaine fluence verbale dans le module auditif. Les phonèmes À l’avant du cerveau, il existe aussi un sous-composant des phonèmes dans le module auditif, comportant des représentations d’unités de son plus petites que la prononciation des mots entiers. Quand les enfants ont acquis la conscience phonémique, ils sont capables de découper les prononciations des mots en unités phonémiques de son dans le module auditif. Ils comprennent ainsi que les mots de la langue parlée sont composés d’unités de son plus petites qui peuvent être à leur tour manipulées. Ils prennent aussi conscience des différentes unités de son. La plus grande unité de son dans un mot est la syllabe (p. ex. municipal : /mu/-/ni/-/ci/-/pal/), suivie au niveau sous-syllabique par l’unité d’attaque / rime (p.ex. pomme : /p/-/om/ ). La plus petite unité est le phonème (par ex. pomme : /p/‑/o/‑/m/). Alors que la conscience phonémique est spécifique aux unités phonémiques individuelles ( /p/‑/o/‑/m/ ), la conscience phonologique concerne également de plus grandes unités de son dans les mots ( /p/‑/om/ ou /mu/‑/ni/‑/ci/‑/pal/ ). Le développement de la conscience des sons dans les mots est une condition préalable pour apprendre à lire puisqu’elle nous prépare à découper et à prononcer des mots (décodage). La conscience phonémique est, en soi, un très bon indice pour prédire les habiletés ultérieures de lecture. Comment enseigne-t-on la conscience phonémique à l’avant du cerveau ? L’emploi de jeux et d’activités ludiques constitue l’une des stratégies les plus efficaces pour développer la conscience phonémique. Des groupes d’images ou d’objets peuvent être utilisés dans un jeu de devinettes dans lequel on demande aux enfants d’identifier une image dont ils connaissent le son initial, par exemple l’image d’une balle, en leur disant : « je cherche quelque chose qui commence par le son / b / ». Ce jeu de devinette permet aux enfants de comprendre que les mots sont composés d’unités de son, et leur apprend à isoler ces mêmes unités de son dans les mots. Les comptines constituent un excellent moyen de commencer à développer la conscience phonologique, grâce à leur répétition, leur rythme et leurs rimes. Les enfants entendent continuellement les mêmes sons dans 26 Apprendre au cerveau à lire les mots qui constituent les comptines. Les jeux de rimes permettent aux enfants de comparer les sons de mots qui désignent des images afin de trouver quelles images partagent les mêmes sons. Les enfants ne doivent pas nécessairement avoir complètement assimilé une unité de son avant de se familiariser avec une autre (Illustration 3.3). Au début, les enfants auront probablement plus de facilité à acquérir des unités de son plus larges, étant donné que les unités phonémiques plus petites sont Illustration 3.3 La conscience phonologique Il existe six opérations principales de conscience phonémique que l’on peut utiliser pour manipuler les sons des mots : « faire correspondre » (est-ce que « faire » et « fatigué » commencent par le même son ?), « isoler » (quel est le son du milieu dans « tir » ?), « substituer » (remplace le son /m/ dans « manger » par le son /r/), « assembler » (assemble ces sons : /l/, /a/, /k/), « segmenter » (sépare les sons dans « lac ») et « supprimer » (dis « plier » sans le son /p/). On distingue aussi différentes unités de son que l’on peut identifier et manipuler (Goswami, 2003). La plus grande unité de son est la syllabe, suivie au niveau sous-syllabique par l’unité d’attaque/rime. La plus petite unité de son est le phonème. Lorsque les enfants peuvent effectuer ces diverses opérations de manipulation des unités de son, ils prennent conscience des unités phonologiques. 27 Apprendre au cerveau à lire plus difficiles à isoler. Les enfants peuvent développer la conscience syllabique en frappant dans les mains pour chaque syllabe du mot, par exemple en frappant dans les mains trois fois pour le mot « crocodile » (« cro / co / dile »). Toutes ces activités contribuent au développement du module auditif, à l’avant du cerveau. Le module visuel (arrière du cerveau) Le module visuel à l’arrière du cerveau est le siège de deux sous-composants utilisés lors de la lecture : la reconnaissance de la forme des mots et l’identification de la forme des lettres. La reconnaissance des mots La zone de reconnaissance des mots dans le module visuel sert à reconnaître les formes des mots entiers. Au cours du développement normal, les enfants commencent par reconnaître des symboles. Par exemple, en voyant les arches jaunes de la marque McDonalds, ils disent « McDonalds ». Leur cerveau active la forme visuelle des arches jaunes dans le module visuel à l’arrière du cerveau, et transmet ces informations au sous-composant de prononciation à l’avant du cerveau (Illustration 3.4). Les enfants peuvent également reconnaître des mots simples tels que le STOP des panneaux de signalisation, sans qu’on leur ait appris au préalable à quels sons les lettres correspondent. Lors de ce type de lecture, appelé stade logographique, l’apprenant se souvient de mots grâce à leurs caractéristiques visuelles (Illustration 3.5). Ainsi, le mot moto, dont les deux « o » ressemblent à des roues, permet aux enfants d’identifier le mot rien qu’à ses caractéristiques visuelles. Des jeux de rime, ainsi que des fiches peuvent être utilisés pour familiariser les enfants aux formes globales des mots dans le but d’établir et d’enrichir le module de la forme visuelle des mots. En effet, les mots les plus fréquents peuvent être présentés sur des cartes (aimantées) de telle manière que leur contour global soit mis en évidence. De cette manière, le contour global du mot facilite sa reconnaissance précoce. L’identification des lettres Le sous-composant d’identification des lettres dans le module visuel est spécialisé dans l’identification les 28 Apprendre au cerveau à lire Illustration 3.4 La reconnaissance des symboles Avant que les enfants n’apprennent à lire, ils commencent par reconnaître des objets ou des mots familiers. Par exemple, en voyant les arches jaunes de McDonalds, ils diront « McDonalds ». Dans ce cas, ils accèdent à la forme complète de l’image dans le module visuel, et l’associent à la prononciation dans le sous-composant de prononciation du module auditif. Cette étape logographique précoce est un précurseur au développement du circuit inférieur de lecture. Illustration 3.5 Le stade logographique C’est lors du stade logographique que les enfants apprennent à reconnaître des mots simples, sur la base de leur contour global. Par exemple, les enfants apprennent le mot « moto » en se rappelant que les deux « o » représentent les deux roues. Cet apprentissage direct peut se produire préalablement à toute instruction concernant les correspondances entre lettres et sons. En fait, le cerveau mémorise plutôt les mots entiers et les identifie directement. lettres de l’alphabet. On note parfois des inversions de lettres chez les enfants qui commencent à écrire les lettres, car leur cerveau effectue un traitement spatial pour apprendre la forme correcte des lettres. Le 29 Apprendre au cerveau à lire traitement spatial implique une bonne compréhension des propriétés physiques des lettres dans l’espace. Une manière d’exploiter ce traitement spatial est l’approche kinesthésique. La présentation de lettres en papier de verre permet aux enfants de sentir la forme des lettres et de les visualiser. En plaçant une feuille de papier sur une lettre en papier de verre, les enfants peuvent tracer la forme de la lettre eux-mêmes avant d’avoir vraiment développé des compétences à l’écrit. Ils peuvent utiliser de la pâte à modeler pour construire les formes des lettres. De grandes lettres découpées dans du carton permettent également de sentir les formes des lettres, de les visualiser et d’en tracer les éléments. Une autre activité ludique consiste à coller des objets ou des images qui commencent tous ou toutes par la même lettre sur une grande forme en carton correspondant à cette lettre. On peut ainsi montrer aux enfants des exemples de mots pour leur montrer que ceux-ci sont composés de lettres. On appelle conscience graphémique la capacité à identifier les formes des lettres et à ensuite reconnaître la forme globale des mots. Les parents et les enseignants demandent souvent conseil pour préparer au mieux les enfants à lire. Bien qu’il n’y ait pas de façon naturelle pour enseigner la lecture, étant donné que celle-ci demeure un processus artificiel, les bases de la lecture devraient être enseignées de manière à correspondre au développement naturel de l’enfant. La majeure partie de ce travail préparatoire pour enseigner la lecture peut se faire à l’aide de jeux et d’activités ludiques. Pour préparer le cerveau à lire, il faut activer deux modules importants: le module auditif et le module visuel. Lorsque les enfants apprennent que la langue parlée est faite d’unités de sons plus petites, ils développent la conscience phonémique dans le module auditif ; et lorsque les enfants prennent conscience du fait que les mots écrits sont constitués de lettres, ils développent la conscience graphémique dans le module visuel. À ce stade, le cerveau est prêt à commencer à développer les circuits de lecture entre ces modules, circuits qui formeront la base de leurs habiletés ultérieures de lecture. 30 Apprendre au cerveau à lire Les circuits de lecture Cet ouvrage aborde le processus d’acquisition de la lecture en se basant sur le modèle neurologique cognitif, selon lequel la lecture est une opération cognitive complexe ayant lieu dans le cerveau, et qui doit être apprise explicitement. Lors de la lecture, l’information est transférée du module visuel à l’arrière du cerveau au module auditif à l’avant du cerveau. La lecture passe par la perception visuelle du mot à l’arrière du cerveau et relie ensuite cette information aux sons correspondants à l’avant du cerveau. Au sein de ce flux directionnel d’informations, deux circuits principaux permettent de lire des mots : un circuit supérieur et un circuit inférieur. Le décodage (le circuit supérieur) Le circuit supérieur permet de décoder et de prononcer les mots. Le terme scientifique utilisé pour désigner ce processus est la « conversion des graphèmes en phonèmes ». Le circuit supérieur prend naissance à l’arrière du cerveau dans le sous-composant d’identification des lettres du module visuel. Après avoir analysé les lettres d’un mot et leurs positions respectives, l’information est transmise par ce circuit supérieur au sous-composant des phonèmes du module auditif à l’avant du cerveau (Illustration 3.6). Pour que le mot puisse être décodé, chaque lettre est associée au son correspondant. Ce circuit se développe au cours de l’apprentissage des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes (méthodes phoniques). La formation du circuit supérieur dans le cerveau fournit un nouveau mécanisme pour lire des mots inconnus (Illustrations 3.7 et 3.8). Au lieu de deviner les mots sur la base d’indices picturaux, on peut décoder les mots en déterminant la prononciation la plus probable. Le circuit supérieur permet de décoder un mot inconnu sur la base de la connaissance des relations entre lettres et sons. Étant donné que la plupart des mots sont nouveaux quand on apprend à lire, le circuit supérieur est un outil très puissant permettant d’apprendre des mots nouveaux puisqu’il nous aide à déchiffrer le code phonologique. 31 Apprendre au cerveau à lire Illustration 3.6 Le stade phonologique Essayez de lire le mot grec kαλησπέρα. Vous éprouverez des difficultés à décoder ce mot, à moins que vous ne sachiez que la lettre ρ se prononce /r/ en grec. Une fois que les lettres et que leurs sons correspondants sont appris, on peut alors associer les formes des lettres aux phonèmes. C’est alors que l’on emploie la conscience phonémique pour assembler ces sons de manière à prononcer /kalispera/, ce qui signifie « bonne après-midi » en grec. Le sous-composant des phonèmes à l’avant du cerveau n’est pas seulement spécialisé dans la reconnaissance des unités de son dans les mots, mais il permet également de manipuler les sons. La manipulation des sons se définit comme la capacité à traiter les petites unités de sons au sein des mots. Différentes manipulations correspondent à différentes opérations de conscience phonologique. Bien que l’on puisse enseigner ces opérations exclusivement par la manipulation des son, elles sont souvent plus faciles à acquérir à l’aide du support visuel des lettres. 32 Apprendre au cerveau à lire Illustration 3.7 Le stade orthographique En lisant le mot « lac » pour la première fois, nous ne disposons pas d’entrée pour ce mot dans la zone de reconnaissance des formes des mots du module visuel à l’arrière du cerveau. Dès lors, nous prononçons ce mot en employant le circuit supérieur qui fait correspondre les formes des lettres aux phonèmes. La conscience phonémique nous permet d’assembler les sons pour prononcer le mot. Dès l’instant où l’on peut voir et entendre le mot simultanément, le cerveau l’enregistre dans sa globalité, créant ainsi une entrée dans le sous-composant de la forme du mot dans le module visuel, qui est relié au sous-composant de la prononciation dans le module auditif à l’avant du cerveau. Ce processus de mémorisation de la forme globale d’un mot est appelé lexicalisation. Les enfants peuvent alors constater que la manipulation des lettres induit la manipulation des sons. Ceci constitue la base du développement des habiletés de décodage et de la mise en place du circuit supérieur de lecture dans le cerveau. 33 Apprendre au cerveau à lire Illustration 3.8 L’accès lexical Lorsque nous voyons le mot « lac » et que nous connaissons ce mot, nous avons automatiquement accès à celui-ci dans le sous-composant de la forme des mots de notre module visuel. Le circuit inférieur se connecte rapidement au souscomposant de la prononciation dans le module auditif, ce qui nous permet de prononcer ce mot. L’accès direct (le circuit inférieur) C’est lorsque les enfants reconnaissent des symboles (tels que les arches jaunes de McDonalds) ou des mots simples en se fondant sur leurs caractéristiques visuelles globales (tels que le mot « moto ») qu’ils s’apprêtent à lire. Dans les exemples ci-dessus, les enfants ont directement accès au sous-composant de la prononciation dans le module auditif. Le circuit inférieur de lecture va du souscomposant de la reconnaissance du mot dans le module visuel à l’arrière du cerveau au sous-composant de la prononciation du mot (sortie vocale) dans le module 34 Apprendre au cerveau à lire auditif à l’avant du cerveau. Ainsi, aucune connaissance des lettres, ni des relations entre les lettres et les sons, n’est utilisée pour lire les mots à ce stade logographique précoce. Une fois que le circuit supérieur de lecture s’est développé et que les mots nouveaux peuvent être décodés, le cerveau peut alors enregistrer un mot directement dans sa globalité pour stocker sa forme visuelle associée à sa prononciation dans le circuit inférieur. Ainsi, il existe deux façons de créer une représentation du mot dans la banque de mots du cerveau, située dans le circuit inférieur. La première est l’apprentissage direct à partir de la signification ou de l’association d’une image sans la décoder. C’est le cas pour l’enfant qui apprend le mot moto en fonction de ses caractéristiques visuelles globales. La seconde est l’apprentissage par décodage qui a lieu dans le circuit supérieur où le mot est décodé, ce qui permet d’établir une correspondance entre l’identification de la forme du mot et sa prononciation. À l’âge adulte, les circuits de lecture supérieur et inférieur sont censés être complètement développés. Lors de la lecture, le circuit inférieur est aux commandes, permettant ainsi d’accéder directement à la banque de mots du cerveau. Les lecteurs expérimentés disposent d’une connaissance étendue des mots. Leur circuit inférieur accède directement à la plupart des mots qu’ils lisent. Grâce à sa rapidité et à sa précision, ce circuit est le plus efficace. Le lecteur ne doit pas décoder chaque mot, vu que cela lui prendrait trop de temps ; d’ailleurs, ce ne serait d’aucune utilité puisque ces mots sont déjà présents dans sa banque de mots. C’est seulement au moment où l’on rencontre un mot qu’on ne connaît pas qu’on dépend du circuit supérieur pour le décoder. Des expériences scientifiques ont démontré que le circuit inférieur fonctionne beaucoup plus rapidement que le circuit supérieur et que le circuit inférieur se renforce au fil du temps. Cependant, le circuit supérieur est nécessaire pour lire des pseudo-mots dépourvus de sens (comme « grovibe ») étant donné que ces mots ne sont pas stockés dans la banque de mots du circuit inférieur et doivent donc être décodés (Illustration 3.9). 35 Apprendre au cerveau à lire Illustration 3.9 Le lecteur expérimenté Le lecteur expérimenté se sert essentiellement du circuit inférieur pour lire les mots, car ce circuit est rapide et efficace. Le circuit inférieur accède aux mots en l’espace de 150 à 250 millièmes de seconde après la lecture. Ce circuit est donc bien plus rapide que le circuit supérieur qui accède aux mots dans un délai de 300 à 500 millièmes de seconde après la lecture. La recherche en imagerie cérébrale a démontré que le circuit inférieur montre des réseaux d’activations plus forts pour les mots connus que pour les mots inconnus, et que l’activation dans le circuit inférieur augmente avec l’âge à mesure que l’on apprend plus de mots (Pugh et al., 2000). Le circuit supérieur joue encore un rôle important dans le décodage de mots inconnus et présente un réseau d’activations plus fort pour les mots inconnus que pour les mots connus. 36 Apprendre au cerveau à lire Résumé Les modules visuel et auditif du cerveau humain sont connectés par deux circuits. On a directement accès aux mots connus à l’aide du circuit inférieur où se trouve la banque de mots du cerveau. Le circuit inférieur relie la forme visuelle des mots à l’arrière du cerveau aux prononciations (sortie vocale) à l’avant du cerveau. Les mots qui ne peuvent être reconnus sont traités par le circuit inférieur, qui détermine la prononciation la plus probable. Le circuit supérieur se charge du décodage, en associant l’identification des lettres à l’arrière du cerveau aux phonèmes du module auditif à l’avant du cerveau. C’est dans ce module que les sons sont assemblés pour produire la prononciation du mot. Cette information est ensuite renvoyée au circuit inférieur afin qu’une nouvelle entrée dans la banque de mots du cerveau puisse être créée. Ainsi, dès que l’on revoit ce mot, le circuit inférieur peut y accéder directement. 37 Apprendre au cerveau à lire 4 L’enseignement de la lecture Les pédagogues ont développé différentes méthodes pour apprendre à lire au cerveau sur la base d’observations et, depuis peu, des conseils fournis par la recherche pédagogique. À l’aide de l’imagerie cérébrale, les neuroscientifiques arrivent aujourd’hui à examiner directement la façon dont l’enseignement de la lecture peut influencer le développement de l’apprentissage de la lecture dans le cerveau. Ils parviennent aussi à isoler les composants du système de lecture pour envisager les méthodes d’apprentissage de la lecture les plus efficaces. Quand on apprend de nouveaux mots, soit le circuit inférieur, soit le circuit supérieur du cerveau peut être employé. Pour lire des mots nouveaux isolés, la méthode la plus efficace est le décodage des mots par le circuit supérieur. Néanmoins, le circuit inférieur joue un rôle important dans le décodage de nouveaux mots selon le sens ou le contexte. Le cerveau emploie souvent une combinaison de ces deux circuits, ce qui implique un décodage partiel pour trouver un mot qui corresponde au sens de la phrase ainsi qu’aux relations entre lettres et sons du mot. La méthode phonique et la méthode globale Il existe deux méthodes principales pour enseigner la lecture. La première est la méthode phonique dont le but est d’apprendre aux enfants à reconnaître les sons et les lettres individuelles. L’autre est la méthode globale dont le but est d’enseigner aux enfants à reconnaître la forme globale des mots dans un contexte de sens. Ces deux méthodes d’apprentissage visent différents circuits du cerveau (Illustration 4.1). L’instruction phonique stimule le circuit supérieur du cerveau. Ce circuit traite les formes des lettres individuelles à l’arrière du cerveau et les relie aux sons correspondants à l’avant du cerveau. La méthode globale active le circuit de lecture inférieur du cerveau qui traite les formes globales des mots à l’arrière du cerveau et 38 Apprendre au cerveau à lire Illustration 4.1 La méthode phonique et la méthode globale Les deux méthodes courantes d’apprentissage de la lecture sont la méthode phonique et la méthode globale. Chacune cible un circuit différent du cerveau. La méthode phonique stimule le circuit supérieur, fournissant des stratégies pour décoder des mots nouveaux, tandis que la méthode globale fait appel au circuit inférieur dans le but d’accroître la compréhension globale par l’apprentissage de mots en contexte. Alors que des débats font toujours rage sur les avantages et inconvénients des méthodes phonique et globale, ces dernières sont tout aussi importantes l’une que l’autre pour le développement des circuits de lecture. Il existe une méthode dite mixte dans les programmes d’apprentissage de la lecture, qui consiste en un mélange synergique entre la méthode globale et la méthode phonique. 39 Apprendre au cerveau à lire les relie à leur prononciation à l’avant de celui-ci. Alors que le circuit supérieur comporte un ensemble de règles qui sont utilisées pour décoder des mots nouveaux , le circuit inférieur stocke le vocabulaire de telle manière que l’on puisse directement reconnaître un mot quand on le rencontre de nouveau. Quand on commence à lire couramment, on fait moins appel au circuit supérieur puisque la plupart des mots que l’on lit sont déjà stockés dans le circuit inférieur. Le circuit supérieur est utile pour apprendre des mots nouveaux car il constitue une stratégie (indépendante du sens) pour déchiffrer la prononciation d’un mot. Ce circuit analyse les traits visuels d’un mot nouveau et détermine ensuite la prononciation la plus probable en se basant sur les règles de correspondance entre lettres et sons. Bien qu’aucune méthode pédagogique ne soit purement phonique (sans contact avec des textes), ou purement globale (sans instruction de décodage), ces deux méthodes élaborent des façons différentes de lire des mots inconnus. La méthode phonique favorise le décodage de mots pour déterminer la prononciation la plus probable. La méthode globale, quant à elle, anticipe plutôt la prononciation d’un mot inconnu sur la base du sens de la phrase et du contexte du mot dans le récit. Alors que la lecture de mots inconnus isolés de tout contexte nécessite un décodage pour déterminer la prononciation la plus probable, il est possible de décoder des mots inconnus présentés dans un contexte ou d’en deviner le sens grâce à des indices contextuels. La recherche en électro-encéphalographie (EEG) a démontré que le cerveau prédit les mots dans une phrase sur la base du sens. Lorsqu’on lit une phrase qui n’a pas totalement du sens, le cerveau réagira au mot qui n’a pas sa place dans la phrase. Ces mots-là sont appelés « sémantiquement incongrus ». Par exemple, quand on lit la phrase « Elle a bu un grand verre d’ongles », c’est le mot « ongles » qui produit une incohérence. Après la lecture du mot « ongles », il faut attendre 400 millièmes de seconde pour que le cerveau réagisse en disant : « Attends un peu, il y a quelque chose qui ne va pas ici », et un potentiel électrique négatif est produit (Illustration 4.2). Ceci démontre que le cerveau exploite le sens quand il lit des mots en contexte afin de prédire la prononciation la plus probable d’un mot inconnu. 40 Apprendre au cerveau à lire Illustration 4.2 Les mots sémantiquement incongrus Lisez cette phrase : « Elle a bu un grand verre d’ongles ». N’y a-t-il pas quelque chose de bizarre ? Le mot « ongles » n’y a pas sa place. La recherche en électro-encéphalographie montre qu’un potentiel électrique négatif est produit 400 millièmes de seconde après la lecture du mot « ongles », ce qui prouve que le cerveau peut utiliser le contexte de la phrase pour faciliter la lecture. Les disparités d’apprentissage d’un individu à l’autre alimentent la polémique sur les méthodes phonique et globale. Un programme strictement axé sur la méthode globale ou la méthode phonique néglige le développement soit du circuit supérieur, soit du circuit inférieur. Alors que certains enfants peuvent développer implicitement certaines aptitudes qui ne leur sont pas instruites, la plupart des apprenants ont besoin d’un enseignement explicite. L’enseignement fondamentaliste de la méthode phonique ou globale ne répond pas à tous les besoins d’apprentissage et mène à des disparités des compétences en lecture des différents enfants. Ainsi, dans une même classe, les enfants présentent des capacités inégales et ne se situent pas tous au même stade de développement. Certains auront besoin de la méthode phonique pour décoder rapidement des mots nouveaux, tandis que d’autres auront déjà compris les relations entre lettres et sons et auront besoin de textes contextuels. Pour cette raison, les enseignants devraient opter pour une combinaison équilibrée des deux méthodes en veillant à répondre aux besoins spécifiques de chaque enfant de la classe. Sans cette combinaison équilibrée des deux méthodes, des irrégularités risquent de se développer entre les forces et les faiblesses relatives des circuits supérieur et inférieur. Les enfants à qui l’on enseigne exclusivement la méthode phonique auront des difficultés à identifier des mots dans un texte porteur de sens, ce qui est l’une des fonctions du circuit inférieur, 41 Apprendre au cerveau à lire mais décoderont les mots sans grande difficulté grâce au circuit supérieur. Les enfants à qui l’on enseigne exclusivement la méthode globale éprouveront des difficultés à prononcer des mots nouveaux en utilisant Illustration 4.3 Les méthodes phoniques synthétique et analytique Il existe deux manières courantes d’enseigner la méthode phonique : la méthode phonique synthétique et la méthode phonique analytique. La méthode phonique synthétique enseigne les relations lettre/son au circuit supérieur du cerveau. Généralement, la méthode phonique synthétique comporte une forte composante auditive basée sur les 36 phonèmes que compte la langue française. La méthode phonique analytique est une méthode plus visuelle qui recourt aux séquences communes de mots déjà appris afin de faciliter le décodage de mots nouveaux. Concrètement, ces opérations recourent à des connexions entre le circuit inférieur du cerveau qui fournit le mot analogue, et le circuit supérieur qui détermine les relations lettre/son. 42 Apprendre au cerveau à lire le circuit supérieur du cerveau, mais développeront de bonnes capacités de lecture en contexte grâce au circuit inférieur. Les méthodes phoniques synthétique et analytique Il existe deux manières d’enseigner la méthode phonique : la méthode phonique synthétique et la méthode phonique analytique (Illustration 4.3). La méthode phonique synthétique enseigne les 36 sons de la langue française ainsi que leurs relations avec les lettres correspondantes. Cette méthode s’avère efficace dans la mesure où elle fournit un outil pour décoder n’importe quel mot nouveau. Néanmoins, certains enfants peuvent éprouver des difficultés à identifier les phonèmes vu que ces derniers constituent de très petites unités de son. Ces difficultés sont compréhensibles étant donné la nature artificielle des phonèmes eux-mêmes. Par exemple, certains phonèmes tels que le / b / sont imprononçables individuellement sans la voyelle / e / . Néanmoins, la capacité de l’enfant à manipuler les sons individuels et les relations lettre / son constitue un excellent moyen de prédiction des habiletés ultérieures de lecture. La méthode phonique analytique s’appuie sur les radicaux de mots que le cerveau connaît déjà afin d’en décoder de nouveaux (Illustration 4.4). Des recherches ont démontré que les enfants développent cette aptitude dès les premiers stades de l’apprentissage de la lecture. Avec la méthode phonique analytique, le cerveau a recours aux relations lettre / son courantes constituant des « familles de mots ». Il analyse les mots nouveaux au moyen des séquences déjà apprises. Cette méthode fait moins appel à la mémoire de travail puisque la co-articulation (assemblage de sons) est déjà faite. Par exemple, il est facile de décoder « trace » en / tr / / ace / , car le cerveau reconnaît facilement les séquences de lettres d’autres mots (telles que « truc » et « très », ainsi que « place » et « race »), alors que la méthode phonique synthétique exige davantage de traitement pour décoder / t / / r / / a / / s / . Certains mots comportant diverses voyelles variables sont immédiatement reconnaissables grâce aux mots similaires sur le plan visuel. 43 Apprendre au cerveau à lire Illustration 4.4 Simulations informatisées des modèles de lecture Le cerveau est tellement doué pour décoder des mots inconnus en se fondant sur des mots déjà appris que les scientifiques ont créé des simulations de lecture informatisées pour expliquer le processus de lecture (Share, 1995). Le modèle connexionniste lit un nouveau mot en décomposant des séquences similaires de mots déjà appris. Dans cette expérience, l’ordinateur est capable de lire une liste de mots dépourvus de sens avec un taux d’exactitude de 66% après avoir acquis 2.897 mots de base. Un autre modèle informatisé, appelé modèle à double voie en cascade, adopte les mêmes principes, mais possède également un mécanisme de décodage lettre/son similaire au fonctionnement du circuit supérieur du cerveau. Il lit la même liste de mots dépourvus de sens avec un taux d’exactitude de 98%, après avoir acquis les 2.897 mots de base. Les participants humains, après avoir acquis le même nombre de mots de base, lisent les mots dépourvus de sens avec un taux d’exactitude de 91%. Ainsi, si l’on veut expliquer la façon dont le cerveau décode de nouveaux mots, il faut accepter le fait que le cerveau possède un mécanisme de décodage direct (le circuit supérieur), sans toutefois perdre de vue qu’il existe aussi des connexions entre les mots déjà appris et ce mécanisme de décodage. Ces connexions sont connues sous le nom de connexions analytiques. Le facteur d’erreur humaine doit également être pris en considération. 44 Apprendre au cerveau à lire La méthode phonique synthétique recourt au circuit supérieur du cerveau pour lire en développant une compréhension des relations lettre / son qui permettent le décodage des mots nouveaux, alors que la méthode phonique analytique implique une activation plus centrale représentant l’interconnexion entre les deux circuits de lecture. La méthode phonique analytique exploite l’analogie, qui implique une analyse des séquences de lettres courantes et de leurs sons correspondants, en transférant ces informations de mots connus pour identifier les mots inconnus. Pour ce faire, le décodage d’un mot inconnu se fait en comparant les mots connus ayant des relations lettre / son semblables. Les recherches récentes en IRMf, menées par Beneventi et ses collègues, ont montré que le traitement de la plus petite unité de son, le phonème, s’opère dans le circuit supérieur et que le traitement d’une unité de son plus grande, la rime, (telle que la terminaison –ime) a lieu dans une zone plus centrale entre les circuits inférieur et supérieur de lecture. Le traitement analytique de la rime est plus rapide que le traitement des phonèmes. Dans l’hémisphère gauche, les deux circuits de lecture sont en effet reliés et se soutiennent mutuellement. L’intégration de ces deux circuits offre un soutien supplémentaire au décodage, non seulement en se basant sur le sens et le contexte, mais aussi sur l’analogie entre les mots. La banque de mots du cerveau dans le circuit inférieur ne contient pas une liste de mots classés par ordre alphabétique comme un dictionnaire ordinaire. La banque de mots du cerveau est plutôt multidimensionnelle. Alors que certains mots sont regroupés selon le sens, d’autres sont regroupés selon les sons. Ce processus se produit au niveau du subconscient. Au niveau de l’activité consciente, l’assemblage phonologique permet alors de manipuler les sons de mots nouveaux pour trouver des séquences communes. Il est possible d’identifier les sons individuels d’un mot nouveau et de les comparer avec les mots qui y ressemblent. Dans le cerveau, la méthode phonique analytique permet la formation de connexions entre différents sons, lettres et formes globales des mots pour les mots nouveaux qui sont appris. La méthode phonique synthétique implique l’apprentissage des relations entre les sons correspondant aux différentes combinaisons de lettres de la langue française. Habituellement, cette méthode est introduite 45 Apprendre au cerveau à lire avec les associations lettre-nom / lettre-son, les associations lettre-nom / image ou les actions liées aux sons initiaux de mots déjà connus. Une fois les enfants familiarisés aux lettres et aux sons correspondants, on peut utiliser des lettres amovibles pour créer de nouveaux mots. Les mots CVC (consonne-voyelle-consonne) sont faciles à manipuler vu qu’ils constituent des syllabes fermées, qu’ils comportent une voyelle courte et qu’ils contiennent des règles lettre / son faciles à suivre (par exemple « sac », « bol », « tir »). Le composant –VC à la fin des mots CVC est le radical de la rime. Grâce à la méthode phonique analytique, les enfants peuvent se rendre compte que les mots qui se terminent par le même radical partagent la même séquence de sons. Ils peuvent alors manipuler le son initial pour former de nouveaux mots. Par exemple, on peut remplacer le / b / du mot « bol » par le son / k / pour former le mot « col ». Les enfants peuvent aussi accomplir d’autres opérations avec les mots CVC à l’aide de lettres amovibles de l’alphabet. Les lettres peuvent être assemblées pour fusionner des sons, ce qu’on appelle la co-articulation, ou séparées pour illustrer la segmentation, l’isolation ou la suppression. Les enfants peuvent aussi substituer des lettres à d’autres pour former de nouveaux mots. Par exemple, ils peuvent remplacer le son / è / de « sel » par le son / o / pour faire « sol ». Une fois que les enfants maîtrisent ces opérations, ils comprennent que les mots sont constitués de différentes unités de son qui correspondent à différentes lettres, qui peuvent à leur tour être manipulées. Un travail au niveau des mots en utilisant des lettres amovibles combine les méthodes phoniques synthétique et analytique, ainsi que la conscience phonémique en une seule leçon. Néanmoins, la méthode phonique ne constitue qu’une partie d’un programme d’apprentissage plus large, et devrait être intégrée dans le contexte de la lecture réelle. La méthode mixte La méthode mixte implique le développement de programmes de lecture qui visent le circuit supérieur (méthode phonique synthétique), le circuit inférieur (méthode globale) et les connexions entre les deux circuits (méthode phonique analytique). Le développement des deux circuits de lecture au moyen d’instructions 46 Apprendre au cerveau à lire Illustration 4.7 La méthode mixte Comment la méthode mixte agit-elle dans le cerveau ? Le cerveau possède deux modules : un module visuel à l’arrière du cerveau et un module auditif à l’avant du cerveau. Dès que l’on comprend, en utilisant le module auditif, que les mots prononcés sont constitués de petites unités de son, on développe la conscience phonémique. Une fois que l’on a appris, en employant le module visuel, que les mots sont constitués de lettres, on a alors développé la conscience graphémique. C’est ainsi que l’on peut créer des circuits de lecture entre ces deux modules. La méthode phonique synthétique apprend aux enfants à identifier la forme d’une lettre et à l’associer à un phonème, alors que la méthode globale permet d’associer le sous-composant de la reconnaissance de la forme d’un mot à la prononciation. Enfin, la méthode phonique analytique permet l’utilisation de mots déjà appris pour décoder de nouveaux mots (par analogie). 47 Apprendre au cerveau à lire explicites est un élément essentiel de la méthode de lecture mixte (Illustration 4.7). Les méthodes mixtes doivent également présenter une certaine souplesse pour permettre d’enseigner à des groupes d’enfants ayant des compétences et des besoins différents. La philosophie de la méthode mixte est de maintenir un équilibre entre la lecture faite aux enfants, celle faite avec les enfants et celle effectuée par les enfants. Lorsqu’un texte est trop compliqué pour que les enfants le lisent seuls, on peut utiliser les approches de lecture partagée ou guidée. La lecture en groupe est largement utilisée pour familiariser les enfants aux textes. L’instituteur encourage un groupe d’élèves à lire en même temps que lui. La lecture en groupe rend le texte accessible aux enfants, ceux-ci appréciant la sensation que leur procure alors la lecture. Pour une lecture en groupe, il convient de sélectionner des textes prévisibles contenant des répétitions. Ainsi, les enfants prennent goût à la lecture à la fois en reconnaissant les mots et en comprenant le sens. Lors d’une lecture en groupe, les enseignants peuvent adapter aux compétences de chaque enfant leurs questions portant sur les phonèmes, les mots, la grammaire et le sens. Les exercices de questions et réponses, dirigés par les enseignants, et avec leur soutien, s’appellent « l’échafaudage ». Avec l’aide des professeurs, l’attention des élèves peut être attirée explicitement sur les règles lettre / son, sur la place de ces lettres dans les mots, sur les mots et leur place dans la phrase, et sur le sens général du texte. Le soutien auditif peut venir de la lecture en groupe elle-même ou de la répétition du texte pendant des activités d’écoute. Quand les enfants commencent à éprouver la sensation de lire en écoutant une histoire, il faut les encourager à lire eux-mêmes le texte pour qu’ils puissent décoder et lire les lettres, les mots et les phrases. Les élèves acquièrent de la fluence et du vocabulaire tout en lisant. En employant des textes contenant des sons représentés par des lettres intégrées dans des mots, les enfants prennent conscience des sons que produisent ces lettres et du fait que les mots sont constitués de lettres, et les phrases, de mots. De cette manière, les relations apprises par le travail au niveau des mots, à l’aide des méthodes phoniques synthétique et analytique, peuvent être transférées des mots isolés aux mots pris dans leur contexte. La mise en évidence d’une lettre ou d’un son spécifique dans un texte permet aux enfants de mieux comprendre la relation lettre / son et sa 48 Apprendre au cerveau à lire Illustration 4.8 La lecture en groupe au moyen de méthodes phoniques « avec lettres intégrées dans les mots » La lecture en groupe au moyen de méthodes phoniques « avec lettres intégrées dans les mots » est utilisée pour enseigner à la fois la méthode phonique synthétique et la méthode phonique analytique dans le cadre de la lecture réelle. Les éléments du processus de lecture sont expliqués aux enfants au cours d’une leçon de groupe. Le professeur pose des questions de façon à adapter l’enseignement aux besoins du groupe d’enfants ayant tous des compétences différentes, et les enfants peuvent apprendre les uns des autres au cours de ces discussions de groupe. L’approche multi-sensorielle soutient les enfants ayant des styles d’apprentissage différents et fait en sorte que tous les enfants soient sur la voie de l’acquisition des compétences en lecture. place au sein des mots. Cette mise en évidence facilite le découpage d’un mot en différentes unités de son, étant donné que la division a déjà été réalisée. La répétition d’une lettre ou d’un son mis en évidence dans tout le texte permet un renforcement implicite (Illustration 4.8). La lecture assistée fait partie intégrante d’un programme de méthode mixte, et sert à rendre des textes accessibles à des enfants ayant différents niveaux de lecture. Une fois que les enfants ont acquis des capacités de lecture et d’écriture, ils peuvent tenter par eux-mêmes de décoder un texte nouveau. La lecture assistée implique un enseignement à un petit groupe composé d’enfants pourvus de capacités similaires. Le professeur écoute les enfants lire une histoire et les assiste si nécessaire. L’attention des enfants peut être attirée sur différents aspects de l’histoire pour s’assurer qu’ils suivent bien le 49 Apprendre au cerveau à lire sens pendant la lecture. Lorsqu’un enfant est confronté à un mot qu’il ne peut pas lire, le professeur l’assiste alors pour l’amener à utiliser une méthode efficace pour déchiffrer le mot. La plupart du temps, la méthode initiale impose à l’enfant de relire la phrase depuis le début, jusqu’au mot inconnu. Ensuite, l’enfant essaie de deviner le sens du mot en se basant sur ce qu’il a lu précédemment. S’il ne comprend toujours pas le mot, il peut alors continuer à lire jusqu’à la fin de la phrase et essayer à nouveau de déchiffrer le mot en fonction du sens de la phrase complète. L’illustration 4.9 montre le type de questions que le professeur peut poser lors de la lecture assistée. Illustration 4.9 Les questions à poser lors de la lecture assistée Inversement, la méthode peut être fondée sur la phonologie, soit en décodant le mot lettre par lettre, en ayant recours à la méthode phonique synthétique, soit en utilisant la méthode phonique analytique pour examiner des mots qui se ressemblent afin d’avoir des indices supplémentaires sur la prononciation d’un mot inconnu. Parfois, il est utile d’isoler les mots les plus difficiles et d’en discuter avec les élèves avant d’entamer la lecture. Cette étape peut être effectuée lors de l’introduction du livre. Avoir les mots difficiles fraîchement en mémoire permet de consolider la fluence verbale lors de la lecture assistée. Pour la lecture assistée, il convient de choisir des textes d’un niveau approprié pour que les enfants puissent lire la plupart des mots (90-95% d’exactitude), sinon ils se sentiront frustrés et ne comprendront plus le sens. Il faut encourager la lecture individuelle car elle permet aux enfants de lire pour leur plaisir. Le matériel de lecture mis à disposition devrait inclure une gamme de livres comprenant de la fiction et d’autres genres pour stimuler l’envie de lire. Le niveau de lecture approprié pour une lecture individuelle est de l’ordre de 95% de mots compris, c’est pourquoi il est très important de motiver les enfants lorsqu’ils apprennent à lire. On associe à la lecture deux types de motivations pour un enfant : la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque. La motivation intrinsèque de l’enfant l’amène à lire par intérêt personnel, pour explorer le monde nouveau de la lecture et pour découvrir des sujets qui le passionnent. Les enfants motivés intrinsèquement prennent du plaisir en lisant. Quand ils sont confrontés à une difficulté, ils veulent s’en sortir par eux-mêmes. Ils 50 Apprendre au cerveau à lire persistent et se plaisent à accomplir une tâche difficile. Les enfants motivés intrinsèquement passent une grande partie de leur temps à lire parce qu’ils en retirent une satisfaction cognitive et émotionnelle. Pour évaluer la motivation intrinsèque, on emploie des variables telles que la curiosité et l’implication. Lorsqu’on éveille la curiosité d’un enfant, celui-ci va se concentrer sur la description des événements et va faire preuve d’un intérêt plus prononcé pour la suite de l’histoire. Des efforts plus importants d’ordre cognitif aboutissent à des jugements plus justes et à une compréhension plus approfondie du texte. La motivation extrinsèque implique la participation à la lecture résultant d’exigences et de valeurs extérieures. Elle est mesurée à l’aide de variables telles que la reconnaissance, les résultats scolaires, les valeurs sociales, la compétition et la conformité. Les enfants dont la motivation est extrinsèque lisent pour éviter des conséquences négatives et pour recevoir des récompenses extérieures plutôt que pour leur satisfaction cognitive et émotionnelle. Malheureusement, la motivation extrinsèque s’avère être improductive pour la compréhension du texte, étant donné que le lecteur ne prête que peu d’attention à certains aspects de celui-ci, ce qui entraîne des méthodes d’apprentissage inefficaces et des déductions erronées. La motivation extrinsèque a des effets négatifs sur l’envie de lire alors que la motivation intrinsèque augmente la compréhension ainsi que la quantité de textes que les enfants liront pour leur propre plaisir. Résumé La recherche pédagogique et les méthodes utilisées en classe offrent une série de techniques pour un enseignement efficace de la lecture. Alors que la recherche avancée sur le cerveau n’existait pas lorsque ces méthodes d’instruction ont vu le jour, elle permet aujourd’hui de leur donner une légitimité scientifique. Il n’est plus nécessaire de débattre pour savoir si une technique est meilleure qu’une autre. Nous avons une vue plus globale. Différentes approches ciblent différentes parties du cerveau lors de la lecture, et il faut s’efforcer de cibler simultanément plusieurs modules, circuits et connexions afin de produire des synergies d’apprentissage et de former des enfants qui aiment lire. 51 Apprendre au cerveau à lire 5 L’orthographe et la composition L’orthographe mobilise tant le circuit supérieur que le circuit inférieur de l’hémisphère gauche du cerveau. Tandis que la lecture s’effectue de l’arrière à l’avant du cerveau (du visuel à l’auditif), l’orthographe, quant à elle, s’effectue de l’avant à l’arrière du cerveau (de l’auditif au visuel). L’orthographe aboutit à des mots écrits, tandis que la lecture aboutit à la prononciation des mots. L’obtention de l’orthographe d’un mot passe par sa prononciation à l’avant du cerveau, et ensuite par l’accès à sa forme visuelle à l’arrière du cerveau. Ce processus implique un changement directionnel dans le circuit inférieur de l’hémisphère gauche. Le rappel direct (le circuit inférieur) Le circuit inférieur du cerveau contient une banque de mots reliée au sous-composant de la prononciation à l’avant du cerveau ainsi qu’au sous-composant de la forme visuelle des mots à l’arrière du cerveau (Illustration 5.1). Cette banque de mots comporte les formes complètes des mots, ce qui permet un rappel direct lorsqu’il faut les orthographier. Le cerveau ne contient pas de banques de mots différentes pour la lecture, l’orthographe et l’écriture, c’est plutôt chaque habileté (lecture, orthographe et écriture) qui fait appel à l’unique banque de mots du cerveau, à l’aide de différentes entrées et sorties (« directionnalité »). Le fait d’avoir une seule banque de mots qui relie toutes les propriétés importantes des mots explique pourquoi les capacités à lire, à orthographier et à écrire sont si intimement liées. La banque de mots du cerveau peut développer un ensemble de mots rapidement connus « par cœur » au moyen de l’exposition répétée à de nouveaux mots par la lecture et l’écriture. Grâce à ces expositions répétées, on obtient non seulement un accès rapide à la prononciation correcte du mot au cours de la lecture, mais aussi une image visuelle de la forme du mot entier, qui peut être utilisée lorsqu’il faut l’orthographier. Ces représentations 52 Apprendre au cerveau à lire Illustration 5.1 L’orthographe par rappel direct La plupart des formes orthographiques des mots impliquent un lien direct allant du sous-composant de la prononciation au sous-composant de la forme visuelle du mot. C’est ce lien qui permet d’accéder directement à l’orthographe correcte du mot sans avoir à le prononcer à haute voix. Le circuit inférieur permet également d’accéder aux orthographes correctes des mots irréguliers, souvent très difficiles à encoder. de mots commenceront à s’affaiblir si elles ne sont pas constamment renforcées par la lecture et l’orthographe. Les mots utilisés moins fréquemment sont les plus difficiles à lire ou à orthographier. La vitesse de lecture peut ralentir si l’on passe de son roman préféré à un sujet spécifique ne relevant pas de la fiction. Il en va de même pour l’orthographe. Lorsque l’on essaie d’orthographier un mot rarement rencontré ou utilisé, il est probable que la banque de mots n’ait emmagasiné qu’une vague représentation de celui-ci qui ne nous reviendra pas facilement en mémoire. De ce fait, il sera difficile de l’orthographier correctement. Le circuit inférieur peut se résumer par l’expression suivante : « apprenez bien le mot ou oubliez-le ». 53 Apprendre au cerveau à lire L’acquisition de l’orthographe des mots les plus souvent utilisés constitue un gain de temps et d’énergie considérable pour les apprentis lecteurs, dans la mesure où ces mots constituent plus de la moitié des mots couramment lus et orthographiés. Nombre de ces mots fréquents sont directement appris en utilisant le circuit inférieur. Les mots très fréquents sont vite appris par le biais de la lecture, et possèdent rapidement une représentation dans la banque de mots du cerveau. On peut avoir accès à la forme d’un mot à partir de sa prononciation. Lorsque les mots ont été mémorisés correctement, le rappel direct fournit des orthographes parfaites. Dans ce cas, le mot n’est plus considéré simplement comme un groupe de lettres, mais comme un mot dans sa globalité, rattaché à une prononciation, un sens et une orthographe. Il n’en reste pas moins que, souvent, l’habilité à orthographier correctement n’est pas aussi simple que l’accès à la forme globale du mot. Le cerveau ne peut pas toujours se rappeler les mots qu’il veut orthographier. Il arrive parfois que, lorsqu’il tente de se souvenir de l’orthographe du mot, le circuit inférieur ne fournisse aucune réponse. En effet, au début de l’apprentissage de l’orthographe, seule une poignée de mots est directement accessible. Lorsque l’orthographe n’est pas directement accessible depuis la banque de mots, on peut utiliser le circuit supérieur du cerveau pour orthographier le mot de la manière la plus probable. L’encodage (le circuit supérieur) Alors que le circuit inférieur du cerveau est une base de données qui emmagasine les différentes propriétés des mots entiers, le circuit supérieur du cerveau est spécialisé dans la reconnaissance des relations lettre / son dans les mots. Parfois, le cerveau doit compter sur le circuit supérieur pour décoder un mot nouveau lors de la lecture. Le décodage permet d’estimer la prononciation la plus plausible du mot en se basant sur la séquence que forment ses lettres constitutives. Le décodage est également appelé conversion de graphèmes en phonèmes dans la mesure où il implique la prise en compte d’une séquence de lettres (graphème) et son association au son correspondant (phonème). Orthographier des mots inconnus est une opération qui fait également appel au circuit supérieur du cerveau, mais dans le sens opposé. 54 Apprendre au cerveau à lire L’estimation de l’orthographe de mots inconnus est appelée l’encodage, et fonctionne de l’avant à l’arrière du cerveau (Illustration 5.2). L’encodage est le processus d’estimation de l’orthographe la plus probable d’un mot sur la base d’unités de son. Il porte également le nom de conversion de phonèmes Illustration 5.2 L’encodage L’encodage est une opération orthographique qui fait appel au circuit supérieur. Plutôt que d’aller des formes des lettres aux sons des phonèmes (décodage), cette opération va des sons des phonèmes aux formes des lettres (encodage). Le processus d’encodage ne fournira pas toujours l’orthographe correcte, mais il en ressortira une suggestion probable, qui peut être vérifiée par la suite dans le dictionnaire. Les orthographes inventées permettent aux enfants de continuer à écrire sans être gênés par une orthographe inconnue. L’usage d’orthographes inventées par les personnes qui commencent à écrire leur permet de produire des histoires plus longues, et d’acquérir un meilleur vocabulaire et des structures grammaticales plus complexes. 55 Apprendre au cerveau à lire en graphèmes, dans la mesure où il implique la prise en considération d’une unité de son (phonème) et son association à la séquence de lettres correspondante (graphème). Si le circuit inférieur peut apprendre à orthographier un mot grâce à un contact répété ainsi qu’à des indices sur la forme complète de ce mot, quel est alors le but de l’encodage ? Il est utilisé lorsque la forme du mot entier n’est pas accessible, mais que la « meilleure estimation » d’orthographe du mot est requise. Trouver rapidement une orthographe plausible d’un mot incertain lors de l’expression écrite permet de ne pas s’interrompre tout en maintenant le sens du texte. L’orthographe encodée pourra être vérifiée par la suite dans le dictionnaire. Lors d’un test d’orthographe, on tentera de deviner l’orthographe la plus probable, mais cela ne signifie pas que l’encodage produira toujours la bonne orthographe. Les règles du décodage fourniront plus de chance de produire une prononciation correcte lors de la lecture, tandis que les règles de l’encodage fourniront plus de chance de produire une orthographe correcte lors de l’écriture. Ceci est dû au fait qu’il existe beaucoup plus de possibilités d’orthographe pour chaque son qu’il n’y a de prononciations, ce qui fait de l’encodage un procédé plus hasardeux que le décodage. Pour comparer et différencier les caractéristiques orthographiques des mots, nous pouvons procéder à des classifications ou regroupements des mots ayant des radicaux ou des significations semblables. Les enfants peuvent identifier des séquences orthographiques récurrentes dans certains groupes de mots, dans la mesure où ils remarquent des correspondances lettre / phonème, des structures et des morphèmes récurrents. Bien que la classification de mots constitue une approche phonique analytique pour enseigner les séquences orthographiques, les enseignants peuvent également encourager une approche phonique synthétique dans laquelle les enfants déconstruisent les mots en leurs séquences lettre / son constitutives. Enfin, les mots peuvent aussi être classés sur la base de leur signification, ce qui constitue une approche globale. 56 Apprendre au cerveau à lire L’orthographe inventée Lorsque les enfants écrivent, ils doivent rapidement accéder aux formes écrites des mots afin de pouvoir mettre leurs idées par écrit sans interrompre le fil de leur pensée. Tant que les enfants suivent les règles d’encodage lors de l’écriture, ils produiront des mots phonologiquement corrects, c’est-à-dire des mots dont le décodage donnera la prononciation correcte, même s’ils sont mal orthographiés. En utilisant des orthographes inventées, les enfants peuvent ensuite vérifier dans le dictionnaire l’orthographe des mots dont ils doutent. Il est bon de les encourager à souligner les orthographes inventées si elles leur semblent incorrectes. Ils peuvent ensuite les vérifier lors de la relecture. Ces mots devraient également être ajoutés à des listes orthographiques individuelles, à condition que l’estimation de l’enfant soit relativement proche du mot recherché. Les orthographes inventées sont utiles lors de la relecture des écrits tant par l’enfant que par l’enseignant, étant donné qu’il est possible de suivre l’histoire sans avoir à deviner la signification d’une séquence écrite par hasard. Les enfants qui utilisent les orthographes inventées écrivent des histoires plus longues avec un vocabulaire plus expressif et utilisent davantage de structures grammaticales plus complexes. Par conséquent, l’encodage, sous-composant de l’orthographe, est également un sous-composant majeur de la rédaction. Dès que les lettres d’un mot ont été sélectionnées, mises les unes à la suite des autres et puis écrites, le cerveau doit s’autocontrôler pour s’assurer que l’orthographe est correcte. Il utilise alors le circuit inférieur pour accéder au mot depuis sa banque de mots, ce qui représente un processus de lecture. Si le mot n’est pas reconnu, c’est qu’il n’est pas stocké dans la banque de mots du cerveau et doit être vérifié dans le dictionnaire ou grâce à une liste orthographique (Illustration 5.5). Si le mot est reconnu, c’est qu’il est accessible dans la banque de mots du cerveau. Plus le mot est activé, mieux il sera retenu. Le cerveau n’a plus besoin de perdre du temps et de l’énergie à utiliser le circuit supérieur, dans la mesure où il obtient un accès direct à l’orthographe depuis le circuit inférieur. 57 Apprendre au cerveau à lire Illustration 5.5 Relecture Lors de la vérification d’un mot, on utilise le circuit inférieur de lecture du cerveau. En lisant des mots écrits, le cerveau tente d’accéder à leur orthographe correcte dans la zone des formes visuelles du mot. Le mot a été orthographié correctement lorsqu’il peut être immédiatement reconnu par le circuit inférieur du cerveau. S’il ce n’est pas le cas, il est vraisemblable qu’il ait été mal orthographié. De tels mots doivent être vérifiés dans le dictionnaire afin de déterminer s’ils ont été orthographiés correctement. 58 Apprendre au cerveau à lire La rédaction Tout comme l’enseignement de la lecture implique un équilibre entre les temps de lecture à l’enfant, avec l’enfant et par l’enfant, l’enseignement de l’écriture implique un équilibre de la pratique de l’écriture pour l’enfant, avec l’enfant et par l’enfant. La rédaction partagée est utilisée pour montrer les liens entre un texte oral et un texte écrit, par exemple, lorsque les enseignants utilisent les idées des enfants pour écrire une histoire. Les enfants peuvent prendre part à l’élaboration, à la discussion et à la relecture de la rédaction. La rédaction partagée peut être utilisée pour introduire de nouveaux genres à la classe, tels que la rédaction de lettres et la poésie. Les textes non fictifs, tels que les souvenirs, les instructions, la narration, l’explication et la discussion peuvent être également introduits par ce biais. La rédaction assistée passe de la démonstration par l’enseignant à la modélisation par l’enseignant, c’està-dire que l’enseignant et l’enfant planifient ensemble la rédaction, mais qu’ensuite il incombe à l’enfant de construire ses propres phrases. Il n’est pas recommandé que les enseignants accordent trop d’attention aux fautes d’orthographe des enfants lorsqu’ils travaillent avec eux sur une rédaction. En effet, si les premiers commentaires de l’enseignant sur le travail d’un élève concernent l’orthographe ou l’écriture, ce dernier commencera à penser que ce sont là les choses les plus importantes dans une rédaction. Or, tant la lecture que la rédaction sont des processus principalement dirigés vers la signification. Le rédacteur doit construire le sens pour le futur lecteur. A l’instar des bons lecteurs qui relisent un texte s’ils ne le comprennent pas, les bons rédacteurs doivent relire et réécrire lorsqu’il y a perte de sens. Les discussions lors de la rédaction assistée aident l’enfant à structurer son récit. Par exemple, le sens d’une histoire pourrait être perdu parce qu’un enfant a oublié de placer l’histoire dans son contexte grâce à une phrase d’introduction. En discutant avec l’enfant, on peut créer cette phrase pour améliorer l’histoire. De même, on peut lui proposer un mot plus adéquat pour décrire une idée. Cet apprentissage influencera les performances de production écrite ultérieures de l’enfant, lorsqu’il ne sera plus encadré. Le produit final relu et corrigé peut être tapé à l’ordinateur et imprimé 59 Apprendre au cerveau à lire afin que l’enfant en possède une copie. L’histoire définitive est alors disponible pour être lue et appréciée par un public plus large, tel que d’autres enfants, les enseignants et les parents. Plus les enfants s’impliqueront dans les discussions, la relecture et l’édition, meilleures deviendront leurs aptitudes en lecture, en orthographe et en rédaction. Lorsque les enfants maîtrisent la rédaction, ils peuvent se positionner tantôt en narrateurs tantôt en lecteurs, et développer ainsi l’autocritique. Résumé La rédaction et l’orthographe utilisent les mêmes circuits du cerveau que la lecture, mais dans des directions opposées. Lorsqu’on orthographie un mot, la prononciation à l’avant du cerveau est connectée à la forme globale du mot à l’arrière du cerveau par le circuit inférieur. Lors de l’invention de l’orthographe d’un mot qui n’existe pas dans la banque de mots du circuit inférieur, on utilise le circuit supérieur pour l’encodage. Dans ce cas, les sons constitutifs du mot sont décomposés à l’avant du cerveau, pour être ensuite appariés aux séquences de lettres correspondantes à l’arrière du cerveau. Lorsqu’un mot est correctement orthographié, il « semble juste ». D’autres mots, qui ne semblent pas corrects, sont vérifiés dans le dictionnaire et leur orthographe correcte est apprise pour le futur. Lors de la relecture et de la correction, le cerveau essaie d’accéder aux mots écrits de la banque de mots pour s’assurer que l’orthographe est correcte. Ce processus de lecture fait appel au circuit inférieur. Une grande partie du processus de rédaction implique le passage de l’écriture à la lecture, et ensuite de la lecture à l’écriture. En inversant la directionnalité des circuits de lecture, le cerveau peut s’autocorriger, réviser et s’autocritiquer. La lecture, l’écriture et l’orthographe ont une même importance dans un programme scolaire utilisant la méthode mixte car ces compétences sont intimement liées et se renforcent les unes les autres. 60 Apprendre au cerveau à lire 6 La dyslexie développementale Bien que la dyslexie ait été mentionnée pour la première fois il y a plus d’un siècle, il reste aujourd’hui encore une grande confusion sur sa nature réelle. Sa définition variera suivant les spécialistes. Les pédiatres, les psychologues, les neurologues, les optométristes, les enseignants, les parents et les journalistes en expriment généralement une conception différente. Si les difficultés en lecture se remarquent rapidement, leurs causes, comme la dyslexie développementale, nécessitent des recherches plus approfondies. Les sections suivantes traiteront des différences entre la dyslexie développementale et la dyslexie acquise, ainsi qu’entre la dyslexie développementale et les faiblesses en lecture, et traiteront des recherches récentes en imagerie cérébrale dans le domaine de la dyslexie. La dyslexie développementale et la dyslexie acquise La neuropsychologie distingue deux types de dyslexie : la dyslexie développementale et la dyslexie acquise. La dyslexie développementale résulte du développement naturel d’un cerveau qui fonctionne différemment, ce qui entraîne des difficultés d’apprentissage de la lecture. La dyslexie acquise, quant à elle, résulte d’une lésion cérébrale qui occasionne des pertes de compétences en lecture. Il s’agit là d’un traumatisme et non d’un trouble héréditaire (Illustration 6.1). La dyslexie acquise résulte d’une lésion qui a endommagé les circuits de la lecture. Lorsqu’une lésion est spécifique à une région ou à un module du cerveau, il peut arriver qu’un composant de lecture soit perdu, alors que d’autres composants restent intacts. Une lésion à la tête peut, par exemple, endommager la capacité du cerveau à acquérir des mots nouveaux en utilisant le circuit supérieur, alors que les mots existants, déjà appris, restent intacts et peuvent être lus en utilisant la banque de mots du cerveau dans le circuit inférieur. Il est possible de reproduire temporairement ce trouble 61 Apprendre au cerveau à lire Illustration 6.1 La dyslexie acquise et la dyslexie développementale La neuropsychologie distingue deux types de dyslexie : la dyslexie acquise et la dyslexie développementale. La dyslexie acquise résulte d’une lésion d’une région du cerveau utilisée lors de la lecture, provoquant des pertes de compétences en lecture. Alors que la dyslexie acquise est causée par une lésion à la tête, la dyslexie développementale est un trouble héréditaire. Les personnes présentant une dyslexie développementale disposent de connexions neurologiques différentes dès la naissance, ce qui donne lieu à des difficultés dans le développement des compétences de lecture. à l’aide de la simulation magnétique transcrânienne (SMT). Cette technique consiste à perturber certaines régions du cerveau impliquées lors de la lecture de telle manière qu’elles soient temporairement paralysées. La perturbation du circuit supérieur de lecture d’un cerveau normal provoquera une dyslexie acquise temporaire, en raison de laquelle les mots non porteurs de sens ne pourront être lus en utilisant le circuit supérieur, alors que les mots existants pourront toujours être lus par le circuit inférieur. Selon certains, un environnement inapproprié dans l’utérus, comme par exemple un taux élevé de polluants (plomb, toxines, alcool) lors de la grossesse, ou une naissance traumatisante, peut provoquer la dyslexie. Les personnes ayant vécu de tels traumatismes sont susceptibles de présenter une dyslexie acquise, dans la mesure où le trouble n’est pas d’origine génétique et ne résulte pas de la même réorganisation anormale du cerveau que dans le cas de la dyslexie développementale. Bien que la dyslexie acquise soit considérée comme une forme de dyslexie, le terme « dyslexie » fera référence dans la suite de cet ouvrage à la forme développementale ou héréditaire. 62 Apprendre au cerveau à lire La dyslexie développementale et les simples faiblesses en lecture En règle générale, il existe deux groupes d’enfants qui ont des difficultés pour apprendre à lire : les dyslexiques et ceux qui présentent des faiblesses en lecture. Les dyslexiques ont des connexions cérébrales différentes, qui perturbent l’apprentissage de la lecture, tandis que ceux qui présentent des faiblesses en lecture ont des circuits de lecture sous-développés en raison d’un enseignement insuffisant ou d’un retard développemental. Tant les personnes qui présentent des faiblesses en lecture que les dyslexiques se situent à l’extrémité inférieure de la courbe qui représente la distribution des performances de lecture dans la population (Illustration 6.2). Sur le plan génétique, certains enfants ont pu hériter de la dyslexie, ce qui a entraîné des perturbations dans les connexions de leur cerveau. Ils peuvent également avoir hérité d’une faible propension à apprendre à lire : ils seront alors de faibles lecteurs plutôt que des dyslexiques. Si les enfants sont peu exposés, dans leur environnement, à des textes imprimés, ou encore s’ils ont un enseignement insuffisant de la lecture, ils peuvent présenter des signes de difficultés dans cette compétence. Un environnement dans lequel on ne lit pas peut intensifier les effets d’une instruction en lecture insuffisante. Ceci est connu sous le nom d’effet Mathieu, par lequel les bons lecteurs continuent à s’améliorer alors que les mauvais lecteurs lisent de plus en plus mal. Étant donné que la lecture est un mécanisme autodidacte, toute irrégularité affecte le système, qui ne se développe pas aussi rapidement et qui empêche l’enfant d’apprendre aussi efficacement qu’un autre. Les enfants ont besoin d’être souvent en contact avec des textes imprimés pour développer leur compétence en lecture. Lorsque ce contact est perdu, les enfants accumulent de plus en plus de retard au moment le plus propice pour que leur cerveau en développement apprenne à lire. Alors que leurs camarades lisent de mieux en mieux, ils se détournent de la lecture et la perte de motivation qui en découle aboutit à une exposition moins fréquente aux textes écrits. Traditionnellement, le terme « dyslexie » a été employé pour décrire une incapacité à lire, en dépit d’une intelligence et d’une scolarisation adéquates. Dans ce cas, la classification de dyslexie sera faite après avoir écarté les autres possibilités. Les personnes présentant 63 Apprendre au cerveau à lire Illustration 6.2 La répartition de la lecture Tant les dyslexiques développementaux que les personnes présentant des faiblesses en lecture représentent l’extrémité inférieure de la courbe de répartition normale des performances de lecture. Les enfants qui présentent les performances les plus faibles sont sujets à l’effet Mathieu, par lequel leur situation ne fera qu’empirer. Les dyslexiques sont des mauvais lecteurs parce que leurs circuits nerveux sont perturbés. Les problèmes des personnes présentant des faiblesses de lecture sont causés par d’autres facteurs, tels qu’un manque de contact avec des textes écrits ou un enseignement mal adapté. Chez ces personnes, les circuits de lecture sont sous-développés, plutôt que perturbés. des faiblesses en lecture ne sont pas considérées comme des dyslexiques si leurs capacités intellectuelles sont plus faibles, ou si elles n’ont pas eu suffisamment d’occasions pour apprendre. En effet, elles peuvent avoir reçu un enseignement inadéquat ou souffrir de troubles du comportement qui ont perturbé leur apprentissage en classe. Ces personnes proviennent généralement d’un milieu socio-économique défavorisé dans lequel elles ont peu de livres à leur disposition, et où la lecture n’est pas encouragée. Tant que la cause des problèmes de lecture n’est pas déterminée, il est difficile d’évaluer la prévalence de la dyslexie chez les personnes présentant des faiblesses en lecture. Alors que beaucoup s’accordent à dire que les personnes présentant des faiblesses en 64 Apprendre au cerveau à lire lecture constituent 20 % de la population, seuls 4 à 10 % de la population sont considérés comme dyslexiques. La définition par exclusion du terme « dyslexie » est la suivante : échec inattendu à apprendre à lire malgré des capacités intellectuelles et des possibilités d’apprentissage suffisantes. Les enfants présentant d’autres troubles tels qu’un retard mental ou des problèmes comportementaux sont exclus, mais les vrais dyslexiques avec un QI faible peuvent également l’être. Le diagnostic de la dyslexie sur la base de décalages entre les sous-tests évaluant le QI donne beaucoup de poids au test de QI, qui n’est pas nécessairement un moyen approprié d’estimer l’intelligence des personnes dyslexiques. De plus, les mesures d’écarts avec le QI sont les plus appropriées chez des enfants de plus de huit ans, à un moment où les bénéfices d’une intervention précoce sont perdus. Il n’en reste pas moins que les tests de QI, en dépit de leurs limites, fournissent toujours un moyen efficace de distinguer les personnes présentant des faiblesses en lecture des individus dyslexiques. Ils permettent également de revaloriser l’estime que les dyslexiques ont d’eux-mêmes, ce qui constitue un facteur important pour surmonter les difficultés en lecture (Illustration 6.3). On a remis en question certains aspects de la validité statistique en ce qui concerne la définition par exclusion de la dyslexie (basée sur des tests de QI). A partir de quelle limite les gens pourvus de capacités intellectuelles limitées sont-ils exclus ? Quelle est la limite ? À un certain niveau, on utilise une limite arbitraire pour distinguer les dyslexiques de ceux qui ne le sont pas. Une fois cette limite établie, tous les dyslexiques seront-ils séparés des personnes présentant des faiblesses en lecture ? En effet, définir la dyslexie par exclusion a été maintes fois critiqué. Il faut remettre en question toutes les définitions par exclusion, dans la mesure où, abstraction faite de la performance en lecture, les critères d’inclusion demeurent incertains. Inversement, un enfant peut lire correctement pour son âge, mais moins bien que prédit sur la base de son intelligence. L’enfant est-il pour autant dyslexique ? Probablement. Y a-t-il des dyslexiques ayant un QI faible, qui ne sont pas reconnus comme tels ? Sans doute. Les tests de QI sont-ils toujours fiables pour mesurer l’intelligence d’un dyslexique ? Probablement pas. 65 Apprendre au cerveau à lire Illustration 6.3 Le modèle de décalage entre le QI et les performances Le profil d’une personne présentant une dyslexie développementale consiste en un mélange inhabituel de forces et de faiblesses d’après les résultats des sous-tests de QI, donnant lieu à un décalage entre les sous-échelles. Au contraire, les personnes qui présentent des faiblesses en lecture montrent des difficultés générales, où le résultat d’une sous-échelle peut prédire le résultat d’une autre. Certains psychologues utilisent les sous-tests de QI pour faire une distinction entre les deux groupes. Bien que ces deux groupes présentent des faiblesses en lecture, telles que mesurées par les capacités de lecture, d’orthographe et de phonologie, seuls les dyslexiques, bien que ce soit un critère de classement, présentent des aptitudes verbales ou non verbales nettement supérieures à ce que l’on pourrait prédire sur la base de leurs résultats en lecture. 66 Apprendre au cerveau à lire Les différences de connectivité observées dans le cerveau forment la variable latente qui caractérise la dyslexie développementale. Le moyen le plus efficace pour diagnostiquer la dyslexie est d’examiner le cerveau dyslexique lui-même. De nos jours, l’imagerie cérébrale peut donner un aperçu de la façon dont le cerveau fonctionne durant la lecture. On peut maintenant utiliser cette technologie pour une évaluation neurologique de la dyslexie, bien que l’on soit encore loin de pouvoir établir un diagnostic ferme. Actuellement, hormis le diagnostic neurologique, la méthode de prédilection est l’identification d’une différence statistiquement importante entre les sous-échelles des tests d’intelligence. L’idée sous-jacente de ce diagnostic est que de grandes différences entre les forces et les faiblesses témoignent de la présence d’un autre type de système de traitement, qui est celui du cerveau dyslexique. Les recherches effectuées sur le cerveau des dyslexiques Dans les années quatre-vingt, des chercheurs de l’Université de Harvard ont étudié des cerveaux dyslexiques après autopsie. Les résultats ont constitué une grande avancée dans le domaine de la recherche sur la dyslexie, le cerveau ayant été placé au centre des préoccupations. Des cerveaux dyslexiques ont été comparés avec ceux de personnes non dyslexiques et différentes régions du cerveau ont été analysées pour examiner les symétries et les anomalies. Les cerveaux dyslexiques présentaient de nombreuses différences au microscope lors des examens post-mortem (voir chapitre 2). La première étude sur la dyslexie avec imagerie fonctionnelle a eu lieu en 1996 et portait sur des participants dyslexiques adultes. Si les dyslexiques adultes tentent d’activer l’hémisphère gauche de leur cerveau au cours de la lecture, ils font également appel à l’aide des régions opposées dans l’hémisphère droit. Cette stratégie, appelée compensation auxiliaire, est semblable à ce que font les patients victimes d’un accident vasculaire cérébral pour retrouver l’usage de leurs fonctions après le traumatisme. 67 Apprendre au cerveau à lire Illustration 6.4 La compensation chez les dyslexiques adultes Cet adulte dyslexique présente une sous-activation à l’arrière de l’hémisphère gauche et des activations compensatoires dans les régions ipsilatérales de l’hémisphère droit (Milne et al., 2002). Les dyslexiques semblent avoir davantage recours aux deux hémisphères lors de la lecture. Les dyslexiques adultes peuvent lire, mais leurs aptitudes à lire ont peu de chances d’égaler celles du cerveau non dyslexique. L’utilisation de l’hémisphère droit du cerveau comme soutien lors d’une tâche séquentielle comme la lecture n’est pas aussi efficace, précise et rapide qu’un processus unilatéral qui n’utilise que l’hémisphère gauche. L’imagerie cérébrale fonctionnelle est à présent reconnue comme inoffensive pour les enfants. Des études récentes, telles que les expériences MEG de Simos et ses collègues en 2002, ont permis d’observer le développement de la lecture dans le cerveau d’enfants dyslexiques. Ces études montrent que chez les enfants dyslexiques, la jonction entre l’avant et l’arrière du cerveau ne fonctionne pas correctement et que celle-ci est sous-activée. Il en résulte donc une déconnexion. Toutefois, après des interventions au moyen de programmes justifiés scientifiquement et basés sur la phonologie, le cerveau dyslexique semble fonctionner de façon plus normale. En effet, leur hémisphère gauche est alors davantage activé (Illustration 6.5). Ce n’est pas pour autant que fournir un enseignement supplémentaire au cerveau dyslexique le rendra normal. Ces recherches mettent plutôt en évidence le fait que les dyslexiques utilisent les mêmes régions du langage dans l’hémisphère gauche lors de la lecture que les nondyslexiques. Le cerveau dyslexique ne comporte pas une réorganisation globale où des modules sont distribués de façon aléatoire dans tout le cerveau. Cependant, le cerveau d’un dyslexique rencontre des difficultés de communication entre les modules qui le composent, en raison de connexions défaillantes. L’imagerie 68 Apprendre au cerveau à lire Illustration 6.5 Les reconnexions dans le cerveau des dyslexiques Les recherches sur le cerveau d’enfants dyslexiques montrent qu’une intervention efficace améliore la lecture et augmente l’activation dans les régions du langage de l’hémisphère gauche du cerveau, qui étaient auparavant sous-activées (Simos et al., 2002). Les réseaux d’activation après remédiation sont plus proches de la normale (Aylward et al., 2003). cérébrale fonctionnelle révèle la façon dont les modules semblent déconnectés les uns des autres dans le cerveau dyslexique. Toutefois, les résultats obtenus par Aylward et ses collègues en 2003 montrent qu’une intervention appropriée peut entraîner une plus grande activation dans l’hémisphère gauche chez les enfants dyslexiques. Dans ce cas, après intervention efficace visant à améliorer les capacités de traitement, les régions ou modules de l’hémisphère gauche commencent à agir de la même manière que chez les individus non dyslexiques, pour autant que le niveau de difficulté ne s’élève pas au-dessus de leurs capacités. Des recherches récentes effectuées par Temple et ses collègues en 2003 sur l’efficacité de programmes d’intervention sur le cerveau d’enfants dyslexiques ont montré un regain d’activation des modules auditif et visuel dans l’hémisphère gauche, ainsi qu’une nouvelle activation dans l’hémisphère droit (Illustration 6.6). Une intervention phonologique stimule parfois un circuit supérieur bilatéral (hémisphères gauche et droit) inactif, une des caractéristiques qu’on retrouve parfois dans le cerveau plus symétrique d’un dyslexique. Dans tous les cas, le cerveau dyslexique possède des différences structurelles et fonctionnelles par rapport à un cerveau non dyslexique, et une intervention appropriée peut s’avérer bénéfique. Elle améliore les performances en lecture, les fonctions comportementales et la capacité du cerveau à traiter des mots. 69 Apprendre au cerveau à lire Illustration 6.6 Le manque de latéralisation lors de la lecture dans le cerveau d’un individu dyslexique Les configurations d’activation obtenues après un programme d’entraînement intensif montrent un regain d’activation dans deux régions de l’hémisphère gauche du cerveau, ainsi que de nouvelles activations dans l’hémisphère droit (Temple et al., 2003). Il est possible que la récupération des fonctions phonologiques stimule un circuit de lecture bilatéral précédemment inactif, ce qui laisse supposer qu’il existe une représentation anormalement bilatérale de la lecture dans le cerveau dyslexique. Etant donné que les dyslexiques et les personnes présentant des faiblesses en lecture bénéficient des mêmes interventions pour la lecture, pourquoi avoir besoin d’un terme spécifique pour désigner la dyslexie ? Car les lecteurs ont besoin de savoir pourquoi ils éprouvent des difficultés à apprendre à lire. Le cerveau dyslexique est différent de celui d’une personne présentant des faiblesses de lecture pour des raisons neurologiques. Bien que le cerveau n’ait jamais été conçu pour la lecture, le cerveau dyslexique est né avec la dyslexie, qui est un trouble héréditaire. Le cerveau des dyslexiques présente des différences tant au niveau structurel qu’au niveau fonctionnel. Ainsi, il faut prendre des précautions avant de décréter qu’un enfant souffre d’un trouble spécifique de la lecture, tel que la dyslexie. 70 Apprendre au cerveau à lire Si des informations concernant le cerveau ne sont pas incluses, on ne peut jamais être entièrement certain de l’examen. Toutefois, un parent dyslexique qui observe ou reconnaît des caractéristiques de la dyslexie chez son enfant peut très probablement s’attendre à ce que celui-ci soit également dyslexique. Que faire si un enfant présente les symptômes de la dyslexie ? Avec l’aide d’un psychologue de l’éducation, il est primordial d’entreprendre un examen complet mettant en évidence les forces et les faiblesses d’apprentissage de l’enfant. Des rapports d’évaluation d’enfants dyslexiques au cours de leur développement fournissent des indications importantes sur le profil de la dyslexie, et permettent d’écarter la possibilité d’un retard de croissance. Lorsque l’individu dyslexique accède à l’enseignement supérieur, un historique de ses problèmes de lecture fournit les preuves permettant de mettre en place des conditions spécifiques pour la passation des examens. Nombre d’adultes dyslexiques sont réticents à l’idée de bénéficier de ces conditions dans la mesure où ils veulent être traités comme tout un chacun. Néanmoins, il est normal de permettre aux personnes dyslexiques de bénéficier de conditions spéciales pour la passation d’examens, qui tiennent compte de l’énergie supplémentaire que doit fournir leur cerveau lorsqu’ils effectuent des activités telles que la lecture, l’orthographe et l’écriture. Aucune recherche n’a montré que les programmes de remédiation pour lecteurs dyslexiques devaient comporter des éléments spécifiques qui ne seraient pas repris dans les programmes de remédiation destinés aux lecteurs présentant des faiblesses en lecture. Alors que de nombreuses approches nouvelles, telles que l’apprentissage multi-sensoriel, ou la méthode « apprendre en faisant », sont particulièrement bénéfiques pour les dyslexiques, elles semblent aider tous les lecteurs, y compris les meilleurs d’entre eux. D’aucuns prétendent que les ressources ne devraient pas être exclusivement consacrées aux dyslexiques, considérés comme tels sur la base d’un diagnostic par exclusion, dans la mesure où tout mauvais lecteur souffre d’une incapacité à lire qui exige une attention immédiate et des formes d’intervention similaires. D’autres affirment même sous forme de boutade que tous les enfants sont dyslexiques lors de leur premier jour à l’école : ils veulent 71 Apprendre au cerveau à lire dire par là que tous les enfants présentent initialement des faiblesses en lecture. Il est un fait que tous les enfants qui éprouvent des difficultés devraient disposer des ressources adéquates leur permettant d’apprendre à lire, indépendamment de la cause. Cependant, les dyslexiques ont besoin d’un soutien supplémentaire en raison de leurs différences neurales, qui ont causé des perturbations dans leurs circuits de lecture dès la naissance. Les personnes présentant des faiblesses de lecture, quant à elles, ont besoin d’un soutien supplémentaire parce que leurs circuits de lecture sont sous-développés et requièrent plus d’instructions et d’entraînement. Résumé Si un enfant éprouve des problèmes de lecture, est-il forcément dyslexique ? Pour répondre à cette question, il faut considérer toutes les causes possibles pouvant induire des faiblesses en lecture : – D’autres membres de la famille éprouvent-ils également ces problèmes de lecture ? – Y a-t-il eu des anomalies lors de la naissance de l’enfant qui auraient pu causer des dommages aux systèmes de lecture ? – Quelle place a eu la lecture dans l’environnement précoce de l’enfant ? La myriade de causes possibles aux problèmes de lecture explique pourquoi il y a eu tant de confusion dans le domaine de la dyslexie. Historiquement, en l’absence de recherche sur le cerveau, les spécialistes de la dyslexie ont sauté d’une théorie à l’autre dans l’espoir de découvrir une cause unique pour ce trouble. Pendant de nombreuses années, la dyslexie a été considérée comme un terme générique désignant toutes les personnes atteintes de problèmes de lecture ou d’autres difficultés d’apprentissage. Cependant, cette approche générique non seulement déforme les résultats importants des recherches faites sur la dyslexie, mais elle fournit également des informations potentiellement erronées à l’individu qui éprouve des difficultés pour apprendre à lire. Une analyse approfondie des causes qui pourraient être à l’origine des problèmes de lecture constitue dès lors un élément essentiel de toute évaluation portant 72 Apprendre au cerveau à lire sur la lecture, dans la mesure où elle peut répondre à la question suivante : pourquoi une personne éprouve-t-elle des difficultés de lecture ? 73 Apprendre au cerveau à lire 7 Les procédés de lecture Chez tous les lecteurs, il existe une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux qui influence le fonctionnement de leurs circuits de lecture. Dans le cerveau, une faiblesse en lecture peut affecter différentes parties du système de lecture. D’un point de vue environnemental, ceci peut s’expliquer par un déséquilibre, comme par exemple un enseignement de la lecture trop phonique ne permettant pas à l’enfant de visualiser assez de mots en contexte, ou vice versa. D’un point de vue neurologique, des perturbations peuvent être responsables d’une faiblesse en lecture, ou il peut exister un déséquilibre entre les forces et les faiblesses des deux circuits de lecture. Lorsque les chercheurs analysent l’intérieur du cerveau pour examiner la façon dont les circuits de lecture interagissent, ils prennent en compte les procédés de lecture du cerveau. Ils s’intéressent à la façon dont les mécanismes internes de la machine interagissent (Illustration 7.1), plutôt qu’à la façon dont elle a été construite ou à son utilisation. La connaissance des procédés de lecture est très utile, dans la mesure où c’est grâce à cette connaissance que l’on peut développer des programmes d’intervention. Ces programmes sont élaborés sur mesure pour les besoins de chacun. Les procédés de lecture constituent la source d’information principale pour le développement de programmes d’intervention. À l’intérieur du cerveau, les problèmes de lecture induisent des déséquilibres au sein même du système de lecture. Il ne faut pas forcément être dyslexique pour développer ces déséquilibres. Un enseignement mauvais ou insuffisant et / ou un manque de motivation peuvent causer une répartition anormale des forces et des faiblesses dans les régions du cerveau consacrées à la lecture. Divers facteurs, tels que la diversité neurologique, le contact avec des textes écrits, les méthodes d’enseignement ou la motivation à lire, peuvent occasionner des différences dans les opérations internes du système de lecture, et par conséquent dans le cerveau lui-même. 74 Apprendre au cerveau à lire Illustration 7.1 Les méthodes pour identifier les procédés de lecture Des tests de lecture spécifiques sont utilisés pour mesurer la robustesse des circuits de lecture supérieur et inférieur. Les mots irréguliers testent le circuit inférieur (Boder et Jarrico, 1982). Le circuit inférieur doit être utilisé pour accéder directement aux mots irréguliers, puisque le circuit supérieur ne peut pas les prononcer. Des séquences non porteuses de sens peuvent être utilisées pour tester la capacité du circuit supérieur (Frith et Gallagher, 1997). Les séquences non porteuses de sens ne sont pas accessibles depuis la banque de mots du circuit inférieur, car elles sont inconnues. Au lieu de cela, le circuit supérieur est utilisé pour déterminer la prononciation la plus probable. Chez les lecteurs non dyslexiques, il existe une égalité relative entre les capacités des circuits inférieur et supérieur. 75 Apprendre au cerveau à lire Des chercheurs ont tenté d’utiliser l’imagerie cérébrale fonctionnelle pour distinguer différents types de procédés de lecture qui serviraient ensuite à l’étude de la neurobiologie des problèmes de lecture. La région du cerveau consacrée à la lecture contient deux circuits principaux, le circuit supérieur et le circuit inférieur. Afin d’examiner les différences individuelles dans les types de procédés de lecture, on identifie les forces et faiblesses relatives entre les circuits de lecture. La variabilité individuelle peut se manifester à travers le circuit supérieur, le circuit inférieur ou les deux. Bien que la plupart des lecteurs possèdent des forces tant au sein du circuit supérieur que du circuit inférieur, certains lecteurs présentent des déséquilibres qui favorisent l’un des deux circuits. Il existe deux façons de lire un mot à haute voix. La première implique un accès direct au mot depuis l’endroit où les formes des mots sont représentées dans le circuit inférieur du cerveau, tandis que l’autre implique le décodage du mot en utilisant la conversion des graphèmes en phonèmes dans le circuit supérieur du cerveau. Tout comme il existe deux circuits de lecture, il existe également deux types de procédés de lecture (Illustrations 7.2 et 7.3). Les dyséidétiques ont des difficultés à accéder aux formes des mots et à lire des mots irréguliers (tels que « yacht » ou « plomb »), ce qui semble indiquer des problèmes avec la capacité du circuit inférieur à accéder aux formes visuelles des mots. Les dysphonétiques ont des difficultés à décoder les mots et à lire des séquences non porteuses de sens (telles que « grovibe »), ce qui semble indiquer des problèmes de conversion graphème / phonème dans le circuit supérieur. Les dyséidétiques et les dysphonétiques présentent des procédés de lecture différents dans le cerveau (Illustration 7.4). Les dyséidétiques semblent concentrer l’activité neurologique à l’arrière du cerveau dans le but d’accéder aux formes des mots entiers. Les dysphonétiques, quant à eux, semblent concentrer l’activité neurologique dans les régions frontales du cerveau liées à l’articulation phonologique (Illustration 7.5). 76 Apprendre au cerveau à lire Illustration 7.2 Le procédé de lecture dysphonétique Chez les lecteurs dysphonétiques (ceux qui ont des difficultés à décoder les mots), les capacités du circuit inférieur sont plus développées que celles du circuit supérieur. Les dysphonétiques ont plus de facilité à lire les mots irréguliers que les séquences non porteuses de sens (Milne et al., 2003). Une autre caractéristique propre aux dysphonétiques est une orthographe incorrecte d’un point de vue phonologique. Ils ont des difficultés à encoder, opération qui nécessite d’aller du phonème à la forme des lettres. Les dysphonétiques comptent sur la mémorisation de la forme globale des mots : leur mode de lecture est dit « chinois » (apprentissage de mots entiers par cœur). 77 Apprendre au cerveau à lire Illustration 7.3 Le procédé de lecture dyséidétique Les dyséidétiques ont des difficultés à lire les mots irréguliers parce qu’ils ont des difficultés à accéder aux mots dans le circuit inférieur. Ils ont plus de facilité à lire des séquences non porteuses de sens, étant donné qu’ils disposent d’une force relative dans leur circuit supérieur. Ils peuvent également encoder avec une exactitude phonologique. Ainsi, même s’ils n’orthographient pas toujours correctement les mots, la plupart de ces mots sont décodables. Les dyséidétiques ont souvent des difficultés à développer une fluence verbale étant donné qu’une bonne lecture fait davantage appel au circuit inférieur. Décoder lettre par lettre leur donne un rythme de lecture lent : leur mode de lecture est dit « phénicien ». 78 n 12 lecteurs normaux s 6 dyséidétiques l 6 dysphonétiques les ondes bêta antérieures Apprendre au cerveau à lire les ondes bêta postérieures Illustration 7.4 Les variations de la symétrie bêta L’activité cérébrale peut être mesurée pour examiner si les cerveaux dysphonétiques et dyséidétiques lisent les mots différemment (Milne et al., 2003). Cette expérience a été réalisée sur six dysphonétiques, six dyséidétiques et douze lecteurs normaux (comme éléments de comparaison). L’ordonnée représente les ondes bêta à l’avant du cerveau et l’abscisse, les ondes bêta à l’arrière du cerveau. Des stratégies neurologiques différentes s’opèrent entre les dysphonétiques et les dyséidétiques lors de la lecture. Les dysphonétiques concentrent plus d’activité à l’avant du cerveau, et les dyséidétiques à l’arrière. Les lecteurs normaux se situent entre ces deux extrêmes. Auditif - dysphonétiques Visuel - dyséidétiques Illustration 7.5 Le déséquilibre audio-visuel Cette illustration montre une soustraction entre le procédé de lecture de la moyenne des dysphonétiques et celui de la moyenne des dyséidétiques. Les dysphonétiques concentrent leurs efforts dans le module auditif, tandis que les dyséidétiques les concentrent dans le module visuel. Ces deux groupes présentant des difficultés de lecture consacrent toute leur énergie dans des zones de faiblesse. Ceci laisse à penser que nous devrions faire de même lorsqu’il s’agit d’adapter les interventions. 79 Apprendre au cerveau à lire En concentrant leur activité neurologique dans une zone de faiblesse, ces lecteurs améliorent leurs performances en lecture. Bien que cela leur demande des efforts, les dysphonétiques apprennent tout de même à décoder et les dyséidétiques à accéder aux formes globales des mots, y compris des mots irréguliers. Il s’agit là d’une forme de compensation stratégique qui implique une augmentation de l’activité afin d’améliorer les performances dans les zones du langage qui ne sont pas correctement connectées dans l’hémisphère gauche. La compensation stratégique ne se fait toutefois pas sans peine. En effet, cette concentration d’activité neurologique demande de l’énergie. La compensation stratégique peut échouer si l’individu se trouve dans des conditions de stress, telles que devoir lire à haute voix devant la classe, voire devant le professeur. Différents procédés de lecture peuvent être utilisés pour aider à adapter les programmes d’intervention qui visent le déséquilibre de lecture. Les interventions peuvent alors être testées sur la région du cerveau consacrée à la lecture pour observer l’amélioration de la connectivité. Après intervention, le lecteur n’aura plus besoin de concentrer son activité neurologique sur les zones de faiblesse, dans la mesure où les habiletés spécifiques de traitement auront augmenté dans ces zones. Les dyséidétiques et les dysphonétiques partagent la même caractéristique dominante, des performances en lecture anormalement faibles, mais les circuits de lecture responsables du déficit en lecture sont différents dans les deux cas. Un simple test de lecture ne suffit pas à comprendre le type de variabilité en lecture, étant donné que ces tests ne font qu’indiquer la présence d’un problème dans la compétence de lecture. Pour déterminer de quel type de variabilité en lecture il s’agit, les enseignants peuvent suivre de près les procédés de lecture pendant la lecture assistée en tenant compte des questions suivantes : – Quelles sont les stratégies employées pour décoder les mots nouveaux ? – Quelles sont les stratégies qui fonctionnent pour cet enfant ? –Les fautes de prononciation sont-elles acceptables sur le plan phonologique ? –Certains mots sont-ils confondus avec des mots de même signification ? 80 Apprendre au cerveau à lire –L’accès à certains mots est-il incorrect, ce qui engendre l’activation d’autres mots de formes visuelles semblables ? – A quel moment la signification est-elle perdue et pourquoi ? –Comment les stratégies de lecture changent-elles au cours du développement ? Lors des lectures assistées, on s’attend à ce que les enfants fassent certaines erreurs, sinon le niveau du texte choisi est trop faible. Il faut utiliser ces erreurs comme des indications sur la façon dont interagissent les deux circuits de lecture. Une analyse des productions orthographiques de l’enfant peut fournir davantage d’informations. L’enfant peut-il orthographier des mots nouveaux avec une précision phonologique ? Dans quelle mesure est-il capable de se remémorer des mots appris globalement, tels que les mots fréquemment utilisés ou les mots irréguliers ? Un déséquilibre relatif qui favorise la précision phonologique par rapport à un rappel direct suggère le type dyséidétique, tandis qu’un déséquilibre relatif qui favorise un rappel direct par rapport à la précision phonologique suggère le type dysphonétique. Le procédé de lecture dyséidétique Les dyséidétiques s’appuient surtout sur le circuit supérieur du cerveau. Ils lisent les mots nouveaux « lettre par lettre » pour en décoder la prononciation. Ce « déchiffrage » résulte souvent en une lecture plus lente et des erreurs de régularisation. Dans ce cas, les mots irréguliers ou les mots contenant des séquences de lettres correspondant à des sons irréguliers (« oi » dans oiseau et oignon) sont parfois prononcés avec les sons réguliers. Les dyséidétiques ont du mal à accéder aux représentations visuelles des mots, ce qui les oblige à employer davantage le circuit supérieur lors de la lecture. Or, le circuit supérieur est bien plus lent que le circuit inférieur car le décodage est une estimation, tandis que l’accès aux mots recourt au rappel direct. Ainsi, les dyséidétiques lisent généralement moins vite et éprouvent des difficultés à lire les mots irréguliers car ils les décodent au lieu d’y accéder. Les dyséidétiques ont également du mal à orthographier les mots, surtout les mots irréguliers. Etonnamment, ils disposent de capacités 81 Apprendre au cerveau à lire d’encodage très développées car ils favorisent le circuit supérieur. Bien que les textes écrits par des dyséidétiques soient truffés de fautes d’orthographe, ces erreurs sont généralement exactes phonologiquement, ce qui permet de comprendre le texte lors de la relecture. Le procédé de lecture dysphonétique Lors d’une lecture assistée, les dysphonétiques ont des difficultés à lire des mots qu’ils ne connaissent pas. La plupart des mots fréquents peuvent être appris selon la méthode « chinoise », ce qui implique un apprentissage par cœur basé sur la reconnaissance de la forme globale des mots. Cependant, les mots rares et inconnus doivent en général être décodés. Les dysphonétiques essaient souvent de sauter les mots qu’ils ne connaissent pas, ou de deviner les mots sur la base du contexte sémantique. Lors du décodage d’un mot, ils ont des difficultés à manipuler les unités de son, ce qui souligne l’importance de l’enseignement de la conscience phonologique dès le plus jeune âge. Souvent, ils utilisent des indices partiels issus du décodage, combinés au contexte pour lire correctement des mots nouveaux. Ceci les empêche de sélectionner un voisin sémantique (tel que « table » pour « bureau »), étant donné qu’ils se basent sur le son initial lorsqu’ils devinent le mot approprié. Ainsi, les dysphonétiques peuvent apprendre à chercher un mot nouveau en se fondant sur le son initial ainsi que sur le contexte. Les dysphonétiques, à l’instar des dyséidétiques, ont des difficultés récurrentes avec l’orthographe. Si les dyséidétiques peuvent orthographier avec une certaine précision phonologique, les dysphonétiques font preuve, quant à eux, d’inexactitude phonologique. Leurs erreurs rendent leurs productions écrites plus difficiles à suivre et dans un effort pour conserver le sens, ils peuvent recourir à l’utilisation de mots courts dont ils connaissent l’orthographe. Pourquoi la plupart des personnes ayant des difficultés en lecture présentent-elles des faiblesses d’assemblage phonologique ? Tant les dyséidétiques que les dysphonétiques risquent de montrer des difficultés à utiliser les analogies afin de prononcer ou orthographier des mots nouveaux, dans la mesure où ce processus recourt simultanément aux deux circuits de lecture. Lors de l’utilisation d’une analogie, le circuit inférieur 82 Apprendre au cerveau à lire fournit des mots visuellement similaires pour aider le circuit supérieur dans son processus de décodage. Si le circuit inférieur ne fonctionne pas correctement, comme c’est le cas pour les dyséidétiques, moins de mots sont transmis au circuit supérieur. Pour les dysphonétiques, les difficultés d’assemblage phonologiques sont plus marquées, étant donné que le circuit supérieur joue un plus grand rôle dans le décodage. Bien qu’on dise que les dyséidétiques présentent un léger déficit phonologique, celui-ci peut résulter du fait qu’ils présentent plus de difficultés à recourir aux analogies. Il convient de faire ici une distinction majeure : malgré de légers problèmes d’assemblage phonologique chez les dyséidétiques, le procédé de lecture dyséidétique n’est pas une forme bénigne du procédé de lecture dysphonétique, mais un procédé distinct à part entière. Étant donné que l’assemblage phonologique fait appel aux deux circuits de lecture, à cause des analogies visuelles, tant les dyséidétiques que les dysphonétiques ont des difficultés à utiliser des stratégies analytiques en raison de divers déficits. Au début de l’apprentissage de la lecture, le dysphonétique est le plus facilement reconnaissable. En effet, son circuit inférieur n’a que quelques entrées. Par conséquent, la plupart des mots seront nouveaux pour l’enfant et devront être lus à haute voix. Les dysphonétiques semblent avoir des difficultés à décoder des mots nouveaux, et préfèrent un apprentissage direct (circuit inférieur) pour acquérir du vocabulaire sans décomposer les mots (de manière globale). Les dyséidétiques peuvent décoder les mots, mais ont des difficultés à ajouter ces mots dans leur banque de mots. À ce stade précoce de l’apprentissage de la lecture, les dyséidétiques ont l’air tout à fait normaux, dans la mesure où ils sont capables de décoder des mots réguliers et qu’ils disposent de peu de vocabulaire visuel, tout comme leurs camarades (de même niveau de lecture). Lorsque ces lecteurs mûrissent, les dyséidétiques sont plus reconnaissables, tandis que les dysphonétiques semblent plus normaux. Les dyséidétiques ne parviennent pas à développer une banque de mots qu’ils pourront utiliser de manière rapide et efficace dans le circuit inférieur du cerveau, et utilisent davantage le décodage des mots pour lesquels ils n’ont pas d’accès direct. Inversement, lorsque les dysphonétiques deviennent des lecteurs plus expérimentés, et ce après un contact 83 Apprendre au cerveau à lire important avec des textes imprimés, ils ont développé des banques de données importantes et ne sont gênés que par les mots nouveaux qu’ils n’ont encore jamais vus. Ainsi, à un niveau de lecture avancé (quand on est capable de lire un texte ordinaire sans trop de mots nouveaux), les dysphonétiques ressemblent plus à des lecteurs normaux, par rapport aux dyséidétiques qui semblent avoir beaucoup plus de difficultés à lire. Relation de cause à effet Les adultes qui lisent avec aisance sont peu susceptibles de présenter des procédés de lecture dyséidétiques ou dysphonétiques, à moins d’être placés sous pression. Chez les enfants, les caractéristiques dyséidétiques et dysphonétiques peuvent changer au cours du développement de la région du cerveau consacrée à la lecture. Lire avec aisance nécessite que les circuits supérieur et inférieur du cerveau soient bien intégrés et fonctionnent ensemble. De cette manière, le lecteur peut accéder rapidement aux mots, décoder les mots nouveaux sans perdre de temps et utiliser des mots analogues pour faciliter le décodage et s’autocorriger de manière efficace. La cause interne des caractéristiques présentes chez les dyséidétiques / dysphonétiques est la variabilité dans la région du cerveau consacrée à la lecture. D’un point de vue interne, il y a une différence entre la fonction du circuit supérieur et celle du circuit inférieur. En identifiant la variabilité (circuit supérieur ou inférieur), on peut alors déterminer les causes possibles (Illustration 7.6) et l’intervention la plus appropriée (Illustration 7.7). Une cause possible de la lecture dysphonétique pourrait être une méthode globale « fondamentaliste », par laquelle les enfants ne bénéficieraient pas d’un enseignement explicite pour le décodage des mots. La méthode globale fournit aux enfants un contact important avec des textes écrits, en les immergeant dans le plaisir de la lecture. On encourage souvent les enfants à utiliser des indices sémantiques (contexte) pour deviner la prononciation de mots inconnus. Bien que la plupart des enfants apprennent à décoder de manière implicite grâce à un contact avec les textes, le procédé de lecture global change si on leur enseigne de cette façon. La lecture peut se faire selon un « style chinois » si les enfants surexploitent la méthode d’apprentissage des mots 84 Apprendre au cerveau à lire Illustration 7.6 Les causes de la variabilité de lecture D’où proviennent ces procédés de lecture ? Il existe de nombreuses façons de développer des caractéristiques propres à la lecture dyséidétique ou dysphonétique. 1 Le modèle de lecture de l’enfant change au cours de son développement. Lorsqu’il apprend à lire, l’enfant entre dans un stade logographique, où seul le circuit inférieur est utilisé. L’enseignement de la méthode phonique développe le circuit supérieur, changeant ainsi le profil de lecture de l’enfant. Par la suite, le circuit supérieur facilite l’acquisition de nombreux mots nouveaux qui sont alors stockés dans le circuit inférieur, changeant à nouveau le profil de lecture. 2 Les méthodes éducatives peuvent influencer la variabilité des procédés de lecture. Certains enfants éprouvent des difficultés à développer leur circuit supérieur sans enseignement explicite de la méthode phonique, ce qui crée un procédé de lecture dysphonétique. Si seule la méthode phonique est utilisée, il y aura très peu de contact avec les mots en contexte, ce qui engendrera un sous-développement du circuit inférieur ou du procédé de lecture dyséidétique. 3 L’environnement influence les procédés de lecture des enfants. En effet, un environnement peu propice à la lecture empêche l’enfant de développer des connexions fortes pour les mots dans le circuit inférieur du cerveau, ce qui engendre le procédé de lecture dyséidétique. 4 La diversité neurologique dans les circuits du cerveau peut créer un déséquilibre, résultant en un avantage de traitement d’un circuit sur l’autre : il y a soit une insuffisance dans le circuit supérieur (dysphonétique), soit dans le circuit inférieur (dyséidétique). Il peut s’avérer plus difficile de remédier à la diversité neurologique (telle que dans le cas de la dyslexie), néanmoins, on appliquera les mêmes méthodes d’intervention. 85 Apprendre au cerveau à lire Illustration 7.7 Les problèmes de lecture organigramme Les problèmes de lecture peuvent être occasionnés par diverses causes externes, ou distales. Dans le cerveau, la cause interne des problèmes de lecture, ou cause proximale, se manifeste dans le circuit supérieur pour les dysphonétiques et dans le circuit inférieur pour les dyséidétiques. Cet organigramme décrit deux programmes d’intervention, l’un avec une base phonologique et l’autre avec une base orthographique. Ces deux interventions comportent un entraînement à l’utilisation d’analogies. 86 Apprendre au cerveau à lire par cœur dans le circuit inférieur, sans les prononcer dans le circuit supérieur. L’enseignement selon la méthode globale entraîne le risque que certains enfants n’apprennent pas à décoder de façon implicite quand leur dialecte est différent de celui de l’enseignant, leur faisant courir un plus grand risque de développer le procédé de lecture dysphonétique. Les enfants qui parlent des dialectes différents peuvent être pénalisés par un programme basé sur la méthode globale qui néglige le décodage et les stratégies de reconnaissance des mots. Les enfants recevant un enseignement basé sur la méthode phonique apprennent explicitement comment décoder les mots. L’enseignement de la méthode phonique fournit davantage un travail au niveau des mots qu’un contact avec des textes entiers. Pour cette raison, le circuit supérieur se développera plus vite que le circuit inférieur, créant ainsi un profil dyséidétique (ou phénicien). Ce profil présente des avantages lorsque les enfants commencent leur apprentissage, étant donné qu’un moyen efficace de lire des mots nouveaux revient à les décoder en utilisant le circuit supérieur. Au début de l’apprentissage de la lecture, les enfants vont souvent surexploiter le circuit supérieur et sous-exploiter le circuit inférieur. À mesure qu’ils se développent et deviennent des lecteurs indépendants, ils liront plus de textes et leur circuit inférieur en sera renforcé. Ils devraient alors commencer à perdre ces caractéristiques dyséidétiques. Lors du développement de l’enfant, les capacités de lecture sont influencées par son environnement et son attitude envers la lecture. Par exemple, les enfants provenant d’un milieu socio-économique défavorisé auront plus tendance à présenter des caractéristiques dyséidétiques, en raison du fait que le manque de contact avec les textes écrits freine le développement du circuit inférieur. Les étudiants qui apprennent l’anglais comme langue seconde peuvent également présenter des caractéristiques dyséidétiques dans la mesure où, au début de l’acquisition de cette nouvelle langue, leur banque de mots anglais dans le circuit inférieur contient très peu de formes ou de prononciations de mots. Toutefois, tout comme les enfants issus de milieux anglophones qui apprennent à lire, les étudiants en langues acquièrent le circuit supérieur plus rapidement que le circuit inférieur. Développer de nombreuses représentations dans la banque de mots du cerveau 87 Apprendre au cerveau à lire nécessite un contact important avec des textes écrits. Les enfants dyséidétiques issus de milieux socio-économiques défavorisés continueront à être dyséidétiques s’ils n’ont pas davantage de contacts avec les textes écrits. Les choses peuvent cependant se compliquer étant donné que beaucoup d’entre eux perdent le goût pour la lecture dès leur plus jeune âge. Intervention L’approche multi-sensorielle, qui inclut un apprentissage visuel, auditif et kinesthésique, est considérée comme le moyen le plus efficace pour enseigner aux enfants présentant des difficultés en lecture. Le transcodage est le nom donné à une forme d’apprentissage multisensoriel efficace, qui vise à compenser une faiblesse (telle que dans le module auditif) grâce au soutien d’une force fonctionnellement efficace (telle que dans le module visuel). Des recherches sur le transcodage audiovisuel ont permis de déterminer qu’il s’agit d’un moyen efficace d’augmenter les capacités du module auditif avec le soutien du module visuel. Les mauvais lecteurs ont souvent des difficultés à distinguer les sons. Kujula et ses collègues (2001) ont découvert que si la distinction des sons est enseignée avec des figures visuelles correspondantes, le composant visuel permet au module auditif d’apprendre. Ainsi, le module auditif rétablit des connexions, améliorant en même temps la distinction auditive et les capacités de lecture. Comment peut-on utiliser le transcodage pour enseigner à des lecteurs présentant des perturbations dans ou entre les modules auditif et visuel ? Les dysphonétiques semblent présenter une suractivation dans le module auditif (Illustration 7.8). Leurs centres de traitement auditif (chargés de manipuler les unités de son) travaillent à plein régime, nécessitant un effort mental et une consommation d’énergie considérables. C’est pourquoi les dysphonétiques peuvent se fatiguer rapidement en lisant ou en écrivant, et avoir des difficultés à rester concentrés. Il est important de cibler le module présentant une faiblesse afin d’augmenter sa capacité fonctionnelle. Cet objectif est atteint par l’enseignement aux dysphonétiques de la méthode phonique synthétique et de la conscience phonémique, 88 Apprendre au cerveau à lire Illustration 7.8 Le transcodage du visuel à l’auditif Comment le transcodage est-il utilisé pour enseigner aux dysphonétiques ? Les dysphonétiques éprouvent des difficultés pour faire le lien entre les formes des lettres et les phonèmes. Lors de la lecture, leur module auditif est surchargé. L’enseignement de la conscience phonémique et de la méthode phonique synthétique permet d’augmenter la capacité du module auditif, pour qu’il soit moins sollicité. Le dysphonétique peut cependant éprouver des difficultés avec ce genre d’intervention, étant donné qu’il trouve le traitement auditif difficile. Une alternative consiste alors à transcoder du module fort au module faible. Le recours aux couleurs permet aux apprenants dysphonétiques de différencier les groupes de lettres et de sons. Les lettres amovibles, quant à elles, permettent à l’enfant de constater les changements résultant du retrait du son d’une lettre. La méthode phonique analytique permet à ceux utilisant le procédé dysphonétique d’identifier les séquences de lettres communes aux familles de mots, et de les mettre en relation avec les sons communs correspondants. 89 Apprendre au cerveau à lire des aptitudes qui nécessitent un composant auditif puissant. Malheureusement, il est fréquent que les dysphonétiques aient des difficultés à bénéficier de cette forme d’intervention, dans la mesure où ils trouvent la manipulation de sons très difficile. Ils ont des difficultés à distinguer et à manipuler les sons et deviennent vite frustrés étant donné que ce processus nécessite un énorme effort conscient. Cependant, les dysphonétiques peuvent bénéficier d’un soutien visuel tel que des groupes de sons représentés par des couleurs. Ces enfants voient ainsi les différentes relations entre les sons. Grâce à des lettres amovibles, ils peuvent également constater qu’en manipulant des lettres, ils manipulent en fait des sons. De plus, en introduisant des familles de mots, ils peuvent prendre conscience que les mots ayant des séquences de lettres communes ont également les mêmes sons. Tous ces exemples impliquent un transcodage - l’utilisation du module visuel pour assister le module auditif (Illustration 7.9). Illustration 7.9 Les lettres amovibles Dans cet exemple, les lettres amovibles sont utilisées pour enseigner le son de la voyelle du milieu. La forme de la lettre peut être palpée, liant ainsi le kinesthésique à l’auditif. Le code de couleur pour chaque lettre permet une distinction implicite entre les consonnes et les voyelles. Enfin, les sons des lettres peuvent être enseignés individuellement (méthode phonique synthétique) et combinés (conscience phonémique) afin de créer des familles de mots (méthode phonique analytique). En lisant, les dyséidétiques utilisent des stratégies différentes de celles des dysphonétiques. La difficulté pour les dyséidétiques est d’accéder rapidement aux formes globales des mots. Accéder rapidement aux mots nécessite un effort considérable pour ceux dont le procédé de lecture est dyséidétique parce que cela mobilise une grande partie de leur activité neurale (Illustration 7.10). Mettre l’enfant en contact intensif avec des textes écrits est la meilleure façon de développer les capacités de la zone de la forme visuelle des mots. Mais les dyséidétiques peuvent devenir réticents à la lecture, dans la mesure où ils savent qu’ils ont des difficultés à lire. Pour surmonter ce problème, on peut utiliser le module auditif pour préparer l’accès visuel aux mots. Pour ce faire, on peut utiliser la poésie ou la musique. En effet, celles-ci établissent automatiquement un rythme 90 Apprendre au cerveau à lire ou un tempo dans le module auditif, facilitant ainsi l’accès aux mots. Souvent, la poésie et la musique font usage de répétitions, ce qui permet de reconnaître les mots immédiatement, car ils sont frais dans la mémoire de travail. Aussi, la poésie et la musique utilisent la rime : on peut ainsi prédire le mot sur la base de la modalité auditive même s’il est irrégulier. Des histoires ou de la poésie préenregistrées permettent aux enfants d’apprendre ces mots lorsqu’ils les écoutent, tout en suivant le texte. Les enfants peuvent écouter l’histoire plusieurs fois pour renforcer leur connaissance des mots. Ces méthodes sont de bons moyens de transcoder depuis Illustration 7.10 Le transcodage de l’auditif au visuel Le problème de lecture chez les dyséidétiques se situe dans le circuit inférieur, c’est-à-dire la zone d’accès aux formes visuelles des mots, et celle des prononciations. Plus précisément, il y a une concentration plus élevée de l’activité cérébrale dans le module visuel, la zone de faiblesse. La meilleure façon de développer la zone de la forme visuelle des mots est d’augmenter le contact avec les textes écrits, c’est-à-dire faire lire davantage les dyséidétiques. Néanmoins, ceux-ci peuvent refuser cette contrainte étant donné qu’ils considèrent déjà la lecture comme une tâche fastidieuse. Pour contrer leurs difficultés, on peut utiliser des textes prévisibles, tels que de la poésie ou des chansons, qui sont constituées de répétitions, de rythmes, et de rimes. Dans ce cas, le module auditif fort transcode vers le module visuel faible, fournissant ainsi un accès plus facile aux mots. 91 Apprendre au cerveau à lire Illustration 7.11 Les livres audio Les livres enregistrés soutiennent un accès rapide à la forme visuelle du mot par une préparation basée sur la phonologie ou le sens. le module auditif vers le module visuel, ce qui aide les apprenants utilisant le procédé dyséidétique à accéder aux mots (Illustration 7.11). Au cours de la lecture, les dysphonétiques devraient être encouragés à utiliser des stratégies de décodage lorsqu’ils rencontrent un mot nouveau. Dans certains cas, le mot peut être une exception et l’enseignant devra alors mettre l’accent sur les régularités phonologiques pour aider l’enfant. Lors de la rédaction, les dysphonétiques devraient être encouragés à utiliser des orthographes inventées lorsqu’ils ne connaissent pas le mot. Ils peuvent s’entraîner à prononcer le mot et ensuite à écrire les lettres qui correspondent aux sons de ce mot. Au départ, les dysphonétiques auront une orthographe relativement mauvaise à cause de la faiblesse de leur circuit supérieur. Cependant, à mesure que leurs banques de mots s’étofferont, ils seront capables d’orthographier correctement la plupart des mots par accès direct, en utilisant le circuit inférieur. La meilleure remédiation pour les dyséidétiques (si ce n’est pour toutes les personnes présentant des difficultés en lecture), est d’augmenter leur contact avec les textes écrits. Il est donc important de trouver du matériel de lecture qui motive et encourage l’apprenant. Lire des mots en contexte est le moyen le plus efficace d’apprendre aux dyséidétiques de nouveaux mots irréguliers. La lecture soutient également la visualisation de ces mots afin que plus tard, lorsqu’ils les orthographieront, ils puissent avoir un accès direct via le circuit inférieur. Des indices relatifs au contexte peuvent être utilisés pour corriger les erreurs de régularisation lors de la lecture assistée. D’autre part, une aide partielle peut être offerte pour les 92 Apprendre au cerveau à lire Illustration 7.12 La boîte aux lettres et les fiches de mots On utilise souvent des fiches de mots pour augmenter le stock de représentations orthographiques et la vitesse de traitement. Illustration 7.13 Les fiches analogiques Les fiches analogiques permettent aux enfants de comparer les radicaux communs entre les mots en se basant sur le sens. Ces jeux encouragent la discussion sur les mots et améliorent la connaissance du langage. composants phonologiquement irréguliers des mots. La lecture en contexte est importante pour les dyséidétiques, dans la mesure où le sens soutient l’accès aux mots. Le cerveau peut lire les mots plus rapidement en les devinant sur la base du contexte de la phrase et du fil de l’histoire. D’après la syntaxe, il peut deviner la classe des mots, par exemple un nom ou un adjectif, parce que, sans le mot approprié, la phrase n’a aucun sens. Tous ces procédés soutiennent une aptitude à accéder directement aux formes des mots entiers. Plus on lit des mots en contexte, plus vite et plus facilement on y accèdera depuis la banque de mots du cerveau. Les dyséidétiques éprouvent des difficultés avec l’orthographe car leur « appareil à photographier les mots » ne fonctionne pas correctement. Les dyséidétiques doivent apprendre directement l’orthographe des mots irréguliers, peutêtre avec un soutien partiel du décodage. On utilise fréquemment des fiches de mots pour les dyséidétiques dans le but d’enrichir leur stock de représentations orthographiques. On peut utiliser différentes fiches de mots au niveau du mot entier, y compris la reconnaissance image / mot, et les noms irréguliers (Illustration 7.12). On utilise également des moyens mnémotechniques pour enseigner les orthographes irrégulières (par exemple, « Le ‘a’ de château prend un accent circonflexe parce que le château a un toit, alors que le ‘a’ de chapeau ne prend pas d’accent circonflexe parce que le chapeau est un toit »). Dans le même esprit, on peut introduire des dérivés latins et grecs. Les préfixes, suffixes et radicaux sont faciles d’un point de vue phonologique, étant donné qu’ils sont généralement monosyllabiques. Comprendre leurs sens fournit des indices additionnels lors de la lecture, de l’orthographe et de l’écriture (Illustration 7.13). La connaissance morphémique est très utile, tant pour les lecteurs dyséidétiques que pour les lecteurs dysphonétiques. Résumé Les personnes présentant des difficultés en lecture se regroupent en deux catégories bien distinctes: les dyséidétiques, qui ont du mal à accéder aux mots, et les dysphonétiques, qui ont du mal à les prononcer. Le 93 Apprendre au cerveau à lire procédé de lecture dyséidétique résulte d’un déséquilibre qui favorise le circuit supérieur, tandis que le procédé de lecture dysphonétique résulte d’un déséquilibre qui favorise le circuit inférieur. Les interventions devraient inclure des remédiations qui ciblent le circuit dans lequel se situe la faiblesse, tout autant que le développement de liens entre les circuits pour créer un échafaudage. Dans le circuit dans lequel se situe la faiblesse, il faut chercher des façons d’aider le module fort à soutenir le module faible. Cette technique efficace porte le nom de transcodage et devrait être encouragée par le biais des modalités auditive, visuelle et kinesthésique. La méthode mixte implique trois techniques qui peuvent être utilisées pour lire un mot inconnu : 1Prédire la prononciation du mot en se basant sur un mot qui pourrait convenir dans la phrase (circuit inférieur). 2 Décoder la relation lettre / son en prononçant le mot (circuit supérieur). 3 Analyser la relation lettre / son du mot à partir d’analogies visuelles (les circuits supérieur et inférieur fonctionnent ensemble). Toutes ces stratégies devraient être encouragées lors des interventions visant la lecture. 94 Apprendre au cerveau à lire 8 Conclusion Tout modèle de lecture doit pouvoir expliquer comment le processus de lecture est représenté dans le cerveau. Il doit aussi pouvoir expliquer les différents problèmes de lecture rencontrés dans une salle de classe, et être testé dans différents domaines et fournir des conseils réels et pratiques aux enseignants et aux parents sur les meilleures méthodes pour enseigner la lecture. Traditionnellement, la région du cerveau consacrée à la lecture a été considérée comme une boîte noire où les mots sont insérés et d’où la prononciation est extirpée. Toutefois, cette conceptualisation ne donne que très peu d’informations sur la façon dont le système fonctionne et sur les facteurs responsables des différences individuelles observées chez les enfants qui apprennent à lire. Nombre de méthodes pour apprendre à lire dans différents domaines ont été présentées dans cet ouvrage. Une grande partie de ces recherches vient de l’enseignement et de la psychologie. Travailler avec des enfants donne un aperçu des différences individuelles et des techniques d’enseignement qui conviennent. Cependant, cela ne suffit pas, étant donné que certaines questions restent sans réponse. Aussi, les théories sur la lecture et les modèles de développement ont été inclus, ce qui permet à la région du cerveau consacrée à la lecture d’être considérée comme une machine fonctionnelle. La psychologie évolutionniste a été utilisée pour expliquer d’où proviennent cette machine ainsi que les différentes spécialisations développées dans le cerveau pour lire. Enfin, et plus important encore, l’imagerie cérébrale fonctionnelle fournit la pièce manquante du puzzle étant donné qu’elle permet de suivre de près la région du cerveau consacrée à la lecture lors du développement et de l’apprentissage. La variabilité des procédés de lecture observée dans une classe est le résultat de différentes connexions nerveuses au sein du cerveau lui-même. L’utilisation du cerveau pour lire est un phénomène récent : il a moins de 4000 ans. Le cerveau n’étant pas conçu pour la lecture, celle-ci est prise en charge par des systèmes cérébraux, bien plus anciens que la lecture elle-même. Le système le plus ancien impliqué dans la 95 Apprendre au cerveau à lire lecture est le module visuel, et c’est là que sont reconnus les mots et les lettres. L’autre module utilisé lors de la lecture est le module auditif à l’avant du cerveau. En liant le visuel à l’auditif, le circuit inférieur permet un accès direct aux prononciations depuis la forme globale des mots, et ensuite un accès à la signification. C’est ça la lecture ! Néanmoins le cerveau dispose également d’un mécanisme de décodage des mots inconnus. Grâce à une même direction du visuel à l’auditif, le circuit supérieur permet de lier les lettres individuelles à des sons dans le but d’obtenir la prononciation la plus probable. En orthographiant un mot, on utilise les mêmes mécanismes, mais dans le sens inverse, allant du module auditif au module visuel. Ainsi, pour orthographier un mot connu, le circuit inférieur va de la prononciation à la forme globale du mot. En revanche, pour encoder un mot inconnu dans le but de deviner l’orthographe la plus probable, le circuit supérieur va du phonème aux lettres correspondantes. C’est l’architecture neurologique de base du cerveau lettré pour la lecture et l’orthographe. Lorsqu’il s’agit d’enseigner la lecture, il existe différentes méthodes d’apprentissage qui visent différents composants du cerveau. Plutôt que de débattre des avantages d’une méthode par rapport à une autre, toutes les méthodes peuvent être introduites de manière synergique pour permettre le développement du cerveau lecteur en tant que système unifié. On y parvient grâce à la méthode mixte, qui consiste à enseigner la méthode phonique synthétique, la méthode phonique analytique et la méthode globale (Illustrations 8.1 et 8.2). Il faut lire, écrire, et orthographier le plus possible pour renforcer la multidirectionnalité et une connectivité efficace. Une classe comporte de nombreux cerveaux différents. Certains enfants lisent très bien, tandis que d’autres ont plus de difficultés. Même le premier jour d’école, au début de l’enseignement de la lecture, le cerveau de certains d’entre eux bénéficiera déjà d’un avantage, tandis que d’autres seront désavantagés, indépendamment de tout effort. Il convient alors de créer une certaine structure pour répondre aux besoins de tous ces cerveaux différents lors des leçons de lecture. Les questions et explications s’adressent aux besoins spécifiques des enfants. Les techniques multi-sensorielles facilitent l’apprentissage chez ceux qui ont plus de difficultés, puisqu’elles permettent d’établir des connexions entre les 96 Apprendre au cerveau à lire modules auditif et visuel. Etant donné que la lecture est un processus artificiel, l’approche multi-sensorielle peut s’appliquer à tout apprenant. Il existe des causes multiples aux difficultés de lecture. Pour découvrir ces causes, les enseignants peuvent considérer l’histoire de l’enfant et l’environnement dans lequel celui-ci a fait ses débuts d’apprentissage. La dyslexie n’est qu’une des causes possibles des difficultés de lecture. En effet, cette compétence repose sur une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux. Illustration 8.1 Les modules du langage Deux modules du cerveau ont besoin d’être stimulés : le module auditif à l’avant du cerveau et le module visuel à l’arrière du cerveau. Après avoir pris conscience, dans le module auditif, que les mots prononcés sont constitués de plus petites unités de son, le cerveau a développé la conscience phonémique. Après avoir pris conscience, dans le module visuel, que les mots sont faits de lettres, le cerveau a développé la conscience graphémique. 97 Apprendre au cerveau à lire Dans le cas d’une dyslexie développementale, on considère qu’il y a eu une perturbation d’origine génétique dans l’hémisphère gauche, qui a entraîné des déconnexions entre les modules auditif et visuel, et de ce fait, rendu l’acquisition de la lecture difficile. Cependant, il existe certaines personnes présentant des faiblesses de lecture car elles n’ont pas reçu un enseignement ou un contact suffisant avec les textes écrits. Elles aussi ont besoin d’une intervention urgente. Illustration 8.2 Modèle de la méthode mixte On peut construire les circuits de lecture entre ces deux modules sur la base suivante. La méthode phonique synthétique relie l’identification de la forme des lettres aux phonèmes, la méthode globale relie le sous-composant de reconnaissance de la forme du mot à la prononciation, et la méthode phonique analytique utilise des mots connus pour décoder des mots nouveaux en procédant par analogie. 98 Apprendre au cerveau à lire Si l’on considère les procédés de lecture, il est aujourd’hui possible d’examiner l’intérieur du cerveau afin d’observer les interactions entre les différents modules et circuits. Il ne s’agit plus ici de faire le compte des problèmes de lecture passés, mais bien de jeter un regard dynamique sur ce que fait réellement le cerveau. Le procédé de lecture est utilisé pour adapter l’intervention. On a identifié deux procédés de problèmes de lecture à l’intérieur du cerveau. Les dysphonétiques qui font davantage usage du circuit inférieur lors de la lecture, et qui, de ce fait, éprouvent des difficultés pour décoder les mots, et les dyséidétiques, qui font davantage usage de leur circuit supérieur lors de la lecture, et de ce fait, éprouvent des difficultés pour accéder aux formes globales des mots. Les tests de lecture, ou même les seuls tests d’assemblage phonologique, ne mesurent pas les capacités des circuits de lecture individuels mais des phénomènes plus larges dans tout le système de lecture. Ainsi, ils parviennent rarement à différencier les deux groupes. En surveillant de près les stratégies et les erreurs d’un enfant lors de la lecture assistée, on peut mieux comprendre les différences entre les forces et les faiblesses de ses circuits de lecture. Les fautes d’orthographe des enfants peuvent aussi être analysées pour montrer les capacités du circuit supérieur, telles qu’on peut les observer grâce à des fautes exactes d’un point de vue phonologique. Ceci fournit un aperçu de la façon dont les deux circuits travaillent simultanément. Une fois que l’on a créé un profil du procédé de lecture, on peut procéder à une intervention visant les faiblesses, étant donné que ce sont les capacités de ces zones de faiblesse que l’on veut améliorer. Dans la mesure où remédier aux difficultés de lecture d’un enfant est un processus qui exige une grande consommation d’énergie et de nombreux efforts, il n’est pas rare que les résultats de l’intervention soient faibles et décevants. Une alternative possible est de cibler la zone de faiblesse par le biais d’un module fort. L’utilisation du transcodage implique de relier différents modules d’apprentissage (auditif, visuel ou kinesthésique) pour soutenir la zone de faiblesse. Dans le même temps, un soutien continu est dirigé vers les forces dans le cadre de la méthode mixte. De plus, il faudrait immerger les enfants le plus possible dans la lecture afin qu’ils puissent exercer leurs nouvelles aptitudes dans une vraie lecture contextuelle. 99 Apprendre au cerveau à lire Le but de l’apprentissage de la lecture est la fluence. Il en résulte un fonctionnement automatique précis, qui ne fait pas perdre inutilement de l’énergie. En tant que bon lecteur, la plus grande partie de nos ressources mentales s’occupe de suivre et d’apprécier le sens d’un texte. Nous accédons aux mots inconsciemment dans leur forme globale, jusqu’à ce que nous rencontrions un mot rare ou inconnu. C’est alors que nous enclenchons les mécanismes de prononciation pour décoder le mot. En même temps, l’information ne cesse de circuler entre les modules visuel et auditif pour tenter de retrouver inconsciemment le mot dans la mémoire à long terme. Lire aisément est un processus autodidacte. Les lecteurs matures et les bons lecteurs peuvent lire n’importe quel texte sans aide et peuvent décoder tous les mots nouveaux et les ajouter à la banque de mots du cerveau. Ceci constitue le but ultime des enseignants : développer un système de lecture intelligent pour que tous les étudiants deviennent de bons lecteurs capables de lire par eux-mêmes. 100 Apprendre au cerveau à lire Glossaire Accès direct : lorsqu’on accède directement à la banque de mots du cerveau à partir d’une entrée visuelle. À ce moment, le sens et la prononciation sont accessibles (processus de lecture du circuit inférieur). Analogie : relier un élément connu à un élément nouveau. Dans le cadre de la lecture et de l’orthographe, il s’agit d’utiliser la connaissance d’un mot pour lire et orthographier d’autres mots, par ex. chien = /ch/ comme dans « cheval » et /ien/ comme dans « bien ». Antonyme : mot de sens contraire à un autre. Par exemple, « proche » est le contraire de « lointain ». Apprentissage implicite : apprendre une chose sans avoir conscience de l’apprendre. Apprentissage multi-sensoriel : méthode d’apprentissage qui se concentre sur la mobilisation des différents sens : auditif, visuel et kinesthésique. Assemblage : fait d’assembler des sons, par ex. assembler l/a/k pour faire « lac ». Assemblage phonologique : processus par lequel les mots peuvent être formés ou manipulés sur la base de leurs relations lettres/sons. Asymétrique : lorsqu’un côté est plus grand que l’autre côté, par ex. le cerveau humain présente une asymétrie en faveur de l’hémisphère gauche, c’est-à-dire que la partie gauche du cerveau est plus grosse que la partie droite. Attaque : consonne ou groupe de consonnes initiales d’une syllabe, par ex. b-ol, cl-é. Circuits de lecture : deux circuits de l’hémisphère gauche qui vont du module visuel à l’arrière du cerveau au module auditif à l’avant du cerveau. Tandis que le circuit supérieur, plus lent, évalue quelle sera la prononciation la plus probable d’un mot inconnu, le circuit inférieur, plus rapide, fournit un accès direct à la forme globale d’un mot connu. Circuit inférieur : voie centrale allant du module visuel à l’arrière du cerveau au module auditif à l’avant du cerveau. Le circuit inférieur est chargé d’accéder aux formes globales des mots (accès direct). Il est également utilisé en orthographe pour accéder aux propriétés orthographiques d’un mot connu (rappel direct). 101 Apprendre au cerveau à lire Circuit supérieur : voie dorsale allant du module visuel au module auditif. Le circuit supérieur est chargé d’évaluer les relations lettre/son pour la prononciation de mots inconnus (décodage). Il est également utilisé en orthographe pour évaluer la relation son/lettre la plus probable d’un mot inconnu (encodage). Connexionnisme : discipline qui considère le cerveau comme un réseau complexe de neurones qui forme un système d’apprentissage. Conscience phonémique : conscience que les mots sont formés de petites unités de son, appelées « phonèmes ». Capacité à manipuler et entendre de manière consciente les phonèmes individuels dans les mots. Conscience phonologique : conscience des différents sons de la parole tels que les rimes, les syllabes et les phonèmes individuels. Constellation des « dys » : ensemble des difficultés d’apprentissage associées. Conversion graphèmes - phonèmes : estimation de la prononciation d’un mot (allant des lettres aux sons). Corps calleux : faisceau de fibres nerveuses qui connecte les hémisphères gauche et droit du cerveau. Correspondance : fait de comparer les sons de deux mots, par exemple, « col » et « cage » commencent-ils par le même son ? CVC : modèle orthographique qui se rapporte à la séquence de lettres consonne-voyelle-consonne. Par exemple, l/a/c. Décalage dans les sous-tests de QI : méthode pour diagnostiquer la dyslexie développementale en se basant sur un décalage entre les sous-tests des tests d’intelligence. Ainsi, un individu peut par exemple présenter de bons résultats dans les tests de blocs de couleur et une mauvaise moyenne pour le décodage. Décodage : conversion des lettres en sons (processus de lecture du circuit supérieur). Distinction auditive : aptitude à distinguer différents sons entre eux. Dyscalculie : trouble qui affecte la capacité à acquérir des compétences arithmétiques. Les personnes atteintes de dyscalculie peuvent éprouver des difficultés à lire l’heure, à calculer ou à mesurer. 102 Apprendre au cerveau à lire Dyséidétique : type de lecteur qui éprouve des difficultés à percevoir les configurations globales des mots. Dysgraphie : trouble qui affecte la capacité à apprendre à écrire. Les personnes atteintes de dysgraphie ont une mauvaise coordination motrice, en particulier en ce qui concerne la formation des lettres. Dyslexie : trouble marqué par des difficultés importantes en lecture et en orthographe. Dyslexie acquise : lorsqu’une personne a perdu la capacité de lire, à la suite d’une lésion cérébrale. Dyslexie de surface : type de dyslexie où le mécanisme d’accès aux mots semble déficient (circuit inférieur), alors que le mécanisme de décodage reste intact (circuit supérieur). Dyslexie développementale : trouble génétique caractérisé par des difficultés à lire et à orthographier, malgré un enseignement et une intelligence adéquats. Dyslexie phonologique : type de dyslexie où le mécanisme de prononciation semble déficient (circuit supérieur), alors que le mécanisme d’accès aux mots reste intact (circuit inférieur). Dysorthographie : trouble qui affecte l’acquisition de capacités orthographiques. Les dysorthographiques ont des difficultés à se rappeler des mots en utilisant la mémoire visuelle. Dysphasie : trouble qui affecte le développement du langage oral. Les personnes atteintes de dysphasie peuvent éprouver des difficultés à trouver les bons mots pour s’exprimer. Dysphonétique : type de lecteur qui éprouve des difficultés à convertir les graphèmes en phonèmes ou à prononcer des mots. Dyspraxie : trouble qui affecte l’apprentissage moteur et l’équilibre. Les personnes atteintes de dyspraxie présentent des difficultés de coordination en général et de coordination visuelle et/ou motrice en particulier. Echafaudage : soutien temporaire offert aux enfants par les enseignants pour permettre une lecture autonome plus tard. Ectopie : petit faisceau de cellules nerveuses qui perturbe le processus de migration des cellules au cours du troisième trimestre de grossesse. 103 Apprendre au cerveau à lire Effet de génération : amélioration de l’apprentissage (mémoire) par la création personnelle (apprendre par la pratique). Effet Mathieu : lorsque les mauvais lecteurs ont moins de pratique de la lecture à cause de leur manque de confiance ou de motivation. Efficacité de lecture : fait référence au fait qu’on peut être bon en lecture. Electro-encéphalographie (EEG) : méthode utilisée pour mesurer les configurations d’activité cérébrale à l’aide d’électrodes placés sur le cuir chevelu. Encodage : conversion des sons en lettres (processus d’orthographe du circuit supérieur). Familles de mots : ensembles de mots qui contiennent des propriétés analogues, par ex. « bol », « col » et « sol » forment une famille de mots avec la rime –ol. Fautes d’orthographe phonologiquement correctes : fautes d’orthographe qui suivent les règles des relations lettre/son. Fautes d’orthographe phonologiquement incorrectes : fautes d’orthographe qui ne suivent pas les règles des relations lettre/son. Fluence : fait de maîtriser la lecture. Lire sans difficultés et sans effort. Fluence verbale : nombre de mots qu’un enfant connaît et utilise en s’exprimant oralement. Goût pour le défi : aimer maîtriser ou comprendre des idées complexes dans un texte. Graphème : représentation écrite d’un son, qui peut être composé d’une ou de plusieurs lettres. Homonymes : mots qui ont la même prononciation mais un sens différent, par ex. ver et vert. Imagerie pas résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) : technique qui permet de mesurer les configurations d’activation cérébrale en plaçant le cerveau dans un large champ magnétique. Inclusion : fait de créer des environnements comprenant tous les types de lecteurs. Intervention : programme créé dans le but de modifier les stratégies de lecture. 104 Apprendre au cerveau à lire Ipsilatéral : le cortex visuel droit du cerveau est ipsilatéral au cortex visuel gauche du cerveau, c’est-à-dire qu’il se trouve dans la même zone du cerveau, mais dans l’autre hémisphère. Isoler: se concentrer sur un son dans un mot, par exemple, quel est le premier, le second et le dernier son dans « sac » ? Kinesthésique : mode d’apprentissage qui utilise le toucher et le mouvement. Lecteur présentant des faiblesses en lecture : lecteur qui a des circuits de lecture sous-développés en raison d’un enseignement insuffisant ou d’un retard du développement. Lecteurs précoces : enfants présentant un développement prématuré de leurs circuits de lecture. Lecture assistée : enseignement de la lecture en petits groupes où les lecteurs sont regroupés selon leur capacité de lecture. L’enseignant décide de l’objectif de la lecture et travaille de manière intensive avec le groupe pour aider à la lecture d’un texte soigneusement choisi. Lecture autonome : fournir des textes d’un niveau approprié que l’enfant peut lire seul, sans l’aide de l’enseignant. Lecture chinoise : style de lecture où les mots sont appris directement par cœur. Lecture contrainte : lorsqu’un élève lit en vue de répondre à des objectifs ou des exigences extérieurs. Lecture en groupe : l’enseignant guide le processus de lecture en lisant aux élèves. Le texte peut avoir un niveau trop élevé pour être lu individuellement. Les élèves se joignent à la lecture et sont ensuite encouragés à relire le texte entier ou des parties de celui-ci. Lecture phénicienne : style de lecture où les mots sont lus lettre par lettre ou prononcés son par son. Lecture pour être reconnu : lorsque l’apprenant prend plaisir à recevoir une forme tangible de reconnaissance quand il réussit à lire quelque chose. Lecture spontanée : lorsque l’apprenant désire lire des documents relatifs à un certain sujet dans le but d’enrichir sa connaissance. 105 Apprendre au cerveau à lire Lexicalisation : processus de stockage d’un mot dans la banque de mots du cerveau (comme prendre un rapide cliché d’un mot nouveau). Méthode globale : technique d’enseignement de nouveaux mots dans le contexte de la lecture réelle. L’accent est mis sur le sens, la syntaxe et le vocabulaire dans sa globalité. Méthode mixte : méthode d’apprentissage de la lecture qui utilise autant la méthode phonique synthétique que la méthode phonique analytique et la méthode globale. Méthode phonique : méthode éducative systématique pour l’enseignement des relations lettres/sons. Méthode phonique analytique : méthode qui apprend aux enfants comment décoder de nouveaux mots en découpant ceux qu’ils connaissent déjà et en trouvant des caractéristiques similaires. Méthode phonique synthétique : méthode éducative qui enseigne explicitement les 34 phonèmes de la langue française et leurs graphèmes correspondants. Microscopique : se dit d’un élément que l’on ne peut apercevoir qu’au microscope. Milliseconde (msec) : un millième de seconde. Mnémotechnique : méthode qui consiste à aider la mémoire à apprendre l’orthographe particulière d’un mot, par exemple « nourrir » prend deux « r » parce qu’on se nourrit plusieurs fois, alors que « mourir » prend un seul « r » parce qu’on ne meurt qu’une fois. Modalité : qui se rapporte à un mode sensoriel, par ex. les modalités visuelle, auditive et kinesthésique. Module : unité indépendante dans le cerveau spécialisée dans un type particulier de traitement ou d’analyse, tel que le module visuel ou auditif. Module auditif : centre de traitement à l’avant du cerveau qui gère la prononciation et les phonèmes. Module visuel : centre de traitement à l’arrière du cerveau qui gère les formes globales des mots. Monosyllabique : qui ne contient qu’une syllabe. Morphème : plus petite unité de sens. Les préfixes et les suffixes sont des morphèmes. 106 Apprendre au cerveau à lire Mots appris globalement: mots fréquents qui sont appris directement. Ces mots sont souvent des liens fonctionnels (par ex. « ou », « le », « que ») qui n’ont pas de simple lien sémantique ou qui sont irréguliers, et qui manquent de transparence phonologique. Mots fréquents : mots les plus souvent vus et utilisés, par ex. « venir », « aller », « en haut », « regarder ». Cette catégorie inclut également des liens fonctionnels tels que « le », « la », « et », etc. Mots irréguliers : mots qui ne suivent pas les relations lettre/son du français, parfois appelés « exceptions ». Mots peu fréquents : mots que l’on ne voit pas souvent ou que l’on utilise peu. Orthographe inventée : lorsque les enfants inventent l’orthographe d’un mot qu’ils ne connaissent pas en se basant sur les relations son/lettre, ce qui produit souvent des fautes d’orthographe phonologiquement correctes. Palindrome : mot ou phrase se lisant de la même façon de gauche à droite ou de droite à gauche, par ex. « kayak ». Polysyllabe : mot qui contient plus d’une syllabe. Prévention : développer dès le début de l’enseignement des programmes de lecture inclusifs afin d’effacer ou d’atténuer les difficultés de lecture. Principe de l’alphabet : apprentissage de la forme et du nom des lettres de l’alphabet. Procédés de lecture : comportement observé chez un lecteur en ce qui concerne les capacités de prononciation (circuit supérieur) et d’accès aux mots (circuit inférieur). Rappel direct : moyen d’accéder directement à la banque de mots du cerveau à partir de la prononciation de la forme visuelle d’un mot (processus orthographique du circuit inférieur). Recherche comportementale : recherche qui implique l’évaluation du comportement et ne tient pas compte du processus de traitement du cerveau. Remédiation : programmes créés dans le but d’aider les enfants qui lisent lentement ou qui ont des difficultés à apprendre à lire. Résolution spatiale : fait de savoir exactement l’endroit du cerveau où s’opère un changement. 107 Apprendre au cerveau à lire Résolution temporelle : fait de savoir exactement quand se produit un changement dans le cerveau. Retard du développement : lorsque le développement cognitif est plus lent que la normale. Rime : unité de son composée de la voyelle et de toute consonne qui suit dans une syllabe par ex. –ol dans « bol », « sol », … Rimer : un mot rime avec un autre quand ils ont tous les deux la même rime dans la syllabe finale, par ex. « bloc » et « roc ». Segmentation : séparation des sons dans un mot, par ex. quels sont les différents sons dans « lac » ? Sémantique : relatif au sens dans le langage. Sémantiquement incongru : se dit d’un énoncé qui n’a pas de sens, par ex. « elle a bu un grand verre d’ongles ». « Ongles » est le terme incongru d’un point de vue sémantique. Séquences non porteuses de sens : séquences de lettres (qui ne se trouvent pas dans le dictionnaire mais qui peuvent être lues) utilisées pour tester la façon dont les enfants s’y prennent pour prononcer de nouveaux items, appelés parfois non-mots. Stade logographique : un des premiers stades du développement de la lecture consistant à mémoriser les mots selon leurs propriétés visuelles globales. Stimulation magnétique transcrânienne (SMT) : technique d’imagerie cérébrale où le cortex est temporairement perturbé par la stimulation magnétique. Substitution : fait de remplacer un son par un autre dans un mot, par ex. changer le premier son dans « col » par le son /b/. Suffixe : lettre ou groupe de lettres que l’on peut ajouter en fin de mot et qui en modifie légèrement la signification. Suppression : fait d’enlever un son dans un mot, par exemple « prions » sans le son /p/. Syllabe : partie d’un mot qui ne contient qu’une seule voyelle et est prononcée en tant qu’une unité, par ex. « canal » a deux syllabes, « lac » n’en a qu’une. Symétrique : structure dont les parties sont égales en forme et en taille. 108 Apprendre au cerveau à lire Synonymes : mots qui ont le même sens ou un sens proche, par ex. un synonyme de « joyeux » est « gai ». Transcodage : forme d’apprentissage multi-sensoriel où un module de faiblesse est compensé par un module de force, par ex. enseigner la distinction auditive (module auditif) à l’aide de lettres de couleur (module visuel). Transcodage audiovisuel : enseignement des capacités auditives à l’aide du module visuel. Validité statistique : fait de savoir si une chose est statistiquement valable. Il s’agit aussi de savoir si cette chose mesure ce qu’elle est censée mesurer, par ex. la variable latente. Variabilité de lecture : ensemble des différences individuelles dans les procédés de lecture. Variable latente : variable sous-jacente que l’on veut mesurer. Voyelles variables : voyelles qui produisent deux sons différents, par ex. /an/ dans « chanter » et « canard » et /en/ dans « chien » et « enfant ». Zone des formes visuelles des mots : zone à l’arrière du cerveau qui stocke des formes globales des mots. 109 Apprendre au cerveau à lire Bibliographie Allor, J.H., Fuchs, D. and Mathes, P.G. (2001). Do students with and without lexical retrieval weaknesses respond differently to instruction? Journal of Learning Disabilities, 34, 264-275. Aylward, E.H., Richards, T.L., Berninger, V.W., Nagy, W.E., Field, K.M., Grimme, A.C., Richards, A.L., Thomson, J.B. and Cramer, S.C. (2003). Instructional treatment associated with changes in brain activation in children with dyslexia. Neurology, 61, 212-219. Beneventi, H., Toennessen, F. E., Barndon, R., Ersland, L. and Hugdahl, K. (2004). 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