La stratégie Europe 2020 doit également être sociale et écologique La Belgique devra soumettre ce mois-ci à l’Europe un programme de réforme national dans le cadre de la nouvelle stratégie européenne à moyen terme Europe 2020. Ce programme devra plus particulièrement concrétiser les cinq principaux objectifs européens (qui, en fait, sont huit). D’ici à 2020: - 75% de la population européenne devront avoir un emploi; - 3% du PIB devront être investis dans la recherche, le développement et l’innovation; - les objectifs européens en matière de climat et d’énergie (20/20/20) devront être atteints: - - o 20% (éventuellement 30%) de réduction des gaz à effet de serre par rapport à 1990; o 20% d’économie d’énergie; o 20% d’énergie provenant de sources énergétiques durables. les résultats de l’enseignement devront être améliorés: o moins de 10% d’abandons scolaires anticipés; o au moins 40% de la jeune génération dotés d’un diplôme de l’enseignement supérieur. il faudra réduire de 20 millions au moins le nombre de personnes exposées à un risque de pauvreté ou d’exclusion (114 millions en 2009). Bien évidemment, il ne sert à rien de fixer des objectifs si la politique destinée à les atteindre n’est pas mise en œuvre. En même temps, nous comprenons qu’un gouvernement fédéral en affaires courantes ne peut proposer que peu de nouveaux leviers. Cette situation ne peut cependant pas empêcher les Régions et Communautés de s’activer dès maintenant à définir une politique crédible sur la contribution qu’elles peuvent apporter non seulement à leur niveau de pouvoir mais aussi au niveau local. Cela ne dispense pas davantage le gouvernement fédéral de l’obligation de fixer ce mois-ci encore des objectifs nationaux précis, en concertation avec les Régions et les Communautés. 1 A cet effet, les syndicats, le mouvement environnemental, le mouvement Nord-Sud et les réseaux de lutte contre la pauvreté souhaitent envoyer ensemble plusieurs signaux aux responsables politiques, à différents niveaux. Nous demandons: - que les programmes de réforme (nationaux et régionaux) veillent à l’équilibre entre les objectifs économiques, sociaux et écologiques: définir la stratégie Europe 2020 constitue un exercice d’équilibre difficile en soi. Nous ne voulons pas qu’il soit sabordé – sous la pression de la gouvernance économique – en négligeant davantage les objectifs sociaux et écologiques. L’organisation de la nécessaire solidarité entre les Etats membres (soutien aux pays en difficultés financières) ne peut pas non plus nuire à la solidarité au sein des Etats membres; - que ces programmes soient préparés et mis en œuvre en étroite collaboration avec la société civile, en particulier les syndicats, le mouvement pour l’environnement, le mouvement Nord-Sud et les réseaux de lutte contre la pauvreté, avec une concertation régulière sur les avancées et à charge pour chaque organisation d’y associer ses propres organes de concertation et organes consultatifs, dans le respect de l’autonomie de la concertation sociale; - que les programmes de réforme s’inscrivent dans le concept de développement durable des Nations unies. Une économie verte à l’échelle mondiale comme base du développement durable constitue par ailleurs un des deux thèmes de la conférence de Rio + 20 des Nations unies qui se tiendra en juin 2012. Le passage d’une économie fondée sur les énergies fossiles à une économie bas carbone, partout dans le monde, doit permettre cette évolution. Une condition s’impose pour cela: l’Europe et la Belgique doivent prévoir un nouveau financement pour leur mutation interne et l’essor de cette économie dans les pays en voie de développement. Concernant les objectifs, nous demandons plus spécifiquement: - qu’ils soient à la fois crédibles et ambitieux: l’ambition est essentielle mais elle doit reposer sur des leviers et une politique crédibles; ceci nécessite également qu’un gouvernement fédéral soit constitué dans les meilleurs délais; - que les fourchettes actuelles prévues dans le projet de programme soient remplacées par des objectifs précis, clairement définis (objectifs ciblés); - que les principaux objectifs de chaque domaine politique soient complétés par des sous-objectifs lorsque cela s’avère nécessaire; - que pour chaque objectif principal ou sous-objectif, des accords soient conclus avec les Régions et les Communautés sur les modalités communes à mettre en œuvre pour les atteindre; - que pour chaque objectif principal et sous-objectif, on dispose d’un instrument de mesure irréfutable et, dans le cas contraire, que l’on développe un tel instrument à court terme; 2 - que l’on définisse des objectifs intermédiaires à partir de ces objectifs pour 2020, ne fût-ce que pour éviter que les responsables politiques ne repoussent cette responsabilité à la prochaine législature; - qu’un rapport annuel sur l’état d’avancement soit établi pour le débat avec la société civile. Chaque objectif principal requiert un débat de fond. Toutefois, nous souhaitons déjà communiquer les grandes lignes de notre réflexion sur un certain nombre d’éléments de chacun des objectifs principaux. 1. Taux d’activité Nous avons déclaré qu’il est permis voire nécessaire de se montrer ambitieux. C’est certainement vrai en matière d’emploi. Une politique de l’emploi durable doit d’abord et avant tout être axée sur la création d’emplois durables, décents et de qualité. Il s’agit là d’une tout autre approche que celle d’une focalisation sur la réforme des marchés du travail qui, sous la pression de la politique actuelle de gouvernance économique, met l’accent sur des mesures exclusivement tournées vers l’offre (comme la réforme de l’assurance-chômage et la flexibilisation des marchés du travail). Il est nécessaire d’établir un plan de relance durable, financé par des mesures fiscales telles que l’instauration d’une taxe sur les transactions financières et d’un taux minimum en matière d’impôt des sociétés. Il ne suffit pas d’accroître l’emploi. C’est la raison pour laquelle il faut définir des sousobjectifs axés sur: - des emplois de meilleure qualité. Dans le prolongement des « indicateurs de Laeken » et suivant l’exemple des pratiques actuelles en Belgique et à l’étranger, nous avons besoin d’un indice synthétique pour mesurer la qualité des emplois, afin de fixer des objectifs nationaux ambitieux; - une meilleure combinaison entre vie professionnelle et vie familiale, notamment en fixant des critères pour développer l’accueil de la petite enfance et d’autres dispositifs de soins; - une meilleure répartition du travail, avec des sous-objectifs spécifiques pour les groupes-cibles qui sont aujourd’hui à la traîne sur le marché du travail (jeunes, personnes handicapées, allochtones, aînés); - un engagement clair dans le cadre de la recommandation sur l’inclusion active, en étant attentif à combiner les trois principaux piliers: revenu adéquat, accès aux services et marché du travail inclusif. 2. Innovation Avant de pouvoir opérer des choix adéquats dans ce domaine, il faut d’abord et surtout disposer d’instruments de mesure appropriés. Nous constatons en la matière: 3 - que l’indicateur classique d’investissement dans la recherche et le développement constitue un baromètre certes important, mais largement insuffisant pour l’innovation. Ce fait est également reconnu au niveau européen mais il n’y a pas encore de progrès significatifs à l’échelle européenne pour obtenir un meilleur ensemble d’indicateurs, avec davantage d’indicateurs de résultat (par exemple, en matière de valorisation ou d’amélioration de la qualité des produits). La Belgique doit donc prendre l’initiative en élaborant elle-même un tableau de bord amélioré, en concertation avec les Régions, les Communautés et la société civile, en partant du travail du CCE en collaboration avec les organes de concertation régionaux; - que la mesure actuelle du rapport entre les investissements publics et privés est tronquée: des interventions fiscales sont actuellement consenties pour une large part des investissements privés dans la recherche et le développement. Ces dépenses fiscales ne sont cependant pas prises en compte. Les investissements publics sont donc sous-estimés et les investissements privés sont surestimés; - que de nombreuses innovations technologiques dans des entreprises échouent parce que l'on a privilégié la machine à l’homme: les sous-objectifs doivent donc certainement intégrer la question de l’innovation des organisations du travail (innovation sociale); - que les innovations technologiques font partie d’une approche plus large en matière d’innovation et ne peuvent donc pas être abordées indépendamment du contexte social et juridique élargi. 3. Enseignement Une des principales lacunes du projet Europe 2020 réside dans le fait que, contrairement à la stratégie de Lisbonne en matière de formation tout au long de la vie, il ne propose que des objectifs relatifs à l’enseignement initial et ne tient donc plus compte de la formation des adultes. Dans le même temps, nous souhaitons que l’on soit également attentif à promouvoir une meilleure adéquation entre l’enseignement et le marché du travail, en développant la formation en alternance. C’est pourquoi nous demandons: - que les deux objectifs en matière d’enseignement soient complétés par trois sousobjectifs concrets en matière de formation tout au long de la vie pour les adultes, dans le prolongement des baromètres définis antérieurement: o en 2020, un travailleur sur deux participera à une formation (cf. Conférence sur l’emploi 2003 et accord interprofessionnel 2007-2008); o en 2020, le taux de participation des adultes à une formation continue sera majoré de 15% au moins (cf. stratégie européenne Education and Training 2020); o en 2020, la Belgique sera parmi les cinq premiers pays de l’Union européenne en termes d’investissement des entreprises dans la 4 formation (avec 1,9% de la masse salariale en guise d’objectif intermédiaire, cf. accords interprofessionnels 1999-2000 et 2007-2008); - que le projet relatif à l’enseignement soit complété par un sous-objectif concernant le nombre de jeunes engagés dans des formules de formation en alternance: le CCE et le CNT ont pratiquement terminé les discussions relatives à un statut-socle simplifié, de droit social; ces discussions ainsi que la relance du marché de l’emploi doivent donner l’impulsion pour redynamiser la formation en alternance. 4. Climat et énergie Pour une politique climatique énergique, il faut de toute urgence clarifier la répartition au sein de la Belgique des objectifs climatiques imposés par l’Europe. Dans le même temps toutefois, les objectifs pour 2020 doivent s’inscrire dans une stratégie à long terme dans la perspective de 2050. Les défis à long terme exigent en tout cas bien plus d’ambition que les objectifs proposés aujourd’hui. Ce principe s’applique également aux défis environnementaux qui ne peuvent pas se résumer aux questions de climat et d’énergie. Nous souhaitons donner cinq signaux concrets en la matière: - 2050 doit être l’horizon d’un développement durable. La stratégie Europe 2020 vise une réforme structurelle de l’économie européenne. Des réformes structurelles requièrent une vision à long terme. Bien que la principale finalité des programmes de réforme nationaux visant à implémenter la stratégie Europe 2020 soit d’atteindre les objectifs de l’UE pour 2020, il est recommandé d’utiliser la perspective de 2050 pour implémenter la stratégie Europe 2020. Les objectifs pour 2020 sont ici perçus comme un dérivé des objectifs pour 2050; - Il faut un objectif de réduction du CO2 plus contraignant. Sur la base des données du quatrième rapport du GIEC, d’ici à 2050, il faut réduire les émissions mondiales des pays développés de 80 à 95% par rapport à 1990 et de 25 à 40% d’ici à 2020. De nouvelles études indiquent que le coût de ces réductions a diminué depuis la crise économique. Des études montrent également que le changement climatique est plus sévère et plus rapide que prévu. Des réductions encore plus significatives seront probablement nécessaires pour limiter au maximum les conséquences du changement climatique qui sera particulièrement perceptible dans les pays en développement. En conséquence, la Belgique, à l’instar des autres pays développés, devra se préparer à des réductions qui se situeront au moins à la limite supérieure de la fourchette et qui s’opéreront en interne pour une large part. - Il faut accroître la part de l’énergie renouvelable. En Belgique, le coût de la politique en matière d’énergie renouvelable fait l’objet de nombreux débats. Néanmoins, la contribution du renouvelable à l’économie durable est absolument nécessaire. Il faut donc recadrer le débat dans une perspective à long terme, de préférence axée sur 100% d’approvisionnement en énergie renouvelable d’ici à 2050. Il faut être particulièrement attentif à l’utilisation de la biomasse. Cette matière première doit être utilisée le plus efficacement possible et il est urgent d’en fixer les critères de durabilité. Il est inadmissible que la demande croissante en biocarburants 5 au sein de l’Union européenne continue de miner la sécurité alimentaire et le développement des pays en voie de développement. - 20 % d’économie d’énergie d’ici à 2020. Le manque d’objectifs contraignants en matière d’économie d’énergie se traduit par l’absence de résultats. L’UE accuse un retard sur son objectif d’accroître son efficacité énergétique de 20% d’ici à 2020. Un cadre juridique renforcé constitue une étape importante vers une plus grande efficacité énergétique. A l’instar de ce qui s’est produit pour les énergies renouvelables avec la directive « Energie renouvelable » qui a permis d’influencer sensiblement la politique des Etats membres, fixer un objectif ambitieux en termes d’économie d’énergie, inscrit dans une stratégie européenne, constituera un incitant important pour renforcer l’action en matière d’efficacité énergétique. - Economiser les ressources naturelles. L’initiative principale de l’UE en matière d’utilisation efficace de ressources est concrétisée de manière trop limitée. Il faut mener des réformes structurelles en veillant expressément à économiser les ressources naturelles telles que l’eau et la biodiversité. Ce sont deux ressources qui sont mises à rude épreuve en Belgique. 5. Pauvreté et exclusion La stratégie Europe 2020 élargit l’indicateur généralement accepté concernant la pauvreté et l’exclusion sociale, à savoir 60% du revenu médian national (le fameux seuil de pauvreté européen) en lui ajoutant deux indicateurs: la privation matérielle et l’absence de revenu ou le faible revenu du travail dans le ménage. Sur cette base, il ne s’agit plus seulement des personnes qui risquent d’être confrontées à la pauvreté mais plus largement des personnes qui risquent d’être confrontées à la pauvreté ou à l’exclusion. En Belgique, aujourd’hui, ce risque concerne 2.194.000 personnes. Le projet de programme de réforme national propose de réduire ce nombre de 330.000 à 380.000 personnes d’ici à 2020. Nous proposons: - d’adopter en tout cas un objectif suffisamment ambitieux: 380.000 est un strict minimum; - que chaque Région s’engage au minimum à une diminution proportionnelle; - que cette diminution s’accompagne d’un sous-objectif spécifique en matière de précarité des revenus: d’ici à 2020, le nombre de personnes se trouvant en-deçà du seuil européen de pauvreté (60% du revenu médian) doit avoir diminué de 25% au moins (cf. objectif initial du projet de programme européen); - que, parallèlement, on définisse une norme plus précise pour la précarité de revenus, basée sur les droits, partant du travail scientifique belge sur les normes budgétaires; - que, parallèlement, on fixe des sous-objectifs en matière de: o travailleurs pauvres: 0% en 2020; 6 o - accès des pauvres à l’énergie, question liée aux objectifs en matière de climat et d’énergie (cf. supra): la politique susmentionnée en matière d’économie d’énergie doit également s’appliquer aux personnes précarisées. que l’objectif en matière de pauvreté soit complété par un objectif en matière d’inégalité sociale, basé sur le coefficient de Gini, ainsi que l’a proposé le Conseil fédéral du Développement durable (y compris les employeurs). Ces données sont disponibles. Utilisons-les de façon optimale parce qu’elles permettent des comparaisons internationales. Des objectifs ne suffisent pas. Pour les réaliser, il faut mettre en œuvre une batterie d’instruments, dans différents domaines de la vie, via le Plan d’Action national « Inclusion sociale » et le Plan fédéral de lutte contre la pauvreté. Parallèlement, le gouvernement belge doit insister auprès de la Commission européenne pour que chaque Etat membre intègre un processus national dans la structure de la Plateforme européenne contre la pauvreté et l’exclusion sociale, en y associant activement la société civile, en particulier les réseaux de lutte contre la pauvreté. Nous répétons que l’on ne peut pas lutter durablement contre la pauvreté et l’exclusion sociale si l’on n’inscrit pas cette lutte dans le cadre plus large de la problématique de l’inégalité. Il faut renforcer les mécanismes de redistribution afin de lutter contre l’inégalité, la pauvreté et l’exclusion sociale. Or, cet aspect ne figure pas dans le projet de programme de réforme national. Il nous confronte à un défi plus large: le risque que les systèmes de protection sociale – qui ont cependant suffisamment prouvé leur utilité et leur efficacité à travers la crise financière en tant que stabilisateurs automatiques – soient ramenés à une simple fonction de lutte contre la pauvreté, sous la pression de l’assainissement budgétaire et de la gouvernance économique. L’avenir incertain de la Méthode ouverte de Coordination (OMC) menace de renforcer cette approche. C’est pourquoi la Belgique doit prendre l’initiative au niveau européen pour: - que la clause sociale horizontale prévue dans les Traités (art. 9 du Traité de Lisbonne) entre effectivement en vigueur afin que les objectifs sociaux (haut taux d’emploi, protection sociale adéquate, lutte contre l’exclusion sociale,…) pénètrent toutes les couches de l’Union européenne; - renforcer la méthode OMC, en particulier en l’élargissant à tous les revenus de remplacement (chômage, incapacité de travail,…) et en fixant des objectifs concrets (couverture maximale et niveaux d’allocation adéquats); - faire évaluer la politique d’activation et l’adapter afin qu’elle mène effectivement à des transitions de qualité, avec un accompagnement adapté et des possibilités de formation suffisantes; - instaurer un cadre réglementaire européen pour préserver et renforcer les services sociaux d’intérêt général, en particulier pour assurer une protection contre la privatisation des services publics et la commercialisation des services du nonmarchand au niveau national. 7