LUDWIG VAN BEETHOVEN – UN COMPOSITEUR « LIBRE » AU SOMMET DE SON ART Préambule Il semble important, avant d'aborder le vif du sujet, de parcourir les années de formation du compositeur et la manière dont il s'est façonné tout au long de sa jeune carrière, orientant l'art musical dans de nouvelles voies, alors qu'il avait été nourri des règles du classicisme. Ce sera l'occasion de se remémorer des ouvres nullement connues, mais aussi d'entendre quelques raretés qui n'ont été enregistrées qu'à l'occasion de la constitution d'intégrales de sa production. Les années de formation initiale Les années d'apprentissage à Bonn Ludwig van BEETHOVEN (Bonn 17 décembre 1770 – Vienne 25 mars 1827) a eu la chance de naître sans un milieu où la musique était pratiquée. En effet, Ludwig van BEETHOVEN l'Ancien, son grand-père et Johann, son père, étaient, le premier maître de chapelle, le second musicien et ténor à la cour du prince-électeur de Cologne. Johann est un homme médiocre, brutal et alcoolique. Il a épousé Maria Magdalena KEVERICH, fille du cuisinier dudit prince-électeur, une femme douce, effacée, malheureusement dépressive et maladive (elle mourra prématurément de tuberculose). Elle mettra au monde sept enfants dont trois seulement survivront, selon la dure loi de l'époque. Johann qui a entendu parler du cas Wolfgang Amadeus MOZART a décidé de faire un enfant prodige.de son fils Ludwig, un enfant de 5 ans apparemment doué pour la musique, Malheureusement, on naît prodige, on ne le devient pas ; or le garçon, si talentueux qu'il soit, ne manifeste aucune précocité particulière. Des professeurs locaux lui enseigneront le pianoforte 1 (qui deviendra son instrument favori), le violon et l'orgue, le laissant progresser à son rythme. Une page se tourne dans l'existence de l'enfant âgé maintenant de 9 ans, avec l'arrivée d'un nouvel organiste à la chapelle du prince-électeur : Christian NEEFE, un homme d'une quarantaine d'années, chef d'orchestre, compositeur, qui le prend en affection et va jouer pendant quelques année un rôle de mentor. Non seulement il lui enseigne le piano-forte2 et la composition, mais il assure également sa formation intellectuelle, lui révélant en temps voulu les philosophes grecs et lui inculquant probablement les idées que son disciple favori A cette époque, le public commence à se lasser de cette version nettement améliorée de l'épinette qu'est le clavecin, roi des salons aux XVIIe et XVIIIe siècles, appartenant à la famille des instruments à cordes « pincées ». Le piano-forte issu de la famille des instruments à cordes « frappées », en l'occurrence le clavicorde supplante peu à peu le clavecin, d'autant que les perfectionnements techniques qui lui sont apportés lui permettent contrairement à son rival de réaliser des nuances. 2 Nous sommes à l'époque charnière où le piano-forte supplante le clavecin. 1 professera plus tard : la liberté, l'égalité entre les hommes, la lutte contre l'arbitraire, la tyrannie… A partir de 1883, à 13 ans, le jeune Ludwig effectue des remplacements occasionnels à l'orgue de la chapelle du prince-archevêque Maximilien François d'Autriche. Selon la tradition des organistes, il pratique énormément l'improvisation. C'est aussi à cette époque qu'il compose ses premières œuvres. Beethoven jeune Manuscrit de Beethoven Neuf variations sur une marche d'Ernst Christoph Dressler Il s'agit de la toute première composition connue du jeune BEETHOVEN répertoriée dans les œuvres classées WoO 3 . Ernst Christoph DRESSLER était un compositeur de Thüringe, apprécié de son temps, un de ces compositeurs modestes se comptant par dizaines et que la postérité n'a pas cru bon de retenir. On notera que BEETHOVEN est l'un des premiers auteurs, le premier des grands en tout cas, à avoir, à partir de son second séjour à Vienne, classé ses compositions par numéro d'opus. Auparavant, la production d'un musicien était laissée dans le désordre jusqu'à ce qu'un musicologue se charge d'y remédier. On dispose ainsi des classifications BWV (acronyme pour Bach Werke Vereichnis) pour J-S Bach, Köchel (Ludwig von Köchel) pour Mozart, Hob (Anthony van Hoboken) pour Haydn, et WoO (anonyme pour Work ohne Opuszahl, (œuvre sans opus) pour les premières œuvres de Beethoven. MORCEAU CHOISI 9 VARIATIONS sur une marche d'Ernst Christoff Dressler Il s'agit d'une œuvre pour piano adoptant une forme très prisée vers les années 1780 : une série de variations sur un thème d'emprunt repris plusieurs fois et différemment enjolivé. Le jeune Ludwig s'est-il fait un peu aider ? C'est probable. Des fautes d'harmonie ou de composition ont probablement été corrigées par Christian NEEFFE. Il n'en reste pas 3 Werk ohne Opuszahl (Œuvre sans numéro d'opus). moins que le climat grave qui s'installe dès la première variation, climat inhabituel pour l'époque porte déjà la marque de l'auteur de la 5e Symphonie. Même remarque concernant la tonalité d'ut mineur qui deviendra la tonalité favorite de BEETHOVEN (5e Symphonie, 3e Concerto pour piano, 7e Sonate pour piano et violon, 5e Sonate pour piano (Pathétique) etc. On remarquera aussi dans cette œuvre, le désir de briller (traits quasi permanents de virtuosité et conclusion flamboyante dans une tonalité majeure). Cette toute première œuvre d'un enfant de 13 ans est sans doute inaboutie, pleine de clichés. Mais déjà que de promesses, que de vie pour un début ! Des influences ? Il est d'usage de rappeler l'influence qu'ont exercé MOZART et HAYDN sur BEETHOVEN lors de ses année de formation. Sans doute a-t-on raison. Mais HAYDN suivait son employeur de Esterhaza à Eisenstadt, à l’extrémité de l'Autriche et MOZART quittant Salzbourg, venait à peine de s'installer à Vienne. Certes bon nombre de leurs œuvres avaient été éditées et circulaient. Mais, bien loin, à Bonn, BEETHOVEN au tout début a eu beaucoup plus de chance d’entendre les essais symphoniques de l'école de Mannheim voisine, notamment de son chef Karl STAMITZ et d'être plongé dans cette atmosphère de style galant qui prévalait à l'époque. L'un de ses premiers grands modèles sera surtout, avant HAYDN et MOZART, Johann Christian BACH le 11e des fils de Jean-Sébastien qui rejetant la rigueur du style contrapuntique (savante superposition des lignes mélodiques) cultivera surtout les mélodies faciles empreintes de grâce et d'insouciance dans leur désir avant tout de plaire. C'est dans cet esprit que BEETHOVEN compose les 3 Kurfürsten Sonaten für Klavier (3 Sonates pour clavier aux princes-électeurs). Morceaux choisis 3 Sonates pour clavier aux princes-électeurs Ces sonates ont été publiées en 1893, donc écrites antérieurement entre 11 et 13 ans. BEETHOVEN s'excuse presque d'avoir répondu à un impérieux besoin de composer. 3 SONATES POUR CLAVIER aux princes-électeurs Sonate n° 2 – 1er mouvement : Larghetto-Allegro Le 1er mouvement de la Sonate n°2 commence par un mouvement lent (larghetto maestoso) introductif. L'allegro fait ensuite entendre un thème très décidé. Il s'agit là d'une disposition que l'auteur renouvellera souvent et sera une des caractéristiques de son style. Sonate n°3- 4e mouvement : Allegro L'allegro final en forme de rondo (alternance d'un refrain et de plusieurs couplets) de la Sonate n° 3 témoigne de l'enjouement dont BEETHOVEN fait preuve dans ses œuvres de jeunesse et même dans des œuvres tardives, alors qu'acceptant sa surdité totale, il a « saisi le destin à la gorge » On remarquera que le clavier au lieu de n'être pratiquement exploité que dans sa partie médiane s'offre à un déploiement complet de l'écriture musicale et que la virtuosité se refusant à l'ostentatoire s'intègre déjà parfaitement dans l'expression Des relations amicales Ludwig van BEETHOVEN entretiendra une relation durable avec le Dr Gerhard WEGELER, devenu médecin, 4 un ami d'enfance son aîné de cinq ans. Présenté par Christian NEEFE dans les milieux bien établis de Bonn, il y noue de solides amitiés en particulier avec Stefan, le fils de madame von BREUNING qui l'avait engagé comme professeur de musique de ses enfants. Mme von BREUNING tenait absolument à ce que sa domesticité et plus largement toutes les personnes de son entourage ne soient pas incultes. Aussi organisait-elle des soirées culturelles où s'échangeaient des idées et où étaient lues les œuvres des écrivains allemands contemporains, en particulier GOETHE et SCHILLER. BEETHOVEN bien entendu participait à ces séances. Quant à son amitié avec Stefan, elle perdurera - avec quelques orages tout de même - jusqu'à sa mort. Christian Neefe Stefan von Breuning Comte de Waldstein Alors qu'il n'a encore que 14 ans, BEETHOVEN est officiellement nommé organiste suppléant à la cour de Maximilien-François d'Autriche (déjà cité, frère de Marie-Antoinette reine de France), nouvel archevêque de Cologne. Il y gagne un traitement qui l'aidera à faire vivre sa famille. Le nouvel organiste suppléant rencontre à la cour le comte Ferdinand von WALDSTEIN, lui-même musicien et surtout mécène riche et généreux. Il habite Bonn et prend son jeune compatriote de 16 ans à présent sous sa protection. Plus tard une Sonate pour le piano, une des plus remarquables, lui sera dédiée. 4 Ce n'est pas un pléonasme. Docteur est un titre universitaire que portent en Allemagne nombre de personnes étrangères au milieu médical. Le premier séjour de 1786 à Vienne Il est évident que devait venir le jour où ses professeurs, n'auraient plus rien à apprendre à BEETHOVEN, même Christian NEEFE. Il lui faut à présent, s'il veut encore progresser, recevoir les conseils d'un « maître », grand compositeur ou pédagogue émérite. Seule la ville de Vienne, alors capitale artistique de l'Europe possède des musiciens d'une telle pointure. Le comte de WALDSTEIN décide donc d'emmener BEETHOVEN à Vienne où il lui ménage même une audience auprès MOZART. L'entrevue n'atteint pas le but escompté. MOZART, il est vrai, vient de perdre son père, de sorte que l'atmosphère est assez peu propice à ce genre de rencontre. Les improvisations auxquelles se livre BEETHOVEN laissent de marbre son illustre confrère qui déclarera tout de même en a parte : « Ce jeune homme fera parler de lui » Oui . Mais en attendant ? Pas une observation, pas un conseil, aucune proposition de prise en charge, de leçons régulières ou épisodiques. Malgré cet échec, BEETHOVEN reste sous le charme : il a rencontré MOZART ! BEETHOVEN ne s'attardera guère à Vienne. Le décès de sa mère, atteinte de tuberculose, l'oblige à un retour précipité à Bonn, d'autant qu'il a désormais à sa charge son père alcoolique et dépendant, ainsi que ses deux jeunes frères, des enfants de 13 et 9 ans. Le retour à Bonn Pendant six ans, BEETHOVEN reprend ses activités à Bonn où il jouit d'une certaine réputation, principalement comme pianiste. C'est à Bonn qu'il apprend le décès de l'archiduc d'Autriche Joseph II, despote éclairé qui ne s'était pas fait que des amis en appliquant des réformes pourtant nécessaires. Son penchant pour le théâtre et la musique lui avait toutefois valu dans le monde artistique une considération contrastant avec son impopularité. Un mois après son décès survenu le 20 février 1790, une association de Bonn entend organiser une cérémonie commémorative à sa mémoire. Pour la circonstance, BEETHOVEN compose une Cantate sur la mort de Joseph II. Cette œuvre considérée comme le premier chef-d’œuvre de l'auteur ne sera pourtant pas exécutée de son vivant. On en ignore les raisons. Peut-être à cause des nouveautés de style, jugées comme souvent « injouables ». C'est en tout cas la partition de cette cantate que BEETHOVEN produira toutes les fois qu'il voudra montrer ce qu'il est capable d'écrire. De plus, certaines pages seront réutilisées dans l'opéra Fidelio Morceaux choisis CANTATE SUR LA MORT DE JOSEPH II Cette cantate est tout à fait représentative des idées et du style de l'auteur. Après une déploration sur la disparition du défunt, il est rappelé sa lutte obstinée contre le fanatisme. Grâce à lui, les hommes purent monter vers « la lumière et la liberté » Et de rappeler que sa préoccupation première fut de rechercher en premier lieu « le bonheur de l'humanité » Elle est écrite pour deux soliste, soprano et basse, chœur et orchestre Fragments présentés : 1e partie – L'introduction orchestrale consiste en un enchaînement inédit d'accords modulants, une page particulièrement originale qui sera reprise comme prélude au deuxième acte de Fidelio. Elle ouvre ensuite une émouvante déploration chorale 4e partie – Un long et très beau solo de soprano, suivit d'une brève intervention de la basse avant le chœur final évoque la « montée des hommes vers la lumière » Page reprise dans le final du même opéra. L'installation définitive à Vienne En 1792, le comte Ferdinand von WALDSTEIN présente cette fois-ci Ludwig van BEETHOVEN à Josef HAYDN , impressionné par la Cantate dont la partition lui est présentée et il emmène à nouveau le compositeur à Vienne. Une estime réciproque est née aussitôt entre un jeune débutant de 22 ans et un vieux maître de 60, au point que ce dernier propose spontanément à BEETHOVEN de le prendre en charge pour « combler ses lacunes ». De fait, leur relation ne dépassera jamais le niveau de la considération, de la sympathie. Elle sera celle qui peut se développer entre un vieux maître exigeant, peut-être passéiste et tatillon et un jeune élève fougueux, rétif, indomptable et entêté à qui il est fait grief de « sacrifier les règles à ses fantaisies ». Joseph HAYDN, jeune, ne s'était pourtant pas privé, lui-même de prendre quelques libertés avec les règles strictes du classicisme (en ouvrant par exemple une symphonie sur un accord (modérément) dissonant). Après la mort de son père survenue en 1792, ses deux frères de 16 et 18 ans pouvant désormais se passer de sa tutelle, BEETHOVEN décide de s'installer définitivement à Vienne HAYDN se rend à Londres et y séjourne du début 1794 aux premiers mois de 1795. BEETHOVEN en profite pour consulter deux des plus grands formateurs de Vienne : le spécialiste du contrepoint 5 :Johann ALBRECHTSBERGER et Antonio SALERI qui a notamment formé SCHUBERT, MEYERBEER et LISZT. Dans la décennie en cours, BEETHOVEN se montre particulièrement actif. Il donne des concerts, compose énormément et poursuit l'approche de personnes pouvant lui être utiles en particulier le prince Karl LICHNOWSKY, musicien élève de MOZART et mécène. C'est précisément chez le prince qu'est donné en 1793 un concert au cours duquel est créé l'opus 1 de BEETHOVEN, la toute première des œuvres désormais classées : 3 Trios pour violon, violoncelle et piano. HAYDN est présent, ravi de voir briller une de ses disciples et peut-être un peu inquiet de voir éclore une génie qui le surpassera peut-être un jour . Morceaux choisis TRIO POUR PIANO, VIOLON, VIOLONCELLE en mi b majeur op 1 n° 1 Fragment entendu 3e mouvement : Scherzo 5 Discipline d'écriture musicale ayant pour objet la superposition organisée de lignes mélodiques distinctes, par opposition à l'harmonie qui se rapporte aux enchaînements d'accords. Dès cette première œuvre viennoise importante, BEETHOVEN s'écarte sensiblement des modèles transmis par HAYDN et MOZART. Il substitue au traditionnel menuet un scherzo, composition beaucoup plus rapide de caractère plaisant ou divertissant. On relève beaucoup d'innovations dans ce scherzo : des passages entiers à l'unisson, l'altération de plusieurs notes dans le but de créer un flou tonal. TRIO POUR PIANO, VIOLON, VIOLONCELLE en ut mineur op 1 n° 3 Fragment entendu 4e mouvement : prestissimo Ce final est construit comme un premier mouvement. Il est, compte tenu de l'époque d'une très grande originalité. Une anecdote. HAYDN était apparemment très fier de son élève. Mais quand BEETHOVEN évoqua l’éventualité de faire éditer ce 3e Trio, le maître se renfrogna et conseilla vivement de n'en rien faire. Jaloux le maître ? Morceaux choisis C’est comme pianiste que Beethoven se taille d’abord une réputation. Incomparable improvisateur, il compose aussi énormément pour son instrument. En 1794-1795, il commence à construire ce monument que sont les 32 Sonates dont la composition s'étendra sur 28 ans et qui révolutionneront la technique d'écriture. Les dernières sont déjà par leurs innovations, des œuvres du futur. SONATE N° 1 en fa mineur op 2 N°1 Fragments entendus 1er mouvement : Allegro Allegro à 2 thèmes de forme classique Exposition Th I en forme d'accord parfait brisé (fréquent chez MOZART, mais étendu ici sur 2 octaves) Th II id mais descendant (0,27) Développement = Th I - Th II - Modulations - Idée nouvelle Fausse réexposition Réexposition (5,24) Au passage on relève des emprunts au style HAYDN. Etait-ce le moyen de se dédouaner ? 4e mouvement : Prestissimo Il n'existe antérieurement aucun mouvement de sonate optant pour un mouvement aussi rapide. Les thèmes se développent sur un rythme haletant immuable dans une atmosphère mélancolique. Il est évident que l'auteur a cherché à exploiter au maximum, les possibilités techniques offertes par ce tout jeune instrument qu'était le piano-forte. Références : - clichés Wikipedia - documentation : sites sur le Web et sources diverses personnelles sur le compositeurs - 9 Variations sur une marche de Dressler et les Sonates aux princes électeurs par divers interprètes in « Complète Beethoven Édition » Vol 6 (DEUTSCHE GRAMOPHON) - Cantate sur la mort de Joseph II in « Complète Beethoven Edition » Vol 19) (DEUTSCHE GRAMOPHON) - Trios piano, violon et violoncelle par Beaux-Arts Trios (PHILIPS) - Sonate n° 1 pour piano par Wilhelm Kempf in « Die Klavier Sonaten » (DEUTSCHE GRAMOPHON)