10 Disponible en ligne sur FMC www.smr.ma Evaluation et gestion du risque hémorragique en rhumatologie interventionnelle. Evaluation and management of hemorrhagic risk in interventional rheumatology. Sofia Talbi, Fatima Ezzahra Abourazzak, Taoufik Hazry. Service de Rhumatologie, CHU Hassan II, Fès - Maroc. Rev Mar Rhum 2014; 28: 10-3 Résumé Abstract En cas d’un geste local en rhumatologie interventionnelle, le risque hémorragique particulièrement chez les patients sous anticoagulant et anti-agrégant plaquettaire (AAP) doit être évalué. La Société française de rhumatologie a établi un classement des risques hémorragiques des actes invasifs en rhumatologie comme suit : haut risque, risque modéré, risque faible, En accord avec cette société, il n’est pas jugé nécessaire d’interrompre le traitement AVK, sous réserve d’un contrôle de l’INR, dans les situations à risque faible. Les situations à risque modéré ou élevé nécessitent un arrêt des AVK, avec ou sans relais suivant le risque thromboembolique. In interventional rheumatology, the hemorrhagic risk particularly in patients receiving anticoagulant and antiplatelet therapy must be evaluated. The French Society of Rheumatology has established a classification of hemorrhagic risk in rheumatology invasive acts as follows: high risk, moderate risk, low risk, in agreement with this society, it is not considered necessary to stop vitamin K antagonists treatment under subject to a control of INR, in low-risk situations. Situations at moderate or high risk necessitate interruption of vitamin K antagonists, with or without relay according to thromboembolic risk. Mots clés : Geste local ; Risque hémorragique Key words : ; Anticoagulant ; Anti-agrégant plaquettaire. Local act; Hemorrhagic risk; Anticoagulant therapy; Antiplatelet therapy. Les gestes locaux, notamment les infiltrations, font partie de l’arsenal thérapeutique du rhumatologue. Ils se font dans la majorité des cas en ambulatoire à hôpital de jour ou au cabinet du rhumatologue. L’information du malade de tous les risques encourus est une nécessité médico-légale. - Le fait d’arrêter ou de modifier un traitement anticoagulant ou antiagrégant fait-il courir un risque plus important que le bénéfice du geste ? Parmi ces risques, le risque hémorragique particulièrement chez les patients sous anticoagulant et anti-agrégant plaquettaire (AAP) doit être évalué. Nous allons essayer de répondre à ces questions à travers cette mise au point en se basant sur les données de la littérature. La question est donc de savoir si le fait que le patient soit sous un traitement anti coagulant ou anti-agrégant plaquettaire constitue un obstacle à la réalisation d’un geste local, ceci nous incite à des interrogations secondaires : Quels sont les traitements anticoagulants disponibles au Maroc? (Tableau 1) - Peut-on réaliser un geste sous un traitement anticoagulant ou un traitement anti-agrégant plaquettaire ? Le risque hémorragique, est-il le même pour toutes ces molécules ? Correspondance à adresser à : Dr S. Talbi Email : [email protected] - Y a-t-il des données de la littérature ou des recommandations professionnelles sur ce sujet ? Revue Marocaine de Rhumatologie 11 Evaluation et gestion du risque hémorragique en rhumatologie interventionnelle. Tableau 1 : Traitements anticoagulants disponibles au Maroc Risque hémorragique du geste en fonction Anti-agrégants plaquettaires Héparines AVK - KARDEGIC - LOVENOX - COUMADINE - ASPEGIC CARDIO - INNOHEP - SINTROM - LISASPIN - NOVEX - PLAVIX - FRAXIPARINE - THROMBOPAT - CALCIPARINE - IBUSTRIN - FRAXODI - CATALGINE - ARIXTRA Faible risque Risque modéré Risque élevé - DISGREN - FRAGMIN • Infiltration • Ponction/Infiltration • Ponction/infiltration - TICLID - HEPARINE ROCHE périarticulaire simple des articulations rachidienne cervicale ou coxo-fémorales lombaire, épidurale ou - LIQUEMINE La Société française de rhumatologie (SFR 2008) a établi un classement des risques hémorragiques des actes invasifs en rhumatologie comme suit : haut risque, risque modéré, risque faible.(Tableau 2) Tableau 2 : Risque hémorragique des actes invasifs en rhumatologie selon la Société française de rhumatologie • Ponction/infiltration simple d’articulation Le risque hémorragique lié à l’anticoagulation orale est plus important chez des patients ayant des comorbidités comme l’hypertension artérielle, le diabète, la maladie cérèbrovasculaire, la cardiopathie sévère, l’insuffisance rénale, le cancer, l’anémie et les antécédents d’une hémorragie majeure [1]. L’association entre l’alcoolisme chronique ou l’hépatopathie et le risque hémorragique reste controversée Anti-agrégants plaquettaires (APP) Le risque hémorragique est indépendant de la dose avec l’aspirine, la ticlopidine et le clopidrogel du fait de leur mode d’action irréversible sur les plaquettes par le biais d’une inhibition de la cyclo-oxygénase pour l’aspirine et en inhibant la fixation de l’adénosine diphosphate pour les thiénopyridines (clopidrogel). L’action de ces molécules se poursuit jusqu’à la mort de la plaquette (sept à dix jours) [2, 3]. périphérique hors coxofémorales • Infiltration canalaire superficielle • Biopsie des glandes salivaires accessoires • Infiltration canalaire • Ténotomie percutanée • Ponction/infiltration rachidienne des articulaires postérieures • Ponction/infiltration foraminale • Ponction-biopsie discale • Cimentoplastie • Ponction/infiltration rachidienne lombaire, foraminale • Lavage articulaire d’une articulation périphérique • Ponction trituration de l’épaule • Infiltration sacro-iliaque • Ponction kyste poplité • Capsulodistension • Biopsie synoviale Quelques cas d’hémorragies sévères parfois mortelles sous héparines de bas poids moléculaire (HBPM) et sans surdosage ont été décrits. Ce risque peut être expliqué par l’existence de plusieurs facteurs de risque importants chez ces patients : obésité, insuffisance rénale chronique, insuffisance cardiaque et pathologie néoplasique [4]. • Ponction/infiltration Revue Marocaine de Rhumatologie rachidienne cervicale, costovertébrale • Biopsie osseuse Thumboo et O’Duffy n’ont observé aucune complication hémorragique dans les 4 semaines suivant la procédure au cours de 32 infiltrations articulaires ou des parties molles réalisées chez 25 patients sous AVK avec un INR (international normalized ratio) inférieur à 4,5 [5]. Cependant pour diminuer Le risque hémorragique l’INR doit être compris entre 1,5 et 2 [6]. • Ponction/infiltration rachidienne dorsale Héparines de bas poids moléculaire (HBPM) Antivitamine K (AVK) intradurale sternoclaviculaire • Ponction/infiltration par le hiatus sacrococcygien Dans quelles situations peut-on poursuive le traitement AAP et AVK ? Anti-agrégants plaquettaires (APP) Aucune précaution particulière n’est recommandée pour les injections intra-articulaires. Donc un traitement par antiagrégant plaquettaire peut être poursuivi en tenant compte du bilan de coagulation, de la balance bénéfices/risques, et de la nature de l’articulation (risque plus importants si articulation profonde) [7]. 12 S. Talbi et al. FMC Héparines de bas poids moléculaire (HBPM) Antivitamine K (AVK) Mejjad et Favre recommandent 10 à 14 heures de délai entre la dernière injection d’HBPM et la ponction et/ou infiltration [7]. D’autres préfèrent la réalisation de la ponction et/ou infiltration juste avant l’injection suivante d’HBPM, heure d’activité la plus faible de l’HBPM (pic d’activité à trois heures, demi-vie de trois à quatre heures) [8]. Ce sont les situations à risque hémorragiques modéré ou élevé. Au niveau du rachis : Lorsque l’infiltration est nécessaire il est prudent de ne pas ajouter un traitement AINS à demi vie longue. L’infiltration est réalisée juste avant l’injection d’HBPM. [8]. Antivitamine K (AVK) En accord avec cette La Société française de rhumatologie 2008, il n’est pas jugé nécessaire d’interrompre le traitement AVK, sous réserve d’un contrôle de l’INR, dans les situations à risque faible. Le traitement par AVK peut alors être poursuivi après avoir vérifié l’absence de surdosage. Toutefois, la prise d’autres médicaments interférant avec l’hémostase ou l’existence d’une comorbidité augmente le risque hémorragique. Dans quelles situations doit-on arrêter le traitement AVK et AAP et quelles sont les modalités d’arrêt et de remplacement thérapeutique pour chaque molécule ? Anti-agrégants plaquettaires (APP) Au niveau du rachis, la répétition des infiltrations à 48 heures d’intervalle augmente le risque d’hématome. IL est considéré comme plus prudent, même si le risque semble très faible, d’obtenir l’arrêt de l’antiagrégant sept à dix jours avant l’hospitalisation programmée pour la réalisation d’infiltrations péridurales. Par ailleurs, on ne peut se permettre d’interrompre un traitement anti-agrégant chez un patient ayant comme antécédent récent (inférieur à trois à cinq mois) un accident vasculaire cérébral ischémique, un infarctus du myocarde ou un angor. Il est donc préférable de remplacer l’anti-agrégant par un AINS dont le fort pouvoir anti-agrégant a été démontré en pathologie cardiovasculaire et dont le principal intérêt est d’avoir un effet réversible en quelques heures. Il s’agit du flurbiprofène (Cebutid) à la dose de 100 mg par jour en une prise mais cette modalité n’est pas consensuelle (indication hors AMM). L’infiltration péridurale sera réalisée dix jours après l’arrêt de l’antiagrégant plaquettaire et vingt-quatre heures après la dernière prise de flurbiprofène [9-11]. En relais des AVK il faut utiliser une HBPM à dose curative chez les patients porteurs d’une valve cardiaque mécanique ou ayant fait un épisode thrombotique récent de moins d’un mois. Il a en effet été démontré que l’utilisation d’une HBPM était possible au même titre que l’héparine, chez des patients venant d’avoir un remplacement valvulaire, en respectant une activité anti Xa entre 0,5 et 1 UAntiXa/ mL et sur une période de 14 jours [12]. Chez des patients porteurs d’une valve cardiaque mécanique, les HBPM ont aussi été utilisées chez les femmes enceintes [13]. Il faut néanmoins souligner que les HBPM n’ont pas l’AMM dans cette indication et que le traitement des patients porteurs de valves cardiaques mécaniques reste difficile. Il est recommandé de mesurer l’INR 7 à 10 jours avant le geste : si l’INR est en zone thérapeutique, il est recommandé d’arrêter l’AVK 4 à 5 jours avant le geste et de commencer l’héparine à dose curative 48 heures après la dernière prise de fluindione (Previscan) ou de warfarine (Coumadine) ou 24 heures après la dernière prise d’acénocoumarol (Sintrom). Il est suggéré que les patients ayant un INR supérieur à 1,5 la veille bénéficient de l’administration de 5 mg de vitamine K per os. Dans ce cas, un INR de contrôle est réalisé le matin. Il est souhaitable que les gestes aient lieu le matin et l’arrêt des héparines est recommandé comme suit : - HNF intraveineuse à la seringue électrique: arrêt 4 à 6 heures avant le geste - HNF sous-cutanée : arrêt 8 à 12 heures avant le geste - HBPM : dernière dose 24 heures avant le geste Les héparines doivent être administrées à dose curative dans les 6 à 48 heures Apres le geste selon le risque hémorragique et le risque thrombo-embolique. Il est recommandé de ne pas reprendre les héparines à dose curative avant la 6e heure. En l’absence de risque hémorragique majeur et persistant, il est recommandé de reprendre les AVK dans les 24 premières heures. Sinon, dès que possible après l’intervention. Il est recommandé de reprendre les AVK aux posologies habituellement reçues par le patient sans dose de charge. Le traitement par héparine est interrompu après 2 INR successifs en zone thérapeutique à 24 heures d’intervalle Revue Marocaine de Rhumatologie Evaluation et gestion du risque hémorragique en rhumatologie interventionnelle. 13 Lorsque les AVK sont prescrits dans une autre indication (en de heure des patients en ACFA, porteurs d’une valve cardiaque mécanique ou ayant fait un épisode thrombotique récent de moins d’un mois), nous utilisons une HBPM à dose préventive [14]. Il est recommandé d’utiliser l’enoxaparine administrée à raison d’une injection sous-cutanée à 40 mg/j à midi, l’infiltration étant pratiquée dans la matinée [14-17]. 6. Derlon A, Fiessinger JN. Utilisation des antivitamines K en pratique CONCLUSION 9. Lemaire V, Charbonnier B, Gruel Y, et al. Joint injections in patients En cas d’un geste locale en rhumatologie interventionnelle chez les patients sous anticoagulant la gestion du traitement anticoagulant doit prendre en compte le classement des risques hémorragiques des actes invasifs, du risque thromboembolique et hémorragique de chaque situation, Il est clair qu’une analyse des cas particuliers doit toujours être effectuée, en gardant à l’esprit que la décision choisie doit procurer les meilleurs bienfaits au patient. Déclaration d’intérêt Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt. Références 1. Levine MN, Raskob G, Beyth RJ, Kearon C, Schulman S. médicale courante. STV 1993 ; 8 : 15-21. 7. Mejjad O, Favre S. Anticoagulants et antiagrégants plaquettaires: l’infiltration est-elle possible, et comment ? La lettre du Rhumatologue 1997 ; 237 : 12-3 8. Lemaire V, Charbonnier B, Gruel Y, et al. Joint injections in patients on antiplatelet or anticoagulant therapy: risk minimization. Joint Bone Spine 2002;69:8–11. on antiplatelet or anticoagulant therapy: risk minimization. Joint Bone Spine 2002;69:8–11. 10.Pincus KT, Spruill WJ, Parish RC. Effect of flurbiprofen and aspirin on platelet aggregation. Clin Pharmacol Ther 1991;10:935–8. 11.Brochier ML, for the Flurbiprofen French Trial. Evaluation of flurbiprofen for prevention of reinfarction and reocclusion after successful thrombolysis or angioplasty in acute myocardial infarction. Eur Heart J 1993;14:951–7. 12.Montalescot G, Polle V, Collet JP, Leprince P, Bellanger A, Gandjbakhch I, et al. Low molecular weight heparin after mechanical heart valve replacement. 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