Par le capitaine Donald A. Neill Concept de Gerry Locklin L'ÉTHIQUE ET L'APPAREIL MILITAIRE « Quis custodiet ipsos custodes? » [Qui gardera les gardiens?] (Juvénal) S ans faire appel aux détails de cas particuliers, les lecteurs reconnaîtront que de notoires échecs d'ordre éthique se sont produits dans les forces armées occidentales au cours des dernières décennies et qu'ils continueront vraisemblablement de se répéter. Ces échecs ont touché des militaires et des fonctionnaires de tous les groupes d'âge, de tous les éléments, peu importe leur religion, leur appartenance ethnique, leur sexe ou tout autre critère. Que les dommages croissants qui en résultent, découlent de l'accroissement des activités contraires à l'éthique ou d'une surveillance accrue des forces armées de la part du public, la chose est très secondaire; ce qui l’est moins, c’est que ces dommages sont patents et qu’ils ont coûté aux militaires des sommes dont ils avaient grandement besoin, leur ont fait perdre la considération du public, ont rendu leur moral fragile et ont provoqué une baisse du recrutement; même l'image que les militaires se font d'eux-mêmes en a été ternie. De plus, et c'est peut-être là le pire, on a enregistré une légère perte de confiance à l'endroit des forces armées; ce phénomène quantifiable a été noté aux États-Unis au milieu des années 1970 et au Canada au milieu des années 1990. Deux conclusions ressortent tout de suite de ces faits; en premier lieu, il est impossible de déterminer à l'avance les répercussions que pourront avoir les échecs d'ordre éthique sur les forces armées d'une nation et, en second lieu, la possibilité d'incidence de ces échecs ne se cantonne pas à un élément, une branche, une unité, un groupe, un grade ou un indi- Printemps 2000 ● Revue militaire canadienne vidu. Exception faite de quelques différences culturelles mineures, les forces armées du Canada et des États-Unis représentent bien les milieux militaires occidentaux; et, ce qui est arrivé au Canada et aux États-Unis risque d'arriver n'importe où en Occident. Même si les raisons de faire un examen minutieux du comportement éthique des militaires peuvent varier d'un pays à l'autre, ce ne sont pas ces raisons qui retiendront ici l'attention, mais bien ces comportements mêmes. Dans le monde occidental le mot « professionnel » peut s'appliquer au militaire de métier et l'expression « profession des armes », utilisée par des analystes aussi différents que Gwyn Dyer et le général Sir John Hackett, sert à désigner la fonction d'officier. En termes généraux, cinq éléments servent à caractériser une profession et la distinguent des autres occupations : une théorie systématique (le fonctionnement), une hiérarchie (qui est responsable de qui), la sanction communautaire (acceptable à la fois pour le système judiciaire et la société), une culture, et un code d'éthique1. Ce qui distingue la profession militaire des autres professions est la nature de son code d'éthique fondé sur la subordination volontaire des intérêts personnels à ceux de l'état. Quoique nécessaire, ce fondement ne suffit pas pour établir les normes éthiques dont un militaire a besoin. Le but de cet article est de préciser ce qu'est un comportement militaire respectant l'éthique dans le contexte de sociétés démocratiques libérales, d'examiner les causes des échecs Le capitaine Donald A. Neill est adjoint spécial (questions ministérielles) auprès du Sous-chef d’état-major de la Défense. 27 d'ordre éthique dans les forces armées du Canada et des États-Unis, pour ensuite tenter de déterminer le code d'éthique fondamental d'un militaire. Les commissions d'enquête, les cours martiales et les dénonciations publiques peuvent en partie atténuer les symptômes des échecs d'ordre éthique; mais l'identification et le traitement des causes fondamentales de la « crise éthique » des organisations militaires occidentales constituent un exercice plus compliqué, plus long et qui incombe à ces organisations elles-mêmes. L E C O M P O RT E M E N T É T H I QU E S elon les préférences individuelles pour une école de pensée, les valeurs éthiques peuvent être relatives, absolues ou, à la fois, plus ou moins relatives et absolues. Les psychologues ont tendance à les juger relatives; les personnes religieuses les pensent absolues; les philosophes, quant à eux, les placent évidemment sur une échelle allant de l'absolu au relatif. Cet article adopte l'approche dualiste des philosophes en ce sens que, bien que le comportement éthique y soit considéré relatif par rapport au contexte social dans lequel il se forme, s'apprend, se pratique et se contredit, son but est d'en venir à une éthique généralisable et applicable à la profession des armes, c'est-à-dire à une exigence absolue dans un contexte relativiste. Un comportement éthique est une activité ou une conduite qui satisfait aux exigences établies pour et par un groupe donné. John R. Saul utilise une allégorie frappante, quoiqu'un peu irrévérencieuse, pour décrire l'éthique personnelle : C'est moins difficile de pousser une vieille dame en bas du trottoir et dans la circulation que d'en faire le tour... Certaines gens le font. D'autres qui craignent de se faire attraper ne le font pas. Ces deux catégories de gens perçoivent la loi comme un moyen de mater la nature indisciplinée ou non éthique humaine. Une troisième catégorie regroupe les gens en position de pouvoir qui considèrent la loi et son application comme la barrière entre l'ordre et le désordre. Ils craignent que sans la loi, tout le monde se mette à pousser les vieilles dames en bas du trottoir... Une quatrième catégorie, qui compte pour 90 pour cent de la population, peut-être 95 pour cent, contient ceux et celles, qui même sans témoins ne poussent pas les vieilles dames en bas du trottoir. Ils n'y pensent même pas. Ils se rangent tout simplement... Les deux premières catégories croient que l’éthique est un système de mesure. La troisième ne croit pas à l’éthique et la remplace par un antidote structuré à craindre. La quatrième catégorie semble avoir compris que l’éthique fait appel à la responsabilité pratique personnelle appliquée quotidiennement. Ils semblent comprendre cela indépendamment de leur instruction, de leur religion, que la raison en soit consciente ou non et qu'ils aient accès à des trottoirs ou qu'ils n'y aient pas accès2. 28 Tous les groupes qu'ils soient étatiques, corporatifs, culturels, universitaires, religieux, militaires, professionnels, sociaux ou autres, possèdent, élaborent ou acquièrent d'une façon ou d'une autre un norme fondamentale de comportement à laquelle leurs membres doivent se conformer sine qua non pour appartenir au groupe. Les codes d'éthique des professions ont trois principaux buts sociaux; premièrement, ils protègent l'individu contre des membres d'une profession qui décideraient d'abuser de leur pouvoir en raison de leurs connaissances spécialisées; deuxièmement, ils reconnaissent le professionnel comme un expert digne de confiance au service de ses clients; et enfin, « ils donnent l'autorité morale qui permet certaines activités professionnelles nécessaires mais qui ne sont pas généralement acceptables au plan moral »3. Dans le cas de la profession militaire, le premier aspect est essentiel pour garantir à la population civile que l'armée est là pour la servir et non pour la dominer; le deuxième rassure tous et chacun que l'armée est efficace, compétente, prête et fiable en temps de crise; et le dernier permet de déterminer précisément, à l'intérieur de l'armée même, à quel moment et dans quelles conditions elle peut jouer son rôle, c'est-à-dire utiliser de façon mesurée la violence pour servir les intérêts de l'état. Il existe donc des conditions de temps de guerre dans lesquelles le militaire sera temporairement exempté des règles éthiques de base. Ces conditions le placent, nécessairement et paradoxalement, à l'extérieur des barrières éthiques normalement acceptées par la société et qui contrôlent ses compatriotes civils. Ces pôles contradictoires de l'éthique militaire sont au coeur même de la profession des armes et seront traités plus en profondeur dans ce texte. Lorsque des modèles antinomiques de comportement éthique s'entrecroisent, il s'ensuit inévitablement de la confusion. Par exemple, les normes canadiennes du comportement interdisent les activités anti-sociales telles le vandalisme et la violence des individus ou des groupes; toutefois, ce sont là des caractéristiques typiques et requises du comportement des membres de la majorité des bandes urbaines de jeunes. Les chirurgiens sont souvent en situation de conflit avec le serment de leur code de déontologie et les normes éthiques du simple citoyen lorsqu'ils doivent laisser un patient mourir afin de transplanter un de ses organes à un autre patient. Et les militaires, dans un conflit redoublé avec les impératifs de la société et leurs propres besoins physiologiques ou leurs craintes psychologiques, adoptent volontairement un comportement qui les mènent non seulement à tuer, mais aussi à risquer sans hésitation leur propre vie ou la mutilation pour obéir aux ordres de leurs supérieurs. Le conflit qui découle de l'application simultanée de règles éthiques contradictoires se résout habituellement par le jaugeage, le relativisme et la justification sociale et individuelle. Dans le cas du militaire, l'interdiction sociale et souvent religieuse 4 de tuer est en premier lieu psychologiquement levée par ses commandants qui l'assurent que les besoins impérieux de son pays le libèrent des obligations morales qui s'appliquent à ses compatriotes civils. Dans Revue militaire canadienne ● Printemps 2000 Photo des Forces canadiennes par le sgt David Snashall un deuxième temps, ses commandants insistent pour lui faire comprendre que la cause de son pays est beaucoup plus morale que celle de l'ennemi. Ensuite, ils soulignent que la cause de son pays est « juste » et que celle de l'ennemi est donc forcément « injuste ». Finalement, ils lui rappellent que ce qu'il ne fait pas à l'ennemi, ce dernier ne manquera pas de le lui faire. Dans le contexte approprié, comme une tranchée à Passchendaele, le pont inférieur de canonnage d'un navire de front à Trafalgar ou une redoute bombardée par des obus à Dien Bien Phu, le poids combiné de ces arguments suffit généralement à neutraliser l'effet de la programmation sociale et à en libérer temporairement le militaire qui se conduira d'une manière non conforme aux normes de sa société, mais de la façon appropriée dans un milieu qui ressemble si peu à son paisible lieu d'origine. Toutefois les organisations militaires ne vivent pas dans une tour d'ivoire. Leur isolement traditionnel disparaît rapidement en raison de l'accroissement de la surveillance publique rendue plus facile par le progrès des techniques de communication. Cette surveillance accrue entraîne, comme le souligne Peter C. Newman dans The Canadian Revolution: From Deference to Defiance, le déclin accéléré du respect des Canadiens à l'égard de leurs institutions publiques. Au cours des cinq décennies qui ont suivi la dernière mobilisation de toutes les ressources du monde occidental pour combattre dans une guerre catastrophique, les populations occidentales sont devenues de moins en moins portées à accorder à leurs forces armées un statut privilégié quant au comportement et à la conduite. Les organisations militaires qui ne respectent pas, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix, les normes sociales, ne doivent pas s'attendre à une réaction qui tienne compte de leur propre façon de voir les choses ou du contexte opérationnel dans lequel elles remplissent leur devoir, mais à une réaction qui reflète le point de vue de la société dont elles font partie. Les modèles sociaux en évolution sont à la fois plus simples et plus compliqués que ceux pour lesquels ont été formées les institutions militaires et auxquels elles s'attendent à devoir faire face. Le problème éthique fondamental, et qui déconcerte les législateurs de n'importe quelle société, est de déterminer quand et dans quelles circonstances il est licite pour cette société de faire des actions normalement interdites à des individus. La taxation, la peine capitale, la conscription et la guerre sont des exemples tout simples de Printemps 2000 ● Revue militaire canadienne ce dilemme. Ce sont des actions qui, si elles étaient faites par des individus, seraient qualifiées respectivement de vol, de meurtre, d'esclavage et d'agression criminelle. Mais avec la « sanction légale des autorités constituées », selon l'expression habituellement attribuée à saint Augustin dans son exposé sur la guerre juste, l'état peut s'engager dans ces activités pour protéger ses intérêts sans craindre de condamnation 5 . Cette « sanction légale des autorités constituées », qui pour saint Augustin équivalaient à Dieu et qui désignaient les souverains choisis par Dieu, correspond, pour l'homme occidental moderne, au pouvoir qu'exerce un gouvernement élu démocratiquement et appuyé par la majorité de la population habilitée à voter. Cette distinction devient particulièrement pertinente dans des débats sur le jus ad bellum , le droit de l'état de déclarer la guerre, parce que la « sanction légale des autorités constituées » est la première et la plus importante exigence pour une profession chargée d'appliquer la violence, et parce que son pendant en constitue la deuxième exigence, c'est-à-dire la « responsabilité morale ». La principale différence entre l'autorité et les responsabilités de l'état et celles du soldat qui le sert, est que le professionnalisme des militaires se doit de comporter une gamme d'obligations morales acquises et affinées au cours des siècles, alors que le « droit d'état », tel que le concevaient entre autres Machiavel, Voltaire, Clausewitz et Mao, n'en comporte aucune. C'est dans le métier de militaire que les différences entre les normes éthiques de la société, spécialement de la société occidentale, et celles de la profession sont les plus marquées. Le comportement social occidental est empreint de la tradition judéo-chrétienne et se fonde sur la tolérance, le calme, la sobriété, le désir et l'accumulation des richesses, l'activité politique, les valeurs de la famille et le règlement rationnel des différends. Les organisations militaires, quant à elles, ont toujours toléré un comportement agressif, et l'ont même à l'occasion, exigé, et ce n'est que récemment qu'elles ont tenté de freiner un tel comportement. Il en va de même en ce qui concerne l'intolérance envers les individus qui ne font pas partie du groupe (à partir des civils amis jusqu'aux soldats ennemis), l'abus occasionnel d'alcool, les manifestations de solidarité envers un groupe restreint, le dédain des objectifs financiers, la non participation à la politique et les règlements de comptes personnels (souvent violents) entre militaires. Le fossé entre ces deux modèles de comportement continue de s'élargir à une vitesse de plus en plus 29 grande à mesure que les droits de la personne filtrent à travers des barrières que la tradition rendait auparavant hermétiques. Aussi le contexte social dans lequel vivent les organisations militaires change-t-il rapidement. Par leur incapacité à reconnaître ce changement social et à y réagir ou s'y adapter, les organisations militaires sont les premières responsables de la surveillance exagérée, des soupçons et de la méfiance dont elles sont victimes aujourd'hui. “If ye break faith–”, Musée canadien de la querre CWM 56-05-11-022 Résoudre les conflits qui existent entre le comportement éthique du groupe et le comportement éthique comme l'entend la société, s'avère un problème psychologique et opérationnel d'une grande complexité. Depuis le dix-huitième siècle, les militaires de profession y sont généralement parvenus en isolant les recrues et en leur faisant subir un rude processus de socialisation au groupe destiné à remplacer les éléments contraignants des modèles de comportement culturel appris par des modèles plus appropriés à la vie de soldat, ce qui comprend, entre autres, la volonté d'obéir à des ordres légitimes sans se poser de questions, de se lancer dans des activités où il y a risque de mort sans succomber à la peur et de tuer efficacement sans hésitation. Ce processus de socialisation s'accentue après l'instruction initiale des recrues par une variété de stimulus appropriés comme la vie de caserne, et que viennent renforcer des caractéristiques physiques particulières (coupe de cheveux et uniforme), une façon de parler (manière correcte d'aborder les gens, supérieurs et subalternes, et utilisation du jargon militaire), des emblèmes distinctifs (médaille, insigne, insigne d'unité et bouton), des modes de comportement généralisés et répétitifs comme marcher en formation, saluer, les parades de droits de cité et autres moyens semblables. L'entraînement de base sert à séparer le militaire de ses compatriotes civils et à lui inculquer les modèles de comportement fondamentaux de sa profession; par la suite, des normes de comportement strictement appliquées confirment ces modèles tout au long de sa carrière. L E S S O U RC E S D E S É C H E C S D ' O R D R E É T H I QU E S i on veut essayer de fournir à la profession des armes un code d’éthique capable de régler les problèmes décrits plus haut, il faut commencer par examiner les causes des échecs d'ordre éthique. Elles proviennent de trois sources : le 30 conditionnement de la société précédant l'instruction militaire, le processus de socialisation imposé par les forces armées elles-mêmes et les actions individuelles conscientes; en d'autres mots : les normes inconscientes de comportement imposées par la société, les normes inconscientes de comportement inculquées par la profession et le comportement conscient. Chacun de ces facteurs peut exercer une influence négative sur le conditionnement éthique du militaire et fait l'objet d'une étude détaillée dans les sections suivantes. La société L es reproches adressés aux militaires ne tiennent généralement pas compte d'un des éléments prépondérants du processus de recrutement du monde occidental, c'est-à-dire que l'armée d’une nation est composée de ses propres citoyens. Selon un dogme fondamental de la psychologie, le conditionnement sociologique de base se produit pendant l'enfance, et il est très peu probable qu'un individu s'adapte parfaitement à d'autres modèles de comportement après l'adolescence. Toutes les organisations militaires occidentales, sans exception, recrutent des civils bien après l'adolescence; il semble donc que, sauf dans le cas des vétérans chevronnés, la plupart des membres des forces armées auront, à n'importe quel moment donné, passé une plus grande partie de leur vie comme civils que comme militaires6. Puisque le temps passé comme civil l'a toujours été pendant les années d'apprentissage, la société doit assumer une très grande partie de la responsabilité des modèles de comportement qu'elle communique à ses citoyens avant qu'ils ne choisissent de devenir militaires. De nombreuses tendances propres à la société contemporaine occidentale contribuent de façon importante aux échecs d'ordre éthique lorsqu'un citoyen revêt l'uniforme. Il existe, entre autres, une diminution du respect des droits et privilèges individuels, ce qui inclut l'intimité, les opinions individuelles ou les convictions religieuses, diminution qu'illustre bien l'accroissement du fondamentalisme religieux, des crimes haineux et des actes de « terrorisme d'origine domestique ». La diminution du respect de la propriété, mise en évidence par la dégradation des centres-villes en grande partie du fait de leurs habitants, peut aussi être prise pour acquis, comme peut l'être le manque de respect à l'endroit des différences tant culturelles que physiques, psychologiques ou idéologiques7. Revue militaire canadienne ● Printemps 2000 On trouve, associés à ces tendances, des traits sociaux négatifs provenant d'une croissance de l'extrémisme idéologique et d'une adhésion excessivement zélée à un idéal de « rectitude politique » mal définie. La présence envahissante des médias, facilitée par l'explosion des technologies de l'information et par la transparence absolue exigée de toutes les institutions publiques, encourage les réseaux d'information à remettre en question des institutions auparavant imperméables à la contestation. Les forces armées sont les plus récentes parmi les institutions publiques à passer sous la loupe, et les citoyens exigent qu'on leur rende des comptes pour les impôts qu'ils ont versés. Somme toute, les organisations militaires des sociétés démocratiques doivent enrôler des citoyens déjà exposés, en moyenne depuis deux décennies, à des attitudes de société qui changent rapidement et qui, dans plusieurs cas, comportent des valeurs différentes et souvent opposées à celles sur lesquelles repose le fonctionnement efficace des organisations militaires. Les citoyens qu'on transforme en militaires peuvent avoir des normes éthiques de base radicalement différentes de celles qu'on doit leur transmettre au moment de la socialisation militaire, ce qui peut susciter des conflits d'ordre éthique avec tout ce qui peut s'ensuivre. La société est donc en partie responsable des fautes éthiques des militaires, parce que tout citoyen présente inévitablement les bonnes et les mauvaises caractéristiques de la société qui l'a formé. Comme le dit Peter C. Newman, [...] toutes les marines, les armées et les forces aériennes reflètent le caractère des sociétés qu'elles ont pour mission de défendre. Si le rôle ultime de nos militaires est difficile à définir, c'est parce que nous, en tant que nation, n'avons pas de croyances précises ni même communes8. L'individu U n effet secondaire décourageant de l'ampleur autrement louable que prend la démocratisation dans les sociétés occidentales, est la déplorable habitude de reporter la responsabilité des échecs ou des crimes des individus sur les épaules plus larges et plus anonymes de l'ensemble de la société. Cette tendance à refuser la responsabilité de ses propres actions, quoiqu'elle ait été moins courante avant la période de tendance à la libéralisation généralisée des années 1950, 1960 et 1970, reprend, lorsqu'on la pousse à l'extrême, les arguments de défense des personnes accusées de crimes contre l'humanité durant la Seconde Guerre mondiale, que consacre le faux argument juridique du respondeat superior plus connu sous la formulation « je ne faisais qu'obéir aux ordres ». Le droit international et le droit des conflits armés ont depuis mis fin à cette défense en codifiant l'obligation morale et juridique du militaire de refuser d'obéir à un ordre de toute évidence illégal comme assassiner des prisonniers, commettre un viol, abuser de quelque façon des civils, les tuer ou participer volontairement à la destruction inutile de la propriété civile. Donc, nonobstant l'indifférence de la société, la responsabilité des actions d'un militaire lui incombe, qu'il Printemps 2000 ● Revue militaire canadienne soit simple soldat ou général, tout comme lui incombe le devoir concomitant d'exercer son jugement personnel lorsqu'il obéit à des ordres. L'argument formulé par John Bates lors de sa rencontre au crépuscule avec son roi déguisé dans Henry V de Shakespeare « Nous en savons assez si nous savons que nous sommes les sujets du roi; si sa cause est mauvaise, notre obéissance au roi nous lave de tout crime », n'est plus une défense valable. La réponse d'Henry V aux allégations de Bates établit clairement la responsabilité individuelle même dans ce contexte de moralité chrétienne médiévale : « Les services de chaque sujet appartiennent au roi; l'âme de chaque sujet n'appartient qu'à lui-même9. » La responsabilité individuelle est ainsi établie a priori par les tribunaux de droit nationaux et internationaux; toutefois, pour une raison inconnue, la société contemporaine occidentale s'est grandement efforcée d'éliminer la responsabilité individuelle de ses conventions essentielles. De plus, les notions de responsabilité individuelle sont enchâssées dans le parchemin de la commission que le souverain accorde à un officier et qui le rend responsable de la direction et de la discipline des militaires placés sous son commandement et de l'obéissance aux ordres des personnes désignées comme ses supérieurs. L'obéissance au souverain peut toutefois entrer en conflit avec les exigences éthiques personnelles dans les circonstances particulières engendrées par la guerre; et c'est ici que le jugement individuel et la moralité du militaire entrent encore en ligne de compte. Un exemple frappant en est la position délicate dans laquelle se trouvaient les Français Libres durant la Seconde Guerre mondiale; ils devaient choisir chacun pour soi entre l'obéissance aux ordres d'un chef d'État légalement au pouvoir et cesser de résister à un envahisseur brutal et à un régime odieux, ou choisir la trahison de fait en essayant de combattre l'envahisseur. L'histoire n'a pas seulement exonéré De Gaulle, les Français Libres et le membres de la Résistance, mais leur a accordé un statut de héros populaire (et, dans le cas de De Gaulle, celui de quasi-divinité), tandis qu'elle a vilipendé le régime de Pétain. La désobéissance à ses supérieurs et au chef d'État légal était une obligation morale dans ces circonstances, non seulement aux yeux de De Gaulle et de milliers de ses concitoyens réunis sous sa bannière, mais aussi aux yeux de la postérité. Un soldat sans priorités éthiques solides et incapable de faire des choix en la matière n'aurait pas pu prendre cette décision comme l'ont fait De Gaulle et ses partisans. Le deuxième, et peut-être le plus important, facteur qui détermine les réactions d'un individu dans une situation exigeant un choix moral, se retrouve dans les traits de son caractère qui ont été déterminés par son milieu, à savoir son expérience personnelle et ses traumatismes psychologiques. En contrepoids à ces traits ou de concert avec eux, on retrouve les motivations du moi et l'ambition personnelle. La même société, qui protège ou traite en célébrité des individus qui refusent d'accepter les responsabilités de leurs propres actions, encourage simultanément une norme amorale d'autosatisfaction dans le commerce, les affaires sociales et profes- 31 sionnelles, norme à laquelle applaudirait sans doute un Borgia. L'acceptation de ses responsabilités personnelles pour ses actions et l'imputabilité pour celles de ses subalternes est et doit demeurer un des piliers du métier des armes. L e m i l i t a i re C es actions qu’ils auraient payées de leur vie s'ils les avaient commises en temps de paix, on les louange pour les avoir commises en temps de guerre10. (Sénèque) Nichols, Normandy Beach Scene In Gold Area, Musée canadien de la querre CWM 10523 Finalement, il faut départager la responsabilité des institutions militaires elles-mêmes pour ce qui est de la création, de l'encouragement et de la perpétuation de normes de comportement socialement peu acceptables chez leurs membres. Dans un livre paru récemment, l'astronome Carl Sagan a étudié l'efficacité du conditionnement opérant dans la formation de soldats faisant feu volontairement au combat; selon ce livre, l'inaction en cours de combat est passée de 85-90 % pendant la première Guerre mondiale à moins de 40 % pendant la guerre du Vietnam. Sagan fait aussi état d'une augmentation parallèle, bien documentée, des pertes humaines dues au stress du champ de bataille et de problèmes dus au stress post-traumatique qui se manifestent après le rapatriement des militaires. Il semble que, au moment où les techniques d'entraînement produisent plus efficacement des militaires agressifs, ces techniques demeurent moins efficaces pour prévoir, empêcher, amoindrir ou traiter les effets secondaires psychologiques de leur propre succès. Les problèmes de méthodes d'entraînement sont aussi vieux que les organisations militaires elles-mêmes. Lorsque Churchill a résumé les traditions de la Marine royale à guère plus que « rhum, sodomie et fouet », son intention était de ridiculiser les effets abrutissants de la tradition, et il visait l'ensemble des forces armées. Un militaire, selon Sir Basil Liddell-Hart, est un être très conservateur qui 32 n'accepte une idée que lorsqu'elle est devenue désuète, et ne l'abandonne que lorsqu'elle l'a presque complètement détruit. Ce conservatisme inné vient en grande partie du fait que le rôle du militaire est d'être le gardien de l'ordre social et il ne constitue pas en soi une réaction anormale devant tout ce qui peut bouleverser inutilement cet ordre, comme le font les changements sociaux subits et draconiens, qu'ils soient de nature évolutive ou révolutionnaire. Bien que ce conservatisme ne soit pas entièrement nocif lorsque modéré, il peut devenir fatal à la profession des armes si on le pousse à l'extrême. L'habitude de préserver la tradition légitime s'étend malheureusement aussi à la rétention des procédures opérationnelles désuètes, dont le coût ultime n'apparaît d'ordinaire qu'au moment d'un décompte de pertes exorbitantes. L'exemple souvent cité de la charge de la cavalerie à Balaclava démontre l'inutilité de déployer des chasseurs contre une infanterie appuyée par des canons, une leçon qui aurait dû être péniblement évidente pour l'armée qui avait utilisé une telle formation de combat de façon si dévastatrice à Waterloo. Néanmoins, la soudaineté et la bravoure d’une charge de cavalerie, bien qu'inadéquate sur un champ de bataille où l'utilisation des carabines et des canons à chargement par la culasse devenait la règle, a continué de hanter, même durant la seconde Guerre mondiale, les armées à leur grand détriment. Il s'agissait là du triomphe d'un conservatisme inébranlable sur le bon sens. Parmi les problèmes qui nuisent au bon fonctionnement des organisations militaires en Occident, la bureaucratisation de la profession militaire occupe une place importante. Ce phénomène existe maintenant depuis près de quatre décennies. Ses origines remontent à une série de décisions de politiques générales prises, tant au Canada qu'aux États-Unis, dans la première moitié des années 1960, par des bureaucrates à l'esprit libéral et par des cadres supérieurs de la défense possédant une formation en affaires. Ainsi Robert McNamara, Secrétaire de la défense sous Kennedy et un de ses « jeunes prodiges », a introduit dans le système militaire une nouvelle théorie de gestion dérivée de son expérience de l'industrie de l’automobile. Les principes de gestion des affaires sont alors devenus de rigueur; tous devaient mettre en pratique les techniques de gestion des affaires et les intégrer tant aux opérations quotidiennes du gouvernement qu'aux questions complexes de la politique internationale et aux opérations de guerre. Les techniques de gestion des affaires ont fait leur chemin jusqu'aux groupes de réflexion, aux universités et au Pentagone, et c'est à cause d'elles que toute une génération de cadres supérieurs, de politiciens et de généraux a cru à la doctrine rationaliste de la quantification universelle et a tenté de l'appliquer dans son travail. Ces techniques de gestion des affaires se sont ensuite retrouvées dans les rangs inférieurs de la hiérarchie militaire; des expressions et des concepts comme « la gestion des effectifs » se sont mis à remplacer celui de leadership au niveau des unités et aux échelons inférieurs. Cela s'est avéré une erreur fondamentale, car la Revue militaire canadienne ● Printemps 2000 gestion ne saurait se substituer au leadership; elle n'en constitue qu'une bien petite composante secondaire 11 . Douglas Bland a établi une remarquable chronologie de l'empiétement progressif de la mode de gestion des affaires au sein du ministère de la Défense nationale du Canada. En 1947, lorsque le ministre de la Défense nationale, Brooke Claxton, étudiait la liste des candidats au poste de président du Comité des chefs d'état-major, ses principaux critères étaient les suivants : l'officier supérieur en question « doit bien connaître la paperasse, être un génie de la coordination et un homme qui jouit de l'entière confiance du gouvernement ». Bland poursuit en écrivant : Brooke Claxton cherchait un nouveau genre d'officier, pas juste un héros de guerre... Il avait besoin d'un officier qui pourrait fonctionner avec aisance et avec confiance dans des situations politico-militaires nationales et internationales et qui ne se présenterait pas comme le défenseur du point de vue militaire, mais plutôt comme un lien entre le monde militaire et le gouvernement. Un tel officier devait avoir des compétences bien marquées [...] affinées dans les corridors de la bureaucratie d'Ottawa [...] un président plus diplomate que militaire12. Ce que Claxton cherchait, c'était un bureaucrate accompli, doté de suffisamment d'instinct politique pour naviguer dans les eaux troubles de l'establishment d'Ottawa et avec assez de médailles pour gagner le respect des militaires, mais qui n'avait ni connu une carrière militaire trop brillante, ni n'exprimait un point de vue militaire trop convaincu, ni ne démontrait un attachement trop vif à l'endroit de l'appareil militaire lui-même. Somme toute, il cherchait le parfait robot d'entreprise qui donnerait une très belle image, mais serait dénué de substance. Lorsque Robert MacNamara devint responsable des forces armées des États-Unis en 1963 et qu'il entreprit d'instaurer les principes de gestion des affaires dans toute l'organisation, il trouva un partenaire bien disposé en la personne de Paul Hellyer alors ministre de la Défense Nationale du Canada13, que Bland décrit de la façon suivante : Le premier amour de Hellyer était la macroéconomie et il avait fait son chemin dans les affaires, comme il aimait à le rappeler lorsqu’il affrontait les gestionnaires du gouvernement. Le politicien Hellyer avait toutefois [...] un besoin exagéré d’ordre administratif et une attitude critique, presque de la méfiance, à l’endroit des fonctionnaires, des officiers et de leurs conseils14. Hellyer consacra son énergie, son ambition politique et sa grande habileté d’administrateur à l’unification des Forces canadiennes et à l’intégration de ses quartiers généraux15, une entreprise dont on ne traitera pas ici, mais qui fut décrite moins comme une nécessité opérationnelle militaire que comme un « acte de vandalisme commis au nom de l’ordre administratif »16. Ce qui est significatif dans Printemps 2000 ● Revue militaire canadienne ce cas, ce n’est pas l’unification elle-même, mais les raisons sous-jacentes pour lesquelles on l’a faite. Aucune de ces raisons ne visait à accroître l’efficacité en temps de guerre de l’appareil militaire canadien. Le processus de bureaucratisation se poursuivit avec la nomination, en 1970, de Donald MacDonald au poste de ministre de la Défense nationale. MacDonald mit sur pied le Groupe d’étude de la gestion (GEG), dont le mandat consistait « en apparence à introduire des techniques de gestion modernes et des concepts organisationnels dans les FC et au MDN »17, mais dont le but, selon Bland, était de transférer le pouvoir décisionnel des mains du personnel militaire « particulièrement de celles du chef d’état-major de la Défense (CEMD) » à celles des hauts fonctionnaires civils du Ministère. Dans son résumé des recommandations du Groupe, Bland mentionne que : La solution organisationnelle préférée du GEG consistait à détacher le CEMD de sa responsabilité traditionnelle et légale de « commander et administrer » les FC et, à assigner des parties de cette fonction à des membres civils du MDN. Le chef de cette nouvelle organisation serait le sous-ministre (un civil de la fonction publique) agissant à partir « du bureau du ministre » où toutes les décisions du ministère touchant tant les civils que les militaires seraient prises... D’autres actions visant à limiter le pouvoir du CEMD allaient suivre. Le quartier général, fusionné et placé sous la responsabilité du sous-ministre, comprendrait plusieurs adjoints civils pour administrer la logistique et d’autres fonctions, des postes qui les amèneraient à donner des ordres directement aux commandants militaires des unités. La planification stratégique [...] serait dirigée par un « civil sensible à la politique » agissant au nom du sous-ministre. On s'attendait à ce que le CEMD joue un rôle de coordonnateur, même si les membres du GEG [...] ne voyaient pas le besoin d'un tel rôle de commandement opérationnel18. Dans leurs recommandations, les membres du GÉG allèrent bien au-delà de tout ce que McNamara ou même Hellyer auraient pu imaginer en préconisant un transfert de la responsabilité du commandement et du contrôle opérationnel des Forces canadiennes à une coterie d'officiers en service et de civils de la fonction publique; dans le dernier cas, il s'agissait d'un dangereux transfert d'autorité sur les troupes sans la responsabilité concomitante, parce que les civils ne sont pas, par définition, assujettis à la chaîne de commandement militaire ou liés par le même code d'éthique que les membres de la profession des armes. Même si ces recommandations furent mal reçues par les Forces canadiennes et par le gouvernement, elles donnent quand même une excellente idée de la direction dans laquelle s'engageait le processus de gestion. Il aboutissait, et c'est toujours le cas, à une structure de commandement de niveau supérieur à deux branches 19 dans laquelle le sous-ministre et le 33 CEMD fonctionnent en essence comme un seul individu, et dans laquelle une bonne moitié des « chefs de groupes », ce qui équivaut à des postes de lieutenant-général, est occupée par des fonctionnaires ayant de facto mais non de jure le pouvoir de donner des ordres à des militaires. Dans son article de 1973, Paul D. Manson, qui deviendra par la suite chef d'état-major de la Défense, soulevait d'embarrassantes questions au sujet de la dotation en personnel civil des quartiers généraux : « Où, dans la chaîne de commandement, se situe exactement un civil lorsqu'il donne des directives aux Forces canadiennes? Quelle autorité précise un civil détient-il sur son homologue militaire20? » Il s'agissait de questions bien avisées à l'époque et, même aujourd'hui, on n'y a toujours pas répondu de façon satisfaisante. La dotation en personnel civil au niveau supérieur du commandement des FC reste encore un grave sujet de préoccupation, principalement parce que les fonctionnaires en poste ne sont pas liés par le même serment de fonction, par la même chaîne de commandement ou, selon les termes de la commission d'officier, par la même « ordonnance royale » que leurs homologues militaires. Ils suivent des cheminements de carrières différents, sont assujettis à un système de rémunération différent, n'ont pas à adopter les mêmes normes de travail que les militaires, peuvent se syndicaliser, ne sont pas tenus de servir dans des circonstances à risques et, fait peut-être le plus important, n'ont strictement pas le droit d'exercer un commandement opérationnel. Somme toute, leur condition est suffisamment différente de celle d'un militaire qu'il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce qu'ils adhèrent au même code d'éthique, mais on exige d'eux, au niveau du commandement national du moins, qu'ils s'acquittent des mêmes fonctions que leurs collègues militaires. En dépit de ces problèmes, depuis le 1er octobre 1972, ceux qui concrétisent les politiques militaires du Canada ne sont « non seulement pas choisis par la communauté des officiers, mais proviennent en grande partie de la fonction publique »21. Au Canada, l'effet de la mode de la gestion des affaires semble avoir donné naissance à une discordance cognitive importante aux plus hauts niveaux de l'organisation de la Défense nationale, non pas parce qu'on a pas réussi à faire des changements, mais parce qu'on les a faits pour une raison autre que l'amélioration de l'efficacité opérationnelle de l'organisation militaire canadienne dans son rôle premier, celui de la défense du pays. Cette situation est surtout attribuable au brouillage délibéré de la distinction entre officiers supérieurs et hauts fonctionnaires qui s'est matérialisé lors des efforts de restructuration au début des années 1970. Pour reprendre les mots d'un observateur, « donner à des civils, des postes d'autorité dans la hiérarchie militaire revient à créer des généraux civils, ce qui est une contradiction dans les termes, et une combinaison de concepts incompatibles »22. La théorie organisationnelle ne repose pas sur la responsabilité morale d'un individu précis, mais plutôt sur le pouvoir décisionnel de cette personne. Pour cette raison, les membres civils du personnel de direction, équivalant en grade à un général, en sont venus avec le 34 temps à dépasser, en nombre, leurs homologues militaires dans les quartiers généraux à mesure que les gouvernements successifs tentaient de créer des équivalences entre les divers services de la fonction publique. Une perception erronée du rôle du militaire dans la société moderne est non seulement à l'origine de la dérive éthique affligeant le milieu, mais elle est aussi responsable de la diminution du prestige des militaires auprès du public. Cette erreur de perception affecte aussi gravement les rangs mêmes des Forces armées parce que les normes éthiques d'un militaire et celles de l'homme d'affaires, qu'on encourage le militaire à faire siennes, non seulement ne se complètent pas mutuellement mais, en fait, s'excluent les unes les autres. Pour reprendre la pensée de Saul, l'éthique de l'homme d'affaires est axée sur ses intérêts personnels alors que l'éthique militaire repose sur le sacrifice des intérêts personnels. Estomper la distinction entre ces deux réalités ne conduit pas seulement à une mauvaise identification des buts, mais aussi à une mauvaise compréhension de la façon d'atteindre ces buts. L'éthique des affaires vise non seulement des buts différents, mais utilise aussi des moyens différents. Aussi ne suffit-il pas de publier, par exemple, un « énoncé d'éthique militaire » pour s'attendre à ce que les militaires le comprennent et y adhèrent alors qu'on s'attend à ce qu'ils imitent quotidiennement des gérants d'activités commerciales. Par ailleurs, essayer de créer une « philosophie » aussi bien faite pour des militaires que des fonctionnaires et capables de les aider, de les guider, et de les faire travailler le mieux possible, c'est tenter de décrocher la lune tant ces deux professions ont si peu de traits communs. L'idée voulant que les forces armées occidentales se soient laissées obnubiler par la méthode des affaires n'est ni nouvelle ni frivole. Dans son étude des forces armées américaines de 1985, Richard Gabriel a remarqué que : ... dans les années 1950, l'Army Command and General Staff College consacrait 665 heures aux connaissances tactiques et opérationnelles. Dans les années 1970, seulement 173 heures leur étaient dévolues. Le reste du temps allait à des cours [...] de gestion, de finance et de politique générale23. Bien que ce type de formation n'ait pas encore été courant dans les cours des collèges d'état-major des niveaux inférieurs, il était rapidement devenu la règle aux niveaux supérieurs. La National Defence University de Washington, par exemple, s'enorgueillissait, au début des années 1980, d'un programme d'études qui offrait des cours sur la façon de témoigner devant un Comité du Congrès. Gabriel observe avec ironie qu'il semble que « l'obligation de dire la vérité à ses supérieurs ne suffi[sai]t manifestement plus »24. Il ajoute : Il y a de quoi s'effrayer lorsqu'on constate qu'un psychologue du personnel de la National Defence University qui évaluait la personnalité des étudiants depuis 1979, ne pouvait déceler de différences entre Revue militaire canadienne ● Printemps 2000 les étudiants militaires de l'université et des cadres supérieurs de sociétés d'affaires dont il faisait aussi l'évaluation. Si les officiers et les hommes d'affaires portaient des vêtements semblables, il serait impossible de les différencier les uns des autres25. Puisqu'une des idées directrices de cet article est que les militaires doivent être tenus responsables de leurs propres actions et doivent répondre de celles de leurs subalternes, il ne saurait passer sous silence les difficultés qu'ont connues les chefs militaires de tous les niveaux, à instaurer et à mettre en vigueur des codes universels de comportement. Qu'elles soient précisées dans un « code de conduite », un « code d'honneur », une « liste des valeurs éthiques » ou sous toute autre forme de directives morales obligatoires, les normes de comportement de tout sous-groupe de la société qui aspire à un statut professionnel, doivent être claires, sans équivoques, universellement comprises et acceptées ou ce ne sont pas, par définition, des normes. En outre, pour qu'elles soient crédibles, on doit avoir prévu des sanctions professionnelles pour ceux qui ne s'y conforment pas. Toutefois, et c'est là le plus important, ces normes doivent être conçues en fonction de la profession à laquelle elles s'appliquent. Qualité admirée et récompensée au sein des organisations modernes. On y fait référence par l'intermédiaire de métaphores en parlant de professionnalisme ou d'efficacité. L'amoralisme est un de ces termes qui permettent de mettre en lumière la confusion entre ce qui, dans la société, est officiellement inculqué comme une valeur et ce que l’organisation sociale récompense en réalité. L'immoralité c’est faire le mal volontairement; l’amoralisme, c'est le faire parce qu'une structure ou une organisation attend de nous que nous nous comportions de la sorte. L'amoralisme est donc pire que A.T.J. Bastien, Over The Top, Musée canadien de la querre CWM 8058 L'obligation pour les chefs militaires de formuler et de communiquer de telles normes comporte deux volets: faire respecter ces normes par leurs subalternes, mais aussi les illustrer par leurs propres actions. Les caractéristiques traditionnelles de courage, de loyauté et de compassion sont peut-être les meilleurs indicateurs du comportement éthique, parce qu'aucun militaire de profession, peu importe les punitions qu'il risque, ne suivra dans l'action un chef qui est de toute évidence déloyal, brutal ou lâche. Un ultime indicateur réside dans l'intégrité, un terme que le Petit Robert rapproche des mots « probité », « droiture » et « honnêteté », mais que cerne peut-être mieux l'obligation de s'abstenir de faire une action qui comporte un avantage potentiel si cette action est interdite par son code d'éthique (« c'est mal »), ou de continuer à faire une action qui peut être dangereuse parce que ce même code d'éthique l'exige (« c'est bien »). chez un individu depuis son enfance, en faisant porter sur certaines réalités militaires posant problème un amoralisme sélectif selon lequel un comportement immoral n'est pas seulement permis dans certaines circonstances mais nécessaire, ou même louable comme le faisait remarquer Sénèque. Quant à l’amoralisme, c'est encore une fois Saul qui, en plaisantant évidemment, en fournit une définition : Certes il faut alors préciser le sens des mots « bien » et « mal ». Cette distinction ramène au complexe problème, mentionné plus haut, de l'individu amoral que la société contemporaine semble portée à créer et que les organisations militaires occidentales doivent transformer en soldat. Si un individu moral, présumé capable de distinguer le bien du mal, choisit habituellement de faire le bien et, si un individu immoral ou ne respectant aucune règle, également capable de décider choisit normalement de faire le mal, une personne amorale est, elle, incapable de faire la distinction entre ces deux pôles éthiques. Un des objectifs de l'entraînement militaire de base est de modifier les valeurs morales conventionnelles, implantées Printemps 2000 ● Revue militaire canadienne l'immoralité, dans la mesure où il revient à nier notre responsabilité et, par conséquent, il nie la supériorité de la vie humaine sur la vie animale26. Le problème est que les humains, en tant qu'animaux complexes et plutôt intelligents, peuvent apprendre de beaucoup d'autres façons que par le simple conditionnement opérant de l'entraînement militaire de base. L'observation est la méthode la plus commune d'apprentissage; elle est dominante pendant toute la période de l'enfance et demeure présente tout au long de la vie adulte. Mener par l'exemple devient donc moins un impératif théorique qu'une responsabilité de première importance du chef formateur. Il n'est donc « qu'humain » par exemple de présumer que, faute de directive contraire, une action permise à son supérieur l'est également pour soi-même. Bien que, généralement parlant, il soit peu probable que l'exemple d'un officier manifestement déloyal 35 encourage ses subalternes à agir d'une façon déloyale, il n’en demeure pas moins qu’imiter un comportement est commun à tous les primates et que l’apprentissage par l’observation est rarement flagrant ou même conscient par son étendue ou sa nature. Il est beaucoup plus probable que des cas où un supérieur aura un comportement moralement confus et où il traitera l’éthique de façon cavalière, inciteront une personne, chez qui à la fois la société et le système des grandes entreprises ont encouragé l’amoralisme, à adopter des normes de comportement immorales. La tendance du milieu militaire à pardonner des fautes dites mineures au nom d’affirmations telle que « il faut que jeunesse se passe » ou bien « il va se replacer une fois sur le terrain », amplifie cette faiblesse structurale, diminue de beaucoup l’efficacité du militaire et ternit gravement l’image publique des militaires en général. Le sévère avertissement de Nelson de « ne jamais laisser passer une faute » gagne des adeptes à mesure que les coûts du laxisme continuent de grimper. Aussi ne faut-il pas s’étonner que, lorsqu’il s’agit de créer et de maintenir une attitude de professionnalisme dans les rangs des officiers d’un corps militaire bureaucratisé, l’une des difficultés réside dans le fait d’évaluer et de récompenser les comportements éthiques. Linn note que : une étude de l’Army War College datant de 1977 et portant sur le professionnalisme, révèle qu'un tiers des officiers de l’armée américaine participant à l’étude ont affirmé qu’un comportement non éthique était récompensé par le « système », alors que les deux tiers croyaient qu’un comportement éthique n’était pas récompensé27. Instaurer un système de récompense pour un comportement éthique est une arme à deux tranchants. Le faire indique qu’agir de manière éthique est un comportement exceptionnel plutôt que normal, et récompenser un tel comportement revient à récompenser un soldat pour avoir bien attaché ses bottes. En revanche, l’absence d’un système de récompense faisant contrepoids à la sanction (la carotte contrebalançant le bâton) peut rendre à prime abord difficile le rétablissement du comportement éthique en tant que norme de conduite. Incidemment, il est intéressant de constater que les plaintes formulées il y a deux décennies par des officiers américains ont été récemment répétées devant le Comité permanent de la Défense nationale et des anciens combattants. La perception voulant que le système soit une grosse machine bureaucratique sans tête, qu’il fonctionne au hasard et qu’il ait tendance à écraser l’honnêteté alors qu’il laisse les rusés l’exploiter, n’est pas nouvelle; ce qui est nouveau par contre, c’est que la méfiance envers le système soit si répandue. Gabriel résume son analyse du système militaire américain du début des années 1980 en des termes peut-être excessifs mais certainement sentis : L’officier qui connaît du succès à l’intérieur de la bureaucratie militaire n’est habituellement pas un chef entraîné pour le combat, qui a étudié et pratiqué les arts de la 36 guerre, mais tout probablement un batailleur expérimenté de la bureaucratie, qui a étudié l’art de la gestion et sait comment survivre dans un système bureaucratique qui récompense le manque d’inventivité, la complaisance, l’acceptation des règles sans remise en question, la capacité de protéger son « territoire » administratif; mais c’est avant tout quelqu’un qui ne dérange rien. Ce ne sont pas là les qualités de qui mène des combattants, ni de qui sait être un efficace planificateur militaire28. Saul dans Les bâtards de Voltaire en convient et suggère que le déclin des organisations militaires occidentales, déclin qui les a transformées en modèles d'excellence de l'idéal bureaucratique, est attribuable au fait que les bureaucraties occidentales ont poussé la philosophie politique rationaliste à sa plus extrême absurdité, au point où l'intérêt personnel remplace le sacrifice de soi en tant que principale force derrière l'activité humaine, au point où l’éthique des affaires écrase l’éthique sociale et en vient à l’effacer. Le danger d'adapter la méthodologie des affaires à la profession des armes peut mener les militaires à adopter une « attitude semblable à celle […] qu’on trouve dans les autres ministères du gouvernement. Il s’ensuit que la discipline militaire semble dépassée [et] que la gestion et l’administration des affaires remplacent le leadership29… » Alors que ce processus peut en pratique bénéficier à des entreprises à but lucratif, il sonne le glas des armées. En l’absence d’un système fiable de récompense pour un comportement éthique et sans trop savoir si un tel système, à supposer qu’on puisse en concevoir un, serait avantageux ou nuisible dans le milieu militaire, l'excellence dans le système militaire contemporain bureaucratisé doit nécessairement être évaluée d'une autre façon. Tel que mentionné plus haut, la marque de commerce des bureaucraties est la quantification; toutefois l’éthique, sauf dans les cas d'échec, ne se prête pas facilement à la mesure. Linn observe que, dans une bureaucratie dépourvue de norme éthique quantifiable, les valeurs de l'intérêt personnel font que les promotions remplacent le service et la contribution en tant que mesure du succès et conduisent à des désastres éthiques. Lorsque le service du pays est abandonné en faveur d'intérêts personnels, on ne sait plus quelle utilité on a; l’engagement envers ses subalternes et sa mission s'affaiblissent et les habiletés militaires décroissent... Ce que l’on ne comprend pas, c'est que le service militaire exige l’obligation morale de servir avec compétence les intérêts généraux de la société au risque de perdre aussi bien une promotion que la vie30. Un supérieur hiérarchique qui refuse de risquer son statut, qui ne se consacre pas entièrement et sans réserve à une entreprise ou qui n’accepte pas la responsabilité sans détour pour une catastrophe, nuit non seulement au moral des forces armées mais à la survie même de la profession des armes. Le métier des armes, sans être la plus ancienne occupation humaine, est sans l’ombre d’un doute celui pour Revue militaire canadienne ● Printemps 2000 lequel on s’est le plus exercé et qu’on a le plus étudié. C’est par les erreurs de leurs prédécesseurs que les militaires apprennent forcément le mieux, et cela à un degré rarement égalé dans d’autres professions. Un des piliers de la profession des armes est donc la volonté des supérieurs, quel que soit leur grade, d'accepter d’être responsables de leurs propres actions et imputables de celles des troupes qu’ils commandent, dans le succès, et plus spécialement peutêtre, dans les échecs. L'échec est une bonne école et, si une armée doit en subir, elle doit en apprendre quelque chose. L'échec toutefois représente précisément le genre d'événement dommageable dont les organisations bureaucratiques refusent à tout prix de reconnaître la responsabilité. Dixon, dans On the Psychology of Military Incompetence, décrit de la façon suivante le refus d'accepter la responsabilité : C’est une caractéristique déplorable des organisations autoritaires que leur nature même les pousse inévitablement à ne pas apprendre de l'expérience en acceptant leur part de blâme. La raison en est facile à trouver. Puisque l'autoritarisme résulte lui-même de moyens de défense psychologiques, les organisations autoritaires sont passées maîtres dans l'art de détourner le blâme. Elles le font par la dénégation, par la rationalisation a posteriori, par la désignation de boucs émissaires ou par un mélange des trois. Peu importe la méthode utilisée, le résultat définitif est que ceux qui sont vraiment responsables n'admettent jamais l'échec ou l'incompétence; aussi ne peuton rien faire pour empêcher l'erreur de se reproduire31. La nécessité d’éviter le blâme demeure un important principe motivant dans la pensée bureaucratique et elle est tout à fait naturelle dans un milieu culturel où l’on protège avant tout sa carrière. Il s’agit là d’un résultat totalement prévisible de la bureaucratisation de n'importe quelle profession, militaire ou autre. Le refus d'accepter un blâme et le rejet de la responsabilité de ses actes représentent une menace grave et fondamentale pour la profession des armes précisément parce qu'ils l'empêchent d'apprendre de ses erreurs. Le simple bon sens, qui est à la base de l’étude de Gabriel, montre bien que les forces armées américaines ont été forcées de régler de manière décisive les problèmes de relation entre la gestion et le milieu militaire en raison des revers qu’ont connus les États-Unis au Vietnam. Il est intéressant de constater en rétrospective que les lacunes, décrites et dénoncées par Gabriel dans son étude du milieu des années 1980, se rattachaient aux problèmes des années 1970, causés par les faux-pas des années 1960, et qu’on avait presque déjà remédié à plusieurs d’entre elles au moment où son livre allait sous presse. Une force militaire rendue non fonctionnelle par l'application à la lettre des principes de la gestion des affaires aurait été incapable de monter l'opération Tempête du désert. L ' A P PA R E I L M I L I TA I R E E n Occident, les corps d’officiers, devenus hypertrophiés, sont passés sans transition du mythe de Printemps 2000 ● Revue militaire canadienne l'organisation moderne à celui de la gestion moderne. Tous les syndromes de la vie bureaucratique sont présents dans leurs quartiers généraux. On y suit l’horaire de travail du secteur privé. Les décisions sont prises collectivement de manière à protéger l'individu. On s'y montre incapable de réagir aux indications claires que le système fonctionne mal. Le leadership est rarement récompensé. Les systèmes de gestion des affaires sont consciencieusement appliqués à la gestion des armées. Il n'est pas exagéré de dire que les officiers en savent davantage aujourd'hui sur la gestion des systèmes que sur la guerre proprement dite32. Malgré un penchant pour l'hyperbole, exacerbé par une absence d’expérience personnelle de l’uniforme, sans mentionner une dépendance excessive envers les accusations parfois gratuites de Gabriel, Saul, dans cette citation des Bâtards de Voltaire, touche plusieurs cordes sensibles. Si l’on en croit son opinion, les collèges d’état-major militaire, qui ont poussé comme des champignons pendant le dix-neuvième siècle, furent les précurseurs des écoles de commerce modernes. Les collèges d’état-major ont fondé leurs techniques d’instruction sur l’application de l’approche philosophique rationaliste à la méthodologie du personnel, et la synergie produite par cette approche jointe aux techniques de production de masse de la révolution industrielle et à la mobilité offerte par la locomotive à vapeur, a fini par révolutionner l’art de la guerre. Toutefois, la professionnalisation des corps d’officiers a servi à diluer leur très vieux sens du devoir de classe pour le remplacer par une loyauté de l’argent et par un patriotisme chauvin, deux réalités émotives à tout le moins discutables. La libéralisation des organisations militaires prétend encore aujourd’hui y éliminer « les distinctions de classe », que celles-ci existent ou non; cette libéralisation a ainsi presque réussi à supprimer l’obligation morale de servir le pays et a malheureusement transformé la profession, la vocation ou le métier des armes en un « emploi » où on prête ses services en retour d’une rémunération. C’est précisément sur cet aspect que le service des armes et les autres formes d’emploi divergent. Certes, on souhaite qu’un homme de métier fasse le meilleur travail possible, mais qui penserait à interroger, par exemple, un plombier ou un peintre en bâtiment au sujet de son code d’éthique? Il en va ainsi parce que personne n’a jamais donné à un plombier la permission d’utiliser la violence à grande échelle dans les intérêts de la nation et parce que personne ne s’attend à ce qu’un peintre sacrifie sa vie et celles de ses concitoyens dans l’exercice de ses fonctions. Puisque les militaires et les officiers qui les commandent, sont obligés, en vertu de leur choix de profession, de faire passer les intérêts de leur pays, de leur devoir et de leurs subalternes avant leur propre intérêt et que, dans le cas des officiers, cette obligation devient de fait une exigence morale en vertu de leur acceptation de la charge de défendre l’état avec les risques que cela comporte, on se demande pourquoi, au cours du dernier quart de siècle, les forces armées occidentales ont délibérément choisi de façonner leurs institutions de formation militaire supérieure et leurs 37 structures de leadership sur le modèle de la profession la plus amorale ayant jamais existé, celle de l’homme d’affaires civil qui, ironiquement, est lui-même le produit d’une institution modelée sur les écoles rationalistes d’état-major du dix-neuvième siècle. La boucle est alors bouclée, et les écoles de commerce enseignent maintenant aux militaires ce que les militaires leur ont déjà enseigné. Le danger vient du fait que les écoles de commerce ont adopté l’approche rationaliste des collèges d’état-major qui les ont engendrées, mais qu’elles remplacent le service public par le profit dans l’élaboration de leur méthodologie. Les objectifs, les méthodes et les normes éthiques des affaires, de l’administration des affaires et de la gestion des affaires sont, entièrement et sans exception, diamétralement opposés à ceux de la profession qui a pour raison d’être la défense de l’état. Comme Gabriel le fait observer dans Military Incompetence : Un officier dûment assermenté est lié par plus de responsabilités morales que ne peut l'imaginer un homme d'affaires. Un officier est investi par ses supérieurs de l'autorité et de l'obligation morales de sacrifier au besoin la vie de ses concitoyens dans le but de réaliser des objectifs militaires légitimes. Aucune entreprise civile ne confie à ses membres de fardeau et de responsabilité si terribles33. Une profession qui exige que le sacrifice de soi passe avant les intérêts personnels ne pourra jamais, de par sa nature même, adopter le profit comme motivation parce qu’il n’y a aucun profit ou gain matériel à faire dans le sacrifice de soi. génèrent pas de profits et, à part leur aide lors d'émeutes, d'inondations ou d'incendies, ne produisent en temps de paix que des services intangibles de « défense nationale », de « dissuasion » efficace, dont la valeur ne peut être mesurée qu'en cas d'échec. Pire encore, en temps de paix, les « fonctions militaires connexes » comme le sauvetage, le maintien de la paix, le secours aux personnes sinistrées et l'aide au pouvoir civil, prennent une importance démesurée par rapport au rôle principal et à la véritable valeur d'une force armée. On en vient donc à accorder plus d'importance à ces fonctions secondaires qu'à la fonction principale des forces armées qui est de faire la guerre, ce qui a pour effet de créer un besoin et des attentes pour des activités où les forces armées n’utilisent pas tout leur potentiel; et cela contribue à créer un milieu propice à l'avancement des individus qui sont le plus en mesure de tirer profit de tâches qui ne sont pas directement liées au rôle principal des militaires. Le résultat final de cette transformation organisationnelle est un service militaire offrant tous les désavantages d'une grande entreprise du secteur privé sans en fournir aucun des avantages. Pire encore, cette approche suscite, encourage et favorise non pas la carrière de véritables chefs militaires, mais celle de gestionnaires d'entreprise en uniforme, dont la caractéristique principale est, selon Saul, que leur loyauté envers l'entreprise surpasse et finit par remplacer leur loyauté envers la société; il s’agit là d’une orientation éthique diamétralement opposée à celle qu’une société libérale exige de ses militaires34. L’ É T H I QU E M I L I TA I R E : U N R A P P E L S’ F.H. Varley, German Prisoners, Musée canadien de la querre CWM 8961 il est une caractéristique de la vocation du militaire qui le différencie des professionnels civils dans une démocratie, c'est, comme le dit Gabriel, qu'il est le seul dans sa société entre les mains de qui un gouvernement élu a mis la vie de ses concitoyens et au bon jugement de qui il l’a confiée. Comme cet article l’a montré, il y a plusieurs principes éthiques fondamentaux propres à la profession des armes qui, sans être entièrement incompatibles, se contredisent à tout le moins occasionnellement. Outre les idéaux sacrés de loyauté, de courage et de compassion, les sections précédentes de cet article ont mis en lumière quatre impératifs éthiques essentiels qui gouvernent la vie d’un militaire. Il s’agit de l'intérêt de l'état, des ordres légaux de son supérieur, du bien-être de ses subalternes et de l'obligation de remplir ses devoirs avec honneur et pondération. Ces deux objectifs sont incompatibles. L'inévitable résultat de former des officiers qui pensent et agissent comme des chefs d'entreprise est malheureusement de transformer l'organisation militaire en une entreprise sans but lucratif dotée de toutes les caractéristiques, positives et négatives, de n'importe quelle autre grande entreprise. Toutefois, les caractéristiques positives des entreprises font que, à l’encontre des organisations militaires, elles créent de l’emploi, génèrent des recettes fiscales et produisent des biens et services tangibles. Les organisations militaires, elles, dépensent les impôts, ne fournissent de l’emploi qu'aux dépens de l'état, ne 38 Satisfaire à ces critères exige d’établir des priorités. Premièrement, il va de soi que, dans une société démocratique libérale, l'appareil militaire est l'instrument (et n'a pas de raison d'être légale au-delà) de la politique nationale. Servir les intérêts de l'état doit donc avoir préséance sur toute autre considération. Deuxièmement, afin de fonctionner, toute force armée a besoin d'une chaîne de commandement conçue pour recevoir les ordres des autorités politiques et pour les traduire en directives militaires; sans une telle structure, il lui est impossible de fonctionner. L'obéissance aux supérieurs dans la Revue militaire canadienne ● Printemps 2000 pyramide hiérarchique ainsi créée est donc le deuxième maillon en importance de la chaîne de l’éthique militaire. Troisièmement, afin de pouvoir faire exécuter les ordres des supérieurs, celui qui commande doit compter sur un corps de militaires obligés par la loi à obéir aux ordres qu’il donnera. Si le leadership est en fait l'art d'influencer des êtres humains pour qu'ils accomplissent une mission de la manière désirée par le chef, il faut nécessairement que le chef assure à ses subalternes des conditions qui leur permettent d’obéir à ses ordres le plus efficacement possible. Le bien-être des subalternes, ce qui inclut la responsabilité tant morale que professionnelle de ne pas sacrifier de vie inutilement, doit donc être le troisième plus important facteur de motivation dans l’esprit d’un militaire. Enfin, et c’est là le quatrième critère éthique, le militaire est tenu par la morale et par la loi internationale de remplir son devoir avec « honneur et pondération ». La guerre est la plus violente et la plus destructrice des activités humaines; elle est synonyme de mort et de destruction à grande échelle35. La guerre coûte cher en termes de vies, d'armement et de biens matériels détruits ou perdus. Le professionnalisme exige qu'on accomplisse sa mission sans gaspiller les ressources, et les obligations morales et légales exigent qu'on réduise autant que possible l’effet des hostilités sur ceux qui ne participent pas au combat. Ce critère éthique n'a pas priorité sur les trois autres parce que ses prescriptions les imprègnent, les circonscrivent et les précisent. L'injonction de remplir son devoir avec honneur et pondération devrait donc fournir le cadre moral contraignant qui permet au militaire de se conformer aux trois autres critères et dans lequel s’inscrivent les concepts moins faciles à déterminer que sont la compassion, le courage et l'intégrité. Ayant ainsi établi une priorité des critères éthiques fondamentaux de la profession des armes, il est possible d’en déduire un code d’éthique pour les forces armées d'une démocratie libérale : premièrement, le militaire sert les intérêts de son pays; deuxièmement, le soldat exécute les ordres légaux de ses supérieurs, sauf lorsqu'ils sont en conflit avec les intérêts de son pays; troisièmement, le militaire protège le bien-être de ses subalternes, sauf lorsqu'il est nécessaire de risquer leur intérêt en exécutant les ordres de ses supérieurs pour le bien de son pays; et, finalement, le militaire pratique la profession des armes, conscient de son obligation morale et légale de le faire honorablement et avec pondération; cette condition limite toutes ses actions et lui interdit d'agir de façon illégale et moralement inacceptable, peu importe les circonstances. Cette dernière obligation rappelle d’une certaine façon le serment d’Hippocrate de la profession médicale et démarque moralement le militaire du meurtrier. Il n'existe aucune justification de déroger aux principes fondamentaux de l'honneur et de la pondération. Cette hiérarchie d’obligations pourvoit l’appareil militaire d’une norme brève mais d’application généralisée à laquelle un militaire, quel que soit son grade, peut mesurer toute action qu’il envisage de faire. De plus, cette norme Printemps 2000 ● Revue militaire canadienne permet à un militaire de satisfaire à ses obligations de remplir son devoir légalement, professionnellement et moralement sans avoir besoin d’établir de hiérarchie entre les trois premiers critères éthiques mentionnés. C O N C LU S I O N I l va de soi que, dans notre façon de faire, lorsque quelqu’un reçoit le pouvoir de commander, que ce soit un régiment, une brigade ou un secteur [...] cette personne est entièrement responsable, à tous les égards, du bien-être, de la formation, de la discipline et de l’administration des troupes sous son commandement, et qu’elle doit répondre de ses actions36. Il y a tout lieu de croire que la hiérarchie éthique décrite cidessus est déjà comprise et appliquée par plusieurs, sinon par la plupart, des membres de la profession des armes au Canada. Un des très nombreux officiers interrogés lors de la commission d’enquête sur « l’affaire de Somalie » a répondu, lorsqu’on lui a demandé si sa loyauté envers son supérieur pouvait influer sur son témoignage, que, aussi grande pouvait être cette loyauté, elle restait néanmoins subordonnée à « son devoir envers les lois de son pays et à son code d’éthique d’officier »37. En dépit du large éventail de tensions sans précédent auxquelles les membres des Forces canadiennes sont soumis quotidiennement, l’incidence relativement peu élevée des échecs d’ordre éthique peut, en soi, être une raison suffisante de croire que l’opinion exprimée par cet officier représente la règle plutôt que l’exception chez les militaires. Cet article a évité de discuter de cas particuliers et s’en est tenu à des généralisations au sujet de la conduite éthique en milieu militaire. Il a cerné certaines des sources probables des échecs d’ordre éthique; elles incluent l’individu, la société dans son ensemble, la culture militaire traditionnelle et les structures contemporaines basées sur celles de l’entreprise privée auxquelles les organisations militaires, à leur grand détriment et à la suite des pressions de la société et du gouvernement, ont été forcées de se conformer au cours des dernières décennies. Il reste à voir si les organisations militaires modernes sauront s’attaquer à certaines de ces sources d’échecs d’ordre éthique. Les individus sont responsables du changement de leur comportement et, à moins de gestes anti-démocratiques (ce qui n’est certes pas une habitude des forces armées occidentales), les militaires ne peuvent changer la société. Les forces armées constituées de volontaires sont entièrement à la merci des recrues que leur fournit la société, et les individus euxmêmes sont responsables des choix éthiques qu’ils font. Toutefois, il est deux choses que les organisations militaires peuvent et doivent faire. Premièrement, les Forces canadiennes doivent modifier la culture militaire traditionnelle pour en éliminer les éléments nuisibles tout en retenant les bons. Deuxièmement, les membres de la profession des armes, et surtout ses haut gradés, doivent continuer de résister aux nouvelles tentatives de forcer les mili- 39 taires à adopter les modèles de gestion, d’opération, d’organisation et, surtout, d’éthique des entreprises privées. Les qualités individuelles et de groupes qui permettent aux forces armées de jouer leur rôle dans la société, ne sauraient se conformer sans horreur à ces modèles. Somme toute, du plus haut échelon au plus bas, les membres des organisations militaires doivent adopter et appliquer une norme de conduite en accord avec l’éthique qu’exige la profession des armes; car aussi certainement qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’un militaire « se lance à l’assaut » sans que son supérieur ne mène la charge, on ne devrait pas assujettir un militaire à une norme éthique à laquelle ne sont pas, ouvertement et directement, soumis ses supérieurs. Cet article ne prétend pas, comme plusieurs l’ont fait, qu’il faille séparer le Quartier général de la Défense nationale en ses composantes militaire et civile. La synergie et l’efficacité qui découlent de l’intégration des civils et des militaires au niveau supérieur de direction et de gestion, sont trop précieuses pour les perdre et trop étroitement liées pour les défaire facilement. Il souhaite plutôt que l’on prenne conscience que l’insidieux processus qui consiste à donner un caractère de plus en plus civil aux forces armées, a joué un grand rôle dans le lent et implacable déclin de la profession des armes au Canada et qu’il faut résister à ce processus et, si c’est possible, le renverser. Le quadruple impératif éthique qu’esquisse cet article peut sembler si simpliste qu’il en devient superficiel et donc difficile à mettre en application. Au risque d’être taxé de réductionnisme, on se doit de reconnaître que les principes de base sont rarement complexes. L’intégrité, la loyauté, la vérité, le devoir et l’honneur ont été les pierres de touche du métier des armes depuis l’apparition de l’idéal chevaleresque du moyen-âge, un idéal auquel tous aspirent sans toujours l’atteindre. Il faut absolument que les organisations militaires occidentales reconnaissent que le moule des entreprises privées a perverti les structures et les buts éthiques des forces armées, et qu’il faut qu’elles réagissent à cette situation. Ne pas le faire ne pourra qu’accentuer le mouvement de dérive éthique à un moment où la profession des armes en Occident a désespérément besoin de quelque chose à quoi s’accrocher. NOTES 1. Anthony E. Hartle. Moral Issues in Military Decision Making, Kansas, University Press of Kansas, 1989, p. 19. [TCO] 2. John R. Saul. The Doubter’s Companion, Toronto, Penguin Books, 1994, p. 122-23. [TCO] Les italiques sont de l’auteur de l’article. Ce livre a aussi été traduit de l’anglais par Sabine Boulogne : Le compagnon du doute, Paris, Payot et Rivages, 1996. 3. Hartle. p. 26. [TCO] 4. Ramsey écrit que « … plusieurs siècles après qu’on a dit que la participation des chrétiens à la guerre était moralement justifiable, il n’était toujours pas admis que, lorsque sa propre vie était en danger ou pour protéger ses biens contre les intentions clairement maléfiques d’un agresseur, les chrétiens avaient le droit de lui résister, de le blesser ou de le tuer … ». Paul Ramsey. The Just War: Force and Political Responsibility, New York, Charles Scribner's Sons, 1968, p. 159 [TCO]. 5 « Les vrais maux de la guerre sont l’amour de la violence, la revanche cruelle, l’animosité virulente et implacable, la résistance sauvage, le désir du pouvoir et autres attitudes semblables; lorsque la force est nécessaire pour punir ce genre de choses, des hommes bons vont en guerre au nom de Dieu ou d’une autorité légale. » [TCO] Saint Augustin, Contre Faustus. 6. Des données compilées par les Forces canadiennes en novembre 1996 montrent que 58,5 % des membres de la Force régulière étaient âgés de moins de 35 ans, ce qui indique qu’ils avaient passé moins de temps dans les Forces que dans le milieu civil au cours de leur vie. 7. Saul, dans Voltaire’s Bastards: The Dictatorship of Reason in the West, attribue une partie de la responsabilité de la détérioration de la conscience sociale à l’enseignement avancé contemporain : « … ce qu’on encourage, c’est une forme débridée d’intérêts personnels; ce qui compte, c’est de gagner […] En d’autres termes, pour la première fois dans l’histoire occidentale, nos institutions les plus respectées prêchent l’anarchie sociale. » [TCO] p. 121-122. Ce livre a aussi été traduit par Sabine Boulogne sous le titre Les bâtards de Voltaire. 8. Peter C. Newman. « Can Young Tame the Demons at Defence », Maclean’s, 10 février 1997, p. 39. [TCO] 9. Cette citation et la précédente sont tirées de 40 Henry V, acte IV, scène I, de William Shakespeare. [Traduction de François-Victor Hugo] 10. Sénèque cité par Robert L. Holmes dans On War and Morality, New Jersey, Princeton University Press, 1989, p. 114. [TCO] 11. Le lieutenant-général Charles Belzile, ancien commandant du Commandement de la Force terrestre des Forces canadiennes, extrait d’un discours prononcé lors de la conférence des Associations de la défense, le 17 janvier 1997 à Ottawa. [TCO] Il n’est pas nécessaire de prouver cette affirmation. Les grands changements entrepris par les forces armées américaines à la suite de la débâcle du Vietnam constituent un témoignage suffisamment clair de l’impossibilité d’appliquer une gestion à la McNamara à la conduite d’opérations militaires. C’est cette même approche rationaliste qui a valu au monde la course aux armes nucléaires, les programmes d’armes biologiques et la discordance cognitive (certains diraient maniaque) de la doctrine de destruction réciproque assurée. 12. Les deux citations sont de Douglas L. Bland dans Chiefs of Defence, Toronto, Brown Book Company Ltd, 1995, p. 48. Les italiques sont de l’auteur de l’article. [TCO] 13. David Detomasi. « Re-engineering the Canadian Department of National Defence: Management and Command in the 1990s », Defense Analysis, vol 12, no 3, 1996, 338. [TCO] 14. Bland. Chiefs of Defence, p. 68. [TCO] 15. John Gellner, dans un compte rendu de All Together Now de Vernon J. Kronenberg, publié dans La Revue canadienne de défense à l’été 1974, met l’accent sur l’ambition et la motivation de Paul Hellyer. 16. Douglas L. Bland dans son discours lors de la conférence des Associations de la défense à Ottawa, le 17 janvier 1997. [TCO] 17. Bland. Chiefs of Defence, p. 96. [TCO] 18. ibid., p. 97. Les italiques sont de l’auteur de l’article. [TCO] 19. Paul D. Manson. « The Restructuring of National Defence Headquarters -- 1972-73 », Revue canadienne de défense, hiver 1973-74, p. 11. [TCO] 20. ibid., p. 12. [TCO] 21. J.E. Neelin et L.M. Pedersen. « On the Effect of the Restructuring of National Defence Headquarters on the Profession of Arms in Canada », Revue canadienne de défense, été 1974, p. 54. [TCO] 22. ibid., p. 54. [TCO] 23. Richard Gabriel. Military Incompetence: Why the American Military Doesn’t Win, New York, Noonday Press, 1985, p. 195. [TCO] 24. ibid., p. 196. [TCO] 25. ibid., p. 196. [TCO] 26. John R. Saul. The Doubter’s Companion, p. 22-23. Les italiques sont de l’auteur de l’article. [TCO] 27. Thomas C. Linn. « Ethics vs. Self-Interest in How We Fight », dans Moral Obligation and the Military, Washington, DC, National Defence University Press, 1988, p. 221. [TCO] 28. Gabriel. Military Incompetence, p. 14. [TCO] 29. Neelin et Pedersen. « Effect of Restructuring », p. 54. [TCO] 30. Linn. « Ethics vs. Self-Interest », p. 222. [TCO] 31. Norman F. Dixon. On the Psychology of Military Incompetence, London, Future Publications, 1976, p. 43-44. Les italiques sont de l’auteur de l’article. [TCO] 32. Saul. Voltaire’s Bastards, p. 225. [TCO] 33. Gabriel. p. 191. Les italiques sont de l’auteur de l’article. [TCO] 34. Saul. The Doubter’s Companion, p. 74-79. [TCO] 35. Peut-être à l’exception de la planification de l’économie communiste qui, au XXe siècle, s’est révélée plus dévastatrice que la guerre. Les statistiques démographiques montrent que les programmes de déplacement forcé de Staline dans les années 1930, 40 et 50, ou le Grand Bond en avant de Mao ont causé plus de morts que toutes les guerres du siècle mises ensemble. 36. Le lieutenant-général (ret) Gordon M. Reay, ancien commandant du Commandement de la Force terrestre. Transcription de l’audience testimoniale, Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, le 14 février 1996, vol. 46, p. 9143. 37. Témoignage du lieutenant-colonel Steve Moffat, cité par Jeff Sallot, « Colonel cites stress faced in Somalia », The Globe and Mail (s. d., s. l.). [TCO] Revue militaire canadienne ● Printemps 2000