l`éthique et l`appareil militaire

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Par le capitaine Donald A. Neill
Concept de Gerry Locklin
L'ÉTHIQUE
ET L'APPAREIL
MILITAIRE
« Quis custodiet ipsos custodes? » [Qui gardera les
gardiens?]
(Juvénal)
S
ans faire appel aux détails de cas particuliers,
les lecteurs reconnaîtront que de notoires échecs
d'ordre éthique se sont produits dans les forces
armées occidentales au cours des dernières
décennies et qu'ils continueront vraisemblablement de se répéter. Ces échecs ont touché des militaires et
des fonctionnaires de tous les groupes d'âge, de tous les éléments, peu importe leur religion, leur appartenance ethnique, leur sexe ou tout autre critère. Que les dommages
croissants qui en résultent, découlent de l'accroissement
des activités contraires à l'éthique ou d'une surveillance
accrue des forces armées de la part du public, la chose est
très secondaire; ce qui l’est moins, c’est que ces dommages
sont patents et qu’ils ont coûté aux militaires des sommes
dont ils avaient grandement besoin, leur ont fait perdre la
considération du public, ont rendu leur moral fragile et ont
provoqué une baisse du recrutement; même l'image que les
militaires se font d'eux-mêmes en a été ternie. De plus, et
c'est peut-être là le pire, on a enregistré une légère perte de
confiance à l'endroit des forces armées; ce phénomène
quantifiable a été noté aux États-Unis au milieu des années
1970 et au Canada au milieu des années 1990.
Deux conclusions ressortent tout de suite de ces faits; en
premier lieu, il est impossible de déterminer à l'avance les
répercussions que pourront avoir les échecs d'ordre éthique
sur les forces armées d'une nation et, en second lieu, la possibilité d'incidence de ces échecs ne se cantonne pas à un élément, une branche, une unité, un groupe, un grade ou un indi-
Printemps 2000
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Revue militaire canadienne
vidu. Exception faite de quelques différences culturelles
mineures, les forces armées du Canada et des États-Unis
représentent bien les milieux militaires occidentaux; et, ce qui
est arrivé au Canada et aux États-Unis risque d'arriver n'importe où en Occident. Même si les raisons de faire un examen minutieux du comportement éthique des militaires peuvent
varier d'un pays à l'autre, ce ne sont pas ces raisons qui retiendront ici l'attention, mais bien ces comportements mêmes.
Dans le monde occidental le mot « professionnel » peut
s'appliquer au militaire de métier et l'expression « profession des armes », utilisée par des analystes aussi différents
que Gwyn Dyer et le général Sir John Hackett, sert à désigner la fonction d'officier. En termes généraux, cinq éléments
servent à caractériser une profession et la distinguent des
autres occupations : une théorie systématique (le fonctionnement), une hiérarchie (qui est responsable de qui), la
sanction communautaire (acceptable à la fois pour le système judiciaire et la société), une culture, et un code
d'éthique1. Ce qui distingue la profession militaire des autres
professions est la nature de son code d'éthique fondé sur la
subordination volontaire des intérêts personnels à ceux de
l'état. Quoique nécessaire, ce fondement ne suffit pas pour
établir les normes éthiques dont un militaire a besoin. Le but
de cet article est de préciser ce qu'est un comportement militaire respectant l'éthique dans le contexte de sociétés
démocratiques libérales, d'examiner les causes des échecs
Le capitaine Donald A. Neill est adjoint spécial (questions ministérielles)
auprès du Sous-chef d’état-major de la Défense.
27
d'ordre éthique dans les forces armées du Canada et des
États-Unis, pour ensuite tenter de déterminer le code
d'éthique fondamental d'un militaire. Les commissions d'enquête, les cours martiales et les dénonciations publiques
peuvent en partie atténuer les symptômes des échecs d'ordre
éthique; mais l'identification et le traitement des causes fondamentales de la « crise éthique » des organisations militaires occidentales constituent un exercice plus compliqué,
plus long et qui incombe à ces organisations elles-mêmes.
L E C O M P O RT E M E N T É T H I QU E
S
elon les préférences individuelles pour une école de
pensée, les valeurs éthiques peuvent être relatives,
absolues ou, à la fois, plus ou moins relatives et absolues.
Les psychologues ont tendance à les juger relatives; les
personnes religieuses les pensent absolues; les philosophes,
quant à eux, les placent évidemment sur une échelle allant
de l'absolu au relatif. Cet article adopte l'approche dualiste
des philosophes en ce sens que, bien que le comportement
éthique y soit considéré relatif par rapport au contexte
social dans lequel il se forme, s'apprend, se pratique et se
contredit, son but est d'en venir à une éthique généralisable
et applicable à la profession des armes, c'est-à-dire à une
exigence absolue dans un contexte relativiste. Un comportement éthique est une activité ou une conduite qui satisfait aux exigences établies pour et par un groupe donné.
John R. Saul utilise une allégorie frappante, quoiqu'un peu
irrévérencieuse, pour décrire l'éthique personnelle :
C'est moins difficile de pousser une vieille dame en
bas du trottoir et dans la circulation que d'en faire le
tour... Certaines gens le font. D'autres qui craignent de
se faire attraper ne le font pas. Ces deux catégories de
gens perçoivent la loi comme un moyen de mater la
nature indisciplinée ou non éthique humaine. Une
troisième catégorie regroupe les gens en position de
pouvoir qui considèrent la loi et son application
comme la barrière entre l'ordre et le désordre. Ils craignent que sans la loi, tout le monde se mette à pousser
les vieilles dames en bas du trottoir...
Une quatrième catégorie, qui compte pour 90 pour cent
de la population, peut-être 95 pour cent, contient ceux
et celles, qui même sans témoins ne poussent pas les
vieilles dames en bas du trottoir. Ils n'y pensent même
pas. Ils se rangent tout simplement...
Les deux premières catégories croient que l’éthique est
un système de mesure. La troisième ne croit pas à
l’éthique et la remplace par un antidote structuré à
craindre. La quatrième catégorie semble avoir compris
que l’éthique fait appel à la responsabilité pratique
personnelle appliquée quotidiennement. Ils semblent
comprendre cela indépendamment de leur instruction,
de leur religion, que la raison en soit consciente ou non
et qu'ils aient accès à des trottoirs ou qu'ils n'y aient
pas accès2.
28
Tous les groupes qu'ils soient étatiques, corporatifs, culturels, universitaires, religieux, militaires, professionnels,
sociaux ou autres, possèdent, élaborent ou acquièrent d'une
façon ou d'une autre un norme fondamentale de comportement à laquelle leurs membres doivent se conformer sine
qua non pour appartenir au groupe. Les codes d'éthique des
professions ont trois principaux buts sociaux; premièrement, ils protègent l'individu contre des membres d'une
profession qui décideraient d'abuser de leur pouvoir en raison de leurs connaissances spécialisées; deuxièmement, ils
reconnaissent le professionnel comme un expert digne de
confiance au service de ses clients; et enfin, « ils donnent
l'autorité morale qui permet certaines activités professionnelles nécessaires mais qui ne sont pas généralement
acceptables au plan moral »3. Dans le cas de la profession
militaire, le premier aspect est essentiel pour garantir à la
population civile que l'armée est là pour la servir et non
pour la dominer; le deuxième rassure tous et chacun que
l'armée est efficace, compétente, prête et fiable en temps de
crise; et le dernier permet de déterminer précisément, à l'intérieur de l'armée même, à quel moment et dans quelles
conditions elle peut jouer son rôle, c'est-à-dire utiliser de
façon mesurée la violence pour servir les intérêts de l'état.
Il existe donc des conditions de temps de guerre dans
lesquelles le militaire sera temporairement exempté des
règles éthiques de base. Ces conditions le placent, nécessairement et paradoxalement, à l'extérieur des barrières
éthiques normalement acceptées par la société et qui contrôlent ses compatriotes civils. Ces pôles contradictoires de
l'éthique militaire sont au coeur même de la profession des
armes et seront traités plus en profondeur dans ce texte.
Lorsque des modèles antinomiques de comportement
éthique s'entrecroisent, il s'ensuit inévitablement de la confusion. Par exemple, les normes canadiennes du comportement interdisent les activités anti-sociales telles le vandalisme et la violence des individus ou des groupes; toutefois,
ce sont là des caractéristiques typiques et requises du comportement des membres de la majorité des bandes urbaines
de jeunes. Les chirurgiens sont souvent en situation de conflit avec le serment de leur code de déontologie et les
normes éthiques du simple citoyen lorsqu'ils doivent laisser
un patient mourir afin de transplanter un de ses organes à un
autre patient. Et les militaires, dans un conflit redoublé avec
les impératifs de la société et leurs propres besoins physiologiques ou leurs craintes psychologiques, adoptent volontairement un comportement qui les mènent non seulement à
tuer, mais aussi à risquer sans hésitation leur propre vie ou
la mutilation pour obéir aux ordres de leurs supérieurs.
Le conflit qui découle de l'application simultanée de règles
éthiques contradictoires se résout habituellement par le
jaugeage, le relativisme et la justification sociale et individuelle. Dans le cas du militaire, l'interdiction sociale et
souvent religieuse 4 de tuer est en premier lieu psychologiquement levée par ses commandants qui l'assurent
que les besoins impérieux de son pays le libèrent des obligations morales qui s'appliquent à ses compatriotes civils. Dans
Revue militaire canadienne
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Printemps 2000
Photo des Forces canadiennes par le sgt David Snashall
un deuxième temps, ses commandants insistent pour lui faire comprendre que la cause de son pays
est beaucoup plus morale que
celle de l'ennemi. Ensuite, ils
soulignent que la cause de son
pays est « juste » et que celle de
l'ennemi est donc forcément
« injuste ». Finalement, ils lui
rappellent que ce qu'il ne fait pas
à l'ennemi, ce dernier ne manquera pas de le lui faire. Dans le
contexte approprié, comme une
tranchée à Passchendaele, le pont
inférieur de canonnage d'un
navire de front à Trafalgar ou une
redoute bombardée par des obus à
Dien Bien Phu, le poids combiné
de ces arguments suffit généralement à neutraliser l'effet de la programmation sociale et à en libérer
temporairement le militaire qui se
conduira d'une manière non conforme aux normes de sa société,
mais de la façon appropriée dans
un milieu qui ressemble si peu à
son paisible lieu d'origine.
Toutefois les organisations militaires ne vivent pas dans
une tour d'ivoire. Leur isolement traditionnel disparaît rapidement en raison de l'accroissement de la surveillance
publique rendue plus facile par le progrès des techniques de
communication. Cette surveillance accrue entraîne, comme
le souligne Peter C. Newman dans The Canadian
Revolution: From Deference to Defiance, le déclin accéléré
du respect des Canadiens à l'égard de leurs institutions
publiques. Au cours des cinq décennies qui ont suivi la
dernière mobilisation de toutes les ressources du monde
occidental pour combattre dans une guerre catastrophique,
les populations occidentales sont devenues de moins en moins
portées à accorder à leurs forces armées un statut privilégié
quant au comportement et à la conduite. Les organisations
militaires qui ne respectent pas, que ce soit en temps de
guerre ou en temps de paix, les normes sociales, ne doivent
pas s'attendre à une réaction qui tienne compte de leur propre façon de voir les choses ou du contexte opérationnel dans
lequel elles remplissent leur devoir, mais à une réaction qui
reflète le point de vue de la société dont elles font partie.
Les modèles sociaux en évolution sont à la fois plus simples et plus compliqués que ceux pour lesquels ont été formées les institutions militaires et auxquels elles s'attendent
à devoir faire face. Le problème éthique fondamental, et
qui déconcerte les législateurs de n'importe quelle société,
est de déterminer quand et dans quelles circonstances il est
licite pour cette société de faire des actions normalement
interdites à des individus. La taxation, la peine capitale, la
conscription et la guerre sont des exemples tout simples de
Printemps 2000
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Revue militaire canadienne
ce dilemme. Ce sont des actions
qui, si elles étaient faites par des
individus, seraient qualifiées
respectivement de vol, de meurtre,
d'esclavage et d'agression
criminelle. Mais avec la « sanction
légale des autorités constituées »,
selon l'expression habituellement
attribuée à saint Augustin dans
son exposé sur la guerre juste,
l'état peut s'engager dans ces
activités pour protéger ses
intérêts sans craindre de condamnation 5 . Cette « sanction
légale des autorités constituées »,
qui pour saint Augustin équivalaient à Dieu et qui désignaient
les souverains choisis par Dieu,
correspond, pour l'homme occidental moderne, au pouvoir
qu'exerce un gouvernement élu
démocratiquement et appuyé par
la majorité de la population
habilitée à voter. Cette distinction devient particulièrement
pertinente dans des débats sur le
jus ad bellum , le droit de l'état de déclarer la guerre, parce
que la « sanction légale des autorités constituées » est la
première et la plus importante exigence pour une profession chargée d'appliquer la violence, et parce que son pendant en constitue la deuxième exigence, c'est-à-dire la
« responsabilité morale ». La principale différence entre
l'autorité et les responsabilités de l'état et celles du soldat
qui le sert, est que le professionnalisme des militaires se
doit de comporter une gamme d'obligations morales acquises
et affinées au cours des siècles, alors que le « droit d'état »,
tel que le concevaient entre autres Machiavel, Voltaire,
Clausewitz et Mao, n'en comporte aucune.
C'est dans le métier de militaire que les différences entre
les normes éthiques de la société, spécialement de la société
occidentale, et celles de la profession sont les plus marquées. Le comportement social occidental est empreint de la
tradition judéo-chrétienne et se fonde sur la tolérance, le
calme, la sobriété, le désir et l'accumulation des richesses,
l'activité politique, les valeurs de la famille et le règlement
rationnel des différends. Les organisations militaires, quant
à elles, ont toujours toléré un comportement agressif, et l'ont
même à l'occasion, exigé, et ce n'est que récemment qu'elles
ont tenté de freiner un tel comportement. Il en va de même
en ce qui concerne l'intolérance envers les individus qui ne
font pas partie du groupe (à partir des civils amis jusqu'aux
soldats ennemis), l'abus occasionnel d'alcool, les manifestations de solidarité envers un groupe restreint, le dédain des
objectifs financiers, la non participation à la politique et les
règlements de comptes personnels (souvent violents) entre
militaires. Le fossé entre ces deux modèles de comportement continue de s'élargir à une vitesse de plus en plus
29
grande à mesure que les droits de la personne filtrent à travers des barrières que la tradition rendait auparavant hermétiques. Aussi le contexte social dans lequel vivent les organisations militaires change-t-il rapidement. Par leur incapacité
à reconnaître ce changement social et à y réagir ou s'y
adapter, les organisations militaires sont les premières
responsables de la surveillance exagérée, des soupçons et de
la méfiance dont elles sont victimes aujourd'hui.
“If ye break faith–”, Musée canadien de la querre CWM 56-05-11-022
Résoudre les conflits qui existent entre le comportement
éthique du groupe et le comportement éthique comme l'entend la société, s'avère un problème psychologique et opérationnel d'une grande complexité. Depuis le dix-huitième siècle, les militaires de profession y sont généralement parvenus en isolant les recrues et en leur faisant subir un rude
processus de socialisation au groupe destiné à remplacer les
éléments
contraignants des modèles de
comportement
culturel appris par des
modèles plus appropriés à la vie de soldat, ce qui comprend,
entre autres, la volonté d'obéir à des ordres
légitimes sans se
poser de questions, de
se lancer dans des
activités où il y a
risque de mort sans
succomber à la peur et
de tuer efficacement
sans hésitation. Ce
processus de socialisation s'accentue après
l'instruction initiale
des recrues par une variété de stimulus appropriés comme la
vie de caserne, et que viennent renforcer des caractéristiques physiques particulières (coupe de cheveux et uniforme), une façon de parler (manière correcte d'aborder les
gens, supérieurs et subalternes, et utilisation du jargon militaire), des emblèmes distinctifs (médaille, insigne, insigne
d'unité et bouton), des modes de comportement généralisés
et répétitifs comme marcher en formation, saluer, les
parades de droits de cité et autres moyens semblables.
L'entraînement de base sert à séparer le militaire de ses
compatriotes civils et à lui inculquer les modèles de comportement fondamentaux de sa profession; par la suite, des
normes de comportement strictement appliquées confirment
ces modèles tout au long de sa carrière.
L E S S O U RC E S D E S É C H E C S D ' O R D R E
É T H I QU E
S
i on veut essayer de fournir à la profession des armes un
code d’éthique capable de régler les problèmes décrits
plus haut, il faut commencer par examiner les causes des
échecs d'ordre éthique. Elles proviennent de trois sources : le
30
conditionnement de la société précédant l'instruction militaire, le processus de socialisation imposé par les forces
armées elles-mêmes et les actions individuelles conscientes;
en d'autres mots : les normes inconscientes de comportement
imposées par la société, les normes inconscientes de comportement inculquées par la profession et le comportement
conscient. Chacun de ces facteurs peut exercer une influence
négative sur le conditionnement éthique du militaire et fait
l'objet d'une étude détaillée dans les sections suivantes.
La société
L
es reproches adressés aux militaires ne tiennent généralement pas compte d'un des éléments prépondérants du
processus de recrutement du monde occidental, c'est-à-dire
que l'armée d’une nation est composée de ses propres
citoyens. Selon un
dogme fondamental
de la psychologie, le
conditionnement sociologique de base se
produit pendant l'enfance, et il est très peu
probable qu'un individu s'adapte parfaitement à d'autres modèles de comportement
après l'adolescence.
Toutes les organisations militaires occidentales, sans exception, recrutent des
civils bien après l'adolescence; il semble
donc que, sauf dans le
cas des vétérans
chevronnés, la plupart des membres des forces armées
auront, à n'importe quel moment donné, passé une plus
grande partie de leur vie comme civils que comme militaires6. Puisque le temps passé comme civil l'a toujours été
pendant les années d'apprentissage, la société doit assumer
une très grande partie de la responsabilité des modèles de
comportement qu'elle communique à ses citoyens avant
qu'ils ne choisissent de devenir militaires.
De nombreuses tendances propres à la société contemporaine occidentale contribuent de façon importante aux échecs
d'ordre éthique lorsqu'un citoyen revêt l'uniforme. Il existe,
entre autres, une diminution du respect des droits et privilèges
individuels, ce qui inclut l'intimité, les opinions individuelles
ou les convictions religieuses, diminution qu'illustre bien l'accroissement du fondamentalisme religieux, des crimes
haineux et des actes de « terrorisme d'origine domestique ».
La diminution du respect de la propriété, mise en évidence
par la dégradation des centres-villes en grande partie du fait
de leurs habitants, peut aussi être prise pour acquis, comme
peut l'être le manque de respect à l'endroit des différences tant
culturelles que physiques, psychologiques ou idéologiques7.
Revue militaire canadienne
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On trouve, associés à ces tendances, des traits sociaux
négatifs provenant d'une croissance de l'extrémisme
idéologique et d'une adhésion excessivement zélée à un idéal
de « rectitude politique » mal définie. La présence
envahissante des médias, facilitée par l'explosion des
technologies de l'information et par la transparence absolue
exigée de toutes les institutions publiques, encourage les
réseaux d'information à remettre en question des institutions
auparavant imperméables à la contestation. Les forces
armées sont les plus récentes parmi les institutions publiques
à passer sous la loupe, et les citoyens exigent qu'on leur
rende des comptes pour les impôts qu'ils ont versés.
Somme toute, les organisations militaires des sociétés
démocratiques doivent enrôler des citoyens déjà exposés,
en moyenne depuis deux décennies, à des attitudes de
société qui changent rapidement et qui, dans plusieurs cas,
comportent des valeurs différentes et souvent opposées à
celles sur lesquelles repose le fonctionnement efficace des
organisations militaires. Les citoyens qu'on transforme en
militaires peuvent avoir des normes éthiques de base radicalement différentes de celles qu'on doit leur transmettre au
moment de la socialisation militaire, ce qui peut susciter
des conflits d'ordre éthique avec tout ce qui peut s'ensuivre. La société est donc en partie responsable des fautes
éthiques des militaires, parce que tout citoyen présente
inévitablement les bonnes et les mauvaises caractéristiques
de la société qui l'a formé. Comme le dit Peter C. Newman,
[...] toutes les marines, les armées et les forces aériennes
reflètent le caractère des sociétés qu'elles ont pour mission de défendre. Si le rôle ultime de nos militaires est
difficile à définir, c'est parce que nous, en tant que nation,
n'avons pas de croyances précises ni même communes8.
L'individu
U
n effet secondaire décourageant de l'ampleur autrement
louable que prend la démocratisation dans les sociétés
occidentales, est la déplorable habitude de reporter la
responsabilité des échecs ou des crimes des individus sur les
épaules plus larges et plus anonymes de l'ensemble de la
société. Cette tendance à refuser la responsabilité de ses propres actions, quoiqu'elle ait été moins courante avant la période
de tendance à la libéralisation généralisée des années 1950,
1960 et 1970, reprend, lorsqu'on la pousse à l'extrême, les
arguments de défense des personnes accusées de crimes contre l'humanité durant la Seconde Guerre mondiale, que consacre le faux argument juridique du respondeat superior plus
connu sous la formulation « je ne faisais qu'obéir aux ordres ».
Le droit international et le droit des conflits armés ont depuis
mis fin à cette défense en codifiant l'obligation morale et
juridique du militaire de refuser d'obéir à un ordre de toute
évidence illégal comme assassiner des prisonniers, commettre un viol, abuser de quelque façon des civils, les tuer ou
participer volontairement à la destruction inutile de la propriété civile. Donc, nonobstant l'indifférence de la société, la
responsabilité des actions d'un militaire lui incombe, qu'il
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soit simple soldat ou général, tout comme lui incombe le
devoir concomitant d'exercer son jugement personnel
lorsqu'il obéit à des ordres. L'argument formulé par John
Bates lors de sa rencontre au crépuscule avec son roi déguisé
dans Henry V de Shakespeare « Nous en savons assez si nous
savons que nous sommes les sujets du roi; si sa cause est
mauvaise, notre obéissance au roi nous lave de tout crime »,
n'est plus une défense valable. La réponse d'Henry V aux
allégations de Bates établit clairement la responsabilité
individuelle même dans ce contexte de moralité chrétienne
médiévale : « Les services de chaque sujet appartiennent au
roi; l'âme de chaque sujet n'appartient qu'à lui-même9. » La
responsabilité individuelle est ainsi établie a priori par les
tribunaux de droit nationaux et internationaux; toutefois,
pour une raison inconnue, la société contemporaine occidentale
s'est grandement efforcée d'éliminer la responsabilité
individuelle de ses conventions essentielles.
De plus, les notions de responsabilité individuelle sont
enchâssées dans le parchemin de la commission que le souverain accorde à un officier et qui le rend responsable de la
direction et de la discipline des militaires placés sous son
commandement et de l'obéissance aux ordres des personnes
désignées comme ses supérieurs. L'obéissance au souverain
peut toutefois entrer en conflit avec les exigences éthiques
personnelles dans les circonstances particulières engendrées par la guerre; et c'est ici que le jugement individuel et
la moralité du militaire entrent encore en ligne de compte.
Un exemple frappant en est la position délicate dans laquelle se trouvaient les Français Libres durant la Seconde
Guerre mondiale; ils devaient choisir chacun pour soi entre
l'obéissance aux ordres d'un chef d'État légalement au pouvoir et cesser de résister à un envahisseur brutal et à un
régime odieux, ou choisir la trahison de fait en essayant de
combattre l'envahisseur. L'histoire n'a pas seulement
exonéré De Gaulle, les Français Libres et le membres de la
Résistance, mais leur a accordé un statut de héros populaire
(et, dans le cas de De Gaulle, celui de quasi-divinité), tandis qu'elle a vilipendé le régime de Pétain. La désobéissance à ses supérieurs et au chef d'État légal était une obligation morale dans ces circonstances, non seulement aux
yeux de De Gaulle et de milliers de ses concitoyens réunis
sous sa bannière, mais aussi aux yeux de la postérité. Un
soldat sans priorités éthiques solides et incapable de faire
des choix en la matière n'aurait pas pu prendre cette décision comme l'ont fait De Gaulle et ses partisans.
Le deuxième, et peut-être le plus important, facteur qui
détermine les réactions d'un individu dans une situation
exigeant un choix moral, se retrouve dans les traits de son
caractère qui ont été déterminés par son milieu, à savoir son
expérience personnelle et ses traumatismes psychologiques.
En contrepoids à ces traits ou de concert avec eux, on retrouve les motivations du moi et l'ambition personnelle. La même
société, qui protège ou traite en célébrité des individus qui
refusent d'accepter les responsabilités de leurs propres
actions, encourage simultanément une norme amorale d'autosatisfaction dans le commerce, les affaires sociales et profes-
31
sionnelles, norme à laquelle applaudirait sans doute un
Borgia. L'acceptation de ses responsabilités personnelles pour
ses actions et l'imputabilité pour celles de ses subalternes est
et doit demeurer un des piliers du métier des armes.
L e m i l i t a i re
C
es actions qu’ils auraient payées de leur vie s'ils les
avaient commises en temps de paix, on les louange
pour les avoir commises en temps de guerre10. (Sénèque)
Nichols, Normandy Beach Scene In Gold Area, Musée canadien de la querre CWM 10523
Finalement, il faut départager la responsabilité des institutions militaires elles-mêmes pour ce qui est de la création, de
l'encouragement et de la perpétuation de normes de comportement socialement peu acceptables chez leurs membres.
Dans un livre paru récemment, l'astronome Carl Sagan a
étudié l'efficacité du conditionnement opérant dans la formation de soldats faisant feu volontairement au combat; selon
ce livre, l'inaction en cours de combat est passée de 85-90 %
pendant la première Guerre mondiale à moins de 40 % pendant la guerre du Vietnam. Sagan fait aussi état d'une augmentation parallèle, bien documentée, des pertes humaines
dues au stress du champ de bataille et de problèmes dus au
stress post-traumatique qui se manifestent après le rapatriement des militaires. Il semble que, au moment où les
techniques d'entraînement produisent plus efficacement des
militaires agressifs, ces techniques demeurent moins efficaces pour prévoir, empêcher, amoindrir ou traiter les effets
secondaires psychologiques de leur propre succès.
Les problèmes de méthodes d'entraînement sont aussi
vieux que les organisations militaires elles-mêmes. Lorsque
Churchill a résumé les traditions de la Marine royale à
guère plus que « rhum, sodomie et fouet », son intention
était de ridiculiser les effets abrutissants de la tradition, et
il visait l'ensemble des forces armées. Un militaire, selon
Sir Basil Liddell-Hart, est un être très conservateur qui
32
n'accepte une idée que lorsqu'elle est devenue désuète, et ne
l'abandonne que lorsqu'elle l'a presque complètement
détruit. Ce conservatisme inné vient en grande partie du fait
que le rôle du militaire est d'être le gardien de l'ordre social
et il ne constitue pas en soi une réaction anormale devant
tout ce qui peut bouleverser inutilement cet ordre, comme
le font les changements sociaux subits et draconiens, qu'ils
soient de nature évolutive ou révolutionnaire.
Bien que ce conservatisme ne soit pas entièrement nocif
lorsque modéré, il peut devenir fatal à la profession des
armes si on le pousse à l'extrême. L'habitude de préserver la
tradition légitime s'étend malheureusement aussi à la rétention des procédures opérationnelles désuètes, dont le coût
ultime n'apparaît d'ordinaire qu'au moment d'un décompte
de pertes exorbitantes. L'exemple souvent cité de la charge
de la cavalerie à Balaclava démontre l'inutilité de déployer
des chasseurs contre une infanterie appuyée par des canons,
une leçon qui aurait dû être péniblement évidente pour l'armée qui avait utilisé une telle formation de combat de façon
si dévastatrice à Waterloo. Néanmoins, la soudaineté et la
bravoure d’une charge de cavalerie, bien qu'inadéquate sur
un champ de bataille où l'utilisation des carabines et des
canons à chargement par la culasse devenait la règle, a continué de hanter, même durant la seconde Guerre mondiale,
les armées à leur grand détriment. Il s'agissait là du triomphe d'un conservatisme inébranlable sur le bon sens.
Parmi les problèmes qui nuisent au bon fonctionnement
des organisations militaires en Occident, la bureaucratisation de la profession militaire occupe une place importante. Ce phénomène existe maintenant depuis près de
quatre décennies. Ses origines remontent à une série de
décisions de politiques générales prises, tant au Canada
qu'aux États-Unis, dans la première moitié des années
1960, par des bureaucrates à l'esprit libéral et par des
cadres supérieurs de la défense possédant une formation
en affaires. Ainsi Robert McNamara, Secrétaire de la
défense sous Kennedy et un de ses « jeunes prodiges », a
introduit dans le système militaire une nouvelle théorie de
gestion dérivée de son expérience de l'industrie de l’automobile. Les principes de gestion des affaires sont alors
devenus de rigueur; tous devaient mettre en pratique les
techniques de gestion des affaires et les intégrer tant aux
opérations quotidiennes du gouvernement qu'aux questions complexes de la politique internationale et aux
opérations de guerre. Les techniques de gestion des
affaires ont fait leur chemin jusqu'aux groupes de réflexion, aux universités et au Pentagone, et c'est à cause
d'elles que toute une génération de cadres supérieurs, de
politiciens et de généraux a cru à la doctrine rationaliste
de la quantification universelle et a tenté de l'appliquer
dans son travail. Ces techniques de gestion des affaires se
sont ensuite retrouvées dans les rangs inférieurs de la
hiérarchie militaire; des expressions et des concepts
comme « la gestion des effectifs » se sont mis à remplacer
celui de leadership au niveau des unités et aux échelons
inférieurs. Cela s'est avéré une erreur fondamentale, car la
Revue militaire canadienne
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gestion ne saurait se substituer au leadership; elle n'en
constitue qu'une bien petite composante secondaire 11 .
Douglas Bland a établi une remarquable chronologie de
l'empiétement progressif de la mode de gestion des affaires
au sein du ministère de la Défense nationale du Canada. En
1947, lorsque le ministre de la Défense nationale, Brooke
Claxton, étudiait la liste des candidats au poste de président
du Comité des chefs d'état-major, ses principaux critères
étaient les suivants : l'officier supérieur en question « doit
bien connaître la paperasse, être un génie de la coordination
et un homme qui jouit de l'entière confiance du gouvernement ». Bland poursuit en écrivant :
Brooke Claxton cherchait un nouveau genre d'officier, pas
juste un héros de guerre... Il avait besoin d'un officier qui
pourrait fonctionner avec aisance et avec confiance dans
des situations politico-militaires nationales et internationales et qui ne se présenterait pas comme le défenseur
du point de vue militaire, mais plutôt comme un lien entre
le monde militaire et le gouvernement. Un tel officier
devait avoir des compétences bien marquées [...] affinées
dans les corridors de la bureaucratie d'Ottawa [...] un
président plus diplomate que militaire12.
Ce que Claxton cherchait, c'était un bureaucrate accompli, doté de suffisamment d'instinct politique pour naviguer
dans les eaux troubles de l'establishment d'Ottawa et avec
assez de médailles pour gagner le respect des militaires,
mais qui n'avait ni connu une carrière militaire trop brillante, ni n'exprimait un point de vue militaire trop convaincu, ni ne démontrait un attachement trop vif à l'endroit de
l'appareil militaire lui-même. Somme toute, il cherchait le
parfait robot d'entreprise qui donnerait une très belle
image, mais serait dénué de substance.
Lorsque Robert MacNamara devint responsable des forces
armées des États-Unis en 1963 et qu'il entreprit d'instaurer
les principes de gestion des affaires dans toute l'organisation,
il trouva un partenaire bien disposé en la personne de Paul
Hellyer alors ministre de la Défense Nationale du Canada13,
que Bland décrit de la façon suivante :
Le premier amour de Hellyer était la macroéconomie et
il avait fait son chemin dans les affaires, comme il
aimait à le rappeler lorsqu’il affrontait les gestionnaires
du gouvernement. Le politicien Hellyer avait toutefois
[...] un besoin exagéré d’ordre administratif et une attitude critique, presque de la méfiance, à l’endroit des
fonctionnaires, des officiers et de leurs conseils14.
Hellyer consacra son énergie, son ambition politique et
sa grande habileté d’administrateur à l’unification des
Forces canadiennes et à l’intégration de ses quartiers
généraux15, une entreprise dont on ne traitera pas ici, mais
qui fut décrite moins comme une nécessité opérationnelle
militaire que comme un « acte de vandalisme commis au
nom de l’ordre administratif »16. Ce qui est significatif dans
Printemps 2000
●
Revue militaire canadienne
ce cas, ce n’est pas l’unification elle-même, mais les
raisons sous-jacentes pour lesquelles on l’a faite. Aucune
de ces raisons ne visait à accroître l’efficacité en temps de
guerre de l’appareil militaire canadien.
Le processus de bureaucratisation se poursuivit avec la
nomination, en 1970, de Donald MacDonald au poste de
ministre de la Défense nationale. MacDonald mit sur pied
le Groupe d’étude de la gestion (GEG), dont le mandat consistait « en apparence à introduire des techniques de gestion
modernes et des concepts organisationnels dans les FC et
au MDN »17, mais dont le but, selon Bland, était de transférer le pouvoir décisionnel des mains du personnel militaire « particulièrement de celles du chef d’état-major de la
Défense (CEMD) » à celles des hauts fonctionnaires civils
du Ministère. Dans son résumé des recommandations du
Groupe, Bland mentionne que :
La solution organisationnelle préférée du GEG consistait à détacher le CEMD de sa responsabilité traditionnelle et légale de « commander et administrer » les FC
et, à assigner des parties de cette fonction à des membres civils du MDN. Le chef de cette nouvelle organisation serait le sous-ministre (un civil de la fonction
publique) agissant à partir « du bureau du ministre » où
toutes les décisions du ministère touchant tant les
civils que les militaires seraient prises...
D’autres actions visant à limiter le pouvoir du CEMD
allaient suivre. Le quartier général, fusionné et placé
sous la responsabilité du sous-ministre, comprendrait
plusieurs adjoints civils pour administrer la logistique
et d’autres fonctions, des postes qui les amèneraient à
donner des ordres directement aux commandants militaires des unités. La planification stratégique [...] serait
dirigée par un « civil sensible à la politique » agissant
au nom du sous-ministre. On s'attendait à ce que le
CEMD joue un rôle de coordonnateur, même si les
membres du GEG [...] ne voyaient pas le besoin d'un
tel rôle de commandement opérationnel18.
Dans leurs recommandations, les membres du GÉG
allèrent bien au-delà de tout ce que McNamara ou même
Hellyer auraient pu imaginer en préconisant un transfert de
la responsabilité du commandement et du contrôle opérationnel des Forces canadiennes à une coterie d'officiers en
service et de civils de la fonction publique; dans le dernier
cas, il s'agissait d'un dangereux transfert d'autorité sur les
troupes sans la responsabilité concomitante, parce que les
civils ne sont pas, par définition, assujettis à la chaîne de
commandement militaire ou liés par le même code d'éthique
que les membres de la profession des armes. Même si ces
recommandations furent mal reçues par les Forces canadiennes et par le gouvernement, elles donnent quand même
une excellente idée de la direction dans laquelle s'engageait
le processus de gestion. Il aboutissait, et c'est toujours le
cas, à une structure de commandement de niveau supérieur
à deux branches 19 dans laquelle le sous-ministre et le
33
CEMD fonctionnent en essence comme un seul individu, et
dans laquelle une bonne moitié des « chefs de groupes », ce
qui équivaut à des postes de lieutenant-général, est occupée
par des fonctionnaires ayant de facto mais non de jure le
pouvoir de donner des ordres à des militaires.
Dans son article de 1973, Paul D. Manson, qui deviendra
par la suite chef d'état-major de la Défense, soulevait d'embarrassantes questions au sujet de la dotation en personnel
civil des quartiers généraux : « Où, dans la chaîne de commandement, se situe exactement un civil lorsqu'il donne des
directives aux Forces canadiennes? Quelle autorité précise un
civil détient-il sur son homologue militaire20? » Il s'agissait
de questions bien avisées à l'époque et, même aujourd'hui, on
n'y a toujours pas répondu de façon satisfaisante. La dotation
en personnel civil au niveau supérieur du commandement des
FC reste encore un grave sujet de préoccupation, principalement parce que les fonctionnaires en poste ne sont pas liés par
le même serment de fonction, par la même chaîne de commandement ou, selon les termes de la commission d'officier,
par la même « ordonnance royale » que leurs homologues
militaires. Ils suivent des cheminements de carrières différents, sont assujettis à un système de rémunération différent, n'ont pas à adopter les mêmes normes de travail que
les militaires, peuvent se syndicaliser, ne sont pas tenus de
servir dans des circonstances à risques et, fait peut-être le plus
important, n'ont strictement pas le droit d'exercer un commandement opérationnel. Somme toute, leur condition est
suffisamment différente de celle d'un militaire qu'il ne serait
pas raisonnable de s'attendre à ce qu'ils adhèrent au même
code d'éthique, mais on exige d'eux, au niveau du commandement national du moins, qu'ils s'acquittent des mêmes fonctions que leurs collègues militaires. En dépit de ces problèmes, depuis le 1er octobre 1972, ceux qui concrétisent les
politiques militaires du Canada ne sont « non seulement pas
choisis par la communauté des officiers, mais proviennent en
grande partie de la fonction publique »21.
Au Canada, l'effet de la mode de la gestion des affaires
semble avoir donné naissance à une discordance cognitive
importante aux plus hauts niveaux de l'organisation de la
Défense nationale, non pas parce qu'on a pas réussi à faire
des changements, mais parce qu'on les a faits pour une raison autre que l'amélioration de l'efficacité opérationnelle de
l'organisation militaire canadienne dans son rôle premier,
celui de la défense du pays. Cette situation est surtout
attribuable au brouillage délibéré de la distinction entre
officiers supérieurs et hauts fonctionnaires qui s'est matérialisé lors des efforts de restructuration au début des années
1970. Pour reprendre les mots d'un observateur, « donner à
des civils, des postes d'autorité dans la hiérarchie militaire
revient à créer des généraux civils, ce qui est une contradiction dans les termes, et une combinaison de concepts
incompatibles »22. La théorie organisationnelle ne repose
pas sur la responsabilité morale d'un individu précis, mais
plutôt sur le pouvoir décisionnel de cette personne. Pour
cette raison, les membres civils du personnel de direction,
équivalant en grade à un général, en sont venus avec le
34
temps à dépasser, en nombre, leurs homologues militaires
dans les quartiers généraux à mesure que les gouvernements successifs tentaient de créer des équivalences entre
les divers services de la fonction publique.
Une perception erronée du rôle du militaire dans la
société moderne est non seulement à l'origine de la dérive
éthique affligeant le milieu, mais elle est aussi responsable
de la diminution du prestige des militaires auprès du public.
Cette erreur de perception affecte aussi gravement les rangs
mêmes des Forces armées parce que les normes éthiques
d'un militaire et celles de l'homme d'affaires, qu'on encourage le militaire à faire siennes, non seulement ne se complètent pas mutuellement mais, en fait, s'excluent les unes
les autres. Pour reprendre la pensée de Saul, l'éthique de
l'homme d'affaires est axée sur ses intérêts personnels alors
que l'éthique militaire repose sur le sacrifice des intérêts
personnels. Estomper la distinction entre ces deux réalités
ne conduit pas seulement à une mauvaise identification des
buts, mais aussi à une mauvaise compréhension de la façon
d'atteindre ces buts. L'éthique des affaires vise non seulement des buts différents, mais utilise aussi des moyens différents. Aussi ne suffit-il pas de publier, par exemple, un
« énoncé d'éthique militaire » pour s'attendre à ce que les militaires le comprennent et y adhèrent alors qu'on s'attend à ce
qu'ils imitent quotidiennement des gérants d'activités commerciales. Par ailleurs, essayer de créer une « philosophie »
aussi bien faite pour des militaires que des fonctionnaires et
capables de les aider, de les guider, et de les faire travailler
le mieux possible, c'est tenter de décrocher la lune tant ces
deux professions ont si peu de traits communs.
L'idée voulant que les forces armées occidentales se
soient laissées obnubiler par la méthode des affaires n'est ni
nouvelle ni frivole. Dans son étude des forces armées américaines de 1985, Richard Gabriel a remarqué que :
... dans les années 1950, l'Army Command and
General Staff College consacrait 665 heures aux connaissances tactiques et opérationnelles. Dans les
années 1970, seulement 173 heures leur étaient
dévolues. Le reste du temps allait à des cours [...] de
gestion, de finance et de politique générale23.
Bien que ce type de formation n'ait pas encore été courant
dans les cours des collèges d'état-major des niveaux inférieurs,
il était rapidement devenu la règle aux niveaux supérieurs. La
National Defence University de Washington, par exemple,
s'enorgueillissait, au début des années 1980, d'un programme
d'études qui offrait des cours sur la façon de témoigner devant
un Comité du Congrès. Gabriel observe avec ironie qu'il semble que « l'obligation de dire la vérité à ses supérieurs ne
suffi[sai]t manifestement plus »24. Il ajoute :
Il y a de quoi s'effrayer lorsqu'on constate qu'un psychologue du personnel de la National Defence
University qui évaluait la personnalité des étudiants
depuis 1979, ne pouvait déceler de différences entre
Revue militaire canadienne
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Printemps 2000
les étudiants militaires de l'université et des cadres
supérieurs de sociétés d'affaires dont il faisait aussi l'évaluation. Si les officiers et les hommes d'affaires portaient des vêtements semblables, il serait impossible de
les différencier les uns des autres25.
Puisqu'une des idées directrices de cet article est que les
militaires doivent être tenus responsables de leurs propres
actions et doivent répondre de celles de leurs subalternes, il
ne saurait passer sous silence les difficultés qu'ont connues
les chefs militaires de tous les niveaux, à instaurer et à mettre en vigueur des codes universels de comportement.
Qu'elles soient précisées dans un « code de conduite », un
« code d'honneur », une « liste des valeurs éthiques » ou sous
toute autre forme de directives morales obligatoires, les
normes de comportement de tout sous-groupe de la société
qui aspire à un statut professionnel, doivent être claires, sans
équivoques, universellement comprises et acceptées ou ce ne
sont pas, par définition, des normes. En outre, pour qu'elles
soient crédibles, on doit avoir prévu des sanctions
professionnelles pour ceux qui ne s'y conforment
pas. Toutefois, et c'est là le plus important, ces
normes doivent être conçues en fonction de la profession à laquelle elles s'appliquent.
Qualité admirée et récompensée au sein des organisations modernes. On y fait référence par l'intermédiaire
de métaphores en parlant de professionnalisme ou d'efficacité. L'amoralisme est un de ces termes qui permettent de mettre en lumière la confusion entre ce qui,
dans la société, est officiellement inculqué comme une
valeur et ce que l’organisation sociale récompense en
réalité. L'immoralité c’est faire le mal volontairement;
l’amoralisme, c'est le faire parce qu'une structure ou
une organisation attend de nous que nous nous comportions de la sorte. L'amoralisme est donc pire que
A.T.J. Bastien, Over The Top, Musée canadien de la querre CWM 8058
L'obligation pour les chefs militaires de formuler et de communiquer de telles normes comporte deux volets: faire respecter ces normes par
leurs subalternes, mais aussi les illustrer par leurs
propres actions. Les caractéristiques traditionnelles de courage, de loyauté et de compassion
sont peut-être les meilleurs indicateurs du comportement éthique, parce qu'aucun militaire de
profession, peu importe les punitions qu'il risque,
ne suivra dans l'action un chef qui est de toute
évidence déloyal, brutal ou lâche. Un ultime indicateur réside dans l'intégrité, un terme que le Petit
Robert rapproche des mots « probité », « droiture »
et « honnêteté », mais que cerne peut-être mieux
l'obligation de s'abstenir de faire une action qui
comporte un avantage potentiel si cette action est
interdite par son code d'éthique (« c'est mal »), ou de continuer à faire une action qui peut être dangereuse parce que
ce même code d'éthique l'exige (« c'est bien »).
chez un individu depuis son enfance, en faisant porter sur
certaines réalités militaires posant problème un amoralisme
sélectif selon lequel un comportement immoral n'est pas
seulement permis dans certaines circonstances mais nécessaire, ou même louable comme le faisait remarquer
Sénèque. Quant à l’amoralisme, c'est encore une fois Saul
qui, en plaisantant évidemment, en fournit une définition :
Certes il faut alors préciser le sens des mots « bien » et « mal ».
Cette distinction ramène au complexe problème, mentionné
plus haut, de l'individu amoral que la société contemporaine
semble portée à créer et que les organisations militaires occidentales doivent transformer en soldat. Si un individu moral,
présumé capable de distinguer le bien du mal, choisit
habituellement de faire le bien et, si un individu immoral ou ne
respectant aucune règle, également capable de décider choisit
normalement de faire le mal, une personne amorale est, elle,
incapable de faire la distinction entre ces deux pôles éthiques.
Un des objectifs de l'entraînement militaire de base est de
modifier les valeurs morales conventionnelles, implantées
Printemps 2000
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Revue militaire canadienne
l'immoralité, dans la mesure où il revient à nier notre
responsabilité et, par conséquent, il nie la supériorité
de la vie humaine sur la vie animale26.
Le problème est que les humains, en tant qu'animaux complexes et plutôt intelligents, peuvent apprendre de beaucoup
d'autres façons que par le simple conditionnement opérant de
l'entraînement militaire de base. L'observation est la méthode la plus commune d'apprentissage; elle est dominante
pendant toute la période de l'enfance et demeure présente
tout au long de la vie adulte. Mener par l'exemple devient
donc moins un impératif théorique qu'une responsabilité de
première importance du chef formateur. Il n'est donc « qu'humain » par exemple de présumer que, faute de directive contraire, une action permise à son supérieur l'est également
pour soi-même. Bien que, généralement parlant, il soit peu
probable que l'exemple d'un officier manifestement déloyal
35
encourage ses subalternes à agir d'une façon déloyale, il n’en
demeure pas moins qu’imiter un comportement est commun
à tous les primates et que l’apprentissage par l’observation
est rarement flagrant ou même conscient par son étendue ou
sa nature. Il est beaucoup plus probable que des cas où un
supérieur aura un comportement moralement confus et où il
traitera l’éthique de façon cavalière, inciteront une personne,
chez qui à la fois la société et le système des grandes entreprises ont encouragé l’amoralisme, à adopter des normes de
comportement immorales. La tendance du milieu militaire à
pardonner des fautes dites mineures au nom d’affirmations
telle que « il faut que jeunesse se passe » ou bien « il va se
replacer une fois sur le terrain », amplifie cette faiblesse
structurale, diminue de beaucoup l’efficacité du militaire et
ternit gravement l’image publique des militaires en général.
Le sévère avertissement de Nelson de « ne jamais laisser
passer une faute » gagne des adeptes à mesure que les coûts
du laxisme continuent de grimper.
Aussi ne faut-il pas s’étonner que, lorsqu’il s’agit de créer
et de maintenir une attitude de professionnalisme dans les
rangs des officiers d’un corps militaire bureaucratisé, l’une
des difficultés réside dans le fait d’évaluer et de récompenser les comportements éthiques. Linn note que :
une étude de l’Army War College datant de 1977 et portant sur le professionnalisme, révèle qu'un tiers des
officiers de l’armée américaine participant à l’étude ont
affirmé qu’un comportement non éthique était récompensé par le « système », alors que les deux tiers croyaient
qu’un comportement éthique n’était pas récompensé27.
Instaurer un système de récompense pour un comportement éthique est une arme à deux tranchants. Le faire
indique qu’agir de manière éthique est un comportement
exceptionnel plutôt que normal, et récompenser un tel comportement revient à récompenser un soldat pour avoir bien
attaché ses bottes. En revanche, l’absence d’un système de
récompense faisant contrepoids à la sanction (la carotte contrebalançant le bâton) peut rendre à prime abord difficile le
rétablissement du comportement éthique en tant que norme
de conduite. Incidemment, il est intéressant de constater que
les plaintes formulées il y a deux décennies par des officiers
américains ont été récemment répétées devant le Comité permanent de la Défense nationale et des anciens combattants.
La perception voulant que le système soit une grosse
machine bureaucratique sans tête, qu’il fonctionne au
hasard et qu’il ait tendance à écraser l’honnêteté alors qu’il
laisse les rusés l’exploiter, n’est pas nouvelle; ce qui est
nouveau par contre, c’est que la méfiance envers le système
soit si répandue. Gabriel résume son analyse du système
militaire américain du début des années 1980 en des termes
peut-être excessifs mais certainement sentis :
L’officier qui connaît du succès à l’intérieur de la bureaucratie militaire n’est habituellement pas un chef entraîné
pour le combat, qui a étudié et pratiqué les arts de la
36
guerre, mais tout probablement un batailleur expérimenté
de la bureaucratie, qui a étudié l’art de la gestion et sait
comment survivre dans un système bureaucratique qui
récompense le manque d’inventivité, la complaisance,
l’acceptation des règles sans remise en question, la capacité de protéger son « territoire » administratif; mais c’est
avant tout quelqu’un qui ne dérange rien. Ce ne sont pas
là les qualités de qui mène des combattants, ni de qui sait
être un efficace planificateur militaire28.
Saul dans Les bâtards de Voltaire en convient et suggère que
le déclin des organisations militaires occidentales, déclin qui
les a transformées en modèles d'excellence de l'idéal bureaucratique, est attribuable au fait que les bureaucraties occidentales ont poussé la philosophie politique rationaliste à sa plus
extrême absurdité, au point où l'intérêt personnel remplace le
sacrifice de soi en tant que principale force derrière l'activité
humaine, au point où l’éthique des affaires écrase l’éthique
sociale et en vient à l’effacer. Le danger d'adapter la
méthodologie des affaires à la profession des armes peut
mener les militaires à adopter une « attitude semblable à celle
[…] qu’on trouve dans les autres ministères du gouvernement.
Il s’ensuit que la discipline militaire semble dépassée [et] que
la gestion et l’administration des affaires remplacent le leadership29… » Alors que ce processus peut en pratique bénéficier
à des entreprises à but lucratif, il sonne le glas des armées.
En l’absence d’un système fiable de récompense pour un
comportement éthique et sans trop savoir si un tel système,
à supposer qu’on puisse en concevoir un, serait avantageux
ou nuisible dans le milieu militaire, l'excellence dans le système militaire contemporain bureaucratisé doit nécessairement être évaluée d'une autre façon. Tel que mentionné plus
haut, la marque de commerce des bureaucraties est la quantification; toutefois l’éthique, sauf dans les cas d'échec, ne
se prête pas facilement à la mesure. Linn observe que, dans
une bureaucratie dépourvue de norme éthique quantifiable,
les valeurs de l'intérêt personnel font que les promotions
remplacent le service et la contribution en tant que
mesure du succès et conduisent à des désastres éthiques.
Lorsque le service du pays est abandonné en faveur d'intérêts personnels, on ne sait plus quelle utilité on a;
l’engagement envers ses subalternes et sa mission
s'affaiblissent et les habiletés militaires décroissent...
Ce que l’on ne comprend pas, c'est que le service militaire exige l’obligation morale de servir avec compétence les intérêts généraux de la société au risque de
perdre aussi bien une promotion que la vie30.
Un supérieur hiérarchique qui refuse de risquer son
statut, qui ne se consacre pas entièrement et sans réserve à
une entreprise ou qui n’accepte pas la responsabilité sans
détour pour une catastrophe, nuit non seulement au moral
des forces armées mais à la survie même de la profession
des armes. Le métier des armes, sans être la plus ancienne
occupation humaine, est sans l’ombre d’un doute celui pour
Revue militaire canadienne
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Printemps 2000
lequel on s’est le plus exercé et qu’on a le plus étudié. C’est
par les erreurs de leurs prédécesseurs que les militaires
apprennent forcément le mieux, et cela à un degré rarement
égalé dans d’autres professions. Un des piliers de la profession des armes est donc la volonté des supérieurs, quel
que soit leur grade, d'accepter d’être responsables de leurs
propres actions et imputables de celles des troupes qu’ils
commandent, dans le succès, et plus spécialement peutêtre, dans les échecs. L'échec est une bonne école et, si une
armée doit en subir, elle doit en apprendre quelque chose.
L'échec toutefois représente précisément le genre d'événement dommageable dont les organisations bureaucratiques
refusent à tout prix de reconnaître la responsabilité. Dixon,
dans On the Psychology of Military Incompetence, décrit
de la façon suivante le refus d'accepter la responsabilité :
C’est une caractéristique déplorable des organisations
autoritaires que leur nature même les pousse inévitablement à ne pas apprendre de l'expérience en acceptant leur
part de blâme. La raison en est facile à trouver. Puisque
l'autoritarisme résulte lui-même de moyens de défense
psychologiques, les organisations autoritaires sont
passées maîtres dans l'art de détourner le blâme. Elles le
font par la dénégation, par la rationalisation a posteriori,
par la désignation de boucs émissaires ou par un mélange
des trois. Peu importe la méthode utilisée, le résultat
définitif est que ceux qui sont vraiment responsables n'admettent jamais l'échec ou l'incompétence; aussi ne peuton rien faire pour empêcher l'erreur de se reproduire31.
La nécessité d’éviter le blâme demeure un important
principe motivant dans la pensée bureaucratique et elle est
tout à fait naturelle dans un milieu culturel où l’on protège
avant tout sa carrière. Il s’agit là d’un résultat totalement
prévisible de la bureaucratisation de n'importe quelle profession, militaire ou autre. Le refus d'accepter un blâme et le
rejet de la responsabilité de ses actes représentent une menace grave et fondamentale pour la profession des armes précisément parce qu'ils l'empêchent d'apprendre de ses erreurs.
Le simple bon sens, qui est à la base de l’étude de Gabriel,
montre bien que les forces armées américaines ont été forcées
de régler de manière décisive les problèmes de relation entre
la gestion et le milieu militaire en raison des revers qu’ont
connus les États-Unis au Vietnam. Il est intéressant de constater en rétrospective que les lacunes, décrites et dénoncées
par Gabriel dans son étude du milieu des années 1980, se rattachaient aux problèmes des années 1970, causés par les
faux-pas des années 1960, et qu’on avait presque déjà
remédié à plusieurs d’entre elles au moment où son livre allait
sous presse. Une force militaire rendue non fonctionnelle par
l'application à la lettre des principes de la gestion des affaires
aurait été incapable de monter l'opération Tempête du désert.
L ' A P PA R E I L M I L I TA I R E
E
n Occident, les corps d’officiers, devenus hypertrophiés, sont passés sans transition du mythe de
Printemps 2000
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Revue militaire canadienne
l'organisation moderne à celui de la gestion moderne. Tous
les syndromes de la vie bureaucratique sont présents dans
leurs quartiers généraux. On y suit l’horaire de travail du
secteur privé. Les décisions sont prises collectivement de
manière à protéger l'individu. On s'y montre incapable de
réagir aux indications claires que le système fonctionne
mal. Le leadership est rarement récompensé. Les systèmes
de gestion des affaires sont consciencieusement appliqués
à la gestion des armées. Il n'est pas exagéré de dire que les
officiers en savent davantage aujourd'hui sur la gestion
des systèmes que sur la guerre proprement dite32.
Malgré un penchant pour l'hyperbole, exacerbé par une
absence d’expérience personnelle de l’uniforme, sans mentionner une dépendance excessive envers les accusations parfois gratuites de Gabriel, Saul, dans cette citation des Bâtards
de Voltaire, touche plusieurs cordes sensibles. Si l’on en croit
son opinion, les collèges d’état-major militaire, qui ont poussé
comme des champignons pendant le dix-neuvième siècle,
furent les précurseurs des écoles de commerce modernes. Les
collèges d’état-major ont fondé leurs techniques d’instruction
sur l’application de l’approche philosophique rationaliste à la
méthodologie du personnel, et la synergie produite par cette
approche jointe aux techniques de production de masse de la
révolution industrielle et à la mobilité offerte par la locomotive à vapeur, a fini par révolutionner l’art de la guerre.
Toutefois, la professionnalisation des corps d’officiers a servi
à diluer leur très vieux sens du devoir de classe pour le remplacer par une loyauté de l’argent et par un patriotisme chauvin, deux réalités émotives à tout le moins discutables.
La libéralisation des organisations militaires prétend encore
aujourd’hui y éliminer « les distinctions de classe », que
celles-ci existent ou non; cette libéralisation a ainsi presque
réussi à supprimer l’obligation morale de servir le pays et a
malheureusement transformé la profession, la vocation ou le
métier des armes en un « emploi » où on prête ses services en
retour d’une rémunération. C’est précisément sur cet aspect
que le service des armes et les autres formes d’emploi divergent. Certes, on souhaite qu’un homme de métier fasse le
meilleur travail possible, mais qui penserait à interroger, par
exemple, un plombier ou un peintre en bâtiment au sujet de
son code d’éthique? Il en va ainsi parce que personne n’a
jamais donné à un plombier la permission d’utiliser la violence à grande échelle dans les intérêts de la nation et parce
que personne ne s’attend à ce qu’un peintre sacrifie sa vie et
celles de ses concitoyens dans l’exercice de ses fonctions.
Puisque les militaires et les officiers qui les commandent,
sont obligés, en vertu de leur choix de profession, de faire
passer les intérêts de leur pays, de leur devoir et de leurs
subalternes avant leur propre intérêt et que, dans le cas des
officiers, cette obligation devient de fait une exigence
morale en vertu de leur acceptation de la charge de défendre
l’état avec les risques que cela comporte, on se demande
pourquoi, au cours du dernier quart de siècle, les forces
armées occidentales ont délibérément choisi de façonner
leurs institutions de formation militaire supérieure et leurs
37
structures de leadership sur le modèle de la profession la
plus amorale ayant jamais existé, celle de l’homme d’affaires civil qui, ironiquement, est lui-même le produit d’une
institution modelée sur les écoles rationalistes d’état-major
du dix-neuvième siècle. La boucle est alors bouclée, et les
écoles de commerce enseignent maintenant aux militaires ce
que les militaires leur ont déjà enseigné. Le danger vient du
fait que les écoles de commerce ont adopté l’approche rationaliste des collèges d’état-major qui les ont engendrées,
mais qu’elles remplacent le service public par le profit dans
l’élaboration de leur méthodologie. Les objectifs, les méthodes et les normes éthiques des affaires, de l’administration
des affaires et de la gestion des affaires sont, entièrement et
sans exception, diamétralement opposés à ceux de la profession qui a pour raison d’être la défense de l’état. Comme
Gabriel le fait observer dans Military Incompetence :
Un officier dûment assermenté est lié par plus de
responsabilités morales que ne peut l'imaginer un
homme d'affaires. Un officier est investi par ses
supérieurs de l'autorité et de l'obligation morales de
sacrifier au besoin la vie de ses concitoyens dans le but
de réaliser des objectifs militaires légitimes. Aucune
entreprise civile ne confie à ses membres de fardeau et
de responsabilité si terribles33.
Une profession qui exige que le sacrifice de soi passe avant
les intérêts personnels ne pourra jamais, de par sa nature
même, adopter le profit comme motivation parce qu’il n’y a
aucun profit ou gain matériel à faire dans le sacrifice de soi.
génèrent pas de profits et, à part leur aide lors d'émeutes,
d'inondations ou d'incendies, ne produisent en temps de paix
que des services intangibles de « défense nationale », de
« dissuasion » efficace, dont la valeur ne peut être mesurée
qu'en cas d'échec. Pire encore, en temps de paix, les « fonctions militaires connexes » comme le sauvetage, le maintien
de la paix, le secours aux personnes sinistrées et l'aide au
pouvoir civil, prennent une importance démesurée par rapport
au rôle principal et à la véritable valeur d'une force armée. On
en vient donc à accorder plus d'importance à ces fonctions
secondaires qu'à la fonction principale des forces armées qui
est de faire la guerre, ce qui a pour effet de créer un besoin et
des attentes pour des activités où les forces armées n’utilisent
pas tout leur potentiel; et cela contribue à créer un milieu
propice à l'avancement des individus qui sont le plus en
mesure de tirer profit de tâches qui ne sont pas directement
liées au rôle principal des militaires.
Le résultat final de cette transformation organisationnelle
est un service militaire offrant tous les désavantages d'une
grande entreprise du secteur privé sans en fournir aucun des
avantages. Pire encore, cette approche suscite, encourage et
favorise non pas la carrière de véritables chefs militaires,
mais celle de gestionnaires d'entreprise en uniforme, dont la
caractéristique principale est, selon Saul, que leur loyauté
envers l'entreprise surpasse et finit par remplacer leur
loyauté envers la société; il s’agit là d’une orientation
éthique diamétralement opposée à celle qu’une société
libérale exige de ses militaires34.
L’ É T H I QU E M I L I TA I R E : U N R A P P E L
S’
F.H. Varley, German Prisoners, Musée canadien de la querre CWM 8961
il est une caractéristique de la vocation du militaire
qui le différencie des professionnels civils dans une
démocratie, c'est, comme le dit Gabriel, qu'il est le seul
dans sa société entre les mains de qui un gouvernement élu
a mis la vie de ses concitoyens et au bon jugement de qui il
l’a confiée. Comme cet article l’a montré, il y a plusieurs
principes éthiques fondamentaux propres à la profession
des armes qui, sans être entièrement incompatibles, se contredisent à tout le moins occasionnellement. Outre les
idéaux sacrés de loyauté, de courage et de compassion, les
sections précédentes de cet article ont mis en lumière quatre impératifs éthiques essentiels qui gouvernent la vie d’un
militaire. Il s’agit de l'intérêt de l'état, des ordres légaux de
son supérieur, du bien-être de ses subalternes et de l'obligation de remplir ses devoirs avec honneur et pondération.
Ces deux objectifs sont incompatibles. L'inévitable résultat de former des officiers qui pensent et agissent comme des
chefs d'entreprise est malheureusement de transformer l'organisation militaire en une entreprise sans but lucratif dotée
de toutes les caractéristiques, positives et négatives, de n'importe quelle autre grande entreprise. Toutefois, les caractéristiques positives des entreprises font que, à l’encontre des
organisations militaires, elles créent de l’emploi, génèrent
des recettes fiscales et produisent des biens et services tangibles. Les organisations militaires, elles, dépensent les
impôts, ne fournissent de l’emploi qu'aux dépens de l'état, ne
38
Satisfaire à ces critères exige d’établir des priorités.
Premièrement, il va de soi que, dans une société démocratique
libérale, l'appareil militaire est l'instrument (et n'a pas de raison d'être légale au-delà) de la politique nationale. Servir les
intérêts de l'état doit donc avoir préséance sur toute autre considération. Deuxièmement, afin de fonctionner, toute force
armée a besoin d'une chaîne de commandement conçue pour
recevoir les ordres des autorités politiques et pour les traduire
en directives militaires; sans une telle structure, il lui est
impossible de fonctionner. L'obéissance aux supérieurs dans la
Revue militaire canadienne
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pyramide hiérarchique ainsi créée est donc le deuxième maillon en importance de la chaîne de l’éthique militaire.
Troisièmement, afin de pouvoir faire exécuter les ordres des
supérieurs, celui qui commande doit compter sur un corps de
militaires obligés par la loi à obéir aux ordres qu’il donnera. Si
le leadership est en fait l'art d'influencer des êtres humains pour
qu'ils accomplissent une mission de la manière désirée par le
chef, il faut nécessairement que le chef assure à ses subalternes
des conditions qui leur permettent d’obéir à ses ordres le plus
efficacement possible. Le bien-être des subalternes, ce qui
inclut la responsabilité tant morale que professionnelle de ne
pas sacrifier de vie inutilement, doit donc être le troisième plus
important facteur de motivation dans l’esprit d’un militaire.
Enfin, et c’est là le quatrième critère éthique, le militaire
est tenu par la morale et par la loi internationale de remplir
son devoir avec « honneur et pondération ». La guerre est la
plus violente et la plus destructrice des activités humaines;
elle est synonyme de mort et de destruction à grande
échelle35. La guerre coûte cher en termes de vies, d'armement et de biens matériels détruits ou perdus. Le professionnalisme exige qu'on accomplisse sa mission sans
gaspiller les ressources, et les obligations morales et légales
exigent qu'on réduise autant que possible l’effet des hostilités sur ceux qui ne participent pas au combat. Ce critère
éthique n'a pas priorité sur les trois autres parce que ses prescriptions les imprègnent, les circonscrivent et les précisent.
L'injonction de remplir son devoir avec honneur et pondération devrait donc fournir le cadre moral contraignant qui
permet au militaire de se conformer aux trois autres critères
et dans lequel s’inscrivent les concepts moins faciles à
déterminer que sont la compassion, le courage et l'intégrité.
Ayant ainsi établi une priorité des critères éthiques fondamentaux de la profession des armes, il est possible d’en
déduire un code d’éthique pour les forces armées d'une
démocratie libérale : premièrement, le militaire sert les
intérêts de son pays; deuxièmement, le soldat exécute les
ordres légaux de ses supérieurs, sauf lorsqu'ils sont en conflit avec les intérêts de son pays; troisièmement, le militaire
protège le bien-être de ses subalternes, sauf lorsqu'il est
nécessaire de risquer leur intérêt en exécutant les ordres de
ses supérieurs pour le bien de son pays; et, finalement, le
militaire pratique la profession des armes, conscient de son
obligation morale et légale de le faire honorablement et avec
pondération; cette condition limite toutes ses actions et lui
interdit d'agir de façon illégale et moralement inacceptable,
peu importe les circonstances. Cette dernière obligation rappelle d’une certaine façon le serment d’Hippocrate de la
profession médicale et démarque moralement le militaire du
meurtrier. Il n'existe aucune justification de déroger aux
principes fondamentaux de l'honneur et de la pondération.
Cette hiérarchie d’obligations pourvoit l’appareil militaire d’une norme brève mais d’application généralisée à
laquelle un militaire, quel que soit son grade, peut mesurer
toute action qu’il envisage de faire. De plus, cette norme
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permet à un militaire de satisfaire à ses obligations de remplir son devoir légalement, professionnellement et moralement sans avoir besoin d’établir de hiérarchie entre les trois
premiers critères éthiques mentionnés.
C O N C LU S I O N
I
l va de soi que, dans notre façon de faire, lorsque
quelqu’un reçoit le pouvoir de commander, que ce soit
un régiment, une brigade ou un secteur [...] cette personne est entièrement responsable, à tous les égards, du
bien-être, de la formation, de la discipline et de l’administration des troupes sous son commandement, et
qu’elle doit répondre de ses actions36.
Il y a tout lieu de croire que la hiérarchie éthique décrite cidessus est déjà comprise et appliquée par plusieurs, sinon par
la plupart, des membres de la profession des armes au
Canada. Un des très nombreux officiers interrogés lors de la
commission d’enquête sur « l’affaire de Somalie » a répondu, lorsqu’on lui a demandé si sa loyauté envers son supérieur
pouvait influer sur son témoignage, que, aussi grande pouvait
être cette loyauté, elle restait néanmoins subordonnée à « son
devoir envers les lois de son pays et à son code d’éthique
d’officier »37. En dépit du large éventail de tensions sans
précédent auxquelles les membres des Forces canadiennes
sont soumis quotidiennement, l’incidence relativement peu
élevée des échecs d’ordre éthique peut, en soi, être une raison
suffisante de croire que l’opinion exprimée par cet officier
représente la règle plutôt que l’exception chez les militaires.
Cet article a évité de discuter de cas particuliers et s’en
est tenu à des généralisations au sujet de la conduite
éthique en milieu militaire. Il a cerné certaines des sources
probables des échecs d’ordre éthique; elles incluent l’individu, la société dans son ensemble, la culture militaire traditionnelle et les structures contemporaines basées sur
celles de l’entreprise privée auxquelles les organisations
militaires, à leur grand détriment et à la suite des pressions
de la société et du gouvernement, ont été forcées de se conformer au cours des dernières décennies. Il reste à voir si
les organisations militaires modernes sauront s’attaquer à
certaines de ces sources d’échecs d’ordre éthique. Les individus sont responsables du changement de leur comportement et, à moins de gestes anti-démocratiques (ce qui n’est
certes pas une habitude des forces armées occidentales), les
militaires ne peuvent changer la société. Les forces armées
constituées de volontaires sont entièrement à la merci des
recrues que leur fournit la société, et les individus euxmêmes sont responsables des choix éthiques qu’ils font.
Toutefois, il est deux choses que les organisations militaires peuvent et doivent faire. Premièrement, les Forces
canadiennes doivent modifier la culture militaire traditionnelle pour en éliminer les éléments nuisibles tout en
retenant les bons. Deuxièmement, les membres de la profession des armes, et surtout ses haut gradés, doivent continuer de résister aux nouvelles tentatives de forcer les mili-
39
taires à adopter les modèles de gestion, d’opération, d’organisation et, surtout, d’éthique des entreprises privées.
Les qualités individuelles et de groupes qui permettent aux
forces armées de jouer leur rôle dans la société, ne
sauraient se conformer sans horreur à ces modèles.
Somme toute, du plus haut échelon au plus bas, les membres des organisations militaires doivent adopter et appliquer
une norme de conduite en accord avec l’éthique qu’exige la
profession des armes; car aussi certainement qu’on ne devrait
pas s’attendre à ce qu’un militaire « se lance à l’assaut »
sans que son supérieur ne mène la charge, on ne devrait pas
assujettir un militaire à une norme éthique à laquelle ne sont
pas, ouvertement et directement, soumis ses supérieurs.
Cet article ne prétend pas, comme plusieurs l’ont fait, qu’il
faille séparer le Quartier général de la Défense nationale en
ses composantes militaire et civile. La synergie et l’efficacité qui découlent de l’intégration des civils et des militaires
au niveau supérieur de direction et de gestion, sont trop précieuses pour les perdre et trop étroitement liées pour les
défaire facilement. Il souhaite plutôt que l’on prenne conscience que l’insidieux processus qui consiste à donner un
caractère de plus en plus civil aux forces armées, a joué un
grand rôle dans le lent et implacable déclin de la profession
des armes au Canada et qu’il faut résister à ce processus et,
si c’est possible, le renverser. Le quadruple impératif éthique
qu’esquisse cet article peut sembler si simpliste qu’il en
devient superficiel et donc difficile à mettre en application.
Au risque d’être taxé de réductionnisme, on se doit de reconnaître que les principes de base sont rarement complexes.
L’intégrité, la loyauté, la vérité, le devoir et l’honneur ont été
les pierres de touche du métier des armes depuis l’apparition
de l’idéal chevaleresque du moyen-âge, un idéal auquel tous
aspirent sans toujours l’atteindre. Il faut absolument que les
organisations militaires occidentales reconnaissent que le
moule des entreprises privées a perverti les structures et les
buts éthiques des forces armées, et qu’il faut qu’elles réagissent à cette situation. Ne pas le faire ne pourra qu’accentuer
le mouvement de dérive éthique à un moment où la profession des armes en Occident a désespérément besoin de
quelque chose à quoi s’accrocher.
NOTES
1. Anthony E. Hartle. Moral Issues in Military
Decision Making, Kansas, University Press of
Kansas, 1989, p. 19. [TCO]
2. John R. Saul. The Doubter’s Companion, Toronto,
Penguin Books, 1994, p. 122-23. [TCO] Les
italiques sont de l’auteur de l’article. Ce livre a aussi
été traduit de l’anglais par Sabine Boulogne : Le
compagnon du doute, Paris, Payot et Rivages, 1996.
3. Hartle. p. 26. [TCO]
4. Ramsey écrit que « … plusieurs siècles après
qu’on a dit que la participation des chrétiens à la
guerre était moralement justifiable, il n’était toujours pas admis que, lorsque sa propre vie était en
danger ou pour protéger ses biens contre les intentions clairement maléfiques d’un agresseur, les
chrétiens avaient le droit de lui résister, de le blesser ou de le tuer … ». Paul Ramsey. The Just War:
Force and Political Responsibility, New York,
Charles Scribner's Sons, 1968, p. 159 [TCO].
5 « Les vrais maux de la guerre sont l’amour de la
violence, la revanche cruelle, l’animosité virulente et
implacable, la résistance sauvage, le désir du pouvoir
et autres attitudes semblables; lorsque la force est
nécessaire pour punir ce genre de choses, des hommes
bons vont en guerre au nom de Dieu ou d’une autorité
légale. » [TCO] Saint Augustin, Contre Faustus.
6. Des données compilées par les Forces canadiennes
en novembre 1996 montrent que 58,5 % des membres
de la Force régulière étaient âgés de moins de 35 ans,
ce qui indique qu’ils avaient passé moins de temps dans
les Forces que dans le milieu civil au cours de leur vie.
7. Saul, dans Voltaire’s Bastards: The Dictatorship
of Reason in the West, attribue une partie de la
responsabilité de la détérioration de la conscience
sociale à l’enseignement avancé contemporain :
« … ce qu’on encourage, c’est une forme débridée
d’intérêts personnels; ce qui compte, c’est de gagner […] En d’autres termes, pour la première fois
dans l’histoire occidentale, nos institutions les plus
respectées prêchent l’anarchie sociale. » [TCO]
p. 121-122. Ce livre a aussi été traduit par Sabine
Boulogne sous le titre Les bâtards de Voltaire.
8. Peter C. Newman. « Can Young Tame the Demons
at Defence », Maclean’s, 10 février 1997, p. 39. [TCO]
9. Cette citation et la précédente sont tirées de
40
Henry V, acte IV, scène I, de William Shakespeare.
[Traduction de François-Victor Hugo]
10. Sénèque cité par Robert L. Holmes dans On
War and Morality, New Jersey, Princeton
University Press, 1989, p. 114. [TCO]
11. Le lieutenant-général Charles Belzile, ancien
commandant du Commandement de la Force terrestre des Forces canadiennes, extrait d’un discours
prononcé lors de la conférence des Associations de
la défense, le 17 janvier 1997 à Ottawa. [TCO] Il
n’est pas nécessaire de prouver cette affirmation.
Les grands changements entrepris par les forces
armées américaines à la suite de la débâcle du
Vietnam constituent un témoignage suffisamment
clair de l’impossibilité d’appliquer une gestion à la
McNamara à la conduite d’opérations militaires.
C’est cette même approche rationaliste qui a valu
au monde la course aux armes nucléaires, les programmes d’armes biologiques et la discordance
cognitive (certains diraient maniaque) de la doctrine de destruction réciproque assurée.
12. Les deux citations sont de Douglas L. Bland
dans Chiefs of Defence, Toronto, Brown Book
Company Ltd, 1995, p. 48. Les italiques sont de
l’auteur de l’article. [TCO]
13. David Detomasi. « Re-engineering the
Canadian Department of National Defence:
Management and Command in the 1990s »,
Defense Analysis, vol 12, no 3, 1996, 338. [TCO]
14. Bland. Chiefs of Defence, p. 68. [TCO]
15. John Gellner, dans un compte rendu de All
Together Now de Vernon J. Kronenberg, publié dans
La Revue canadienne de défense à l’été 1974, met l’accent sur l’ambition et la motivation de Paul Hellyer.
16. Douglas L. Bland dans son discours lors de la
conférence des Associations de la défense à
Ottawa, le 17 janvier 1997. [TCO]
17. Bland. Chiefs of Defence, p. 96. [TCO]
18. ibid., p. 97. Les italiques sont de l’auteur de
l’article. [TCO]
19. Paul D. Manson. « The Restructuring of
National Defence Headquarters -- 1972-73 », Revue
canadienne de défense, hiver 1973-74, p. 11. [TCO]
20. ibid., p. 12. [TCO]
21. J.E. Neelin et L.M. Pedersen. « On the Effect
of the Restructuring of National Defence
Headquarters on the Profession of Arms in Canada »,
Revue canadienne de défense, été 1974, p. 54. [TCO]
22. ibid., p. 54. [TCO]
23. Richard Gabriel. Military Incompetence: Why
the American Military Doesn’t Win, New York,
Noonday Press, 1985, p. 195. [TCO]
24. ibid., p. 196. [TCO]
25. ibid., p. 196. [TCO]
26. John R. Saul. The Doubter’s Companion, p. 22-23.
Les italiques sont de l’auteur de l’article. [TCO]
27. Thomas C. Linn. « Ethics vs. Self-Interest in
How We Fight », dans Moral Obligation and the
Military, Washington, DC, National Defence
University Press, 1988, p. 221. [TCO]
28. Gabriel. Military Incompetence, p. 14. [TCO]
29. Neelin et Pedersen. « Effect of Restructuring »,
p. 54. [TCO]
30. Linn. « Ethics vs. Self-Interest », p. 222. [TCO]
31. Norman F. Dixon. On the Psychology of
Military
Incompetence,
London,
Future
Publications, 1976, p. 43-44. Les italiques sont de
l’auteur de l’article. [TCO]
32. Saul. Voltaire’s Bastards, p. 225. [TCO]
33. Gabriel. p. 191. Les italiques sont de l’auteur
de l’article. [TCO]
34. Saul. The Doubter’s Companion, p. 74-79. [TCO]
35. Peut-être à l’exception de la planification de
l’économie communiste qui, au XXe siècle, s’est
révélée plus dévastatrice que la guerre. Les statistiques démographiques montrent que les programmes de déplacement forcé de Staline dans les
années 1930, 40 et 50, ou le Grand Bond en avant
de Mao ont causé plus de morts que toutes les
guerres du siècle mises ensemble.
36. Le lieutenant-général (ret) Gordon M. Reay,
ancien commandant du Commandement de la
Force terrestre. Transcription de l’audience testimoniale, Commission d’enquête sur le
déploiement des Forces canadiennes en Somalie,
le 14 février 1996, vol. 46, p. 9143.
37. Témoignage du lieutenant-colonel Steve Moffat,
cité par Jeff Sallot, « Colonel cites stress faced in
Somalia », The Globe and Mail (s. d., s. l.). [TCO]
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