Le Journal de Culture & Démocratie / 43 / janvier 2017
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cette question4, les causeries sur l’économie créative
et culturelle vont bon train ! Innover, hybrider, fertili-
ser, co-worker apparaissent comme les maîtres-mots
de cette nouvelle économie à investir, où le numérique
trouve une place de choix. Les CEC développent de
plus en plus franchement ce discours : Mons 2015
a fait prendre conscience de l’impact économique de
la culture. Aujourd’hui, la culture a élargi son champ
d’action. Elle investit toute la société, à commencer
par le monde du travail. Elle intervient dans tous les
lieux où l’on recherche la créativité, l’authenticité,
l’originalité, l’innovation , a déclaré le bourgmestre
Elio Di Rupo. Il avait d’ailleurs défendu le concept
de créaffectivité pour Mons 2015, un mélange
d’idées et de cœur, de créativité et d’affectivité, de
technologie et de sentiments.
Mais s’agit-il de l’unique justification actuellement
recevable pour développer une politique culturelle
d’ambition ? La question mérite d’être posée, tant les
efforts semblent grands pour étayer l’effet multipli-
cateur de l’art et de la culture. Dans le bilan relatif à
Mons 2015, on peut lire : Chaque 1 € investi par les
autorités publiques régionales dans le budget opé-
rationnel de la Fondation Mons 2015 retourne comme
5,5 € net dans l’économie belge. Mais d’ajouter
immédiatement – comme s’il fallait se dédouaner
de ce qui vient d’être dit – que : Le principal retour
sur investissement n’est pas facilement quantifiable :
confiance, moral, fierté, état d’esprit, attractivité,
image, qualité de vie… 5
Amélioration du lien social et de la qualité
de vie locale
Il existe de multiples manières de s’impliquer ou d’être
concerné par un événement. Participer à la program-
mation culturelle ne constitue qu’une modalité parmi
d’autres. Il ne faut pas oublier tous ces participants qui
seront involontairement affectés
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. Parce que de nou-
veaux lieux se construisent, que d’autres sont délais-
sés ou réinvestis ; la vie s’organise différemment. Les
perceptions autour de ces changements ne sont pas
toujours consensuelles. Pourtant les modifications
physiques ou d’usage de l’espace s’avèrent rarement
anodines. Surtout lorsqu’on les met en rapport avec
la qualité de vie et des relations sociales.
De manière générale, les politiques culturelles ont
tendance à être déterminées par les attentes (réelles
ou supposées) d’un touriste perçu comme nanti et
cultivé. Or la réalité démographique et socioécono-
mique locale ne correspond pas toujours à ce profil.
La classe populaire locale risque alors d’abandonner
toute fréquentation d’un espace requalifié en dépit de
ses usages. Parfois, un phénomène d’embourgeoise-
ment est constaté. En conséquence, les populations
originaires s’éloignent progressivement de ces lieux
dont ils sont dépossédés. À Glasgow, par exemple, un
groupe d’artistes, d’écrivains et de politiciens (au sens
large) s’est élevé contre ce qu’ils perçoivent comme
une approche commerciale de la ville. Par approche
commerciale, ils entendent, d’une part, une focalisa-
tion sur la fonction commerciale de la cité, et d’autre
part, une vente de la ville aux touristes à travers un
vocable très marketing. Ils reprochent à cette vision
de concentrer tous les efforts sur le centre-ville aux
dépens de la périphérie et d’occulter les conditions
de vie difficile de nombreux Glaswégiens, ainsi que
l’histoire travailliste de Glasgow. Ils ont d’ailleurs
décidé de s’appeler VVorkers City, ce qui donne en
français ville de travailleurs , en opposition à la ville
marchande développée, selon eux, par les autorités7.
Fort heureusement, il existe toutefois des situa-
tions où les processus de réaménagement culturel
demeurent plus authentiques et fidèles à l’histoire
des populations et des lieux. Pour multiplier ces
expériences, le pouvoir politique et économique doit
être capable d’élargir sa vision au-delà de la figure
idéalisée du touriste venant dépenser son argent
dans une ville qui lui correspond.
Soutien à la vie culturelle locale ?
L’obtention du titre de Capitale européenne de
la Culture permet le développement d’un agenda
culturel intense, et généralement varié. Toutefois,
les orientations prises peuvent fortement se dis-
tinguer. Ainsi, la priorité pourra être : de 1) rendre
accessible (financièrement et localement) un artiste
mondialement reconnu grâce à sa présence excep-
tionnelle dans la ville ou, au contraire, de 2) valoriser
en-dehors de sa sphère immédiate d’influence un
savoir-faire local. Si, le plus souvent, ces dynamiques
se superposent, des tendances parfois lourdes sont
à constater.
Trop souvent la créativité propre au territoire se
voit uniquement vantée dans le cadre d’une program-
mation secondaire, périphérique. Elle est rarement
placée au cœur de l’événement, mais vient plutôt
boucher les trous . Ce fut par exemple le cas de
la ville irlandaise de Cork (2005) qui a misé sur une
programmation résolument internationale et s’est
ainsi, de son propre aveu, coupée d’une grande partie
de son public et d’un soutien local.
Ainsi, selon les choix opérés et les partenariats
réalisés, de vives tensions et ressentiments peuvent
survenir chez certains opérateurs culturels. Lorsque
l’occasion est trop belle, est-ce que la déception est
inévitablement au rendez-vous ? Comment accepter
que les décideurs n’embrassent pas une conception
de la culture nourrie d’une expérience locale de longue
haleine ? Pour les opérateurs, comment s’approprier
un événement qui semble parfois distribuer réputation
et financements uniquement en-dehors du cercle
d’acteurs qui s’impliquent quotidiennement dans la
vie locale ? Du côté des programmateurs, comment
‘‘Trop souvent la créativité propre
au territoire se voit uniquement
vantée dans le cadre d’une
programmation secondaire,
périphérique. Elle est rarement
placée au cœur de l’événement, mais
vient plutôt boucher les trous . ,,