Le rôle de la profession médicale dans la gouvernance du système

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Le rôle
de la
profession
médicale
dans la
gouvernance
du système
de santé
québécois
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 1
DES SYSTÈMES DE SANTÉ EN MUTATION 2
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2
3
A. CROISSANCE ET CHANGEMENT DE NATURE DE LA DEMANDE | La démographie | L’épidémiologie | Le pouvoir croissant des patients B. CROISSANCE ET CHANGEMENT DE NATURE DE L’OFFRE | Les sciences et les technologies | L’augmentation et la spécialisation des ressources humaines C. C
ROISSANCE CONSTANTE DES DÉPENSES DE SANTÉ ET
PRESSIONS POUR UNE MAÎTRISE DE CETTE CROISSANCE | Un taux de croissance élevé | Des pressions de plus en plus fortes pour maîtriser la croissance LA PROFESSION MÉDICALE DANS UN SYSTÈME EN TENSION | Quatre logiques de régulation en tension | Les projets de loi 10 et 20 | Les effets sur le public DES ENJEUX POUR LA PROFESSION MÉDICALE AU QUÉBEC LE PROFESSIONNALISME MÉDICAL ET LA GOUVERNANCE CLINIQUE AILLEURS DANS LE MONDE
| Évolution du professionnalisme médical | Évolution de la gouvernance clinique LA POSITION DE L’AMQ
A. LES PRINCIPES RELIÉS AUX RESPONSABILITÉS DES MÉDECINS
| La responsabilité populationnelle
| L’engagement de la profession médicale
| Les ententes contractuelles avec les groupes de médecins
B. L
ES PRINCIPES RELIÉS AUX RESPONSABILITÉS DES MÉDECINS ET
DE LEURS PARTENAIRES
| L’imputabilité et la responsabilité conjointes des médecins et des gestionnaires
| L’interdisciplinarité
C. LES PRINCIPES « STRUCTURANTS » OU PLUS SYSTÉMIQUES |
|
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Le partage de l’information clinique
La mesure d’indicateurs clés de performance
Les incitatifs reliés aux modes de rémunération
La formation en gestion et en leadership
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ANNEXE 1 – LES TERMES DU CONTRAT SOCIAL ANNEXE 2 – LA CHARTE SUR LE PROFESSIONNALISME MÉDICAL 26
RÉFÉRENCES ET NOTES 31
28
1
INTRODUCTION
Les systèmes de santé, au Québec comme ailleurs dans le monde occidental, sont
l’objet de transformations majeures. Elles visent à relever les défis de plus en plus
complexes d’accessibilité, de qualité, de pertinence et de coûts des soins et services de santé. Le Québec a connu plusieurs réformes de son système de santé
au cours des 30 dernières années, et des changements majeurs sont actuellement
en cours. Il faut reconnaître qu’il n’y a pas de solutions simples et rapides aux problèmes. Les quatre variables d’accessibilité, de qualité, de pertinence et de coûts
sont interdépendantes. Il faut nécessairement tenter de trouver un équilibre entre
elles, ce qui exige de faire des choix, de trouver des compromis. Conséquemment, il
est difficile de prendre des décisions à ce sujet, car ces décisions touchent à la fois
la santé de la population et la profession médicale. C’est dans ce contexte de transformation que l’Association médicale du Québec (AMQ) a entrepris une réflexion
sur l’avenir de la profession médicale et sur sa relation avec la société québécoise.
Le dossier du contrat social a été le thème du récent congrès de l’AMQ, tenu en
avril 2015. Les discussions des congressistes ont fait ressortir des points de tension
entre la profession médicale et la société québécoise, cette dernière étant représentée soit par la population (résultats d’un sondage), soit par le gouvernement
(projets de loi et de règlements). Si ces points de tension ne se résorbent pas ou
se détériorent, le risque est grand, car la profession médicale pourrait perdre une
partie importante de sa crédibilité comme partie prenante au contrat social qui la
lie à la population du Québec. À l’égard de ce constat, l’AMQ se doit d’agir.
Le principal point de tension identifié est l’opposition entre, d’une part, une intervention grandissante de l’État visant à réguler la pratique médicale pour améliorer
l’accessibilité et, d’autre part, l’exercice d’un leadership plus grand des médecins,
individuellement et collectivement, dans le but d’atteindre le même objectif.
C’est donc le rôle, la responsabilité et l’imputabilité des médecins dans la gouvernance du système de santé, comme corps professionnel et comme individus, qui
sont au cœur de ce débat sur le contrat social entre la profession médicale et la
société québécoise.
L’AMQ occupe une position stratégique unique au Québec. Elle est la seule organisation
qui regroupe les médecins en pratique, omnipraticiens et spécialistes, les résidents et les
étudiants en médecine, ainsi que les médecins à la retraite. Libre de toute attache syndicale, elle choisit d’agir sur les principaux enjeux touchant le système de santé québécois
et l’avenir de la profession médicale. Au cours des deux dernières années, l’AMQ a pris
position sur trois dossiers d’envergure :
Surdiagnostic et optimisation de la pratique clinique (campagne Choisir avec soin);
Mourir dans la dignité;
Vers un nouveau contrat social entre la profession médicale et la société québécoise.
2
DES SYSTÈMES
DE SANTÉ
EN MUTATION
L’environnement dans lequel se pratique la médecine a beaucoup changé au cours des 30 dernières
années. On peut certainement anticiper qu’il en sera
de même au cours des 30 prochaines années. La très
grande partie de ces changements survient hors du
contrôle direct de la profession médicale. Ils sont
démographiques, épidémiologiques, scientifiques,
technologiques, sociaux, économiques, politiques,
culturels. Ils ont des effets sur l’ensemble du système de santé, sur la profession médicale et sur la
santé de la population.
A. CROISSANCE
ET CHANGEMENT
DE NATURE
DE LA DEMANDE
| La démographie
La population du Québec augmente. En 2011, la population québécoise était de huit millions d’habitants.
En 2026, elle sera de neuf millions. Sa composition
change aussi. Au cours des 40 dernières années, le
Québec est passé d’une société comptant relativement peu de personnes âgées de 65 ans et plus à une
société qui compte une proportion d’aînés plus élevée
que l’Ontario, le Canada ou les États-Unis. Ce phénomène devrait s’accentuer encore davantage dans
l’avenir. En 2034, le Québec devrait compter 24,9 %
de personnes âgées de 65 ans et plus, contre 24,1 %
en Ontario, 23,6 % au Canada et 20,6 % aux États-Unis.
| L’épidémiologie
L’amélioration des conditions de vie et les progrès de
la médecine ont permis l’amélioration de l’espérance de
vie. Cependant, le vieillissement n’est pas la principale
variable de la croissance de la demande. Le développement de maladies chroniques et la croissance de
la prévalence de multimorbidité sont des variables
beaucoup plus importantes.
Les maladies chroniques « nécessitent une intervention complexe sur une période prolongée1 ». De plus,
elles requièrent « la participation coordonnée d’une
vaste gamme de professionnels de la santé, un accès
à des médicaments essentiels et à des systèmes de
suivi qui doivent tous s’inscrire de manière optimale
dans le cadre d’un système qui favorise l’autonomisation du patient.2 »
Au Québec, 52,6 % de la population âgée de 12 ans
et plus souffre d’au moins une maladie chronique.
Chez les jeunes, l’adoption de mauvaises habitudes de vie explique en partie cet état de fait. Par
exemple, l’obésité est en croissance continue. Entre
1987 et 2010, le taux d’embonpoint et d’obésité dans
la population canadienne est passé de 34 % à plus de
50 %. Par ailleurs, les maladies chroniques se retrouvent
plus fréquemment chez les personnes âgées. Au Québec,
74 % des personnes âgées de plus de 65 ans déclarent
être atteintes d’une affection chronique. Chez les plus
de 75 ans, c’est plus de 80 %.
L’augmentation de la prévalence des maladies chroniques a des effets sur l’utilisation des services de santé.
Les personnes atteintes de maladies chroniques utilisent plus souvent les services de santé et les utilisent
en plus grand nombre que le reste de la population.
« Par exemple, 33 % des Canadiens ayant au moins une
maladie chronique induisent 51 % des consultations
chez un médecin de famille, 55 % des consultations
chez un spécialiste, 66 % des consultations infirmières et 72 % des séjours hospitaliers3 ».
La multimorbidité est aussi en croissance. Selon
l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS)4, 45 % de la
population du Québec ayant plus de 20 ans, soit
2,7 millions de Québécois, est atteinte de deux
maladies chroniques ou plus. De ce 45 %, 20 % a
deux maladies chroniques, 11 % en a trois, 6 % en
a quatre et 8 % en a cinq. Tout comme les maladies chroniques, la multimorbidité augmente dans
le temps et avec l’âge. Aussi, les patients atteints
de multimorbidité utilisent plus de services de médecins de famille, de spécialistes, de services d’urgence et d’hospitalisation.
Bref, de plus en plus de personnes vivent de plus
en plus longtemps, mais elles vivent accompagnées
d’un traitement médical. Les maladies chroniques
et la multimorbidité associées au vieillissement de
la population ont et continueront d’avoir un effet
majeur sur la demande et, donc, sur l’utilisation des
soins et des services.
3
Un autre facteur de croissance de la demande,
sur le plan épidémiologique, est l’émergence et la
résurgence de maladies infectieuses. Au Canada,
nous avons assisté à l’apparition de nouvelles maladies infectieuses qui ont eu un effet sur la demande et sur l’utilisation des soins, par exemple
le SIDA et le SRAS. L’éclosion du C-Difficile au
Québec a mis en évidence l’enjeu de la résistance aux antibiotiques qui est en croissance au
Canada. On voit même apparaître des souches
pharmacorésistantes de tuberculose, maladie que
l’on croyait vaincue.
En résumé, la croissance de la demande
et la plus grande complexité de cette
demande auront un impact grandissant
sur l’utilisation des soins et des services,
tant en quantité qu’en qualité. Elle continuera de se développer dans un contexte
démographique, épidémiologique, socioéconomique et politique qui se transforme. Elle exigera un changement majeur tant des pratiques cliniques que de
l’organisation des soins et des services.
| Le pouvoir croissant des patients
Un autre facteur de croissance de la demande de
soins et de services est le pouvoir grandissant
des patients. Les patients sont de plus en plus
conscients de leurs droits. Ils se constituent en
associations de patients qui se transforment en
groupes de pression pour défendre leurs droits et
réclamer la pleine accessibilité aux dernières innovations diagnostiques et thérapeutiques. Ils ont
accès à de plus en plus d’information, pertinente
ou non, via Internet. Bien que de nombreux patients assument une plus grande responsabilité par
rapport à leur état de santé, de nombreux autres
agissent surtout comme des « consommateurs »
par rapport à un « produit ». Ainsi, on entend :
« Docteur, donnez-moi des antibiotiques pour ma
grippe, prescrivez-moi un scan pour mon mal de
dos. »
Les patients et les groupes de patients utilisent les
médias traditionnels et les médias sociaux comme
moyens de pression. Cette tendance est plus forte
au Québec que dans d’autres provinces. Certains
médias papier et médias électroniques en font
presque un « fonds de commerce ». Ce recours aux
médias vise à influencer les décideurs et à obtenir
gain de cause.
B. CROISSANCE
ET CHANGEMENT
DE NATURE DE L’OFFRE
| Les sciences et les technologies
Le développement de nouvelles connaissances
scientifiques et de nouvelles technologies est la principale variable de la croissance de l’offre de soins. Ce
développement est le résultat de la convergence de
plus en plus poussée entre les sciences de la vie, la
physique, la chimie et les sciences du génie, incluant
la science des matériaux. C’est souvent à l’interface
de ces sciences que les innovations technologiques
émergent dans le domaine de la santé.
La médecine est de plus en plus tributaire des technologies. On les utilise tant pour la prévention que
pour le diagnostic, le traitement, la réadaptation ou
le maintien à domicile. Le domaine des technologies
en santé inclut tous les médicaments, les équipements, les dispositifs médicaux, les implants ainsi
que les systèmes de soutien nécessaires pour offrir
des soins comme les processus de stérilisation, les
systèmes d’information, les systèmes de télécommunication, etc. Au cours des dernières décennies,
non seulement le volume de l’offre de soins a augmenté sous l’effet des technologies, mais la nature
de cette offre a changé.
4
L’utilisation des médicaments d’ordonnance a
augmenté de façon considérable5. Entre 2009 et
2014, le nombre d’ordonnances du régime public
d’assurance médicament du Québec (RPAM) a
augmenté d’environ 10 millions par année, passant
de 140 millions d’ordonnances à 187 millions, soit
une croissance moyenne de 7 % par année. Entre
1997 et 2013, le nombre d’ordonnances chez les
personnes âgées de 65 ans et plus, assurées par la
Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ),
a augmenté de 367 % alors que le nombre de
personnes assurées dans cette tranche d’âge n’a
augmenté que de 52 %. De plus, depuis 2004, le
Québec compte parmi les provinces qui inscrivent
le plus grand nombre de nouveaux médicaments
sur leur liste.
Le génie biomédical s’est développé de façon impressionnante et a contribué à la conception et au
déploiement de nombreux équipements, instruments, médicaments, implants, etc. On n’a qu’à
penser, par exemple :
à l’évolution des appareils d’imagerie médicale (CTscan, IRM, TEP, TEP-CT) et à leur utilisation comme
outils de guidage d’interventions thérapeutiques;
au développement et à la croissance de la chirurgie minimalement invasive, grâce à l’apport de
nouvelles technologies d’imagerie médicale, d’instrumentation plus flexible et plus précise et, plus
récemment, de la robotique;
au développement et à l’utilisation généralisée de
prothèses et d’implants, par exemple en orthopédie et en cardiologie;
au rôle de plus en plus grand du dossier clinique
informatisé et de la télémédecine.
De nouvelles disciplines/technologies ont émergé,
entre autres, les « bio- » (biomatériaux, bioinformatique,
bionanotechnologies, bionique, biophotonique, etc.)
et les « -omiques » (génomique, protéomique, transcriptomique, métabolomique, pharmacogénomique,
épigénomique, etc.).
On se dirige vers une médecine dite « personnalisée », « prédictive » ou « de précision », permettant
de mieux comprendre la complexité des systèmes et
des processus biologiques à l’origine des maladies et
de traiter chaque patient de façon individualisée en
fonction des spécificités génétiques et biologiques
de sa maladie, mais également en tenant compte de
l’environnement du patient et de son mode de vie.
Cette approche révolutionnera le développement
des médicaments. La prédominance passée des
médicaments chimiques de type « blockbuster »
s’étiole. Les nouvelles molécules sont de plus en plus
ciblées et associées à un biomarqueur, un test diagnostique « compagnon » qui permettra d’identifier
un marqueur prédictif de l’effet d’un traitement et,
ainsi, d’optimiser la prise en charge thérapeutique
des patients pour lesquels ce traitement est envisagé.
Comme le marché cible est plus restreint, ces nouvelles molécules ont actuellement un coût très élevé.
La médecine dite « régénérative » est en marche. L’utilisation des cellules souches et le développement de
nanotechnologies permettent d’envisager le remplacement de cellules, de tissus ou d’organes endommagés. Les recherches les plus avancées actuellement
sont celles portant sur la reconstruction de l’épiderme et de la peau, afin de traiter les brûlures graves
et les ulcères, les vaisseaux sanguins, pour traiter les
maladies cardiovasculaires et le cartilage, pour corriger les effets de l’arthrose. Des applications cliniques
sont en voie d’implantation dans certains hôpitaux
universitaires du Québec. Ces recherches à partir de
cellules souches ont un potentiel thérapeutique élevé à moyen terme.
Les sciences et les technologies ont modifié
la nature de l’offre de soins et ont contribué
à sa croissance.
En tenant compte des progrès actuels de
la recherche biomédicale, on peut anticiper
que cette tendance s’accélèrera au cours
des prochaines décennies.
5
| L’augmentation et la spécialisation
des ressources humaines
Une autre variable qui influe sur l’offre de soins et de
services est l’augmentation des ressources humaines
et leur spécialisation. Entre 2007 et 2011, selon l’ICIS6,
le nombre de médecins au Québec est passé de
16 782 à 18 496, soit une croissance de 10,2 % en
quatre ans. Pendant cette même période, la croissance de la population du Québec a été de 3,8 %.
En comparaison, entre 2006-2007 et 2010-2011,
le nombre d’infirmières exerçant leur profession
au Québec est passé de 65 892 à 67 764, soit une
croissance de 2,8 % en quatre ans7.
En 2013, le Québec comptait 237 médecins par
100 000 habitants, comparativement à 220 pour
l’ensemble du Canada et 209 pour l’Ontario8.
Tant en médecine qu’en soins infirmiers, la spécialisation
et la surspécialisation se sont accrues. La plupart des
spécialités médicales ont développé des surspécialités.
Même la médecine générale et la médecine de famille
ont développé des créneaux spécifiques de pratique.
Les soins infirmiers ont vu se développer l’infirmière
clinicienne spécialisée et l’infirmière praticienne spécialisée. Quant au personnel technique, il a dû s’adapter à
l’utilisation de technologies sophistiquées.
En corollaire, la complexité des besoins des patients
et la spécialisation du personnel soignant requièrent
de plus en plus d’interdisciplinarité.
En résumé, de nouvelles connaissances, des
développements technologiques continus
et la spécialisation plus poussée des professionnels de la santé continueront d’avoir un
effet majeur sur l’offre de soins, notamment
sur le volume et la complexité des activités
cliniques offertes aux patients.
C. CROISSANCE
CONSTANTE DES
DÉPENSES DE SANTÉ
ET PRESSIONS
POUR UNE MAÎTRISE
DE CETTE CROISSANCE
| Un taux de croissance
des dépenses élevé
L’augmentation continue tant de la demande que de
l’offre de soins et de services se traduit par une utilisation accrue des ressources et, conséquemment,
par une augmentation des dépenses.
L’enjeu du financement des systèmes de santé par rapport à la croissance des dépenses est un enjeu critique
dans tout le monde occidental. Les payeurs, qu’ils soient
publics comme les gouvernements ou privés comme
les compagnies d’assurance, font face au même défi :
trouver un équilibre entre l’accès, la qualité et les coûts.
Au Québec, la situation est inquiétante. En 20152016, les dépenses en santé et services sociaux
seront de 32,9 milliards de dollars, soit 49,4 % des
dépenses de programmes du gouvernement. C’est
une proportion élevée qui a été croissante d’année
en année jusqu’à aujourd’hui.
Entre 2000-2001 et 2013-2014, les dépenses du
Québec dans le programme Services de santé et
Services sociaux sont passées de 16,1 G $ à 31,2 G $,
soit une croissance annuelle moyenne de 7,2 %. Les
dépenses des établissement de santé et de services
sociaux sont passées de 9,8 G $ à 16,8 G $, soit une
croissance annuelle moyenne de 5,58 %. En comparaison, les dépenses de la RAMQ pour les services
médicaux9 sont passées de 2,5 G $ à 6,1 G $, pour une
croissance annuelle moyenne de 11,2 %, et les dépenses des services pharmaceutiques et pour des
médicaments10 sont passées de 1,2 G $ à 2,4 G $, pour
une croissance annuelle moyenne de 7,9 %11.
Le taux de croissance des dépenses en services
médicaux et services pharmaceutiques et médicaments a donc été beaucoup plus élevé que celui des
établissements de santé et services sociaux au cours
de ces 13 années.
6
Dans son budget 2015-2016, le gouvernement du
Québec a annoncé que le taux de croissance des dépenses de programme en santé et services sociaux ne
serait que de 1,4 % par rapport à 2014-2015 et qu’il ne
serait que de 1,9 % en 2016-2017. Dans les faits, c’est
une contrainte majeure par rapport aux années précédentes. Comme une grande partie de la croissance des
dépenses en services médicaux et en services pharmaceutiques et des médicaments relève de la dynamique
de l’offre et de la demande entre le médecin et son patient, elle est difficilement compressible dans l’état actuel de notre système de santé.
Il faut donc anticiper qu’un taux de croissance de
1,4 % et de 1,9 % des dépenses de programme en santé
et services sociaux affectera considérablement les
établissements. Il est à noter que l’AQESSS, dans ses
représentations prébudgétaires 2014-2015, évaluait
à 4,4 % le taux d’augmentation requis pour atteindre
l’équilibre budgétaire en 2014-2015. L’AQESSS disait
alors que « cette somme est essentielle, notamment
pour couvrir l’indexation de la masse salariale et
l’augmentation des coûts de systèmes spécifiques
(médicaments, fournitures médicales)12 ».
Par ailleurs, un scénario de projections inquiétant a
été élaboré en 2013 par une équipe d’économistes de
l’Université Laval, en association avec le Centre
interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). En projetant les effets de la croissance de la population, du vieillissement, de l’immigration et des coûts structurels des soins de santé,
les auteurs anticipent que les dépenses publiques
en santé pourraient atteindre 68,9 % des revenus totaux du gouvernement du Québec en 2030.
La plus grande proportion de la croissance serait
attribuable aux coûts structurels des soins de santé. Selon les auteurs, « il faudrait sous ce scénario
augmenter de 60 % tous les impôts et toutes les
taxes du gouvernement du Québec, et ce, tout en
supposant que l’assiette fiscale n’en soit pas affectée13 ». Bien que certaines hypothèses de l’étude
puissent prêter à interprétation, le message est clair :
si rien ne change, la pression de la croissance des
dépenses compromettra la viabilité de notre système de santé.
| Des pressions de plus en
plus fortes pour maîtriser
la croissance
Les payeurs, publics ou privés, ont mis en place depuis
plusieurs décennies diverses stratégies pour freiner la
croissance des coûts, avec plus ou moins de succès.
Pour un gouvernement, la stratégie la plus simple, la
plus efficace à court terme et la plus facile à expliquer aux contribuables est la compression paramétrique du budget des établissements de santé. C’est
la stratégie utilisée par le gouvernement du Québec
depuis de nombreuses années : le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ampute le budget
d’un établissement de tel montant ou de tel pourcentage du budget annuel. L’établissement n’a le choix
que de tenter d’atteindre l’équilibre budgétaire, peu
importent les moyens. Ce qui intéresse le payeur,
c’est de réaliser les économies. C’est la principale
stratégie utilisée encore aujourd’hui au Québec par
le Conseil du trésor et le MSSS.
La deuxième stratégie utilisée un peu partout est le
regroupement/la fusion d’établissements avec l’intention
d’améliorer la coordination et l’intégration des services,
de réduire les fonctions administratives et la bureaucratie afin de réaliser des économies d’échelle. Au Québec
et au Canada, cette stratégie a été populaire au cours
des 15 dernières années, mais elle n’a pas apporté les
résultats escomptés en matière d’amélioration des
services et de maîtrise de la croissance des dépenses.
Encore aujourd’hui, c’est la stratégie utilisée par le gouvernement avec l’adoption du projet de loi 10 et la création des centres intégrés de santé et de services sociaux
(CISSS) et des centres intégrés universitaires de santé
et de services sociaux (CIUSSS), qui a fait passer le
nombre d’établissements de 182 à 34.
Devant le peu de résultats probants des deux premières
stratégies, la compression budgétaire paramétrique et
la réforme de structure, les chercheurs et les analystes
ont orienté leurs efforts sur l’analyse de l’efficacité et de
l’efficience des activités cliniques et de gestion.
La troisième stratégie, inspirée des entreprises manufacturières, est apparue dans le secteur de la santé,
vers la fin des années 1990, aux États-Unis. Il s’agit de
l’optimisation des processus, que l’on connaît sous le
nom de Lean Management. Cette stratégie est inspirée de Toyota, de Six-Sigma et de Motorola. Le Lean
Management vise à améliorer l’efficience des organisations en éliminant tout ce qui est sans valeur (gaspillage – waste) dans les processus de travail et dans
son organisation. Au Québec, l’approche Lean a pris
7
de l’essor avec l’arrivée au pouvoir des libéraux qui
en ont fait la promotion active pendant son mandat
ministériel. Cependant, il n’y a pas eu de généralisation et de suivi de cette approche. Certains établissements l’ont appliquée à certaines activités et d’autres
l’ont ignorée. Et le ministre suivant, dans un gouvernement du Parti québécois, n’en a pas fait une priorité.
La quatrième stratégie vient compléter la troisième.
Il est important d’optimiser les processus, d’en éliminer les activités sans valeur et de réaménager
l’organisation du travail. Bref, il faut s’assurer que l’on
fait bien la chose. Mais, est-on assurés que l’on fait
la bonne chose? Cette quatrième stratégie met l’accent sur la pertinence des activités cliniques et de
gestion. Elle découle des travaux de recherche du
Dartmouth Institute for Health Policy and Clinical
Practice14. Depuis plus de 30 ans, les chercheurs de
cet institut analysent les variations injustifiées dans
les pratiques cliniques aux États-Unis. Ces chercheurs
ont influencé le développement de la recherche sur
l’efficacité comparative des pratiques cliniques. Ils
ont inspiré le mouvement Choosing Wisely (Choisir
avec soin) et ont fait partie des principaux experts
consultés lors de la réforme de 2010 du président
américain Barack Obama (Obamacare).
En décembre 2012, la revue Health Affairs a publié
un Health Policy Brief sur l’importance du gaspillage
dans les soins de santé aux États-Unis15. Plusieurs
sources sont citées. Selon le Dartmouth Institute,
30 % des soins offerts aux patients du programme
Medicare auraient pu être évités sans effet négatif
sur l’état de santé des patients tout en économisant
environ 700 G$. Une étude du Centers for Medicare
and Medicaid Services estimait que cinq catégories
de gaspillage consommaient entre 18 % et 37 % des
dépenses totales de santé aux États-Unis. De même,
l’Institute of Medicine rapportait que 690 G$ étaient
gaspillés annuellement dans les soins de santé américains, excluant les fraudes. Les cinq grandes catégories de gaspillage sont :
les défaillances dans la prestation des soins;
les défaillances dans la coordination des soins;
le « surtraitement »;
la complexité administrative;
l’inflation des prix.
L’AMQ a cité cet article dans son dossier du 8 avril
2013, intitulé Optimisation de la pratique clinique :
Mieux choisir. Les quelques études canadiennes sur
ce sujet estiment que le pourcentage de gaspillage
dans notre système de santé est probablement un
peu moins élevé, mais tout de même important.
L’analyse pertinente des variations de pratiques
cliniques requiert des bases de données intégrées
valides et fiables, ce dont nous ne disposons pas
présentement au Québec.
Une dernière stratégie, le Value-Based Health Care
Delivery, encore en émergence aux États-Unis et
en Europe, a été mise de l’avant par le professeur
Michael E. Porter de l’Université Harvard16. Pour Porter
et ses collègues, l’unité de mesure de base devrait être
« la valeur pour le patient », soit le rapport entre 1 : les
résultats cliniques, définis par le patient et mesurés
en fonction de l’état du patient sur la durée totale de
l’épisode de soins et 2 : les coûts de production des
résultats, mesurés en fonction de l’état du patient sur la
durée totale de l’épisode de soins. Une telle approche
nécessite un changement majeur de paradigme. Voici
les principales exigences de cette approche :
Une organisation des soins et des services autour
d’unités de pratique intégrée (Integrated Practice
Units) regroupant des patients ayant des conditions médicales semblables ou étroitement liées;
Une équipe de travail interdisciplinaire codirigée par
un médecin-chef d’équipe et un gestionnaire de soins,
les partenaires de l’équipe étant responsables de tout
l’épisode de soins et acceptant d’être conjointement
imputables pour les résultats et les coûts;
La mesure des résultats de l’épisode de soins sur
l’état de santé du patient (degré de rétablissement,
complications, impact sur la qualité de vie, etc.);
La mesure des coûts pour chaque patient, c’est-àdire les dépenses réelles encourues pendant toute
la durée de l’épisode de soins du patient;
L’intégration clinique des soins et services en fonction des besoins du patient; le réseau de soins et
services intégrés de la maison au CHU; l’intégration
première, deuxième et troisième ligne; l’intégration
prévention – soins – organismes communautaires;
l’intégration clinique ajoute de la « valeur » pour les
patients, les cliniciens et le système de santé;
Un paiement à forfait (bundled payment) comme
mode de remboursement, pour l’ensemble de l’épisode de soins (ambulatoire, hospitalisation, réadaptation, suivi), récompensant ceux qui offrent
les meilleurs résultats aux meilleurs coûts;
Une utilisation des technologies de l’information
qui soutiennent la transformation de la prestation
des soins et qui permettent de mesurer les résultats sur l’état de santé du patient et les coûts réels
pour chaque patient, sur tout l’épisode de soins.
Plusieurs régions des États-Unis, de la Suède et de
l’Allemagne s’orientent dans cette direction.
Ces troisième, quatrième et cinquième stratégies ont
servi de cadre à la réforme du président américain
Barack Obama. The Patient Protection and Affordable Care Act, voté et promulgué en mars 2010 et
communément appelé le Obamacare, est principalement connu parce qu’il donnait le mandat d’étendre
la couverture d’assurance maladie à plus de 30 millions d’Américains au cours de la prochaine décénnie.
8
Toutefois, son objectif moins connu et beaucoup plus
ambitieux est la transformation du « modèle d’affaires » de la médecine américaine . La loi comprend
45 mesures qui vont changer la façon dont les médecins prodigueront les soins à leurs patients. Ces
mesures, qui sont en voie d’être implantées, feront
passer la prestation des soins de santé d’un système
qui rémunérait le « volume » vers un système qui
rémunérera la « valeur ». L’intention du législateur américain est de récompenser les prestataires qui offrent
des soins à la fois plus efficaces et moins coûteux.
Le signal le plus puissant donné à l’industrie américaine des soins de santé est que le payeur le plus
important, le gouvernement fédéral américain,
adoptera cette orientation via son programme
Medicare pour les personnes âgées. Dorénavant,
le programme Medicare favorisera les Accountable
Care Organizations (ACOs), créées par le Obamacare. Les ACOs sont des regroupements volontaires
de médecins, hôpitaux, autres fournisseurs de soins,
assureurs qui s’entendent pour travailler en collaboration afin de fournir des soins coordonnés de haute
qualité à une population donnée, et ce, au meilleur
prix possible. Comme incitatif, Medicare s’engage à
partager les économies réalisées avec les ACOs. Les
ACOs acceptent d’être collectivement imputables à
la fois pour la qualité des soins et pour les coûts18.
Les compagnies d’assurance et les Health Maintenance Organizations (HMO) ont reçu le signal et se
préparent à aller de l’avant.
Ce changement de cap aux États-Unis remet en
question les modes traditionnels de budgétisation
des établissements de santé et de rémunération
des médecins.
De plus en plus, les hôpitaux américains
seront payés en fonction d’un épisode complet de soins. Quant à la rémunération des
médecins, le mode paiement à l’acte est
déjà en diminution. En mars 2013, la première recommandation du The National
Commission on Physician Payment Reform,
aux États-Unis, se lisait comme suit : « Over
time, payers should largely eliminate standalone fee-for-service payment to medical
practices because of its inherent inefficiencies and problematic financial incentives.19 »
Il est encore trop tôt pour connaître les
effets de ces dernières stratégies, mais il
est clair que ce mouvement est en marche.
Du côté de l’Europe, la plupart des pays ont procédé
à des réformes en utilisant ces stratégies au cours
des dernières décennies. Le Royaume-Uni, la Suède
et le Danemark sont les pays sur lesquels la littérature scientifique a été la plus abondante.
Au Royaume-Uni, les réformes du National Health
Service (NHS) se sont succédé au cours des années.
La plus récente est la plus à risque20. Elle est survenue à la suite des scandales dans des hôpitaux du
NHS, dans un contexte d’austérité budgétaire. Elle
a provoqué une réorganisation et une centralisation
majeure de l’administration du NHS et de ses organismes de gouvernance. C’est une approche centralisatrice où les décisions ont été imposées par le gouvernement. Il y a eu une réduction annuelle du budget
du NHS de plus de 1 % pendant trois ans. L’augmentation de la productivité a été obtenue surtout en
réduisant les salaires et les honoraires des employés
et des professionnels de la santé ainsi qu’en fusionnant des établissements et en fermant des hôpitaux.
Sur le plan de l’organisation des services médicaux,
les anciens Primary Care Trusts ont été remplacés
par les Clinical Commissioning Groups (CCG), dirigés par des groupes d’omnipraticiens qui jouent le
rôle de gatekeepers et d’acheteurs de services hospitaliers et de première ligne pour des populations
définies et qui en gèrent le budget. Les résultats
sont mitigés. Certains CCG ont eu des difficultés à
gérer le budget parce qu’ils n’avaient pas la compétence de gestion requise. Il y a eu des accusations
de conflits d’intérêts visant les omnipraticiens par
rapport aux médecins spécialistes. Les CCG ont eu
beaucoup de difficultés à changer les règles du jeu
du NHS même s’ils en avaient le mandat. Les résistances ont été fortes. Enfin, après trois ans, il semble
que les CCG s’orientent vers une forme de contractualisation avec les prestataires de soins, basée sur
l’atteinte de résultats (outcomes). Il faudra améliorer
la qualité des données clinico-administratives et des
systèmes d’information pour être capable d’évaluer
les résultats de façon adéquate.
La Suède et le Danemark ont des systèmes de santé
historiquement décentralisés au niveau des régions ou
des comtés. Depuis quelque 10 ans, chaque pays essaie de trouver un équilibre entre décentralisation et
centralisation. À la différence du Royaume-Uni, qui a
une approche de réformes top down, la Suède et le
Danemark ont toujours engagé les pouvoirs locaux
dans leurs réformes. Ils y ont aussi intégré les médecins. D’un côté, il y a eu une plus grande centralisation
des soins hospitaliers surspécialisés pour renforcer
les masses critiques d’expertise. De l’autre côté, on a
maintenu une approche décentralisée, flexible, pour
l’organisation des soins et services de première ligne.
D’autres activités ont été centralisées pour permettre
9
le développement de standards cliniques et le développement de systèmes d’information cliniques et administratifs cohérents. Les efforts ont alors été mis sur
l’analyse comparative de l’efficacité et de l’efficience
des activités cliniques et de gestion, tant en première
ligne qu’en services spécialisés et surspécialisés. Ce
sont aussi deux pays où les médecins assument un leadership médical et travaillent en collaboration
avec les décideurs. Dès l’internat et la résidence en
médecine, les médecins sont sensibilisés à leur rôle
de partenaires dans la gestion du système de santé.
Au Danemark, l’Association médicale danoise a pris
les devants et a affirmé son leadership en gestion
en se présentant, de façon positive, comme le partenaire essentiel du gouvernement dans la gestion du
système de santé. Il faut cependant réaliser que, tant
en Suède qu’au Danemark, les modes de rémunération des médecins facilitent leur engagement dans
des fonctions de gestion. De plus, les deux pays ont
des systèmes d’information clinique parmi les plus
efficaces et les mieux intégrés des pays occidentaux
et utilisés par tous les médecins.
Les stratégies précitées s’adressent à la partie « offre »
de l’équation. Peu de stratégies récentes sont en lien
avec la partie « demande ». Certains systèmes de santé tentent de contrôler la croissance de la demande
en rationnant l’accès aux services, soit par un ticket
modérateur significatif ou encore par la création de
goulots d’étranglement de l’accès, comme des listes
d’attente. Les études ont démontré que ces stratégies n’atteignent pas les résultats anticipés sur le plan
économique et posent généralement des problèmes
de qualité des services et, dans certains cas, des problèmes sur le plan éthique.
L’action préventive sur les déterminants de la santé, selon une approche populationnelle, est reconnue
comme étant porteuse de résultats. On l’a constaté
avec les résultats des campagnes antitabac basées sur
l’état de santé de la population. De plus en plus de systèmes de santé, par exemple Kaiser Permanente, Mayo
Clinic ou Geisinger Health System, intègrent des activités de prévention et de promotion de la santé dans
leur offre de services et font des analyses épidémiologiques de leur population d’assurés. Au Canada, ces
activités de prévention et de promotion de la santé
sont surtout la responsabilité des départements de
santé publique. Sur le plan économique, il est reconnu
que le potentiel d’économie de cette stratégie se réalisera à moyen et à long termes.
Une autre stratégie axée sur la « demande » consiste à
responsabiliser le patient dans la gestion proactive de
son état de santé. Au Québec, les initiatives autour du
patient partenaire vont dans cette direction. Cette stratégie est surtout appliquée, au Canada et aux États-Unis,
dans la prévention et la gestion des maladies chroniques,
où on parle de cogestion et d’autogestion de sa maladie. Kaiser Permanente, par exemple, a développé un
programme qui donne d’excellents résultats en matière
de réduction des visites à l’urgence et de réduction des
hospitalisations, entre autres pour les patients avec des
maladies cardiovasculaires. Ce programme vise à partager l’information avec le patient, à l’engager activement
dans les décisions diagnostiques et thérapeutiques, à
évaluer avec lui les avantages et les risques, à lui fournir
des outils pour mieux gérer son état de santé, en travaillant étroitement avec la famille et la communauté et en
restant en contact avec lui à travers un système d’information et de télécommunication très convivial.
En résumé, si rien ne change, la croissance continue des dépenses de santé au
Québec risque de compromettre la viabilité de notre système public de santé.
Des coupures paramétriques ne font
qu’amplifier le risque et des réformes
de structure seules donnent peu de résultats. Par ailleurs, il est de plus en plus
reconnu qu’il y a assez d’argent dans
nos systèmes de santé, tant au Québec
qu’au Canada. « More is not necessarily better ». La marge de manœuvre
réelle, à court et à moyen termes, réside
dans la transformation des pratiques
cliniques et des pratiques de gestion
clinique. Cette transformation passera
par un travail d’équipe interdisciplinaire.
Elle passera par l’instauration de modes
de budgétisation et de rémunération qui
favorisent les résultats des interventions
sur l’état de santé, la pertinence et la qualité des activités cliniques ainsi que l’efficience des processus. Elle passera finalement par un processus d’évaluation des
services et une demande accrue d’imputabilité en matière de résultats atteints
et d’utilisation des services. À plus long
terme, une meilleure responsabilisation
des patients quant à leur maladie et à
leur état de santé ainsi que des interventions individuelles et populationnelles
sur les déterminants de la santé ont un
grand potentiel de transformation des
systèmes de santé. Mais, pour y arriver,
il faudra un leadership médical fort qui
acceptera d’agir comme codécideur.
10
LA PROFESSION
MÉDICALE DANS
UN SYSTÈME
EN TENSION
gamme complète de services médicaux et hospitaliers sans que la capacité de payer, le lieu de résidence, la classe sociale, etc., puissent exclure
quelqu’un. Au départ, le rôle de l’État est de fournir les ressources pour que la médecine scientifique
puisse soigner et améliorer la santé de la population.
Les organismes payeurs, comme la RAMQ, ont pour
principale fonction de payer les services fournis. Peu
de régulation technocratique n’est prévue. C’est la
prépondérance de la logique professionnelle.
| Quatre logiques
de régulation en tension
Mais, rapidement, l’État commence à s’inquiéter du
taux de croissance des dépenses de sa mission santé
et de l’effet de cette croissance sur les autres missions
du gouvernement. C’est l’entrée de la logique technocratique de régulation et, au Québec, du rôle accru
du Conseil du trésor dans l’allocation des ressources
financières publiques au système de santé. « La
priorité n’est plus d’offrir la plus grande quantité de
services possible, mais plutôt de trouver un équilibre
acceptable entre la quantité, les coûts et la qualité
des services. Le contrôle des dépenses, la rationalisation et l’efficience deviennent des mots clés dans le
discours sur le système de santé.22 » C’est l’alliance de
la logique technocratique et de la logique politique
qui prend le dessus sur la logique professionnelle.
Dans cet environnement en profonde mutation, les systèmes de santé et la profession médicale font partout
dans le monde occidental l’objet de tentatives de régulation de plus en plus importantes. Cette régulation
« est en permanence la conséquence de la tension qui
existe entre quatre logiques de régulation : la logique
du marché, la logique professionnelle, la logique technocratique et la logique politique21 ».
Ces logiques de régulation correspondent à la rationalité de quatre groupes d’acteurs qui ont des
intérêts différents :
la logique du marché : la population;
la logique professionnelle : les professionnels et les
organisations pour lesquelles elles travaillent;
la logique technocratique : les organismes payeurs
et l’appareil gouvernemental;
la logique politique : l’État.
Avant l’arrivée des programmes d’assurance hospitalisation et d’assurance maladie, les soins de santé
étaient le résultat d’une relation entre un patient et
son médecin dans la logique du marché. Les hôpitaux et autres établissements de santé étaient la
propriété de communautés religieuses ou d’organismes de charité qui mettaient leur organisation au
service des médecins et des autres professionnels.
En même temps qu’ont eu lieu, dans les années
d’après-guerre, les progrès scientifiques de la méde­
cine et le développement de technologies complexes
de diagnostic et de traitement, le droit à la santé
est apparu. Sous la pression de leur population, les
gouvernements occidentaux ont introduit des programmes d’assurance maladie et de sécurité sociale.
Au Canada, le gouvernement fédéral a introduit
l’assurance hospitalisation en 1957 et l’assurance
maladie en 1966. Le Québec a été la dernière
province à y adhérer, en 1961 pour l’assurance hospitalisation et en 1971 pour l’assurance maladie. Le
but du programme d’assurance maladie canadien
et québécois est d’offrir à toute la population une
Parallèlement, de nouvelles connaissances remettent
en question l’importance qu’on accorde à la méde­
cine scientifique et aux services curatifs de santé dans le développement de l’état de santé d’une
popu­lation. Au Canada, c’est le rapport Lalonde23 qui
présente une nouvelle perspective de la santé : l’état
de santé d’une personne et d’une population est le
résultat de quatre grands déterminants : les prédispositions biologiques de l’individu, les habitudes et
modes de vie de la population ainsi que l’environnement et les services de santé, ces derniers n’étant pas
les plus importants. Ce nouveau paradigme reconnaît l’importance de la prévention et de la promotion
de la santé ainsi que celle des ministères autres que
la santé comme contributeurs à l’état de santé de la
population (ex. : éducation, emploi, environnement,
etc.). Il révèle que des déterminants majeurs de l’état
de santé d’une population se trouvent à l’extérieur
du système de soins. L’État du Québec doit non seulement essayer de maîtriser la croissance des coûts
du système de soins, mais aussi assurer une répartition équitable des fonds publics entre le MSSS et les
autres ministères qui ont des conséquences sur les
autres déterminants de la santé.
Cette évolution des logiques de régulation a engendré
un environnement complexe où les logiques professionnelle, technocratique et politique se confrontent
et s’annulent, et où aucun groupe d’acteurs ne peut
prétendre avoir le monopole de la régulation des
systèmes de santé. Cette confrontation place les
11
systèmes de santé dans une position de plus en plus
inconfortable, victimes de la tension entre les divers
groupes d’intérêt et les groupes de pression. En ce
qui a trait aux insatisfactions de la population, la logique du marché tend à remonter à la surface pour
proposer son mode de régulation.
De plus, au Québec, cette tension est amplifiée par
le fait que les grands acteurs principaux, soit l’État,
l’appa­reil gouvernemental et les professionnels ont
peu évolué dans leurs efforts pour proposer des solutions de rechange au statu quo. Comme on l’a vu plus
haut, l’État et l’appareil gouvernemental ont centré
leurs efforts de régulation sur les coupes budgétaires
paramétriques et les réformes de structure. De leur
côté, les professionnels ont recouru aux stratégies
syndicales de confrontation pour défendre leurs intérêts et imposer leur logique professionnelle de régulation. Ce fut le cas des grands syndicats d’employés
et des deux syndicats de médecins, la FMOQ et la
FMSQ. Dans ce contexte de rapports de force et de
négociations centralisées, il y a peu d’espace à l’innovation. On défend le statu quo et l’impasse subsiste.
| Les projets de loi 10 et 20
Les projets de loi du gouvernement viennent encore
plus cristalliser ce rapport de forces. L’adoption du
projet de loi 10 a entraîné la fusion de 182 établissements en 34, dont 13 CISSS et 9 CIUSS. Les membres
des conseils d’administration, les PDG et les PDG
adjoints sont nommés par le ministre. Disparaissent
l’AQESSS24 et l’Association des directeurs généraux
des services de santé et de services sociaux du Québec (ADGSSSQ)25. Il s’agit d’une centralisation des
pouvoirs dans les mains de l’État et de son représentant, le ministre de la Santé et des Services sociaux.
L’État prend le contrôle direct de la gouvernance
et de la gestion des organisations de services. La
logique politique devient la logique de régulation
dominante et elle absorbe la logique technocratique.
Avec le projet de loi 20, l’État et son ministre tentent
de changer les règles du jeu des négociations entre
le gouvernement et les fédérations médicales. La
confrontation entre la logique politique et la logique
professionnelle prend de l’ampleur, d’autant plus
que le tenant de la logique politique était, jusqu’à
l’élection du gouvernement actuel, le champion de la logique professionnelle. Les négociations avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ)
débouchent sur une entente, mais le ministre refuse
de retirer le projet de loi 20. Si les membres de la
FMOQ ne livrent pas les résultats attendus entre
2015 et 2017, le ministre se réserve le droit d’intervenir de jure.
Il y a donc cristallisation du rapport de force entre la
profession médicale, le ministre et le gouvernement,
à l’avantage de ces derniers. Par ailleurs, dans ce débat, la position monopolistique des deux fédérations
médicales a laissé très peu de place aux enjeux de la
profession médicale autres que l’enjeu de la rémunération et celui du contrôle de la productivité des médecins en matière de volume de patients ou d’actes.
| Les effets sur le public
Lors des négociations de 2007, dites de rattrapage
avec la moyenne canadienne, les fédérations médicales ont obtenu une augmentation de rémunération de loin supérieure à l’inflation et à la croissance
moyenne des salaires de la population québécoise.
Cette croissance des revenus, négociée en toute léga­
lité, avait suscité des commentaires négatifs dans
la population, mais sans plus. Entre 2010 et 2014,
plusieurs chercheurs et journalistes publient des
articles sur la baisse de la productivité médicale. Après
étude des rapports annuels de la RAMQ, ils constatent
que l’augmentation de la rémunération moyenne des
médecins s’accompagne d’une baisse du nombre
d’actes. Dans la population, ça se traduit par « On paie
plus cher pour moins de services et on n’a pas plus
accès aux services qu’avant. » En mars 2015, le gouvernement confirme ce constat : deux études du ministère confirment que l’offre de service a diminué, tant
chez les omnipraticiens que chez les spécialistes. Les
médias traditionnels et les médias sociaux font largement écho de ce constat confirmé par le ministre.
Dans le contexte québécois actuel, le principal enjeu
de la profession médicale est de garder la confiance
de la population. Cette confiance est le socle du
contrat implicite entre la profession médicale et la
société québécoise. Cela dit, comment éviter le point
de rupture si la profession médicale n’arrive plus à
s’autoréguler de façon à répondre aux attentes légitimes de la population du Québec?
12
Les réactions dans les médias et le sondage Léger d’avril 2015 commandé par l’AMQ indiquent que,
même si la population du Québec fait globalement encore confiance à la profession médicale, des tensions apparaissent en lien avec les points suivants :
Les séquelles des dernières négociations, qui ont porté essentiellement sur le rattrapage de rémunération par rapport à la moyenne canadienne, donc sur l’argent;
La poursuite des problèmes d’accessibilité aux soins, même après la négociation d’une augmentation
substantielle d’honoraires;
La perception que les privilèges des médecins sont trop importants par rapport à leurs obligations;
Le désir des patients d’être plus engagés dans les décisions liées à leur santé;
La perception que les médecins sont fermés à d’éventuels changements concernant la pratique
de la médecine et leur place dans le système de santé;
La perception que les médecins sont fermés à l’idée de travailler avec les autres professionnels
de la santé comme les infirmières et les pharmaciens pour améliorer l’accès aux soins;
La perception (un tiers de la population) que la profession médicale ne s’autodiscipline pas correctement, c’est-à-dire que l’évaluation et le contrôle du travail des médecins pour garantir la qualité de la
médecine offerte au public ne sont pas adéquats.
DES ENJEUX
POUR
LA PROFESSION
MÉDICALE
AU QUÉBEC
Dans le contexte québécois actuel, le principal enjeu
de la profession médicale est de garder la confiance
de la population. Cette confiance est le socle du
contrat implicite entre la profession médicale et la
société québécoise. Cela dit, comment éviter le point
de rupture si la profession médicale n’arrive plus
à s’autoréguler de façon à répondre aux attentes
légitimes de la population du Québec?
Il y a d’autres enjeux complémentaires :
Comment concilier des objectifs sociétaux parfaitement légitimes, mais potentiellement conflictuels, soit l’accessibilité à des soins et des services
de qualité et la maîtrise des dépenses de santé?
Comment acquérir, dans les débats sociaux et poli­
tiques autour de cette question, une voix professionnelle forte, légitime et crédible, qui se différencie
de la voix des fédérations médicales? Quelles devraient être les nouvelles bases d’une logique professionnelle de régulation?
Quelles devraient être les valeurs sous-tendant
cette logique professionnelle différente et quels en
seraient les thèmes privilégiés?
L’autorégulation de la profession médicale est-elle
encore possible dans le contexte actuel de centralisation politique, où la productivité médicale est
remise en question?
Comment le médecin peut-il contribuer positivement, sur une base individuelle et collective, à
l’évolution du professionnalisme médical et de la
gouvernance clinique au Québec?
13
LE PROFESSIONNALISME MÉDICAL
ET LA GOUVERNANCE CLINIQUE
AILLEURS DANS LE MONDE
On peut observer l’évolution du rôle et de l’influence
de la profession médicale au sein de la société et au
sein des systèmes de santé en regardant l’évolution
du professionnalisme médical et celle de la gouvernance clinique.
| Évolution du professionnalisme
médical
En préparation de son 17e congrès en avril dernier,
l’AMQ a publié un document de prise de position
intitulé La profession médicale : vers un nouveau
contrat social – Document de réflexion26. S’appuyant
largement sur les travaux réalisés par les professeurs
Dr Richard L. Cruess et Dre Sylvia R. Cruess, le docu­
ment de réflexion décrit bien l’évolution du professionnalisme médical à la suite des changements
importants survenus dans la société et dans l’environnement des systèmes de santé. Il identifie aussi
les questions d’intérêt que cette évolution soulève.
Parallèlement, The Journal of the American Medical
Association (JAMA) publiait un numéro spécial de sa
revue sous le thème Professionalism and Governance27,
le 12 mai dernier. Vingt-deux articles traitaient de professionnalisme médical et de gouvernance clinique
dans le contexte, entre autres, du déploiement de la
réforme du système de santé du président Barack
Obama (Obamacare) aux États-Unis.
Historiquement, le professionnalisme médical était
conceptualisé en fonction du rôle de soignant exercé par le médecin dans la relation médecin-patient.
Comme le souligne le résumé du document de réflexion de l’AMQ, « Les transformations de l’environnement médical […] ont modifié les dynamiques
professionnelles modernes. Plus précisément, ce
sont les termes du contrat social qui ont évolué. Ce
contrat, qualifié de contrat implicite, suppose une
entente entre la communauté médicale et la société.
À l’instar de toute entente officielle, ce contrat
confère droits et obligations à ses parties prenantes.
Bien que le concept de contrat social puisse être
appliqué à l’échelle de la société en général, il est
possible d’en comprendre les termes à une échelle
plus individuelle. Ainsi, les termes de cet engagement moral s’appliquent tant au niveau de la relation
communauté médicale-société qu’au niveau de la
relation médecin-patient.
Ce sont les mêmes obligations et les mêmes privilèges qui guident la prestation de soins et de services, peu importe le niveau relationnel considéré.28 »
Le professionnalisme médical a dû être repensé pour
tenir compte de l’évolution des termes du contrat
social avec la population. Comme le souligne le document de réflexion de l’AMQ, « l’exercice de la profession médicale suppose que le médecin n’est pas
seulement un soignant, mais aussi un professionnel.
Ce sont des rôles à la fois distincts et complémentaires. Il s’agit d’un équilibre fragile entre deux fonctions qui sont parfois en opposition ».
Selon les termes du contrat social implicite,
comme décrit par les auteurs Cruess et Cruess,
la profession médicale obtient des privilèges
importants qui correspondent à ses attentes.
De son côté, la société manifeste des attentes
envers la profession médicale, attentes qu’elle
souhaite voir respectées. L’annexe 1 présente
le détail de chaque attente.
Les attentes de la profession médicale :
o Autonomie clinique;
o Confiance;
o Monopole;
o Statut social et récompense;
o Autorégulation;
o Fonctionnement du système de santé.
Les attentes de la société :
o Disponibilité du soignant;
o Compétence clinique de pointe;
o Altruisme;
o Moralité et intégrité;
o Promotion de l’intérêt public;
o Transparence;
o Imputabilité.
14
Au Canada, ce n’est que cette année, à son congrès
général de Halifax en août dernier, que l’Association
médicale canadienne (AMC) a lancé une initiative
stratégique en vue d’engager ses membres dans
cette importante conversation sur le professionnalisme médical. Un des éléments déclencheurs fut le
discours prononcé à l’occasion de la collation des
grades du Collège royal des médecins et chirurgiens,
en 2012, par Son Excellence le très honorable David
Johnston, gouverneur général du Canada, qui a tenu
les propos suivants :
« Que se passera-t-il si vous ne respectez pas vos
obligations aux termes du contrat social? Les Canadiens vont changer ce contrat et redéfinir le professionnalisme à votre place. On vous imposera des
règlements et des modifications — fort possiblement d’une manière qui diminuera ou supprimera
votre privilège d’autoréglementation.
L’une des meilleures façons pour vous, et pour n’importe qui d’autre dans toute profession, d’éviter de
se faire imposer des changements consiste à adopter
sans relâche de nouvelles idées, à fixer et à atteindre
avec ténacité des normes rigoureuses et, encore
plus important, à veiller avec passion à ce que votre
profession serve l’intérêt public.29 »
Auparavant, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada avait consacré un chapitre sur la
formation et l’évaluation du professionnalisme médical dans La compétence par conception : une
nouvelle ère de la formation médicale au Canada30,
publié en mars 2014.
Aux États-Unis, la discussion sur l’évolution du
contrat social et le professionnalisme médical a
été le fer de lance de l’American Board of Internal
Medicine (ABIM) et de sa fondation, l’ABIM Foundation, créée en 1989. La mission de l’ABIM Foundation est « to advance the core values of medical
professionalism to promote excellence in health
care ». Sur son site Web, l’ABIM Foundation définit ainsi l’évolution du professionnalisme médical :
«Today’s definition of medical professionalism is
evolving – from autonomy to accountability, from
expert opinion to evidence-based medicine, from selfinterest to teamwork and shared responsibility.»
C’est un changement majeur de paradigme.
En 2002, l’ABIM Foundation a développé la
Charte sur le professionnalisme médical en collaboration avec l’American College of Physicians
(ACP) Foundation et l’European Federation of
Internal Medicine. Cette charte comprend trois
principes fondamentaux :
Principe de la primauté du bien-être du patient;
Principe de l’autonomie du patient;
Principe de la justice sociale.
Elle énonce un ensemble de responsabilités professionnelles, sous forme de 10 engagements :
Engagement envers la compétence professionnelle;
Engagement envers l’honnêteté à l’égard des patients;
Engagement envers la confidentialité des patients;
Engagement envers l’entretien de rapports appropriés avec les patients;
Engagement envers l’amélioration de la qualité
des soins;
Engagement envers l’amélioration de l’accès aux soins;
Engagement envers la juste répartition de ressources limitées;
Engagement envers la connaissance scientifique;
Engagement envers le maintien de la confiance par
la gestion des conflits d’intérêts;
Engagement envers les responsabilités professionnelles.
L’annexe 2 présente le texte complet de la Charte du
professionnalisme médical. Elle illustre bien le changement de paradigme proposé par l’ABIM Foundation.
L’ABIM Foundation a, au cours des dix dernières
années, réalisé des travaux pour promouvoir sa
conception du professionnalisme médical. Elle est
à l’origine du lancement de la campagne Choosing
Wisely (Choisir avec soin) en 2011.
Au Royaume-Uni, c’est une série de scandales impliquant des médecins qui a relancé le débat sur
le professionnalisme médical. Dixon-Woods, Yeung
et Bosk (2011)31 identifient huit cas, à la fin des années 1990 et le début des années 2000, où des
médecins ont été impliqués dans des situations de
mauvaise pratique médicale, de falsification de dossiers, d’ablation de tissus humains et d’organes sans
autorisation, d’agression sexuelle de patients et
même d’accusation de meurtre. Tous ces évènements ont été rendus publics. Les médias les ont
couverts, la population en fut indignée, les politiciens
ont demandé des comptes, des enquêtes furent entreprises, des rapports publiés. Plusieurs rapports
ont critiqué sévèrement le General Medical Council
(GMC) (équivalent du Collège des médecins du Québec) pour le laxisme avec lequel il assurait sa mission
de protection du public. Les pressions de la population et des médias ont forcé le législateur à intervenir. Ce fut la rupture du contrat social implicite entre
la profession médicale et la société du Royaume-Uni,
contrat qui était en cours depuis plus de 150 ans.
En 2003, le Council for Healthcare Regulatory
Excellence fut créé. Il relève du parlement britannique et il doit superviser comment le GMC et les
autres ordres professionnels du domaine de la santé exercent leurs pouvoirs de régulation de la profession. Ce conseil est maintenant connu sous le
nom de Professional Standards Authority for Health
and Social Care.
15
En 2009, ce fut la fin du modèle collégial d’autorégulation du GMC. Précédemment, le GMC était composé
de médecins nommés par les médecins. Aujourd’hui,
les 12 membres du GMC sont nommés par un comité
de nomination indépendant et le GMC est paritaire :
6 membres médecins et 6 membres non-médecins.
Au Royaume-Uni, l’État, les institutions du National
Health Service (NHS) et la société civile sont maintenant beaucoup plus engagés dans le contrôle de la
profession médicale et de ses membres.
Quant à la France, le professionnalisme médical n’est
pas un concept qui semble s’être imposé. D’ailleurs,
dans l’avant-propos du document de réflexion de l’AMQ
Vers un nouveau contrat social, les auteurs indiquent
que le rapport « adopte une position anglo-saxonne
au regard de l’évolution de la profession médicale.
Contrairement à la perspective française qui réfère
au concept de profession pour tout emploi ou occupation qui nécessite une formation spécifique, la
perspective anglo-saxonne suppose qu’une profession est un groupe auto-organisé en associations
professionnelles, qui possède une formation scientifique standardisée, détient des valeurs morales
fortes et a des responsabilités professionnelles,
éthiques et légales réglementées.»
La vision corporative de la profession médicale est
très forte en France. L’Ordre des médecins (équivalent du Collège des médecins du Québec) se présente ainsi sur son site Web : « Être au service des
médecins dans l’intérêt des patients : c’est l’engagement de l’Ordre des médecins. Organisme de droit
privé chargé d’une mission de service public, l’Ordre
défend l’honneur et l’indépendance de la profession
médicale qu’il représente auprès de l’ensemble de
la société française (pouvoirs publics, citoyens…).
C’est la seule institution française qui rassemble et
fédère l’ensemble des médecins, quel soit leur statut,
leur âge, leur mode d’exercice, leur spécialité32… » Le
Conseil national de l’Ordre des médecins a apporté
son soutien aux médecins, internes et étudiants qui
ont manifesté à Paris, le 15 mars 2015, contre le projet de loi de la ministre Marisol Touraine nommé La
loi de santé33.
La profession médicale française est à la fois très
syndiquée, morcelée et sous tension : tensions entre
les spécialistes et les généralistes, tensions entre les
médecins libéraux ou de ville et les médecins hospitaliers, tensions entre les médecins hospitaliers et les
médecins hospitaliers universitaires, tensions entre
les médecins ruraux et les médecins urbains.
La médecine libérale est encore très présente
en France et elle se caractérise par son opposition,
depuis les années 1920, au contrôle de l’État sur la
profession médicale. Pour les médecins libéraux, le
libre choix du médecin et de son patient, la liberté d’installation, la liberté du dépassement d’honoraires et le refus du tiers payant sont, selon le
politologue Patrick Hassenteufel34, des éléments
constitutifs de « l’identité libérale de la médecine
française telle qu’elle a été définie à la fin des années 1920, en lien avec une vision corporative fermée de la profession médicale ». Plusieurs syndicats
médicaux français s’opposent à la généralisation
du tiers-payant que veut imposer La loi de santé,
adoptée en première lecture le 14 avril dernier. Il y a
actuellement des appels à la grève et à la désobéissance civile. Il sera intéressant de suivre l’évolution
de ce dossier et de son effet sur la profession médicale et sur la société française.
À l’opposé, dans les pays scandinaves comme la
Suède et le Danemark, les médecins collaborent avec
les décideurs gestionnaires depuis plus longtemps.
Ces deux pays ont une histoire de collaboration entre
l’État et les groupes sociaux. Les médecins occupent
des postes de gestion dans les organisations locales,
régionales, nationales. Ils ont intégré le rôle de gestionnaire (manager) dans leur définition du professionnalisme médical. Dans le cas du Danemark,
la profession médicale a pris un leadership en ce
domaine dès le milieu des années 1980. Et, aujourd’hui, inspiré par le CanMEDS du Collège royal
des médecins et chirurgiens du Canada, le rôle de
« manager/administrator/organizer » est reconnu
comme un des sept rôles des médecins danois. De
plus, pour ce rôle, comme pour les six autres, ils ont
identifié des compétences à acquérir aux niveaux individuel, organisationnel et sociétal35. Nous reviendrons sur la situation du Danemark dans la prochaine
section sur la gouvernance médicale.
En résumé, les termes du contrat social implicite entre la profession médicale et la société
sont remis en question par l’évolution de l’environnement et celle des attentes des deux
partenaires au contrat. Les manifestations
de cette remise en question varient selon les
pays, mais l’enjeu demeure le même : le lien
de confiance entre la société et la profession
médicale. Pour que cette confiance se maintienne, le concept de professionnalisme médical doit évoluer pour prendre en compte non
seulement la relation médecin-patient (rôle
soignant), mais aussi la relation profession
médicale-organisations de santé, État, société
(rôle de professionnel).
16
| Évolution de la gouvernance clinique
Les mutations dans les systèmes de santé et dans
l’environnement de la pratique médicale ont engendré un niveau élevé de complexité organisationnelle
et d’interdépendance entre les acteurs. Les organisations de santé et les médecins ne peuvent plus
travailler chacun de leur côté sans collaborer. Ça ne
fonctionne plus et, de part et d’autre, les frustrations
sont grandes. La recherche de l’excellence des soins
et de l’efficience dans l’utilisation des ressources
exige que les médecins ainsi que les autres professionnels et les organisations travaillent conjointement à l’amélioration des processus cliniques. Par
exemple, si l’on regarde la trajectoire de soins d’une
personne âgée atteinte de plusieurs maladies chroniques, on constate qu’elle a besoin de soins et de
services prodigués par des professionnels différents
pratiquant probablement dans des organisations
différentes. On parle alors d’interdisciplinarité, de
travail en réseau et d’intersectorialité. Ce contexte
de complexité et d’interdépendance exige un travail
de collaboration et de synergie entre professionnels,
et entre professionnels et organisations.
Depuis les années 1970, au Québec comme ailleurs au
Canada, le leadership médical s’exerce dans les établissements de santé par le conseil de médecins, dentistes
et pharmaciens (CMDP) et ses comités, par les chefs
de département et services et, indirectement, par le
directeur de services professionnels (DSP). Il n’y a
jamais vraiment eu de vision intégrée et de coresponsabilité collective entre le leadership médical et les
gestionnaires des établissements quant à la qualité
des services et aux coûts, d’autant plus que ces tâches
n’étaient ni rémunérées ni valorisées chez les médecins.
Des tentatives de gouvernance clinique ont eu lieu dans
les années 1990 et 2000 pour instaurer une gestion par
programme service ou par programme-clientèle, avec
un cogestionnaire administratif et un cogestionnaire
médical. Cependant, peu d’efforts ont été consacrés
au développement d’une vision intégrée, à la rémunération des médecins pour ces fonctions et à leur formation en leadership et gestion.
Le concept de « clinical governance » est apparu au
Royaume-Uni à la fin des années 90 à la suite du
scandale du Bristol Royal Infirmary qui présentait des
taux anormalement élevés de mortalité en chirurgie
cardiaque pédiatrique. Sous la pression médiatique
et politique, le gouvernement britannique et le NHS
ont introduit, par voie législative, la gouvernance clinique comme « un cadre par lequel les organisations
du NHS sont tenues responsables de l’amélioration
continue de la qualité de leurs services, de la sauvegarde de hautes normes de qualité, et ce, en créant
un environnement propice au développement de
l’excellence clinique36 ». Six éléments étaient associés
à la gouvernance clinique, perçue comme un mouvement d’amélioration continue de la qualité :
Recherche et développement scientifique (médecine fondée sur les données probantes);
Vérification (audit) clinique;
Efficacité clinique – utilisation de guides de pratiques cliniques et de protocoles de soins;
Formation et développement professionnel;
Gestion des risques;
Transparence des processus.
Toutefois, selon une revue de littérature effectuée à
ce sujet par Brault, Roy et Denis37, « diverses raisons
ont rendu difficile l’implantation de la gouvernance
clinique dans les milieux de pratiques. Le discours
rhétorique associé au concept n’explicitait pas les
étapes ni les priorités d’implantation. Le concept est
vague et ses frontières sont difficiles à cerner. Cette
perspective demeure largement normative et les
stratégies d’implantation sont souvent incomprises
et peu accessibles aux praticiens. De plus, peu d’attention a été portée sur les leviers organisationnels
à mobiliser pour faciliter son implantation. » Cette
initiative « top-down » du gouvernement et du NHS
fut perçue par beaucoup de médecins et autres professionnels comme une tentative de contrôle de la
pratique médicale par le gouvernement pour réduire
les coûts. Encore aujourd’hui, les résultats sont mitigés. Bien que des organisations médicales comme le
General Medical Council et le Royal College of Physicians participent activement à l’amélioration de la
gouvernance clinique, sa mise en œuvre est inégale
plus de 15 ans après son annonce.
Selon Brault, Roy et Denis, la gouvernance clinique
nécessite un leadership clinique fort, ce qui a été négligé
dans l’expérience britannique. « Les travaux développés
par les Britanniques portent peu sur le caractère dynamique à développer au sein d’une organisation pour
accroître la qualité des soins et des services. Peu d’attention a été portée sur les leviers organisationnels à
mobiliser pour faciliter l’implantation de la gouvernance
clinique et potentialiser le rôle des professionnels. »
Les auteurs proposent une définition renouvelée de
la gouvernance clinique. Cette définition reconnaît
la dynamique de la « bureaucratie professionnelle »
de Henry Mintzberg qui s’appuie sur l’expérience et
l’expertise des professionnels dans la réalisation de
leurs tâches. La gouvernance clinique renouvelée
« vise à coordonner le travail de professionnels autonomes en situation d’interdépendance dans l’exer­
cice de leurs responsabilités cliniques. Elle inclut la
coordination et l’intégration des soins nécessaires
au soulagement d’une personne souffrante. Les
pratiques cliniques ont pour assise l’exercice d’un
17
professionnalisme de haut niveau caractérisé par
l’exercice d’un jugement responsable et autonome,
et mobilisant de façon critique et compétente les
connaissances scientifiques pour permettre aux
personnes malades d’avoir accès au cours du
temps à des traitements et des soins individualisés
et de qualité. Les pratiques cliniques concernent
l’ensemble des pratiques visant la prise en charge
d’une personne malade en reconnaissant le caractère unique de chaque personne et en admettant
qu’au cœur de la clinique, il y a une incertitude inhérente qui nécessite le jugement professionnel ».
Un peu plus loin, les auteurs ajoutent : « Quant à la gouvernance clinique, elle est l’espace situé entre le système de gestion et le système clinique. Ce nouvel espace de mobilisation des savoirs et des relations inclut
et laisse place à l’émergence d’initiatives managériales
et cliniques favorisant la qualité des soins et services,
l’excellence clinique et la performance du système. Elle
vise à rapprocher le système clinique et le système de
gestion vers l’atteinte de l’excellence. Tous les acteurs
détiennent une autorité de gouvernance. Ceci favorise
leur implication à l’implantation d’initiatives de qualité
et leur confère une imputabilité et une responsabilité
face aux initiatives mises en œuvre. »
À notre avis, les meilleurs exemples de gouvernance clinique et de leadership médical
en Amérique du Nord se trouvent aux ÉtatsUnis dans les organisations suivantes :
aiser Permanente;
K
Mayo Clinic;
Cleveland Clinic;
Geisinger Health System;
Virginia Mason Medical Center;
Intermountain Healthcare.
Ces organisations de santé citées en encadré sont
différentes, mais on y retrouve des caractéristiques
communes qui favorisent la participation et l’engagement des médecins dans l’exercice d’un leadership
clinique et dans la mise en place d’une gouvernance
clinique efficace :
Un groupe organisé de médecins, capable de choisir
des leaders, ayant des capacités de gestion, acceptant d’être imputables collectivement et acceptant que leur performance collective soit
mesurée et évaluée;
Un leadership partagé également entre administrateurs et médecins, basé sur une reconnaissance
de l’interdépendance entre eux;
Une vision claire et cohérente de la mission et des
stratégies, partagée à la fois par les médecins et
les gestionnaires, et à laquelle les deux groupes
participent également;
Une culture forte et des valeurs communes axées
sur la qualité des soins et des services et l’efficience au service de la qualité, et tenant compte
de l’expérience du patient;
Des leaders médicaux qui maintiennent une activité clinique;
Une intégration des niveaux de soins, un travail
d’équipe et une collaboration interdisciplinaire,
puis une coordination de la trajectoire de soins;
Une responsabilité et une imputabilité collectives
des médecins et des administrateurs en matière de
qualité des services et d’utilisation optimale des
ressources;
Un mode de rémunération et des incitatifs qui soutiennent la mission et les objectifs;
Une entente contractuelle formelle ou implicite
avec les médecins qui identifie les objectifs à atteindre, incluant les mesures à prendre en cas de
non-atteinte des objectifs;
La mesure des résultats cliniques, d’efficience et
d’expérience du patient et une évaluation par les
pairs;
Des systèmes d’information qui intègrent les données cliniques, opérationnelles et financières;
Un programme de formation en leadership, du
mentorat et du soutien pour les médecins;
Un plan systématisé de relève pour les leaders médicaux;
Une stabilité de gouvernance et de gestion et une
stratégie d’investissement à long terme.
Ces organisations ont fait figure de pionnières en
matière de gouvernance clinique et de leadership
médical. Elles ont une tradition qui date de plusieurs décennies.
Elles ne sont pas les seules. Dès le milieu des années 1980, le Danemark a mis en place, sans l’appeler ainsi, une gouvernance médicale forte à l’initiative, entre autres, de la profession médicale38.
En 1984, un rapport du gouvernement danois
sur la productivité des hôpitaux recommandait
d’en changer le modèle de gestion qui, jusquelà, fonctionnait en mode de hiérarchies parallèles,
les médecins d’un côté et les administrateurs de
l’autre. Le rapport recommanda la mise en place
d’une « troïka » de gestion comprenant un directeur général, un médecin et une infirmière. L’Asso­
ciation médicale danoise, au lieu de protester et
de résister, a décidé de miser sur cette occasion
pour occuper le champ de la gestion hospitalière
et d’en influencer le développement. À la fin des
années 1980, des médecins chevronnés participaient à la gestion des hôpitaux, obtenaient des
18
postes de directeurs généraux, géraient les budgets, les ressources humaines, l’évaluation de la
qualité des services, s’occupaient de logistique et
de déve­loppement organisationnel. Cette réforme
et le leadership proactif de l’Association médicale
du Danemark ont permis à la profession médicale
de devenir, dans la plupart des équipes, le leader
de la troïka. De plus, au cours des années subséquentes, les médecins ont été engagés dans les
décisions non seulement au sein des hôpitaux,
mais dans l’élaboration des politiques de santé et
dans la planification et l’organisation du système
de santé danois. Depuis 2007, la gestion est reconnue, de façon générale, comme une partie intégrée
du travail médical. La gestion des hôpitaux et des
soins de santé est perçue comme le « territoire naturel » de la médecine. En 1999, 41 % des leaders
médicaux avaient reçu une formation en gestion
d’une à quatre semaines et 34 % avaient reçu une
formation de plus de quatre semaines.
Aux États-Unis, le Obamacare devient une mesure
incitative puissante à la collaboration et à l’intégration médico-administrative pour développer un vrai
partenariat. Le 3 juin dernier, après deux ans de négociations, l’American Medical Association (AMA)
et l’American Hospital Association (AHA) ont rendu
public un document de positionnement intitulé Integrated Leadership for Hospitals and Health Systems:
Principles for Success39. Voici les six principes de
succès proposés conjointement par l’AMA et l’AHA
(traduction libre) :
1.Des leaders médicaux et d’organisations
de santé avec :
des valeurs et des attentes semblables;
des mesures incitatives financières et non financières cohérentes;
des objectifs cohérents dans toute l’organisation et des mesures appropriées;
une responsabilité partagée pour les cibles financières, de coûts et de qualité;
des équipes de soins et de services imputables;
une planification et une gestion stratégiques
partagées;
une vision commune sur l’engagement des patients
comme partenaires de leurs soins.
2.Une structure interdisciplinaire qui soutient la
collaboration entre les médecins et les gestionnaires dans la prise de décisions. Il est important
que les médecins conservent leur autonomie clinique (définie comme mettant la priorité sur les
besoins du patient), nécessaire pour assurer la
qualité des soins au patient, tout en travaillant
en collaboration avec les autres pour prodiguer
des soins efficaces, efficients et pertinents.
3.Un leadership clinique intégré des médecins et
des gestionnaires, incluant les infirmières et les
autres cliniciens, présent à tous les niveaux du
système intégré de santé et leur participation à
toutes les décisions clés de gestion :
des équipes de cliniciens et de gestionnaires
(leadership partagé à tous les niveaux du système de santé intégré);
des équipes imputables collectivement à chacun
et pour chacun, et qui peuvent parler et s’engager au nom de chacun.
4.Un
partenariat de collaboration et de participation basé sur la confiance mutuelle. Cette
compré­hension de l’interdépendance et de la
nécessité de travailler ensemble pour atteindre
le « Triple Aim40 », de meilleurs soins et une meilleure santé à un coût par personne plus bas, est
cruciale dans le domaine de l’alignement stratégique et de l’engagement. Il est important que les
leaders médicaux et de gestion fassent confiance
à la bonne foi et aux compétences de chacun.
5.Un partage ouvert et transparent de l’informa-
tion clinique et de gestion sur tout le continuum
de soins et par toutes les parties dans le but
d’améliorer les soins.
6.Une infrastructure de systèmes d’information cli-
nique qui permet de colliger et de mesurer les indicateurs clés de performance en matière de qua­­
lité clinique et d’efficience, et une imputabilité à
ces mesures dans tout le système.
Cette prise de position conjointe de l’AMA et de l’AHA
est un signal fort quant à la nécessité d’un changement de paradigme dans les relations entre les médecins et les gestionnaires des organisations de santé.
Au Canada, des initiatives intéressantes sont mises en
place, surtout dans les autres provinces. Mais, ce sont
souvent des initiatives isolées qui prêtent peu à la
généralisation. L’ancienne ministre fédérale de la Santé, l’Honorable Monique Bégin, disait en 2009 que le
Canada était un pays de « projets pilotes perpétuels ».
Un projet intéressant est le Taber Integrated Primary
Healthcare Project (TIPHP) dans une région rurale de
l’Alberta. Ce projet a été amorcé dans les années 1990 et
fut mis en place par une entente entre une régie régionale
de la santé et un groupe de huit médecins afin d’améliorer et de mieux intégrer les soins de première ligne à une
population rurale de 15 000 habitants. Ce fut une entreprise difficile dès le départ : organisations fonctionnant
en silos, pas de vision partagée, peu de cohérence entre
les objectifs et les mesures incitatives des uns et des
autres, mode de rémunération des médecins peu incitatif, peu d’engagement réel de la part des gestionnaires
et des médecins.
19
Le projet a réussi à prendre forme lorsque quelques
leaders gestionnaires et médecins ont réussi à
s’entendre sur une vision partagée et à mobiliser
graduellement les principaux acteurs internes et
externes. Les évaluateurs du projet du TIPHP41,42
ont observé les résultats suivants :
L’amélioration de la qualité des soins;
L’utilisation plus efficiente des services des médecins, des laboratoires et de l’hôpital;
Le développement de meilleures habitudes de vie
dans la population et la diminution de l’utilisation
des services;
L’amélioration de la satisfaction des patients tout
au long du projet.
Parmi les facteurs de succès du TIPHP, ils ont identifié :
Succès auprès des médecins :
o Pas d’imposition autoritaire du projet : initiative
conjointe de leaders médicaux et de gestion;
o L’accent sur l’amélioration des soins et des services;
o La délégation de pouvoirs et de tâches à des
non-médecins avec l’assentiment des médecins.
Succès global :
o L’évaluation des besoins de la communauté et
la planification partagée (solutions adaptées
au milieu);
o Des soins et des services interdisciplinaires
fondés sur des données probantes et en fonctions de clientèles cibles;
o Des systèmes d’information électroniques inté­
grés et le partage d’informations cliniques;
o Des investissements dans des processus et des
structures qui favorisent le changement :
- Un « Alternative Payment Plan » pour les médecins adaptés à leur situation : paiement
mixte avec portion de capitation en fonction
de l’âge et de la complexité des cas de leur
clientèle, facilitant la délégation d’activités
aux membres de leur équipe pour leur permettre de passer plus de temps avec les patients les plus complexes;
- Des changements organisationnels pour favoriser le travail d’équipe interdisciplinaire;
- La décentralisation du pouvoir sur le terrain.
Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), en collaboration avec la Fondation
cana­dienne sur l’amélioration des services de
santé (FCASS), ont financé un projet de recherche sur la participation des médecins et sur
le leadership médical pour l’amélioration du système de santé canadien. Le rapport a été publié
en avril 201343. Nous jugeons qu’il est pertinent
d’en présenter les messages principaux :
Le leadership et la participation du médecin
«
constituent des éléments essentiels des systèmes de santé performants et contribuent
à l’atteinte de meilleurs résultats concernant
certains indices de qualité. De plus, la participation du médecin à la gouvernance des
organisations de santé peut améliorer la qualité et la sécurité des soins.
Bien que la majorité des écrits sur les réformes des services santé soulignent l’importance de la participation et du leadership
du médecin, ils sont moins explicites sur les
processus par lesquels les systèmes et les
organismes de santé peuvent convertir l’autonomie, la connaissance et le pouvoir du
médecin en ressources destinées à l’amélioration de la performance du système.
e leadership du médecin est important au somL
met de l’organisation, mais il s’exerce aussi à tous
les paliers du système. On s’intéresse de plus en
plus aux microsystèmes cliniques à haut rendement ainsi qu’à de nouvelles modalités (ex. : les
dyades médecins-gestionnaires comme dirigeants et d’autres formes de leadership collectif)
et à de nouveaux processus (ex. : contrat avec les
médecins) qui favorisent ce que certains qualifient de « professionnalisme organisé ».
La participation ne se fait pas toute seule. Les
organisations doivent utiliser différentes stratégies et initiatives pour renforcer la participation et le leadership du médecin, notamment (mais sans s’y limiter) :
o instaurer des contrats avec les médecins en
tant que mécanismes pour préciser les rôles,
les attentes et les responsabilités des médecins et d’autres dirigeants du système;
o exercer un leadership organisationnel et de
système orienté vers l’amélioration des soins
et des services afin de créer un contexte
réceptif à la participation du médecin;
o renforcer le leadership, surtout dans le sens
d’un leadership collectif et distribué, pour
appuyer la participation du médecin;
o former des équipes et favoriser le leadership
de celles-ci, particulièrement un leadership
inclusif, pour promouvoir la participation et
le leadership du médecin, ainsi que l’amélio­
ration de la performance.
20
’une des variables essentielles du succès de
L
ces approches à la participation du médecin
est la confiance qui règne entre le médecin et
l’organisation et qui se traduit par une communication ouverte, une volonté de partager
les données pertinentes, l’établissement d’une
vision commune et l’accumulation de données
probantes sur des collaborations réussies.
Une participation et un leadership authentiques du médecin s’appuient avant tout sur
la compréhension et la prise en compte des
caractéristiques et des valeurs des médecins
qui souhaitent s’engager.
Au plan organisationnel, la participation du
médecin est tributaire d’une gamme de facteurs et peut, par conséquent, être difficile à
réaliser. Les médecins occupant des postes de
gestion peuvent éprouver des difficultés à assumer leur rôle de chef de file dans les organisations et les systèmes de santé. De tels obstacles peuvent être partiellement atténués par
des stratégies destinées à façonner la culture
organisationnelle (ces stratégies sont appelées
« travail culturel »).
es stratégies qui permettent avec succès
L
de faire participer les médecins doivent aller
au-delà, mais sans les ignorer, des considérations
économiques. De façon similaire, la création
officielle de postes de dirigeant stratégique
pour les médecins est importante, mais insuffisante pour réaliser un rendement élevé. Du
fait de tensions professionnelles majeures (problèmes culturels posés par l’exercice des rôles de
gestion en milieu professionnel), des solutions
économiques et symboliques ne se traduisent
pas nécessairement par une plus grande participation des médecins. Le défi principal consiste à
combler le fossé des cultures, à intégrer chacun
et à ne pas se limiter à acheter l’engagement.
Pour développer les aptitudes et compétences
des médecins afin d’appuyer les améliorations
des systèmes de santé, il faudrait cibler l’éventail
complet des médecins plutôt qu’un médecin en
particulier. Les principales compétences de base
pour faire participer les médecins et favoriser
leur leadership sont notamment la planification
stratégique, la réflexion systémique, la gestion
du changement, la gestion de projet, la communication persuasive et la création d’équipes. »
Enfin, un rapport très récent identifie, entre
autres, les obstacles à l’innovation en soins de
santé au Canada. En juin 2014, la ministre de
la Santé du gouvernement du Canada, Rona
Ambrose, a lancé le Groupe consultatif sur
l’innovation des soins de santé, présidé par le
Dr David Naylor. Le Groupe a été chargé de
cerner les cinq domaines d’innovation les plus
prometteurs, au Canada et à l’échelle mondiale,
qui offrent la possibilité de réduire la hausse des
dépenses en soins de santé tout en entraînant
des améliorations en ce qui a trait à la qualité
et l’accessibilité aux soins. Le rapport Naylor44
identifie les secteurs suivants comme ayant un
fort potentiel d’innovation :
La mobilisation et l’habilitation des patients;
L’intégration des systèmes de santé et la modernisation de l’effectif;
La transformation technologique au moyen
de la santé numérique et la médecine de précision;
Une valeur accrue par l’approvisionnement,
le remboursement et la réglementation;
L’industrie comme moteur économique et
catalyseur de l’innovation.
sondages indiquant que les Canadiens s’inquiètent de l’état de leurs systèmes de soins de
santé, le Groupe a entendu des commentaires
de nombreux intervenants qui voient le besoin
de changements fondamentaux dans l’organisation, le financement et la prestation des soins
de santé. »
Par ailleurs, le rapport Naylor porte un jugement sévère sur notre système de santé et
identifie des obstacles majeurs à sa capacité d’innovation. « D’abord, dans la lignée des
« L’examen du Groupe a laissé entendre que les
préoccupations à cet égard étaient bien fondées. Bien que les systèmes de soins de santé
demeurent une source de fierté nationale et
fournissent d’importants services à des millions
de Canadiens chaque semaine, l’étendue de
la couverture publique des systèmes de soins
de santé est restreinte et le rendement général par rapport aux normes internationales est
médiocre, et ce, alors même que les dépenses
sont élevées comparativement à celles de
nombreux pays de l’OCDE. Le Canada semble
aussi perdre du terrain dans les mesures du
rendement par rapport aux pays semblables. »
« Ensuite, des îlots de créativité et d’innovation extraordinaires parsèment le paysage
des soins de santé au Canada. Des programmes locaux, régionaux et même provinciaux dignes d’être imités n’ont tout simplement pas été déployés à grande échelle dans
l’ensemble du pays. »
21
« De nombreux obstacles à un déploiement à
grande échelle efficace ont été relevés par les
intervenants. L’absence de financement dédié ou de mécanisme permettant de favoriser
l’innovation systémique était l’une des principales difficultés. De plus, la nature fragmentée du système, caractérisée par des budgets
et des responsabilités distincts pour différents groupes et secteurs de fournisseurs, est
apparue comme le plus important obstacle
structurel aux nouvelles initiatives de réforme
et au déploiement à grande échelle efficace
des idées et des programmes mis à l’essai.
Il s’agit d’un point faible qui semble faire partie d’un cercle vicieux, se traduisant par un
déploiement lent et une utilisation incomplète
de la technologie de l’information moderne. »
à la conception des programmes de soins de
santé. À mesure que la population vieillit, une
importance accrue sera accordée à la prestation ininterrompue de soins multidisciplinaires
dans divers établissements, le lieu de résidence
d’un patient n’étant pas le moindre. La révolution numérique continue de bouleverser de
nombreuses entreprises et transformera tôt ou
tard les soins de santé. De plus, les avancées accélérées en biotechnologie sont en train d’instituer une nouvelle ère stimulante, mais ardue,
de médecine de précision. Le Canada recèle des
îlots de leadership en recherche, mais une seule
petite province a pris des mesures en vue de
mettre en œuvre les systèmes d’apprentissage
requis pour faire de la médecine de précision
une réalité clinique. »
« Le Groupe a en outre observé que les systèmes de soins de santé au Canada semblent
mal préparés à réagir aux divers changements
de contexte. Les patients exigent de pouvoir
participer davantage à leurs propres soins et
« Parallèlement, selon les données des sondages, la majorité des Canadiens ne croit plus
qu’une hausse des fonds opérationnels soit la
solution principale aux lacunes perçues dans
leurs systèmes de soins de santé. »
À notre avis, la Loi canadienne sur la santé de
1984 ne crée pas un environnement favorable à
l’innovation. Les cinq principes de cette loi, qui
en constituent la pierre angulaire, étaient fondamentaux en fonction du contexte des années
1970 et 1980 :
U niversalité : tous les résidents ont droit à des
services de santé assurés prévus par le régime,
selon des modalités uniformes;
G estion publique : le régime d’assurance maladie d’une province ou d’un territoire doit être
géré sans but lucratif par une autorité publique;
Accessibilité : aucun obstacle financier ou
autre ne doit entraver l’accès satisfaisant des
personnes assurées aux services requis dispensés par un hôpital et un médecin;
ransférabilité : la condition de transférabilité doit
T
prévoir le paiement des montants pour les coûts
des services de santé lorsqu’une personne assurée déménage ou voyage au Canada, ou encore
voyage à l’extérieur du pays;
Intégralité : tous les services médicaux requis
offerts par les hôpitaux et les médecins doivent
être assurés.
On doit reconnaître aujourd’hui que le libellé de ces principes n’était centré que sur les services requis dispensés par un hôpital et un médecin. Le contexte a changé.
Même si les gouvernements provinciaux ont graduellement adapté leurs services à l’évolution du contexte, il
n’en demeure pas moins que la loi, telle que rédigée, est
peu incitative à l’innovation et qu’elle est parfois utilisée
comme une « vache sacrée » en faveur du statu quo. Elle
aurait besoin, à tout le moins, d’une sérieuse mise à jour.
En résumé, les changements majeurs dans la société et dans l’environnement des services de santé ont provoqué
une remise en question du rôle des médecins, à la fois comme soignants et comme professionnels. Le concept
de professionnalisme médical s’est élargi pour inclure des responsabilités en matière de relations avec la société.
On parle d’un nouveau contrat social non plus uniquement entre un médecin et son patient, mais aussi entre les
médecins et la société. Nous avons vu que ce contrat est basé sur la confiance et qu’il est fragile. Par ailleurs, de
la même façon dont le professionnalisme médical s’est élargi, la relation entre les médecins et les administrateurs des organisations de santé se transforme. Historiquement, ces deux acteurs clés pouvaient fonctionner en
parallèle, sans avoir à travailler en étroite collaboration. Aujourd’hui, ils doivent reconnaître leur interdépendance
face à la mission d’offrir les meilleurs soins aux meilleurs coûts. Ces deux acteurs clés développent de nouveaux
moyens de collaborer. On parle dorénavant de gouvernance clinique, de leadership médical, de leadership intégré.
Le Québec, encore plus que le reste du Canada, commence à peine à reconnaître ces enjeux et à relever les défis
qu’ils comportent.
22
LA POSITION DE L’AMQ
Dans le paysage québécois de la profession médicale, il n’y a actuellement pas de
voix légitime et crédible, hors de l’AMQ, pour promouvoir un professionnalisme
médical renouvelé et un leadership médical de collaboration dans la gouvernance et la gestion de notre système de santé et de ses organisations.
L’AMQ se positionne résolument comme étant la seule organisation médicale québé­
coise pouvant porter la vision de ce nouveau professionnalisme médical et de ce leadership de collaboration dans la gouvernance et la gestion.
Comme le dit sa mission, l’AMQ rassemble l’ensemble de la profession médicale du
Québec dans un contexte de réflexion et d’action au bénéfice de la santé de la population. L’AMQ est :
l’association qui donne une voix à la profession médicale dans toute sa diversité;
n forum de réflexion centré sur les principaux enjeux qui touchent la profession et la
u
santé de la population;
une interface dynamique avec la profession médicale canadienne et internationale;
une organisation engagée à répondre aux préoccupations personnelles, professionnelles et organisationnelles de ses membres;
une organisation qui priorise le leadership médical.
Cette mission ainsi que la qualité et la diversité de ses adhérents lui procurent à la fois
sa légitimité et sa crédibilité.
Les prises de position de l’AMQ sur les principaux enjeux qui touchent le système de santé
et l’avenir de la profession médicale révèlent son ouverture à l’innovation, sa responsabilité
sociale et son souci d’assurer la pérennité, la qualité et l’équité de notre système de santé.
Ces prises de position témoignent aussi de son leadership de collaboration.
Enfin, l’AMQ a un réseau de contacts sur le plan national et international qui lui donnent
accès aux meilleures pratiques dans le domaine du professionnalisme médical, du
leadership médical et de la gouvernance clinique.
Il y a en ce moment une fenêtre d’occasions au Québec pour améliorer la qualité des soins
et des services de santé, la santé de notre population et une utilisation optimale de nos
ressources limitées.
Comme l’a démontré le présent rapport, l’espoir de trouver la bonne clé pour ouvrir cette
fenêtre réside dans un professionnalisme médical renouvelé et dans un leadership intégré
de collaboration entre médecins et gestionnaires de nos organisations de santé.
L’AMQ est la seule organisation médicale québécoise en position de trouver et d’actionner
cette clé. L’AMQ souhaite s’inspirer de l’Association médicale danoise qui, dans les années
1980, s’est positionnée pour occuper le terrain de la gestion et de la gouvernance des institutions de santé et a découvert que c’était le « territoire naturel » de la profession médicale
pour améliorer les soins à la population.
23
L’Association médicale du Québec affirme les principes suivants concernant le rôle des médecins dans
la gouvernance clinique :
A. LES PRINCIPES
RELIÉS AUX
RESPONSABILITÉS
DES MÉDECINS
Ces principes relèvent principalement, quoique
pas exclusivement, des médecins. Chose certaine,
ils ne pourront pas se traduire en résultats concrets
sans la participation engagée et active de la profession médicale.
| La responsabilité populationnelle
Le professionnalisme médical n’englobe pas seulement l’engagement personnel des médecins envers
le bien-être de leurs patients, mais également les
efforts collectifs visant à améliorer le système des
soins de santé pour le bien-être de la société.
En ce sens, les médecins ont, individuellement et
collectivement, une responsabilité populationnelle
qu’ils sont prêts à assumer.
Les médecins sont donc appelés à participer à un
changement de paradigme. Ils doivent conserver la
préoccupation tout à fait légitime de s’assurer de
répondre adéquatement aux besoins individuels de
chacun de leurs patients. Cependant, cette préoccupation doit s’accompagner d’une responsabilité
collective, qui se décline de deux façons.
D’une part, les médecins doivent travailler ensemble
et de concert avec d’autres professionnels afin de
fournir une réponse adéquate aux besoins exprimés
par leurs patients. D’autre part, les médecins sont
responsables du maintien d’un état de santé optimal d’une collectivité donnée, habitant une région
ou sous-région spécifique.
| L’engagement de la
profession médicale
L’engagement actif de la profession médicale dans la
gouvernance et dans la gestion du système de santé
et de ses institutions est essentiel pour assurer le
meilleur équilibre entre l’accessibilité, la pertinence,
la qualité des soins et l’utilisation optimale des ressources limitées.
Cet engagement peut prendre différentes formes
et ne réside pas exclusivement dans le fait d’occuper une fonction médico-administrative. Les médecins peuvent exercer un leadership fort sur le plan
clinique. Ils peuvent démontrer un intérêt marqué
dans un défi constant qui consiste à concilier l’excellence clinique et l’exercice de la médecine en tenant
compte des ressources limitées.
| Les ententes contractuelles avec les groupes de médecins
Des ententes contractuelles devraient être instaurées
pour préciser les rôles, les responsabilités et l’imputabilité des médecins.
Ces ententes devraient prévoir l’atteinte de résultats
(outcomes), ce qui aurait pour effet de déplacer
l’incitatif de la rémunération du « volume » vers la
« valeur ». Ce serait là l’occasion de mettre fin aux
contradictions actuelles entre les incitatifs qui induisent des comportements inflationnistes de la part
des médecins, mais qui se heurtent aux mesures de
rationnement des gestionnaires soucieux de main­
tenir l’équilibre budgétaire.
24
B. LES PRINCIPES RELIÉS
AUX RESPONSABILITÉS
DES MÉDECINS ET DE
LEURS PARTENAIRES
On ne peut certes pas faire porter le fardeau du
succès de la nouvelle gouvernance clinique sur les
seules épaules des médecins. Le temps est révolu où la profession médicale devait porter seule la
responsabilité des failles de notre système, tant
aux yeux du gouvernement que de la population
en général. Le respect des deux principes suivants
commande maintenant l’engagement de toutes les
parties prenantes.
| L’imputabilité
et la responsabilité
conjointes
des médecins et
des gestionnaires
Il est indispensable d’introduire des mécanismes
qui assureront l’imputabilité et la responsabilité
conjointes des médecins et des gestionnaires.
Cette imputabilité et cette responsabilité porteraient
sur la qualité des services en matière de résultats sur
la santé des patients et la population et sur l’attribution et l’utilisation pertinente de toutes les ressources, et ce, de façon intégrée.
| L’interdisciplinarité
L’interdisciplinarité et le travail d’équipe sont des
éléments clés pour assurer une gouvernance clinique optimale.
fois, ces progrès trouvent difficilement écho sur le
terrain, dans les milieux cliniques, où ils se heurtent
à toutes sortes de résistances de nature syndicale
ou corporatiste. Il faudra trouver des mécanismes
pour vaincre ces résistances. L’ère du travail en silo
est révolue.
C. LES PRINCIPES
« STRUCTURANTS »
OU PLUS SYSTÉMIQUES
Ces principes, en raison de leur caractère très structurant, commandent nécessairement l’intervention
vigoureuse du gouvernement et autres parties
prenantes. Ils nécessitent des investissements à long
terme sur le plan financier, en temps et en énergie,
mais surtout une volonté très affirmée d’aller de
l’avant en surmontant les obstacles bureaucratiques
et professionnels.
| Le partage de
l’information clinique
Un partage ouvert et transparent de l’information
clinique et de gestion, sur tout le continuum de soins
et par tous les intervenants, est indispensable à
l’amélioration des soins.
Les médecins ne doivent pas baisser les bras devant les cafouillages administratifs qui ont entouré le
développement et le déploiement des technologies
de l’information, notamment le DSQ.
Il faudra aussi accorder une attention particulière à la
participation grandissante du patient au monitorage
de son état de santé et à l’élaboration de son plan
de traitement.
| La mesure d’indicateurs
clés de performance
Les nouvelles connaissances, les développements
technologiques continus, la spécialisation de plus
en plus poussée des professionnels de la santé et
la complexité des besoins des patients commandent
de plus en plus un travail interdisciplinaire.
Une infrastructure de systèmes d’information clinique est primordiale pour permettre de colliger et
de mesurer les indicateurs clés de performance en
matière de qualité clinique et d’efficience.
Des progrès remarquables ont été réalisés au cours
des dernières années en matière de travail interdisciplinaire. Ces progrès ont été rendus possibles
grâce au travail de collaboration et de concertation
entre les ordres professionnels concernés. Toute-
Cet enjeu devient particulièrement important
compte tenu de l’intention gouvernementale clairement manifestée de migrer vers le financement à
l’activité comme mode principal de budgétisation
des établissements.
25
L’AMQ est d’avis que le changement dans la méthode
d’allocation des budgets que constitue le financement à l’activité n’est pas qu’un simple ajustement
administratif. La nouvelle façon d’agir risque en effet
d’avoir des effets importants sur la pratique clinique,
notamment sur les choix professionnels auxquels
sont confrontés les médecins dans leur pratique
quotidienne. Il faut clairement reconnaître la contribution indispensable des médecins au processus de
collecte et de gestion des renseignements à caractère clinique. Pour ce faire, il faut pouvoir compter
sur une infrastructure de systèmes d’information clinique adéquate.
| Les incitatifs reliés aux
modes de rémunération
Il faut revoir l’équilibre entre les différents modes de
rémunération des médecins. Il faut résolument réduire l’importance du paiement à l’acte et privilégier
un mode de rémunération mixte où la capitation et
le salariat sont davantage valorisés. Il s’agit là d’une
condition sine qua non pour assurer la responsabilité
et l’imputabilité des médecins.
| La formation en gestion et en leadership
La formation en gestion et en leadership doit être
accessible pour les médecins afin de mieux assumer
leur rôle et responsabilités.
Les médecins sont au cœur des transformations du
réseau de la santé, car ils incarnent la responsabilité
sociale pour leurs collègues et pour le réseau de la
santé par l’exercice d’un leadership médical et par
leur contribution directe à l’organisation des services.
Ils participent aux décisions qui peuvent avoir un
impact sur l’équilibre entre l’intérêt du patient et celui de l’ensemble de la communauté. La participation
soutenue des médecins à ces divers processus laisse
d’ailleurs entrevoir des retombées favorables pour
les organisations. Ceci se traduit notamment par des
bénéfices relatifs à l’amélioration de la qualité et de
la coordination des soins ainsi qu’à l’efficience et à
la pertinence dans la prestation de services. On note
également des effets positifs en matière de planification stratégique et de gouvernance, une meilleure
connaissance et une meilleure maîtrise de la situation financière ainsi qu’une meilleure communication
et un réseautage accru entre les parties prenantes.
Toutefois, les médecins ne sont pas toujours bien
préparés à exercer leur rôle de leaders. Leur cheminement à titre de leaders et de gestionnaires est atypique si on le compare à celui des autres professionnels de gestion du réseau. Ils peuvent donc parfois
se sentir mal préparés à ce mandat et isolés dans ce
rôle. Le soutien au développement des compétences
pour les médecins-leaders s’avère donc nécessaire à
l’exercice de ce rôle en leur proposant des services
qui répondront à leurs besoins.
| Les sources d’inspiration
Les principes explicités plus haut sont inspirés
de l’analyse des facteurs environnementaux
qui ont permis le succès, en matière de leadership médical et de gouvernance clinique,
de plusieurs organisations et systèmes de
soins : Kaiser Permanente, Mayo Clinic, Cleveland Clinic, Geisinger Health System, Virginia
Mason Medical Center, Intermountain Healthcare, Taber Integrated Primary Healthcare
Project et de systèmes de santé comme les
systèmes danois et suédois.
L’AMQ s’est aussi inspirée de la stratégie proactive et alerte de l’Association médicale danoise
qui s’est positionnée, de façon positive, comme
partenaire essentiel du gouvernement dans la
gestion du système de santé. L’AMQ se définit
comme une organisation médicale légitime
et crédible, non conflictuelle, préoccupée par
l’avenir de notre système de santé et qui souhaite ardemment contribuer à le rendre plus
efficace, plus efficient et plus équitable pour le
bien de notre population et de notre société.
L’AMQ a également tenu compte de nombreux avis académiques et professionnels qui
militent en faveur d’un leadership intégré médecins – administrateurs pour faire face aux
défis de l’avenir des systèmes de santé.
L’un des avis les plus percutants est sans
doute celui de l’American Medical Association et de l’American Hospital Association
qui ont conjointement proposé six principes
pour faciliter ce leadership intégré.
Enfin, et c’est peut-être là le cœur de notre
réflexion, l’AMQ veut miser sur l’intelligence
de la population du Québec qui est sans
doute prête à entendre des propositions de
la profession médicale sur des sujets autres
que la rémunération et le volume d’actes.
26
ANNEXE 1
LES TERMES DU CONTRAT SOCIAL
LES ATTENTES
DE LA PROFESSION
MÉDICALE
Autonomie clinique
La complexité et la diversité des situations auxquelles
les médecins sont confrontés obligent une grande
autonomie clinique. Le jugement clinique doit donc
être affranchi de toute obligation ou contrainte qui
nuirait à la relation médecin-patient.
Confiance
La confiance est à la base de la relation professionnelle. Les dispositifs traditionnels comme les
codes de déontologie, la diplomation, la formation
continue et l’engagement moral visent à garantir
l’excellence de l’offre de services médicaux et à
maintenir un haut niveau de confiance du patient
envers le médecin.
Monopole
La notion de monopole est centrale à la profession
médicale. Reconnu comme un droit légal, l’exercice
de la médecine est régi par des règles strictes. Il est
nécessaire pour les médecins de maintenir cette
« fermeture professionnelle » pour garantir l’excellence de la pratique médicale.
Statut social et récompense
La communauté médicale estime que l’engagement
et la dévotion témoignés aux patients engagent aussi
une rémunération juste et équitable.
Autorégulation
L’autorégulation est l’un des fondements de
l’excellence de la pratique médicale. À cet effet,
plusieurs auteurs supposent que les médecins
doivent rester indépendants, bien que redevables,
de l’influence de l’État, des institutions et des
organisations dans lesquelles ils évoluent, et ce,
pour le bien-être des patients.
Fonctionnement du système de santé
Il existe au sein des organisations de soins de santé
une diversité des regroupements professionnels. Ce
réseau de relations suppose un arrimage fort entre
tous les partenaires afin de garantir une offre de
soins et de services intégrés aux patients. Plus que
jamais, les médecins sont priés de relever ce défi
d’envergure. Cela suppose que la communauté médicale est invitée à partager ses compétences et ses
points de vue afin d’élaborer des stratégies de gestion organisationnelle qui favorisent l’expérience du
patient.
LES ATTENTES
DE LA SOCIÉTÉ
La disponibilité du soignant
La pratique de la médecine est liée à une attente
primordiale pour la société, c’est-à-dire la disponibilité des professionnels. En raison des rôles déterminants assumés par le médecin (soignant et
professionnel), la disponibilité revêt un caractère
sacré. La population espère donc recevoir des soins
médicaux appropriés, dans le respect, la confidentialité et la dignité, mais aussi dans des délais qui lui
semblent raisonnables.
27
Compétence clinique de pointe
Promotion
de l’intérêt public
Le médecin est un professionnel de la santé qui possède une expertise, un jugement clinique ainsi que
des compétences à jour, et qui travaille de concert
avec son patient. Celui-ci est un acteur d’importance voulant être membre à part entière de la relation médecin-patient. Il s’attend toutefois à ce que
son médecin soit suffisamment qualifié, formé et
éthiquement responsable pour l’accompagner dans
sa démarche.
La société s’attend à ce que la communauté médicale s’investisse et défende publiquement l’intérêt
des patients. La communauté médicale doit être
investie d’une mission autre que la pratique de la
médecine telle que pratiquée historiquement.
Altruisme
L’exercice de la médecine se concentre en une vertu essentielle : l’intérêt du patient. La communauté
médicale, en raison des privilèges qui lui sont conférés, doit transcender ses intérêts propres et mériter
l’estime du public. L’altruisme doit toujours précéder
les intérêts personnels du médecin.
Moralité et intégrité
La confiance du public est un élément déterminant
du contrat social; toute action contribuant à éroder
cette confiance représente une menace pour l’ensemble de la profession médicale.
Transparence
La société ne permet plus aux professions de se
soustraire à la vie sociale. Plus que jamais, la communauté médicale doit témoigner d’une grande
ouverture afin d’ériger les fondements de la pratique médicale avec l’ensemble des acteurs sociaux.
Le récent débat public sur l’aide médicale à mourir
témoigne de ce changement de paradigme.
Imputabilité
À titre de membres à part entière de la société, les
médecins doivent concilier leurs intérêts et leurs
besoins professionnels en fonction des ressources
disponibles, et ce, toujours dans l’intérêt du patient.
Les tensions grandissantes qui résultent de cette
situation ne peuvent être ignorées. Les médecins
doivent être transparents en raison du caractère public du système de soins et de services de santé auquel ils prennent part.
28
ANNEXE 2
LA CHARTE SUR
LE PROFESSIONNALISME MÉDICAL
PRÉAMBULE
Le professionnalisme est à la base du contrat
conclu entre la médecine et la société. Il exige de
faire passer les intérêts des patients avant ceux
du médecin, de fixer et de maintenir des normes
rigoureuses de compétence et d’intégrité et de
prodiguer des conseils d’expert à la société sur les
questions de santé. Les principes et les responsabilités du professionnalisme médical doivent être
clairement compris par la profession et par la société. Au cœur de ce contrat, se situe la confiance
du public dans les médecins, laquelle dépend de
l’intégrité à la fois de chaque médecin et de l’ensemble de la profession.
La profession médicale est actuellement confrontée
à l’explosion technologique, à l’évolution des
forces du marché, aux problèmes liés à la prestation des soins de santé, au bioterrorisme et à
la mondialisation. Il s’ensuit que les médecins
éprouvent de plus en plus de difficultés à s’acquitter de leurs responsabilités à l’égard des patients
et de la société. Dans les circonstances, il est plus
important que jamais de réaffirmer les valeurs et les
principes fondamentaux et universels du professionnalisme médical, qui demeurent des idéaux
auxquels doivent aspirer tous les médecins.
La profession médicale est enchâssée dans des cultures
et des traditions nationales diverses, mais ses membres
assument tous le rôle de médecin, dont les racines remontent à Hippocrate. À vrai dire, la profession médicale est aux prises avec des forces politiques, juridiques
et commerciales complexes. De plus, il y a de grandes
différences dans la prestation des soins et l’exercice de
la médecine en vertu desquelles les principes généraux
peuvent s’exprimer à la fois de manière complexe et subtile. Ces différences expliquent que tout principe général
peut subir une modification plus ou moins complexe ou
subtile dans son expression. En dépit de ces différences,
des thèmes communs se dégagent et constituent le fondement de la présente charte sous forme de trois principes fondamentaux et d’un ensemble de responsabilités professionnelles décisives.
PRINCIPES
FONDAMENTAUX
Principe de la primauté du bien-être des patients.
Ce principe repose sur la volonté de servir les intérêts du patient. L’altruisme contribue à la confiance
qui est essentielle au rapport médecin-patient. Les
forces du marché, les pressions de la société et les
exigences administratives ne doivent en aucun cas
compromettre ce principe.
Principe de l’autonomie des patients. Les médecins doivent respecter l’autonomie des patients. Ils
doivent être honnêtes avec ceux-ci et les habiliter
à prendre des décisions avisées sur leur traitement.
Les décisions des patients sur leurs soins doivent
être prépondérantes, sous réserve qu’elles soient
conformes à la déontologie et qu’elles ne donnent
pas lieu à des demandes de soins inadaptés.
Principe de la justice sociale. La profession médicale
doit promouvoir la justice dans le système de soins de
santé, notamment en assurant la répartition équitable
des ressources destinées aux soins de santé. Les médecins doivent s’évertuer à éliminer toute discrimination dans les soins de santé, que celle-ci soit fondée
sur la race, le sexe, la situation socio-économique,
l’ethnicité, la religion ou toute autre catégorie sociale.
29
UN ENSEMBLE
DE RESPONSABILITÉS
PROFESSIONNELLES
Engagement envers la compétence professionnelle.
Les médecins doivent s’engager à s’instruire tout au
long de leur vie professionnelle et sont tenus d’actualiser leurs connaissances médicales et techniques
nécessaires à la prestation de soins de qualité. Plus
généralement, la profession dans son ensemble doit
faire en sorte que tous ses membres soient compétents et s’assurer que les moyens voulus sont mis à la
disposition des médecins pour atteindre cet objectif.
Engagement envers l’honnêteté à l’égard des
patients. Les médecins doivent fournir des renseignements exhaustifs et honnêtes aux patients avant
que ceux-ci ne consentent à un traitement ainsi qu’à
l’issue de ce traitement. Cela ne veut pas dire que
les patients doivent prendre part à chaque décision
sans exception sur les soins médicaux; ils doivent
en revanche être en mesure de décider du mode de
traitement. Les médecins doivent également reconnaître que dans les soins de santé, des erreurs médi­
cales qui portent préjudice aux patients sont parfois
commises. Chaque fois qu’un patient subit des lésions à la suite de soins médicaux, il doit en être avisé le plus vite possible car à défaut d’agir ainsi, on
compromet sérieusement la confiance du patient et
de la société. La déclaration et l’analyse des erreurs
médicales sont à la base de stratégies judicieuses de
prévention et d’amélioration et d’un dédommagement approprié des parties lésées.
Engagement envers la confidentialité des patients.
Pour mériter la confiance des patients, il faut mettre
en place un dispositif de confidentialité en ce qui
concerne la divulgation de renseignements sur les
patients. Cet engagement s’applique aux entretiens
avec les personnes qui agissent pour le compte d’un
patient lorsqu’il est impossible d’obtenir le consentement du patient proprement dit. Le respect de
cet engagement envers la confidentialité est plus
urgent aujourd’hui que jamais, compte tenu de l’utilisation généralisée des systèmes informatiques pour
remplir des données sur les patients et de la plus
grande faci­lité d’accès aux données génétiques. Les
médecins reconnaissent toutefois que leur engagement envers la confidentialité des patients doit à
l’occasion céder la priorité à des considérations supérieures dans l’intérêt public (par exemple lorsque
des patients représentent un danger pour autrui).
Engagement envers l’entretien de rapports convenants avec les patients. Étant donné la vulnérabilité
inhérente à la situation des patients, certains rapports
entre médecins et patients doivent à tout prix être
évités. En particulier, un médecin ne doit jamais exploiter un patient dans le but d’en tirer un avantage
sexuel, un gain financier personnel ou un autre avantage personnel.
Engagement envers l’amélioration de la qualité des
soins. Les médecins doivent prendre l’engagement
de constamment améliorer la qualité des soins de
santé. Cet engagement ne présuppose pas seulement le maintien des compétences cliniques, mais
également l’obligation de collaborer avec d’autres
professionnels pour réduire les erreurs médicales,
accroître la sécurité des patients, minimiser la su
rutilisation des ressources des soins de santé et optimiser les résultats des soins. Les médecins doivent
participer à l’élaboration de meilleures mesures de
qualité des soins et à l’application de mesures de
qualité pour évaluer systématiquement le rendement des professionnels, des établissements et des
systèmes chargés de prodiguer des soins de santé.
Les médecins, individuellement et par le biais de
leurs associations professionnelles, doivent contribuer à la création et à l’adoption de mécanismes
dont le but est de favoriser l’amélioration constante
de la qualité des soins.
Engagement envers l’amélioration de l’accès aux
soins. Le professionnalisme médical exige que l’objectif de tous les systèmes de soins de santé soit l’existence d’une norme de soins uniforme et adéquate.
Les médecins doivent, individuellement et collectivement, s’évertuer à éliminer les entraves à des soins de
santé équitables. Dans chaque système, le médecin
doit s’employer à éliminer les obstacles à l’accès aux
soins fondés sur l’instruction, les lois, les ressources
financières, la géographie et la discrimination sociale.
L’engagement envers l’équité présuppose la promotion de la santé publique et de la médecine préventive, de même que la défense des intérêts publics par
chaque médecin, sans se soucier des intérêts personnels
du médecin ou de la profession médicale.
Engagement envers la juste répartition de ressources
limitées. Tout en répondant aux besoins de chaque
patient, les médecins sont tenus de fournir des soins
de santé fondés sur la gestion prudente et rentable
des moyens cliniques limités. Ils doivent prendre
l’engagement de collaborer avec les autres médecins, les hôpitaux et les systèmes de financement à
l’élaboration de lignes directrices sur la rentabilité
des soins. La responsabilité professionnelle du médecin à l’égard de la juste répartition des ressources
exige de sa part qu’il évite scrupuleusement les examens et les procédures superflus. La prestation de
services inutiles n’expose pas seulement les patients
à des préjudices et à des frais évitables, mais amenuise les ressources accessibles à d’autres.
30
Engagement envers la connaissance scientifique.
Une bonne partie du contrat entre la médecine et la
société repose sur l’intégrité et l’utilisation opportune
des connaissances scientifiques et des technologies.
Les médecins ont le devoir de respecter les normes
scientifiques, de promouvoir la recherche et de créer
de nouvelles connaissances et d’assurer leur bonne utilisation. La profession est responsable de l’intégrité de
ces connaissances, lesquelles reposent sur des preuves
scientifiques et sur l’expérience des médecins.
Engagement envers le maintien de la confiance par
la gestion des conflits d’intérêts. Les professionnels
de la médecine et leurs associations ont maintes
occasions de compromettre leurs responsabilités
professionnelles en recherchant des gains ou des
avantages personnels. Ces compromis sont particulièrement menaçants lorsque les médecins cherchent
à nouer des rapports personnels ou organisationnels
avec des entreprises à but lucratif, notamment des
fabricants d’équipements médicaux, des compagnies d’assurance et des compagnies pharmaceutiques. Les médecins ont l’obligation de reconnaître,
de divulguer au grand public et de régler les conflits
d’intérêts qui surviennent dans l’exercice de leurs
fonctions et de leurs activités professionnelles. Les
rapports entre l’industrie et les leaders d’opinion
doivent être divulgués, surtout lorsque ces derniers
fixent les critères qui régissent le déroulement des
essais cliniques et les comptes rendus à leurs sujet,
la rédaction d’éditoriaux ou de recommandations
thérapeutiques ou les fonctions de rédacteur de
revues scientifiques.
CONCLUSION
L’exercice de la médecine à l’époque moderne est
confronté à des défis sans précédent dans pratiquement toutes les cultures et les sociétés. Ces défis
s’articulent autour des disparités croissantes entre
les besoins légitimes des patients, les ressources qui
existent pour y répondre, la dépendance croissante
à l’égard des forces du marché pour transformer les
systèmes de soins de santé, et la tentation pour les
médecins de ne pas tenir leur engagement traditionnel envers la primauté des intérêts des patients. Afin
de préserver la fidélité du contrat social de la médecine à une époque aussi troublée, nous sommes d’avis
que les médecins doivent réaffirmer leur engagement
envers les principes du professionnalisme, ce qui
n’englobe pas seulement leur engagement personnel
envers le bien-être de leurs patients, mais également
les efforts collectifs visant à améliorer le système des
soins de santé pour le bien-être de la société. Cette
Charte du professionnalisme médical vise précisément à stimuler ce genre de dévouement et à promouvoir un programme d’action pour la profession
médicale dont la portée et le but sont universels.
Engagement envers les responsabilités professionnelles. En tant que membres d’une profession, les
médecins sont censés collaborer entre eux pour optimiser les soins des patients, faire preuve de respect
l’un pour l’autre, et s’autoréglementer, notamment en
prenant des recours et des mesures disciplinaires à
l’encontre des membres qui n’ont pas respecté les
normes professionnelles. La profession doit également
définir et structurer le processus d’enseignement et
d’établissement de normes pour ses membres actuels et futurs. Les médecins sont investis d’obligations individuelles et collectives en ce qui concerne la
participation à ces procédés. Ils doivent notamment
se livrer à des évaluations internes et accepter l’évaluation externe par des gens de l’extérieur de tous les
paramètres de leur rendement professionnel.
N.B. : Cette charte a été développée par l’American Board of Internal Medicine, en collaboration avec l’American College of Physicians Foundation et l’European Federation of Internal Medicine. La présente version française a été
rédigée par Daniel Sereni, MD, Vice-président du Comité exécutif de l’European Federation of Internal Medicine
en 2004.
31
RÉFÉRENCES ET NOTES
1. Source principale des données de cette section : « Maladies chroniques : Agir là où ça compte ». AQESSS, 2e trimestre 2014. Disponible sur
http://www.aqesss.qc.ca/docs/public_html/document/Documents_deposes/Agir_Maladies_chroniques_2014-04-08_VF.pdf
2. NOLTE, Ellen, KNAI Cécile et MCKEE, Martin (2008). “Managing Chronic Conditions: Experience in eight countries”, European Observatory
on Health Systems and Policies, Observatory Studies Series n° 15, WORLD HEALTH ORGANIZATION, 181 p. Disponible au http://www.euro.
who.int/__data/assets/pdf_file/0008/98414/E92058.pdf
3. LAMOTHE, Lise, SYLVAIN, Chantal et SIT, Vanessa (2015) « Multimorbidité et soins primaires : émergence de nouvelles formes d’organisation en
réseau », Santé publique, Vol. 27, No 1, SUPPLÉMENT Janvier-Février, pages S129 – S135. Disponible sur http://www.medsp.umontreal.ca/IRSPUM_DB/pdf/27641.pdf
4. Voir note 1.
5. Commissaire à la santé et au bien-être (2015) « Les médicaments d’ordonnance : agir sur les coûts et l’usage au bénéfice du patient et de la
pérennité du système ». Disponible sur http://www.csbe.gouv.qc.ca/fileadmin/www/2015/Medicaments/CSBE_Medicaments_Recomm.pdf
6. Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) (2012) « Nombre, répartition des médecins canadiens 2011 ». Disponible sur http://publications.gc.ca/collections/collection_2013/icis-cihi/H115-23-2011-fra.pdf
7. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) (2011). « Rapport statistique sur l’effectif infirmier 2010-2011 ». Disponible sur https://www.
oiiq.org/sites/default/files/292S-Rapport_statistique_2010-2011.pdf
8. ICIS (2014) « Les médecins au Canada 2013 : rapport sommaire ». Disponible sur https://secure.cihi.ca/free_products/Physicians_In_Canada_
Summary_Report_2013_fr.pdf
9. Les dépenses en services médicaux sont le résultat de la croissance de la population, de la croissance du volume d’actes et de la croissance de
la tarification des actes.
10. Il s’agit uniquement des montants relatifs aux médicaments et aux services pharmaceutiques dispensés aux personnes âgées et aux bénéficiaires de l’aide de dernier recours.
11. Les données de ce paragraphe proviennent du tableau intitulé Montants des dépenses consacrées à la santé et aux services sociaux, selon les
éléments de la structure budgétaire, au Québec, 2000-2001 à 2013-2014 du MSSS, disponible à http://www.informa.msss.gouv.qc.ca/Details.
aspx?Id=xwwbq/us7X8=
12. A QESSS (2014). Représentations prébudgétaires 2014-2015. Mai 2014. Disponible sur https://www.aqesss.qc.ca/docs/dossiers/budget/Representations_prebudgetaires_2014_2015_F_20140509.pdf
13. CLAVET, Nicholas-James, DUCLOS, Jean-Yves et al. (2013). « Les dépenses en santé du gouvernement du Québec 2013-2030 : projections et
déterminants. CIRANO, Décembre 2013. Disponible sur http://www.cirano.qc.ca/pdf/publication/2013s-45.pdf
14. Voir le site http://tdi.dartmouth.edu
15. « Health Policy Brief : Reducing Waste in Health Care. » Health Affairs, 13 décembre 2012.
16. Voir le site du « Value-Based Health Care Delivery » http://www.isc.hbs.edu/health-care/vbhcd/Pages/default.aspx
17. KLIFF Sarah (2012). « Health Reforma t 2 : Why American Health care will never be the same. » The Washington Post, 24 mars 2012. Voir le site
http://www.washingtonpost.com/blogs/ezra-klein/post/health-reform-at-2-why-american-health-care-will-never-be-the-same/2012/03/22/
gIQA7ssUVS_blog.html
18. Voir l’article suivant pour mieux connaître les Accountable Care Organizations https://www.healthcatalyst.com/what-is-an-ACO-definitive-guide-accountable-care-organizations
19. Voir le rapport sur le site http://physicianpaymentcommission.org/wp-content/uploads/2013/03/physician_payment_report.pdf
20. BLACK, Nicholas (2015). « Can England’s NHS Survive ? ». The New England Journal of Medicine, 4 juillet 2013. Voir le site http://www.nejm.
org/doi/pdf/10.1056/NEJMp1305771
21. La description de l’évolution des quatre logiques de régulation est tirée de l’article suivant : CONTANDRIOPOULOS, André-Pierre (1994). « Réformer le système de santé : une utopie pour sortir d’un statu quo impossible. » Ruptures, revue interdisciplinaire en santé, Vol. 1, No 1, pages
8 – 26. Voir le site http://www.medsp.umontreal.ca/ruptures/pdf/articles/rup011_008.pdf
22. Ibid.
23. LALONDE Marc (1974). « Nouvelle perspective de la santé des Canadiens ». Ottawa. Voir le site http://www.phac-aspc.gc.ca/ph-sp/pdf/perspect-fra.pdf
24. AQESSS : Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux.
25. ADGSSSQ : Association des directeurs généraux des services de santé et des services sociaux du Québec.
26. Association médicale du Québec (2015). « La profession médicale : vers un nouveau contrat social – Document de réflexion », Montréal,
Février 2015. Voir le site : https://www.amq.ca/images/stories/documents/amq_document_reflexion_fr_FINAL.pdf
27. JAMA (2015). « Professionnalism and Governance ». The Journal of the American Medical Association, Vol. 313, No 18, 12 mai 2015. Voir le site
http://jama.jamanetwork.com/Issue.aspx?journalid=67&issueID=933933&direction=P
32
28. Association médicale du Québec (2015).
« La profession médicale : vers un nouveau contrat social – Résumé de discussion de réflexion et
guide de discussion en ligne », Montréal, Février 2015, page 2.
29. Cette citation est sur le site de la CMA à la page suivante : https://www.cma.ca/fr/Pages/medical-professionalism.aspx
30. Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (2014). « La compétence par conception : une nouvelle ère de la formation médicale
au Canada », Ottawa, Mars 2014. Voir le site http://www.royalcollege.ca/portal/page/portal/rc/common/documents/educational_initiatives/
rc_competency-by-design_ebook_f.pdf
31. DIXON-WOODS, Mary, YEUNG, Karen, BOSK, Charles L. (2011). « Why is UK medicine no longer a self-regulating profession ? The role of scandals involving « bad apple » doctors ». Social Science & Medicine, Vol. 73, No 40, Novembre 2011, pages 1452 – 1459. Voir le site https://www.
kcl.ac.uk/law/people/Bad-Apples-in-Medicine-Karen-Yeung.pdf
32. Voir le site du Conseil national de l’Ordre des médecins http://www.conseil-national.medecin.fr/qu-est-ce-que-l-ordre-1206
33. Voir le site http://www.conseil-national.medecin.fr/node/1575
34. HASSENTEUFEL, Patrick (2015). « La défense de la médecine libérale ». La vie des idées, 16 juin 2015. Voir le site http://www.laviedesidees.fr/
IMG/pdf/me_decinslibe_raux16062015.pdf
35. Danish Health and Medicines Authority (2014). « The Seven Roles of Physicians ». Avril 2014. Voir le site https://sundhedsstyrelsen.dk/en/
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36. Department of Health (1998) « First Class Service : Quality in the new NHS ». Londres. United Kingdom Department of Health. 1998. Voir le
site http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/www.dh.gov.uk/en/publicationsandstatistics/publications/publicationspolicyandguidance/
dh_4006902
37. BRAULT, Isabelle, ROY, Denis A., DENIS, Jean-Louis (2008). « Introduction à la gouvernance clinique : historique, composantes et conceptualisation renouvelée pour l’amélioration de la qualité et de la performance des organisations de santé. » Pratiques et Organisation des Soins, Vol.
39, No 3, juillet – septembre 2008. Voir le site https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/9641/Introduction_a_la_gouvernance_clinique.pdf;jsessionid=5808C27F223254DE0F35B47C4BD4D3D7?sequence=1
38. KIRKPATRICK, Ian, KRAGH JESPERSEN, Peter, DENT, Mike, NEOGY, Indareth (2009). « Medicine and Management in a Comparative Perspective : The Case of Denmark and England ». Sociology of Health & Illness, Vol.31, No 5, pages 642 – 658. Voir le site http://onlinelibrary.wiley.
com/doi/10.1111/j.1467-9566.2009.01157.x/epdf
39. American Hospital Association and American Medical Association (2015). « Integrated Leadership for Hospitals and Heath Systems : Principles
for Success ». Washington D. C., 3 juin 2015. Voir le site www.aha.org/content/15/ahaamaintegrleadership.pdf
40. Le « Triple Aim » est un cadre de référence développé par The Institute for Healthcare Improvement (IHI) aux États-Unis pour optimiser la
performance des systèmes de santé. Le « Triple Aim » correspond aux 3 objectifs qui doivent être poursuivis simultanément : 1) Améliorer
l’expérience de soins du patient, incluant qualité et satisfaction; 2) Améliorer la santé des populations; 3) Réduire le coût par personne des
soins de santé. Voir le site http://www.ihi.org/engage/initiatives/tripleaim/Pages/default.aspx
41. HASSELBACK, Paul et al. (2003). « The Taber Integrated Primary Care Project – Turning Vision into Reality ». Canadian Health Services Research Foundation, Ottawa, Août 2003. Voir le site http://www.cfhi-fcass.ca/Migrated/PDF/ResearchReports/OGC/hasselback_final.pdf
42. WEDEL, Robert, GRANT KALISCHUK, Ruth, BROWN, Sharon (2007). « Turning Vision into Reality : Successful Integration of Primary Healthcare in Taber, Canada ». Healthcare Policy, Vol. 3, No 1, 2007. Voir le site https://www.longwoods.com/content/19175
43. DENIS, Jean-Louis, BAKER, G. Ross et al. (2013). « Exploring the Dynamics of Physician Engagement and Leadership for Health System Improvement – Prospects for Canadian Healthcare Systems ». Fédération canadienne pour l’amélioration des services de santé, Ottawa, 4 Avril
2013. Voir le site http://www.cfhi-fcass.ca/sf-docs/default-source/reports/Exploring-Dynamics-Physician-Engagement-Denis-E.pdf?sfvrsn=0
44. Groupe consultatif sur l’innovation des soins de santé (2015). « Libre cours à l’innovation : soins de santé excellents pour le Canada ». Santé
Canada, Ottawa, Juillet 2015. Voir le site http://canadiensensante.gc.ca/publications/health-system-systeme-sante/report-healthcare-innovation-rapport-soins/alt/report-healthcare-innovation-rapport-soins-fra.pdf
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ÉDITION
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