INTRODUCTION : Le désir est une notion qui traverse toute notre existence et
traverse toute la philosophie qui pense cette existence. Mais ce désir traverse
mystérieusement notre existence, puisqu’il nous constitue sans bien savoir ce qu’il est et
où il nous emmène. D’où une grande variété de noms pour désigner ce désir :
« Eros » chez les grecs, « concupiscence » chez les chrétiens, « appétit » chez un
Descartes ou un Spinoza par exemple, « tendance ou pulsion, comme la libido » chez
Freud. S’agit-il toujours de la même chose sous cette variété de noms, ou bien le désir
est-il dans sa nature même, varié et changeant, multiple et mouvant, comme il semble
ainsi être décrit par des philosophes, des littérateurs, des poètes, des psychanalystes
et même des biologistes ?
De fait, le désir nous trouble, nous inquiète, parfois nous angoisse, car il peut
exalter en nous de très hautes valeurs, plus hautes que nous-mêmes, au-delà des
satisfactions les plus immédiates, et parfois il peut aussi nous faire tomber plus bas,
dans l’abjection ou la bestialité la plus contraire à notre morale. D’où vient une telle
ambiguïté, de telles contradictions ? Il est vrai que d’un certain point de vue, le désir
est la marque de notre insertion dans la nature dont témoigne notre corps avec ses
pulsions, ses tendances, ses besoins ou ses instincts. D’un autre point de vue, le désir
exalte en nous les valeurs les plus hautes lorsqu’il se combine avec les facultés
supérieures de l’esprit. En cela le désir est une force qui peut nous emporter au-delà de
toute limite. C’est la raison pour laquelle il ne peut jamais se satisfaire des objets qu’il
convoite. D’où cet étrange sentiment de déception qui semble accompagner ses
tentatives d’accomplissement. Tous les objets lui paraissent insatisfaisants, décevants,
et le grand mystère semble être celui-là : quel est l’objet du désir ? D‘ailleurs
l’étymologie du mot désir (desiderium, mot latin dérivé de sidus, étoile) en fait le désir
serait « le regret d’un astre perdu ». En cela nous comprenons qu’il ne peut pas être
seulement le manque biologique d’une satisfaction sensible, mais une nostalgie plus
profonde, celle d’un état perdu, une perfection ayant été vécue. C’est ainsi que nous
verrons chez un Platon, comment, sous sa figure la plus vive de l’attrait sexuel, enraciné
dans la chair, l’Eros prend un essor qui nous conduit plus loin que nous même.
Nous allons donc dans une première partie (mercredi 1er Octobre) approfondir
cette définition du désir dont nous verrons en quoi elle est spécifique à l’homme seul.
Nous rencontrerons aussi le travail d’un neurobiologiste, Jean-didier Vincent, mesurant
les degrés de nos passions et de nos émotions, nous proposant une chimie des passions,
sans cependant réduire l’amour a n’être qu’un stricte processus physico-chimique, ou le
simple effet de la sexualité. Nous montrerons également que la jouissance réside moins,
pour l’homme, dans la possession effective, que dans l’espérance de conquérir un bien
imaginaire. Ainsi, la vraie source du désir, est selon Rousseau, cette faculté typiquement
humaine : l’imagination.
Enfin nous nous interrogerons sur la possibilité d’une sagesse des désirs, et nous
verrons comment, de manière parfois hédoniste, il est possible de penser la philosophie
comme un art de vivre dans le plaisir, et nous partirons dans le Jardin d’Epicure, sur les
chemins des délices, de Lucrèce ou de Sappho, la grande prêtresse d’Aphrodite. Nous en