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Il apparaît souvent que les juifs sont plutôt perçus comme un groupe religieux que comme un
groupe ethnique.
Actuellement, bon nombre de juifs athées revendiquent leur appartenance au judaïsme. Il
semble donc difficile que les juifs se définissent comme un groupe religieux uniquement.
Pour Webber (1997), les juifs ont connu un mouvement allant de la «religion» à l’ «ethnicité»
en Europe. Il prend l’exemple des juifs de France. Après la Révolution, ceux-ci sont devenus
des citoyens français à part entière, leur identité collective en tant que juifs a été redéfinie par
l’Etat comme étant exclusivement religieuse. Les juifs devenaient des Français de confession
israélite. Dans la majorité des pays d’Europe, leurs coreligionnaires connurent le même
processus. La religion était reléguée à la sphère privée. Cependant, suite aux lois de Vichy,
qui dénièrent aux juifs le statut de citoyens et surtout à l’holocauste, «Jews slowly began to
develop the institutions suitable for self-expression as a recognized ethnic community within
the state, that is a public identity additional to that of Frenchness.» (1997: 266). Selon
Webber, le même mouvement vers une identité ethnique s’est développé ailleurs en Europe.
Les juifs ne se regroupent plus forcément autour de la synagogue, mais créent des associations
culturelles, politiques, des clubs sportifs, plutôt dans le but de se retrouver entre juifs, mais
pas nécessairement pour y développer des activités «juives». Le fait de ne plus définir les juifs
comme un groupe exclusivement religieux s’inscrit également dans la tendance générale à la
sécularisation et à la laïcisation en Europe et aux Etats-Unis. Au Maroc, même si les juifs ont
été très largement influencés par la France, la dimension religieuse reste importante.
En outre, comme le souligne Webber, le fait de considérer les juifs comme un groupe
ethnique ne signifie pas forcément qu’ils ne sont pas religieux, de même la composante
religieuse ne doit pas être requise a priori.
Ainsi, de nombreuses recherches, menées aux Etats-Unis, au Canada et en France notamment,
mettent l’accent sur l’aspect religieux. Il ressort souvent que la majorité des juifs ne pratiquent
pas ou peu leur religion. Néanmoins la pratique religieuse demeure un thème central, abordé
aussi bien par les chercheurs, qui tentent souvent d’évaluer le degré d’observance des
prescriptions religieuses, que par les personnes interrogées elles-mêmes. Allouche-Benayoun
rapporte les résultats d’une enquête réalisée auprès de jeunes juifs en France : «La
représentation dominante concernant l’individu juif pour nos sujets, c’est celle d’un juif
pratiquant, très attaché aux préceptes religieux. (…) C’est l’idée qu’être juif, c’est être
religieux, sous peine d’incomplétude grave. » (1979 : 85). En outre, le mariage endogame et
la tendance à avoir un habitat regroupé semblent se retrouver dans des environnements très
différents. Les processus de maintien de la frontière ethnique sont ici évidents.
Selon la société majoritaire, les juifs vont mettre l’accent sur certains contenus afin de se
distinguer des non-juifs, en maintenant ou en tentant de maintenir la frontière. Il s’agit
d’appréhender les juifs en tant que groupe ethnique à travers la problématique de l’altérité.
Pour Jean-Christophe Attias, penser le judaïsme, c’est le penser en contact, en mouvement. Il
affirme que c’est le judaïsme qui est né du christianisme et de l’islam et non le contraire. Le
judaïsme a été profondément transformé par ces confrontations, il est donc devenu ce que les
deux autres religions ont fait de lui : «Qu’auraient eu les juifs pour se penser eux-mêmes s’il
n’y avait pas eu Jésus ou Muhammad ? » (conférence publique, Université de Genève, le
17.01.01). Il met cependant en garde contre une approche de l’altérité qui serait trop binaire :
dans la littérature rabbinique il existe une pensée de la frontière : entre le permis et l’interdit,
entre «nous » et «les autres », mais cette frontière est très mobile. L’étude des marges permet
de mieux appréhender l’identité juive. «Ce sont les zones frontières plus encore que les