SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 28713/95 de la

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SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 28713/95
présentée par José JUHEL
contre la France
de la requête N° 28714/95
présentée par Vladimir CECERSKI
contre la France
de la requête N° 28715/95
présentée par Philippe ALLARD
contre la France
de la requête N° 28716/95
présentée par Jacques MOSCOVIZ
contre la France
de la requête N° 28717/95
présentée par Bruno THIEBLIN
contre la France
de la requête N° 28718/95
présentée par Yves JUIN
contre la France
de la requête N° 28719/95
présentée par Pierre MAURICE
contre la France
de la requête N° 28720/95
présentée par Claude FOURCADE
contre la France
de la requête N° 30020/96
présentée par Robert HUTTMAN
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 10 septembre 1997 en
présence de
Mme G.H. THUNE, Présidente
MM. J.-C. GEUS
A. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
F. MARTINEZ
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
P. LORENZEN
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
A. ARABADJIEV
Mme
M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par José JUHEL
contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de
dossier 28713/95 ;
Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Vladimir CECERSKI
contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de
dossier 28714/95 ;
Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Philippe ALLARD
contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de
dossier 28715/95 ;
Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Jacques MOSCOVIZ
contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de
dossier 28716/95 ;
Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Bruno THIEBLIN
contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de
dossier 28717/95 ;
Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Yves JUIN contre
la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de dossier
28718/95 ;
Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Pierre MAURICE
contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de
dossier 28719/95 ;
Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Claude FOURCADE
contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de
dossier 28720/95 ;
Vu la requête introduite le 6 janvier 1993 par Robert HUTTMAN
contre la France et enregistrée le 31 janvier 1996 sous le N° de
dossier 30020/96 ;
Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les neuf requérants, de nationalité française, sont docteurs en
médecine et exercent leur profession en région d'Ile-de-France. Les
renseignements les concernant figurent à l'Annexe 1 ci-après.
Dans la procédure devant la Commission, ils sont tous représentés
par Maître Michèle Vally, avocate au barreau de Paris.
Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent
se résumer comme suit.
A.
Circonstances particulières de l'affaire
Les requérants sont tous membres de l'association S.O.S. Médecins
d'Ile-de-France, qui assure des consultations d'urgence sur appel des
patients. L'association S.O.S. Médecins, présente dans tous les
départements, se trouve en concurrence directe avec des services
d'urgence organisés, soit par des syndicats de médecins, soit par les
conseils départementaux de l'Ordre des médecins.
En conséquence, estimant que S.O.S. Médecins se rendait coupable
de concurrence déloyale et ne respectait pas le Code de déontologie,
plusieurs syndicats de médecins saisirent les instances ordinales de
plaintes contre les adhérents de l'association.
C'est ainsi notamment que, par lettre du 15 décembre 1986, le
Docteur M. G., ès qualité de secrétaire général du conseil
départemental du Rhône, informait le président de l'association S.O.S.
Lyon Médecins que le conseil départemental avait décidé, dans sa séance
du 5 décembre 1986, de porter plainte contre lui pour infraction à
l'article 23 du Code de déontologie.
Le 2 mars 1989, le Syndicat national des médecins de permanence
de soins, représenté par les Docteurs B. et D., déposa une plainte à
l'encontre des neuf requérants auprès du conseil régional de l'Ordre
des médecins d'Ile-de-France.
Le 20 mars 1989, la Fédération française des médecins
généralistes de Paris, représentée par le Docteur A., déposa une
plainte contre les requérants devant la même instance.
Ces plaintes leur reprochaient d'avoir enfreint le Code de
déontologie médicale, notamment en matière de publicité (article 23),
en faisant figurer la mention "S.O.S. Médecins" sur leurs véhicules ou
sur leurs ordonnances.
Le 28 janvier 1990, ces plaintes furent examinées à huis clos par
le conseil régional de l'Ordre des médecins, lequel prononça des peines
d'interdiction temporaire d'exercer la médecine. Les premier, quatrième
et septième requérants se virent infliger deux mois de suspension
d'exercice. Le premier requérant, qui avait fait l'objet de deux autres
plaintes, se vit infliger en outre deux mois supplémentaires de
suspension. Les six autres requérants furent condamnés à un mois de
suspension.
Les requérants interjetèrent appel de ces décisions devant la
section disciplinaire du conseil national de l'Ordre des médecins.
L'audience se déroula à huis clos.
Le 25 mars 1992, la section disciplinaire du conseil national,
où siégeait notamment le Docteur M. G., rendit une décision notifiée
aux requérants le 7 juillet 1992. Le conseil national réduisit les
sanctions prononcées : ceux des requérants qui s'étaient vu infliger
une suspension d'exercice de deux mois furent condamnés à quinze jours
de suspension, les autres à huit jours de suspension. Les deux mois
supplémentaires de suspension infligés au premier requérant furent
annulés.
Les requérants ne formèrent pas de pourvoi en cassation devant
le Conseil d'Etat.
Parallèlement à la saisine des instances ordinales, les adhérents
de l'un des syndicats plaignants introduisirent devant le tribunal de
grande instance de Paris une action en dommages et intérêts dirigée
contre les membres de l'association "S.O.S. Médecins", dont les
requérants. Par jugement du 12 juin 1991, le tribunal sursit à statuer
dans l'attente de la décision du conseil national de l'Ordre.
Après les décisions du 25 mars 1992, les plaignants demandèrent
au tribunal de condamner les requérants à leur verser des
dommages-intérêts sur le fondement des fautes disciplinaires relevées
à leur encontre par le conseil national. Le 9 mars 1994, le tribunal
leur donna gain de cause en considérant que :
"la violation (...) du Code de déontologie stigmatisée par la
section disciplinaire du conseil de l'Ordre (est) à l'origine
d'une tentative de détournement de clientèle constitutif d'une
faute au sens de l'article 1382 du Code civil."
Le tribunal condamna en conséquence in solidum les requérants à
verser 50 000 F de dommages-intérêts aux demandeurs.
Le 26 novembre 1996, la Commission a adopté un rapport relatif
aux requêtes introduites par cent cinq requérants, tous adhérents de
l'association S.O.S. Médecins Ile-de-France, concernant la même
procédure et soulevant les mêmes griefs. La Commission a conclu, en
premier lieu, à la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention,
s'agissant de l'absence de publicité des débats. En second lieu, la
Commission a estimé qu'il y avait également eu violation de l'article
6 par. 1 de la Convention, en ce que les doutes des requérants quant
à l'impartialité du conseil national de l'Ordre étaient objectivement
justifiés (cf. rapport Comm. 26.11.96, Gautrin, Fillion, Mynard,
Allemandou et autres c. France, par. 40 et 52).
B.
Eléments de droit interne
a) Textes
Code de la santé publique
Article L. 411
"La section disciplinaire du conseil national est saisie
des appels des décisions des conseils régionaux en matière
de discipline (...). Les décisions rendues par la section
disciplinaire du conseil national ne sont susceptibles de
recours que devant le Conseil d'Etat dans les conditions de
droit commun."
Article L. 417
"Le conseil régional exerce, au sein de l'Ordre des
médecins, la compétence disciplinaire en première instance
(...)"
Article L. 421
"Le médecin mis en cause peut(...) exercer devant le
conseil régional de même que devant le conseil national le
droit de récusation dans les conditions des articles 378 et
suivants du code de procédure civile. -Nouveau code de
procédure civile : article 341 et suivants".
Article L. 423
"Les peines disciplinaires que le conseil régional peut
appliquer sont les suivantes :
L'avertissement,
Le blâme,
(...)
L'interdiction temporaire d'exercer la médecine, cette
interdiction ne pouvant excéder trois années,
La radiation du tableau de l'Ordre.
Les deux premières de ces peines comportent, en outre, la
privation du droit de faire partie du conseil
départemental, du conseil régional ou du conseil national
de l'Ordre pendant une durée de trois ans ; les suivantes,
la privation de ce droit à titre définitif (...)"
Articles 15 et 26 du décret du 26 octobre 1948 concernant la
procédure devant les conseils régionaux et le conseil national (en
vigueur au moment des faits) :
"L'audience n'est pas publique et la délibération demeure
secrète."
Le décret n° 93-181 du 5 février 1993 (entré en vigueur le
1er juin 1993), relatif au fonctionnement des conseils de l'Ordre des
médecins, a modifié les dispositions citées ci-dessus :
"Lorsque la section se prononce en matière disciplinaire
(...), l'audience est publique. Toutefois, le président
peut d'office, à la demande d'une partie ou de la personne
dont la plainte a provoqué la saisine du conseil, interdire
au public l'accès de la salle pendant tout ou partie de
l'audience dans l'intérêt de l'ordre public ou lorsque le
respect de la vie privée ou du secret médical le justifie."
Code de déontologie (en vigueur au moment des faits)
Article 23
"La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce.
Tous les procédés directs ou indirects de réclame ou de
publicité sont interdits aux médecins. Sont également
interdites les manifestations spectaculaires touchant à la
médecine et n'ayant pas exclusivement un but scientifique
ou éducatif."
b) Jurisprudence
Publicité des débats
Selon une jurisprudence constante au moment des faits, le Conseil
d'Etat considérait que l'article 6 de la Convention était inapplicable
aux juridictions disciplinaires (cf. notamment décision du
29 octobre 1990 citée in Cour eur. D.H., Diennet c. France, arrêt du
26 septembre 1995, série A n° 325-A, par. 13).
Avant la modification introduite par le décret du 5 février 1993,
le Conseil d'Etat rejetait tout moyen de cassation fondé sur l'article
6 par. 1 de la Convention et notamment sur le caractère non public des
débats devant les instances ordinales (cf. notamment arrêts Debout du
27 octobre 1978, Rec. Lebon p. 395 ; Subrini du 11 juillet 1984,
Rec. Lebon p. 259). Il a rappelé, dans un arrêt du 11 janvier 1993
(arrêt Bezelgues), que "les juridictions disciplinaires ne statuent pas
en matière pénale et ne tranchent pas de contestations sur des droits
et obligations en matière civile ; dès lors, les dispositions précitées
de l'article 6 de la Convention européenne ne leur sont pas
applicables." Cette jurisprudence était suivie par la section
disciplinaire du conseil de l'Ordre des médecins.
Par un arrêt du 29 juillet 1994 (Département de l'Indre,
Rec. Lebon p. 363), le Conseil d'Etat a estimé que la décision de la
commission centrale d'aide sociale statuant sur une demande de
récupération d'une aide sociale "a(vait) le caractère d'une décision
juridictionnelle qui tranche une contestation relative à des droits et
obligations de caractère civil, au sens des stipulations (...) de
l'article 6 par. 1 de la Convention (...)". Dès lors, l'audience devant
la commission devait être publique.
Enfin, le 14 février 1996, saisi d'un recours en annulation
dirigé contre le décret du 27 novembre 1991 ayant organisé la
profession d'avocat, le Conseil d'Etat a rendu un arrêt d'assemblée
dans lequel il a examiné, au regard de l'article 6 par. 1 de la
Convention, un moyen tenant à la méconnaissance du principe de
publicité des débats.
Impartialité
Si la procédure de récusation est prévue par l'article L. 421 du
Code de la santé publique, la jurisprudence du Conseil d'Etat admet la
requête en suspicion légitime dans les termes suivants : "tout
justiciable est recevable à demander à la juridiction immédiatement
supérieure qu'une affaire dont est saisie la juridiction compétente
soit renvoyée devant une autre juridiction du même ordre, parce que,
pour des causes dont il appartient à l'intéressé de justifier, le
tribunal compétent est suspect de partialité (...)" (cf. notamment
arrêt Demaret du 12.5.58, Rec. Lebon p. 271 ; arrêt Jeault du
30 mars 1979, Rec. Lebon p. 146 ; arrêt Darlet du 19 octobre 1979,
Rec. Lebon p. 380).
Toutefois, dans le cas de la récusation comme dans celui de la
requête en suspicion légitime, la demande doit, à peine
d'irrecevabilité, être présentée avant que la juridiction saisie ait
statué au fond. Dans le cas contraire, l'intéressé n'est pas recevable
à invoquer le défaut d'impartialité devant le Conseil d'Etat (cf. arrêt
Darlet précité, en ce qui concerne la récusation et arrêt Jeault
précité, s'agissant de la requête en suspicion légitime).
GRIEFS
1.
Les requérants estiment n'avoir pas bénéficié d'un procès
équitable tel que garanti par l'article 6 par. 1 de la Convention, en
ce que leurs causes n'auraient pas été entendues publiquement.
2.
Ils contestent, en invoquant la même disposition, l'impartialité
des membres des conseils régional et national de l'Ordre des médecins.
Ils soutiennent que lesdits membres entretenaient des "liens
personnels, professionnels et syndicaux avec les plaignants".
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
Les requêtes ont été introduites le 7 janvier 1993 et
enregistrées le 27 septembre 1995 pour les huit premiers requérants.
La requête du neuvième requérant, introduite le 6 janvier 1993, a été
enregistrée le 31 janvier 1996.
Le 12 avril 1996, la Commission a décidé de joindre les requêtes
et de porter à la connaissance du gouvernement défendeur les griefs des
requérants concernant le défaut de publicité des débats, ainsi que le
défaut d'impartialité, en l'invitant à présenter par écrit ses
observations sur leur recevabilité et leur bien-fondé. Elle a déclaré
les requêtes irrecevables pour le surplus.
Le Gouvernement a présenté des observations le 2 octobre 1996,
après prorogation du délai imparti, et des observations complémentaires
le 18 mars 1997. Les requérants y ont répondu les 2 janvier et
10 avril 1997.
EN DROIT
Les requérants se plaignent de ce que leur cause n'a pas été
entendue équitablement et publiquement par un tribunal impartial, au
sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
au
A.
Le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité, tenant
non-épuisement des voies de recours internes.
Sur l'exception de non-épuisement des voies de recours internes
L'article 26 (art. 26) de la Convention dispose :
"La Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement
des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon
les principes de droit international généralement reconnus
et dans le délai de six mois, à partir de la date de la
décision interne définitive."
Quant au grief tiré du défaut de publicité des audiences
Le Gouvernement rappelle que, postérieurement aux faits du
litige, le décret du 5 février 1993 a consacré le principe de la
publicité des audiences disciplinaires. En outre, la jurisprudence du
Conseil d'Etat a admis l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)
de la Convention dans une procédure disciplinaire (cf. arrêt Maubleu
précité).
Toutefois, le Gouvernement estime que le grief tiré de la
non-publicité de l'audience est en l'espèce irrecevable, en ce que les
requérants n'ont pas fait de pourvoi en cassation devant le Conseil
d'Etat. Or, à l'époque des faits, ils auraient dû prévoir l'efficacité
d'un tel recours, dans la mesure où les conclusions des commissaires
du Gouvernement et les critiques de la doctrine quant à la position du
Conseil d'Etat laissaient présager un revirement de jurisprudence dans
le sens de l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention aux procédures disciplinaires.
Les requérants estiment que le Gouvernement admet implicitement
que le recours en cassation devant le Conseil d'Etat aurait été voué
à l'échec, en indiquant qu'il a fallu l'intervention d'un décret (du
5 février 1993) pour que le Conseil d'Etat admette le principe de
publicité des débats lors des audiences disciplinaires. En outre, ils
soulignent que l'efficacité du recours doit s'apprécier en fonction de
l'état de la jurisprudence et de la législation nationales au moment
où ledit recours est envisagé.
La Commission observe qu'en matière disciplinaire, le Conseil
d'Etat donnait, au moment des faits, une interprétation très
restrictive de la notion de droits et obligations de caractère civil
en considérant de façon constante que les dispositions de l'article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention ne s'appliquaient pas aux procédures
disciplinaires (cf. jurisprudence citée ci-dessus). Cette
interprétation a été rappelée dans un arrêt du 11 janvier 1993,
postérieur aux décisions du conseil national de l'Ordre dans la
présente affaire.
La Commission considère que, même si la législation et la
jurisprudence françaises ont évolué depuis lors dans le sens de
l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention aux
juridictions disciplinaires, un éventuel pourvoi en cassation des
requérants à l'époque des faits, fondé sur l'article 6 par. 1
(art. 6-1), aurait immanquablement été voué à l'échec et il ne saurait
leur être reproché de ne pas l'avoir tenté.
Il s'ensuit que l'exception soulevée par le Gouvernement doit
être rejetée.
Quant au grief tiré du défaut d'impartialité de la section
disciplinaire
Le Gouvernement soutient que les requérants auraient dû faire
usage du droit de récusation prévu par l'article L. 421 du Code de la
santé publique.
Si les requérants avaient fait usage de leur faculté de récuser
les juges disciplinaires, ils auraient pu, dans l'hypothèse où leur
demande eût été rejetée, soulever à nouveau cette question à l'occasion
de leur pourvoi en cassation. Le Gouvernement relève que le Conseil
d'Etat examine, de longue date et en vertu d'une jurisprudence
constante, le grief tiré du manque d'impartialité des juridictions
disciplinaires des ordres professionnels. Par ailleurs, au stade des
sections disciplinaires des conseils régionaux, les requérants auraient
pu saisir le conseil national de requêtes en suspicion légitime.
Le Gouvernement en conclut que les requérants n'ont pas satisfait
à la condition d'épuisement des voies de recours internes au sens de
l'article 26 (art. 26) de la Convention.
Les requérants considèrent que les juridictions ordinales
ignorent la notion de conflit d'intérêt entre le médecin en tant que
juge et le médecin plaignant, et qu'une éventuelle demande de
récusation se serait dès lors avérée inefficace. En outre, les
requérants estiment que porter le grief d'impartialité devant le
Conseil d'Etat n'aurait abouti qu'à renvoyer l'affaire devant la même
juridiction, ce qui n'est pas suffisant pour écarter le risque de
partialité.
Enfin, les requérants soulignent que l'absence de publicité des
débats devant les instances ordinales a pour conséquence qu'ils ne
pouvaient pas savoir quels médecins, siégeant au conseil régional ou
au conseil national, se trouvaient dans un cas où la récusation à leur
égard aurait été possible. Ils soulignent que, de façon générale, les
motifs de récusation n'ont été connus qu'après la clôture des débats.
La Commission relève que le droit français prévoit une procédure
destinée à permettre théoriquement aux médecins mis en cause de
demander la récusation d'un membre du conseil de l'Ordre. Par ailleurs,
la jurisprudence admet le dessaisissement pour cause de suspicion
légitime, qui n'est possible qu'au stade des conseils régionaux de
l'Ordre. Pour être exercée, cette faculté exige toutefois que le
praticien poursuivi ait la possibilité de connaître, avant l'audience,
d'éventuels motifs de récusation ou suspicion légitime.
A cet égard, la Commission constate que l'absence de publicité
des débats avant le décret de 1993 et la confidentialité des procédures
disciplinaires qui en résultait avaient pour conséquence que les
médecins attraits devant les instances ordinales n'étaient pas en
mesure de savoir avec certitude si l'un ou plusieurs des membres du
conseil national de l'Ordre se trouvaient dans un cas où la récusation
était possible. Or, la demande en récusation (comme la requête en
suspicion légitime) doit, sous peine d'irrecevabilité, être formée
avant que la juridiction ait statué au fond. Pour les mêmes raisons,
les requérants n'étaient pas en mesure de faire valoir utilement devant
le Conseil d'Etat, juge de cassation, les arguments tenant au défaut
d'impartialité du conseil national, qui n'ont été connus qu'après la
fin de la procédure disciplinaire (cf. Gautrin et autres c. France,
déc. 27.11.95, rapport précité, Annexe II, p. 26).
Dès lors, l'exception du Gouvernement doit être rejetée.
B.
Sur les griefs des requérants
Les requérants allèguent la violation de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention dont les dispositions pertinentes sont les
suivantes :
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement (...) par un tribunal
indépendant et impartial (...), qui décidera (...) des
contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil (...). Le jugement doit être rendu publiquement, mais
l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la
presse et au public pendant la totalité ou une partie du
procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou
de la sécurité nationale dans une société démocratique,
lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie
privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure
jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans
des circonstances spéciales la publicité serait de nature
à porter atteinte aux intérêts de la justice."
1. Les requérants se plaignent en premier lieu de l'absence de
publicité des débats.
Dès lors que la réglementation applicable au moment des faits
excluait l'organisation d'une audience publique, le Gouvernement
convient que les requérants ne sauraient être regardés comme ayant
tacitement renoncé à ce droit pour n'avoir pas explicitement réclamé
l'organisation de débats publics.
Les requérants rappellent qu'au moment des faits les audiences
n'étaient pas publiques et les délibérations demeuraient secrètes. Or
les requérants estiment que, seul le caractère public d'une procédure
permet "d'accorder une confiance à l'administration de la justice en
soustrayant le justiciable à l'arbitraire d'une justice secrète". En
outre, les requérants précisent qu'ils n'avaient à aucun moment renoncé
à la publicité des débats ou consenti à ce qu'ils se déroulent à huis
clos.
Après avoir examiné les arguments des parties, la Commission
estime que ce grief soulève de sérieuses questions de fait et de droit
qui ne sauraient être résolues à ce stade de l'examen de l'affaire,
mais qui nécessitent un examen au fond.
Il ne saurait dès lors être déclaré mal fondé, au sens de
l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. En outre, il ne se
heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
2.
Les requérants estiment que leur cause n'a pas été entendue par
un tribunal impartial.
Le Gouvernement considère que ce grief est dénué de fondement.
Citant la jurisprudence de la Cour relative à l'impartialité du
tribunal, il rappelle que la charge de la preuve du défaut
d'impartialité repose sur les requérants. En l'espèce, le Gouvernement
estime qu'une telle preuve n'est pas rapportée et que les requérants
se bornent à de simples allégations. Il souligne par ailleurs que les
médecins et associations de médecins sont nécessairement en situation
de concurrence et que douter de l'impartialité de ceux d'entre eux qui
participent aux instances ordinales reviendrait à remettre en cause les
principes mêmes qui président à leur composition.
Les requérants font valoir que plusieurs membres des instances
ordinales - au niveau régional et national - cumulaient la qualité de
juges et parties, d'une part, en étant appelés à juger des griefs qui
leur étaient reprochés et, d'autre part, en étant membres, soit du
syndicat des médecins plaignants, soit d'un conseil départemental ayant
porté plainte, soit encore comme médecins souffrant de la "concurrence"
de S.O.S. Médecins.
Les requérants soulignent que le Docteur B. et le Docteur G.
étaient tous deux membres du conseil régional de l'Ordre alors qu'ils
s'occupaient d'associations concurrentes de S.O.S. Médecins
(respectivement la Garde médicale de Paris et "SUR 93" ). Par ailleurs,
le Docteur M. G., qui siégeait au conseil national de l'Ordre, avait
été le secrétaire général, puis le président du conseil départemental
du Rhône, qui avait porté plainte contre l'association lyonnaise de
S.O.S. Médecins et le Dr V., également juge d'appel, était membre d'un
conseil départemental accordant des subventions à une association
directement concurrente. En conséquence, les requérants estiment que
cet état de fait n'a pas favorisé l'administration d'une justice
sereine, indépendante et impartiale.
Après avoir examiné les arguments des parties, la Commission
estime que ce grief soulève de sérieuses questions de fait et de droit
qui ne sauraient être résolues à ce stade de l'examen de l'affaire,
mais qui nécessitent un examen au fond.
Il ne saurait dès lors être déclaré manifestement mal fondé, au
sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. En outre, il
ne se heurte à aucun motif d'irrecevabilité.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DÉCLARE LE RESTANT DES REQUETES RECEVABLES, tous moyens de fond
réservés.
M.-T. SCHOEPFER
Secrétaire
de la Deuxième Chambre
G.H. THUNE
Présidente
de la Deuxième Chambre
ANNEXE 1
1.
Requête N° 28713/95
Monsieur José JUHEL, né le 19 mai 1952 à Saint Malo (35), de
nationalité française, demeurant à Paris (75006).
2.
Requête N° 28714/95
Monsieur Vladimir CECERSKI, né le 31 octobre 1943 à Magni Pagola
(ex-URSS), de nationalité française, demeurant à Paris (75005).
3.
Requête N° 28715/95
Monsieur Philippe ALLARD, né le 23 juillet 1939 à Suresnes (92),
de nationalité française, demeurant à Paris (75014).
4.
Requête N° 28716/95
Monsieur Jacques MOSCOVIZ, né le 6 janvier 1953 à Paris (75), de
nationalité française, demeurant à Saint Maur (94).
5.
Requête N° 28717/95
Monsieur Bruno THIEBLIN, né le 30 juin 1944 à Boulogne (92), de
nationalité française, demeurant à Ville d'Avray (92).
6.
Requête N° 28718/95
Monsieur Yves JUIN, né le 19 août 1941 à Paris (75), de
nationalité française, demeurant à Paris (75005).
7.
Requête N° 28719/95
Monsieur Pierre MAURICE, né le 21 septembre 1951 à Neuilly sur
Seine (92), de nationalité française, demeurant à Paris (75014).
8.
Requête N° 28720/95
Monsieur Claude FOURCADE, né le 4 avril 1945 à Dax (40), de
nationalité française, demeurant à Paris (75014).
9.
Requête N° 30020/96
Monsieur Robert HUTTMAN, né le 25 mars 1937 à Bucarest, de
nationalité française, demeurant à Paris (75011).
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