Les autorités ont failli à leurs obligations relatives aux droits
d’une patiente hospitalisée
Dans son arrêt de chambre1, rendu ce jour dans l'affaire Altuğ et autres c. Turquie (requête
no 32086/07), la Cour européenne des droits de l'homme dit, à l’unanimité, qu'il y a eu :
Violation de l'article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’affaire concerne le décès de Mme Keşoğlu à l’âge de 74 ans, suite à une réaction allergique
violente à l’administration d’un dérivé de la pénicilline par voie intraveineuse dans un hôpital privé.
La Cour a précisé qu’il ne lui appartenait pas de spéculer sur l’éventuelle responsabilité dans le décès
de Mme Keşoğlu de l’équipe médicale concernée. Elle a cependant estimé que les autorités
n’avaient pas assuré la mise en œuvre adéquate du cadre législatif et réglementaire pertinent, conçu
pour protéger le droit à la vie des patients. En effet, ni les experts médicaux, considérant que le
décès relevait de l’aléa thérapeutique, ni les juridictions turques ne se sont penchés sur une
éventuelle méconnaissance de la réglementation en vigueur par l’équipe médicale (obligation
d’interroger le patient ou ses proches sur ses antécédents, de l’informer sur l’éventualité d’une
réaction allergique et d’obtenir son consentement pour l’administration du médicament).
Principaux faits
Les requérants sont onze ressortissants turcs – Mmes Nilgün Altuğ, Gülgün Ertin, Mihriaver
Kayakent, Bercis Girtine, Banu Altuğ, Ayşe Evrim Üzel, Tuğba Kayakent, Buğra Atalay, Hande Didem
Bender et MM. Erim Enver Ertin et Saruhan Altuğ – nés entre 1947 et 1980 et résidant à Bursa
(Turquie). Ils sont les enfants et les petits enfants de Mme Ruhsar Keşoğlu.
Le 19 février 2002, se plaignant de maux de ventre et de tension, Mme Keşoğlu s’adressa à un centre
médical privé où elle se vit prescrire de l’ampicilline, un médicament à base de pénicilline.
Immédiatement après l’injection intraveineuse de ce produit, elle subit un arrêt cardiaque. Après
avoir été réanimée, elle fut transférée en urgence à l’hôpital de la faculté de médecine de
l’université d’Uludağ, où elle décéda le 25 février 2002 malgré les soins qui lui furent prodigués.
Les proches de la défunte engagèrent une procédure pénale en 2002. Ils déposèrent une plainte
pour homicide involontaire et négligence dans l’exercice de leurs fonctions à l’encontre de
l’établissement, ainsi que du médecin et de l’infirmière qui s’étaient occupés de Mme Keşoğlu. Ils
soutenaient notamment avoir informé l’équipe médicale de son allergie à la pénicilline. L’institut de
médecine légale rendit son rapport le 23 septembre 2002, s’appuyant sur des documents médicaux
et une autopsie du corps de la défunte après exhumation. Il concluait que l’injection de pénicilline
avait causé la mort et qu’aucune responsabilité ne pouvait être retenue à l’encontre de l’équipe
médicale, puisque des réactions mortelles à la pénicilline pouvaient survenir à la suite de la simple
répétition d’un traitement déjà engagé ou même seulement de l’injection d’une dose-test. Cette
conclusion fut reprise dans l’expertise du Conseil supérieur de la santé ordonnée dans le cadre du
1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois
mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En
pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de
l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des
renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.