Une relecture de la pensée éducative de Rousseau à travers la notion du temps Dr BOMBA Nacouma Augustin, DER Philosophie, FSHSE. Résumé Concept métaphysique, le temps n’est pas particulièrement une préoccupation chez Rousseau. Philosophe contractualiste, il s’est plutôt intéressé aux questions anthropologiques et politiques de son époque. Cependant, la notion du temps s’offre, non seulement comme nécessaire à la compréhension de son paradigme éducatif, mais aussi comme la marque de son originalité. Car elle transparaît dans l’objectif et la méthode de l’éducation. En effet, pour Rousseau, c’est commencer par la fin que de prétendre éduquer par la raison, quand bien même que le but ou l’objectif de l’éducation est la formation d’un homme raisonnable. Désignant la première étape, les premiers moments, les débuts d’une chose, d’une action, le commencement est un évènement qui se situe dans le temps. Il est temporel et a des liens avec le changement ou le devenir. Quand à la fin, étant un objectif à atteindre, elle est à venir. Or, ce qui est à venir n’est pas encore là, car il relève du futur. En faisant référence au principe du mouvement en tant que succession d’instants, la fin est ce vers quoi l’on tend, ce qui n’est pas encore réalisé. Autrement dit, c’est le présent non encore présent. Pour ne confondre finalité et moyen, Rousseau propose une méthode originale : la perte du temps. Cette méthode fait allusion à la notion du temps, qui se conçoit désormais en rapport avec l’existence. Autrement dit, il s’agit de vivre le temps et non de le concevoir ou de le penser. La perte du temps s’entend, en réalité, comme le fait de profiter du moment présent, du maintenant dans l’écoulement du temps. Cette méthode permet, dans la construction de l’humanité de l’homme, de profiter du temps prescrit par la nature. C’est seulement ainsi qu’il sera préservé de la corruption de l’état civil. Abstract Metaphysical concept, the time isn’t a particular concern to Rousseau. Contractual philosopher, he was mainly interested to the anthropological and political questions of his time. Nevertheless, the notion of time offers not only as necessary to the understanding of his educational point of view, but also as mark of his originality as it is showed through the objective and the method of education. In fact, according to Rousseau, it’s beginning by the end than pretending educate by the reason, even though the goal of education is the training of a reasonable man. Designing the first step, the first moments, the beginnings of something, of an action, the beginning is an event which is placed in the time. It is temporal and has links with change or the future. As for the end, being the goal to reach. It’s coming. But what’s coming is not yet here, because it reveals the future. Refering to principle of the movement as succession of moments, the end is what we tend towards. That doesn’t happen yet. In other words, it’s the present which doesn’t occur. Not to mixt up purpose and means, Rousseau suggests an original method: the waste of time. This method refers to the notion of time, which conceives from now on link with the existence. In other words, it means to live time, and not to conceive or to think it. In reality, the waste of time gets on with the fact to take advantage of the present day, of now in the flow of the time. This method allows, the building of man’s humanity, to take advantage of time prescribes by Introduction Dans l’antiquité, certains penseurs comme Héraclite ont construit une théorie selon laquelle l’unique principe de la génération des choses est le feu. Pour cette raison, chaque chose est sans cesse menacée de destruction. Rien n’est stable dans le monde. Tout est soumis au mouvement, à l’écoulement et au devenir. Dans cette optique, Aristote se pose la question suivante : le temps est-il un pur produit de notre conscience ou existe-t-il en dehors d’elle ? Puisque le temps est ce qui peut être nombré, il présuppose la faculté organisatrice de l’âme, la conscience de la durée. On optera alors pour la première des alternatives précédentes. Mais toute fois, il reconnaît que les effets du temps sur les choses nous sont extérieurs. Autrement dit, les choses se modifient sans notre intervention. Il n’y a pas de chaos du monde, mais un ordre de succession qui ne dépend pas de nous1. C’est, donc, à partir du mouvement, comme principe de génération et de corruption des choses, ou comme principe de changement, que se forme la conception aristotélicienne du temps. Ainsi, ce qui démontre l’action du temps, c’est le mouvement qui modifie l’aspect et la position des choses. Le mouvement est le principe de la génération, de la corruption de l’accroissement et de l’altération des choses. Il produit une rupture entre deux états. C’est à partir de cette rupture, que l’on peut parler d’antérieur et de postérieur. Cette conception du temps comme principe de mouvement nous servira de ligne directrice à la conception d’une notion du temps dans la problématique de l’éducation chez Rousseau. Relevant de la métaphysique, le temps comme concept n’a guère été une préoccupation philosophique de Rousseau. Philosophe contractualiste, il s’est plutôt intéressé aux questions anthropologiques et politiques de son époque. Le questionnement anthropologique et politique de Rousseau se fonde sur la bonté naturelle de l’homme : l’homme est-il naturellement bon ? Contre les théories2 qui abondent à son époque, Rousseau soutient que l’homme est naturellement bon, et que c’est la société qui le corrompt. Il propose donc une éducation selon l’ordre de la nature, qui préserve l’homme de cette corruption. C’est donc une entreprise audacieuse que d’essayer de relire la pensée éducative de Rousseau à partir de la notion du temps. D’autant plus que notre objectif est bien de faire une relecture de sa pensée éducative à la lumière de la notion du temps. La méthode et l’objectif de l’éducation que Rousseau propose ne laissent-ils pas transparaître la notion du temps ? Nous allons aborder cette question en deux mouvements. Dans un premier temps, nous allons dégager la notion du temps tout en situant l’originalité de Rousseau dans le débat sur l’objet et le but de l’éducation. Au 18ème siècle le principe ou l’objet de l’éducation était la raison : éduquer par la raison. L’éducation porte sur la raison et son but est la formation d’un homme raisonnable. Si Rousseau est d’accord avec le but de l’éducation, cependant, il pose que l’objet de l’éducation est d’abord l’homme : « qu’il soit homme par la vigueur et bientôt il le sera par la raison »3. Que l’éducation porte sur la raison est une inversion de l’ordre naturel des choses, c’est vouloir commencer par la fin. Cette inversion ne nous permet-il pas de saisir la temporalité qui s’y dégage ? Dans un deuxième temps, nous aborderons le nouveau champ épistémologique institué par Rousseau. Il s’agit de la méthode ou du procédé de sa théorie éducative : la perte du temps. Si le but de l’éducation est la formation d’un homme, pour y arriver, il faut perdre du temps. Pour que la fin, qui se situe dans l’avenir, se fasse présent, il faut perdre du temps, ou mieux rompre le court du mouvement. C’est cette perte du temps qui permet de former l’homme et la raison par la suite. 1 Aristote, La physique (V- VIII), Texte établi et traduit par Henri CARTERON, Paris, Les Belles Lettres, 1996, p. 104. 2 Selon une théorie du péché originel de l’Eglise, l’homme est fondamentalement corrompu par le péché depuis le jour où, ayant mangé le fruit défendu, il a été chassé du jardin d’Eden. Hobbes abonde presque dans le même sens de la corruption originelle de l’homme, lorsqu’il allègue que l’homme est par nature méchant. 3 Jean-Jacques ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation, Paris, Gallimard, 1969, p. 195. 1- La notion du temps dans le positionnement paradigmatique de la pensée éducative de Rousseau Au moment de la publication de Emile ou de l'éducation en 1762, le débat sur l'orientation de l'éducation fait rage, depuis au moins une quinzaine d'années. Les philosophes des lumières n'ont cessé de discourir sur les buts, les moyens et les finalités de l'éducation, puisque celle-ci, pensent-ils, est responsable à la fois du bonheur collectif et du progrès social. La maxime éducative de cette époque est l’éducation par la raison. Celle-ci se définit comme « la faculté d’établir entre les faits ou les notions des rapports nécessaires. […] Au sens philosophique et usuel, elle se définit également comme mode de penser propre à l’homme qui est défini comme « animal raisonnable » ou doué de raison »4. Cette époque des lumières est donc caractérisée par le triomphe de la raison sur la fatalité du destin. Ainsi, le but de l'éducation est de développer les facultés de la raison afin de permettre à l'enfant d'acquérir des automatismes mentaux. En d’autres termes, le principe de l’éducation à cette époque est la raison. L’usage de la raison dans l’éducation est l’axiome de la théorie éducative à l’époque de Rousseau. On utilise la raison pour parvenir à la raison. Or, le but peut s’entendre comme la fin que l’on se propose, l’objectif que l’on se fixe d’atteindre. Autrement dit, le but se donne comme finalité ou objectif à atteindre. Par conséquent, n’ya-t-il pas confusion entre moyen et finalité ? La finalité ne se situe-t-elle pas dans la dimension « futur », « avenir » du temps ? Des philosophes, comme Locke, sont les tenants de cette maxime qui consiste à user de la raison pour parvenir à la raison : « Raisonner avec les enfants était la grande maxime de Locke ; c’est la plus en vogue aujourd’hui ; son succès ne me paraît pourtant pas fort propre à la mettre en crédit, et pour moi je ne vois rien de plus sot que ces enfants avec qui l’on a tant raisonné »5. En effet, pour Locke, il faut inculquer à l’enfant des habitudes qui serviront de point d’appui à l’exercice progressif du jugement. Avec cette pratique, tous les penchants naturels de l’enfant seront subordonnés à une règle de la raison. C’est en éduquant très tôt l’enfant aux méthodes et aux valeurs de la raison que son esprit critique se formera et que l’individu s’humanisera conformément à l’esprit des Lumières : « Je suis assuré que si le fondement de cette réforme ne repose pas sur l’éducation de la jeunesse et sur les bons principes qu’on lui donne, tous les autres efforts seront superflus »6. Selon Locke, l’enfant étant un sujet en devenir, il faut lui communiquer une autonomie qui fera de lui l’artisan d’une société ellemême en mouvement. L’enfance ne représente plus dès lors une étape regrettable de la vie, parce que néfaste à la raison, mais un moment décisif dans le parcours d’un individu : celui où se fait la formation de son esprit : « On dit que ce qui met le plus de différence entre les hommes, c’est l’ordre et la constance. Ce dont je suis sûr, c’est que pour éclairer la route d’un écolier, pour le soutenir dans sa marche, pour lui permettre de marcher d’un pas aisé et d’avancer très loin dans n’importe quelle recherche, rien ne vaut une bonne méthode. [...] De même l’esprit doit passer de la connaissance qu’il possède déjà à celle qui vient après et qui se rattache à la première, et marcher ainsi vers son but, en considérant les parties les plus simples, les moins complexes du sujet qu’il étudie »7. Malgré le succès de cette maxime, Rousseau la réfute, et opère une rupture avec elle. Pour lui, l’éducation du jeune enfant ne doit pas être fondée sur l’inculcation des valeurs morales, des grandes exigences de la société ; à plus forte raison, sur la raison que l’enfant ne saurait entendre. Si le but de l’éducation est bien de former un être raisonnable et libre, il s’agit donc de ne pas confondre finalité et moyen. Il s’agit de ne pas confondre ce qui est de 4 Paul FOULQUIE, Dictionnaire de langue philosophique, Paris, PUF, 1992. p. 604. Jean-Jacques ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation, op. cit., p. 153. 6 John LOCKE, Quelques pensées sur l’éducation, trad. G. Compayré, Paris, Vrin, 1966, p. 92. 7 Ibid., pp. 258-259. 5 l’ordre de l’avenir, donc du futur avec ce qui est disponible maintenant, et qui sert pour parvenir à la finalité. Selon Rousseau, raisonner avec l’enfant, c’est inverser l’ordre naturel des acquisitions ; c’est compromettre la formation de l’être raisonnable et libre. En un mot, c’est dénaturer ou pervertir la fin elle-même, à savoir la raison. Aussi écrit-il : « L’on prétend élever un enfant par la raison ! C’est commencer par la fin »8. Pour lui, le but de l’éducation est la formation d’un homme raisonnable : « le chef-d’œuvre d’une bonne éducation est de faire un homme raisonnable » 9. La raison est donc la finalité, le but et non le début, encore moins le moyen de l’éducation. C’est commencer par la fin que de prétendre éduquer par la raison. Autrement dit, c’est comme si l’on saute des étapes d’un processus pour se retrouver à la fin sans avoir commencer. Le verbe commencer tire sa racine du mot latin « initium » qui signifie « commencement ». Il désigne également la première étape d’une chose, d’une action, d’une période, les premiers moments, les débuts. Il désigne ce qui vient d’abord dans une durée, un processus. Le commencement est donc un évènement qui se situe dans le temps. Il est temporel et a des liens avec le changement ou le devenir. En ce sens, il est appelé à passer, dans un procès, pour que advienne le présent et le futur. Ainsi, il se situe comme antériorité dans le mouvement. Dans un procès ou un écoulement, le commencement doit passer, glisser et tendre vers la fin. Or, le procès suppose un ensemble d’étape à suivre. Par conséquent, c’est par un cheminement, un ensemble d’étape à passer que la fin ou l’objectif visé doit arriver à échéance. La fin, étant un objectif à atteindre, est à venir. Ce qui est à venir n’est pas encore là, car il relève du futur. En faisant référence au principe du mouvement en tant que succession d’instants, la fin est ce vers quoi l’on tend, ce qui n’est pas encore réalisé. Autrement dit, c’est le présent non encore présent. Dans cette optique, pour Rousseau, la raison est ce vers quoi l’on tend à travers l’éducation. Elle doit advenir au bout du procès éducatif. Or, c’est dans une succession d’instants, de moments présents que le futur se fait présent. Par conséquent, la raison est un futur qui advient au bout d’un procès. L’on ne saurait commencer par le futur, même si les désirs, les passions, les vices de la modernité rendent impatients les hommes, et font qu’ils veulent anticiper sur le temps en voulant commencer par la fin de l’éducation. S’il ne faut pas confondre but ou finalité avec le moyen, Rousseau préconise une méthode exceptionnelle pour parvenir à la fin de l’éducation : la formation d’un homme raisonnable et libre. Cette méthode exceptionnelle est la perte du temps. 2- La notion de « la perte temps » dans l’épistémologie éducative de Rousseau La maxime éducative de Rousseau est de savoir profiter du moment présent en laissant faire la nature. En d’autres termes, il faut savoir observer la nature en l’enfant, à travers le moment présent, le maintenant. Or, la nature du maintenant est évanescente, fluide, car appelé sans cesse à passer dans un procès. Selon Catherine Malabou, « …, la fonction du maintenant est bien d’assurer le passage entre l’antérieur et le postérieur […] Le maintenant se situe entre deux pôles, l’avant et l’après. C’est lui qui est la marque de l’orientation antéropostérieure »10. C’est cette fonction du moment présent qui explique sa nature. Ainsi, la fin, qui est de l’ordre de l’avenir, ne saurait se faire présente qu’au bout d’un procès : la perte du temps : « … la plus importante, la plus utile règle de toute éducation ? Ce n’est pas de gagner 8 Jean-Jacques ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation, op. cit., p. 153. Ibid., p. 153. 10 Catherine MALABOU, Le temps, Collection dirigée par Laurence Hansen-Løve, Edition numérique : Pierre Hidalgo, La Gaya Scienza, Octobre 2011, p. 22. [En ligne] : « www.acgrenoble.fr/PhiloSophie/file/temps_malabou.pdf ». Consulté le 27-08-2014. 9 du temps, c’est d’en perdre »11. La perte du temps est, donc, un procès par lequel la raison comme fin de l’éducation est atteinte. N’est-ce pas une antinomie, une contradiction dans les termes, que de supposer un procès dans la perte du temps ? Le procès est une évolution, une tension vers, un développement de quelque chose, tandis que la perte exprime l’idée de privation, de rupture d’avec quelque chose. Or, c’est dans cette contradiction même que s’exprime l’action de la nature sur l’individu comme un laisser faire. Par conséquent, la perte du temps s’entend comme un laisser faire du temps, c’est-à-dire, laisser le temps agir sur l’individu. Il s’agit de soumettre l’individu « au temps prescrit par la nature »12. En ce sens, la perte du temps est non seulement un retour à la nature, mais aussi un recours à la nature. Perdre du temps, c’est « épier longtemps la nature »13, c’est observer l’enfant, laisser le germe de son caractère en pleine liberté de se montrer. Car, c’est seulement en ce moment là que l’on pourra y insérer son action. Il s’agit d’une éducation négative14, qui forme à la nécessité et à l’endurance. La formation à la nécessité est une endurance qui amène l’enfant à acquiescer volontairement à l’ordre de la nature. Celle-ci se fait bien sûr par l’intermédiaire des ordres de l’adulte. La formation à la nécessité donne à l’enfance le temps de mûrir. La perte du temps n’est en fait qu’une illusion, car, en réalité, elle est une manière de profiter du temps, ou encore de jouir du temps. Autrement dit, la perte du temps s’entend, en réalité, comme le fait de profiter du moment présent, du maintenant dans l’écoulement du temps. La notion du temps se conçoit en rapport avec l’existence. Il s’agit de vivre le temps et non de le concevoir ou de le penser. L’existence humaine est soumise à l’action du temps, qui, en tant que mouvement qui modifie l’aspect et la position des choses, agit sur l’homme à travers la nature, pour le fortifier, le rendre plus mature. Ainsi, l’existence humaine est comprise dans le temps comme le bétail dans un enclos. Elle est soumise à l’usure du temps. C’est pourquoi, il faut en profiter au tant que faire se peut. Il ne faut pas se précipiter au risque de bruler des étapes et de « corrompre » ainsi l’existence. Dans le livre V de Emile, Rousseau trouve que c’est une calomnie envers la nature que de dire que la vie est courte : « Les hommes disent que la vie est courte, et je vois qu’ils s’efforcent de la rendre telle. Ne sachant pas l’employer, ils se plaignent de la rapidité du temps, et je vois qu’il coule trop lentement à leur gré. Toujours pleins de l’objet auquel ils tendent ils voient à regret l’intervalle qui les en sépare : …, nul n’est content de l’heure présente, tous la trouve trop lente à passer »15. Ce sont les passions, le désir d’acquisition immédiate des choses, etc. qui empêchent les hommes d’apprécier le temps, ou encore de jouir du temps. Or, les viles formes de l’amour propre telles que les passions, les désirs naissent avec l’état civil. Car, la raison s’y développe, avec tous ses cortèges de vices. Ainsi, l’état civil ou la société civile est corruptrice. L’homme ne se souci plus de son être, mais de son paraître. Toujours poussé hors de lui-même à la recherche des honneurs, des distinctions, des civilités, l’homme est en proie à des passions, qui le rendent incapable de porter ses désirs au-delà du moment présent. La société contemporaine de Rousseau est marquée par une modernité, qui déconstruit l’homme en le projetant toujours hors de lui-même. En d’autres termes, ce sont les 11 Jean-Jacques ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation, op. cit., p. 159. Pierre BURGELIN, La philosophie de l’existence de J.-J. Rousseau, Paris, J. Vrin, 1973, p. 494. 13 Jean-Jacques ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation, op. cit., p. 160. 14 Dans la Lettre à Monseigneur de Beaumont, Rousseau définit l’éducation négative comme « celle qui tend à perfectionner les organes, instruments de nos connaissances, avant de nous donner ces connaissances, et qui prépare à la raison par l’exercice des sens ». (Cf. Jean-Jacques ROUSSEAU, Lettre à Monseigneur de Beaumont, Œuvres Complètes, t.3, Paris, Seuil, 1971, p. 344). 15 Ibid., p. 606. 12 passions, issues de l’état civil ou mieux de la modernité, qui empêchent l’homme de tempérer ses désirs afin de ne pas être importuné par la « lenteur du temps ». Puisque l’existence de l’homme est comprise dans le temps, il devient un être de conflit et de tension intérieure, qui font qu’il s’impatiente du temps qui le sépare de l’objet désiré. Dans le désir d’acquérir immédiatement les choses, ou mieux dans le désir d’anticiper sur l’ordre naturel des choses, l’être humain corrompt son existence. « Quand, écrit Rousseau, ils se plaignent que le temps coule trop vite ils mentent ; ils paieraient volontiers le pouvoir de l’accélérer »16. Le temps comme succession d’instants, s’estimant en durée, devient très court lorsque l’impatience habite l’homme. Car, il ne prend pas le « temps » de vivre, de jouir du temps. Ainsi, dans son éducation, dans la construction de son humanité, il ne veut plus, dans une logique de perte du temps, profiter du temps prescrit par la nature. Conclusion Sans parler expressément de la notion du temps, Rousseau semble lui faire recours pour élaborer sa pensée éducative : une pensée qui prend le contre sens des théories qui abondent à son époque. Ainsi, elle permet de mieux saisir l’originalité de sa méthode éducative : l’éducation négative ou l’éducation selon la nature. Cette méthode laisse transparaître la temporalité, car il s’agit de laisser le temps agir sur l’individu, ou de soumettre l’individu au temps prescrit par la nature. Le temps devient ainsi un élément essentiel dans le processus éducatif. Dans une contradiction apparente, ce processus éducatif se passe dans une rupture : la perte du temps. Celle-ci se situe aux antipodes de la thèse qui prévaut à l’époque où apparaît Emile ou de l’éducation. La maxime de cette thèse est l’éducation par la raison. Or, c’est commencer par la fin que de vouloir éduquer par la raison. Cela dénote une certaine impatience de l’homme dans son désir d’acquérir immédiatement un objet. C’est cette impatience que Rousseau réfute dans sa méthode éducative. Il ne faut pas se précipiter en voulant, sans la médiation du temps, commencer l’éducation de la raison ; puisque celle-ci est la fin de l’éducation. Il faut donc épier la nature, laisser l’enfant vivre ou jouir du temps afin de le fortifier et le rendre mature. C’est seulement ainsi qu’il sera préservé de la corruption de l’état civil. 16 Ibid., p. 606. Bibliographie Ouvrages · Aristote, La physique (V- VIII), Texte établi et traduit par Henri CARTERON, Paris, Les Belles Lettres, 1996. · BURGELIN Pierre, La philosophie de l’existence de J.-J. Rousseau, Paris, J. Vrin, 1973. · FOULQUIE Paul, Dictionnaire de langue philosophique, Paris, PUF, 1992. · LOCKE John, Quelques pensées sur l’éducation, trad. G. Compayré, Paris, Vrin, 1966. · ROUSSEAU Jean-Jacques, Emile ou de l’éducation, Paris, Gallimard, 1969. · ROUSSEAU Jean-Jacques, Lettre à Monseigneur de Beaumont, Œuvres Complètes, t.3, Paris, Seuil, 1971. Sites web. consultés · MALABOU Catherine, Le temps, Collection dirigée par Laurence HansenLøve, Edition numérique : Pierre Hidalgo, La Gaya Scienza, Octobre 2011, p. 22. [En ligne] : « www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/file/temps_malabou.pdf ». Consulté le 27-08-2014.