de la derive des continents a la tectonique des plaques

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E.N.S.M. St Etienne
2010
Jill Scott
«Continental Drift»
«Continental Drift» compares
the process of speculation and
excavation in the landscape to
the process of diagnosis and
treatment in human illness. It
focuses on the relationship
between the crust of the earth
and a comparison between the
health of the human body and
that
of
the
planet.
«Continental
Drift»
was
inspired by the artist's own
experience of breast cancer
and alternative cures.
www.medienkunstnetz.de
DE LA
DERIVE DES CONTINENTS
A LA
TECTONIQUE DES PLAQUES
Aperçu épistémologique de la géologie entre deux paradigmes
Axe Processus Naturels
E.N.S.M. St Etienne
Block diagram illustrating schematically the ocean-floor spreading hypothesis, and more particularly the
relationship between ocean ridges, island arc-trench Systems and transform faults of ridge-to-ridge and arcto-arc types. The arrows indicate the relative motion between adjacent blocks. Adapted from ISACKS,
OLIVER and SYKES (1968), J. geophys. Res., 73, 5857.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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Les XVI° et XVII° siècles : L'ERE des CATASTROPHISTES
L'acquis des anciens, grecs et latins, ayant été oblitéré par le Moyen-âge, il faut attendre le XVI° siècle pour voir
le redémarrage des connaissances dans le domaine des sciences de la Terre. Toutefois, à cette époque, la notion de temps
est imposée par l'Eglise pour qui toutes les explications sont contenues dans la Bible. Le déluge en particulier est considéré
comme un événement "incontournable" de l'histoire de la Terre. J. Ussher (archevêque primat d'Irlande) établit une
chronologie de la planète exclusivement basée sur la Bible. Cette chronologie servit longtemps de modèle, à tel point que
certaines éditions actuelles de la Bible y font encore référence. "La Terre et le ciel ont été créés le dimanche 23 octobre
4004 av JC", Noé est monté en bateau le mardi 7 décembre 2349 av JC. Aucune explication géologique ne saurait dès lors
ignorer cet épisode clef sans risque de passer pour hérétique, tel B. Palissy qui osait prétendre en 1570 que l'eau et la mer
usaient les roches tellement vite qu'il faudrait bien que celles-ci soient remplacées sous peine de voir bientôt disparaître les
continents sous les flots. Ce XVI° siècle est aussi celui des voyages et des découvertes. Certains rapportèrent ainsi
d'Extrême-Orient que la chronologie de plusieurs familles dépassait l'âge du déluge. Grâce à ces grands voyages, les relevés
cartographiques progressèrent énormément. Dès cette période, les géographes constatèrent la similitude des côtes
Atlantiques. Mais s'ils soulignèrent le fait, ils n'en tirèrent cependant pas de conclusions.
En 1620, sir F. Bacon va plus loin et suggère dans son "Novum Organum" que le parallélisme entre les côtes
Atlantique "ne peut être le fruit du hasard".
L'explication en fut donnée un peu plus tard par
F. Placet: "le déluge avait séparé ce qui
autrefois était réuni". D'autres remarques sur le
développement de la vie sur Terre étaient de plus
en plus difficiles à concilier avec les
enseignements de la bible. En 1634, Descartes
admet que la formation de la Terre est un
processus continu mais par prudence il ne publie
pas sa théorie. N. Sténo établit que la
superposition des couches sédimentaires peut
contenir la chronologie des événements
géologiques (fig. 1). En 1669, il met en accord sa
Fig. 1 : Graphiques publiés en 1669 par Sténo et présentés dans l'ordre inverse de celui de
théorie avec le dogme en rendant le déluge
la chronologie ; ils illustraient la conception qu'il avait de l'origine des composants de la
terre : les premières strates (en bas à droite), affouillées par l'eau, s'effondraient (en haut
responsable de la sédimentation.
à droite) en laissant des vides que remplissaient ensuite les sédiments (en bas à gauche).
Une deuxième séquence d'affouillements et d'effondrements, selon Sténo, aboutissait à
la création des falaises, des collines et des vallées.
Le XVIII° siècle : L'EMERGENCE
des IDEES CONTINUISTES
Lors de la mesure de la hauteur des Andes (1735), P. Bouguer utilise un fil à plomb pour mesurer les verticales.
Il est donc conduit à introduire une correction pour tenir compte de la déviation horizontale engendrée par la masse des
montagnes avoisinantes. La déviation qu'il observe est beaucoup plus faible que ce qu'il prévoyait. Presque simultanément
G. Everest obtient le même résultat en Himalaya. P. Bouguer en conclut que les montagnes étaient beaucoup moins denses
qu'on l'imaginait, à moins qu'elles ne fussent creuses. La notion de montagnes creuses fut très mal reçue, mais les
observations de Bouguer et Everest ne trouvèrent pas d'autre explication, et les choses en restèrent là pendant un siècle. En
1749, Buffon commence la publication de son "Histoire Naturelle". Il y note entre autre que "l'on retrouve les mêmes
fossiles en Irlande et en Amérique, et qu'on ne les trouve nulle part ailleurs" et en déduit que ces deux régions avaient dû
être reliées jadis, en 1782, B. Franklin constate de son côté que les fossiles marins existent dans les montagnes. Il en
conclut avec une pré-science étonnante que la croûte de la Terre doit être une coquille flottant sur un fluide interne, "de
sorte que la surface du globe pourrait être brisée et bouleversée par des mouvements du fluide sur lequel elle repose". En
1780 enfin, J. Hutton (thèse publiée par son biographe en 1805) est le premier à oser dire le rôle important du temps infini
à l'échelle géologique, et à concevoir que les phénomènes géologiques ne sont pas cataclysmiques, c'est à dire accidentels
au sens du déluge, mais ressortent au contraire de phénomènes physiques continus. Pour lui la Terre a évolué et continue
d'évoluer par des processus naturels, accumulation, érosion, plissement, de nouveaux continents remplaçant les anciens.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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Le XIX° SIECLE : des OBSERVATIONS en AVANCE sur les CONCEPTS
La charnière du XIX° siècle est marquée dès 1805 par W. Humboldt. Il connaît très bien l'Afrique lorsqu'il
aborde l'Amérique Latine, ce qui lui permet de corréler les chaînes de montagnes tronquées par l'Atlantique avec leurs
homologues africaines. En plus de ces identités géographiques, il constate des similitudes géologiques frappantes entre ces
chaînes (brésilienne et congolaise par exemple), et entre les bassins (Amazone et Guinée). Il va plus loin encore et étend ce
principe de puzzle en pièces détachées à l'Amérique du Nord et l'Europe. La conclusion est alors évidente: l'Atlantique n'est
qu'une vallée, remplie par le déluge. Comme J.Hutton, J.B. Lamarck considère que rien n'est impossible au temps. Il lui
vient une curieuse idée pour expliquer à la fois le déplacement des continents et la présence de fossiles marins sur ceux-ci.
En s'appuyant sur les courants marins, il imagine une érosion des continents sur une de leurs façades maritimes et une
sédimentation à l'opposé, ce qui aurait pour effet d'engendrer une migration apparente des continents. La période 18301850 est marquée par le développement des théories continuistes de C. Lyell. Il considérait comme Hutton que tout était le
fruit d'un processus naturel encore à l'œuvre. Il ne croyait pas aux déplacements latéraux des continents de Lamark. Vers
1850, J.D. Dana émit l'hypothèse que la Terre, originellement en fusion, se refroidissait en subissant une contraction à la
manière d'une pomme qui se ride en séchant. Les bourrelets montagneux à la surface du globe correspondaient à ces rides.
Les océans représentaient dans sa théorie des zones de contraction plus récente et donc plus profondes, les continents étant
alors figés. Les fortes contraintes engendrées aux limites océan-continent seraient responsables des montagnes jeunes
(Andes par ex). Cette théorie aura la vie dure. Pourtant dès 1858, dans "La Création et ses mystères dévoilés", SniderPelegrini s'oppose à la théorie de la contraction de Dana. Il est d'accord avec lui pour une Terre en fusion au début de son
histoire, mais il réfute la contraction: pour Snider-Pelegrini, si les continents s'emboîtent, c'est qu'à une période ils n'ont
formé qu'une seule masse; ensuite ils se sont déplacés. A l'appui de sa théorie, il avait même retracé des cartes du globe
(fig. 2). Il est regrettable que ce trait de génie ait été discrédité par l'explication (enfin démodée) qu'il donnait du
déplacement ultérieur des continents, le déluge, mais aussi par l'influence grandissante des théories de Lyell et de Dana. En
1855, G. Airy réinterprète les observations de Bouguer et Everest. Il suggère d'une part que, compte tenu de leur hauteur,
les montagnes représentent un excédent de poids important et qu'elles doivent donc avoir des racines importantes, et il
suggère d'autre part qu'étant constituées de granite (matériel de densité faible), les montagnes flottaient comme des icebergs
sur la couche basaltique plus dense du manteau. "On peut supposer que la croûte flotte en équilibre". L’isostasie était née
avant l'heure. Cette notion de soulèvement progressif fut reprise vers 1870 par J.W. Powell pour expliquer le tracé sinueux
du Colorado malgré son enfoncement dans le Grand
Canyon. Le nom d' "isostasie" ainsi que la formalisation du
concept d'équilibre de la croûte en terme de gravité datent
de 1899 et sont dus à C. Dutton. En 1879, G.H. Darwin (ne
pas confondre avec Charles Darwin auteur de "De
l'origine des espèces par voie de sélection naturelle" 1859)
publia l'hypothèse selon laquelle la lune aurait été arrachée
à la Terre en des temps très reculés de l'histoire de la Terre.
L'océan pacifique en serait la cicatrice. Pour O. Fisher, qui
considère en 1881 dans "Physics of the Earth's crust" que
l'intérieur de la Terre pourrait être relativement fluide et
animé de courants de convection ascendants sous les océans
et descendants sous les continents, l'arrachement de la lune
aurait provoqué un déplacement latéral et une
fragmentation de la croûte granitique refroidie. Cette
théorie aussi restera un serpent de mer dont la gorge ne sera
tranchée que durant les années 1960: le dragage et le
Fig.2 : Antonio Snider-Pellegrini, un Américain émigré en France, fut l'un des
tout premiers géologues à exposer dans un traité, publié en 1858, l'idée d'une
carottage du fond océanique pacifique révéla qu'il n'y avait
dérive des continents illustrée par les canes ci-contre. Il prétendait, contrairement
pas de roches plus vieilles que 200 Ma environ, alors que
à la thèse soutenue plus tard, que les terres qui bordent l'Atlantique avaient été
l'analyse des échantillons prélevés sur la lune en 1969
brutalement séparées par un cataclysme causé par le déluge de la Bible.
montra que celle-ci était née en effet il y a près de 4 Ga.
La charnière XIX° XX° SIECLE, ELASTICITE - RIGIDITE du MANTEAU
A la charnière du XX° siècle, la géophysique se développe rapidement. De 1841 à 1844, Milne avait montré
qu'un ébranlement se propage par des ondes sphériques. En 1897, Oldham distingue deux types d'ondes: les ondes "P" ou
primaires, et les ondes "S" ou secondes, qui se révélèrent être de cisaillement. Le fait qu'elles soient transmises sauf dans le
noyau imposa l'idée d'une croûte rigide et d'un noyau liquide (Oldham en 1906). Les grandes discontinuités de la Terre sont
mises en évidence par A. Mohorovicic entre croûte et manteau en 1909 et par B. Gutenberg entre manteau et noyau. Les
géologues Américains et Anglais considèrent alors que puisque le manteau et la croûte transmettent les ondes de
cisaillement, ils doivent être très rigides. Au contraire les géophysiciens Allemands adoptent généralement des conceptions
mobilistes voisines de celles de Fisher, mais leurs idées sont peu répandues (barrière linguistique). Elles sont cependant
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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importantes dans la mesure où A. Wegener, allemand lui aussi, en était
forcément imprégné lorsqu'il conçut sa théorie de la dérive des continents. On
considère que le ralentissement des ondes S dans la zone à faible vitesse (Low
Velocity Zone, fig. 3) est dû au fait que les roches sont proches de leur point de
fusion ou contiennent une faible proportion (1% maximum) de liquide
magmatique. Vers 1840, C. F. Gauss avait analysé la distribution du champ
magnétique terrestre, et donné une description complète de celui-ci, en direction
(déclinaison) et en inclinaison. La première observation de l'aimantation de
roches est due à A. Delesse en 1849. Vers 1900, les travaux de P. Curie sur le
magnétisme des minéraux (point de curie) vont permettre d'utiliser le
magnétisme rémanent des roches. En 1906, B. Brunhes découvrit que certaines
Fig. 3 : Ondes P et S dans la Terre.
roches étaient aimantées à l'inverse du champ actuel. Il en déduisit que le champ
magnétique avait pu subir une inversion dans un lointain passé. L'absence de matériel de mesure précis et sensible fit que,
malgré tout l'intérêt de ces découvertes, l'étude du magnétisme terrestre ne devait prendre son véritable essor qu'après 1950,
lorsque S. Chapman et J. Bartels eurent démontré que l'on pouvait ramener le champ magnétique terrestre à un dipôle
placé en son centre, et que les irrégularités superposées (appelées effets régionaux) étaient dues aux composantes
multipolaires du champ. En ce début de siècle, les découvertes paléontologiques et biologiques se sont accumulées,
imposant l'idée de liaisons (isthmes temporaires par exemple) entre les continents actuels: Flore à Glossoptéris (fougère de
270 Ma) vivant au Brésil et en Afrique du Sud; aire de répartition du Mésosaurus (reptile terrestre) couvrant le Brésil,
l'Afrique équatoriale actuelle et Madagascar; l'existence d'espèces animales actuelles communes à Madagascar et à l'Inde.
Entre 1885 et 1909, E. Suess qui était un fervent partisan des thèses de Dana publia "Le Visage de la Terre". Opposé aux
idées de C. Dutton, il considérait que la croûte, originellement uniforme et
répartie en deux super continents qu'il appela Gondwana et Atlantis, s'était
partiellement effondrée dans le manteau sous l'effet de la contraction.
Cette nouvelle hypothèse permettait de rendre compte des découvertes
paléontologiques précédentes sans faire appel à des passerelles aujourd'hui
disparues. Lors de ces épisodes de contraction, la bordure des continents
aurait subi une poussée tangentielle, et il en résulterait la constitution de
chaînes de montagnes arquées. Suess avait en effet remarqué que les
chaînes bordières présentent leur bordure convexe vers l'océan (fig. 4).
L'histoire retiendra aussi et surtout de Suess qu'il distingua 3 couches dans
la structure interne de la Terre, le noyau interne, le manteau intermédiaire,
et la croûte externe, terminologie toujours en vigueur. Parallèlement aux
travaux de Suess, le paléontologue M. Neumayr avait reconstruit en 1887
Fig. 4 : d’après E.Suess, les chaînes bordières présentent leur
la topographie des terres à 190 Ma en s'appuyant sur les répartitions
bordure convexe vers l'océan, en voici une illustration moderne.
connues de fossiles dans le monde. Il avait tracé trois super continents.
.Atmosphère
N 72.3
O 25.4
A 13.0
Hydrosphère
eau de mer
eau douce
%
ppm
ppm
H 10.6
O 86.5
Cl 1.89
Na 1.06
Mg 0.13
H 52.5
O 39.0
Cl- 18980
Na+ 10556
SO422+
Mg
C 0.013
S
Ca
K
Br
0.08
0.04
0.03
0.06
C 6.50
2649
1300
Ca2+ 400
K+ 380
CO3- 140
HC03Mg2+
SO42Ca2+
Si02
58.4
41.0
11.4
15.0
13.1
Br- 65
H2BrO3 26
Cl- 7.8
Na+ 6.3
NO3- 1.0
Kr 0.0003
Sr2+ 8
Fe 0.7
He 0.00006
Xe 0.00004
Total
34476
Total 120.0
Ne 0.0012
C 0.003
Biosphère
N 0.50
Ca 0.38
K 0.22
Si 0.12
Mg 0.10
S 0.070
Al 0.055
P 0.052
Cl 0.050
Fe 0.038
Mn 0.021
Na 0.019
Croûte
continentale
océanique
O 41.2
Si 28.0
Al 14.3
O 43.7
Si 22.0
Fe
Ca
K
Na
Mg
4.70
3.90
2.30
2.20
1.90
Ti 0.40
C 0.30
H 0.20
Fe
Mg
Al
Ca
Na
Ti
8.40
7.60
7.50
7.10
1.60
1.40
K 0.33
Mn 0.15
Mn 0.07
Manteau
supérieur
inférieur
(lherzolites)
(chondrites)
Noyau
externe
interne
O 44.70
Mg 24.70
Si 21.10
O 43.70
Si 22.50
Mg 18.80
Fe 80-85
Fe 5.60
Al 1.90
Ca 1.40
Fe 9.80
Ca 1.70
Al 1.60
Ni 5
Na 0.15
Ti 0.12
Na
Cr
Mn
P
K
K 0.08
Mn 0.07
0.84
0.41
0.33
0.14
0.11
Fe 80
Ni 20
S,Co,Si.
0.10-0.15
Ti 0.08
Fig.5 : Composition chimique des différentes enveloppes du globe Terrestre : Elles correspondent à des valeurs moyennes et sont exprimées en % pondéraux
(d'après Brown et Musset. Krauskopf. Reeves). Pour les "eaux". on a indiqué aussi des valeurs en parties par million (ppm) des principaux ions dissouts
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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1912 la DERIVE des CONTINENTS de A. WEGENER
Le début du XX° siècle avait été marqué par une foison de théories sans fondement visant à expliquer l'ensemble
des observations. Cependant, les connaissances du globe progressaient, en particulier dans le domaine de la chimie. Les
premiers pas de la chimie des roches sont dus à l'anglais De la Bêche et à E. de Beaumont au milieu du XIX°. Le plus
gros travail de recensement et d'analyse statistique, effectué entre 1889 et 1924, est dû à F. W. Clarke et à Washington. On
appelle Clarke d'un élément son niveau de concentration dans la nature. A l'époque, on distingue déjà la croûte continentale
sialique légère ou SIAL (acronyme de silicium et aluminium), de la croûte océanique censée représenter le manteau ou
SIMA (de silicium et magnésium). Si ces termes ont à peu près
disparu aujourd'hui, le tableau des compositions moyennes des
enveloppes terrestres de la fig. 5 montre que la distinction était bien
fondée. En 1908, F. Taylor publia une communication très
importante. Pour lui, les chaînes de montagnes telles que les Andes,
les Rocheuses, les Alpes ou l'Himalaya étaient nées de formidables
pressions exercées latéralement et pendant une longue période de
temps. Il envisageait deux proto-continents situés aux pôles qui
auraient subit "une puissante progression rampante" vers
l'équateur, causée par "un irrésistible fluage". Les chaînes tertiaires
seraient nées de leur collision. L'hypothèse de Taylor passa
inaperçue, partiellement en raison de la faiblesse de son analyse des
faits.
Fig. 6 : Reconstitution par Wegener des diverses positions des
continents, du Carbonifère jusqu'au Quaternaire. D'après
Wegener,fig- 4- 1929-
La théorie de A. Wegener, très proche mais beaucoup
plus étayée, allait avoir un tout autre retentissement. Météorologue
glaciologue, astronome de formation et explorateur (spécialiste du
climat du Groenland), A. Wegener était un homme éclectique (nous
dirions aujourd'hui pluridisciplinaire) passionné de climatologie,
d'hydrographie, de volcanisme etc... Ses lectures géologiques
l'amenèrent vers 1910 à réfléchir sur les théories en vigueur.
Comme nombre de ses contemporains, il n'admettait pas la théorie
sans fondement des isthmes pour expliquer les associations
faunistiques actuelles ou fossiles. Il avait noté aussi les
incohérences entre la théorie de la contraction de Dana et
l'observation. Il en est ainsi de la distribution des chaînes de
montagnes dans le monde qui, au lieu d'être régulièrement réparties
comme l'impliquerait une contraction homogène constituent
d'étroites bandes curvilignes. Les datations par radioactivité,
quoique pas encore très précises (P. et M. Curie prix Nobel en 1903
puis Marie en 1911) qui révèlent des âges de formation très variés
mais groupés autour d'épisodes séparés par de longues périodes
tranquilles, sont en contradiction avec la contraction qui aurait dû
entraîner une formation simultanée ou à tout le moins continue des
chaînes de montagnes. A. Wegener allait fédérer les connaissances
des paléontologues sur la répartition des fossiles, des géophysiciens
sur l'isostasie, des géologues sur la nature de la croûte continentale
et océanique, et des géographes sur la morphologie des continents
en une hypothèse globale, "La formation des traits caractéristiques
principaux de la croûte de la Terre" est présentée en janvier 1912
devant l'association géologique de Francfort. Les idées de Wegener
furent très mal reçues, en particulier à cause du caractère
pluridisciplinaire de l'auteur. W. Koppen, directeur de
l'observatoire de Hambourg écrivait alors: "S'attaquer à des sujets
qui sortent des limites tracées à une science par la tradition expose
tout naturellement l'intrus à se voir considérer avec méfiance". En
1915 puis en 1920,1922 et 1929, il publia "La Genèse des
continents et des océans" ouvrage dans lequel il avait rassemblé
tous ses arguments pour expliquer que les continents, d'abord
rassemblés en une seule masse nommée "Pangaea", avaient dérivé
ensuite vers leur position actuelle (fig. 6). En 1930, A. Wegener
décède au cours d'une expédition au Groenland.
Les premiers arguments de A. Wegener étaient d'ordre
géophysique. Il étudiait la topographie Statistique de la Terre, qui
met en évidence deux altitudes dominantes, l'une autour de -5000m
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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correspondant aux océans, l'autre, légèrement positive, correspondant aux
continents (fig. 7). Cette observation coïncidait parfaitement avec la
distinction entre SIAL et SIMA. Wegener considérait que les limites des
continents se situaient non aux rivages de ceux-ci mais à la limite entre SIAL
continental et SIMA océanique, c'est à dire au talus continental. Il considérait
que si, comme l'admettait la théorie de l'isostasie de Airy, des déplacements
verticaux de la croûte sialique étaient possibles malgré la rigidité de celle-ci
(transmission des ondes S), rien ne s’opposait à des mouvements horizontaux.
Après rapprochement de l'Afrique
et de l'Amérique du Sud, il
reprenait les observations et les
Fig. 7 : Les deux maxima dans la distribution des altitudes
idées de Humboldt sur la
à la surface de la Terre., d'après Wegener, fig. 8y 1929.
continuité
des
ensembles
géologiques d'un continent à l'autre: les remarquables similitudes entre les séries
plissées du Cap et de Buenos Aires; similitudes entre des séries continentales
houillères du Karroo en Afrique du Sud et de Santa Carina au Brésil; similitudes
encore entre les boucliers africain et brésilien (fig. 8); similitudes aussi entre les
grès rouges d'Amérique du Nord, du Groenland et d'Europe. Il écrivait: " Tout se
passe comme si nous devions rassembler les morceaux déchirés d'un Journal
sur la seule base de leurs contours, pour vérifier ensuite seulement que les
lignes imprimées se raccordent correctement. Si tel est bien le cas, il ne reste
plus qu'à conclure que les morceaux étaient en effet disposés ainsi. Quand bien
même nous ne disposerions que d'une seule ligne pour procéder à cette
www.geology.ohio-state.edu
Fig. 8 : L'extension des structures géologiques de
vérification, nous aurions une très grande probabilité de tomber juste. En
part et d'autre des cotes de l’Afrique et de I
présence de n lignes cette probabilité est élevée à la nième puissance ".
Il développa tout particulièrement les preuves paléontologiques
(parmi les exemples figurent les cas du reptile terrestre Mesosaurus, de la Flore
à Glossoptéris, fig. 9), mais il s'appuyait aussi sur des espèces actuelles. Il utilisa
en particulier le cas de vers de terre dont Michaelson avait montré des
ressemblances faunistique entre espèces d'Amérique du Nord et d'Europe, entre
espèces d'Amérique du Sud et d'Afrique, et entre espèces d'Afrique du Sud,
d'Australie, d'Inde et de Patagonie. La répartition des marsupiaux fut aussi un
élément important de sa thèse. Ceux d'Australie ont, à l'évidence, subit une
évolution indépendante au moins depuis le début du Tertiaire. Avant, l'Amérique
du Sud était reliée à l'Australie, comme le montre la présence de l'Opossum sur
ce territoire. Par contre, les marsupiaux sont absents d'Europe et d'Amérique du
Nord. A. Hallam (1976) remarque que Wegener n'avait pas Utilisé les coraux,
alors que ceux-ci sont de remarquables marqueurs des mers chaudes
Dans les deux dernières éditions, il ajouta des arguments
paléoclimatiques que Koppen et lui-même avaient recensés (fig. 10): II fit ainsi
appel aux tillites (sédiments périglaciaires déposés par et sous les glaciers), aux
charbons dont on estime que le climat tropical humide est facteur favorisant, à la
présence de grés caractéristiques des ceintures désertiques.
Fig. 9 : Positions de l'Afrique et de l'Amérique du Sud, il y a environ 200 Ma,
à partir des informations structurales et paléontologiques. C'est sur de telles
données que Wegener avait fondé sa théorie de dérive des continents"
Amérique du Sud démontre l'unité de ces deux
continents avant la rupture de la Pangée. Les vieux
boucliers, encore appelés cratons sont ceinturés par
des chaînes elles-mêmes plus anciennes que 450
Ma (modifié de P. Hurley.1979.
La dérive des continents. Belin éd.20-31.
www.ggl.ulaval.ca/.../bourque/s1/derive.html.
La continuité des structures géologiques
aujourd'hui séparées par l'Océan Atlantique entre
l'Amérique du Nord et l'Europe confirme aussi
l'idée de Wegener. Les Appalaches (Est de
l'Amérique du Nord), les Mauritanides (nord-est de
l'Afrique) et les Calédonides (Iles Britanniques,
Scandinavie), sont une seule et même chaîne
formée entre 470 et 350 Ma.
Wegener
expliquait
la
formation
des
chaînes
de
montagnes par un
écrasement et des plissements en bordure des continents lorsque
ceux-ci trouvent une résistance lors de leur dérive. A force de
vouloir ajouter des arguments à sa théorie pour la rendre
crédible, il commit l'irréparable. Premièrement, en se basant sur
l'hypothèse fausse de l'existence d'une calotte glaciaire à 2 Ma,
et sur des mesures fausses de longitude faites au Groenland en
1823 et 1870, Wegener estima la vitesse de déplacement des
continents Nord Amérique et Europe à 36m/an, valeur
beaucoup trop forte pour être acceptable. Deuxièmement, en
voulant à tout prix trouver un moteur à la dérive des continents,
qu'il chercha dans la force centrifuge due à la rotation de la
Terre, et dans l'attraction des planètes et du soleil, il offrit à ses
détracteurs le moyen de discréditer l'ensemble de son travail.
Ces seuls points faibles de sa théorie suffirent à la faire rejeter.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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L'Entre-deux-guerres, l'ère de la CONTROVERSE
Le géophysicien anglais H. Jeffreys, farouche partisan
d'une Terre en contraction à partir d'un stade initial gazeux puis
ensuite condensé, s'attacha à démontrer que les moteurs proposés par
Wegener étaient irrecevables. D'autres géologues préféraient la
théorie de "l'accrétion planètésimale à froid"' de T. C. Chamberlin,
suivie d'un stade liquide, puis rejoignaient leurs collègues au stade de
la contraction solide. Seul ce dernier point est actuellement rejeté. Les
arguments des opposants à Wegener n'étaient pas tous scientifiques,
et le fait qu'il ne fût pas géologue ou géophysicien ne fût pas l'un des
moindres. Outre le fait que A. Wegener était un brillant et donc
insupportable touche à tout, la communauté scientifique de l'époque
n'était pas prête à comprendre et donc à admettre les hypothèses de
Wegener. Plutôt que de rapporter par le menu les diatribes des
opposants à la théorie de Wegener je rappellerai seulement qu'en
congrès, en 1928, il fut dit: "Si nous devions croire à l'hypothèse de
Wegener, il nous faudrait oublier tout ce que nous avons appris
durant les 70 dernières années et repartir à zéro ".
Fig. 10 : La glaciation du Permo-Carbonifère. Les secteurs en noir
représentent les calottes glaciaires et la ligne épaisse l'Equateur
actuel. D'après Wegener, fig. 34,
1929.
Durant L'entre-deux-guerres, les adeptes de Wegener
furent rares. Il y eut Taylor bien sûr, dont les théories étaient très
proches de celles de Wegener, et qui fut aussi l'objet des mêmes
railleries. Van der Gracht se rangea aux côtés de Wegener et de
Taylor, considérant qu'il fallait distinguer la notion de résistance du
manteau aux déplacements dans la théorie de Wegener, de la notion
physique de rigidité qui résulte de la transmission des ondes
sismiques. Aux USA, Wegener eut un allié de poids en la personne de
R. Daly, géologue influent de Harvard qui, quoique' en désaccord
avec le mécanisme proposé par Wegener, considérait que le principe
de la dérive des continents devait être tenu pour acquis. En suisse,
malgré l'opinion anti-allemande très marquée, E. Argand entreprit
l'étude des chaînes de montagnes tertiaires à la lumière de la théorie
de Wegener. De même, en Angleterre, E. B. Bailey y trouva
l'explication des similitudes entre l'Amérique du Nord, l'Ecosse et la
Norvège (Calédonides). En Afrique du Sud A. Du Toit fut lui aussi
un chaud partisan des thèses de Wegener. Lui qui connaissait bien le
Fig.11 : Les zones climatiques du Carbonifère et du Permien. Les
Brésil écrivait: "Les similitudes entre les 2 rives ont été constatées en
hachures représentent les zones arides. C = charbon; Gl =
si grand nombre qu'il est impossible de les qualifier d'accidentelles".
glace; D = grès désertiques; S = sel; Gy = gypse. Tiré de
Wegener fig. 35 et 36, 1929.
Dans "Nos Continents errants" publié en 1927, il se livra à un travail
de reconstitution encore plus minutieux que celui de Wegener, et
aboutit avec un luxe de détails, pour la période post-paléozoïque au
moins, à deux super continents au lieu d'un, l'un centré sur le pôle
Sud qu'il appela à la suite de Suess Gondwana" et l'autre centré sur
l'Equateur, qu'il appela "Laurasie" (de la Laurentia de Suess et de
Asie). Ils auraient été séparés par une mer étroite, la "Téthys" au
moins jusqu'à ce que, au tertiaire, l'Inde et l'Afrique se soient mises à
dériver vers l'Eurasie. Il date l'ouverture de l'Atlantique du Jurassique,
mais l'ouverture ne serait devenue majeure qu'au Crétacé et au
Tertiaire. Au début du tertiaire, la péninsule ibérique aurait subit une
rotation, ouvrant ainsi le golfe de Gascogne, pendant que,
parallèlement, les Pyrénées se seraient formées. Du Toit est le
premier à envisager deux types de chaînes de montagnes: le type
Alpin, qui serait dû à l'empiétement du Gondwana sur la Laurasie, et
le type Siéra Nevada en Californie (conforme aux idées de Holmes
décrites ci-après), qui serait dû au déplacement du continent
américain vers I' Ouest. L'anglais A. Holmes, considéré par ailleurs
comme l'un des fondateurs de la chronologie absolue, était convaincu
de la justesse de la théorie de Wegener, mais en réfutait le moteur. Il
www.mines.utah.edu/.../plate%20tectonics/.
admettait (1929) une Terre à trois couches composées de granite
(roche acide), de diorite (roche intermédiaire), et de péridotite (roche
ultrabasique). Pour lui, la croûte était constituée des 2 premières couches, plus la partie sommitale de la troisième. En
dessous, ce qu'il appelait le substrat était constitué du reste de la 3° couche, mais à l'état vitreux, alors que la partie engagée
dans la croûte était cristalline. Il rejoignait en cela les idées de Barrell qui introduisit en 1914 les concepts de '"lithosphère
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 6
rigide" et "d'asthénosphère ductile" dans 2 articles au Journal of
Geology, afin de rendre compte du fait que les surcharges locales
(poids d'un delta par exemple) ne sont pas compensées
localement par l'isostasie mais le sont à une échelle bien plus
large. Il estime en effet que si l'on admet que la lithosphère est
rigide et que l’asthénosphère est ductile, la lithosphère doit
s'enfoncer sur une surface plus large que le delta lui-même. Pour
Holmes, la chaleur libérée par radioactivité est insuffisante pour
Fig. 11 : L’interprétation de Holmes de la dérive des continents,
expliquer la quantité de volcanisme observée dans le monde. Il
D'après Holmes>, fig.•2 et 3,1929
faisait donc appel à une circulation convective sous la croûte pour
amener la quantité de chaleur nécessaire (fig. 11). Il fait de cette
http://www.er.uqam.ca/nobel/k27454/geologie/plaque_tectonique/tect
convection le moteur de la dérive des continents. Il suggère que
onique.html
les courants soient ascendants sous les continents, car ceux-ci
contiennent la plus grande part des éléments radioactifs, dont la
chaleur vient s'ajouter à celle de l'échange convectif. Ces
remontées de matériel et leur étalement sous le continent
provoqueraient l'effondrement de bassins "disruptifs" sous forme
d'un nouvel océan. Dans les océans, dont Holmes admet que le
soubassement sub-sédimentaire serait constitué principalement de
gabbros, d'éclogites et d'amphibolite, il considère par opposition
aux continents qu'ils sont froids et qu'ils subissent une
compression. C'est donc là que doivent se situer les courants
descendants, et il estime que l'on pourrait de cette manière rendre
compte des grandes profondeurs océaniques telles que celles qui
bordent le Pacifique. Il envisage enfin que de tels mouvements tangentiels
puissent engendrer un transfert de matériel sialique léger, produisant un
épaississement de la croûte et donc des chaînes de montagnes sur les
bordures continentales. Holmes estime enfin la vitesse des courants
subcrustaux nécessaires à 5 Cm/an. Pour lui, la théorie de la convection
explique d'importants phénomènes à l'échelle de la planète. Il explique
ainsi les bassins subsistants, sillons de sédimentation très abondante en
bordure des continents qu'il dénomme géosynclinaux. Il explique aussi
par des mouvements convectifs le grand rift africain, mais aussi les
épisodes de transgressions qui résulteraient d'une élévation du niveau
marin causée par une dérive rapide des continents. Une dérive rapide
engendrerait la création d'une quantité importante de matériau océanique,
donc chaud et expansé. Il en résulterait une montée du niveau marin
(transgression, cf. "Sédimentologie", cours I. Cojan). Le ralentissement de
la dérive laisserait à ce matériau le temps de se contracter, entraînant un
abaissement du niveau marin (régression). Peu avant la guerre, F.A.
Vening-Meinesz mit en évidence que les fosses océaniques qui bordent
les arcs insulaires étaient caractérisées par une forte anomalie négative de
Fig.12 : dérive apparente du pôle Nord depuis le Précambrien
pesanteur correspondant à un déficit de masse à ce niveau. L'auteur
jusqu’à l’époque actuelle, selon les donnés recueillies en
Europe et en Amérique du Nord. C. Allègre, L'écume de la
interprétait cet écart important à l'équilibre isostatique comme la preuve
Terre, Paris, Fayard, 1983, d'après K. Runcorn.
de courants subcrustaux descendants, conformes au modèle de Holmes.
Les géologues pensèrent en outre trouver là l'explication des
géosynclinaux où s'accumulent les sédiments, et celle de, la formation des
chaînes de montagnes.
Du Toit avait ainsi corrigé nombre d'erreurs de la théorie de
Wegener. Holmes avait, quant à lui, proposé un mécanisme plausible,
maintenant conforté par les observations de Vening-Meinesz. Pourtant, la
dérive des continents n'était toujours pas admise. Le refus de la théorie de
Wegener par la communauté scientifique résulte en fait d'une conjonction
d'éléments. D'une part le contexte socioculturel et politique d'avant 1914
et de l'entre deux guerres ne prône pas l'ouverture et l'indépendance
d'esprit qui auraient été nécessaires à une remise en question aussi
importante des idées admises jusqu'alors, et d'autre part la clef de l'énigme
posée par Wegener gisait dans le domaine le plus mal connu du globe, les
océans. En 1940, 70% de la surface de la Terre restaient encore à
découvrir.
rst.gsfc.nasa.gov/Intro/Part2_1a.html.
From H. Levin, The Earth Through Time, 4th Ed., Saunders
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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L 'Après-guerre, la DECOUVERTE des OCEANS
Durant les années 50, les premiers arguments en faveur de la dérive des continents viennent encore des continents à travers
l'étude du paléomagnétisme (principalement volcanique). Rappelons que le magnétisme terrestre est considéré comme
provenant du noyau ferreux et liquide de la Terre, dont on imagine qu'il fonctionne comme une magnéto
(hydrodynamique), et que l'on assimile généralement à un dipôle. Au début des années 1950, P. Blackett (Nobel de
physique nucléaire en 1948) inventa le magnétomètre à proton. Ce physicien était convaincu de la dérive des continents, et
il pensait que le paléomagnétisme permettrait de déterminer si les continents avaient réellement changé de position.
L'analyse de roches prélevées en Angleterre montra des déviations de 30° par rapport au pôle actuel, mais surtout une faible
inclinaison du champ qui indiquait que certaines roches avaient dû cristalliser à des latitudes beaucoup plus basses. En
1955, regroupant ces données provenant d'Angleterre avec celles qu'il avait obtenues sur le continent, S.K. Runcorn
conclut qu'il n'y avait pas de dérive des continents, mais que l'on pouvait retracer "l'errance des pôles" sur 20000 km à
travers 200 Ma (fig. 12). Il allait changer d'avis peu après, car une campagne de mesures qu'il entreprit en 1956 en
Amérique du Nord montra un écart grandissant en fonction de l'âge des roches avec les mesures faites sur le vieux
continent. Pour les plus anciennes l'écart disparaissait totalement si l'on rapprochait les continents en supprimant
l'Atlantique Nord. L'ensemble des études entreprises partout dans le monde (sur tous les continents) montra que tous les
continents, excepté l'antarctique, avaient dérivé vers le Nord. L'analyse des piles volcaniques telles que les trapps du
Deccan en Inde se révélèrent être des enregistrements presque continus du déplacement des continents. Cependant, le crédit
qu'apporta la communauté scientifique à ces travaux fut réduit, d'une part parce que la magnétométrie est une méthode
d'analyse délicate, impliquant par une analyse statistique le rejet d'un nombre important de résultats (donc contradictoires)
et d'autre part parce que ces travaux soulevaient un nouveau problème non résolu, l'inversion des pôles, que rien d'autre ne
venait étayer.
Parallèlement, la découverte du monde marin a
commencé. Jusqu'au début du XX° siècle, le sondage des mers se
fait au moyen de lignes lestées que l'on mouille de loin en loin. L'
échosondeur apparaît en 1920. En 1934, M. Ewing, géophysicien
sismologue, fut le premier à utiliser la sismique réfraction en
géologie. Il fut l'initiateur, puis durant toute sa carrière un partisan
acharné de la géologie marine. Il en résulta immédiatement une
bien meilleure connaissance du plateau continental, dont les géophysiciens constatent alors qu'il fait partie intégrante du continent,
et qu'il est le lieu d'un piégeage important de sédiments par
fig. 13a : Les grandes provinces morphologiques des fonds sous-marins.
Coupe schématique et synthétique orientée perpendiculairement à
l'axe d'une dorsale océanique active.
subsidence (cf. "sédimentologie"). La guerre 39-45 allait faire
naître des échosondeurs (sonars) très performants. Le rôle joué
durant cette période par les sous-marins, puis ensuite la mise en
chantier des sous-marins nucléaires durant la guerre froide, a
fig. 13b: The three major morphological subdivisions of the oceans,
illustrated by a profile across the North Atlantic from New England
to the Spanish Sahara. Redrawn from HEEZEN (1962), Continental
drift, p. 237. Académie Press.
conduit les américains à un effort considérable
dans la connaissance océanographique. Plusieurs
fig. 14: Seismic profiling results from the Argentine Basin, showing the structure of
dizaines de bâtiments militaires ou civils furent
layer 1 in the south-western Atlantic. Redrawn from EWING (1965), Q. Jl. H. astr.
équipés de sondeurs pour effectuer le relevé
Soc., 6, 14 and 17.
hydrographique du fond de tous les océans, dont
les éléments morphoscopiques sont maintenant
bien connus (fig. 13). En 1947, les enregistrements
sismiques révélèrent que la couche sédimentaire
océanique était très peu épaisse et n'était pas
l'enregistrement complet de l’histoire du globe que
prévoyaient les hypothèses en vigueur telles que la
contraction de la Terre, l'immobilisme des continents et la pérennité des océans. Les carottages,
effectués dès 1948, montrèrent en plus qu'au
voisinage de la "dorsale" (ou "ride" ou "zone
d'accrétion" cf. plus loin) médio-Atlantique, les
sédiments (Layer 1 fig. 14) étaient très minces et
qu'ils reposaient sur des basaltes très récents
(moins de 20Ma, layer 2 fig. 14). Sur la ride même
http://www-odp.tamu.edu/publications/206_IR/chap_01/c1_f5.htm
le basalte caractéristique d'épanchements sousmarins en coussins (pillow lava) ou en draperies affleurait. La même année, la sismique montra que contrairement à la
croûte continentale granitique bien connue et épaisse de 30 à 40 km en moyenne, la croûte océanique n'était épaisse que de
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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fig. 15: Oceanic crustal structure as determined by refraction lines in the Atlantic
Ocean east of Argentine. The line runs from (46-0° S, 60-3 °W) on the shelf to (427° S, 50-2 °W) in the ocean. Redrawn from EWING (1965), Q. Jl. R. astr. Soc., 6,
19.
Fig. 16: L'une des premières cartes du système des dorsales médioocéaniques, d'après Heezen et Tharp (fig. 19, in Runcorn, 1962) dans son
édition de Columbia University, Heezen et Tharp 1962,
http://www.earth.columbia.edu/news/story7_1_01.html.
quelques 4 à 5 Km et constituée de basalte (fig. 15). B.
Heezen et M.Tharp entreprirent la synthèse des relevés
http://instruct.uwo.ca/earth-sci/300b-001/erthsys1.htm
hydrographiques de l'Atlantique en 1953. Il apparut que
non seulement la dorsale était parcourue par un sillon,
mais que les secousses sismiques étaient toutes localisées dans cette vallée. En 1956, Heezen et Ewing publièrent leurs
observations (fig.16) et leurs conclusions sur l'existence d'un rift mondial où se crée la croûte (fig. 17, voir aussi la figure
31), généralement océanique, mais pouvant être continentale, comme le Rift Africain. Cette hypothèse, qui impliquait une
expansion de la Terre au lieu de la contraction admise, fut très généralement rejetée.
L'hypothèse de Heezen et Ewing allait être confortée par nombre d'observations. Des relevés de flux de chaleur
furent effectués sur le plancher océanique dans les années 1950. Alors que l'on s'attendait à trouver un flux très bas à cause
de la faible teneur des basaltes en éléments radioactifs par rapport aux granites qui constituent l'essentiel de la croûte
continentale, on observait un flux globalement comparable au flux continental, ce qui impliquait un apport de chaleur. En
plus, le flux était jusqu'à 8 fois
plus élevé au niveau de la ride
que sur le plancher océanique des
plaines abyssales, ce que E. C.
Bullard interpréta comme un
apport convectif de matériel
profond et chaud au droit de la
dorsale. Durant la même période
les âges du fond des océans
commencèrent à affluer, et l'on
observa que les âges les plus
anciens connus ne dépassaient
pas 150 à 180 Ma. La figure 18
donne l’état actuel de nos
connaissances.
Fig. 17 : Morphologie des fonds océaniques et comparaison avec le rift africain, d’après Heezen, fig.20, in
Runcorn, 1962.
De bas en haut à droite Lac Tanganiyka ; Lac Kivu ; Lac
Edward ; Lac Alberthttp://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosgeol/imgArt/schema/extension/terrain/rea.html
www-public.tu-bs.de:8080/.../pov/earth2.html.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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Fig 18. hors texte: Worldwide pattern of sea-floor spreading is revealed by the age of the sea floor as determined from magnetic data. Mid-ocean ridges, along which new sea floor is extruded, coincide with the youngest sea Floor. The
dating of magnetic anomaly stripes makes it possible to establish isochrons (shown by different colours and textures) that give the age of the sea floor in millions of years since creation at the
ridges. The Atlantic Ocean is symmetrical about the mid-Atlantic ridge. Asymmetry of the pattern in the Pacific is partly caused by subduction in the Aleutian trench south of Alaska, in the Peru-Chile trench along the west coast of South
America, and in many trenches in the Western Pacific.EMSE
(After map
prepared
by John Naturels
Sclaler and 23/07/13
Linda Meinke of MIT
: Axe
Processus
p. 10
Les SIXTIES, de la DÉRIVE des CONTINENTS à la TECTONIQUE DES PLAQUES :
L'EXPANSION des FONDS OCEANIQUES de H. HESS ; Les preuves de F.J. VINE et D. MATTHEWS ;
La TECTONIQUE des PLAQUES de T. WILSON, de D. McKENZIE puis de J. MORGAN
Durant toute cette période, Le Lamont-Doherty Geological Observatory de la Columbia University (New-York),
le Scripps Institute of Oceanography (Californie), l'Université de Princeton(New Jersey), le Woods Hole Océanographic
institution (Massachusetts) et l'Université de Cambridge en Angleterre furent la cheville ouvrière et le bouillon de culture
qui mit au monde la théorie des plaques, en armant et en utilisant tout d'abord le navire océanographique Explorer et le
sous-marin Alvin mis à L’eau en 1962, puis le bateau Glomar Challenger à partir de 1968 pour exécuter le programme de
recherche JOIDES (Joint Océanographie Institute Deep Earth Sampling). X. Le Pichon et J. Francheteau furent parmi les
rares français à participer dès cette période à cette aventure. La France devait rentrer plus tardivement dans ce domaine,
durant les années 70, en lançant le Jean Charcot, et la soucoupe Cyana, pour participer aux programmes internationaux
IPOD (International Program for Ocean Drilling) et DSDP (Deep Sea Drilling Project).
H. Hess, qui avait découvert l'existence de monts sous-marins au sommet tronqué pendant la guerre grâce aux
sonars de son sous-marin, et auxquels il avait donné le nom de "Guyot" (géologue du XIX°), interpréta ses observations à
la suite de la publication de Heezen et Ewing. Il établit que le sommet d’un guyot et le plancher océanique qui le porte sont
d'autant plus loin de la surface que le guyot est éloigné de la ride. Il remarque aussi que le sommet tronqué des guyots est
topographiquement très comparable au relief érodé des îles situées au voisinage de la dorsale, dont la pente de la partie
aérienne est beaucoup plus douce que les flanc immergés. Il en déduit que ces guyots ont eux aussi constitué une île au
début de leur histoire. Hess comprit alors que ses propres observations plus de celles de Ewing et de ses collègues plus
celles de Vening-Meinesz, permettaient d'imaginer un mécanisme d’expansion (que FL S. Dietz appellera "Sea Floor
Spreading" en 1962) et de renouvellement des fonds océaniques. En 1960, confiant en l'ouverture d'esprit du monde
scientifique de son temps, Hess rédigea prudemment un "essai de géopoésie" dans lequel il explique que les fonds
océaniques sont en renouvellement constant (fig. 19). La dorsale est une véritable fissure de la croûte par laquelle les
matériaux résultant d'une fusion partielle du manteau arrivent à la surface (basaltes tholéiitiques très généralement, et
localement basaltes alcalins). Pour Hess, le manteau qui arrive au voisinage de la surface subit une hydratation importante,
transformant la péridotite mantellique en
serpentine. Partant de là, le fond des océans doit
se déplacer de façon rigide, la croûte étant
solidaire du manteau. Le fond océanique est en
quelque sorte le dos des cellules convectives
mantelliques affleurant à la surface de la Terre,
alors que la croûte continentale est découplée
du manteau et ne le suit pas dans sa convection.
Pour Hess toujours, les guyots doivent être
entraînés "comme sur un tapis roulant" par le
fond océanique. Enfin, puisque la Terre n'est
pas en expansion, Hess considérait que la croûte
devait être détruite dans les fosses océaniques
(fig. 20, voir aussi fig. 31), qu'elle devait
atteindre au bout de 200 Ma environ, et où elle
fig. 18 : A gauche, la croûte formée dans une zone étroite du rift par serpentinisation
devait subir une déshydratation. L'eau libérée
(hydratation de la roche péridotitique du manteau) se déplace ensuite rigidement couplée au
amorce une fusion dans le manteau sus-jacent
manteau tandis que les sédiments se déposent transgressivement à sa surface.
provoquant le volcanisme des arcs jumelés aux
A droite séquence ophiolitique d’après Boudier et Nicolas 1985
fosses. Pour Hess, les océans doivent aussi
entraîner les continents avec eux, mais ces
derniers s'opposent aux océans en ce sens qu'ils
ne sont jamais résorbés, alors que les bassins
océaniques sont des formations transitoires. En
1962, Hess publie l'essentiel de ses idées dans:
"Histoire des bassins océaniques" L'essentiel
des mécanismes de la dérive des continents et
de la tectonique des plaques est dès lors dans
les esprits.
www.gly.fsu.edu/.../5Plate_Tectonics_index.html.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 11
FIG. 20
:. Plongement de la lithosphère océanique sous une
guirlande d'îles (exagération verticale : x 2).
Density profile along the Canadian Margin
quake.wr.usgs.gov/.../cascadia/vancouver.html.
http://www.ifm-geomar.de/typo3temp/pics/7adc9eb35e.jpg
Plaque océanique à droite portant des monts sous-marins, subductée sous le
talus continental à gauche. On note à la base du talus la présence de monts
sous-marins de la plaque océanique déjà engagés dans le talus continental. Les
sédiments du talus rebroussés par le mouvement des plaques dessinent des
bourrelets autour des monts, qui laissent un sillon derrière eux.
Une branche particulière du paléomagnétisme allait apporter une contribution décisive à la théorie de Hess,
l'étude des inversions magnétiques. Durant les années 1950, les américains avaient effectué le relevé magnétique de l'Est
Pacifique. A. Raff et R. Mason observèrent que le fond océanique était zébré de bandes, de magnétisme alternativement
fort et faible, sensiblement parallèles à la côte. Ce fait demeurera inexpliqué jusqu'en 1963. En 1962, F. J. Vine et D.
Matthews effectuent le relevé magnétique de la dorsale Carlsberg (océan Indien) et publient leurs conclusions en 1963 à la
lumière des idées de Hess. En vertu du renouvellement des fonds océaniques, la ride étant le lieu de création du plancher
océanique, c'est à ce niveau qu'est acquise l'aimantation lors du refroidissement, dans la direction du champ actuel (fig.
21a). Les bandes parallèles de magnétisme alternativement fort et faible représentent donc des épisodes antérieurs de
fossilisation du magnétisme terrestre, acquis dans les mêmes
conditions que précédemment. Vine et Matthews suggérèrent que
l'alternance de magnétisme faible et fort puisse provenir
d'inversions de polarité du champ terrestre (cf. "L'intérieur de la
Terre"), la polarité Sud n'ayant pas nécessairement la même
intensité que la polarité Nord. En 1963 encore, A. Cox, R. Doell et
B Dalrymple allaient conforter l'hypothèse jusque là fortement
débattue des inversions de polarité. Depuis Brunhes en 1906, on
avait fréquemment observé des roches de magnétisme inverse mais
sans apporter la preuve de l'inversion du champ terrestre. Les
inversions pouvaient aussi être attribuées à des phénomènes
secondaires d'inversion de polarité d'ailleurs reproduits
expérimentalement ou à des anomalies locales. L'idée de Cox,
Doell et Dalrymple fut de corréler des échantillons du monde
entier avec leur âge, obtenu par la méthode 40K/40Ar. Ils
éliminaient ainsi le risque d'effets locaux ou d'inversion
secondaire. Ils identifièrent 9 inversions durant les 3 derniers Ma,
Fig. 21a :Courbe supérieure : Profil d'ouest en est ; la courbe
la plus récente datant de 1 Ma. On sait maintenant que l'inversion
inférieure bleue est le profil magnétique observé, la courbe
proprement dite est très rapide, elle ne dure que 5000 à 10000 ans,
supérieure rouge représente le profil calculé à partir du modèle de
ce qui confère au plancher océanique produit en continu l'aspect de
champs s’inversant (d'après PITMAN et HEIRTZLER, 1966).
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 12
bandes alternées Nord et Sud. En 1965, T. Wilson H. Hess, F.J. Vine
et D. Matthews observèrent lors de discussions que le renouvellement
continuel des fonds océaniques devait éloigner les bandes de
magnétisme de même polarité de façon symétrique par rapport à la
dorsale. Les premières cartes de Vine et Matthews n'étaient pas assez
détaillées pour permettre une telle observation, mais celle de Vine et
Wilson 1966 parallèlement au travaux de J. R. Heirtzler et W. C.
Pitman en 1966 (Fig. 21b), permirent d’établir une relation étroite
entre largeur des bandes, polarité des bandes et position par rapport à
la ride à partir des cartes de Raff et Mason sur la ride Est-Pacifique
pour les 4 derniers Ma. Les demi vitesses d'expansion (vitesse
d'écartement par rapport à la dorsale) calculées par Vine à partir des
données accumulées, variaient de 2 Cm/An dans l'Atlantique Nord à
4.5 Cm/An dans l'Est Pacifique. Le Glomar Challenger.allait apporter
la preuve définitive du renouvellement des fonds océaniques: plus les
forages étaient effectués loin de la dorsale médio-Atlantique, plus les
âges des premiers sédiments portés par le plancher océanique étaient
anciens. Les estimations de vitesse faites à partir de ces observations
coïncidaient avec les précédentes, 2 Cm/An environ.
L'accumulation des relevés topographiques des océans, en
particulier de l'Atlantique, permit à Bullard de proposer un nouveau
"fit" des continents Amériques, Afrique et Europe autour de
l'Atlantique (fig. 22).
La connaissance
grandissante des dorsales
Fig. 21b : Profil magnétique au travers de la crête de la dorsale du
océaniques Pacifique et
Pacifique oriental démontrant l'extraordinaire symétrie des
Atlantique
montrait
anomalies par rapport à la ligne de rift. Magnetic anomaly pattern
qu'elles
sont
southwest of Vancouver Island. Stripes having normal
magnetization are colored. The central red bands coincide with the
systématiquement
recent ridge axes of Juan de Fuca (northern stripe) and Gorda
morcelées par des failles
(southern stripe). Figure from Vine [1966]
qui se prolongent de part
et d'autre de la ride sur des centaines, voir des milliers de Km. Durant les
années 50, la tectonique continentale avait mis en évidence de grandes failles
dites "failles transverses", capables de décaler des blocs continentaux sur des
centaines de Km, par le jeu de petits décalages centimétriques s'accumulant
pendant des laps de temps considérables, chiffrables en dizaines, voir en
centaines de Ma. En appliquant ce modèle continental au plancher océanique,
S. W. Carey, remarquable géologue tectonicien par ailleurs, s'était appliqué à
remonter le temps en réduisant progressivement ce qu'il appelait les "méga
cisaillements" et autres mouvements majeurs de l'écorce terrestre, et il était
parvenu en 1958 à présenter lui aussi une terre aux continents regroupés à la
fin du Paléozoïque.
La technique de reconstitution de Carey (par réduction des
fractures) l'avait amené à considérer que le diamètre de la Terre à la fin de
l'ère primaire devait être inférieur d' 1/4 à ce qu'il est maintenant. Il réfutait
ainsi la dérive des continents, considérant que les continents s'étaient écartés
fig. 22 : fit of all the continents around the Atlantic,
obtained by least square fitting at the 500 fathom
contour. Redrawn from BULLARD, EVERETT and
SMITH (1965), Phil. Trans. R. Soc., 258A, opp. p. 49.
image colorisée par
www.uwgb.edu/dutchs/EarthSC202Notes/platetec.htm
Fig. 23 : Epicentres of earthquakes (1955-1965) along the equatorial section of the mid-Atlantic ridge, showing four focal mechanism solutions for fracture zone
events. Note that the epicentres cluster (1 ) along the crest, and (2) on the fracture zones between adjacent portions of crest, but not beyond.
The focal mechanism solutions all indicate strike-slip movement in the sense expected for transform faults.
Gauche After Sykes (1967), J. geophys. Res., 72, 2137; centre www.le.ac.uk/.../art/gl209/lecture2/lect2-1.html; droite www.pmel.noaa.gov/.../nepac/nepac_seis.html
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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les uns des autres par augmentation de la taille de la Terre. L’intérêt du travail de Carey réside dans le fait que sa
reconstitution considérait la limite des continents au milieu du talus continental (vers 1500 m de profondeur) et non au
niveau zéro des mers comme l'avait fait Wegener qui ne disposait pas d'un relevé bathymétrique précis ; or le niveau zéro
est particulièrement soumis à l'érosion et aux fluctuations du niveau marin. Il en résulte un emboîtement quasi parfait des
continents Afrique et Amérique du Sud dans la reconstitution de Carey.
A la suite de cet auteur, nombre de géologues et géophysiciens interprétèrent les fractures sous-marines comme
des cisaillements majeurs du plancher océanique. T. Wilson, dans un travail très important utilisant les travaux de
sismologie de L Sykes 1967, montra que ces grandes fractures ne sont actives que dans la partie qui décale les 2 segments
de la dorsale. De part et d'autre, la fracture n'est pas active (fig. 23). Wilson considérait que ces failles constituaient le 3°
type de structure exprimant des mouvements relatifs de la croûte ° terrestre. Les deux autres étaient les dorsales océaniques
(lieu d'expansion ou accrétion) et les chaînes de montagnes et (ou) arcs insulaires (lieu de "résorption" et la croûte
océanique ou "zone de subduction"). Tous deux sont aussi marqués par une intense activité sismique, mais en plus par un
volcanisme très actif. En 1965 Wilson présenta ces "ceintures mobiles" comme un réseau continu découpant là planète en
"plaques rigides". Le passage d'un type de structure à l'autre étant toujours brutal, et impliquant une faille, Wilson utilisa le
nom de "failles Transformantes" (fig. 24, 25, 26).
Les idées de Wilson furent reprises en 1967 par D. McKenzie et R.
Parker dans une étude exhaustive des zones sismiques du pourtour Pacifique.
Pour eux, les zones sismiques marquent les frontières de dalles rigides, à la
fois indéformables et cependant en mouvement, les plaques ou "p/ate
tectonics" (locution utilisée la première fois en 1968 par Vine et Hess). Ces
dalles "s'emboîtent sans solution de continuité". J. Morgan (1967 encore), en
étendant le concept de faille transformante à la surface sphérique de la Terre
allait fournir un modèle aux idées de Wilson. L. Euler (XVIII°) a démontré
que le déplacement d'une calotte sphérique sur sa sphère peut être ramené à
Fig. 24 : Représentation schématique du concept de
faille transformante chez Wilson. (a) première phase;
(b) phase ultérieure. Les lignes pointillées
représentent les anciennes positions de la dorsale.
D'après Wilson, fig. 3 et 4, 1965.
Fig.26 : Two examples of transform faults:
(a) Termination of the mid-Atlantic ridge by two transform faults (De Geer and
Wegener faults) and by transformation about a centre of rotation on the north Siberian
coast into the Verkhoyansk Mountains.
(b) Sketch map showing the sinistral transform faults of type (c) which join the end of
the Carlsberg ridge to the Himalaya, and the north-western end of the Red Sea to the
Turkish Mountains. Note that the motions depicted must be treated as relative and not
absolute. Reproduced from WILSON (1965) Nature, Lond., 207, 344 and 345.
Fig. 25 : Représentation schématique de l'ouverture
de l'Atlantique selon l'hypothèse des failles
transformantes. D'après Wilson, fig. 6,1965.
The map reveals two kinds of discontinuities: large offsets, about 100 km long, known
as transform faults and smaller offsets, about 10 km long, called overlapping spreading
centres (detail on the right). www.geosci.usyd.edu.au/.../HTML.Lect2/sld009.htm.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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Fig. 27a :
in comprendre et enseigner la Planète Terre, , J.M. Caron, 2° ed, 1992
Fig. 27b :
une simple rotation autour d'un axe passant par le centre de la sphère (fig. 27). L'application de ce théorème à la Terre
impose que les blocs (ou plaques) puissent être considérés comme rigides. Morgan divisa la planète en 20 "blocs", grands
ou petits, limités par trois types de frontières: dorsales; fosses; failles transformantes. Compte tenu de la faible épaisseur de
la croûte (30 Km sous les continents mais 5 Km seulement sous les océans, Morgan considéra que les blocs avaient une
épaisseur de 100 Km environ. Il appelait cet ensemble croûte-manteau supérieur "tectosphère", dont le comportement
rigide s'opposait au comportement ductile de
l'asthénosphère. Depuis, on est revenu à la
terminologie
de
Barrell
(lithosphère,
Asthénosphère). Pour une calotte en rotation
animée d'une vitesse angulaire donnée, la
vitesse tangentielle est nulle sur l'axe de
rotation, et maximum sur l'équateur de rotation
(fig. 27a). L'application de ce théorème au
déplacement relatif de deux plaques, dont l'axe
de rotation est donné par le mouvement le long
des failles transformantes, permit à Morgan en
1967 de vérifier le comportement rigide des
plaques en montrant que les bords d'une plaque
voisins de son axe de rotation se déplacent
moins vite que les bords qui en sont le plus
éloignés (fig. 27b), ce qui revient à dire que la
Fig. 28 : The main plates forming the Earth's surface, showing the computed relative
vitesse d'expansion le long d'une ride est
movements across the circum-Pacific belt, the Alpine-Himalayan belt, the southern Indian
maximum à l'équateur eulérien.
Ocean ridges and the Scotia arc (shown in cm/y, positive signs indicate extension and negative
signs indicate shortening), based on the observed spreading rates across the other ridges.
Dans les mois qui suivirent, en 1968,
Redrawn from LEPICHON (1968), J. geophys. Res., 73,3675
X. Le Pichon publia un modèle à 6 plaques
principales négligeant les petites plaques
secondaires de Morgan (fig. 28). Il démontra
comment à partir des mouvements des 6 plaques
principales, on pouvait reconstituer les
ouvertures océaniques Atlantique, Arctique,
Pacifique et Indienne. Il démontra aussi
comment les mouvements des plaques sur une
sphère sont interdépendants. Par exemple
l'Atlantique ne peut s'ouvrir que parce que la
vitesse de résorption de la plaque pacifique est
supérieure au taux d'expansion de la ride
Pacifique, ce qui revient à dire que l'Atlantique
ne peut s'agrandir que parce que le Pacifique
rétrécit. On dispose de nos jours d’un modèle à
12 plaques (fig. 28), hérité de celui de De Mets
et al (1990), suffisant à expliquer l’ensemble
des déplacements des plaques. Les vitesses de
l’expansion ou de la résorption des plaques
mesurées à leurs frontières ont été reportées
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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dans la figure 29 à partir des données de C. De Mets et al, afin de montrer les mouvements relatifs de ces 12 plaques. Mais
quel peut être le mouvement absolu des pièces de ce puzzle ? Cette question n’à de sens que si on définit un référentiel fixe
pour décrire ces mouvements sur la sphère terrestre. La terre nous offre un tel repère grâce au volcanisme intraplaque, dit
de point chaud de nature très profondément enracinée dans le manteau (dont l’archétype est Hawaii), et qui semble quasi
immobile durant des dizaines de Ma, alors que le volcanisme de frontière des plaques se déplace avec elles. Les cartes
telles que celle de la figure 29.sont construire à partir de ce référentiel. De nos jours, la mesure de variations de distance par
interférométrie, Very Long Base Interferometry met en évidence ce déplacement continu, comme dans la figure 30 entre
Westford, Ma et Wetzell en Allemagne
En cette
fin de
décennie encore, B. Isacks, J.
Oliver et Sykes reprennent à leur
tour ce "New Global Tectonics"
modèle dans un article faisant le
point d’une part sur la répartition
des séismes dans le monde, et
d’autre part sur le type de séisme
en rapport avec sa situation
géotectonique. Ils observent que
les régions de dorsales sont le lieu
de séismes systématiquement peu
profonds (<70 Km), alors que les
zones destructives de subduction
associées aux fosses océaniques
sont caractérisées par des séismes
peu profonds et profonds (allant
jusqu'à 700 Km). Dans ce schéma
devenu classique (fig. 31,
distribution des séismes) les
auteurs expliquent que 85% de
l'énergie sismique libérée par la
Terre est concentré le long des
zones de destruction des plaques
lithosphériques, et que la majeure
partie des séismes à lieu à faible
profondeur. Pour ces auteurs
encore, la lithosphère peut être
définie comme " a mobile nearsurface layer of strength" c'est à
dire comme la couche susceptible
d'emmagasiner des contraintes et
donc capable de produire des
séismes, par opposition à
l’Asthénosphère.
La
limite
inférieure de la lithosphère
correspond probablement au
solidus du manteau supérieur à la
Fig. 29 : Les principales plaques et le tracé des dorsales et des rifts. Les flèches indiquent la vitesse actuelle des
différentes plaques en cm/an (données de C. Demets et al ) calculées par le modèle Nuvel-1, 1990.
www.gly.fsu.edu/.../5Plate_Tectonics_index.html.
Avec ce même modèle, en utilisant les points chauds comme repère en raison de leur quasi immobilité, on peut
donner une image de déplacement « absolu » des plaques. www-lgit.obs.ujf-grenoble.fr/.../Tecto/
Fig. 30 : lupus.gsfc.nasa.gov/brochure/btoday2.html.
profondeur (ou pression) considérée. La transition lithosphère-asthénosphère
est abrupte quoique ménagée, et les vitesses sismiques de la Low Velocity
Zone souvent très basses sont probablement dues à la présence de liquide
(même moins de 1%). Ainsi, la base de la lithosphère pourrait n'être que
l'isotherme du début de sa fusion. Dès cette période, la définition de la
lithosphère n'apparaît donc plus du tout géochimique. Si les différences
géochimiques entre croûte et manteau ou entre croûte continentale et croûte
océanique sont importantes et peuvent influer (en particulier sur la densité),
elles n'induisent pas de différences rhéologiques majeures. Le concept
rhéologique de la lithosphère et de l'asthénosphère de Barrell, exprimé par D.
McKenzie, Oliver et Isacks, et dans les études de W. M. Elsasser sur les
propriétés du manteau durant cette année 1967, étaient de première
importance, car ils permettaient de comprendre le mécanisme des séismes
profonds.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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Fig. 31 : http://www.ngdc.noaa.gov/mgg/topo/globegal.html: Jaune séismes < 70 km, ; en vert puis bleu, les séismes de plus en plus profonds
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Durant les SIXTIES, l'étude des ZONES de SUBDUCTION
L'association fosse océanique-arc volcanique et l'association
fosse-cordillère autour de l'océan Pacifique (circum-Pacific arc-trench
belts) avaient été reconnues dès 1903 par W. J. Sollas. Les fosses sont les
domaines de topographie négative les plus marqués sur la Terre, par leur
profondeur tout d'abord (la fosse des Mariannes atteint -11000 m), mais
aussi par leur longueur qui chiffre
en milliers de Km (4500 Km pour
la fosse Chili-Pérou), et par leur
très faible largeur, de l'ordre de 100
Km. Les fosses montrent encore un
profil
typique,
fortement
asymétrique, avec une pente forte
(8 à 200) du côté de l'arc (ou
continent). La fig. 32 montre
combien les profils des fosses sont
comparables. Si dans le cas de
l'association fosse-cordillère, le
tracé de la fosse suit le contour
continental, il apparaît clairement
que dans le cas de l'association
fosse-arc, le tracé de la fosse est
convexe vers l'océan. F. C.Frank
montrera en 1968 que si l'on
considère que la plaque plongeante
est un morceau de calotte sphérique
rigide (non extensible), la trace du
plongement sur la sphère est un arc
de cercle.
Fig. 33 : Anomalies gravimétriques à l'air
libre(+200 à -200 mgal) à travers divers
arcs insulaires (trait vertical de gauche) et
fosses (trait vertical de droite). ; 1 : Nouvelle
Zélande ; 2 : Tonga ; 3 : Aléoutiennes ; 4 :
Nouvelles Hébrides ; 5 : Mariannes du Sud ; 6 ;
Puerto Rico ; 7 : Java. (D'après
HATHERTON, 1969).
Fig. 32: Thirty Pive projected topographic profiles of the
Pacific deep-sea trenches, aligned with respect to the trench
axis. Trenches include Aleutian, Kurile, Japan, Bonin,
Philippine, Mariana, Yap; Tonga-Kermadec and Peru-Chile.
(After Hayes and Ewing, 1970.)
Depiction of a typical subduction zone. As the plate to the left
is subducted beneath the plate to the right, a chain of volcanic
mountains forms on the overriding plate
From the Educational Multimedia Visualization Center
Nous avons vu comment Argand (1914), convaincu par Wegener, avait
entrepris l'étude des chaînes de montagnes à la lumière de la théorie de la dérive
des continents, puis: comment Jeffreys (1952), et plus tard Wilson (1959)
avaient réinterprété ces structures péri-Pacifiques à travers la théorie de la
contraction. A l'opposé, chez les mobilistes, depuis les travaux de Holmes
(1929), de Vening-Meinesz (1934), et de D. Griggs (1939) les fosses étaient
Fig. 34: Free-air gravity anomaly of the Pacific basin.
(After Woollard and Strange, 1962.)
Illustration actuelle de l’anomalie à l’air libre de la gravité:
(anomalie +) rouge jaune vert (anomalie=0) bleu foncé noir (anomalie -)
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considérées comme le lieu de plongement de mouvements convectifs mantelliques et comme le lieu de production des
chaînes de montagnes. Vening-Meinesz avait montré dès avant la 20 guerre que la fosse est caractérisée par une forte
anomalie gravimétrique négative (donc un déséquilibre isostatique important). Ses travaux furent repris et complétés en
1962 par G. P. Woolard et W. E. Strange (fig. 34), puis par T. Hatherton (1969, fig. 33).
Les premières informations sismiques sur la structure des couples arcs-fosses remontent à H. Honda (1934) et
K. Wadati (1935) qui montrèrent que les séismes sont distribués sur une surface inclinée, depuis la fosse et plongeant
sous l'arc du Japon, et que le volcanisme est géométriquement associé à cette zone. Ces observations furent reprises
après-guerre par H. Benioff qui observait un plan incliné comparable le long de la chaîne de l'Himalaya («orogenesis
and Deep Crustal Structure: Additional evidence from seismology. "1954). B. Gutenberg et C. F. Richter (1954, Fig.
35), A. Sugimura (1960), Vening-Meinesz (1964), et W. H. K. Lee et S. Uyeda (1965, fig. 35) furent aussi des
artisans importants de la connaissance de ces zones. La terminologie actuelle utilise les locutions suivantes: dans la
« Zone de subduction », qui caractérise les « systèmes d'arcs » ou de « marges (continentales) actives », le « Plan de
Benioff » ou « Plan de Wadati-Benioff »; matérialise le trajet de la « plaque plongeante » (« sinking lithospheric
plate »), sous la « plaque chevauchante » (« overriding lithospheric plate »).
Fig. 35:
Shallow focus earthquake epicenters.
earthquakes 1904—1952; Arranged from Gutenberg and Richter, 1954.)
Deep focus earthquake epicentres
Le mécanisme des séismes se produisant dans les régions de destruction lithosphérique était alors interprété
principalement comme du cisaillement. Cela conduisit Benioff en 1949 dans « The fault origin of oceanic deeps », puis
Ewing et Heezen en 1955 à propos de la fosse de Puerto-Rico dans l'arc des Antilles, à interpréter ce plan comme une
zone de fracture profonde. L'essentiel de la phase d'acquisition des données concernait le domaine péri-Pacifique,
pendant que l'Atlantique voyait la naissance du "Sea Floor Spreading" et de la tectonique des plaques. Aussi, dans les
années qui suivent (65-70), les zones de subduction apparaissent à la fois comme le champ d'application obligatoire de
la théorie des plaques (qui suppose la résorption de la croûte océanique), et en retour comme le lieu où le modèle
s'affine au mieux.
En 1964, L. Knopoff définissait le paramètre "Q"ou Qualité des ondes sismiques. Ce paramètre résulte de
l'élasticité non idéale des roches et traduit le fait que les vibrations sont progressivement atténuées durant leur trajet.
L'atténuation de l'amplitude (A1, A2,…) qui en résulte d'un cycle à l'autre traduit une perte d'énergie, communément
attribuée aux frictions solides. On peut écrire en première approximation: Q = ln (A1/A2). Les valeurs de Q sont de
l'ordre de 50 à 1000 pour les roches. Q est peu près indépendant de la fréquence, varie peu avec la température, mais
varie par contre avec la pression de confinement (pression lithostatique par exemple). En étudiant depuis divers points
le trajet des ondes d'un même séisme, Sykes, Isacks et Oliver (1967, fig. 36 en haut), Utsu et Okada (1968, fig. 36 en
bas) ont pu mettre en évidence que la zone de production des séismes sous les arcs était une zone à Q élevé, en
continuité avec la lithosphère océanique, et que les séismes avaient lieu dans la partie
supérieure de la croûte descendante.
Fig. 36:Domaines de basse et haute
« qualité » de Knopoff dans le manteau
L'analyse détaillée du mécanisme au foyer des séismes montra que l'on devait
séparer plusieurs domaines. Les séismes qui ont lieu sur le flan océanique de la fosse sont
provoqués par le pliage de la plaque rigide. Cette flexure engendre des distensions dans
la partie superficielle de la croûte océanique (tensional eathquakes in Fig. 37). Sur le
flanc continental (ou arc) de la fosse, nombre des séismes peu profonds correspondaient
au contraire à une compression parallèle à la pente de la plaque (dip slab) correspondant
à des chevauchements (appelés sous-charriages) se produisant dans la partie supérieure
de la plaque plongeante. Cette partie correspond grossièrement à la zone de contact entre
les deux lithosphères (voir fig. 37). Dans la même région de courbure de la plaque
plongeante, mais plus profondément, le mécanisme au foyer des séismes correspond
aussi à une distension mais horizontale (zéro dip), ans l’axe du ploiement de la plaque.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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Fig. 37:www.acad.carleton.edu/curricular/GEOL/classes....caractéristiques physiques des zones de subduction. Variations du flux thermique et de
l'anomalie gravimétrique de Bouguer au travers de l'arc du Japon
Il a été montré aussi dès cette époque (Isack et
Molnar 1969, fig. 38), que les séismes de moyenne
profondeur (100 à 300 Km) sont très différents de ceux de
grande profondeur :
Fig. 38 : Down-dip stress type plotted as a function of depth for
fourteen regions. A filled circle represents down-dip extension; an
unfilled circle represents down-dip compression; and the crosses
represent orientations that satisfy neither of the preceding
conditions. Smaller symbols represent less reliable determinations.
The enclosed rectangular areas approximately indicate the
distribution of earthquakes as a function of depth by showing the
maximum depths and the presence of gaps for the various zones.
(After Isacks and Molnar, 1969.)
1- Les séismes de moyenne profondeur sont souvent
caractéristiques de distensions dans l’axe de plongée,
comme si la plaque était tirée vers le bas à ce niveau.
La tomographie sismique a montré depuis que la
plaque pouvait même être rompue à ce niveau (Chili,
Philippines, Nvelles Hébrides, Nvelle Zélande),
comme le suggère déjà le schéma de Isacks and Molnar (fig.
38) ;
2- Les séismes de grande profondeur paraissent au contraire
résulter d'une compression, comme si à partir de la profondeur
de 600 Km, quelque chose s'opposait à la descente de la plaque.
Jusqu'à 700 Km les séismes témoignent alors de cisaillement
intense et d'un réchauffement maximum de la plaque, jusqu'à ce
qu'elle perde son identité et se « fonde » dans le manteau.
. L’opposition rencontrée par la plaque réside dans la
discontinuité à 670 km, bien connue des sismologues et qui marque
pour les géochimistes la frontière entre le manteau inférieur et le
manteau supérieur. Elle ne pourra être franchie par la plaque subductée
qu’après une lente transformation de phase (passage de la structure
olivine à la structure pérovskite). La plaque se trouve en quelque sorte
stockée en flottation sur le manteau inférieur (fig. 39) avant de
reprendre sa descente vers l’interface noyau-manteau à travers le
manteau inférieur dans lequel elles laissent une trace « froide ».
fig. 39: tomographie sismique du manteau sous le Japon ; Le
stockage de la plaque subducté se traduit par une zone froide
et lente en bleu prolongeant horizontalement entre 670 et
1000Km la plaque pacifique subductée sous le Japon
http://eri-ndc.eri.u-tokyo.ac.jp/jp/ohrc/ken1/global-top1.html
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 20
La distribution des séismes dans le plan vertical montre que l'angle de
"plongée" peut-être très variable (fig. 40). Généralement compris entre 45° et 90°,
il est de 10° sous la croûte continentale Péruvienne. II est possible que cet angle
anormalement faible résulte de la grande jeunesse de la croûte océanique
subductée qui "refuse" de descendre en raison de son manque de maturité et donc
de son manque de contraste de densité avec le manteau supérieur. La ride EstPacifique est en effet très proche de la marge active du continent Sud Américain.
On serait là dans un cas de subduction forcée.
Le second paramètre géophysique reconnaissable de la plaque
plongeante est son identité thermique (fig. 37). En effet, tant que la plaque reste
une entité physique, la conduction thermique est le seul moyen de la réchauffer.
La conduction étant un très mauvais moyen d'échange de chaleur par rapport à la
convection, la plaque (qui plonge à une vitesse de 1 à 10 Cm/An) garde ses
caractères (froide et dense) par rapport à l'asthénosphère environnant pendant des
Ma c'est à dire jusqu'à une profondeur de 700 Km environ. Cette identité
thermique est en contradiction avec les enregistrements du flux de chaleur dans
les zones de subduction, car si le flux de chaleur est faible au droit de la fosse, et
donc en accord avec ce qui précède, il ne l'est absolument plus au dessus de la
zone de subduction, où il est fort (fig. 37). Cette augmentation du flux de chaleur
est corroborée par le volcanisme intense qui est associé à la région. Une telle
contradiction n’est qu’apparente. Le réchauffement de la plaque plongeante est un
phénomène complexe qui ne se résume pas à un simple échange conductif avec
l'asthénosphère environnant. Nous y reviendrons avec les modèles de plaques
plongeantes. Mais arrêtons nous d’abord sur les modèles de subsidence du
plancher océanique. Ils furent en effet développés préalablement et servirent
parallèlement dans l’étude des zones de subduction.
Fig. 40 : Angle de plongement de différentes
plaques Situation du foyer des séismes sous les
marges et les arcs insulaires actifs. Des foyers
sont en majorité inclus dans un volume aplati
nommé zone de Wadati-Benioff. La limite
supérieure de cette zone est indiquée par une
ligne courbe reportée sur la vignette du bas
de la figure. NH : Nouvelles Hébrides; CA :
Amérique centrale: ALT : Aléoutiennes; ALK
: Alaska; M : Mariannes; IB : Izu-Bonin; KER
: Kermadec : NZ : Nouvelle Zélande; T :
Tonga: KK : Kourile-Kamchatka; NC : NordChili: P : Pérou. (D'après Isacks et
Baranzagi, 1977.)
1970-1980, le DEVELOPPEMENT des MODELÉES de
SUBSIDENCE THERMIQUE du PLANCHER OCÉANIQUE
La théorie de la conduction thermique dans les solides date de H. S. Carslaw et J. C. Jaeger 1959. Son
application à la Terre a été entreprise par Jeager (1965), et Bullard (1965) mit en oeuvre la mesure du flux de chaleur.
Le détail en est donné par Coulomb et Jobert (1976) dans le chapitre Géothermie de leur traité de géophysique interne
(p 449-500).
Dans les bassins océaniques le flux chaleur est peu élevé et
régulier, de l'ordre de 1.5 cal cm-2 s-1. Sur les dorsales il peut atteindre
et dépasser 4 cal cm-2 s-1, (Le Pichon et M. G. Langseth Jr.(1969),
J. G. Sclater et J. Francheteau (1970), Lee (1970)).
En 1972, Francheteau montre comment les mesures flux de
chaleur décroissent avec l'âge de la lithosphère Pacifique, donc avec
l'éloignement de la ride, de façon à peu près exponentielle. La fig. 41
met en évidence la constante de temps de la croûte océanique, l'ordre
de 80 à100 Ma. Mais la réalité est souvent loin de la relation de
Sclater et Francheteau qui ont soigneusement sélectionné les valeurs
Fig. 41 : Flux de chaleur moyen en fonction de l' âge de chaque
province Pacifique Nord. La barre correspond à l'écart-type du
reportées dans figure. En particulier, les mesures de flux faites au
flux moyen. On a attribué un âge de 5 Millions d'années à la
province la plus jeune pour tenir compte du petit nombre de
droit des dorsales sont d'une part très étalées, et d'autre part
mesures près de la crête d’après Francheteau 1972
particulièrement basses dans le cas des rides à expansion lente (D. L
Anderson 972, fig. 42). Il semble que la dispersion des valeurs vers le bas soit due à l'hydrothermalisme important que
subissent les dorsales. Cette circulation de l'eau travers la croûte océanique fut mise en évidence par l'observation en
1977 des premières sources chaudes, ou fumeurs noirs (riches en sulfures). Ce refroidissement doit en outre être
d'autant plus important que l'expansion est lente, car la fracturation normale et le rift sont corrélativement plus accusés.
On peut donc conclure avec Sclater que les rides sont bien des structures à haut flux, mais excessivement refroidies.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 21
Depuis M. Talwani, B. C.Heezen et J.L. Worzel
(1961) on sait que les dorsales océaniques ne constitue pas
une anomalie de gravité, et donc qu’elles sont en quasiéquilibre isostatique. II est donc apparu très tôt (Langseth
1966) que leur topographie élevée au dessus des plaines
abyssales ne pouvait résulter que leur densité plus faible.
Autrement dit, la profondeur croissante des océans par
rapport aux dorsales devait résulter du refroidissement et
donc de la contraction de la lithosphère océanique. Si la
base de la lithosphère coïncide avec le solidus, on peut dire
que l'évolution de son épaisseur est gouvernée par sa
balance thermique. Elle ne s'épaissit que si la balance est
négative.
Contrairement à l’asthénosphère, la lithosphère
Fig. 42 : Série de profils de flux de chaleur montrant les faibles valeurs
(solide) ne peut échanger de chaleur que par conduction, ce
observées à l'axe des dorsales et vers 8 Ma. D'après ANDERSON, 1972.
qui explique que sa constante de temps soit élevée, (80-100
Ma rappel). Par conséquent une plaque lithosphérique ne peut être créée que très lentement, par perte de chaleur en
surface (ou détruite par gain au détriment de l'asthénosphère). Les gradients de température horizontaux étant très
faibles, la conduction horizontale peut être négligée. L'évolution d'une plaque depuis la dorsale se résume donc à sa
`subsidence thermique'; c'est à dire à son refroidissement conductif, et à l'enfoncement consécutif à l'équilibre
isostatique. La conduction de la chaleur dans la plaque qui s'écarte de la ride (sans production de chaleur due au
mouvement) est régie par la loi de conservation de l'énergie. On peut dès lors écrire les modèles thermiques, dont
j'emprunterai la description à X. Le Pichon et al (1973) et à Coulomb et Jobert (1976):
Cp[T/t + v.gradT] – (K
Avec :

Cp
T
grad T
t
v
K
H
2
T + H) = 0
(eq. 1)
densité de la plaque
g cm-3
chaleur spécifique à Pression Cte
Cal g-1 °C-1
température
°C
gradient de température
°C cm-1
temps
s
vitesse de la plaque
cm s-1
supposée se déplacer perpendiculairement à la ride
conductivité thermique de la plaque
Cal cm s-1 °C-1
chaleur générée par la plaque elle-même
Cal cm3 s-1
Dans le modèle à deux dimensions (x, z) de McKenzie (1967), figure 43, le
système est étudié en régime permanent, (T/ t = 0) ; la vitesse de la plaque n'a pas de
composante verticale ; la quantité de chaleur H générée dans la plaque (radioactivité) est
nulle. La température de surface de la plaque est T 0 = 0, température de l'eau en profondeur
dans l’océan, et la température de sa base est T s, température du solidus du manteau (début
de fusion). L’épaisseur de la plaque vaut L
Fig.43
Cp v[T/x] = K(2T/x2 + 2T/z2)
L'équation (1) est de la forme:
en posant: T' = T/Ts, x' = x/L et z' = z/L, il vient
Pe = Cp v L/K (appelé nombre de Péclet),
et l'équation à résoudre s’écrit alors :
(2T’/x’2) – Pe(T’/x’) + (2T’/z’2) = 0
Les conditions aux limites sont:
1- rappel : la base (z=0) et le sommet (z=L) de la plaque sont à température constante (respectivement Ts, et 0°C
cf. fig. 43), soit T'=1 pour z'=0 et t'=0 pour z'=1.
2- l'axe de la dorsale, le gradient adiabatique du magma qui se met en place n'est pas considéré. On suppose que
l'injection de magma est assez rapide pour que la température soit constante selon z et égale à Ts.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 22
‘Dans le modèle de Sclater et Francheteau 19701972, la quantité de chaleur dégagée dans la plaque et le
gradient adiabatique sous la ride (pour x=0) sont pris en
compte. Le choix des valeurs des paramètres dans un tel
modèle est particulièrement important. Il apparut à Sclater
et Francheteau que la valeur très constante du flux
thermique océanique dans les régions éloignées des
dorsales devait être une contrainte importante du système,
et était à même de fournir une bonne estimation de la
conductibilité thermique de la plaque lithosphérique, si
(mais seulement si) l'on pouvait estimer l'épaisseur de
cette plaque, et sa radioactivité. Nous avons vu que
l'épaisseur pouvait être estimée à 75 Km environ par la
sismique, en précisant la profondeur du début de la Low
Velocity Zone. La production de chaleur du manteau
supérieur avait été estimée par S. P. Clark et A. E.
Ringwood (1964) à 0.1.10-13 Cal Cm-3 Sec-1 (fig. 44). La
température régnant à la base de la lithosphère, zone dont
il faut rappeler qu'elle est considérée comme l'isotherme
de début de fusion du manteau supérieur, était disponible
depuis les travaux de D. H. Green 1969 à 1971. Partant
de la composition moyenne des basaltes dragués ou forés,
Fig. 45: Isostatic plate model used to compute the excess elevation
of the top of the lithosphere. A phase boundary is drawn in dashed
line. When no phase changes are considered the density of the
lithosphere is s. (Alter Sclater and Francheteau, 1970.). La région
hachée représente l’asthénosphère, son épaisseur dans la colonne A,
située à la distance x de la ride est x, et elle est nulle dans la
colonne B à l’équilibre ; w est le poids vol. de l’eau, H et h sont les
épaisseurs des phases 1 et 2 et 1 et 2 leurs poids volumiques
respectifs ; dw est la hauteur de la colonne d’eau à l’équilibre, et ex
est l’élévation de la lithosphère au dessus de la plaine abysale au
point d’abscisse x. L’épaisseur de la lithosphère n’est bien sur pas
constante, Leq à l’équilibre, elle vaut Lx.pour la colonne A
Fig. 44:. Topographic profile along 20°N in the Pacific Ocean and
two theoretical topographic profiles. The upper dashed curve is the
profile for the model with phases shown in Fig.52C. The lower curve
is the profile for a plate with no phase changes.
Isotherms and vertical and lateral chemical zoning of a 75-km thick
lithosphere moving at 5 cm/year to the right. Parameters are:
Ts =1300°C; K = 6.15.10-3 Cal cm s-1 °C-1; H = 0.1 10–13 Cal cm3 s-1;
grad T = 0.3 10–5 °Ccm-1;s=3.3g cm-3
Densities of plagioclase, pyroxene and gamet pyrolite are 3.26, 3.33
and 3.38 g cm–3 respectively. (After Sclater and Francheteau, 1970.)
et des résultats expérimentaux, Green suggéra que le manteau
supérieur qui donne naissance aux basaltes par fusion partielle,
pouvait avoir la composition d'un mélange constitué de 3/4 de
péridotite et 1 /4 de basalte. L'étude des ophiolites allait donner
raison à Green quelques années plus tard. Les expérimentations
sur ce modèle appelé pyrolite permirent d'estimer la température
du solidus à 1300 +-50 OC à la pression régnant à 75 Km de
profondeur. Sclater et Francheteau étaient dès lors en possession
des outils nécessaires à la mise en oeuvre de leur modèle. En plus
de la modélisation des isothermes (fig. 44), ils ont calculé
l'expression du flux de chaleur. Les résultats des mesures de flux
(fig. 44) sont en assez bon accord avec la variation exponentielle
que prévoit leur expression: q= -K (T/ z)Z=L. Au voisinage de la
dorsale, le modèle prévoit un flux de chaleur systématiquement
trop fort, ce qui implique l'extraction de chaleur autrement que par
conduction. Il y a probablement de nombreuses possibilités pour
ce faire: rappelons que cette zone est entre autre le siège d'un
hydrothermalisme fort et d'un volcanisme sous-marin abondant qui
dissipe de la chaleur par échange direct avec l'océan.
L'évolution de la topographie des dorsales permet de
rechercher une meilleure vérification du modèle thermique que
l'évolution du flux, car les mesures de profondeur sont à la fois
plus nombreuses et moins entachées d'erreurs que les mesures de flux. La contrainte supplémentaire très importante
que cela impose au système découle de l'étude gravimétrique des dorsales, qui a montré qu'elles sont en équilibre
isostatique. L'augmentation de profondeur, et la profondeur elle-même, pourront être considérées comme une fonction
de l'âge, si et seulement si la forme du fond océanique est l'image de la contraction thermique à l'équilibre isostatique.
Le modèle simple à une seule phase l (« l » pour lithosphère) de R. L. Parker et D. W. Oldenburg (1973) hérité de
celui de Slater et Francheteau (1970) considère que la surface de compensation isostatique coïncide avec la base de la
lithosphère dans les plaines abyssales (fig. 45). Le raisonnement est identique si l'on considère que la surface de
l'équilibre isostatique se situe dans l’asthénosphère (a). Puisque l’équilibre isostatique est réalisé, les colonnes A et B
de la fig. 45 doivent avoir le même poids, ce qui s’écrit:
w(dw – ex) + l Lx + a xwdw + l Leq
En écrivant Lx = Leq + ex - x on tire l’élévation de la lithosphère
exxal)lw)
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 23
On voit donc que si l'on considère que la lithosphère s'épaissit en s'éloignant de l'axe de la dorsale (L >L x), il
faut que le termeal) soit <0 pour que l'on observe une élévation de la ride (e x > 0),donc que la densité de
l'asthénosphère soit inférieure à celle de la lithosphère. Une telle inversion avait déjà été postulée par F. Press en 1969
sur la base des données sismiques. Pour Parker et Oldenburg, cette inversion de densité correspondrait à une différence
de 0.082 g Cm-3. Pour ces auteurs toujours, la relation épaisseur-âge de la lithosphère peut être exprimée par la relation
simple:
L(t) = 9.4 t½
Plutôt que d'affecter une densité moyenne à la lithosphère, le modèle de Slater et Francheteau supposait que la
lithosphère est d'épaisseur constante (donc e=  mais que la densité varie avec la température, donc avec la profondeur.
Dans ces conditions,L'équation de l'équilibre s’écrit :
L
  l (1  T )dz 
0
L e
  (1  T )dz  e( 
l
a
 l )
e
Le terme de gauche représente la différence de masse entre les
colonnes A et B. L'expression de la température est donnée par
le modèle thermique précédent. Dans ce modèle, pour une
lithosphère épaisse de 100 Km. la différence de masse
représente environ 750 Kg Cm-2, soit une différence de poids
volumique moyen de 0.057 g Cm-3. Ce chiffre est comparable
à celui de Parker et Oldenburg mais correspond à une variation
de densité moyenne de la lithosphère avec l'éloignement de la
ride et non à une variation de l'épaisseur de la lithosphère.
L'approfondissement de la topographie avec l'éloignement est
décrit dans ce modèle comme une augmentation de la densité
de la lithosphère avec son refroidissement, et n'impose pas une
inversion de densité entre lithosphère et asthénosphère, mais il
ne l'interdit pas non plus. Le fit des deux modèles avec la
profondeur mesurée pour la ride Pacifique (Fig. 46) est
comparable et tout à fait acceptable. Les modèles plus récents,
Fig. 46 : Comparaison entre altitude théorique calculée par PARKER et
OLDENBURG (1973), SCLATER et FRANCHETEAU (1970) et
observée (Pacifique Nord). D'après PARKER et OLDENBURG, 1973.
Y. Bottinga et C. J. Allègre (1973), B. Parson et Sclater
1977, introduisent un isotherme (1100 à 1200 0C) comme
limite entre la lithosphère et l'asthénosphère. Bottinga et
Allègre ajoutent le dégagement de chaleur latente dû à la fusion
partielle du matériel mantellique qui remonte et tiennent
compte de la chaleur libérée par la serpentinisation de la
péridotite. En outre ils introduisent les variations de
composition chimique observées ou supposées. Leurs résultats
ne sont pas significativement différents des modèles à
lithosphère homogène. Au cours de son vieillissement et donc
de son refroidissement, la croûte s'épaissie de la fraction
supérieure de l'asthénosphère refroidie dont la température
passe en dessous de celle du solidus du manteau, et vient donc
en quelque sorte "s'accrèter" à la lithosphère. Le
refroidissement de l'ensemble provoque une contraction
(augmentation de densité), et donc un approfondissement du
plancher océanique. Le phénomène cesse, ou est en tout cas très
ralenti au delà de 70-80 Ma. Il semble acquis que
l'augmentation de densité de la lithosphère finit par devenir
supérieure à celle de l'asthénosphère et provoquer son
plongement en une subduction spontanée.
Tous ces modèles prédisent que la profondeur du
sommet de la ride est indépendante de la vitesse d'expansion.
Ils ne dépendent en effet de la vitesse d'expansion qu'à travers
Fig. 47 : Corrected depth as a function of age of the oceanic
Pe, le nombre de Péclet. S'ils sont en bon accord avec la
crust for fast- (> 3 cm/year) and slow• spreading ridges using
profondeur mesurée dans le Pacifique Nord, l'observation a
data from Sclater et al. (1971). The experimental relations were
montré que les « dorsales à expansion rapide » sont toujours
fitted by least squares, assuming a depth limit of 7,100 m. The
first exponential term is the saine for both sets of data. v is
moins élevées que les « dorsales à expansion lente » (fig. 47).
standard deviation
En outre le rift est plus profond et la fracturation d'extension
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 24
semble plus accusée sur les rides lentes (fig. 48). Ces
caractères résultent de paramètres non pris en compte dans
les modèles précédents. On sait que les séismes sont très
peu profonds sous les rides océaniques, ils ne dépassent
jamais 70 Km, et la grande majorité ne dépasse pas 20 à 30
Km, témoignant de la remontée (adiabatique) importante de
l'asthénosphère chaude et ductile. Cette remontée se ferait
sur une largeur plus importante sous les dorsales "rapides"
que sous les rides lentes. Il en résulterait par contraste un
refroidissement plus brutal et donc une pente plus forte des
flancs des dorsales lentes. Le Pichon suggère par ailleurs
que parce que le refroidissement (et la contraction) sur l'axe
d'une ride lente qui dure plus longtemps et avec un gradient
de température horizontal plus accusé, il pourrait se
produire une fracturation distensive de la partie supérieure
de la lithosphère plus marquée, et donc un rift plus profond.
Si les forces d'extension qui règnent aux limites de plaques
divergentes à vitesse rapide (> 5 cm/an), ouvrent de larges
fissures dans la croûte océaniques et permettent l'éruption
de laves basaltiques très abondantes à faible viscosité
Fig. 48 : Profils topographiques transversaux par rapport aux
dorsale : a) dorsale Atlantique (1à2 cm/an) ; b) dorsale Est
Pacifique, vers 21°N (5à9 cm/an) ; c) dorsale Est Pacifique vers
l’équateur (> 9cm/an). Noter l’étroitesse du domaine volcanique
actif (VV, # 1km) et du domaine de fracturation ouverte 5FF, <5
km) ; TT représente la région des failles actives (20 à40 km) .
KC McDonald, 1982, Ann. Rev. Earth Planrt. Sci, 10, 155-190
Axe de la dorsale Pacifique Est à 13°N - Cyatherm (Cy82-09) 2606 m. Une fissure dans le plancher océanique.
http://www.ifremer.fr/drogm/Realisation/Vulgar/Volcanisme/Index.html
Fig. 49 : Les pillow lavas allongés sur le flanc nord du volcan Teahitia par 2771 m.
L'empilement de ces pillows forme des surfaces inclinées, et constitue la majeure
partie des coulées sous-marines. Avec un diamètre de quelques décimètres, ces
tubes de lave peuvent être rectilignes sur une dizaine de mètres avant de se ramifier
ou de s'arrêter. Ils sont ponctués d'excroissances sphériques correspondant parfois à
un changement d'orientation du tube ou à une digitation. Ici ils recouvrent une pente
et représentent le front d'une coulée
Les pyroclastes sont l'évidence d'activité explosive sous-marine. Affleurement de
matériel pyroclastique formant le bord d'un cratère au sommet d'un cône volcanique
par 1600 mètres de profondeur au niveau de la dorsale Médio-Atlantique 35°N. Les
gaz contenus dans le magma et la vaporisation de l'eau de mer piégée dans le
conduit magmatique a déclenché une éruption de type explosif responsable de la
fragmentation et du transport des roches broyées formant le bord du cratère.
caractérisant un volcanisme tranquille et fluide (Fig. 49
en haut) s’épanchant en long pillow lavas, les régions
intraplaques et l'axe des dorsales lentes (<2 cm/an)
montrent un le magmatisme plus focalisé par des
conduits volcaniques étroits, et une grande diversité de
laves de composition et de viscosité variées, pouvant
donner un volcanisme sous-marin explosif (Fig. 49 en
bas).
La construction de grands édifices volcaniques
sous-marins autour d'un conduit central débute
généralement pat un épisode effusif pendant lequel de
grandes quantités de laves très fluides formant des
coulées plates (laves drapées) à des profondeurs de
2500-4000 m sont émises. Viennent en second lieu les
émissions de laves en coussins (pillow lavas) plus
visqueuses, bulbeuses et tubulaires de la figure 50. Plus
tard, ce type de coulées formera des zones de rift sur le
flanc des édifices plus évolués vers 1000-2500 m de
profondeur. A des profondeurs inférieures à 2000 m, un
volcanisme éruptif intermittent conduit à l'éruption
sporadique de laves très vésiculaires au dynamisme plus
explosif
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 25
.Dans un dernier modèle, Bottinga (1974) tenait compte
de l'individualisation des phases fluides lors de la cristallisation
sous l'axe de la ride et de la circulation d'eau océanique venue
altérer les basaltes et serpentiniser la péridotite. Dans un tel
modèle, les fluides magmatiques transportent énormément de
chaleur et induisent un abaissement du flux thermique sur l'axe de
la dorsale (fig. 50). La fracturation ouverte dans la région FF est en
effet très favorable à une circulation importante de l’eau de mer
dans la croûte, et le très fort gradient thermique entre le plancher
océanique à presque 0°C et la remontée asthénosphérique à
1250°C située tout juste à quelques km de profondeur — avec
entre les deux du magma en fusion ou en cours de cristallisation —
constitue le moteur d’un thermosiphon à l’échelle de la croûte.
Fig. 50 : Valeurs du flux de chaleur en fonction de la distance
à l'axe de la dorsale pour divers taux d'expansion selon le
modèle de Bottinga. D'après Borringa, 1974.
L’eau de mer pénètre ici (Fig. 51) un milieu initialement
quasi dépourvu d’eau. Les basaltes ou gabbros contiennent en effet
moins de 1% d’eau, et la péridotite du manteau encore moins.
Leurs assemblages minéraux se trouvent de ce fait en très fort déséquilibre chimique avec leur nouvel environnement.
En outre la gamme des températures dans laquelle à lieu cette circulation d’eau est encore très élevée, et favorise les
réactions de rééquilibrage de ces roches. L’eau apporte avec elle les OH nécessaires à la fabrication des phases
hydratées de basse température comme par exemple la serpentine issue de h’hydratation de l’olivine. Mais l’eau
transporte aussi une grande quantité de sels dissous, en particulier du NaCl et avec lui le chlore venu s’ajouter à
l’hydrogène pour abaisser le pH et rendre cette eau encore plus agressive. Le sodium, échangeable avec le calcium des
plagioclases ou des pyroxènes des basaltes, conduira à transformer les basaltes en spilites. Dans ces échanges, le fluide
(evolved seawater de la figure 51) se charge en métaux, Fe, Mn, Mg, Cu, Zn, Pb, mais aussi en Soufre, et en silicium,
Baryum, Hélium dont la présence mérite d’être signalée en raison de sa signature isotopique que l’on utilise comme
traceur des fluides hydrothermaux dans l’océan. La ride océanique est donc un lieu d’échanges chimiques intenses
Fig. 51: Hydrothermal systems consists of circulation zones where seawater interacts with rock, thereby changing chemical and physical characteristics
of both the seawater and the rock. The altered seawater, called hydrothermal fluid, is injected back into the ocean at hydrothermal vent fields and forms
hydrothermal plumes. These plumes are often black or white with the color coming from mineral particles that precipitate rapidly as hot hydrothermal
fluids (with temperatures as high as 340oC) mix with cold seawater (usually about 1-2oC) at or just below the vent orifice. Some hydrothermal fluids may
be cooler and nearly absent of particles, but the hottest plumes are generally colored black and are called "black smokers.". Hydrothermal plumes can be
detected in seawater overlying vent fields, and beyond, because they have a distinctly different physical and chemical signature from the surrounding
seawater. The heat and particle content of hydrothermal plumes are two readily measurable parameters. These parameters are usually elevated relative to
unaffected seawater, and measurable differences in many parameterscan be detected as far as tens to hundreds of kilometers away from the vent fields
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 26
entre la croûte océanique nouvelle et l’océan.
Les fluides hydrothermaux retourne à l’océan
travers des sources qui sont déjà de véritables
fontaines, dépassant souvent le mètre de
largeur et présentant des vitesses de flux
pouvant atteindre plusieurs m/s (e.g. Fig. 52).
La distribution et l’intensité des « plumes »
hydrothermaux sont variables dans l’espace et
dans le temps. En 1986, la découverte d’un
« mégaplume » a permis de saisir pleinement
l’impact de ce phénomène de lessivage de la
croûte sur la composition chimique de l’océan.
La signature géochimique de tels panaches
dans l’océan est mesurable sur des centaines de
km (voir plus de 1000 km)
Fig. 52 :
http://www.ocean.udel.edu/extreme2002/dailydiscoveries/Neatstuff/oct29/20.jpg
La température des sources chaudes
A hot, mineral-rich stew rockets out of these vents, commonly referred to as "black
smokers."
varie depuis quelques dizaines de degrés
jusqu’à près de 400°C, la pression de quelques
centaines de bars (1 bar = 10m d’eau) qui règne
au fond étant suffisante pour que l’eau soit
encore liquide à cette température. Au contact
de l’eau de mer, le changement de milieu (pH,
température) et de composition est tel que les
éléments transportés précipitent massivement
avant même de quitter la croûte, construisant
des cheminées (Fig.52) dont la nature varie
avec la température de la source. A haute
températures,
les
précipitations
sont
principalement des sulfures (de fer en
particulier mais aussi de Pb, Cu, Zn), minéraux
de couleur sombre qui constituent la charge
solide des fumeurs noirs (Fig. 52). Ces sources
ne furent découvertes qu’en 1977, et sont
http://books.nap.edu/books/0309092124/html/43.html Hydrothermal vents are
restées célèbres d’une part en raison de la
fissures in the ocean floor that leak hot, acidic water. The size of the opemings range
biodiversité (environ 300 espèces recensées) et
from less than half an inch to more than six feet in diameter. The largest vent is
de la beauté des oasis de vie auxquels elles
called TAG (Trans Atlantic Geotraverse) and is about the size and shape of a football
stadium.
donnent naissance (e.g. Riftia de la figure 53)
mais surtout en raison même de la base de cette
chaîne trophique particulière, qui est fondée sur l’oxydation de l’hydrogène et du méthane par des bactéries
thermophiles, principalement des archéobactéries, vivant jusqu’à plus de 110°C dans ces fumeurs ou encore en
symbiose avec d’autres organismes comme dans le cas de Riftia. Une telle biochimie apparaît archaïque par bien des
aspects et relance donc nécessairement la question de l’origine de la vie sur Terre.
Fig. 53 : Vestimentaires, Riftia, ou Tube-worm
http://www.cascadia.ctc.edu/facultyweb/instructors/jvanleer/astro%20sum01/Hyrothremal%20Vent%20Final/hydrothermal_vents.htm
http://www.unbsj.ca/sase/biology/huntlab/tubewormclose.JPG
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 27
En dessous de 300°C et jusque vers 30°C, les évents deviennent des fontaines blanches « white
smokers », dans lesquels ne précipitent plus des sulfures mais principalement des sulfates, comme le sulfate de baryum,
et des carbonates. Sous la barre des 30°C, l’eau contient encore des espèces en solution mais est limpide, sans
précipitas. On considérait jusqu’alors les fumeurs comme strictement liés à la ride, mais la découverte récente d’un
champ de cheminées blanches, situé à environ 15 km de la ride sur le flanc d’un mont sous-marin vers 800m de
profondeur, relance la question de l’hydrothermalisme sous-marin. Dénommé poétiquement « Lost City », ses
cheminées sont construites essentiellement en carbonate et constituent un paysage ruiniforme sur 3 à 4 hectares (Fig.
54). Comme chez les fumeurs des sites de volcanisme actif, les cheminées sont construites de l’intérieur par l’eau en
provenance du sous-sol lessivé par hydrothermalisme qui réagit avec l’eau de mer et précipite ses carbonates. La
réaction produit aussi de l’hydrogène et du méthane, là encore à la base d’une chaîne trophique microbiotique.
Fig. 54 :
http://whyfiles.org/shorties/172ocean_floor/
À gauche), a 60-meter-tall carbonate structure fed by hot water on the bottom of the
Atlantic. Small, delicate flanges host dense arrays of filamentous bacteria nourished by methane and hydrogen in the water; À droite) The top of a
30-meter carbonate pinnacle. The pores, nooks and crannies are all habitat for microbes and small animals. The tallest chimney called 'Poseidon', the
famous god of the sea, stands nearly 200 feet above the surrounding seafloor. Temperatures of the vent fluids at the top of this chimney were
75°C.Unlike almost all other known seafloor hot spring systems, Lost City does not sit on top of an active volcano
Pour les inventeurs de ce site original, Deborah Kelley et al., la distance à la ride est trop importante
pour que le moteur de l’hydrothermalisme soit le volcanisme . Le fluide ne peut donc plus être hérité de la
transformation des roches volcaniques, trop froides à cette distance et déjà largement transformées. La source doit donc
être plus profonde, et le bon candidat à une hydratation à cette distance de la ride paraît être la péridotite du manteau.
Avec l’enfoncement rapide des isothermes (e.g. Fig.44), avec le rejet des failles transformantes qui peuvent atteindre et
dépasser le millier de mètres, le manteau devient accessible à l’eau de l’océan. Or, on sait par ailleurs que l’hydratation
de l’olivine SiO4Mg2 en serpentine (sorte d’olivine hydratée à structure fibreuse ou feuilletée proche des chlorites et
argiles) s’accompagne volontiers d’une précipitation de carbonate de magnésium (magnésite MgCO 3) pour peu que la
pression partielle de CO2 soit suffisante. Une grande part du transfert de matière entre le plancher océanique et l’océan
reste encore à découvrir, son influence sur la composition de l’atmosphère et l’évolution du climat, et en particulier la
capacité à stocker du CO2 dans le processus de serpentinisation.
1970-1980, Les MODELES de PLAQUES PLONGEANTES.
Nous avons vu que l'évolution de la température d'une plaque depuis la zone d'accrétion est une
exponentielle décroissante (résultant de son refroidissement par conduction vers la surface) dont la constante de temps
est de 60-80 Ma. Nous avons observé aussi qu'il existe une relation entre l'âge et le carré de l'épaisseur de la plaque. On
peut donc supposer intuitivement qu’une plaque subductée étant réchauffée de tous côtés, elle sera réchauffée, et peutêtre plus vite qu'elle n'a été créée et refroidie ?
Reprenons le modèle simple de MCKenzie développé pour modéliser les zones d’accrétions. Nous avons vu
qu’il ne prend en compte que la conduction depuis le manteau supérieur environnant, donc dans le cas d’une plaque
subductée, seules les conditions aux limites sont modifiées:
1- cette fois, les faces inférieure et supérieure de la plaque sont toutes 2 à la T° Ts
(T'=1 pour z=0 et pour z=1);
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 28
2- avant subduction, la plaque est en équilibre thermique, donc il existe une relation entre T' et z'
x'=0).
Le modèle donne la distribution des isothermes dans les
plaques (fig.55), donc la profondeur maximum atteinte par chacune.
Par l'intermédiaire de Pe, nombre de Péclet, cette profondeur est une
fonction de la vitesse de subduction.
Si l'on considère que à T'=0.9 Ts (1100°C environ), la
plaque perd son comportement élastique pour fluer (et perd en même
temps son identité), et si l'on considère que la vitesse maximum
d'enfouissement est de l'ordre de 10 Cm An-1, le modèle prévoit que
l'isotherme 0.9 Ts devrait atteindre 600 à 700 Km de profondeur
(selon la pente de la plaque). Ce résultat est tout à fait en accord avec
les études sismiques que nous avons évoquées plus avant.
Les contributeurs à ce type de modèles simples furent nombreux:
Langseth (1966), McKenzie et Sclater (1968), P. L. Turcotte et E. R.
Oxburgh (1968), J. W. Minear et M. N. Toksôz (1969).
(T'=1-z' pour
Fig. 55 : Distribution de température dans une zone de subduction.
Pas d'exagération verticale. D'après MCKENZTE,1970.
Au début des années 70, on a introduit dans ce type de modèles 2 paramètres secondaires mais non
négligeables, venant s'ajouter à la conduction: La compression
adiabatique résultant de l'enfouissement hors d'équilibre » avec
l'environnement, et la chaleur de déformation provoquée par les
cisaillements (localisés dans la plaque essentiellement au
voisinage de la surface supérieure). Les auteurs imposent au
système que la température atteinte soit susceptible d'engendrer
des magmas (andésitiques, cf. "Volcanisme et Tectonique des
Plaques") mais ne tiennent pas compte de la chaleur absorbée par
cette fusion partielle.
Fig. 56: Example of temperature distribution in a downgoing plate.
Adiabatic compression, phase changes, and shear-strain heating have
been taken into account as sources of heat.Mode! at 13 m.y. for a
sinking rate of 8 cm/year. Shading indicates zones of phase changes.
(After Toksôz et al., 1971.)
Turcotte (1971) et Toksôz tiennent compte en outre des
transformations de phases qui peuvent intervenir lors de la
descente (fig. 56). Nous retiendrons la transformation du basalte
en éclogite avant 200 Km dont il résulte une première
augmentation de densité, et la transformation olivine – spinelle
entre 300 et 400 Km. Lors de cette dernière transformation, la structure minérale de l'olivine, où le Mg est entouré de 4
Oxygènes, est remplacée par la structure spinelle, où le Mg est entouré de 6 Oxygènes. II s'en suit une augmentation de
densité de 10% environ. La figure 57 montre l’influence de cette transformation sur la séismicité de la plaque vers cette
profondeur. On notera la forte augmentation des séismes dans la région de transformation de phases de la structure
basse pression olivine à la phase haute pression spinelle, qui « rend » au matériau subducté une part importante de la
fragilité qu’il avait perdu en ductilité avant 300Km de profondeur.
Nous avions souligné (avant la partie consacrée aux modèles d’accrétion) combien l’augmentation du flux de
chaleur au droit de la marge active ou de l’arc constitue l’identité thermique des zones de subduction (fig. 37), et
combien cet excédent est en contradiction apparente avec l’introduction d’une plaque froide dans le manteau. Il faut
donc que ces régions situées au dessus du plan de Benioff possèdent ( ?) ou héritent( ?) d’une source de chaleur.
Fig. 57 :
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 29
La chaleur dégagée par cisaillement le long du chevauchement ne paraît pas atteindre des ordres de grandeur
suffisants pour expliquer directement le flux de chaleur très élevé et le volcanisme connexe que l'on observe dans la
plaque chevauchante, sur les arcs ou les marges actives. Comme dans le cas des rides et rifts, seule l'ascension de matériel chaud
permet d'expliquer un tel fux. Par contre, les modèles de fusion partielle ont montré que la chaleur dégagée par les cisaillements est
par contre tout à fait à même d'initier une fusion partielle dans la croûte basaltique de la plaque plongeante. En effet, cette croûte s’est
largement hydratée pendant sa vie, passée depuis sa naissance au fond de l’océan. Or comme tous les volatils, l’eau abaisse très
fortement le solidus des roches, donc celles de la croûte basaltique en particulier. De la même manière, il est aussi même très
probable que l'eau dégagée au début de la subduction par déshydratation et métamorphisme de la plaque chevauchée migre en partie
dans le manteau sus-jacent et y induise des fusions partielles.
La remontée adiabatique des poches de magma est dès lors tout à fait à même d'expliquer le flux de chaleur élevé et le
volcanisme observés. Parallèlement, l'arc subit un soulèvement et une distension. En outre, dès 1969, McKenzie a suggéré que la
subduction d'une plaque (au moins dans le cas des arcs) s'accompagne de la mise en place d'une petite cellule convective en arrière
de l'arc, dans le manteau supérieur situé au dessus de la plaque plongeante. Le diapirisme du manteau en arrière de l'arc
serait à l'origine de l'ouverture des 'bassins d'arrière arc"ou 'bassins marginaux" que l'on observe communément, tant
dans les arcs que sur les marges continentales actives. De telles ouvertures (actuelles ou fossiles) ont pu être observées
(mer du Japon, des philippines par exemple), car elles montrent des segments de dorsales caractéristiques, avec en
particulier la présence de bandes d’âges symétriques (fig. 18) de magnétisme alterné.
Au fur et à mesure que les sédiments ou les îles et les guyots portés par la plaque qui s'enfonce sont épluchés,
rabotés, scalpés (« peeling and srcatching ») par la plaque chevauchante comme on a pu l’observer sur la figure 20, la
dissymétrie de la fosse s’accentue, provocant une surcroissance de la plaque chevauchante vers la fosse
(« outgrowth »). On connaît ainsi dans le prisme
d’accrétion de la façade Ouest Américaine, des séries
volcaniques représentant d'anciens guyots océaniques qui
ont été rabotés lors de la subduction de la plaque
Pacifique (subduction qui dure depuis plus de 100 Ma), et
ont été incorporés à la croûte continentale américaine. On
observe aussi très généralement sur le mur interne et
redressé de la fosse que les sédiments sont empilés,
chevauchants et plissés, alors que le bord externe de la
fosse montre des sédiments régulièrement empilés,
Fig. 58 : coupe schématique d’une fosse océanique, l’océan est à gauche,
seulement affecté de fractures de distension (Seely 1974,
et l’arc ou la marge continental est à droite
fig. 58, haut et milieu).
Les sédiments de la plaque plongeante sont pour
partie gorgés d'eau et très riches en hydrates de gaz, CO 2
et CH4 solides (glaces), hérités de la lente maturation de
la matière organique au fond de l’océan. La stabilité de
ces hydrates est limitée à quelques degrés au dessus de
zéro aux pressions considérées, quelques centaines de
bars. Au cours de l’enfouissement de la plaque subductée
(Fig. 58 milieu et bas), sous la pression croissante exercée
par le prisme d’accrétion, et en raison de l’augmentation
de température avec la profondeur, la plaque subductée
Noter la structure planaire les failles normale côté externe (Pacifique) de la
« relargue » une quantité importante de fluides aqueux
fosse par opposition au domaine plissé du talus en face interne de la fosse.
riches en gaz carbonique et en méthane, qui viennent
www2.cnrs.fr/presse/communique/363.htm
alimenter au pied du prisme un nombre important de
sources froides et autres volcans de boue. Outre le fait
que les hydrates constituent un énorme réservoir potentiel
énergétique, probablement supérieur à la totalité des
ressources connues de combustibles fossiles, on
considère généralement que cette gigantesque réserve de
méthane peut avoir un impact majeur sur l'évolution du
climat (fig. 59). On peut en effet imaginer que des
événements sous-marins tels que les éboulements de
pente fréquents sur la face interne de la fosse sont
capables de libérer le méthane des sédiments entraînés,
avec pour conséquence un impact sur l'effet de serre.
C’est la raison de l’échantillonnage par forage des
http://www.mbari.org/news/homepage/osmo-x-section_350.jpg
gisements d'hydrates de gaz connus dans les sédiments du
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 30
talus continental de l'Oregon ou du Costa Rica, dont les sondages sont
représentés dans la figure 58.
Fig. 59 :
http://www.sfb574.geomar.de/_data/2-sfb574_conc_fig1.gif
Fig. 60: d’après Karig
Il résulte de ces mécanismes d'accrétion des sédiments
raclés, que la position de la fosse (c'est à dire du lieu ou débute la
subduction) n'est pas fixe et qu’elle à tendance à migrer vers le large.
Ce faisant, d’une part elle réduit localement la pente de la subduction,
et d’autre part, elle s’éloigne de la cellule convective à l’origine du
bassin arrière arc. Le Pichon exprime ce fait dès 1973 en soulignant
que la distension est un phénomène tectonique, c’est à dire pro parte
discontinu, et dont la constante de temps est différente de celle du
fonctionnement de la subduction. Lorsque la distance subduction
accrétion d’arrière arc est devenue trop importante, ou peut-être
simplement lorsque le prisme d’accrétion est devenu trop important,
la zone de subduction migre "d’un bond" vers le large, laissant
derrière elle des pans de lithosphère non subductés incorporés au
prisme, des arcs fossiles et des bassins marginaux inactifs (fig. 60).
Dans cette figure, Karig appelle "first arc" le prisme d'accrétion
tectonique qui résulte du rabotage de la plaque plongeante. "L arc
frontal"est l'arc volcanique actif. Le bassin marginal actif se situe en
arrière de cet arc, puis viennent les couples arc-bassin marginal
fossiles.
http://geography.sierra.cc.ca.us/booth/California/1_lithosphere/geologic_development.htm
L’échelle de temps de ces bonds vers le large est de
l’ordre de la dizaine de Ma, et ils constituent des évènements
d’échelle géologique. Mais la subduction peut voir sa vitesse se
modifier considérablement à une échelle de temps beaucoup
plus réduite, de l’ordre de 102 à 104 ans seulement, allant
jusqu’à des blocages intéressant des régions pouvant dépasser le
millier de Km dans l’axe le la fosse. Un tel blocage (fig. 61) se
produit dans la zone de contact entre les deux lithosphères, alors
que la partie plus profonde de la plaque continue sa subduction.
Un tel coup de frein se traduit par un soulèvement mesurable du
Fig. 61 : schéma de blocage de la subduction entre Juan da Fuca
fond sous-marin (petits ronds dans la figure 62 gauche).
et la plaque Nord Américaine ; Earthquakes in the subducting
L’énergie emmagasinée le long de cette surface est considérable
oceanic plate beneath the inner continental shelf may define the
(Fig. 62 droite), et susceptible d’être relaxée au cours d’un
downdip limit of the the zone that is presently locked
http://gore.ocean.washington.edu/reportsmeetings/neptune_seism
séisme majeur. La localisation de tels blocages, sous le prisme
ology/section_3.1.html
d’accrétion qui se déforme en milieu marin, sous une tranche
d’eau qui peut être importante (plusieurs milliers de m ) est
particulièrement alarmante car susceptible de déclancher un tsunami associé à un séisme majeur.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 31
Fig. 62 : modélisation de la déformation de la topographie mesurée sur 3 transects de la région VancouversWashington-Orégon (à gauche), par un blocage estimé respectivement à 120, 200 et 80 km, définissant la surface
de rupture potentielle (à droite) du séisme qui débloquera la plaque Juan da Fuca
http://gore.ocean.washington.edu/reportsmeetings/neptune_seismology/section_3.1.html
Le MOTEUR de la TECTONIQUE des PLAQUES et les POINTS CHAUDS
L’énergie solaire reçue par la Terre n’intervient quasiment pas dans le fonctionnement interne de la planète,
les premières centaines de m ou premiers km exceptés.
La Terre doit donc être considérée comme une machine thermique qui a emmagasiné une partie de son énergie
lors de son histoire précoce, en particulier au stade d'accrétion planètésimal en capturant les blocs et micro planètes qui
croisaient dans son voisinage, acquérant ainsi de la chaleur à partir de leur énergie cinétique, et par compression
adiabatique avec l’augmentation progressive de sa masse. Depuis lors, la Terre a largement dissipé cette énergie fossile,
qui ne représente plus que 10 à 15% maximum dans son bilan énergétique, et l’essentiel de l’énergie dissipée
actuellement provient de l'énergie radioactive produite dans le manteau et la croûte, et pour une part de 15-20%
environ, de la chaleur latente de cristallisation du noyau liquide en graine solide. Compte tenu de son âge et des
périodes d’éléments radioactifs principaux, U, Th et K, compte tenu de la conductibilité thermique des roches de
surface, l'énergie perdue par la terre est beaucoup trop importante pour pouvoir être due à la seule conduction et la
convection est nécessairement à l’œuvre dans la planète.
Le nombre de Rayleigh, qui quantifie l’instabilité convective d’un fluide est estimé pour la Terre à partir des
données directe ou indirectes (température de surface et de la base du manteau, viscosité, profondeur etc.) de l’ordre de
107 à 109, quand un nombre de Rayleigh de 2. 10 3 soit 10 000 à 1million de fois moins aurait suffi à ébranler le
manteau terrestre. La convection est donc inévitable, et la vitesse mesurée des plaques en surface, de 1 à 10 cm/an est
compatible avec ce nombre de Rayleigh. De même, la convection profonde dans la partie externe du noyau est
maintenant admise et considérée comme la source la plus vraisemblable du magnétisme terrestre (cf. "La Terre est
ronde"). Mais pour le manteau, nous avons souligné combien la bataille fut rude jusqu’à la fin des années 60, la
sismologie ayant démontré que le manteau est à l'état solide. Il fut très longtemps difficile d'admettre qu'il put être
ductile. De ce point de vue, la compréhension du mécanisme des plaques lithosphériques dans les années 70 constitua
un pas décisif. La vie du plancher océanique depuis sa naissance sur les dorsales jusqu'à sa destruction dans les fosses,
même si son errance peut être imputée à son écoulement gravitaire depuis un point haut (la ride), implique un cycle de
la matière. La subduction démontre qu'il existe bien une circulation verticale, par conséquent, la connaissance des
fonds océaniques nous montre deux éléments d'une cellule convective. Parallèlement il faut qu’il existe une circulation
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 32
profonde horizontale et une remontée verticale de la matière. Horizontalement, le nombre de cellules convectives est
nécessairement au moins égal au nombre de plaques en mouvement, mais les cellules à cette échelle constituent peutêtre une sur-structure masquant des cellules plus petites. Les modélisations, analogiques (bac 3D chauffé par
dessous) ou mathématiques (bidimensionnelles, N. Weiss et D. McKenzie), ont montré dès le début des années 70
que la distance entre deux zones descendantes est environ égale à 2 fois
l'épaisseur de la couche convective. Si l'on envisageait que le manteau est le
siège d'une convection "à un seul étage", la limite manteau - noyau étant à 2900
Km, les cellules pouvait donc avoir environ 6000 Km d'extension. Rapidement,
des expérimentations plus complexes ont montré que dans le cas où la surface du
fluide est en mouvement (cas d'une plaque), la convection peut s'établir sous
forme de rouleaux superposés. On peut donc penser que la Terre elle aussi est
soumise à une conduction à au moins 2 couches, conformément aux assertions
des géochimistes qui distinguent deux réservoirs, manteau supérieur et manteau
inférieur (e.g. Fig. 63). La limite entre les deux, vers 670 km, correspond à une
transition de phase (rappel : de la structure spinelle à la structure compacte
pérovskite), quel est sont rôle ? Est-elle compatible avec de tels modèles de
convection ?
La connaissance profonde du manteau nous est venue d’abord des zones de
subduction, en raison du fort contraste de vitesse sismique qu’engendre la plongée
Fig. 63:
d’une plaque dense et froide dans le manteau chaud. Si la discontinuité à 670 km fut
http://earth.leeds.ac.uk/dynamicearth/convectio
rapidement identifiée dès le début des années 80 comme le lieu de stockage des
n/models.htm
plaques subductée, les méthodes de la tomographie, apparue à la fin des années 80
nous permettent maintenant de reconnaître ce stockage comme temporaire. Le blocage subit par la plaque descendante
est lié au fait que, contrairement à la transformation de phase exothermique olivine-spinelle qui se produit vers 400 km,
la transformation spinelle-pérovskite est endothermique. Dans la première transformation, la plaque cède de la chaleur
au système et s’enfonce, et l’inverse se produit dans la seconde. Néanmoins, la masse accumulée de matériau dense au
toit du manteau inférieur créé une instabilité qui se traduit par une avalanche de ce matériau dans le manteau inférieur,
qui semble alors rejoindre la limite noyau-manteau (couche D”). On peut donc affirmer que la tectonique des
plaques nous renseigne largement sur toute cette partie descendante de la convection.
Mais rien de ce que nous avons évoqué jusque là ne nous informe sur le lieu des remontées de la matière, la
branche ascendante de la convection. En effet, la ride océanique n'est que le
lieu de production de la croûte. Elle témoigne certes d'une remontée
adiabatique du manteau, mais du manteau supérieur seulement, sous forme
d'un transfert de matière depuis l'asthénosphère vers la lithosphère. Ce
phénomène reste donc superficiel à l'échelle du manteau et ne nous renseigne
pas sur la position des courants ascendants profonds. La tomographie des
racines des rides nous affirme d’ailleurs (Fig. 64 par exemple) que celles-ci
sont beaucoup moins profondément observables sismiquement que la trace des
plaques subductées.
La première observation (indirecte) des mouvements convectifs nous
a été donnée par altimétrie satellitaire par le satellite SEASAT, lancé en 1978.
Ce satellite ne fonctionna que quelques mois, mais la masse de documents
transmis fut très importante. La méthode consiste à mesurer avec précision au
Fig. 64: noter le faible enracinement des zones
moyen d'un radar à impulsions, la distance du satellite à l'Océan. Les effets des
lentes en rouge sous les rides Atlantique et Est
facteurs océanographiques (marées, courants, pression atmosphérique...) sont
Pacifique, par contraste avec la zone rapide
sous les Andes considérée comme la trace de la
négligeables au regard de ceux qu'engendrent les anomalies du champ de
plaque Nazca subductée depuis plus de 100 Ma.
gravité. En effet, la surface le l'océan est une équipotentielle (géoïde), dont la
http://www.mantleplumes.org/Convection.html
position par rapport à l'ellipsoïde de référence traduit des hétérogénéités de la
distribution des masses terrestres. Rappelons que le géoïde est par définition la surface d'équilibre des mers, supposée
se prolonger à travers les continents (surface qui définit l'altitude zéro), et que l'ellipsoïde de référence, calé sur le
géoïde, est l'ellipsoïde de révolution autour de l'axe de rotation Terrestre, et d'aplatissement polaire égal à 1/298257 (cf.
« La Terre est ronde »). Les écarts entre le géoïde marin et l'ellipsoïde peuvent atteindre 100 mètres. La méthode
consiste en une analyse des variations d'altitude qui, après filtrage des données, permet d'observer des anomalies du
géoïde de longueurs d'ondes variées :
1- A une longueur d'onde de 1000 à 2000 Km maximum, pour une amplitude de 20-30 m maximum, correspondent
les structures en relation avec la tectonique des plaques (fosses et rides), et à moins de 500 km, apparaissent les
seamounts. Les structures froides (fosses, failles transformantes ou guyots), apparaissent particulièrement nettes,
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 33
car elles représentent un déséquilibre isostatique local. Rappelons qu'en effet Veining Meinesz a montré que
l'équilibre isostatique s'établit à une échelle beaucoup plus grande que leur seule présence, qui elle, agit
directement sur la forme du géoïde. Des guyots ont été décelés par cette méthode dans le Pacifique Sud dont la
bathymétrie n'est pas encore parfaitement reconnue. Les structures chaudes (rides) sont en quasi-équilibre
isostatique et ne sont que peu lisibles par cette méthode.
2- A la même longueur d'onde que les structures tectoniques,
il apparaît des ondulations qui n'apparaissent pas
directement liées à la géométrie des plaques, mais que
les géophysiciens rapportent à des contrastes de densité
dans le manteau supérieur, et qui sont interprétés comme
des manifestations de courants de convection. La plaque
océanique est de faible épaisseur et en outre très
homogène, par conséquent elle ne constitue pas un écran
"total" pour les anomalies de gravité du manteau
supérieur. La carte dressée pour la plaque Pacifique (fig.
65, B. Parson, A. Watt, M. Roufosse et D. McKenzie
1983) montrait déjà ces cellules à petite échelle, étirées
dans la direction du mouvement de la plaque. Fig. 65 Fig.
65
3- Les anomalies les plus fortes (-100 à +100 m environ,
donc 200 m d'amplitude) sont à très grande longueur
d'onde (au moins 5000 Km, C.G. Chase 1979, W. Haxby
1983). Elles n'ont pu être corrélées avec des structures
superficielles, et sont actuellement attribuées à des
contrastes de densité situés dans le manteau inférieur,
voire à l'interface manteau - noyau, et semblent donc
bien correspondre à l’échelle que nous envisagions plus
haut pour la convection du manteau.
Une autre approche de la recherche des ascendants
mantelliques consiste à rechercher quelles régions de la
Fig. 66 extrait de la carte de Heezen et Tharp, la chaîne des Hawaii avec à
l’extrême droite le volcanisme actif et en allant vers le NW des seamounts
inactifs de plus en plus anciens
Fig. 65 : La corrélation entre anomalies bathymétriques et
gravitationnelles permet de construire une carte des courants de
convection sous la plaque Pacifique. Sur ces cartes. un lissage a éliminé
les fluctuations de longueurs inférieures à 500 kilomètres. L'anomalie
bathymétrique est représentée par la profondeur océanique résiduelle, qui
est la différence entre la profondeur obtenue en tenant compte de la
contraction de la plaque océanique lors de son refroidissement et la
profondeur observée (carte supérieure). L'anomalie gravitationnelle est
représentée par la fluctuation de la hauteur de la surface de la mer mesurée
à bord de satellites par des radars altimètres. La carte montre que dans les
régions où le niveau de la mer est plus élevé, la profondeur résiduelle est
positive et la région sous-jacente du manteau est ascendante. De la même
façon, là où la surface de la mer est déprimée, la profondeur résiduelle est
négative et la région sous-jacente du manteau est descendante. Sur cette
carte, le déplacement de la plaque par rapport au manteau s'effectue vers la
gauche dans toute la région considérée. Ce mouvement entraîne un
allongement faible mais détectable des anomalies situées dans la direction
du mouvement. Les contours des anomalies sont étirés selon des ellipses
dont le grand axe est parallèle à la largeur de l'illustration
surface de la Terre pourraient être à la fois très chaudes
et largement fixes ans l’espace pendant un laps de
temps compatible avec la constante de temps de la
convection. Les géochimistes opposent depuis les
années 70 la composition des basaltes de ride appelés
tholéiites, qu’ils considèrent comme le produit d’une
fusion partielle locale mais extensive (jusqu’à 30% pds
du manteau) et superficielle (quelques 10x km) à celle
des basaltes intraplaques (i.e. généralement non situés
sur des limites de plaques) nommés alcalins car riches
en éléments alcalins, et dont ils considèrent qu’ils sont
le produit d’une fusion partielle très limitée et beaucoup
plus profonde et plus chaude. Ce volcanisme
intraplaque à la particularité d’être ponctuel,
contrairement au volcanisme de ride qui est linéaire, et
en plus d’apparaître fixe dans l’espace, constituant une
sorte de référentiel fixe au dessus duquel les plaques se
déplacent. Dans le temps ce volcanisme dit de « point
chaud » (« hot spot Mante Plume ») laisse donc sur la
plaque une traînée de volcans de plus en plus ancien,
seul le volcan de tête par rapport au déplacement de la
plaque étant actif (fig. 66). Lors de son déplacement, la
plaque Pacifique enregistre ainsi le fonctionnement
continu de 3 points chauds, Hawaï, Sala y Gomez et Mc
Donald, qui viennent percer la plaque, un peu à la
manière d'un chalumeau fixe qui fondrait une plaque de
métal que l'on déplacerait lentement et régulièrement au
dessus de lui, l’âge vont de guyots croissant vers le
Nord-Ouest jusqu'à 70 Ma. On peut constater en outre
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 34
que la plaque Pacifique a subit une rotation brutale il y a 45 Ma. Cette indépendance vis à vis des plaques conforte
l'idée d'un mécanisme très profond, mais elle ne suffit pas à l’étayer, même si ce phénomène est récurrent., et la
première réponse nous vient des résultats les plus récents de la tomographie sismique, qui mettent en évidence à
l’aplomb les points chauds des boyaux étroits de manteau à vitesse sismique très lente (Fig.67).
La première confirmation de cette indépendance nous a été fournie par les progrès de la géochimie dans les
années 70-80. Il était en effet envisageable auparavant du point de vue de leur composition chimique en éléments
majeurs (élément en concentrations >0.1%) que les basaltes alcalins des points chauds et les tholéiites des rides
proviennent de la fusion partielle d'un même manteau chimiquement homogène. Ils auraient pu ne différer que par les
conditions physiques différentes dans lesquelles se produit la fusion partielle (profondeur en particulier). Mais l’accès
à leurs compositions en éléments en traces et à leurs compositions isotopiques suggéra très vite que cette hypothèse est
simpliste. Les isotopes d'un élément présentent des propriétés chimiques identiques et donc doivent avoir le même
comportement durant les processus géologiques. Le rapport de 2 isotopes stables ne doit pas être modifié par ces
processus. Par contre, si l'un au moins des isotopes est radioactif, il donne naissance à des isotopes d'autres éléments. Si
le processus géologique est susceptible de fractionner les éléments considérés, l'évolution des rapports isotopiques et
les rapports isotopiques eux-mêmes en seront le reflet. C'est en particulier le cas du rapport 87Sr/86Sr, dans lequel le
87
Rb, radioactif intervient en se désintégrant en 87Sr au rythme de sa période (48 Ga). Le processus de cristallisation
fractionnée (cf. "TD axe GP") a pour effet de "distiller" des liquides de plus en plus pauvres en Mg, métaux de
transition (Cr, Fe, Co, Ni), aclalino-terreux (Ca, Sr), et de plus en plus riches en Si, alcalins (Na, K, Rb), et d'une façon
générale en éléments à gros rayon ionique. Les liquides fils présentent deux caractères essentiels. Ils ont
nécessairement un point de fusion plus bas que le liquide qui leur donne naissance, mais surtout, l'enrichissement en
l'élément léger qu'est le Silicium leur confère une densité plus faible que celle du liquide parent. Comparés aux
basaltes, de densité 3 environ, les granites, de densité 2.7, flottent. A l'échelle de la planète, si l'on considère comme on
l'a montré plus avant que les processus volcaniques sont initiés par une fusion partielle du manteau, suivie d'une
cristallisation fractionnée, on comprend aisément que ces processus sont à la base de la ségrégation de la croûte
continentale granitique (non recyclée).Revenons à l'évolution du rapport 87Sr/86Sr. Au temps origine, le rapport a une
valeur définie. L'estimation de ce rapport n'est pas aisée. Les valeurs admises actuellement résultent pour l'essentiel de
l'étude des chondrites carbonées, dont je rappellerai simplement qu'on a lieu de penser qu'elles sont très comparables au
manteau terrestre (cf. "La Terre est Ronde"). Avec le temps, ce rapport croît avec la désintégration du 87Rb en 87Sr, et
devient donc une fonction de la teneur en Rb. Puisque le rubidium tend à se concentrer dans la croûte continentale, le
rapport 87Sr/86Sr évolue plus vite dans la croûte continentale que dans la croûte océanique, et inversement la source
mantellique qui donne naissance à ces liquides se trouve appauvrie. Le même raisonnement est applicable à d'autres
rapports isotopiques, tel que 1" Nd/1 Nd. L'étude de ces rapports dans les roches volcaniques permet ainsi de retrouver
la signature du processus qui est à l'origine de ce volcanisme.
Avec ces "traceurs" géochimiques, on a pu par exemple mettre en évidence des contaminations crustales dans
le volcanisme des arcs ou des marges actives, qui démontre que ce volcanisme ne résulte pas seulement de processus
mantelliques, mais aussi d’une fusion partielle qui à lieu dans la croûte continentale de l'arc. Nous avons dit que la
pétrographie et la géochimie du volcanisme océanique suggèrent que l'on soit en présence de deux sources
physiquement distinctes. L'une, à faible profondeur dans le manteau alimenterait le volcanisme tholéiitique des
dorsales, l'autre, beaucoup plus profonde, alimenterait un volcanisme alcalin indépendant des plaques. Les rapports
isotopiques des basaltes tholéiitiques des rides montrent tous, et de façon frappante, un appauvrissement important. Il
faut donc que le manteau qui leur donne naissance soit lui même appauvri. On est donc non seulement en présence
d'une source qui a déjà donné naissance à du matériel crustal continental, mais en plus, cette source est
remarquablement homogène. On peut donc voir ici la marque de la convection thermique. N. Hoffman a montré vers
1980 qu’elle était susceptible d'homogénéiser des rapports isotopiques dans le manteau en 1 Ga environ. De ce point de
vue, le manteau inférieur semble pus hétérogène, car les rapports isotopiques des roches issues des points chauds sont
complexes. A Hawaï par exemple ils sont intermédiaires entre ceux des dorsales et ce que l'on pense être le rapport
caractéristique du manteau terrestre. Aux îles Kerguelen (océan Indien), on observe un enrichissement particulier en Rb
et Sm. Il devient donc nécessaire d'imaginer que le manteau inférieur a été découplé du manteau supérieur depuis au
moins 1 Ga, et qu’il n'a plus alimenté depuis que le volcanisme de type point chaud. Pendant ce temps le manteau
supérieur a été homogénéisé régulièrement. Le modèle de convection à 2 niveaux apparaît donc plus satisfaisant, et
fonctionnerait depuis 1 Ga au moins.
La toute dernière confirmation d’ indépendance du volcanisme des points chauds vis à vis des plaques nous
vient des résultats les plus récents de la tomographie sismique, qui mettent en évidence à l’aplomb les points chauds
des boyaux étroits de manteau à vitesse sismique très lente. La tomographie permet de les suivre jusqu’à plus de 2500
km, c'est-à-dire en gros la profondeur de l’interface noyau manteau (Fig.67), et confirme donc la grande profondeur de
la source des magmas des points chauds.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 35
Faut-il considérer ces deux réservoirs comme
complètement isolés ? Certes le manteau supérieur (les ~ 700
premiers Km) a été considérablement appauvri par la
différentiation de la croûte continentale initiale et l’est encore un
peu dans les marges actives et les arcs volcaniques des zones de
subduction actuelles. Certes il apparaît en outre avoir été fortement
homogénéisé en 1 Ga par la convection dont il est le siège. Mais
l’on sait aussi aujourd’hui que la subduction renvoie dans le
manteau inférieur une partie au moins des plaques lithosphériques
océaniques, fabriqués à partir dans manteau supérieur. On sait
enfin que les panaches mantelliques des points chauds sont issus
de la base du manteau inférieur, qu’ils traversent au moins en
partie la discontinuité à 670 km, et qu’ils viennent heurter la
plaque lithosphérique et s’étaler sous elle (Fig. 68, suivre le lien
pour l’animation). La géochimie et les modèles convectifs nous
enseignent que la tête de ces panaches s’étale alors sous la
lithosphère, est entraînée avec elle, et que leur périphérie se
mélange au manteau supérieur environnant, donnant localement
des suites de magmas dont la composition évolue en continu
depuis des basaltes alcalins au cœur du panache, jusqu’à des de
Morbs (Mid Ocean Ridge Basalts) en périphérie,
Mais ce schéma commence à son tour à apparaître
simpliste aux géophysiciens et aux géochimistes. Le manteau
inférieur est chimiquement hétérogène du point de vue isotopique
et de certains des éléments en traces. Les modèles de convection
purement thermale montrent leurs limites à rendre compte de ces
distinctions et suggèrent au contraire que le manteau inférieur ait
été homogénéisé lui aussi à l’échelle de temps considérée. La
Fig. 67 : Noter que les résultats de la tomographie sismique des
point chaud du Pacifique, pour Samoa, Tahiti sont en tout point
comparable à ceux-ci
http://www.palmod.unibremen.de/FB5/Ozeankruste/Teaching/Geochem_Tectonics/Materi
al_GCPT.htm
tomographie met en évidence de vastes domaines
d’anomalies négatives de vitesse sismique
(lenteur) qui échappent à ces modèles. Dans les
laboratoires de dynamique des fluides, on
expérimente à l’heure actuelle le comportement de
fluides visqueux de densités différentes et
largement miscibles. Ces modèles suggèrent que
dans des régions chimiquement hétérogènes
comme la base du manteau (couche D”, encore
dénommée CMB, Core-Mantle Boundary ou
ULVZ, Ultra Low Velocity Zone), la convection
engendre la formation de vastes dômes oscillants
(identifiés par la tomographie qui nous enseigne
qu’ils peuvent atteindre 300km de hauteur dans le
manteau) qui en retour affectent la convection. La
Fig. 68:
http://www.gps.caltech.edu/~gurnis/Movies/Animated_GIFs/Pyre_global-plume.gif
réponse à l’origine des diverses signatures
géochimiques mesurées dans les produits de la
fusion partielle du matériel mantellique profond des points chauds réside probablement dans l’approche de ce milieu
profond complexe, constitué d’un matériau très proche d manteau initial (avant différentiation de la croûte et le
dégazage du manteau, au moins supérieur), et de matériel issu de la subduction des plaques lithosphériques océaniques.
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
p. 36
EPILOGUE
Il est très frappant de constater que dans la littérature des années 60, et dans les manuels français en
particulier, la dérive des continents n'avait encore souvent droit qu'à quelques pages ou quelques lignes dans un cours
d'enseignement général de la Géologie. A. Hallam, comme X le Pichon insiste sur le fait que l'évolution des idées n'est
pas continue mais que la communauté scientifique passe d'un paradigme à un autre.
Etait-il évident d’admettre la dérive des continents quand les mesures des odes sismiques confirment la nature
solide du manteau ? Il est vrai que la remise en question des idées reçues est toujours inconfortable, et que l'on ne:
quitte volontiers une position stable que lorsqu'il devient évident que la situation nouvelle envisagée sera stable elle
aussi. L’évidence de cette dérive nous aura été fournie par le développement de la tectonique des plaques. D'un creux
de potentiel à un autre, d'une vision du monde à une autre, le temps de transit est toujours long, car on a toujours 70 ans
d'enseignement à oublier!
Cela apparaît souvent comme une conception obsolète, et l'on tend généralement à considérer qu'en ce début
de millénaire la pensée cartésienne, scientifique et objective a triomphé dans nos esprits. Evidence trompeuse, faut-il
rappeler la peur du bug de l’an 2000 ? Faut-il rappeler que "l'évolution des espèces" de C. Darwin et n'a toujours pas
droit de cité dans tous les enseignements, faut-il parler du dogmatisme scientifique lui aussi capable de s’ériger en
censeur ?
Jean-Luc Bouchardon
Eté 2010
EMSE : Axe Processus Naturels 23/07/13
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