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Le refuge dans la solitude: salut ou misère de l’homme
Une seule chose est nécessaire: la solitude.
La grande solitude intérieure. Aller en soi-même et ne rencontrer
pendant des heures personne, c’est à cela qu’il faut parvenir.
Être seul, comme l’enfant est seul...
Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète
Tous les grands esprits ont senti l’attraction et le poids de la solitude.
Sous une forme ou sous une autre, c’est la solitude qui se place à la base de
leurs entreprises les plus appréciables. Et la grande leçon qu’ils transmettent
par leur œuvre, c’est qu’il n’y a rien à faire contre la solitude, qu’elle soit
extérieure, situationnelle ou intérieure, foncière, vécue et revécue avec la même
conviction qu’elle (r)assure le sens du périple existentiel. Toute tentative de la
fuir n’a fait que montrer ce besoin, souvent viscéral, incontrôlable, de s’y plonger
avec plus de profondeur et de gravité. Adulée pour ses valences inspiratrices
ou, tout au contraire, haïe pour ses pouvoirs dévastateurs, qu’elle soit liée au
bonheur ou au malheur de l’homme, qu’elle soit ressentie quotidiennement ou
sporadiquement, elle provoque la chute de l’homme en lui-même, le vouant à
sa propre individualité. Elle oppose l’homme au monde ou à l’autre, car il est
le seul être capable de sentir la solitude et le besoin de chercher l’autre dans ce
qu’Octavio Paz appelait «le labyrinthe de la solitude». Pour certains, c’est dans la
solitude, conçue comme une occasion de se concentrer sur l’essence du monde,
qu’il faut chercher le bonheur: «On est plus heureux dans la solitude que dans le
monde. Cela ne viendrait-il pas de ce que dans la solitude on pense aux choses, et que
dans le monde on est forcé de penser aux hommes?».1 Assertion assez inattendue si
l’on prend en considération la pensée commune qui sépare d’habitude solitude
et bonheur tout en rapprochant davantage solitude et malheur.
La solitude est déclenchée et entretenue par d’autres facteurs dont on évoquera
quelques-uns: l’espace – on peut parler d’une solitude locale, rurale ou urbaine,
roumaine ou mondiale ; le temps – il y a une solitude chronique, une solitude
automnale par exemple; l’origine – il y a des «peuples de solitaires», comme dit
Cioran en se référant aux Juifs ; l’amour – sa perte ou l’incomplémentarité des
amoureux qui plutôt les éloignent l’un de l’autre et les rend solitaires; la mort –
qui accentue la désolidarisation et voue davantage l’être à l’isolement, cette forme
extrême de solitude; Dieu – son absence et sa recherche permanente; l’acte d’écrire
– un acte solitaire, même si, paradoxalement, il suppose aussi une action qui devrait
remplir la solitude.
La solitude est l’état d’âme le plus propre et le plus digne de l’homme:
1 Chamfort, Maximes et pensées. Caractères et anecdotes, préface d’Albert Camus, notices et notes de
Geneviève Renaux, Paris, Gallimard, 1965, p. 89.