Concours B ENV B – 0314V RÉSUMÉ DE TEXTE Durée : 2 heures ________ L’usage d’une calculatrice est interdit pour cette épreuve. Ce texte doit être résumé en 300 mots (au sens où l’entendent les typographes ; par exemple il n’est pas, c’est-à-dire, le plus grand, comptent respectivement pour 4, 4, 3 mots). Une marge de plus ou moins dix pour cent est tolérée. Tout dépassement de cette marge est pénalisé. Le candidat doit indiquer sur sa copie le nombre de mots utilisés. La solitude, la solitude il est clair que c’est un état d’âme. Il n’y a de solitude qu’éprouvée, sentie du dedans, vécue par un moi. La solitude ne se définit pas du dehors, comme si c’était quelque chose d’objectif, de géographique. Est seul qui a l’impression d’être seul. Nul ne le sait à part lui. On peut être seul sans aucunement éprouver de la solitude, si l’on pense par exemple à ceux que l’on aime, et au milieu d’une multitude, on peut avoir le sentiment d’être totalement isolé. On est isolé dans un groupe, si on n’est pas à l’unisson, si on pressent que si on se mêle vraiment à la conversation, nul ne comprendra réellement ce que l’on veut dire. Il n’y a donc pas de solitude matérielle. Il n’y a pas de place dans le monde pour de la solitude. Spatialement, tout est rattaché à tout, un point n’est point que par rapport à tous les autres points. La solitude ne saurait être que celle d’un sens. La solitude, c’est le drame du sens, l’échec de la communication. Le solitaire est enterré en soi-même. On voit par là que la solitude est toujours seconde. Au début est l’indivision. L’enfant ne fait qu’un avec sa mère, il vit englobé dans le groupe familial, dont il ne se distingue pas à titre d’élément. L’expérience de la solitude requiert donc le surgissement d’une désillusion. En quoi elle est bien liée, cette expérience, à celle-là même du moi, qui lui-même ne se forme que dans la déconvenue. L’enfant fait l’apprentissage de son moi, quand il s’aperçoit que nul ne peut partager sa douleur, et ainsi l’en soulager, en prendre une part. A l’école, également, lorsque les parents ne sont pas là pour souffler à l’oreille. Je suis seul, donc je suis. Le moi se conclut par une exclusion. Ainsi, le cogito chez Descartes. Il n’y a rien, je doute de tout, mais il n’y a rien que parce qu’il y a quelqu’un pour qui il n’y a rien. C’est en ce sens que tout être est une victoire sur le néant, ainsi que dit Bergson. La solitude : quand il n’y a rien il y a pourtant quelque chose. 1/3 T.S.V.P. Faire l’apprentissage de la solitude, c’est donc pour une conscience se découvrir ellemême. Avoir conscience, c’est se séparer. Toute conscience est une exception. De là les charmes exceptionnels de la solitude. Solitude, dit le poète, où je trouve une douceur secrète. Tout charme est bien celui d’un secret. L’être qui charme, c’est qu’on sent que derrière tout ce qu’il dit, tout ce qu’il paraît, il y a autre chose dont émanent ses apparences. Le moment délicieux, c’est quand on pressent ce secret. Aussi tout charme est-il celui d’une rencontre. Le solitaire va à la rencontre de lui-même, silencieusement, attentif uniquement à soi, recueilli. On comprend par là que la solitude ait toujours trouvé tellement d’apologistes. Que cultiver de mieux, sinon sa solitude. Si la conscience se distingue, cette distinction ne signifie-t-elle pas aussi élégance ? La solitude, c’est la vertu aristocratique par excellence. C’est la vertu du sage épicurien, indifférent à tout. Comment ferait-il de différences entre les autres, lui qui se sent infiniment différent d’eux ? Entre eux et lui s’inscrit un abîme. Si la solitude est mouvement, comme nous l’avons défini plus haut, mouvement de repli, de retrait, de retraite : « Rentre en toi-même », ce mouvement se reconnaît à sa verticalité, c’est un mouvement vers le haut. De là que rêverie et solitude ont tellement partie liée. Rêver, être seul, c’est s’envoler. Ce thème de l’envol est toujours présent chez Nietzsche. Le surhomme gravit les sommets, il échappe en lui aux forces de pesanteur – piété, sympathie – qui nous attirent, nous inclinent les uns vers, les uns sur les autres. C’est la solitude du héros. Comme le Dieu de Vigny le dit à Moïse : « Puissant et solitaire. » Plus l’on se tient au-dessus, plus on est seul. Le chef est celui qui endosse seul la responsabilité de tous. Dire que Dieu est tout-puissant, ou dire qu’il n’y a qu’un seul Dieu, c’est une seule et même chose. L’état de solitude, cette tentation de la conscience, c’est la tentation même d’être Dieu. Ainsi le Dieu d’Aristote qui ignore jusqu’à l’existence de l’univers et au mouvement d’amour qu’il suscite en lui. Mais un tel Dieu, comment sait-il qu’il est Dieu ? Il n’y a donc pas d’état de solitude. Une solitude parfaite, totale, c’est quelque chose de contradictoire. Si on était vraiment seul, on ne saurait même pas qu’on est seul. Au fond, la solitude, c’est la conduite de mauvaise foi de l’isolement. Sentiment impossible, parce qu’on ne fait pas de sentiments avec des ressentiments. Je suis isolé, les autres ne veulent pas de moi, donc je m’enfoncerai dans ma solitude. Mais comment se penser seul, si ce n’est par rapport aux autres ? Le solitaire est condamné à emporter tout le monde avec lui. Sa solitude est grouillante, infestée et ainsi infectée. Nul n’est plus tributaire des hommes que le misanthrope. Nul n’est plus esclave que celui qui hait. Solitude irréalisable : on voudrait ne plus être tout en étant. Assister à ses funérailles. (En soi. Pour soi.) Il semblerait que nous nous enfoncions en plein imbroglio. Toute conscience est solitude, dans la mesure où elle est séparation, c’est pourquoi l’amour est irréalisable, aimer, c’est aspirer à l’unité impossible, car pour ne faire qu’un il faudra bien continuer à être deux, l’amour n’est jamais qu’à l’horizon de l’unité comme la philosophie pour Platon n’est jamais qu’à l’horizon du vrai, toute conscience est solitude, et cependant la conscience de la solitude détruit jusqu’à la solitude. Penser, c’est toujours penser à ce qui n’est pas soi. Le moi n’est aucunement une résidence où nous pourrions nous installer. Cela, c’est ce que découvre la réflexion. 2/3 Pour la conscience, tout est solitude. Ce que je sens, je suis le seul à le sentir. La vérité de mon intention, la pureté de ma disposition, je ne dispose d’aucun moyen pour en convaincre les autres. C’est pourquoi toute conscience est, comme dit Hegel, une conscience malheureuse. Ce malheur, elle peut tenter de le convertir en victoire, c’est la tentative sophistique, nietzschéenne : chacun sa vérité. Et c’est l’état de folie, au sens exact où Auguste Comte dit que la folie, c’est la subjectivité. Mais à la réflexion rien n’est solitude. Toute pensée utilise nécessairement des mots, qui ont été parlés par d’autres, des mots dont le sens nous est légué, conféré par tous ceux qui les ont employés. Le sujet parlant ne saurait donc être un sujet solitaire. Et qu’est-ce, du reste, que penser, sinon s’adresser à tous, chercher une vérité qui soit vraie pour tous et non pas seulement pour moi-même ? Qu’est-ce que penser sinon proposer ? « Le langage, disait Lavelle, c’est ce qui nous rend extérieur à nous et intérieur à tous. » L’état de solitude totale, ce serait l’état d’animalité, l’enfouissement en soi – ainsi le sphinx égyptien, solitaire. La profondeur impénétrable de la solitude, c’est celle de l’insignifiance. Penser, c’est faire signe. Ainsi, nous rompons la solitude, par ces signes d’intelligence que nous n’arrêtons de produire. En quoi la solitude n’est nullement, comme nous le disions, le drame du sens. Il n’y a pas de sens enfermé en soi, égyptien. Comme le dit Sartre, l’homme de génie est tout entier dans son œuvre. La vérité du sens, c’est le signe qu’il fait. Qui se plaint d’être incompris, c’est qu’il ne se comprend pas lui-même. Rien n’est donc plus inepte que le mot de cet ancien – Sénèque : « Chaque fois qu’on va dans la compagnie des hommes, on en revient moins homme qu’on était. » C’est oublier que nous ne sommes hommes – justement – que par notre faculté d’être présent à l’homme. Goethe : « On peut tout acquérir dans la solitude sauf du caractère. » Disons. Ce qui manque à la solitude, ce par quoi elle est manque, c’est son absence de générosité – qui renie les hommes n’est pas un homme. Tout est imposture dans le culte de la solitude. La solitude n’est qu’un néant qui voudrait se faire prendre pour une négation. On entre dans la solitude par la conscience et on en sort par la réflexion. Cette traversée de la solitude qui seule permet d’échapper à la solitude, n’est-ce pas l’épreuve même où doit passer toute philosophie ? Hubert Grenier, La Liberté heureuse, Paris, Bernard Grasset, 2003, p. 87-90. 3/3