EPISTEMOLOGIE DE LA RECHERCHE EN SCIENCES DE L’EDUCATION Support de notes de cours 4 Nouvel exercice à effectuer sur la base de la feuille présentant les CSP (Catégories SocioProfessionnelles): quels sont les indicateurs, les composantes et les dimensions qui sont à la source de cette catégorisation? Retour à: C. LE CONSTAT La phase du CONSTAT est donc largement préparée par la phase de la CONSTRUCTION (elle-même centrée sur l’opérationalisation des concepts et sur la hiérarchisation des hypothèses). Son objectif : mettre les hypothèses à l’épreuve des faits ; et, par là, les valider/invalider. En cas d’invalidation (ou de validation partielle), sont produites de nouvelles hypothèses ou des hypothèses complémentaires. Elle se déroule en étapes distinctes. 1. Le recueil de données (n.b.: en milieu naturel, en laboratoire; on parle aussi parfois de milieu “semi-expérimental”). Ce recueil est donc une opération d’OBSERVATION et implique essentiellement quatre grandes familles de techniques méthodologiques: les questionnaires, les entretiens de recherche, l’organisation d’observations (au sens strict) ou encore l’exploitation de données de seconde main. L’“information” nécessaire est donc transformée en “données” de la recherche, en fonction des décisions prises lors de la phase de construction (à propos des indicateurs nécessaires à la formulation des hypothèses de travail). 2. Le traitement des données. Pour ce faire, le chercheur passe par la préparation des données (essentiellement: codification); puis par l’analyse des données (essentiellement statistique); et enfin par la présentation des données. On retiendra ici que les variables mises en oeuvre dans les hypothèses de travail peuvent être de quatre ordres: les variables nominales (ex. la nationalité) et les variables ordinales (ex. échelle d'importance: très important/plutôt important/plutôt pas important/pas important) constituent des variables qualitatives; les variables d'intervalles (ex. la température) et les variables de rapport (ex. la taille) constituent les variables quantitatives. Les possibilités de traitement statistique sont tributaires de la nature des variables (ex. on peut calculer une moyenne sur des variables quantitatives mais pas sur des variables qualitatives). 3. La lecture des données. Le chercheur passe ici par la description des données; puis par l’interprétation des données. Attention: les recherches explicatives classiques étant focalisées sur la recherche de régularités (lois ou quasi lois), se pose systématiquement la question de la généralisation des résultats ! Les recherches expérimentales abordent essentiellement cette question par le contrôle des variables et la réplication des recherches; les recherches en milieu naturel la traitent essentiellement par le recours aux techniques d’échantillonnage. Nouvel exemple NB Cet exemple est construit (partiellement fictivement) sur la base d'une recherche réalisée par l'INSEE (Pan Ké Shon, 1999). Il nous servira d'occasion pour déployer notre faculté critique et de tremplin pour, progressivement, imaginer ce que pourrait être une logique de recherche très différente -celle de la compréhension- et nous renverra donc à une autre démarche (Schurmans, 2003). 1. Question de départ: quelles sont les conditions sociales qui génèrent l’état de solitude (visée : quelles sont les "populations à risque")? 2. Point de vue sociologique (classique): suite à un détour théorique (cf. "le suicide" chez Durkheim), on repère deux dimensions importantes dans la cohésion sociale: l'intégration (présence ou non de réseaux de sociabilité ou, autrement dit, "de x contacts avec autrui dans un temps donné") et l'anomie (présence ou non de ces matériaux de l'échange que sont les options partagées ou, autrement dit, "de la même vision du monde"). 3. Problématisation: sur la base du croisement de ces deux dimensions, on peut imaginer quatre cas de figure: a) intégration + et normativité +; b) intégration + et normativité -; c) intégration - et normativité +; d) intégration - et normativité -. On pourrait dès lors décider que ce qui nous intéresse consiste dans le cas de figure "d", ce qui nous porterait à prédéfinir alors le sentiment de solitude comme l'expression d'un manque qui traduit un état d'isolement relationnel, défini comme "l'articulation entre la rareté des occasions d'échanges relationnels entre un agent et son milieu social et la pénurie de matériaux d'échange". Il s'agit donc là de l'élaboration d'une théorie (préalablement construite et non validée à ce stade) de "la solitude". 4. Opérationalisation: il convient donc d'abord de se centrer sur un public de personnes qui vivent seules et de définir un "observable" relatif à "l'articulation" considérée; un indicateur peut être proposé à ce stade, du côté de la variable dépendante: le nombre de conversations à caractère personnel, d'une durée supérieure à 5', réalisées en une semaine; une valeur inférieure à 5 sera considérée comme caractéristique de l'isolement relationnel (Pan Ké Shon, op. cit.). Que se passe-t-il du côté des variables indépendantes? Pour étayer cette "théorie de la solitude", il faut identifier, parmi les personnes vivant seules, des ensembles sociaux différenciables sur la base de "chances" (probabilités) d'avoir des occasions d'échange à contenu personnel (valeurs) avec autrui: par exemple la variable "état civil" dont les modalités seraient : divorcés / célibataires / veufs (imaginer d'autres variables!). 4. Hypothèses: - hyp. théorique générale: le sentiment de solitude est dépendant du degré d'intégration et d'anomie; - hyp. de la recherche: parmi les personnes vivant seules, le sentiment de solitude est occasionné par l'articulation entre la rareté des occasions d'échanges relationnels entre un agent et son milieu social et la pénurie de matériaux d'échange; - hyp. de travail: (ex.) n (célibataires) > n (divorcés) > n (veufs) En effet, si cette « théorie » de la solitude est pertinente, les variations de l’isolement relationnel seront bien tributaires des variations de ces « occasions » et de ces « matériaux ». Et les modalités (célibataires, divorcés, veufs) de l’indicateur « état civil », choisi pour traduire ces variations, se trouvent ici ordonnées dans la mesure où (grâce par exemple à d’autres recherches préalables), on sait que, dans l’ensemble, la séparation et a fortiori le veuvage représentent des occasions de rupture des systèmes préalables de l’échange. 5. Construction du plan de recherche: qui, quand, avec quel outil, etc. ex. de décisions (argumentées!): ... Cette planification clôt la construction (les concepts sont opérationnels, les hypothèses précisées et l'outil de recueil est forgé). Elle s'ouvre donc sur le constat: envoi des questionnaires (recueil de l'information propre à VI et VD); préparation des données (codification), analyse des données (croisement des VI et VD); présentation des données (tableau croisé entre les modalités de l'état civil et le nombre de coups de fil); description des données (mise en relation des données suivant l'hypothèse de travail) et interprétation des données. 6. Enquête proprement dite: « recueil » des données (par exemple, par sondage téléphonique, par questionnaire…) 7. Traitement des données: (ex.) sujet V1 (état civil) V2 V3 Vx n 1 2 3 4 .. 2 1 1 3 .. .. .. .. .. .. .. .. 04 09 05 03 .. .. .. .. .. .. .. .. n 2 .. .. .. .. 11 8. Présentation des données (ex.) état civil/n tél. >5 <5 célibataires -++ ---------------------------------------------------divorcés + ---------------------------------------------------veufs ++ -9. Description des données ex. logique de construction du tableau ; structure des résultats ; relation entre les résultats et les hypothèses de travail : validation / non validation / validation partielle des « attentes » ; aspects inattendus… 10. Interprétation des données Examens des relations entre résultats attendus et résultats effectifs ; retour à l’hypothèse de la recherche ; retour à l’hypothèse théorique générale ; limites du dispositif expérimental / du dispositif d’enquête ; limites au processus de généralisation ; examen des nouvelles questions que suscitent les résultats ; nouvelles hypothèses émergentes ; nouvelles ouvertures de recherche… Question à débattre Quels atouts, quelles limites, quelles insatisfactions, cette planification de recherche présente-t-elle?