67e Festival d`Avignon

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67e Festival d’Avignon/Dieudonné Niangouna
Niangouna à Avignon : « Ce genre d’endroits qui me raconte le monde »
(MFI/09.07.2013) Le Festival d'Avignon qui s'est ouvert ce 5 juillet fait la part
belle à l'Afrique cette année. Dieudonné Niangouna, auteur, acteur et metteur en
scène congolais à la langue foisonnante, est le premier artiste africain associé au
prestigieux festival de théâtre. Entouré de toute une jeune génération d'artistes
venus autant de l'Afrique francophone qu'anglophone, il a créé ce dimanche dans
la carrière de Boulbon sa pièce épique Shéda. Entretien.
RFI : Comment voyez-vous votre rôle d’artiste associé au Festival d’Avignon ?
Dieudonné Niangouna : C’est une belle opportunité pour créer Shéda, et aussi
chercher à faire entendre de textes d’autres amis auteurs d’Afrique que j’aime bien et
dont, évidemment, j’estime le talent et qui méritent aussi à cet endroit d’être entendus.
RFI : Comme artiste associé, vous aviez le choix des lieux. Vous pouviez créer
dans la Cour d’honneur du Palais des papes, un lieu mythique. Mais vous avez
choisi la carrière de Boulbon. Pourquoi ?
D. N. : Parce que la première phrase du texte dit très bien : « dans ce désert de
pierres ». Donc, ce choix est parti simplement de la nature du texte qui l’exige.
Évidemment, c’est un vrai coup de chance : si j’avais créé ce spectacle dans un autre
festival, je l’aurais créé en salle. Or là, il y a déjà ce lieu qui existe.
RFI : Shéda, c’est une sorte d’épopée en trois parties : « peur », « solitude »,
« urgence ». Qu’est-ce qui lient ces trois parties ?
D. N. : Ma manière à moi d’écrire et de faire du théâtre. Dans tous mes spectacles de
théâtre, même dans mon acte d’écrire, je me base d’abord sur ces trois états : la peur,
la solitude et l’urgence. La peur, parce que j’ai besoin de la peur pour écrire, j’ai
besoin de regarder la peur du monde en face et aussi la peur de l’inconnu - parce que
créer un spectacle c’est l’inconnu. La solitude, parce qu’un auteur écrit dans la
solitude. Il visite d’abord sa solitude pour la mettre après au monde. Et l’urgence,
parce que j’ai besoin de l’urgence pour faire les choses. Pour faire du théâtre et monter
mes spectacles, que ce soit à Brazzaville ou ailleurs, il y a quelque chose d’assez
urgent. Ecrire Shéda, qui est l’une des plus grandes pièces de ma vie, c’était aussi une
manière de visiter toutes mes angoisses, mes peurs, mes beautés du théâtre. « Peur,
solitude et urgence » pour commencer. Ces trois états rejoignent complètement les
trois actes de la pièce, et le leitmotiv de ces personnages-là.
RFI : Pour cette pièce, vous avez réuni autour de vous des acteurs d’origines
diverses : française, camerounaise, sénégalaise, roumaine, congolaise bien
évidemment. Pourquoi ces identités multiples ? Qu’est-ce qu’elles apportent à la
pièce ?
D. N. : Shéda se joue à « Nulle part », un endroit qui s’appelle Kakouma en Swahili.
Et dans cet endroit-là, les gens qui y sont ne sont pas nés là. Ce sont des gens qui
tombent du ciel. Ils viennent d’horizons différents, de tons différents, de périodes de
l’histoire différentes, de cultures différentes. Et ils tombent là… Il y en a un qui
s’appelle « le père Francis de Saint-Aimé », un autre « mécanicien des étoiles », un
autre « le Seigneur » - mais c’est un seigneur des temps médiévaux, un seigneur de
guerre qui débarque là, un ami de Guillaume Tell, ou je ne sais pas qui c’est, qui
tombe là… Donc, des personnages qui viennent d’endroits différents et, évidemment,
qui ne se connaissent pas au départ. Ça crée une vraie tectonique des plaques. Ils
cherchent à inventer la vie là, dans ce désert de pierres où tout est très difficile.
RFI : D’où la distribution ?
D. N. : La question de la distribution importait beaucoup pour la mise en scène de
Sheda. Il fallait que, de manière pratique et visuelle même, dans le regard du
spectateur, on voit des couleurs de peaux différentes, des couleurs de cheveux
différents, des accents différents… Des gens qui ont fait du théâtre de manière
différente. Qu’ils ne viennent pas de la même école de théâtre, de la même conception
de l’art. Et les réunir là, déjà on serait dans une espèce de tectonique des plaques. Et
puis, j’ai toujours trouvé aussi que dans la carrière de Boulbon, il était bon de
mélanger les gens. La carrière de Boulbon, pour moi, c’est quelque chose qui n’a pas
de temps. Ça peut être les vestiges d’un vieil endroit romain ou un endroit
complètement western. Ça peut être complètement comme si on se retrouvait dans des
pays comme le Mali. Et c’est ce genre d’endroits qui me raconte le monde.
Propos recueillis par Muriel Maalouf
Le 67e Festival d'Avignon, du 5 au 26 juillet.
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