P H A R M A C O C I N É T I Q U E Propriétés pharmacocinétiques des agonistes 5HT1B/D utilisés dans le traitement de la crise migraineuse ! J.M. Senard* RÉSUMÉ. Cette revue envisage les propriétés pharmacocinétiques des principaux agonistes 5HT1B/D utilisés dans le traitement de la crise de migraine et surtout leurs conséquences en termes d’efficacité et d’utilisation pratique. La multiplication des molécules et de leurs formes galéniques s’explique par un souci d’amélioration d’une biodisponibilité parfois médiocre et la recherche d’un effet rapide sur la céphalée. L’exemple du sumatriptan indique qu’au-delà de la rapidité de l’effet, la vitesse d’absorption conditionne également l’intensité de celui-ci. Le développement de produits à demi-vie longue suggère une influence de ce paramètre sur l’incidence des récurrences. Les voies métaboliques sont en partie prédites par la structure chimique (oxydation par les MAO), et, en tout cas, révèlent un profil d’interactions médicamenteuses variable selon les médicaments. Mots-clés : Triptans - Biodisponibilité - Vitesse d’absorption - Demi-vie - Récurrence - Interactions médicamenteuses. D éjà riche de quatre médicaments commercialisés, la famille des agonistes 5HT1B/D destinés au traitement symptomatique de la crise migraineuse devrait encore s’agrandir dans les prochaines années. Cette revue se propose de comparer certaines de leurs propriétés pharmacocinétiques comme la vitesse d’absorption, la demi-vie plasmatique ou la distribution tissulaire, et de discuter les facteurs cinétiques essentiels conditionnant l’efficacité sur la migraine. Par ailleurs, la comparaison des voies métaboliques permet de mettre en évidence des particularités ayant des conséquences pratiques lors de l’utilisation de ces médicaments. Ces caractéristiques en font la forme de choix dans le traitement de l’algie vasculaire de la face. Le site utilisé pour l’autoinjection peut conditionner la réponse. Ainsi, la vitesse d’absorption est plus rapide lorsque l’injection se fait dans la région deltoïdienne plutôt que dans la cuisse (2). L’injection dans la cuisse détermine une incidence d’effets indésirables locaux et généraux plus élevée (3). Tableau I. Principales caractéristiques pharmacocinétiques des différentes formes galéniques du sumatriptan. (D’après 17 et 18). Voie d’administration Biodisponibilité (%) Cmax (ng/l) Tmax (h) Demi-vie (h) ABSORPTION ET BIODISPONIBILITÉ Intraveineuse (3 mg) - 77 0,17 1,6 Un grand nombre de voies d’administration allant de l’injection sous-cutanée à l’iontophorèse cutanée ont été explorées dans l’optique d’une optimisation des effets des triptans sur la douleur, et afin d’adapter leur galénique à leurs caractéristiques physicochimiques. Sous-cutanée (6 mg) 96 69,5 0,17 1,5 Per os (100 mg) 14,3 77 2 1,7 Intranasale (20 mg) 15,8 13 1,5 1,8 Rectale (25 mg) 19,2 23 1 1,8 Voie sous-cutanée Seul le sumatriptan est actuellement disponible en auto-injection (tableau I). La biodisponibilité élevée et la rapidité d’obtention du Tmax ont pour corollaire un pourcentage de réponses élevé puisque l’effet maximal de cette forme galénique sur les céphalées migraineuses est obtenu dès 60 minutes après l’injection, avec un gain thérapeutique aux alentours de 49 % (1). *Laboratoire de pharmacologie, INSERM U317, faculté de médecine, 31000 Toulouse. 230 Voie orale Elle a été développée pour tous les agonistes 5HT1B/D connus à ce jour. La biodisponibilité orale du sumatriptan est faible (14 %) du fait d’un intense effet de premier passage hépatique. Malgré une absorption rapide (80 % du médicament sont absorbés en 45 minutes), il existe une grande variabilité interindividuelle du Tmax qui s’ explique par des pics plasmatiques multiples liés à une absorption précoce au niveau gastrique (4). La biodisponibilité orale du sumatriptan n’est pas modifiée par l’alimentation, mais ce médicament ralentit la vidange gastrique et la vitesse d’absorption des antalgiques comme le paracétamol (5). La Lettre du Pharmacologue - Volume 13 - n° 9 - novembre 1999 H A R M A C O C I N É T I Q U E Le naratriptan a été developpé avec comme objectif l’amélioration de la faible biodisponibilité orale du sumatriptan. Sa biodisponibilité orale varie avec le sexe (69 % chez l’homme et 74 % chez la femme), mais l’absorption est plus lente que celle du sumatriptan, avec un Tmax à trois heures. L’étude de la cinétique pendant la crise révèle un retard du Tmax lié à la stase gastrique accompagnant la crise. En fonction de l’absorption lente, le critère principal de la majorité des essais cliniques a été l’amélioration de la céphalée quatre heures et non deux heures après la prise comme avec les autres agonistes 5HT1B/D. Le zolmitriptan est bien absorbé après administration orale, avec une biodisponibilité de 49 % en moyenne, mais avec une variabilité importante témoignant d’une absorption erratique commençant probablement dès l’estomac. Comme pour le naratriptan, le sexe influence la biodisponibilité orale (60 ± 28 % chez la femme et 38 ± 16 % chez l’homme). Ces différences se traduisent par des valeurs de Cmax et d’ASC supérieures chez la femme, sans que cela détermine une meilleure efficacité ou une plus grande incidence des effets indésirables (6). Les Cmax du zolmitriptan sont obtenues en moyenne en 2 à 4 heures, laissant supposer une absorption lente. Cependant, les courbes cinétiques retrouvent la présence de multiples pics plasmatiques. Ainsi, le Tmax ne reflète pas fidèlement la vitesse d’absorption du médicament (75 % de la valeur du Cmax sont obtenus dans l’heure suivant la prise). Le rizatriptan sera commercialisé à la fois sous forme orale et sous forme lyoc. Les deux formes ont une biodisponibilité orale comparable, sans différence entre les sexes. Le Tmax de la forme orale (1-6 heures) est significativement augmenté par la prise alimentaire (2-9 heures), sans modification des Cmax et des ASC (7). Le Tmax de la forme lyoc est obtenu plus tardivement qu’après la prise du comprimé, ce qui paraît logique compte tenu du mode d’utilisation du médicament. Cet allongement du Tmax pourrait s’accompagner d’un retard dans l’apparition de l’effet sur la céphalée migraineuse. Cependant, dans un essai clinique, aucune différence dans le délai d’action des deux formes de rizatriptan n’est apparue. Peu d’informations sont disponibles à propos des autres molécules en développement (tableau II). Ces nouveaux triptans ne semblent pas présenter de particularités en termes de biodisponibilité ou d’absorption orale par rapport aux molécules disponibles (8). Autres voies d’administration Les caractéristiques de la forme orale du sumatriptan expliquent le développement d’autres formes galéniques (tableau I). L’administration per-nasale n’améliore ni la biodisponibilité, identique à celle de la forme orale, ni la variabilité du Tmax. Cependant, la vitesse d’absorption s’avère bien supérieure à celle observée après administration orale, puisque 80 % du médicament sont absorbés en 15 minutes (9). Ces différences par rapport à la forme orale expliquent sans doute l’efficacité plus rapide de la forme per-nasale sur la céphalée migraineuse. La Lettre du Pharmacologue - Volume 13 - n° 9 - novembre 1999 Tableau II. Principales caractéristiques pharmacocinétiques des triptans commercialisés ou en cours de développement clinique. (D’après 1 et 19). Biodisponibilité orale (%) Tmax (h) Demi-vie (h) Métabolisme Sumatriptan 14 1,5 2 MAO Naratriptan 60-70 3,5 6 P450 Zolmitriptan 40-46 1,5 2,5-3 MAO/P450 Rizatriptan 40-45 1,3 1,8 MAO Élétriptan 50 1 4-5 P450 Frovatriptan 24-30 2-4 25 - Almotriptan 80 2-3 3,5 P450/MAO Les caractéristiques cinétiques de la forme rectale de sumatriptan sont proches, en termes d’absorption, de celles de la forme orale. La grande variabilité interindividuelle des Cmax est attribuée à des différences de vascularisation rectale. Quelle relation entre absorption et efficacité ? La comparaison des caractéristiques des différentes formes galéniques du sumatriptan permet un constat intéressant en ce qui concerne leur efficacité respective. D’une part, les formes d’absorption rapide ont l’efficacité la plus précoce, ce qui semble évident. D’autre part, il existe une relation entre le délai d’obtention des Cmax et le pourcentage de répondeurs (figure 1) suggérant qu’au-delà des propriétés intrinsèques de la molécule sur les récepteurs 5HT1B/D, la vitesse d’absorption est un des éléments déterminants de l’efficacité. À l’inverse, les particularités cinétiques n’expliquent pas l’absence de réponse chez certains patients. Gain thérapeutique à 2 heures (%) P 100 (voie i.v. 3 mg) 80 60 (voie s.c. 6 mg) (voie rectale 25 mg) 40 (voie intranasale 20 mg) (p.o. 100 mg) 20 0 20 40 60 80 100 120 140 Tmax (minutes) Figure 1. Relation entre Tmax et gain thérapeutique des différentes formes galéniques du sumatriptan. Les valeurs du Tmax (sauf pour la voie intraveineuse et le gain thérapeutique) ont été calculées à partir des références 1 et 17. 231 P H A R M A C O C I N É T I Q U E DEMI-VIE PLASMATIQUE Le développement clinique du sumatriptan a permis de mettre en évidence qu’un pourcentage non négligeable de patients (3040 %) présente, après une amélioration, voire une disparition de la céphalée, une récidive de la crise. La récurrence n’est pas spécifique au sumatriptan, mais se rencontre avec tous les traitements de la crise. Le mécanisme physiopathologique de la crise, et donc de la récurrence, reste imprécis. Bien qu’il ne s’agisse que d’une hypothèse, il est possible que la demi-vie du médicament antimigraineux intervienne. Ainsi, les pourcentages de récurrence observés dans les essais cliniques avec le sumatriptan, le zolmitriptan et le rizatriptan s’avèrent comparables, et ces molécules ont des demi-vies similaires. En revanche, pour les molécules à demi-vie plus longue (naratriptan, frovatriptan et élétriptan), un certain nombre d’arguments pourraient être en faveur d’un taux plus faible de récidive dans les 24 heures suivant la première prise. Pour le naratriptan, dont la demi-vie se situe aux alentours de 6 heures, deux études publiées sous forme de résumés indiquent un taux plus faible de récidive de la crise par rapport au sumatriptan 100 mg (10, 11). Malgré leur intérêt, ces études doivent être considérées avec circonspection. Leur plan expérimental n’avait pas pour but premier de comparer la fréquence des récidives, mais l’effet sur la douleur. triptan et le naratriptan n’ont pas de pénétration significative dans le système central, contrairement à ce qui est avancé pour le rizatriptan ou le zolmitriptan (12). L’avantage réel conféré par cette action centrale reste hypothétique, aucun élément indiscutable ne permettant d’affirmer une quelconque supériorité des triptans d’action centrale par rapport au sumatriptan. L’effet central pourrait même avoir des conséquences en termes d’effets indésirables et être responsable d’une incidence plus élevée de la sédation, par exemple. Tableau III. Volume de distribution (VD), pKA et lipophilie (log D à pH 7,4) des principaux agonistes 5HT1B/D. (D’après 8). VD (l) pKA log D (pH 7,4) Sumatriptan 170 9,63 - 1,3 Naratriptan 200 - - 0,3 Zolmitriptan 170 9,6 - 1,0 Rizatriptan 140 9,54 - 0,7 Élétriptan 150 9,2 0,5 Frovatriptan 230 9,9 - 1,29 MÉTABOLISME Peu de données sont actuellement disponibles à propos du frovatriptan, bien que cette molécule paraisse intéressante pour l’étude de la relation éventuelle entre demi-vie et récurrence, puisque sa demi-vie plasmatique est d’environ 24 heures (tableau II). Dans un essai clinique contre placebo, le taux de récidive sous frovatriptan (8-10 %) s’est avéré très inférieur à ce qui était observé dans le groupe placebo (18 %). Cependant, ces résultats sont discutables, puisque l’expérience du développement des autres triptans retrouve généralement un taux de récidive d’environ 40 % sous placebo (8). DISTRIBUTION Tous les agonistes 5HT1B/D sont des bases faibles. Aucun ne paraît avoir de liaison importante ou saturable sur les protéines plasmatiques susceptible d’être responsable d’interactions médicamenteuses. Tous ont un volume apparent de distribution élevé, ce qui suggère une diffusion tissulaire élevée (tableau III). Ils se distinguent par une lipophilie extrêmement variable, dont l’importance, pour certains, pourrait être corrélée à la réponse clinique. Ainsi, le sumatriptan, le moins lipophile des agonistes 5HT1B/D, aurait le gain thérapeutique le plus bas, alors que l’élétriptan, très lipophile, aurait le gain thérapeutique le plus élevé (8). Les caractéristiques physicochimiques des triptans pourraient conditionner le franchissement de la barrière hémato-encéphalique, et donc l’effet clinique. En effet, la pénétration dans le système nerveux central permettrait une action sur les récepteurs 5HT1B/D du tronc cérébral complétant l’effet sur les vaisseaux et sur les terminaisons trigéminales. À cet égard, le suma232 Oxydation par la MAO-A Tous les triptans commercialisés et la plupart de ceux qui ont fait l’objet d’un développement ont été synthétisés par modification chimique de la molécule de sérotonine, et particulièrement par substitution sur la fonction OH en position 5. Les triptans conservant la chaîne latérale de la sérotonine sont des substrats de la MAO-A (tableau II), ce qui se traduit par l’existence d’interactions pharmacocinétiques et l’accumulation du principe actif en cas d’association aux IMAO (13). Cytochromes P450 Différentes enzymes du cytochrome P450 sont impliquées dans le métabolisme des triptans (tableau II). D’un point de vue pratique, l’importance du métabolisme par le cytochrome ne sera à prendre en compte que pour les molécules pour lesquelles une voie particulière est majoritaire. Ainsi, le sumatriptan est peu métabolisé par le cytochrome, et peu d’interactions sont à craindre au niveau pharmacocinétique (aucune interaction cinétique n’a été rapportée avec les traitements de fond de la migraine, y compris avec les inhibiteurs du CYP1A2, comme le propranolol, ou du CYP2D6, comme la paroxétine) (1). De la même façon, le naratriptan est dégradé par plusieurs enzymes du cytochrome P450, et il n’existe pas de précautions d’emploi tenant à ses voies métaboliques. Les contraceptifs oraux réduisent la clairance du naratriptan, mais sans retentissement clinique sur l’efficacité ou la tolérance. La situation est différente pour le zolmitriptan et le rizatriptan. Le zolmitriptan est dégradé majoritairement par le CYP1A2 et sa biotransformation est inhibée par le propranolol et la ciméLa Lettre du Pharmacologue - Volume 13 - n° 9 - novembre 1999 P H A R M A C O C I N É T I Q U E tidine. Malgré l’importance des modifications des constantes pharmacocinétiques, aucune action de ces associations médicamenteuses sur la pharmacodynamie ou les effets indésirables n’a été mise en évidence. Cependant, sur un plan pratique, les posologies journalières du zolmitriptan sont limitées à 5 mg en cas de traitement concomitant par la cimétidine ou le propranolol. Une expression moindre du CYP1A2 ou un effet inhibiteur des contraceptifs oraux pourraient rendre compte des Cmax et de la biodisponibilité plus élevée chez la femme (14). Bien qu’aucune mention légale ne fasse état de précautions d’emploi particulières avec les fluoroquinolones ou la fluvoxamine, leurs propriétés inhibitrices sur le CYP1A2 devraient être prises en compte. Le rizatriptan est faiblement métabolisé par le cytochrome P450 (15). Seule l’isoforme 1A2 semble intervenir dans sa biodégradation, comme le suggèrent les différences de biodisponibilité entre les sexes et l’effet du propranolol sur les constantes pharmacocinétiques. À cet égard, comme pour le zolmitriptan, la posologie journalière du rizatriptan est limitée à 5 mg en cas de traitement par le propranolol. Pour ce qui est des molécules dont le développement n’est pas terminé, peu d’informations sont publiées concernant leurs voies métaboliques. L’élétriptan et le rizatriptan sont probablement métabolisés par le cytochrome P450, contrairement au frovatriptan. CONCLUSION Cette revue comparative des principales propriétés pharmacocinétiques des triptans ne s’est intéressée qu’à certains aspects semblant jouer un rôle important dans le déterminisme de l’effet antimigraineux ou dans l’utilisation pratique de ces médicaments. D’autres aspects cinétiques non abordés ici paraissent encore inexplorés, comme l’importance, dans la réponse clinique, de la cinétique de l’interaction des médicaments avec les récepteurs 5HT1D et 5HT1B (16) ou peut-être avec les récepteurs 5HT1F, dont le rôle est actuellement discuté. " R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Perry C.M., Markham A. Sumatriptan : an updated review of its use in migraine. Drugs 1998 ; 55 : 889-922. 2. Scott A.K. Sumatriptan : clinical pharmacokinetics. Clin Pharmacokinet 1994 ; 27 : 337-44. La Lettre du Pharmacologue - Volume 13 - n° 9 - novembre 1999 3. 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