UNIVERSITE PARIS DESCARTES

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UNIVERSITE PARIS DESCARTES, SORBONNE PARIS CITE
INSTITUT DE PSYCHOLOGIE
Le bilan psychologique en situation
transculturelle
Contribution à une amélioration des pratiques
Thèse présentée et soutenue publiquement par
Muriel Bossuroy
pour l’obtention du grade de
Docteur en Psychologie
Le 19 novembre 2012
Sous la direction du Pr. Marie Rose Moro, Université Paris Descartes, Sorbonne Cité
Composition du Jury :
Pr. Thierry Baubet, Rapporteur, Université Paris 13
Pr. YoramMouchenik, Rapporteur, Université Toulouse le Mirail
Pr. François Marty, Institut de Psychologie,Université Paris Descartes, Sorbonne Cité
Mme Monique Plaza, CNRS
Pr. Bruno Falissard, INSERM, Université Paris Sud
Mme Dana Castro, Ecole de Psychologues Praticiens
Mme Claude Mesmin, Université Paris 8
1
RESUME
Les psychologues rencontrant de plus en plus de patients d’origines culturelles variées, cette thèse
propose une contribution à l’amélioration des pratiques de bilan psychologique en situation transculturelle.
Sont d’abord analysés les enjeux que soulève la thématique : la question de l’universalité des structures
psychiques et celle de la définition de la culture d’une part, les difficultés d’utilisation de tests étalonnés et les
recherches entreprises pour adapter les outils et les pratiques cliniques d’autre part. Puis nous évoquons la
méthodologie complémentariste et les problématiques psychiques liées à la migration. La deuxième partie est
divisée en deux études. Elle traite d’abord de la question des biais culturels dans les tests non-verbaux, avec
une étude comparative de réalisations à la Figure Complexe de Rey et d’Osterrieth, recueillies grâce à une
méthode électronique. Sont comparées des productions d’enfants français (N=914), burkinabés (N=76) et
iraniens (N=45) ainsi que celles d’enfants d’origines culturelles différentes au sein du recueil français. Les
résultats mettent à jour un impact de la culture, ainsi que de la culture transmise en situation migratoire, sur la
structuration perceptive des figures. Une deuxième partie concerne l’ELAL d’Avicenne, un test de langage pour
enfants baignant dans un contexte langagier bilingue, qui a été crée par le Centre du Langage d’Avicenne
(APHP) et que nous sommes en train de valider au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Nous montrons d’abord
pourquoi ce test est nécessaire en situation transculturelle, puis décrivons les étapes de création et de
validation du test. Après avoir effectué 18 passations dont 4 en arabe, 8 en tamoul et 6 en soninké, nous
donnons nos premières remarques de terrain. Enfin, la discussion générale tire les conséquences de ces
recherches et propose des pistes d’amélioration des bilans concernant tant l’adaptation des pratiques cliniques
que les axes de recherche nécessaires. Elle ouvre sur la nécessité d’un travail pluridisciplinaire associant
recherche et clinique, et l’importance de développer une pensée nuancée et pragmatique.
Mots clés : Transculturel, test, évaluation, culture, migration, Figure Complexe de Rey et d’Osterrieth,
perception, ELAL d’Avicenne, bilinguisme.
ABSTRACT
This dissertation seeks to contribute to improving the practice of psychological assessment in a
transcultural setting, in a context where psychologists see ever increasing numbers of patients of diverse
cultural origins. We first frame our investigation by linking it to such broad issues as the universality of psychic
structures, the definition of culture, the challenges related to calibrated tests and the research around adapting
clinical tools and practices. We then discuss the complemetarist methodology as well as the psychic dimension
of migration. The second part is made up of two studies. We first deal with the issue of cultural biases in nonverbal tests, with a comparative study of samples of the Rey and Osterrieth figures collected electronically. We
compare productions by children in France (N=914), Burkina Faso (N=76) and Iran (N=45) but also by children
of various cultural origins within the French sample. Results reveal an impact of culture on the perceptive
structure, which also holds across migrants of various origins living in a same area. A second part presents
Avicenne’s ELAL, a language test specially created for children immersed in a bilingual environment by the
Centre du Langaged’Avicenne (APHP), which is undergoing a validation process by our multidisciplinary team.
We explain why this test is necessary in a transcultural setting before describing the steps leading to creating
and validating it. After administering it 18 times including 4 times in Arabic, 8 in Tamil and 6 in Soninke, we
offer initial field remarks. Finally, a general discussion draws lessons from those different pieces of research
and suggests possible improvements for assessments, both on the adaptation of clinical practices and on
necessary avenues for further research. This leads us to emphasize the need for multidisciplinary works
bringing together research and clinic and for a nuanced and pragmatic approach of these matters.
Keywords: Transcultural, test, evaluation, culture, migration, Rey-Osterrieth Complex Figure, perception, ELAL
d’Avicenne, bilingualism.
2
REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement Marie-Rose Moro pour avoir
encadré ce travail, et m’avoir guidée tout au long du chemin qu’a constitué cette thèse.
Merci pour son dynamisme et son énergie communicative, pour l’envie qu’elle donne de
travailler et d’écrire.
Merci à Claude Mesmin, qui m’a accueillie et fait confiance dès le tout début de mon
parcours. Merci de m’avoir fait découvrir la richesse du test de la figure de Rey. Merci pour
ses lectures attentives et si précises, pour ses conseils précieux et sa bienveillance.
Merci à Philippe Wallon d’avoir mis à ma disposition le logiciel qu’il a développé.
Merci de m’avoir soutenue dans mes projets de recueils de données à l’étranger et d’avoir
été si attentif à mes travaux. Merci pour sa générosité, et sa gentillesse.
Merci à chacun des membres de mon jury et tout particulièrement à Yoram
Mouchenik et à Thierry Baubet qui ont accepté d’être rapporteurs de cette thèse.
Merci au groupe de doctorantes du séminaire pour nos discussions passionnantes sur
nos différents travaux. Merci tout particulièrement à Laura Racotomala, Clara Novaes,
Asmaa Bernichi et Elodie Panaccione.
Merci aux enfants qui ont participé à ces recherches. Merci à tous les petits des
écoles de Paris, de Bobigny ou de Nanterre qui ont passé l’ELAL. Merci aux enfants
burkinabés qui ont participé à l’école d’été organisée par les associations N’teke et Jeunesse
3
d’Afrique en 2006, et qui seraient amusés de savoir que je travaille encore aujourd’hui sur
leurs bonhommes et leurs figures de Rey.
Merci aux moniteurs burkinabés de l’école d’été et tout particulièrement à Elie
Ouedraogo sans qui cette recherche n’aurait pas pu avoir lieu. Merci aux deux étudiants qui
ont consacré du temps à la traduction des passations des plus jeunes enfants.
Merci à Dalila Rezzoug qui m’a intégrée au sein de son équipe de recherche et merci
à chaque membre du groupe ELAL, à Amalini Simon, Hawa Camara, Fatima Touhami,
Delphine Sarot, Malika Bennabi, qui ont en commun la passion des langues et de la diversité
et avec qui il est si agréable de travailler.
Enfin merci à Julia Kristeva, dont les supervisions cliniques ont nourri ma pensée et
enrichi mes réflexions. Merci à mon psychanalyste qui m’a aidée à entrevoir tous les enjeux
inconscients d’un travail de thèse.
Merci à ma famille pour leurs relectures, traductions et chaleureux encouragements.
Merci à celui qui m’a donné jour après jour le bonheur et la sérénité si propices au travail
intellectuel.
4
SOMMAIRE
Introduction
7
REVUE DE LA LITTERATURE
11
1. Réaliser un bilan en situation transculturelle : les enjeux théoriques
13
1.1. La question de l’universalité des structures psychiques
1.1.1. Relativisme culturel et universalisme
1.1.2. Culture et psychisme sont co-émergeants
1.1.3. L’universalité de la culture et des structures psychiques
14
1.2. La question de la définition de la culture
1.2.1. La culture comme processus
1.2.2. Une identité culturelle indéfiniment reconstructible
1.2.3. La culture en construction
1.2.4. Le métissage
25
2. Un problème pratique: l'utilisation et l'adaptation de tests étalonnés
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2.1. Les recherches sur l'adaptation des test
2.1.1. La difficile traduction des tests
2.1.2. Biais conceptuels, biais de méthode et biais d'item
2.1.3. Re-standardisation et tests d'équivalences
39
2.2. L'évaluation du système cognitif en situation transculturelle
2.2.1. L'intelligence: un objet socialement construit
2.2.2. Dépasser le modèle traditionnel d'intelligence
2.2.3. L'évaluation du développement du jeune enfant en situation
transculturelle
2.2.4. L'évaluation cognitive de l'enfant d'âge scolaire en situation
transculturelle
55
2.3. Les tests de personnalité en situation transculturelle
2.3.1. Les questionnaires
2.3.2. Les épreuves projectives
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2.4. Les recommandations de commissions spécialisées
2.4.1. Les recommandations de l'Internationale Test Commission
2.4.2. Les recommandations de la Conférence de Consensus en Psychologie
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5
3. La clinique transculturelle: une clinique spécifique
86
3.1. Une méthodologie
3.1.1. Le complémentarisme
3.1.2 L'écoute de la subjectivité et du contre-transfert culturel
3.1.3. La co-construction de sens
3.1.4. L'importance des langues
3.1.5. Interculturel, multiculturel ou transculturel?
87
3.2. Des problématiques spécifiques à la migration
3.2.1. Une vulnérabilité spécifique
3.2.2. Les enfants de migrants à l'école
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99
4. L’émergence de deux axes de travail
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PARTIE PRATIQUE
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1. Facteur culturel et tests non-verbaux: impact de la culture sur la structuration
perceptive de la Figure Complexe de Rey et d’Osterrieth
108
1.1. Préalable
1.1.1. Biais culturels et tests non-verbaux
1.1.2. Présentation du test de la Figure Complexe de Rey et d'Osterrieth
1.1.3. La figure de Rey et d’Osterrieth en situation transculturelle
108
1.2. Problématique
120
1.3. Hypothèse
122
1.4. Méthodologie
1.4.1. Recueils de données
1.4.2. Paramètres étudiés
123
1.5. Analyse comparative Burkina Faso/Iran/France
1.5.1. Participants
1.5.2. Résultats
1.5.3. Conclusion de l'étude et discussion des résultats
129
1.6. Analyses comparatives au sein du recueil français
1.6.1. Participants
1.6.2. Résultats
1.6.3. Conclusion de l'étude et discussion des résultats
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1.7. Conclusion générale des deux études
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1.8. Forces et limites de résultats
158
2. Validation d'un test de langage pour enfants allophones
159
2.1. Préalable
2.1.1. Les types de bilinguisme
2.1.2. Les différentes pathologies du langage
2.1.3. Le bilinguisme chez les enfants de migrants
2.1.4. Les tests de langage existants
160
2.2. Pourquoi évaluer le bilinguisme des enfants de migrants?
2.2.1. Intérêt pour la clinique
2.2.2. Intérêt pour la recherche
166
2.3. Création du test
2.3.1. Cahier des charges
2.3.2. Les question autour de sa création
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2.4. La méthode de validation
2.4.1. Validation dans trois langues, trois contextes
2.4.2. Des validations dans les pays d'origine
2.4.3. Les mesures de fidélité et validité pour chaque version
2.5. Premières remarques
2.5.1. Les débats autour de la traduction
2.5.2. Un outil qui semble efficace mais valorise les connaissances scolaires
2.5.3. L'accueil de la recherche dans les écoles
2.5.4. L'accueil de la recherche par les parents et les enfants
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DISCUSSION
193
1. Rappel des résultats et apport à la littérature
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2. Pratiquer les bilans en situation transculturelles: les adaptations du cadre et des
pratiques cliniques
193
2.1. Quel positionnement adopter?
2.2. Quels tests choisir?
2.3. Quelle méthode de passation utiliser?
2.4. Quelle langue utiliser lors du bilan?
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196
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205
7
3. Améliorer les pratiques de bilan en situation transculturelle: les axes de
recherche nécessaires
3.1. La recherche de biais: savoir où sont les différences
3.2. La création de nouveaux tests adaptés à des contextes culturels précis
3.3. L'adaptation des tests existants
3.4. La création de tests facilement adaptables
4. Le bilan psychologique en situation transculturelle : "une pragmatique de la
nuance"
4.1. Penser les métissages
4.2. Métisser notre pensée
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5. Le contre-transfert du chercheur
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Conclusion
233
Bibliographie
235
Annexes
266
Annexe 1 : L’ELAL d’Avicenne
Annexe 2 : Affiche et lettre d’information pour les parents
8
INTRODUCTION
Les psychologues rencontrent de plus en plus de patients d’origines culturelles
variées du fait de l’importance des mouvements migratoires. Ils sont donc confrontés aux
questions que pose la pratique des bilans en situation transculturelle ce que montre
d’ailleurs la multiplication des recherches à ce propos1.
Le bilan psychologique, de façon générale, a pour but d’obtenir des informations
utiles à une bonne compréhension du patient, à propos tant de sa dynamique psychique que
de ses ressources cognitives. A cette fin, les psychologues utilisent l’entretien, l’observation
et proposent fréquemment des tests psychologiques, questionnaires ou épreuves
projectives, conçus et souvent étalonnés dans des buts précis.
Lorsque le patient n’est pas de la même culture que le clinicien, le bilan est plus
difficile à pratiquer. D’abord parce que la culture et le psychisme sont intimement liés, de
sorte que des éléments culturels étrangers au psychologue rendent l’écoute de la dimension
psychologique plus complexe. Ensuite parce que les tests standardisés ont été construits
dans des univers culturels spécifiques, et, pour la plupart, sont très saturés en facteurs
culturels. Dans de nombreux pays émergents, les psychologues s’interrogent d’ailleurs sur la
Le nombre annuel d’articles de recherche transculturelle étant passé de 600 en 1978 à 1500 en 2003
(Hambleton et Zenisky, 2011 ; Byrne et al 2009)
1
9
manière de créer des tests adaptés à leur contexte culturel, tout en s’inspirant de tests
existants.
Il nous semble essentiel d’analyser d’abord les enjeux théoriques que soulève cette
thématique. En effet, pour traiter au mieux cette question, il est nécessaire de s’interroger
sur l’universalité des structures psychiques, de définir le concept de culture et de réfléchir
aux enjeux des rencontres entre celles-ci. Nous verrons ensuite que l’utilisation de tests
étalonnés pose de nombreux problèmes de validité en situation transculturelle et que des
recherches sont entreprises dans différentes directions pour adapter les outils et les
pratiques
cliniques.
Deux
commissions
d’experts
ont
récemment
publié
des
recommandations dans ce domaine : la Commission Internationale des Tests aux Etats-Unis
(version 2000 ou 2010) et la Conférence de Consensus en Psychologie en France (2010).
Nous ferons une large place à ces recommandations dans nos travaux tant il nous semble
nécessaire d’en mesurer la portée et les enjeux. Enfin, il est indispensable, pour améliorer
les pratiques de bilan auprès de patients migrants ou enfants de migrants, de prendre en
compte les aspects spécifiques de la clinique transculturelle que sont la méthodologie
complémentariste ainsi que les problématiques psychiques liées à la migration.
Dans la partie pratique nous présenterons deux études ayant pour but d’améliorer la
pratique des bilans, la première par une meilleure connaissance des biais culturels dans les
tests non-verbaux et la deuxième par la création d’un test d’évaluation du langage pour des
enfants vivant dans un environnement plurilingue.
Dans le but de mieux évaluer l’impact de la culture sur la perception et la
reproduction d’une figure géométrique complexe, nous proposons en première partie une
étude comparative approfondie de productions d’enfants de différentes cultures à la Figure
10
Complexe de Rey et d’Osterrieth. Nous avons effectué un recueil de 76 protocoles à
Ouagadougou, au Burkina Faso, et avons participé au recueil de 914 protocoles en région
parisienne, que nous avons notamment intégralement cotés. Nous avons construit une
étude comparative entre les productions d’enfants français (N=914), burkinabés (N=76) et
iraniens (N=45) ainsi qu’une étude comparative entre enfants d’origines culturelles
différentes au sein du recueil français. Grâce à un procédé de recueil électronique donnant
accès aux processus de réalisation de la figure par le sujet, et non uniquement au score
obtenu, nous étudierons l’impact de la culture, celle du pays de naissance et de résidence
ainsi que celle qui est transmise à un enfant après une migration, sur les réalisations. Nous
observerons non seulement les différences éventuelles de score, mais aussi les différences
sous-jacentes de structuration perceptive des figures. Pour pouvoir mieux analyser les
résultats à un test, ainsi que pour pouvoir éventuellement créer de nouveaux tests, il est en
effet nécessaire de s’appuyer sur de bonnes connaissances des variations éventuelles de
diverses fonctions cognitives selon l’environnement culturel.
La deuxième partie concerne la naissance d’un outil d’évaluation des compétences
langagières, créé au Centre du Langage du Service de Psychopathologie de l’Enfant et de
l’Adolescent d’Avicenne dont nous effectuons, au sein d’une équipe pluridisciplinaire, la
validation transculturelle. Nous montrerons d’abord pourquoi ce test est nécessaire à
l’amélioration les bilans psychologiques d’enfants de migrants, puis décrirons les étapes de
création du test, son cahier des charges, les difficultés posées par la prise en compte de la
multiplicité culturelle des patients et la méthode de validation choisie. Après avoir effectué
18 passations dont 4 en arabe, 8 en tamoul et 6 en soninké, nous donnerons nos premières
remarques de terrain.
11
Enfin, dans la discussion générale, nous tirerons les conséquences de ces recherches
et nous proposerons des pistes d’amélioration des pratiques de bilan, dans la ligne de la
clinique transculturelle inspirée par Devereux et en prenant en compte les
recommandations des commissions spécialisées. Nous verrons qu’un travail pluridisciplinaire
associant recherche et clinique est indispensable et que le traitement de ces questions
contemporaines liées à la multiplication des rencontres entre cultures requiert la mise en
œuvre d’une pensée à la fois nuancée et pragmatique.
12
REVUE DE LA
LITTERATURE
13
Nous traiterons d’abord des enjeux théoriques auxquels on se trouve confronté à
l’étude de cette question : peut-on se rencontrer et se comprendre entre personnes de
cultures différentes ? Quelle est la part d’universalité des structures psychiques et pourquoi
et dans quelle mesure est-il nécessaire d’adapter les techniques d’entretien et les outils
d’évaluation ? Enfin, qu’entend-on exactement par le terme de culture ? Comment saisir ce
paramètre dans un monde où les hommes bougent, où les cultures évoluent, se rencontrent
et se métissent ?
Dans un deuxième temps, nous étudierons la question pratique de l’utilisation de
tests étalonnés en situation transculturelle, dans le domaine cognitif comme dans le
domaine de l’étude de la personnalité et des émotions. Nous nous interrogerons sur les
variabilités interculturelles qui ont été repérées et sur les techniques qui ont été proposées
pour adapter les outils et les méthodes de passation. Un travail important sur la détection
des biais et l’évaluation de l’équivalence de tests traduits a été entamé et des groupes de
spécialistes ont produit des recommandations que nous présenterons.
Enfin, nous replacerons notre travail dans le contexte d’une clinique transculturelle
développée en France depuis une vingtaine d’années et qui comporte un certain nombre de
théorisations et de pratiques guidant une clinique adaptée au travail thérapeutique en
situation transculturelle. Dans le sillage de Devereux, une méthodologie a été construite et
des connaissances sur les problématiques spécifiques aux migrants et enfants de migrants
sont nées du travail clinique.
14
1. Réaliser un bilan en situation transculturelle : les enjeux
théoriques
Travailler sur le bilan psychologique en situation transculturelle comporte deux
présupposés théoriques. D’abord celui qu’il est possible de pratiquer un tel bilan, ce qui
implique que la différence culturelle ne soit pas un obstacle radical à la rencontre et à la
compréhension mutuelle. Ensuite celui qu’il existerait une spécificité à la situation
transculturelle, spécificité qui justifierait une réflexion sur la situation de bilan et les enjeux
spécifiques qu’elle génèrerait. Autrement dit, la culture serait un paramètre qu’il faudrait
prendre en compte étant donnés ses liens étroits avec le psychisme.
La situation transculturelle est spécifique si l’on considère la culture et le psychisme
comme indissociables l’un de l’autre, et si l’on pense qu’un psychologue ne peut travailler
sur du psychique sans tenir compte de la culture. C’est le point de vue de Devereux (1970),
ou de Moro (2002), qui montrent l’importance de prendre en compte la culture dans tout
travail clinique en situation transculturelle.
Cette place donnée à la culture, indissociable du psychique, ne doit pas pour autant
faire oublier l’universalité de l’humain, sans laquelle toute entreprise de rencontre, de
compréhension et a fortiori de travail clinique en situation transculturelle serait impossible.
Il semble donc essentiel de définir la culture et son lien avec le psychisme humain,
afin de mesurer les enjeux de la situation transculturelle. Pour améliorer les pratiques de
bilan psychologique, il faudra aussi prendre en compte la culture comme un processus en
perpétuelle évolution, rendant les questionnements plus complexes qu’en termes de
simples problèmes d’étalonnages de tests.
15
Ainsi, travailler sur la culture nous conduira à réfléchir à la question de l’identité
culturelle, celle du patient susceptible de passer un bilan psychologique comme celle du
psychologue. Celle-ci sera étudiée au regard de la multiplicité des appartenances culturelles,
non essentialisées puisque perçues comme des processus en mouvement. L’identification
des appartenances culturelles d’un patient devient alors un travail complexe qui se construit
dans la relation et n’est pas identifiable d’emblée avant la passation d’un bilan. Ceci est
d’autant plus vrai en situation migratoire, que ce soit avec les migrants eux-mêmes ou avec
leurs enfants.
Dans ce contexte, la pratique du bilan doit prendre en compte l’importance des
métissages, pour le patient, comme pour le psychologue dont la pensée se transforme et se
complexifie au contact d’autres cultures. Une réflexion théorique sur le métissage nous
permettra de montrer l’importance de la nuance dans la clinique transculturelle, et de
montrer la richesse et la fécondité d’une pensée attentive à la multiplicité des langues et des
cultures.
1.1.
La question de l’universalité des structures psychiques
La question de l’universalité du psychisme humain est au centre des préoccupations
depuis la naissance de la psychanalyse, et même avant sur le plan philosophique. La
question est essentielle pour nous, car un point de vue strictement universaliste, qui ne
reconnaîtrait aucune spécificité culturelle ne nécessiterait aucun aménagement du cadre du
bilan psychologique pour être pratiqué. Au contraire un relativisme radical, c’est-à-dire le
postulat d’une absence totale d’universalité des structures psychiques rendrait inutile toute
pratique de bilan en situation transculturelle car toute compréhension de l’autre serait alors
16
impossible. Quelle place doit-on faire à la culture dans le travail psychologique ? Comment
décrire les liens entre psychisme et culture ?
1.1.1. Relativisme culturel et universalisme
Le relativisme culturel en anthropologie
Au début du XXème siècle, l’anthropologie commence à s’interroger sur la diversité
de l’humain, notamment dans ses caractéristiques psychiques. A cette époque marquée par
de grandes découvertes ethnologiques, par la rencontre au sein des mêmes territoires de
personnes d’origine géographique variées suite notamment aux migrations européennes en
Amérique et au commerce d’esclaves, se développe une « psychologie des peuples »,
répondant au désir de grandes nations de se construire une identité culturelle Cette
ethnopsychologie vise à construire « une science des caractères nationaux » (Laplantine,
2007, p. 29). Nina Rodrigues écrit ainsi l’Animisme fétichiste des nègres de Bahia (1900) et
les Collectivités anormales où des observations ethnologiques sont interprétées avec
l’éclairage de la psychologie de l’époque. Dans un contexte brésilien où l’abolition de
l’esclavage pose la question de l’intégration des descendants des esclaves africains et des
nouveaux immigrants européens à une société nouvellement industrialisée, il interprète la
transe comme un phénomène pathologique lié à un dérèglement du système nerveux et
conclut de ses travaux que l’intégration de la population issue de la diaspora africaine est un
obstacle au progrès de la société.
L’anthropologie culturelle qui s’est développée essentiellement aux Etats-Unis à
partir des années 1930 a des préoccupations proches de cette psychologie des peuples dans
le sens où elle étudie les conduites des individus au sein de leur société en montrant ce qui
17
est relatif à la culture et uniquement à elle. Les travaux de ces auteurs cherchent à montrer
qu’il ne faut pas considérer comme universel ce qui est relatif. Les anthropologues du
mouvement « culturaliste », tels que Benedict, Mead, Erikson, et plus tard Linton et Kardiner
dont le champ de recherche est désigné par l’expression « Culture et Personnalité »,
postulent une relation « constitutive » intime entre structures socioculturelles et
développement psychique individuel, les deux apparaissant alors indissociables. Elle suppose
donc une différenciation radicale des psychismes, comme l’évoque la notion de
« psychologie indigène » de Kim et Berry, 1993, postulant alors l’unicité des spécificités
culturelles. Les comparaisons entre les cultures et entre les sujets de cultures différentes
sont estimées impossibles, et les différences observées ne peuvent s’expliquer que
qualitativement. Le processus de transmission de la culture du groupe à l’enfant est appelée
enculturation, terme proposé par Mead. L'enfant, dès sa naissance va incorporer les
éléments culturels, normes et valeurs de sa société.
Ainsi, Mead étudie en 1963 deux populations voisines de Nouvelle Guinée qui ont des
caractéristiques différentes dans le but de montrer que ce qui est considéré comme déviant
chez les uns est vécu comme parfaitement normal chez les autres. Benedict, en 1950,
oppose les Indiens Pueblo du Nouveau-Mexique aux habitants de l’Ile de Dobu avec le même
objectif de montrer que les mêmes individus seraient jugés comme marginaux chez les uns
et non chez les autres. Les normes comportementales sont expliquées par l’environnement
et l’accent est mis sur les différences entre les groupes, toute caractéristique psychique d’un
individu étant décrite comme relative à la culture dans laquelle il évolue. Comme le résume
Laplantine, on aboutit alors à ces affirmations : « pas de complexe de castration aux îles
Marquises (Kardiner), pas d’agressivité chez les indiens Arapesh (Mead), pas de complexe
18
d’infériorité chez les Japonais (Benedict) et surtout- l’hypothèse qui a fait couler le plus
d’encre- pas de complexe d’Œdipe chez les Trobriandais (Malinowski) » (p. 32).
Ces anthropologues défendent donc une position théorique relativiste, soulignant
l’importance des différences psychologiques entre des sujets de culture différente. La
question de l’universalité est peu traitée et l’idée de construire des théories et des outils
d’évaluation utilisables dans différents contextes culturels parait irréaliste. Toute tentative
de compréhension mutuelle court le risque de n’être qu’une projection de ses propres
références culturelles sur les autres.
La psychanalyse à l’épreuve de l’universalité
Les réflexions suscitées par la diversité des cultures apparaissent également très tôt
dans le champ psychanalytique. A partir de 1913, après avoir exploré les maladies mentales,
Freud se confronte, dans Totem et Tabou (1913) au problème de l’universalité de ses
découvertes. L’enjeu est de taille puisque qu’il s’agit de montrer que la psychanalyse décrit
le fonctionnement psychique de tout humain, et non pas uniquement celui de ceux issus de
la culture qui l’a suscitée.
Dans quatre de ses ouvrages, Freud adopte une démarche anthropologique : Totem
et Tabou (1913), L’Avenir d’une illusion (1927), Malaise dans la civilisation (1929), Moïse et
le monothéisme (1938). Il cherche ainsi à lier la psychologie de l’enfant, les processus
psychopathologiques et la vie sociale des « primitifs ». Dans Totem et Tabou sous-titré
« interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs », il dépouille un
matériel ethnologique recueilli par Frazer et Tylor en Australie. Il y étudie le totémisme et y
établit la relation entre névrosé, primitif et enfant à travers le fantasme de meurtre du
19
totem et de la relation sexuelle à ses femmes, qui serait à la base tant des sociétés
archaïques que des processus psychiques infantiles à l’origine des névroses. Il écrit alors l’un
des premiers véritables ouvrages qui unit psychanalyse et ethnologie comme il le précise
dans sa préface « ce livre se propose de créer un lien entre ethnologues, linguistes,
folkloristes etc.… d’une part, et psychanalystes de l’autre » (Freud, 1913, p. 6).
Roheim, en tant que psychanalyste et ethnologue du continent australien, prend la
suite de Freud dans cette démarche ethnopsychanalytique, en étudiant pour sa part du
matériel qu’il recueille lui-même en Mélanésie, dans l’île Normanby. Il y utilise une méthode
psychanalytique en analysant le discours des individus, les contes et les jeux des enfants
dans le but de repérer ce qui dans chaque culture est refoulé mais non moins présent. Dans
un milieu culturel très proche de celui où Malinowski, qui n’utilisait qu’une démarche
empirique, avait repéré une absence de complexe d’Oedipe, il aboutit à des conclusions
contraires et montre qu’il retrouve une structure anale, une angoisse de castration et un
complexe d’Oedipe classique et non pas déplacé sur l’oncle maternel (Roheim, 1972).
Ces travaux psychanalytiques montrent une universalité des structures psychiques. Ils
insistent davantage sur les caractéristiques communes que sur les différences.
Dans les années 1970, le débat semble réduit à la question de la prééminence soit de
la culture sur le psychisme soit du psychisme sur la culture, autrement dit à un débat entre
un relativisme culturel supposant une différence radicale des psychismes et un universalisme
marqué par une réduction des faits culturels à des contenus psychiques. En réalité, toutes
ces recherches jusqu’aux années 1970 se trouvent confrontées à la difficulté d’étudier des
faits pour lesquels elles ont à utiliser tant la psychologie que l’ethnologie. L’apport de
20
Devereux va être notamment de construire une méthode de recherche pluridisciplinaire,
grâce à une réflexion fondamentale sur les relations entre l’individu et le groupe.
Un relativisme modéré
Les recherches actuelles sont pour la plupart sorties de ce débat stérile, réfutant
autant le relativisme radical qu’un universalisme niant les différences culturelles. Ainsi que
l’écrit Jullien, « il faut se défier et de l’un et de l’autre : du relativisme paresseux refermant
chaque culture dans ce qu’elle croirait de son essence unique aussi bien que l’universalisme
facile projetant sa vision du monde sur le reste du monde, comme si elle allait de soi. »
(Jullien, 2010, p12).
Le point de vue majoritaire est ainsi que des mécanismes ou processus
psychologiques de base, postulés universels car hérités de l’évolution biologique de l’espèce,
s’actualisent différemment selon les contextes écologiques et culturels (Dasen, 2007 ;
Greenfield, 2009 ; Tomasello, 2004). C’est, par exemple, la perspective adoptée par Jean
Piaget à la fin de sa vie. « Que l’attention du sujet soit dirigée vers certains objets (ou
situations) et non pas vers d’autres ; que les objets soient placés dans certains contextes, et
non dans d’autres ; tout ceci est fortement influencé par l’environnement social et les
modèles culturels. Cependant tout ce conditionnement ne modifie pas les mécanismes
nécessaires à une espèce biologique telle que l’être humain, pour acquérir la connaissance
de ces objets dans ces contextes, avec le type particulier de significations sociales déjà
assignées qui y sont rattachées » (Piaget et Garcia, 1983, p. 296, cité par Troadec, 2011). Du
point de vue de certaines autres conceptions, il n’est pas sûr qu’il n’y ait pas de
modifications dans l’ensemble de ces « mécanismes » (Donald,1999 ; Goody, 1979, 1994 ;
21
Tomasello, 2004 ; Vygotski, 1985), mais les processus cognitifs de base sont postulés
universels. Du point de vue du développement psychoaffectif, on peut souligner que le
psychisme s’étaye sur le corps, identique chez tous les êtres humains et apparait dans les
relations précoces avec la mère, se structurant autour de la notion de plaisir et de déplaisir
et de la recherche d’autoconservation. Tout en restant attentif au contexte culturel qui
régule notamment le lien entre principe de plaisir et principe de réalité et façonne donc
profondément les vécus individuels et les manifestations psychiques, les principes
psychanalytiques postulant un inconscient semblent applicables à tout humain. « Le
développement psychologique, selon les données culturelles existantes n’est ni totalement
universel, ni totalement spécifique des cultures ; seule une approche intégrant les deux
dimensions peut être estimée appropriée » (Dasen et de Ribeaupierre, 1987, p. 800)
Ce point de vue, que l’on pourrait qualifier de « relativisme modéré » rend possible la
clinique transculturelle et notamment le bilan en refusant un relativisme radical selon lequel
les psychismes seraient « incommensurables » (Kim et Berry). Il accorde parallèlement une
place importante à l’influence de l’environnement et notamment de l’environnement
culturel dans l’organisation des processus psychiques.
Cette position théorique, féconde au niveau de la clinique transculturelle, s’est
développée notamment grâce à l’apport de Devereux qui a montré qu’il était impossible
d’adhérer au dogmatisme de chacune des disciplines en jeu. Pour lui la psychologie ne peut
être séparée du social et l’ethnologie ne peut être délibérément antipsychologique du fait
même de l’essence de la culture et du psychisme qui rend impossible de penser l’une sans
l’autre. Devereux a ainsi étudié les liens étroits unissant psychisme et culture pour en
22
déduire qu’il ne s’agissait que de facettes d’une même chose, de co-émergeants dépendants
l’un de l’autre.
1.1.2. Culture et psychisme sont des co-émergeants
Devereux a montré que la culture n’est pas une structure préexistante qui modèlerait
les individus, et à laquelle chacun s’adapterait en refoulant éventuellement quelques
contenus. « Chacun de nous ne « tombe » pas dans un « bain culturel », un peu comme un
poisson nageant dans l’eau qui l’imprégnerait ensuite, ou bien « recevrait » sa culture de ses
contemporains puis en serait le porteur » (Troadec et al. 2011 p. 344). A l’inverse, la culture
n’est pas non plus « sécrétée » par le psychisme, elle n’en est pas l’émanation directe.
Autrement dit, aucune des deux entités n’est le dérivé de l’autre, et il n’y a pas hiérarchie
entre elles, ni chronologique ni ontologique. Au contraire, leur lien intime est souligné, l’une
et l’autre étant indissociables : la culture n’existe que dans le psychisme et le psychisme ne
peut se former en dehors de la culture. Ainsi, il les qualifie tous deux de « co-émergents »
(Devereux, 1970). Comme le résume Laplantine (2007, p73) l’un et l’autre sont les faces
internes et externes d’elles-mêmes ; « Le psychologique c’est le « dedans » de la culture
alors que la culture est le « dehors » du psychisme ». Plus précisément, pour le
psychanalyste, « le psychologique c’est de la culture introjectée et la culture du psychisme
projetée » (ibid., p. 95)
De même qu’on ne peut comprendre la personnalité d’un individu en s’en tenant
uniquement à son discours conscient, seule la prise en compte, parallèlement, de ce qui lui
échappe, de ce qui peut apparaître dans une relation transférentielle, ou à travers l’analyse
de rêves et des associations libres permettant de s’approcher d’une connaissance du
23
psychisme, de même, pour Devereux, une culture ne doit pas être appréhendée qu’en se
référant à ce qui se voit, ce qui se dit, mais aussi en analysant ce qu’elle refoule, ce qui lui
échappe. Enfin, si la culture se transmet par intériorisation de modèles de conduite,
Devereux a montré que l’individu n’est pas « un pantin, une mécanique dont la société
pourrait manipuler les rêves et les fantasmes » (ibid., p. 72). Il existe une part de liberté car
quelle que soit la société dans laquelle il grandit, l’Homme peut faire preuve de distance
critique par rapport à sa propre culture.
Ainsi, culture et psychisme, en tant que faces internes et externes de la même chose,
sont donc toutes deux universelles, et comportent toutes deux du manifeste et du refoulé.
L’hypothèse d’un relativisme radical refusant toute forme d’universalité comme postulée a
priori est rejetée par Devereux du fait même de l’essence du psychique et du culturel. La
prise en compte de l’existence d’un inconscient, irréfutable dans un contexte
psychanalytique, rend impossible de ne pas postuler l’existence d’une unicité du psychisme
humain. Le travail clinique de bilan en situation transculturelle a ainsi un sens puisque cette
universalité rend possible rencontre et compréhension mutuelle. Mais culture et psychisme
sont si intimement liés qu’il semble impossible d’étudier l’un sans l’autre, de travailler dans
un contexte transculturel sans réfléchir de façon approfondie à une méthodologie
permettant de prendre en compte la culture du sujet rencontré.
1.1.3. L’universalité de la culture et des structures psychiques
La théorie de Devereux qui a initié les travaux ultérieurs en psychologie
transculturelle, va même plus loin dans la voie de l’universalité puisqu’elle fait une large part
à l’universalité de « la culture », c’est-à-dire au fait culturel en tant que tel. Cette universalité
24
rend possible des correspondances entre culture et psychisme et entre différentes cultures
et différents psychismes.
Pour Devereux, ce qui varie d’une culture à l’autre ce ne sont pas les matériaux
culturels utilisés mais la manière dont ils s’organisent. A la même époque où Levi-Strauss
établit une anthropologie structurelle, dégageant des unités de sens structurelles, Devereux
considère la culture, comme le psychisme, comme une somme d’invariants, qui s’organisent
différemment d’un individu à l’autre et d’une culture à l’autre et sont refoulés ou
manifestes, mais sont du moins toujours présents. « L’ethnopsychiatrie n’atteint
véritablement sa majorité qu’en s’affirmant comme exploration psychologique en
profondeur des matériaux culturels tant manifestes que refoulés et des productions d’un
inconscient partout identique et aussi pleinement anthropologique. » (Laplantine, 2007 p.
73)
S’il existe de par cette universalité des correspondances entre les formations
psychiques d’individus de culture différentes et entre des sociétés très étrangères les unes
des autres, il existe également des correspondances entre le psychisme des uns et la culture
des autres, les deux n’étant que l’envers et l’endroit l’une de l’autre. Ainsi, on peut trouver
des points communs entre une formation psychologique appréhendée à partir de l’écoute
du discours d’un patient et un conte, un mythe, ou une coutume issue d’une société
totalement étrangère à cet individu. Ce sont ces correspondances qui seront à la base des
thérapies transculturelles ou plutôt méta culturelles au sens de Devereux, mises en place par
la suite par des successeurs, et qui ont pour caractéristique de faire appel à la culture pour
soigner le psychisme, et de bâtir des ponts entre les univers culturels (Nathan, 1986, Moro,
2000).
25
Ainsi, les cultures du psychologue et du patient, qu’elles soient partagées ou non,
sont secondaires, le thérapeute ayant recourt non seulement aux contenus particulier de
leurs cultures mais aussi aux catégories universelles de la culture et au processus également
universel d’acculturation. Peuvent donc être utilisés des contenus culturels de sociétés
étrangères au patient, partant du principe qu’il existe des correspondances entre les
formations psychologiques individuelles et les formations culturelles, comme les mythes ou
les coutumes, quelle que soit la culture considérée, même si celle-ci est lointaine dans le
temps ou l’espace par rapport à celle du patient. « Il n’y a pas de rêve, pas de désir, pas de
manifestation psychopathologique non plus, montre Devereux, qui ne trouvent leur
correspondance dans un contenu culturel (danse, chant, légende). Un rêve d’un malade
lyonnais peut être par exemple mis en relation avec un mythe sénoufo. » (Laplantine, 2007
p. 102)
C’est parce qu’il existe des données élémentaires de la vie sociale qui sont
universelles, une sorte de capital commun, qu’il est possible d’étudier l’inconscient d’une
culture à partir de ce qui a été observé dans une autre culture à l’état manifeste. De même
c’est parce qu’il n’y a pas d’hétérogénéité radicale entre les psychismes de chacun mais que
chacun possède, au moins à l’état latent les mêmes données structurelles qu’il est possible
de pouvoir se comprendre.
Dans la perspective ethnopsychanalytique de Devereux, le bilan psychologique en
situation transculturelle a donc sa place, du moment qu’il se donne la possibilité d’accéder à
des éléments inconscients derrière les données manifestes. Une compréhension
transculturelle est possible, à condition de mener une réflexion sur les méthodes adaptées
26
pour pouvoir prendre en compte la culture sans minimiser son lien intime avec les structures
psychiques, tant affectives que cognitives.
Le bilan psychologique en situation transculturelle est donc possible mais nécessite
une réflexion spécifique étant donné le lien étroit qui unit ce qui a trait au psychique et ce
qui est culturel.
Pour mettre en place une réflexion sur la spécificité de cette situation transculturelle
il va être nécessaire d’étudier cette notion de culture, afin d’établir ce qu’elle recouvre du
point de vue d’un psychologue clinicien, et ce qui doit être pris en compte dans la situation
de bilan. La notion d’identité culturelle, qui va être centrale pour déterminer quelle est la
culture du patient rencontré, doit ainsi être interrogée au regard d’une perception affinée
du concept de culture.
1.2.
La question de la définition de la culture
1.2.1. La culture comme processus
La culture peut se définir comme un « moyen commode de désigner le patrimoine et
l’héritage d’objets, de modes de pensée et de comportements qui donnent son identité à un
groupe humain, et à ses membres » (Cuche, 2002 p. 204). Cette définition est une
conséquence directe des recherches réalisées en ethnologie, les ethnologues ayant eu
tendance, pour décrire certaines cultures, à « les « construire », sinon à les réifier, et à l’idée
que chaque culture constitue un ensemble de caractéristiques ou traits objectivement
identifiables, c’est-à-dire un système, aux frontières nettes » (Troadec et al. 2011, p. 344).
27
Cette définition de la culture n’est donc pas totalement satisfaisante. En effet, la
culture ne peut pas être conçue comme une cause du comportement (Jahoda, 2002).Ce sont
des individus donnés qui, partageant certaines activités et relations sociales, (re)créent et
(re)négocient en permanence les savoirs, les règles, les normes qui organisent leur vie
commune (Geadah, 1999), mais aussi ce que sont les connaissances et les modes pertinents
de communication (Greenfield, 1997). Rogoff (2003) emploie ainsi l’expression de
«participation à la culture ». Aussi, « la culture, au lieu d’être la cause de l’identité collective,
devient sa conséquence et son produit, elle n’est pas un système clos ni une tradition à
conserver, mais une construction sociale en constant renouvellement » (Cuche, 2002, p.
204) (Ibid., 2010, p. 7). « Les cultures n’ont pas d’existence indépendante (réalisme) (…),
elles existent dans la forme de certaines opérations mentales créant un nouveau niveau de
réalité » (Pyysiäinen, 2002, p. 167).
La culture est donc sans cesse en création par chacun dans ses interactions avec les
autres. Elle doit ainsi être conçue comme un processus, ainsi que l’identité culturelle,
toujours en construction.
1.2.2. Une identité culturelle indéfiniment reconstructible
Dans un texte écrit à l’occasion du 50ème anniversaire du traité de Rome et publié en
2008 sous le titre « Europe des cultures, et culture européenne : communauté et diversité »,
Kristeva écrit « Qui suis-je ? Est une question dont la meilleure réponse, européenne, n’est
évidemment pas la certitude, mais l’amour du point d’interrogation » (Kristeva, 2008, p.
12).Elle pose ainsi la question de l’identité culturelle dans ce qu’elle a de plus mouvant, de
plus difficile à saisir, « indéfiniment reconstructible, ouverte » (ibid. p. 12). Car la notion de
28
culture a évolué, notamment sous l’effet des transformations rapides de notre monde
contemporain. C‘est son aspect mouvant, dynamique, instable, créatif que retiennent
davantage les intellectuels et parait plus à même d’aider à la réflexion sur les phénomènes
contemporains. En effet, à une époque où des mondes encore récemment séparés les uns
des autres se rencontrent et s’influencent, la question de l’identité culturelle connaît des
tensions.
Certains, inquiets de la disparition de cultures sous l’effet d’une domination
économique ou politique par une autre, cherchent à préserver l’identité culturelle. C’est ce
qui a amené Jullien, lors d’un colloque au Viet-Nam, à évoquer cette question face à des
dirigeants politiques réunis pour débattre de la préservation de l’identité de la culture
vietnamienne, et notamment des minorités. Il y montre que cette défense de l’identité
repose sur l’illusion d’une essence, d’un noyau dur, pur, propre à telle culture. Il fait part de
sa méfiance à l'égard de ces prétendues caractéristiques culturelles, « étiquetées comme
telles et formant standard […] : en se figeant, elles font barrage à l’intelligence » (Jullien,
2010, p. 15). De même, Kristeva parle de « culte moderne de l’identité », alors que « la
culture (ici, la culture européenne), est une quête identitaire indéfiniment reconstructible,
ouverte ». Elle est construite par chacun et chacun est construit par elle de sorte que les
individus qui partagent certaines activités et relations sociales créent en permanence les
normes et savoirs qui constituent leur culture et organisent leur vie. Laplantine évoque aussi
« les discours du pur, du simple, du clos, du distinct et de la frontière », qui ne supportent
pas l’épreuve des faits car ils s’opposent aux précieux métissages que nous évoquerons plus
loin. « S’il existe une épistémologie du métissage, elle ne peut s’affirmer qu’en abandonnant
la fiction du pur qui se serait mélangé, du simple qui se serait compliqué» (Laplantine, 2007).
29
On retrouve donc ici la dialectique philosophique opposant l’identité comme
substance à l'identité comme processus (Moro, 2004, p. 109). La première, si elle s’avère
intéressante d’un point de vue purement philosophique ne résiste pas à l’épreuve de la
réalité. En effet, la pratique ethnopsychiatrique accompagne « l’effort des sciences
humaines pour dépasser cette notion d’identité, et voir que son existence est purement
théorique : celle d’une limite à quoi ne correspond en réalité aucune expérience » (Levi
Strauss, 1977, p. 332). L’identité ne peut exister que comme processus, nécessairement en
évolution constante et faite de multiplicités. « L’identité est moins une donnée que l’on
postule ou que l’on affirme qu’une fonction ineffable à refaire et à reconstruire à tout
moment pour rester humain (ibid., p. 331). Cette notion tend donc vers celle d’altérité, en
soi et autour de soi, dont elle est composée et qu’elle construit à son tour constamment.
« Pour construire sa propre identité, il y a donc nécessairement besoin de reconnaître celle
de l’autre et cette reconnaissance présuppose la notion d’altérité» (Moro, 2004, p. 109).
Dans ce cadre, on ne peut se représenter la culture sur le mode de l’appartenance
(ma culture), fondatrice d’une identité, cette « conception tenace et toujours résurgente,
parce que reposant sur un préjugé essentialiste que j’ai déjà dénoncé et qui conduit tout
droit aux revendications identitaires » (Jullien, ibid, p. 56). L’identité se construit toujours
avec les autres, dans le partage et le conflit, et est multiple et en perpétuelle transformation.
Laplantine note que notre société, face à la rapidité des évolutions, vit dans un regret de
« l’unité perdue », dans une « quête désespérée de la synthèse » (Laplantine, 2007, p. 66).
Or, « c’est l’illusion du « nous-autres », du « moi, je » qui ne s’en remet pas d’être né, qui
n’accepte pas que le « je » est loin d’être simple, homogène, identique à lui-même, mais
qu’il est fait d’autres » (ibid. p. 76).Parce que la culture est aussi intime et unique car propre
à chacun, mouvante et complexe.
30
Rappelons également que la question de l’appartenance culturelle est parfois
confondue chez les non-spécialistes avec celle de l’appartenance ethnique, voire « raciale »,
avec en toile de fond le spectre du racisme, de la colonisation, de l’histoire de notre monde
dont est imprégné notre inconscient collectif. La question des statistiques ethniques a
suscité de nombreux débats relatifs à l’intérêt et au danger de celles-ci. Un courant s’est
rassemblé derrière Badinter défendant qu’obliger quelqu’un à se définir par rapport à son
origine, c’est le figer dans son identité (Badinter, 2009). Cette crainte est légitime dans un
contexte où l’identité est perçue comme une essence figée et l’origine culturelle non comme
un point de départ à partir duquel l’individu va se construire en se métissant, mais comme
un élément qui le définit et auquel cette identité immuable risque d’être réduite.
1.2.3. La culture en construction
Ainsi, le phénomène de culture, en transformation continue, plurielle en même
temps que singulière, et toujours retravaillée par des influences étrangères, ne peut être
représentée sur le mode d’une « enlisante appartenance (dépendance) » (Jullien, 2010 p.
56). Mais il ne faut pas se laisser glisser vers une représentation inverse qui serait celle d’une
égale disponibilité des éléments culturels du monde entier, que chacun choisirait en toute
liberté de s’approprier, en passant des uns aux autres. Jullien donne à ce sujet l’image d’un
supermarché dans lequel on se promènerait à travers les cultures du monde en choisissant
des produits sur les présentoirs. « Cette image est fausse : les notions et représentations
culturelles sont loin d’être ainsi dissociables de leur contexte et les « rayons » ou les
catégories qui les présentent restent ceux élaborés par la pensée européenne » (ibid., p. 57).
31
Il existe en effet une culture avant la venue au monde d’un enfant. Celui-ci n’arrive
pas dans un monde inorganisé, vide de tout, et donc, après sa naissance, il « reçoit » la
culture de ses parents. Toutefois ce qui existe avant toute existence humaine n’est pas
encore une culture pour ces futurs êtres humains. La culture est construite par chacun et
deviendra ce qu’un humain produira toute sa vie en interaction avec les siens et les
éléments culturels qui lui sont transmis. Ces éléments culturels sont des « mémoires
externes » (Donald, 1999) ou encore des « "ancres" matérielles » (Hutchins, 2005), qui
existent préalablement aux individus et leur sont effectivement transmises. Chacun crée
ensuite de la culture à partir de ces éléments effectivement transmis. Comme le met en
évidence Pyysiäinen (2002), la culture relève d’un niveau de réalité collectif, non individuel,
car, outre l’observateur qui la construit, elle implique des générations et des groupes
importants d’individus vivants qui la (re)négocient.
Ainsi, toute situation d’interaction entre deux personnes est l’occasion de construire
du culturel à partir d’éléments préexistants. Un patient qui répond à des questions posées
par un psychologue, participe ainsi d’une culture. Tous deux, pendant la situation de bilan
construisent une culture instable et dynamique à partir « d’œuvres humaines » (Meyerson
2000) propres à chacun de ses membres (Troadec et al., 2011, p. 345), parfois très
différentes si les contextes culturels de chacun diffèrent. Une telle définition du culturel
permet de sortir de l’idée de « choc culturel », pour réfléchir à la rencontre en terme de
construction de nouveau. Elle permet également de ne plus concevoir les changements
comme des « pertes » de culture dites d’origine mais comme des transformations, des
métissages.
32
1.2.4. Le métissage
La multiplicité des appartenances culturelles
Une des conséquences de la définition de la culture comme un produit de l’activité
d’un groupe d’individus est une impossibilité à délimiter des ensembles culturels sans
préciser les critères considérés. En effet, une culture dépend des individus qui constituent un
groupe et un individu donné peut faire partie de plusieurs groupes différents. De multiples
critères peuvent être considérés : le pays d’origine, les langues parlées, l’ethnie, la religion,
le nom de famille, le niveau d’acculturation, le vécu migratoire… Et ces différents critères
peuvent se recouper dans certaines situations, si bien que des personnes peuvent appartenir
à des groupes différents selon les critères que le chercheur choisit. Face à cette situation
complexe les attitudes des psychologues varient : « Certains psychologues réfutent alors
toute appartenance culturelle, estimée indéfinissable objectivement et invoquent parfois
une appartenance à l’humanité dans son ensemble. Mais ici, la culture disparaît. D’autres
tentent de capturer objectivement l’appartenance culturelle d’autrui ou attribuent une
appartenance culturelle comme une évidence. Après tout, les gens qui vivent au Maroc sont
des Marocains et ceux qui vivent en France sont des Français. D’autres encore, assument le
caractère arbitraire ou socialement construit du classement qu’ils font sur la base de critères
d’appartenance donnés, parmi d’autres, et énoncé préalablement » (Troadec, 2007 ;
Vrignaud, 2001).
Attribuer une appartenance culturelle à une personne est ainsi complexe du fait de la
multiplicité des critères possibles pour la définir. Mais elle est également complexe car
chacun se construit au contact de plusieurs cultures, se les approprie et les transforme sans
cesse. Le concept d’appartenances culturelles parait donc plus à même de décrire la réalité
33
que celui d’identité culturelle, utilisé souvent au singulier et non comme un processus en
mouvement. Les appartenances culturelles sont multiples et mouvantes du fait des
métissages qui accompagnent toute rencontre entre cultures, au sein de la société comme
pour un individu donné.
La rencontre des cultures : dialogue, métissages et diversité
Pour Laplantine, le concept de métissage s’impose comme une nécessité « face aux
valeurs hégémoniques dominantes d’identité, de stabilité et d’antériorité » (Laplantine,
2007, p. 8). Le métissage se définit d’abord par opposition : il n’est pas l’équivalent de la
mixité, du mélange, ni de l’assemblage, car il n’implique pas un état initial premier et pur. Il
ne s’agit pas en effet de la rencontre entre des ensembles premiers homogènes, qui auraient
donné naissance à un nouvel élément « hétérogène », une sorte de « produit dérivé », car
« le métissage contredit précisément la polarité homogène/hétérogène. Il s’offre une
troisième voie entre fusion totalisante de l’homogène et la fragmentation différentialiste de
l’hétérogène » (ibid. p. 8). Le métissage n’est pas non plus le syncrétisme, qui suppose une
totalisation, une fusion, une abolition des différences par addition. Ainsi, il s’oppose à la fois
aux pensées de la séparation, c'est-à-dire de la décomposition en éléments, qui éveille le
fantasme de pureté et les fictions identitaires et aux pensées de la réconciliation des
contraires. Enfin, il s’oppose aussi au multiculturalisme qui « se fonde sur la cohabitation et
la coexistence de groupes séparés et juxtaposés résolument tournés vers le passé, qu’il
convient de protéger de la rencontre avec les autres » (ibid. p. 64).
Le métissage est ainsi non pas un état, mais un acte. C’est une notion volontairement
contradictoire qui n’existe que dans la non-résolution, l’inachèvement, l’imperfection. Elle
34
est une question plus qu’une réponse, « car elle est la question qui perturbe l’individu, la
culture, la langue et la société dans leur tendance à la stabilisation ». Elle implique une
pensée en tension, « résolument temporelle », qui évolue entre les cultures, les époques, les
langues, qui pense la multiplicité née de la rencontre… Il montre combien cette idée du
métissage connaît de très fortes résistance, du fait notamment de ces tensions, de cette
perturbation inévitable qu’il provoque chez l’individu et la société ; du fait aussi de l’angoisse
que provoque « la désaffiliation, la dé-légitimation par rapport à l’absolu du mythe de
l’origine ». Des résistances qui sont également soutenues par « la phobie de l’autre (et
notamment de l’autre qui est en moi) » (ibid. p. 74).
Elle fait ainsi écho à la pensée du dialogue évoqué par Jullien, cette pensée de l’écart
et de la diversité qui conçoit la culture comme « fécondité à maintenir ouverte ou à
promouvoir-non pas comme identité à figer » (Jullien, 2010, p. 18). Celui-ci rappelle en effet
que, face à la peur de voir disparaître des cultures sous la pression de la mondialisation et de
la domination économique, le rôle essentiel de l’intellectuel ainsi que de l’homme politique
n’est pas de défendre une identité culturelle figée, réduite à quelques traits marquants à un
moment donné, qui se trouverait alors stoppée dans le mouvement évolutif indispensable à
la vie d’une culture. Leur rôle est plutôt de préserver la diversité en travaillant les écarts,
c'est-à-dire « pratiquer une brèche dans le conformisme, réintroduire de la tension dans la
pensée, bref, remettre notre raison en chantier. » (Jullien, 2010, p. 15). En effet, l’existence
de différentes cultures ne concerne pas uniquement des populations minoritaires qu’il
s’agirait de protéger. Elle nous concerne tous car la diversité est ce qui permet de penser,
d’enrichir la réflexion par la possibilité de faire appel à des ressources culturelles différentes,
de travailler les écarts entre systèmes de pensée, qui sont autant de pistes pour alimenter la
réflexion. C’est cette fécondité des écarts qui rend cette question vitale : « ces diverses
35
cultures sont comme autant de ressources déployant des possibles aventureux et que toute
intelligence humaine, dès lors qu’elle s’attache à leur cohérence, avec patience, peut
comprendre et peut exploiter » (Ibid. p. 12). Les écarts permettent l’enrichissement, comme
le prouve par exemple la richesse de la traduction d’une langue à l’autre qui loin de
permettre une copie parfaite d’un énoncé, se trouve contrainte à l’interroger, à en dégager
les sens possibles, à rendre la compréhension plus subtile grâce au travail des écarts entre
les deux langues.
Jullien rappelle que face à l’effacement de ces ressources culturelles sous la pression
de la standardisation mondiale, l’enjeu est de s’opposer à un universalisme mou qui masque
des rapports de forces entre mondes et risque de mener à l’uniformisation, ainsi qu’à une
crispation identitaire figée et repliée sur elle-même pour ne pas risquer de se faire
transformer par les autres. Il propose comme alternative celle de l’entretien des diversités,
entre-tenir c'est-à-dire « maintenir cette tension de l’ « entre » et la renouveler. Cet
entretien qui passe d’abord par une politique, celle de passer par l’entretien des lieux de vie
de cette culture, des paysages, et par une action d’aide à l’auto-consistance des sociétés qui
ne doivent pas se trouver dans un rapport de totale dépendance à d’autres, au risque de ne
plus s’aimer elles-mêmes et d’être happées par le modèle culturel des autres. Elle passe
aussi par le goût du dialogue des cultures« ce dialogue sera d’autant plus riche qu’il instaure
égalitairement des vis-à-vis entre les cultures et laisse apparaître entre elles des
embranchements possibles-cela à l’encontre de l’uniformisation ambiante à laquelle conduit
la mondialisation ». (Jullien, 2010, p. 11)
Métissage, fécondité de la diversité et attention pour les écarts jalonnent aussi le
travail de Moro qui ajoute au discours philosophique et anthropologique un regard clinique
36
portant une attention à l’intime qui se dessine à travers ces questions de société. Elle
montre ainsi combien le goût pour la diversité porteuse d’ « écarts » dont parle Jullien, et
l’envie d’un métissage sans peur d’y perdre son identité, tel que le décrit Laplantine peut
avoir un impact quotidien sur nous tous, et encore plus sur les migrants et leurs enfants
(Moro, 2012). Ainsi, aimer la diversité des langues dont sont porteurs les enfants de
migrants à l’école, ne plus agir par peur des autres, mais chercher la rencontre et le dialogue
sont autant de pistes pour prévenir les souffrances intimes ainsi que celles de la société.
«Cette promenade dans la diversité est un immense cadeau qui commence tout près de
nous, par exemple la découverte d’une langue, ou même de quelques mots (…) ; le regard
que nous portons sur la différence et au-delà sur ceux qui l’incarnent est le défi de la
modernité» (Moro, 2002, p. 178), « la première condition pour ne pas faire violence aux
enfants métis c’est de ne pas leur demander de nous ressembler pour les aider, pour les
soigner, pour les éduquer» (ibid., p. 182). Concernant ces enfants, le métissage s’articule
souvent à la notion d’acculturation, la leur ou celle de leurs parents, de leurs proches.
L’acculturation
Le terme d’acculturation a été utilisé dès 1880 par l’anthropologue américain Powell
pour décrire les changements du mode de vie et de pensée des immigrants au contact de la
société américaine. Le préfixe « a » n’est pas privatif mais provient du latin « ad » qui
indique un mouvement de rapprochement. En 1936, Redfiel, Linton et Herskovits définissent
l’acculturation comme « l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et
direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des
changements dans les modèles (pattern) culturels initiaux de l’un ou des deux groupes »
37
(Cuche, 2002, p. 54). Autrement dit, l’acculturation est la situation dans laquelle une culture
dominante impose ses systèmes de valeur et de comportement à une culture donnée
(Laplantine, 2001, p. 77).
Berry, en 1987, montre qu’elle peut entraîner un stress spécifique, notamment
lorsqu’un individu connaît une phase de marginalisation au cours de laquelle il ne se
retrouve plus ni dans la sphère culturelle du pays d’origine ni encore dans celle du pays
d’accueil (Berry, 1987). Parmi les modèles de l’acculturation, celui que ce dernier a créé est
probablement le plus connu (Berry, Kim, Power, Young, et Bujati, 1989). Il croise le rapport
que l’individu migrant établit avec les deux cultures d’origine et d’accueil. Il en résulte quatre
formes principales d’acculturation (selon Berry et al.1989)
Caractéristiques de la culture d’accueil
Caractéristiques de
la culture d’origine
Conservées
Non conservées
Conservées
Intégration
Ségrégation
Non conservées
Assimilation
Marginalisation
Tableau 1 : Le modèle d’acculturation selon Berry et al.1989
Ce modèle a l’inconvénient de ne fonctionner que par addition ou soustraction de
cultures, sans que la variable métissage, c’est-à-dire la variable « création de nouveau »
n’apparaisse. Or, cette variable est centrale dans le vécu des migrants et les techniques de
bilan doivent pouvoir en tenir compte.
En effet, l’acculturation peut aussi être créatrice et génératrice de santé et de vitalité,
comme c’est le cas la plupart du temps dans les situations d’interactions culturelles. Bastide,
en 1998, insiste sur cet aspect positif des mouvements d’acculturation et de déculturation,
qui peuvent être le moteur d’une reconstruction culturelle. En donnant comme exemple le
38
Brésil qu’il connaît bien, Laplantine présente la « transculturation », c'est-à-dire « le
processus par lequel une culture qui s’affirme comme dominante se laisse peu à peu
transformer par une culture considérée comme dominée ou devant être dominée »
(Laplantine, 2007 p. 80). Il montre ainsi le processus d’africanisation des émigrés européens
au contact de leurs esclaves, qui apparaît dans les musiques, la cuisine, la religion, et les
façons de se comporter (Ibid. p. 81).
Ainsi, créer des échelles d’acculturations prenant en compte cette variable créatrice,
par définition toujours nouvelle et inattendue, est très difficile. Beaucoup de chercheurs ont
créé de telles échelles, élaborées et utilisées dans les sociétés multiculturelles où
l’immigration est importante (États-Unis, Canada). Mais celles-ci rendent rarement compte
de la complexité du phénomène. La plupart sont spécifiques aux migrants de telle ou telle
origine. D’autres, comme celles de Ward, évaluent le rapport à la culture d’accueil
indépendamment du rapport à la culture d’origine (Ward, 1999). La plupart sont construites
sur la base d’une dépendance ou d’une interaction des deux cultures, tel le modèle de Berry
(Berry et al. 1989).
Arends-Tóth et van de Vijver (2006) proposent, quant à eux, un autre modèle de
l’acculturation qui intègre conjointement la permanence et l’adaptation d’attitudes et de
comportements, dans les différents domaines de la vie quotidienne, notamment privée et
publique. Les auteurs mettent l’accent sur l’importance des conditions de vie antérieures à
la migration et leur effet sur la forme d’acculturation adoptée ensuite par le migrant.
En France, des adaptations d'échelles existantes ont été pratiquées mais aucune
n’intègre réellement la variable « métissage ». Un modèle d'acculturation interactif a été
créé qui est intéressant, mais a moins d’application directement clinique. Il intègre trois
39
aspects des relations entre les groupes d’individus immigrants et ceux de la société d’accueil
(Bourhis, Moise, Perreault, et Senécal, 1997) : les orientations d'acculturation des groupes
d’individus immigrants dans la société d’accueil ; celles des groupes de la société d'accueil
(dont les psychologues) à l'égard des groupes d'immigrants ; les conséquences relationnelles
résultant des orientations d'acculturation des différents groupes. Ces conséquences peuvent
être harmonieuses, problématiques ou conflictuelles, selon la combinaison des orientations
d'acculturation des membres de chacun des groupes. Des études récentes confirment le
modèle d'acculturation interactif et la validité conceptuelle d'une échelle d'acculturation des
individus de la société d'accueil (EACA) (Barrette, Bourhis, Personnaz M., et Personnaz B.,
2004 ; Montreuil, Bourhis, et Vanbeselaere, 2004).
Ainsi, la question du métissage, indissociable de celle d’acculturation, est centrale
dans toute entreprise clinique en situation transculturelle. Les pratiques de bilan se doivent
de prendre en compte le phénomène, qui implique de ne pas enfermer l’autre dans une
altérité insurmontable ni dans une identité figée et unique. Cela implique également
d’accepter de se métisser au contact des autres et notamment de métisser sa pensée, ses
théories et ses pratiques professionnelles.
La pratique du bilan psychologique en situation transculturelle doit donc se situer
dans la perspective d’un relativisme modéré, tenant compte à la fois de l’unicité du
psychisme humain, qui le rend possible et de la diversité des contextes culturels, qui le
complexifie. Elle se doit aussi de ne pas essentialiser la culture en la figeant, en créant des
catégories rigides, ou en attribuant une identité culturelle simple et définitive aux patients
rencontrés. La pratique du bilan en situation transculturelle doit également trouver la
souplesse nécessaire pour faire une place au processus de métissage et à la diversité des
40
appartenances culturelles, sans écraser les différences mais en cherchant au contraire à les
féconder pour ouvrir de nouvelles possibilités de compréhension.
2. Un problème pratique : l’utilisation et l’adaptation de
tests étalonnés
2.1.
Les recherches sur l’adaptation des tests
Une position théorique radicalement relativiste conduit à un refus total d’utilisation
de tests en situation transculturelle au nom de leur non-adaptation et des risques d’erreurs
qu’elle entraine. C’est le cas notamment de Greenfield (1997) pour qui tous les tests
d’intelligence sont des produits ou des artefacts d’une histoire sociopolitique et d’une
culture particulière qui les rendraient « inexportables » et « inadaptables ». Ce point de vue
implique chez certains psychologues une tendance à refuser d’utiliser les tests en situation
transculturelle, ce que dénonce Troadec : « il convient en effet d’écarter le nihilisme qui
caractérise parfois la clinique contemporaine : « si les tests et techniques psychologiques ne
sont pas valables, alors ne les utilisons pas ! »(Troadec et al. 2011, p. 339). Il reproche à
cette démarche d’exclure toute une partie des patients des techniques utilisées avec les
autres et donc d’introduire une forte inégalité dans la qualité des soins. Mais si les tests,
parce qu’ils ne sont pas valides, entraînent des erreurs préjudiciables aux patients d’origine
migrante, l’inégalité est toujours aussi forte et les conséquences négatives.
Il est impossible également d’adopter un point de vue strictement universaliste, qui
consisterait à utiliser les tests tels quels sans aucune adaptation et sans avoir conscience de
la limite des résultats trouvés. De nombreux travaux de psychologie interculturelle montrent
41
que le psychisme et ses principales fonctions (intelligence, affectivité, socialisation, etc.),
ainsi que leur évaluation par un expert, varient parfois considérablement en fonction de
l’histoire et de la culture qui caractérisent les groupes humains (Berry, Poortinga, Segall, et
Dasen, 2002 ; Bril et Lehalle, 1988 ; Greenfield, 1997 ; Matsumoto, 2001 ; Troadec, 2007).
Il convient donc d’accepter que ces tests sont « exportables » moyennant non
seulement une très bonne traduction mais aussi une adaptation nécessaire de leur contenu
(Berry, Poortinga, Segall, et Dasen, 2002). De nouveaux tests peuvent également être créés
par des spécialistes de la clinique transculturelle en tenant compte de la spécificité de la
situation.
Byrne, en 2008, rappelle que les problèmes posés par l’utilisation de ces outils avec
des personnes issues d’autres cultures ont été très peu étudiés jusque dans les années 2000.
Puis le nombre annuel d’articles de recherche transculturelle s’est considérablement accru :
d’environ 600 en 1978 il est passé à 1500 en 2003 (van de Vijver, 2006). Segall, Lonner et
Berry remarquent ainsi en 1998 que « la psychologie transculturelle est devenue une
discipline de spécialistes qui est passée d’un murmure, d’un espoir dans les années 1960 à
une entreprise intellectuelle large et florissante aux environs des années 2000 » (Segall,
Lonner et Berry, 1998, p. 1108).
Or, les psychologues, qui rencontrent de plus en plus de patients de cultures variées,
du fait des nombreuses migrations des dernières décennies, sont rarement préparés à
utiliser les tests d’une façon appropriée (Satter, 1998). Les programmes de formation
incluent peu ces questions et seuls certains pays comme les Etats-Unis, l’Espagne et les PaysBas fournissent un réel enseignement en psychométrie et abordent ces questions de
validation transculturelle (Byrne, 2008). Pourtant, en 2008, une recherche d’Aiken West et
42
Millsap montre l’inadaptation des programmes universitaires américains pour former des
docteurs en psychologie amenés à conduire des recherches quantitatives en situation
transculturelle (Aiken West et Millsap, 2008). Ainsi, les psychologues praticiens connaissent
mal les tests qu’ils utilisent, la façon dont ils ont été construits et les biais qu’ils comportent,
et les chercheurs n’ont pas un accès facile aux avancées récentes des techniques dans la
construction d’outils de mesure.
On peut pourtant considérer qu’il s’agit d’une question éthique. Les bilans ont
l’obligation morale de se dérouler selon des méthodologies adaptées, afin d’obtenir des
données correctes et de les interpréter de la façon la plus juste possible. Ces règles sont
décrites dans les codes éthiques tels que celui édité par l’American Psychological
Association : « Ethical principles of psychologists and code construct » (APA, 2002) ou le
manuel de Koocher et Keith Spiegel sur les lois de l’éthique en psychologie (Koocher et Keith
Spiegel, 2008). Or, aucun de ces deux codes de déontologie, faisant pourtant référence, ne
mentionne le cas des recherches transculturelles. Seule l’International Test Commission
(ITC), dont nous présenterons les conclusions, s’est penchée sur le sujet et a développé
plusieurs guides qui abordent la question des recherches transculturelles. Leurs
recommandations, adoptées officiellement en 2000 et régulièrement révisées, ont
notamment été publiées en 2005 dans un ouvrage visant à regrouper les avancées récentes
concernant l’utilisation et l’adaptation des tests en situation transculturelle (Hambleton,
Merenda et Spielberg, 2005). Ce livre a donné lieu à de nombreux résumés, publiés dans
différentes revues (Tamassia, 2007 dans Psychometrika, Gierl, 2007, dans Appleid
Psychological Measurement, ou Ercikan, 2006 dans International Journal of Testing) et les
recommandations de la commission ont été en partie traduites en français (Vrignaud, Castro
43
et Mogenet, 2002). Nous reprendrons leurs recommandations en détail et les
commenterons au fil de notre travail.
2.1.1. La difficile traduction des tests
Pour pouvoir utiliser un test dans un autre contexte culturel, il faut d’abord, le plus
souvent, le traduire. Or, cette traduction pose de nombreux problèmes. D’une part parce
qu’il est extrêmement difficile de produire une traduction fidèle du test « source ». Ensuite
parce que le même item ne fait pas toujours appel aux mêmes opérations mentales quelle
que soit la langue. Enfin, parce qu’une bonne traduction ne suffit pas à rendre le test
équivalent dans tous les univers culturels.
La rétro-traduction et ses limites
L’International Test Commission (ITC, 2010) s’interroge notamment sur la question de
la traduction de tests en dénonçant des pratiques peu professionnelles dans ce domaine : le
développement d’un grand nombre de traductions parallèles dans certains pays et
l’utilisation de traducteurs parfois non professionnels. Elle préconise la pratique de la rétro
traduction, c'est-à-dire d’une traduction d’abord de la langue d’origine à la langue ciblée
puis une rétro-traduction de l’outil obtenu, de la langue ciblée à la langue d’origine.
L’original et l’outil « rétro-traduit » sont ainsi comparés, permettant de détecter les
anomalies et de juger de la qualité de la traduction. Elle préconise également de tester
empiriquement les outils traduits avant de les utiliser, auprès de petites populations
bilingues. Enfin, elle propose de faire traduire l’outil par de multiples traducteurs
(Hambleton et al. 2005 ; Byrne et al. 2008).
44
Toutefois, cette méthode, fréquemment employée, fait l’objet de critiques dans la
mesure où il est rare que la deuxième traduction redonne la version initiale, sans pour
autant que les traductions soient de mauvaise qualité. D'autres méthodes existent, comme
celle consistant à demander à deux traducteurs de réaliser une traduction de A vers B,puis
de comparer leurs productions (Jeanrie et Bertrand, 1999 ; van Widenfelt, Treffers, de Beurs,
Siebelink, et Koudijs, 2005). Il existe ainsi plusieurs techniques d’évaluation de l’équivalence
des items dans les langues source (A) et cible (B).
Van de Vijver et Leung (1997) donnent quelques conseils d’élaboration d’un
instrument dans une langue source afin de pouvoir réaliser une « bonne » traduction dans
une langue cible :
-Utiliser des phrases courtes et simples ;
-Employer la forme active, plutôt que passive ;
-Répéter les noms, plutôt qu’utiliser les pronoms ;
-Utiliser des termes du niveau de catégorisation dit de base, plutôt que du niveau
subordonné ;
-Ne pas utiliser de métaphores ;
-Éliminer le subjonctif et le conditionnel ;
-Éliminer les adverbes et les prépositions de temps et de lieu ;
-Éliminer les termes relatifs à des actions « floues » ou « vagues » ;
-Éliminer les phrases contenant deux verbes rendant compte de deux actions différentes.
Cheung, Leong et Ben-Porath, en 2003, alertent sur les risques de mauvais usage des
tests importés en Asie, et incitent les traducteurs à travailler avec les associations locales de
45
psychologie quand il y en a, pour promouvoir de nouveaux tests correctement adaptés et
traduits (Cheung, Leong et Ben-Porath, 2003). D’autres auteurs montrent qu’il n’est pas
suffisant de créer une version par langue, mais qu’il faut prendre en compte aussi les
particularités linguistiques et culturelles pouvant exister par exemple entre les différentes
populations parlant l’espagnol (Nichols, Padilla et Gomez-Maqueo, 2000). La version
espagnole du MMPI-2 est en effet appropriée pour un sujet d’origine mexicaine alors qu’il ne
l’est pas pour un sujet d’origine argentine.
Au-delà de la traduction, les problèmes d’équivalence
Le Du (2009) rappelle que la traduction d’un test en plusieurs langues repose sur
l’idée que ledit test fait appel aux mêmes opérations mentales, quelle que soit la langue qui
le véhicule. Mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple au sein de l’échelle d’évaluation
de la mémoire et de l’attention de Wechsler, la WMS-R (Wechsler Memory Scale revised) un
des items consiste à « réciter l'alphabet à l’envers ». La traduction de cet item en arabe est
tout à fait possible et simple à réaliser. En revanche, la performance de sujets de langueet
culture française paraît nettement meilleure que celles de leurs homologues tunisiens à qui
on demande de réciter l’alphabet arabe à l’envers (Bellaj, 2009). Les Tunisiens présentent
une lenteur extrême et des échecs multiples. Faut-il en conclure à une supériorité cognitive
des Français ? En fait, la tâche demandée aux Tunisiens n'a presque rien à voir avec le
supposé construit théorique qui est d'évaluer l’attention mentale. En effet, d’une part, peu
depersonnes en Tunisie apprennent l'alphabet arabe, d’autre part, deux ordres sériels de
cetalphabet sont possibles.
46
Ainsi, une traduction n'aboutit pas nécessairement à un item culturellement valide et
utile. Ces biais, appelés biais conceptuels ou biais de construit (« construct biases » en
anglais) rendent impossible la création d’instruments de mesure « culture-free », c'est-à-dire
indépendants des facteurs culturels, par suppression des références linguistiques. Lorsqu’on
cherche à éviter tous les biais liés à la traduction et aux différences de contexte culturel,
ceux-ci paraissent si nombreux que les supprimer entraîne un appauvrissement
considérable. Aujourd’hui, il est admis qu’aucune de nos techniques psychologiques n’est
culture-free (Dasen, 1993 ; Demangeon, 1976 ; Le Du, 2009 ; Perron-Borelli et Perron, 1970).
Une étude de van de Vijver et Tanzer, en 1997, a par exemple montré, en appliquant le KABC à des élèves d’origine mexicaine et nord-américaine, que 58 items sur 92 étaient
biaisés. Lautrey (2001), analysant la popularité toujours actuelle des tests classiques
d’évaluation de l’intelligence chez les psychologues praticiens (essentiellement NEMI, WAIS,
WISC, WPPSI, K-ABC, etc.), rappelle que ces tests évaluent une «capacité cognitive
relativement générale [qui renseigne] sur les possibilités d’adaptation cognitive future » (p.
40), mais qu’« une condition essentielle [est] que les sujets aient baigné dans la culture au
sein de laquelle a été élaboré le test, et que le pronostic porte sur l’adaptation future au sein
de cette même culture » (ibid, p. 40).
Constatant cette impossibilité de construire des tests culture-free, certains
chercheurs ont voulu élaborer de nouveaux tests spécifiques à un groupe culturel donné, en
collaboration avec des anthropologues (Lindsey, 1998). En 1954 le linguiste Pike a proposé
d’utiliser le terme de démarche « émique », c'est-à-dire consistant à construire un
instrument d’observation à partir d’un groupe étudié, par opposition à la démarche
« étique » où le chercheur se place en observateur extérieur et utilise des tests élaborés
dans une société occidentale, avec des normes externes au groupe étudié. Mais cette piste
47
de recherche a également montré ses limites. En effet « au bout du compte se posait la
question de la pertinence de tests délibérément structurés de manière à être sursaturés en
facteurs culturels non occidentaux » (Le Du, 2009, p. 99).
Pour se pencher sur l’utilisation des outils d’investigation dans l’évaluation
psychologique des migrants et enfants de migrants, il est nécessaire d’étudier les biais
culturels et de chercher des méthodes nouvelles permettant de les limiter.
2.1.2. Biais conceptuels, biais de méthode et biais d’item
Après le quasi-abandon de l’idée de tests culture-free, les concepteurs de tests ont
cherché à discriminer différents types de biais (voir par exemple Poortinga, 1995 ; van de
Vijver et Leung, 2000) et à développer et perfectionner des méthodes d’identification de ces
biais (Vrignaud, 2001, 2002). La définition d’un biais est simple : un test ou un item est biaisé
s’il ne mesure pas ce qu’il est censé mesurer. Une autre variable peut être mesurée à sa
place, et parasite alors la mesure, de sorte qu’un groupe culturel est favorisé ou défavorisé
par rapport à l’autre. On met alors en évidence des différences entre des groupes de sujets
qui ne peuvent être mises en relation avec la/les variables mesurées.
Biais conceptuels
On parle de biais conceptuels ou biais de « construit » lorsque le concept à mesurer
n’existe pas à l’identique dans les groupes culturels étudiés. L’outil ne mesure pas la même
variable latente selon le groupe culturel. La traduction, même très fidèle, ne suffit pas alors à
rendre équivalents l’outil source et celui adapté à une nouvelle culture.
48
Ainsi, le sens attribué à un item ou à un « construit théorique », comme par exemple
« la dépression », « le bonheur » ou « la beauté » varie selon les cultures, recouvrant des
réalités différentes. La notion d’ « intelligence », recouvre également certaines théories
sociales et culturelles. Des items isolés comme « réciter l’alphabet à l’envers » peuvent
également être concernés, comme nous l’avons déjà vu. Autre exemple, donné par Le Du,
« des tests de personnalité occidentaux s’attachent à mettre en relief l’expression de conflit
interpersonnel mais ne prennent nullement en compte le concept asiatique fondamental de
« perdre la face » (Le Du, 2003 p. 103).
Pour vérifier l’équivalence structurelle de deux outils (l’original et celui qui est utilisé
avec une autre population), la solution proposée par les chercheurs est de mesurer les
relations entre les variables par des méthodes d’analyse factorielle (modèle d’équation
structurelle). Elles permettent d’étudier la structure des relations entre les variables du test.
Celles-ci ont été choisies pour mesurer un « construit » donné (comme par exemple « le
bonheur », ou « l’hyperactivité », « les compétences verbales »), en fonction d’une théorie,
d’un modèle qui peut être très culturel. Si les relations entre les variables diffèrent trop
entre le test traduit et le test source, on peut suspecter un biais de construit menaçant la
validité du test une fois traduit.
Biais de méthode
Comme le font remarquer van de Vijver et Tanzer (2004), l’expression « biais de
méthode » est utilisée pour désigner différents types de biais dont le caractère commun est
d’être signalé dans la section « méthodologie » des articles de revues de psychologie. Ils
49
recouvrent en fait au moins deux types de biais différents : ceux liés aux échantillons et ceux
liés à l’administration.
Les biais liés aux échantillons concernent le choix des critères d’inclusion lors de
l’étalonnage d’un test. Le sujet passant le test sera en effet comparé à un groupe de
référence comportant un certain nombre de caractéristiques le rendant le plus homogène
possible, en terme d’âge, de niveau de scolarisation, éventuellement de sexe et excluant
certaines pathologies. Mais concernant les aspects culturels il est difficile de trancher sur le
choix du groupe de référence : faut-il constituer des normes pour des groupes partageant la
même nationalité, la même langue, le même milieu socio-économique ? Les frontières
culturelles sont souvent différentes des frontières nationales, notamment lorsqu’on veut se
donner les moyens de prendre en compte les différentes composantes ethniques d’un pays.
La culture peut être définie comme un ensemble de valeurs partagées, un ensemble de
cognitions partagées (le sens donné aux choses), parfois un ensemble de connaissances
communes (le sens commun), ou enfin des normes communes (comportement social, code
vestimentaire, expression des émotions en public…) (Byrne et al. 2009). Le choix du socle
commun à partir duquel les échantillons vont être construits est un enjeu important.
Cronbach propose de construire des échantillons en fonction des normes dont on a besoin :
avec qui le sujet a-t-il besoin d’être comparé ? (Cronbach, 1990) La seule condition étant
d’obtenir une homogénéité au sein de chaque groupe et une hétérogénéité entre les
groupes.
En définitive, pour le groupe d’experts de la Conférence de Consensus consacrée aux
aspects interculturels de l’examen psychologique (CCP, 2010, in Troadec et al. 2011) le
problème des étalonnages est un problème général, car, même pour la France, la plupart
50
des tests (mises à part, peut-être, les échelles de Wechsler) ne sont pas étalonnés sur des
échantillons représentatifs de la population française. Il faudrait d’après eux que les auteurs
et éditeurs de tests décrivent précisément la composition des échantillons utilisés pour la
validation du test et pour la construction des étalonnages. Il faudrait aussi qu’ils essaient
plus systématiquement de recueillir des données sur des échantillons représentatifs et non
pas seulement sur des échantillons disponibles (ibid. p. 370). De fait, un grand nombre
d’échantillons d’étalonnage excluent aujourd’hui les enfants d’origine culturelle non
occidentale.
Les biais liés à l’administration concernent les conditions de la communication entre
le psychologue et le patient et sont liés à la manière dont est administré un test. Peuvent se
rencontrer par exemple des problèmes de communication, liés à la langue ou à
l’introduction d’une tierce personne, l’interprète. On peut citer aussi les situations de
passation peu adaptées au milieu culturel : la situation de tête à tête peut par exemple être
anxiogène dans certains milieux culturels où elle est peu habituelle, ainsi que la rencontre
directe avec un enfant seul sans sa mère. De même les différences de milieu social peuvent
parfois avoir un impact sur les résultats, et interrogent l’usage d’un mode de communication
papier-crayon, dont le dessin.
Biais d’items
Il s’agit d’un item qui mesure une autre variable que la variable qu'il est censé
mesurer. Une nuisance est ainsi introduite dans la mesure. Ces biais sont généralement liés
au matériel et sont ceux qui sont évoqués le plus souvent car ils sont faciles à repérer.
51
Ils peuvent émaner de différences culturelles dans l’appropriation du matériel, parce
qu’il est peu familier dans le contexte de vie du sujet. Les biais peuvent provenir aussi de
formulations peu adéquates ou peu claires, d’expressions familières intraduisibles ou de
problèmes de traductions (van de Vijver et Leung, 1997 et van de Vijver et Poortinga, 2005).
Les psychologues ont perçu depuis longtemps l’importance d’utiliser un matériel
familier pour le sujet et/ou de procéder à une familiarisation du sujet avant de prendre la
mesure proprement dite. Par exemple en Guyane française, les items du WISC-IV,
systématiquement échoués par une large majorité d’enfants, sont : similitude (item
«hiver/été ») ; information (item « les 4 saisons » et « le solstice d’hiver ») ; vocabulaire (les
« gants » qui ne sont pas considérés comme faisant partie des habits, mais comme servant
au nettoyage) ; identification de concept (les « bouches d’incendie », « girouette », « luge »,
qui n’existent pas dans certains villages) ; compréhension (item « recyclage des bouteilles
vides») (Troadec et al. 2011, p. 362). Une recherche menée par Serpell et Jere-Folotiya
(2008) entre 1974 et 2005, en Zambie montre entre autres que les filles zambiennes de
milieu rural réussissent mieux une épreuve de représentation d’un bonhomme lorsqu’il
s’agit d’une réalisation en pâte à modeler, plutôt que d’un dessin, alors que c’est l’inverse
pour les garçons de milieu urbain. Les garçons zambiens de milieu urbain paraissent mieux
préparés à la culture de l’école, où l’on dessine, que ne le sont les filles de milieu rural,
mieux préparées quant à elles à la réalisation des tâches domestiques. L’usage d’objets de
fabrication industrielle, tels des cubes et des puzzles, l’utilisation de représentations
graphiques ou imagées, telles des taches d’encre ou bien des cartes, l’exigence d’une
performance chronométrée, sont des aspects d’un contexte d’examen, qui ne sont pas
nécessairement familiers à tous les enfants. Certains items du WISC IV sont particulièrement
52
biaisés du fait de leur manque de familiarité pour certains enfants : le hot dog dans
« assemblage d’objet », ou le distributeur de boissons dans les arrangements d’image.
Tous ces biais sont donc des obstacles à l’adaptation des tests d’un univers culturel à
l’autre. De nombreuses recherches en psychométrie quantitative se sont donc penchées sur
l’identification des biais, la re-standardisation et les tests d’équivalence entre test « source »
et test réadapté.
2.1.3. Re-standardisation et tests d’équivalence
Les interrogations posées par les performances inégales de groupes différents, la
nécessité de s’assurer de l’équivalence des mesures pour effectuer des comparaisons, la
recherche de l’équité dans l’évaluation, ont conduit à un développement des méthodes
permettant d’identifier et d’éliminer les biais potentiels.
La division « psychologie internationale » (division 52) de l’American Psychological
Association (APA) constatant des besoins pressants dans le domaine de l’élaboration de tests
utilisables en situation transculturelle, a mis en place un groupe de travail (division 52/2 :
« evaluation, measurement and statistics ») dirigé par Barbara Byrne, chercheur à
l’université d’Ottawa. Ses objectifs sont les suivants : collecter les travaux en psychologie
transculturelle et en psychologie quantitative concernant les pratiques méthodologiques et
les recherches actuelles dans le domaine et identifier les faiblesses méthodologiques des
recherches en montrant en quoi elles font obstacle au développement d’une clinique
quantitative de qualité.
Il s’agit d’assurer l’équité entre les individus, dans les situations d’évaluation, quelles
que soient leurs caractéristiques. Le terme d'équité se définit en référence à égalité ou
53
plutôt à inégalité. L'équité vise à réduire ou à compenser les situations d'inégalité entre
groupes engendrées par les systèmes sociaux et culturels. Dans le cadre de la théorie
générale de la validité de Messick (1989), un test est considéré comme équitable s’il aboutit
pour le psychologue à prendre des décisions identiques pour des sujets ayant des
compétences identiques.
La restandardisation consiste à créer un nouvel outil en adaptant un test existant à
un nouveau contexte culturel. Le nouvel outil est donc issu d’un test déjà existant, qui
constitue un point de départ et est modifié selon les besoins de l’adaptation. Les chercheurs
peuvent être amenés à modifier certains items considérés comme invalides en situation
transculturelle ou à en ajouter de nouveaux, plus adaptés.
Des mesures d’équivalence entre le test source et celui ainsi créé sont alors
effectuées. On peut distinguer deux sortes d’équivalence : l’équivalence structurelle, qui
concerne le sens attribué aux concepts et repère les biais conceptuels et l’équivalence
mesurée qui concerne les propriétés psychométriques (validité, fiabilité) de l’instrument.
Une fois l’outil jugé équivalent, on peut procéder à la création de nouveaux étalonnages
effectués auprès de la population cible.
Le modèle d’équation structurelle
Pour vérifier que les deux tests, le test source et le test adapté sont équivalents, il est
possible d’utiliser le modèle d’équation structurelle. Les équations structurelles permettent
de dire dans quelle mesure la structure du test est similaire entre les deux tests, ou
autrement dit dans quelle mesure la relation entre les différentes variables du test est
similaire. On peut aussi détecter les biais d’item, c’est-à-dire les variables qui semblent
54
mesurer dans le nouveau test quelque chose de différent que dans le test source, ou en tout
cas quelque chose qui ne possède pas les mêmes relations avec les autres variables que dans
le test source.
La question de l’équivalence concerne donc à la fois la structure dimensionnelle d’un
« construit » c'est-à-dire la relation entre les différentes composantes d’un élément mesuré,
et les items pris individuellement (van de Vijver et Leung, 1997, 2000). Une vérification de
l’équivalence de chaque item ainsi que de la relation entre les différents items (les construits
sous-jacents) est donc nécessaire.
Il faut noter que les problèmes de traduction dissimulent souvent des problèmes
d’équivalence (Hambleton, Merenda et Spielberger, 2005).
La modern test theory
La modern test theory ou (item response theory) permet d’ajuster les résultats aux
variables de contexte, lorsqu’un modèle d’équation structurelle a montré que les tests ne
sont pas totalement équivalents ou lorsque cette mesure n’a pas été faite (Byrne 2006 ;
Embretson et Reise (2000)). Elle permet donc de limiter l’ampleur des erreurs lorsque deux
tests ne sont pas parfaitement équivalents.
Il s’agit, pour établir une norme de réussite à un item, non pas de prendre en compte
uniquement la réussite brute, comme dans la théorie classique, mais de l’ajuster à la réussite
globale de l’individu au test. Ainsi les résultats de l’échantillon sont ajustés
automatiquement à la structure générale du test (c'est-à-dire la corrélation entre les
différentes variables). Si la structure diffère d’une culture à l’autre, comme c’est souvent le
cas, par exemple parce qu’un item n’est pas équivalent (biais de construit, de méthode ou
55
d’item), les scores en seront moins impactés et l’interprétation générale du test sera moins
biaisée.
Normes agrégées et désagrégées
Après s’être assuré statistiquement de l’équivalence structurelle des outils, il va être
nécessaire de créer des normes adaptées au contexte culturel et recueillies dans la
population cible. Il est alors possible, au lieu de ne faire qu’un seul recueil global, de créer
des normes agrégées c'est-à-dire des normes de sous-groupes choisis au sein de l’échantillon
total. Soit les constructeurs du test utilisent un échantillon très large qu’ils fragmentent
ensuite en sous-catégories, soit ils agrègent de multiples échantillons, chacun spécifique à
une culture, afin d’obtenir un agrégat formant un nouvel échantillon de référence, plus
large. Cette solution a notamment été élaborée pour des tests internationaux, en particulier
ceux utilisés par les grandes entreprises multinationales lors des entretiens d’embauche
(Byrne, 2009) comme par exemple le « Occupational Personnel Questionnaire 32 (2006) ou
le Global Personality Inventory (2000), créés par Schmitt, Kihm et Robie. Mais cette solution
peut s’appliquer à tous les tests pour lesquels une équivalence structurelle a été prouvée et
que l’on souhaite utiliser dans différents contextes culturels. Ces normes multiples sont alors
répertoriées dans un manuel d’utilisation, et le passateur choisit, en fonction de la personne
qui a passé le test, quel échantillon de référence il préfère. La question délicate est alors
celle de créer des échantillons pertinents, afin que chaque sujet puisse trouver un groupe de
référence qui lui correspond. Or, derrière cette question en apparence technique se cache la
question plus profonde de la définition de la culture.
56
2.2.
L’évaluation
du
système
cognitif
en
situation
transculturelle
Les tests cognitifs, c’est-à-dire relatifs à l’acquisition de connaissance, cherchent à
mesurer certaines fonctions instrumentales spécifiques, telles que la mémoire, l’attention ou
l’aisance verbale ainsi qu’une notion plus générale incluant un certain nombre de ces
fonctions spécifiques : l’intelligence. Le quotient intellectuel est une élaboration théorique
qui se base sur l’idée qu’il existe des éléments communs à tous les « appareils à penser » et
que ces compétences sont plus ou moins développés selon les individus, rendant certains
plus efficaces dans l’acquisition et la manipulation de connaissances. Or, la nature des
compétences que les parents espèrent voir se développer chez leurs enfants influence
considérablement leur développement, et ces attentes varient selon les cultures. Selon le
groupe culturel, les facultés mentales s’organisent en fonction du besoin de la vie
quotidienne et des valeurs véhiculées par le groupe social. L’intelligence ne peut donc pas
être considérée comme une notion objective et doit être interrogée en tant qu’objet
socialement construit, imprégné des codes de la culture qui l’a créée.
2.2.1. L’intelligence : un objet socialement construit
Le jeu entre les variabilités et les constantes dans le développement a donné
naissance au concept de niche développementale, élaboré par Super et Harness en 1997.
L’enfant serait au cours de son développement influencé par les contextes physiques et
sociaux, les pratiques éducatives et les théories parentales, c'est-à-dire les représentations
57
que ces derniers ont des enfants, des étapes de développement attendues, des aptitudes et
comportements exigés. Les comportements éducatifs découlent des théories parentales,
verbalisées ou implicites et influencent le développement de l’enfant. Les enfants peuvent
emprunter « un chemin de développement différent, ne dépendant pas seulement du
langage mais de facteurs écologiques, culturels religieux sociaux et linguistiques qui forment
ensemble le macro système entourant une niche de développement particulière » (Dasen,
2007, p. 156).
Un certain consensus se développe aujourd’hui, qui soutient que les processus
cognitifs de base seraient universels mais s’appliqueraient selon les contextes à des
contenus différents, selon ce qui est valorisé et ce qui est adaptatif dans chaque culture. On
constate également que les différences interculturelles dans le domaine cognitif portent
principalement sur le rythme et donc l’âge d’acquisition, un enfant développant en premier
lieu les aptitudes cognitives qui lui sont utiles. Par exemple, Berry en 1971 constate que les
différences dans le développement perceptif sont étroitement liées à l’environnement : il
découvre une plus grande capacité de discrimination des enfants inuits comparés à ceux du
Sierra Leone à l’épreuve des cubes de Khos. Les Inuits seraient en effet contraints à
développer
davantage
leurs
perceptions
visuo-spatiales
pour
évoluer
dans
un
environnement géographique très uniforme.
L’autre question qui se pose est liée à la diversité des langues. La variabilité des
langues joue-t-elle sur le système cognitif ? L’anthropologue Sapir considère le langage
comme structurant le réel, comme classificateur et organisateur de l’expérience sensible,
reflétant directement les processus cognitifs (Sapir, 1985, Whorf, 1956). C’est la thèse du
relativisme linguistique selon laquelle le monde n’est perçu que par le filtre de la langue. La
58
culture, véhiculée par la langue, modèle alors la perception du monde et les facultés
mentales, rendant impossible toute mesure universellement applicable. Cette construction
théorique a été dépassée par le modèle de cognition de Fodor 1986 qui conçoit au contraire
le système cognitif comme indépendant des diversités linguistiques et culturelles, se
rapprochant ainsi des conceptions universalistes. Pour lui les concepts sont des invariants
qui forent ce qu’il appelle le « mentalais ». De même, Chomsky, en 1971 avait établi
l’existence d’une grammaire générative universelle et d’invariants dans toutes les langues.
Le système cognitif serait de plus équipé de façon innée au développement du langage en
tant que fonction. Aujourd’hui, il est établi que la variabilité linguistique ne joue pas sur le
système cognitif. Mais les dernières recherches, entreprises notamment par Hickman en
2000, mettent en évidence le fait que la variabilité linguistique influe sur l’ordre d’acquisition
des fonctions langagières, notamment dans la plus ou moins grande précocité d’acquisition
de concepts fondamentaux tels que le temps ou l’espace. Dans ce cas aussi, l’évaluation,
surtout celle des enfants, sera influencée par la culture.
La définition de cette intelligence que nous cherchons aujourd’hui à mesurer, et à
objectiver par des outils psychométriques, évolue ainsi selon les contextes culturels. Mais
elle évolue également dans le temps, notamment au fur et à mesure des recherches en
psychologie du développement. Huteau constate en 2001 que cette définition n’apparaît pas
toujours évidente, même aux experts de la notion (Huteau, 2001) et Lautrey souligne que
depuis un demi-siècle, si cette définition a beaucoup évolué, un phénomène curieux est
qu’elle n’a pas été accompagnée d’un renouvellement correspondant des techniques
d’évaluation de l’intelligence (Lautrey, 2001, 2002).
59
Une branche récente des recherches en sciences cognitives fait la différence entre
l’intelligence académique, utilisée pour résoudre des problèmes mesurés par les tests
quantitatifs de QI, et l’intelligence pratique, utilisée pour résoudre les problèmes de la vie
quotidienne, dans des situations réelles (Sternberg et Grigorenko, 2004). Alors que
l’intelligence académique résulte de l’enseignement scolaire, l’intelligence pratique
augmente par une connaissance implicite acquise dans l’expérience.
En réalité, les tests mesurent des compétences spécifiques utilisées par l’institution
scolaire. Chomentowski (2009) montre très bien que ces compétences ne relèvent
nullement d’acquisitions innées et universelles mais que nombre d’entre elles nécessitent un
enseignement, une construction du sens. Les tests actuels attachent par exemple une
grande valeur à la capacité d’être rapide, indépendant et compétitif, valeurs qui semblent
être très spécifiques à la culture occidentale (Perez-Arce et Pente, 1996). A l’inverse de
nombreuses cultures valorisent la minutie, les comportements mesurés et la coopération
avec les autres, autant d’éléments faisant obstacle à la réussite des tests les plus utilisés.
Ogay et ses collaborateurs, en 2002, étudient la culture scolaire et constatent que l’école
véhicule de nombreux éléments culturels implicites comme la valeur accordée au temps, à la
vitesse d’exécution des exercices ainsi qu’au respect des horaires. Elle véhicule également
l’implicite occidental selon lequel il va de l’intérêt de chacun de se montrer en toutes
circonstances performant au plan cognitif. Ce n’est pas le cas partout. Les chinois de Taiwan
prennent par exemple en compte l’intérêt stratégique, considéré comme signe de sagesse,
qu’il y a à montrer son intelligence ou non, selon le contexte et le but poursuivi (Yang et
Sternberg, 1997). Dans certaines sociétés africaines l’intelligence se divise en deux
composantes, l’une sociale privilégiant les rapports interpersonnels, l’autre technologique,
mettant l’accent sur les capacités cognitives telles que le raisonnement et la mémoire
60
(Mundy-Castel, 1974). Les travaux des anthropologues soulignent également le rôle central
de la notion de sagesse sociale dans les théories traditionnelles marocaines.
2.2.2. Dépasser le modèle traditionnel d’intelligence
Certains psychologues mettent l’accent sur la nécessité de dépasser le modèle
traditionnel d’intelligence et de quotient intellectuel, caractérisé par une démarche de
classification, pour atteindre un modèle mettant l’accent sur la description et le conseil, plus
à même d’apporter une compréhension du fonctionnement des sujets et une aide
potentielle (Samuda, 1998, p173). L’accent doit ainsi être mis sur la compréhension des
performances d’un sujet, avec comme but d’apporter une aide et des recommandations.
Ainsi, l’utilisation de chaque exercice du test doit avoir pour but de décrire ce que le sujet
sait faire ou pas, et ce qu’il serait capable de faire avec de l’aide.
La définition que Gibello donne de l’intelligence, ou plutôt des conduites cognitivointellectuelles permet de rendre mieux compte de la variabilité culturelle que les définitions
classiquement apportées. Il entend par là « tous les comportements par lesquels un sujet
manifeste ses capacités d’identifier les choses et les gens de son environnement, de
percevoir les structures, d’interpréter les symboles, d’anticiper les conséquences d’une
action, d’une situation ou d’un évènement » (Gibello, 1984, p. 43).C’est grâce à ces facultés
que le sujet peut participer à sa culture et organiser sa vie et ses relations aux autres. Gibello
ne pense pas l’intelligence en termes de performances. Son concept de « contenants
culturels » correspond à ce qui est partagé par tous les membres d’un groupe culturel et sur
lesquels viennent s’étayer les processus de pensée. Cette théorisation permet de mieux
comprendre ce qui se passe pour les enfants de migrants confrontés à une effraction ou à un
61
manque de consistance de ce contenant culturel dont la constitution est complexifiée par un
développement des structures cognitives à la croisée de plusieurs cultures.
Le Du (2003) rappelle que la conception de la passation de nombreux tests repose sur
l’idée de confronter la personne évaluée à un dispositif inconnu. Le postulat sous-jacent est
probablement que le psychisme « en soi » se révèle dans ce type de condition, alors qu’une
connaissance préalable des épreuves et du matériel, et donc des réponses potentielles à
fournir, biaiserait l’examen. Mais, le dispositif, est-il vraiment toujours inconnu des enfants
et des adolescents ? La familiarité avec la situation d’examen paraît en effet être un élément
important à prendre en compte. À défaut, il y a un risque d’erreurs à comparer ce qui n’est
pas comparable : en l’occurrence, à niveaux intellectuels identiques, la performance d’un
enfant déjà familiarisé avec la tâche et celle d’un autre qui ne l’est pas (Troadec et al. 2011).
Les tests d’intelligence les plus utilisés aujourd’hui en France sont les trois échelles de
Wechsler (WIPPSI, WISC et WAIS), le test de Brunet-Lézine et le K-ABC (Castro et al. 1996).
2.2.3. L’évaluation du développement du très jeune enfant en situation
transculturelle
Concernant l’évaluation du développement du très jeune enfant (avant trente mois),
l’outil de référence est l’échelle de Brunet-Lézine (Josse, 1997) qui propose de comparer le
bébé à une norme développementale issue d’un groupe de référence et donc définie par la
majorité. Lézine affirmait elle-même la nécessité de valider l’épreuve pour la population
pour laquelle elle serait destinée. Un nouvel étalonnage du test de Brunet-Lézine a ainsi été
construit en Algérie par Bioud-Korso Feciane et Bouabdallah présentant globalement « une
avance dans le domaine postural, et des compétences moindres dans le domaine de la
62
coordination oculomotrice » (Bioud-Korso Feciane et Bouabdallah, 1994, p. 7) par rapport à
des enfants de même âge et européens. Une première période étudiée par Bioud-Korso
Feciane et Bouabdallah (1994) va de 1 mois à 12 mois (la « première année »), puis une
seconde période jusqu’à 30 mois (2 ans ½). 956 enfants ont constitué le premier échantillon
(80 bébés par tranche d’âge de 1 mois à 12 mois) qui est qualifié de représentatif de la
population algérienne. Les résultats de l’étude algérienne montrent qu’il existe des
différences non négligeables entre le développement de l’enfant algérien et celui de l’enfant
français. Cette différence s’exprimerait dans le rythme des acquisitions, plus rapide chez les
bébés algériens, notamment dans le domaine postural, au niveau du langage, et aussi de la
sociabilité. Au total, 65 % des items de l’échelle sont acquis plus tôt par les bébés algériens,
âgés de 1 à 12 mois. « La relative précocité des bébés algériens peut être liée à de nombreux
facteurs. Parmi les nombreuses explications possibles, le contexte culturel et éducatif
semble jouer un rôle important sur certains axes du développement » (Bioud-Korso Feciane
et Bouabdallah, 1994, p. 32). Le test de Brunet-Lézine s’il semble exportable et adaptable
d’une culture à l’autre doit être ré-étalonné pour chaque groupe de référence.
Par ailleurs, les représentations d’un enfant ayant des difficultés de développement
varient d’une culture à l’autre. C’est pourquoi des chercheurs ont développé le PSYCa 3-6
(Psychological screening for young childrende 3 à 6 ans), un outil de dépistage des difficultés
psychologiques du jeune enfant amené à être validé dans de nombreux contextes culturels,
et utilisable notamment en situation humanitaire (Marquer et al. 2012 ; Mouchenik et al.
2010). Il s’agit de 22 questions concernant la psychopathologie générale de l’enfant
(dépression, anxiété, psycho-traumatisme, troubles psychosomatiques….). L’outil a été
élaboré sous forme d’hétéro-questionnaire, les questions étant posée à la personne en
charge de l’enfant. Grace à des adaptations et à des validations transculturelles, ce test
63
prend en compte les représentations spécifiques de chaque contexte et permet un dépistage
des enfants en difficulté.
2.2.4. L’évaluation cognitive de l’enfant d’âge scolaire en situation
transculturelle
Pour les enfants plus âgés, la question de l’adaptation est plus complexe du fait d’une
influence plus grande du contexte au fur et à mesure que les enfants grandissent sur la
construction des compétences cognitives. Ainsi pour toutes les raisons vues plus haut un
simple ré-étalonnage est insuffisant.
Adapter le matériel
Certains auteurs ont cherché à modifier le support des tests afin d’en rendre l’usage
plus familier aux membres de la culture concernée. Par exemple, dans leur développement
d’une mesure spécifique de l’intelligence d’enfants zambiens, Kathuria et Serpell (1998)
prennent en compte une recherche montrant que les enfants zambiens reproduisent des
formes plus fidèlement en utilisant des bandes de fil tressées que ne le font les enfants
anglais, qui eux surpassent les zambiens pour reproduire les mêmes formes avec un crayon
et un papier. Les auteurs ont ainsi développé le Panga Munthu Test, qui propose aux enfants
l’image d’une personne, puis leur demande de construire à leur tour une personne qu’ils
imaginent en utilisant de l’argile ou des fils tressés. Ainsi les compétences sont mises à jour
par une activité habituelle pour ces enfants, activité jugée comparable au dessin dans les
sociétés occidentales.
64
De même une étude avec des enfants Kanaks (Cottereau-Reiss, 2001) prend en
compte les activités familières des enfants. Les auteurs comparent les réussites entre deux
groupes d’enfants, l’un kanak et l’autre européen, à deux taches similaires : les cubes de
Khos et un exercice inspiré de jeux traditionnels, le kellö, les deux épreuves demandant
l’activation des mêmes types de performances cognitives. Comme il était attendu, les kanaks
réussissent mieux l’épreuve du kellö tandis que les européens réussissent mieux avec les
cubes de Khos. L’utilisation, sur place, du test du kellö parait donc plus appropriée que celle
des cubes de Khos. La recherche rend également compte de l’importance de l’apprentissage
dans la qualité des performances. Les chercheurs s’aperçoivent ainsi que les enfants
réussissent bien mieux quand ils ont l’expérience de la tâche : une séance d’initiation au
cubes pour les kanaks et au kellö pour les occidentaux permet de gommer les différences.
Cette constatation alimentera une autre piste de recherche pour l’adaptation des tests :
celle de l’introduction d’items d’apprentissage que nous développerons plus loin.
Evaluer des processus
Lautrey en 2002 souligne que l’idéal serait de pouvoir évaluer non pas les
performances intellectuelles mais les mécanismes, processus, et stratégies sous-jacents. En
effet, les premières sont observables par un psychologue, les seconds ne le sont pas et ne
peuvent donc être qu’inférés. Des performances identiques peuvent alors être produites par
des processus ou stratégies qualitativement différents. Si « on sait mesurer des
performances cognitives, […] c’est une mesure assez globale qui ne renseigne pas sur les
processus » (p. 185). En effet, si les performances sont définies comme les comportements
d’autrui directement observables par un psychologue, les processus, dont on ne doute pas
65
qu’ils existent, ne le sont pas. L’examen psychologique en situation transculturelle devait
ainsi privilégier les épreuves permettant d’observer une manière de faire et non un produit
fini et de privilégier les taches pouvant être explicitées et travaillées en commun, afin de
pouvoir s’imprégner des stratégies cognitives du sujet. Debray en 1983, note qu’il faudrait
pouvoir apprécier pour tout examen psychologique comment l’enfant s’organise face aux
taches diversifiées que le bilan propose, avec un intérêt particulier aux stratégies de pensée,
aux procédures de raisonnement ainsi qu’à l’expression fantasmatique sans tenir compte
des spécificités culturelles (Debray, 1983).
Concernant les tests les plus utilisés par les psychologues, rappelons que le WISC
contient de nombreux biais culturels, les subtests verbaux demandent une connaissance très
fine du vocabulaire et les subtests d’organisation perceptive requérant une grande
connaissance du mode de vie occidental, avec de nombreux objets familiers surtout aux
enfants occidentaux, comme le piano, un distributeur de boissons… Les concepteurs du KABC ont fait un effort important pour limiter l’impact du niveau socio-culturel sur les
résultats. Leur démarche a notamment consisté à mesurer davantage des processus que des
résultats : les échelles sont organisées en processus séquentiels et processus simultanés
dans le but de discriminer le type de taches correspondant le mieux au sujet. Ils ont cherché
à minimiser le rôle des connaissances acquises lors de la résolution des problèmes afin
d’éviter la contamination de la mesure des processus mentaux par les connaissances. Ils ont
également limité à un seul sub-test l’usage du chronomètre et ont ajouté des items
d’apprentissage. L’accent est par ailleurs mis sur la nature visuelle plutôt que verbale des
stimuli et contient une échelle non-verbale renforcée dont les consignes sont très simples et
peuvent être données par des gestes. Si cela peut faciliter la passation en cas de difficulté
66
importante de langage, il ne faut pas oublier que les tests non-verbaux sont biaisés
également, et que limiter l’impact du langage ne suffit pas à rendre la mesure valide.
L’évaluation dynamique, le test « aux limites » et la procédure test-retest
L’évaluation dynamique a été créée dans le but de mesurer un potentiel
d’apprentissage plutôt que de faire un état des lieux des compétences déjà acquises,
mesurées de manière « statique » avec les tests habituels. En 1934, André Rey proposait
déjà d’évaluer les sujets à la suite d’un apprentissage préalable. Pour ses défenseurs, cette
technique permet de rendre compte de la capacité d’un sujet à acquérir de nouvelles
habiletés et a bénéficier d’instructions visant à réaliser une tâche donnée (Hasson et Botting,
2010 ; Hasson et Joffe, 2007). Le score obtenu pour chaque enfant repose sur un
apprentissage effectué in situ plutôt que sur la base de connaissances acquises dans des
conditions qui peuvent différer d’un enfant à l’autre. L’évaluation dynamique « combine
[donc] évaluation et formation de la personne. Plutôt que de mesurer un état, l’objectif est
d’apprécier la sensibilité de la personne à une situation d’apprentissage » (Loarer, 2001, p.
70).
La passation de tests est alors plus fluide et plus interactive. L’expérimentateur
donne un « feedback » de manière soit explicite soit implicite, tout en développant une
relation d’interaction avec le sujet. Il ajoute des stratégies spécifiques aux procédures
standardisées, stratégies visant à rassembler des données qualitatives afin d’obtenir une
meilleure compréhension des réussites ou des échecs (Cuéllar, 1998, p. 76).Le psychologue
intervient donc activement pour proposer des aides. «La composante d’apprentissage
incluse dans le dispositif d’évaluation dynamique fournissant à tous une égale possibilité
67
d’apprendre, on peut considérer que le résultat obtenu après qu’un entraînement ou des
aides aient été apportées, refléterait mieux l’aptitude réelle de la personne à raisonner que
la performance spontanée produite sans aides » (ibid., p. 71).
La méthode du test « aux limites », consiste, au-delà des procédures d’administration
standard à explorer alors la raison pour laquelle le sujet a eu des difficultés à tel item. Le
psychologue demande alors au patient quelles difficultés il a rencontrées, ce qui peut
faciliter un contact positif. La formulation suivante peut ainsi être proposée au sujet
« certains disent que la bonne réponse est … qu’en pensez-vous ? » L’intérêt est d’essayer de
mettre à jour les mécanismes de pensée du sujet.
La procédure « test-apprentissage-retest » (TAR) consiste à réaliser deux évaluations,
voire trois, voire davantage, avec la même technique ou avec des techniques similaires. « On
intercale entre les sessions (qui sont souvent passées le même jour) une séance au cours de
laquelle sont fournies aux sujets des explications sur la manière de résoudre les problèmes
posés et sur la façon d’éviter les erreurs qu’ils ont commises » (Loarer, 2001, p. 71).
L’évaluation de l’écart de performance entre le test initial et le(s) retest(s) suivant(s) permet
alors d’identifier les sujets dont l’histoire personnelle, sociale et culturelle, n’a pas suscité de
familiarisation avec ce type de situation, alors que leurs capacités intellectuelles sont
bonnes. En effet, « si l’interprétation des performances élevées obtenues par les tests
classiques n’est pas ambiguë, celle des performances les plus faibles l’est » (p. 73).
Le recours à l’apprentissage
Enfin, il est possible de recourir à l’apprentissage par une méthode d’aide au cours du
test (AT). Il s’agit d’ « apprécier la sensibilité de la personne à l’état d’apprentissage »
68
(Loarer, 2001). Il n’y a plus de situation standard prédéfinie, mais une intervention active
pour proposer de l’aide, de préférence standardisée et hiérarchisée. « La composante
d’apprentissage inclut dans le dispositif d’évaluation dynamique fournissant à tous une égale
possibilité d’apprendre, on peut considérer que le résultat obtenu après qu’un entraînement
ou des aides aient été apportés reflèteraient mieux l’aptitude réelle de la personne à
raisonner que la performance spontanée produite sans aide » (Loarer, 2001, p. 71).
La recherche présentée plus haut, concernant la mesure d’habiletés spatiales chez
des enfants kanaks à l’aide d’un jouet traditionnel, le kellö, illustre bien l’effet de
l’apprentissage sur les résultats (Cottereau-Reiss, 2001). En effet, les auteurs s’aperçoivent
que les enfants réussissent bien mieux quand ils ont l’expérience de la tâche puisqu’une
séance d’initiation aux cubes pour les kanaks et au kellö pour les occidentaux permet de
gommer les différences qui existaient préalablement. L’introduction d’un item
d’apprentissage destiné à familiariser les enfants avec la tâche demandée suffit à minimiser
énormément le biais culturel présent précédemment.
Ainsi, « le recours à l’apprentissage, si éloigné des préoccupations habituelles des
praticiens des tests d’intelligence, apparaît comme l’un des remèdes les plus appropriés à
l’existence de biais culturels » (Le Du, 2009, p. 125). « La familiarisation à la situation de test
et au type de tâche proposé semble bien jouer un rôle de compensation des différences
socioculturelles entre les individus et améliorer ainsi leur comparabilité » (Loarer, 2001, p.
76).
Wong, Strickland, Flecher-Janzen, Ardila et Reynolds (2000) ont fait quatre
suggestions pour faire passer des tests en situation transculturelle :
69
1. le passateur doit fournir une explication approfondie des procédures du test pour que le
patient sache à quoi s’attendre, en gardant à l’esprit que certains peuvent ne pas être
familiers avec ces procédures, et sont parfois inquiets de la situation de test.
2. Le passateur doit toujours conduire un entretien approfondi avec le sujet qui fait le bilan.
Cet entretien permet de mieux connaître les influences culturelles du sujet et d’établir une
alliance positive. Par exemple, il faut se renseigner sur le niveau d’éducation.
3. Se méfier des traductions des tests et chercher tant que possible à travailler avec des
interprètes pour faire passer les tests standardisés.
4. Toujours inclure dans ses rapports l’existence de potentiels biais culturels.
Enfin, notons que Vernet, Granholm, Marshall, Malcarne, et Saccuzzo (2005),
proposent d’utiliser le temps de réaction et la dilatation de la pupille, lors d’une tâche de
reconnaissance visuelle, comme nouveaux indices de la compétence cognitive générale
(cognitive ability) ou de la capacité à inhiber de l’information non pertinente, considéré
comme étant le marqueur de l’intelligence.
Utiliser des échelles non-verbales
Enfin, pour éviter les biais culturels, les éditeurs de tests ont tendance à privilégier les
épreuves non-verbales. En effet, l’idée selon laquelle les biais seraient dus uniquement à des
problèmes de traduction et de compréhension des consignes est encore très présente.
Par exemple, le manuel du K-ABC propose de ne faire passer que l’échelle spécifique
non-verbale pour les enfants non francophones. Les concepteurs supposent ainsi qu’en
limitant les problèmes de traduction ils éviteraient les biais culturels. De même, la Wechsler
70
Nonverbal Scale of Ability (Naglieri et Brunnert, 2009), échelle uniquement non-verbale
s’adresse à la fois « aux patients sourds-muets et à ceux de langue et de culture différente »
(ECPA, catalogue français 2011).On trouve également quelques publications qui proposent
d’utiliser des échelles non-verbales avec les enfants de migrants (Taly, 2008, p. 302).
Pourtant, des recherches déjà anciennes montrent que la perception spatiale varie d’une
culture à l’autre (Berry, Poortinga, Segall et Dasen 1992 ; Harris, 1983 ; Irvine et Berry, 1988)
et que les tests non-verbaux comportent de nombreux biais culturels (Anastasi, 1988 ; Irvine
et Berry, 1988, Vernon, 1972). Nous consacrerons une partie de nos travaux à l’étude de
cette question.
2.3.
Les tests de personnalité en situation transculturelle
Comme on l’a suggéré, les émotions, la socialisation, l’inconscient, ainsi que la culture
elle-même sont des universaux. L’unité du psychisme humain fait qu’il n’y a pas de mur
infranchissable entre des personnes de culture différente et l’objectif de chercher des
méthodes pour approcher le fonctionnement psychique quelle que soit la culture est à
poursuivre, même si, comme on va le voir, la plupart des outils existants sont très saturés en
facteurs culturels.
La plupart des tests de personnalité sont constitués soit d’échelles, soit d’épreuves
projectives permettant une investigation plus approfondie des problématiques psychiques.
Les échelles ont généralement un but diagnostique et sont évidemment très saturées en
facteurs culturels.
71
2.3.1. Les questionnaires
Il existe donc deux types de démarches. La première consiste à créer des
questionnaires nouveaux émanant de la culture pour laquelle le test est construit ce qui
permet d’avoir des outils d’évaluation efficaces pour le terrain en question.
En psychiatrie, certains auteurs ont cherché à construire des outils de diagnostic et
d’épidémiologie psychiatrique intégrant des données anthropologiques. De même certains
travaux cherchent à se positionner dans cette perspective, en créant une épidémiologie
basée sur les représentations locales spécifiques à la culture étudiée, représentations
fournies par les études anthropologiques et non sur des représentations professionnelles
occidentales externes au groupe étudié. Un recueil de recherches sur la dépression, se
basant sur des travaux d’épidémiologie, de psychiatrie transculturelle, et d’anthropologie a
par exemple été publié en 1985 par Kleinman et Good. L’utilisation de ces catégories
définies par l’anthropologie permet de constater de nombreux « faux positifs » par rapport à
un diagnostic classique. Ainsi l’Hispanic Stress Inventory (Cervantes, Padilla, et Selgado de
Snyder, 1990) se base sur les caractéristiques de la population espagnole et la Vietnamese
Depression Scale (Kinzie, 1982) sur les représentations de la culture vietnamienne. D’autres
outils sont décrits dans the Handbook of tests and measurements for Black Populations
(Jones, 1996).
L’inconvénient est que ces tests sont à nouveau très saturés en facteurs culturels et
ne seront adaptés qu’à une culture très spécifique. De plus cette démarche est longue et
couteuse puisqu’elle consiste à repartir de zéro en créant un test nouveau dans sa structure
et ses composantes, en s’appuyant sur une étude de terrain approfondie.
72
Une autre démarche consiste à chercher à adapter à de nouveaux contextes culturels
des questionnaires déjà existants. Des tentatives sont alors faites en fonction des
connaissances acquises sur le terrain et le nouvel outil doit subir un grand nombre de tests
statistiques rigoureux ayant pour but d’attester de son équivalence avec le test d’origine. Si
des biais apparaissent il sera alors nécessaire de transformer à nouveau le test d’origine
pour l’adapter au nouveau contexte culturel. La technique de validation transculturelle,
comme pour les autres formes de tests doit comporter trois phases : la traduction et la
vérification de l’équivalence de l’outil, la vérification empirique de la validité et de la fidélité
du questionnaire et l’établissement de normes adaptées au contexte (Caron, cité par
Baubet, 2003 p. 93))
Par exemple, Byrne et Watkins en 2003 ont travaillé sur l’équivalence d’un
instrument utilisé pour mesurer la perception de soi chez des adolescents. Le test comporte
une partie sur la perception de soi au niveau de l’apparence et de la force physique ainsi
qu’une partie concernant la sphère sociale, c'est-à-dire la perception que l’adolescent a de
ses relations sociales avec des pairs et avec ses parents. Le test d’équivalence statistique
concernait
deux populations d’adolescents, l’une
nigérienne, l’autre
australienne.
L’application du modèle d’équation factorielle a fait apparaître que le rapport entre deux
indices différait statistiquement de manière significative : la corrélation entre la perception
de soi au niveau des capacités physiques et la perception de son attraction sociale était plus
forte pour les australiens que pour les nigériens. Cette remarque permettait de montrer que
la définition de l’attraction sociale était plus liée à la force physique chez les australiens alors
qu’elle était chez les nigériens plus corrélée avec la beauté des traits du visage. Les deux
tests, celui d’origine et celui traduit et utilisé au Niger n’apparaissaient donc pas
73
structurellement équivalents, ce qui laisse apparaître des différences culturelles dans la
perception de soi.
Parfois, si les représentations culturelles sont trop différentes il est impossible de
créer cette nouvelle version, les représentations ayant guidé la création du premier test
étant trop éloignées de celles du nouveau contexte culturel.
2.3.2. Les épreuves projectives
Concernant les épreuves projectives, il a été montré qu’elles sont également saturées
en représentations culturelles.
T.A.T, C.A.T et Patte Noire
Le TAT propose des planches faisant référence à un monde typiquement occidental :
familles restreintes, décors bourgeois, tenues vestimentaires purement occidentales.
Ombredane, en 1969 écrivait : « pour que de telles images soient propices à l’effet projectif,
les personnages qu’elles représentent en situation doivent être facilement assimilables au
sujet qui seront soumis à l’épreuve, aux êtres familiers de leur entourage et aux êtres
fantasmatiques qui peuvent occuper leur imagination ». Le manque de ressemblance entre
le monde représenté par les planches et l’univers des patients peut donc rendre
l’identification aux personnages plus difficile et limiter la projection. Le Du s’interroge :
« L’on peut se demander si une jeune fille issue d’un contexte culturel traditionaliste
parviendra à s’identifier à certaines de ces femmes ouvertement séductrices figurées dans
ce test ou bien accepter la crudité du contenu manifeste fortement sexualisé de certaines
74
planches ? » (Le Du, 2009, p. 136). C’est pour ces raisons qu’Ombredane a conçu un TAT
spécifique pour les populations du Congo belge, en créant de nouvelles planches et en
s’attachant à analyser des problématiques jugées centrales dans le contexte culturel, comme
par exemple l’autorité des parents, des chefs, de l’oncle maternel, les interdits sociaux,
l’attitude envers les ancêtres morts, la maladie (Ombredane, 1969).
Quoi qu’il en soit, si l’on veut pouvoir utiliser ce test en situation transculturelle, ce
qui n’est pas impossible étant donné l’universalité des fantasmes originels, tels que la scène
primitive, la castration, la séduction (Freud, 1915, cité par Le Du, 2003 p. 109), il faut pouvoir
chercher à discriminer les projections d’ordre culturel et celles d’ordre individuel. En effet,
l’interprétation du test repose en grande partie sur des postulats psychanalytiques, comme
la différence des générations et des sexes, qui mérite d’être contextualisée en prenant en
compte les données de l’organisation sociale régissant les relations interpersonnelles : le
concept de famille élargie, les structures de parenté, les rôles respectifs de chaque parent
mais aussi des oncles maternels…
Concernant les enfants, il convient de noter que nombreux sont les tests projectifs
qui font appel à des images d’animaux, ceux-ci apparaissant comme facilitant la projection
chez les plus petits (Bellak, 1954). C’est le cas notamment du CAT, qui comme le TAT est
constitué de planches servant de support à un récit, et du test de Patte Noire dans lequel les
enfants sont amenés à imaginer à partir d’images l’histoire d’un petit cochon à la patte
noire. Or, les animaux sont le support de représentations très variées selon les cultures, et le
choix de tel ou tel animal est loin d’être neutre. En effet, dans de nombreuses cultures
certains animaux sont associés à des pratiques religieuses, des sacrifices, des techniques
divinatoires ou des interdits. Les concepteurs du test de Patte Noire (Corman, 1961) prenant
75
en compte le statut prohibitif du cochon pour les juifs ou les musulmans ont créé une
version parallèle du test avec un petit mouton. Certains animaux ont également des statuts
très différents d’un groupe culturel à l’autre, comme par exemple le chien, animal de
compagnie en Occident, qui peut être ailleurs un animal que l’on mange ou que l’on rejette à
la rue. Le Du constate que le choix du chien pour la planche du CAT consacrée à
l’apprentissage de la propreté dans certains contextes « peut donner lieu à des angoisses de
dévoration ou fantasmes d’engloutissement plus envahissants et désorganisateurs que ne
l’auraient souhaité les concepteurs du test » (Le Du, 2003, p. 108).
Le test de Rorschach
Le test de Rorschach ne propose pas d’images explicitement imprégnées d’un
contenu latent occidental, et est à ce titre considéré comme un des tests les moins saturés
en représentations culturelles. Pourtant, de même que pour le TAT, l’interprétation doit être
très attentive aux éléments culturels et une lecture anthropologique est nécessaire
parallèlement à la lecture psychologique. La planche V a par exemple comme banalité une
chauve-souris, animal très effrayant dans le monde de croyance bambara, puisqu’elle est
« l’une des figures que peut prendre une sorcière mangeuse d’hommes » (Le Du, 2003
p107). En Algérie, les banalités apparaissant à la planche X sont l’araignée et le scorpion en
raison de la présence de celui-ci dans la vie quotidienne des Algériens (Si Moussi, 2004). Aux
Etats-Unis, les Chinois font des interprétations globales des taches d’encre, alors que les
Européens interprètent plutôt une partie de ces mêmes taches (Abel et Hsu, 1949, in Knight
et Nisbett, 2007). Enfin, les populations tribales Adivasi du Kérala, en Inde donnent des
réponses très contrôlées, freinant l’expression des affects, ce que les auteurs interprètent
76
comme une position de défense par rapport à une politique d’hindouisation mettant à mal
leur structure clanique et leur système de croyances (Salaun de Kertanguy, 2004). De
nombreux chercheurs ont montré suite à des recueils dans différents contextes culturels que
les normes retenues, que ce soient celles de Beizmann utilisées par l’école française ou
celles d’Exner contenues dans le « système intégré » ne sont pas universelles (Rorchachania,
2006). Récemment, des comparaisons par catégories socioculturelles ont mis à jour un
nombre de réponses bien inférieur dans les catégories socioprofessionnelles défavorisées
dans lesquelles les personnes d’origine migrante sont très représentées (Azoulay et al.
2007).
Le test des trois personnages
Enfin, on peut évoquer des tests qui ont été créés pour être utilisés en situation
transculturelle. Le test des trois personnages est né de la constatation qu’aucun des tests
existants n’était utilisable en Algérie où travaillait sa conceptrice, Backès Thomas en 1969.
C’est un test à support uniquement verbal où il est demandé au sujet de raconter une
histoire concernant trois personnages. Une série de questions simples facilement
traduisibles est ensuite posée afin d’ajouter du matériel projectif. Ce test semble n’entraîner
aucun blocage projectif, l’aptitude à raconter une histoire étant culturellement partagée (Le
Du, 2009). Ce test semble donc adapté à la situation transculturelle à condition de prendre
en compte les questions de langue et de traduction.
77
Le TEMAS
TEMAS est l’abréviation de «Tell-Me-a-Story » (Costantino, Malgady et Rogler, 1988).
C’est un test projectif et narratif qui a été construit par Costantino et ses collaborateurs pour
« remettre en vigueur les techniques du TAT pour des enfants et des adolescents de culture
et de langue diverses » (Costantino et Malgady, 2000). A partir de l’observation d’images, on
demande aux enfants de raconter des histoires, qu’on évalue pour obtenir des données sur
leur fonctionnement cognitif, affectif et de personnalité. Le test a été validé pour quatre
groupes ethniques représentatifs aux Etats-Unis : les Noirs, les Portoricains, les Hispaniques
et les Blancs. Il a été décrit par de nombreux auteurs comme un progrès par rapport aux
supports d’évaluation existants parce qu’il suscite chez des enfants de cultures diverses la
production d’histoires signifiantes et réduit le risque d’interprétations arbitraires (Fantini et
Bevilacqua, 2007 ; Flanagan et Di Giuseppe, 1999 ; Dana, 2000, p. 6). Une validation
transculturelle de ce test est en cours en France.
Pour pouvoir être utilisés en situation transculturelle tous ces tests nécessitent donc
une double lecture des réponses anthropologique/culturelle et psychologique/individuelle
(Le Du, 2009). Il est également nécessaire de mesurer, si c’est le cas, l’impact de l’usage
d’une langue qui n’est pas la langue maternelle. Les analyses concernant les structures du
langage, la forme des phrases, les défenses verbales utilisées, le choix des mots doivent donc
être faites avec prudence et le psychologue doit avoir en tête que la langue apprise est
souvent celle de l’usage social et scolaire, neutre et distancié contrairement à la langue
première plus proche des expériences précoces et des problématiques inconscientes. Si le
test ne peut être passé en français, l’introduction d’un tiers, le traducteur, transforme
également la situation. L’expression peut être plus contrôlée par le sujet, et le discours
78
passera nécessairement par le filtre du traducteur qui reformulera les paroles dites en
utilisant son propre système de représentations. Cette traduction, si elle est prise en compte
dans l’interprétation, n’empêche pas pour autant d’utiliser les tests. Au contraire, de même
que l’utilisation des tests peut être un support à la psychothérapie, elle peut permettre de
complexifier le sens des mots, de mettre à jour les représentations culturelles sous-jacentes
et donc d’enrichir ce qui est dit.
La Figure de Rey et d’Osterrieth
La Figure de Rey et d’Osterrieth (Rey, 1941, Osterrieth, 1944) est citée par de
nombreux auteurs comme un des tests adaptés à la situation transculturelle. En effet, les
travaux de Mesmin ont montré que ce test semblait très sensible à la problématique
migratoire et pouvait refléter la difficulté des enfants de migrants à faire des liens entre des
univers culturels différents (Mesmin et Lesage, 1995, Mesmin, 2002, 2005). La reproduction
de la figure a alors certaines caractéristiques montrant que l’enfant lutte contre le clivage,
par un mécanisme de projection. La complexité de la figure va le conduire à « trouver, au
plus profond de [lui-même], les ressources pour la dessiner exactement, ou déformer
certains traits, plus ou moins consciemment » (Wallon et Mesmin, 2002, p. 13). La figure de
Rey est également retenue par Le Du (2009) comme un test permettant d’observer les effets
de la migration, auprès du test des trois personnages (Backès Thomas, 1969), et de celui des
fables de Düss (Düss, 1950). Pour elle, « la figure de Rey peut révéler l’absence de
perception globalisante, la désorganisation temporelle, la difficile différenciation entre
monde interne et externe, le sentiment de discontinuité et le mécanisme de clivage à
l’œuvre dans la construction psychique de certains enfants de migrants » (Le Du, 2009 p.
79
111). Taly donne un exemple, en 2008, de l’utilisation de ce test avec une enfant de migrant,
interprétant le test à la lumière des remarques de ces auteurs (Taly, 2008 p. 303). Dans la
partie pratique, nous travaillerons sur ce test qui attire l’attention des cliniciens tant comme
un outil d’évaluation de l’organisation perceptive et des capacités mnésiques que comme un
support projectif.
2.4.
Les recommandations de commissions spécialisées
2.4.1. Les recommandations de l’International Test Commission
La commission Internationale des tests est une organisation à but non lucratif, créée
aux Etats Unis en 1978. Elle regroupe des chercheurs et cliniciens issus de différentes
associations nationales, impliqués dans la création ou l’édition de tests. Elle a pour but de
promouvoir un développement, une évaluation et une utilisation correcte d’instruments de
mesure en psychologie et en éducation. Vingt-quatre associations professionnelles
nationales lui sont affiliées, dont la Société Française de Psychologie, ainsi que cinquante-etune autres associations (éditeurs de tests, groupes de recherche...) et une cinquantaine de
membres individuels, chercheurs et cliniciens. Ses membres proviennent de la plupart des
pays européens et Nord-Américains, ainsi que de pays d’Asie, d’Amérique du Sud et
d’Afrique. Elle est affiliée à l’International Association of Applied Psychology (IAAP) et à
l’International Union of Psychological Science (IUPsyS).
Récemment, face à l’ampleur de la mondialisation, au besoin croissant de traduction
de tests et à l’explosion du nombre de publications sur ce sujet, la commission a entrepris la
80
création de recommandations internationales sur l’utilisation et l’adaptation des tests. Après
de nombreux colloques, elle a ainsi publié quatre textes :
-les recommandations internationales sur l’utilisation des tests
- les recommandations internationales sur l’adaptation des tests
-les recommandations internationales sur les tests à support informatique et délivrés
par internet
-les recommandations internationales sur le contrôle de qualité des tests.
Nous présenterons ici les deux premiers textes. Le premier a été traduit et publié en
français en 2003 (Vrignaud, Castro et Mogenet, 2003), et c’est ce texte que nous citerons
dans le paragraphe suivant. Il s’agit donc d’une traduction d’une version des
recommandations datant de 2000. Les recommandations sur l’adaptation des tests n’ont pas
contre pas été publiées en français et sont accessibles soit sur le site de la commission
(www.intestcom.org/itc_projects.htm), soit dans des ouvrages spécialisées (Hambleton,
Merenda, and Spielberger ; 2005, chapitre 1). Nous nous sommes donc référés à la version
des recommandations datant de 2010. Les citations tirées de ce texte sont des traductions
que nous avons effectuées nous-mêmes à partir de l’anglais.
Les recommandations internationales sur l’utilisation des tests
Les recommandations internationales sur l’utilisation des tests ont été traduites en
2003 par des membres de la commission des tests de la Société Française de Psychologie,
elle-même membre de la Commission Internationale des Tests. Elles ont été publiées en
81
français en 2003 dans la revue « Pratiques Psychologiques » (Vrignaud, Castro, Mogenet,
2003)
Le texte rappelle en premier lieu la nécessité d’établir des recommandations :
disparités importantes dans le contrôle légal de l’utilisation de tests psychologiques entre les
pays, apparition d’outils en libre accès sur internet en violation des lois sur la propriété
intellectuelle, fort besoin en psychologie du travail en raison de la plus grande mobilité
internationale. Ce texte a pour but de permettre une homogénéisation des pratiques.
Il comprend tout d’abord un chapitre sur le champ d’application des
recommandations, puis la définition des compétences requises pour utiliser des tests, d’une
part pour en assurer une approche éthique, d’autre part pour que la pratique soit correcte,
c’est-à-dire mène à des résultats exacts.
Les recommandations concernent la pratique des tests dans son ensemble. Au sujet
des aspects transculturels, il est recommandé de prendre en compte les questions d’équité
dans l’utilisation des tests :
-s’assurer que les tests ne sont pas biaisés et sont adaptés pour les différents groupes
qui vont être testés,
- s’assurer que les dimensions évaluées sont significatives pour chacun des groupes,
et que des données sont disponibles sur l’existence de différences possibles dans les
performances au test,
-s’assurer que des constats concernant le Fonctionnement Différentiel des Items
(FDI) sont disponibles et qu’on dispose de données confirmant la validité du test compte
tenu de son utilisation prévue pour les différents groupes,
82
- s’assurer que les effets de différences intergroupes non pertinentes par rapport à
l’objectif principal de l’évaluation sont minimisés (différences de motivation pour répondre
ou compétences en lecture par exemple).
Il est recommandé aussi d’être attentif à la langue de la personne examinée :
-informer les personnes testées de la langue ou du dialecte pour lesquels le test est
considéré comme approprié,
-dans la mesure du possible donner les consignes du test dans la langue principale
des personnes testées, même quand le contenu du test a été conçu pour fournir des
informations sur les connaissances et les compétences dans une seconde langue.
Enfin, dans leurs interprétations, les utilisateurs de tests sont invités notamment :
-à bien comprendre les échelles utilisées, les caractéristiques des normes ou des
groupes de référence, et les limites des scores,
-à prendre des mesures pour minimiser les effets sur l’interprétation du test des biais
éventuels que l’utilisateur pourrait introduire à l’encontre des membres du groupe culturel
auquel appartient la personne testée,
-à utiliser des normes ou des groupes de références appropriés lorsqu’ils sont
disponibles,
-à interpréter les résultats à la lumière des informations disponibles sur les personnes
testées (dont la culture) en prenant en compte de manière adéquate les limitations
83
techniques du test, du contexte d’évaluation et des besoins de ceux qui ont un intérêt
légitime dans les résultats du processus,
-à prendre en compte les critères de validité, concernant la variable mesurée pour les
membres du groupe démographique auquel appartient la personne testée (groupe culturel,
âge ou classe sociale par exemple),
-à être attentif aux stéréotypes sociaux se rapportant au groupe auquel appartient la
personne testée et à éviter d’interpréter le test d’une façon qui perpétue de tels
stéréotypes,
- à prendre en compte tout indice d’une familiarisation antérieure avec le test
lorsqu’il existe des données disponibles concernant l’effet d’une telle familiarisation,
-lors de la communication des résultats, à s’assurer que le niveau de technicité et de
langage sont adaptés au niveau de compréhension des destinataires.
Les recommandations internationales sur l’adaptation des tests
Les recommandations s’adressent aux constructeurs et éditeurs de tests. Elles
rappellent que les biais culturels doivent être minimisés au maximum.
Concernant l’adaptation des tests à des populations de différentes langues et
cultures, les éditeurs et constructeurs de tests doivent :
-s’assurer que la langue utilisée dans l’ensemble du test (consignes, rubriques, items,
manuel) est appropriée pour toutes les populations pour lesquelles des versions adaptées
sont prévues,
84
-s’assurer que les techniques de test, le format des items, les conventions du test, les
procédures, ainsi que le contenu des items et le matériel sont familières à toutes les
populations prévues,
-apporter la preuve de l’équivalence de toutes les versions, par des procédures
statistiques adaptées : ils doivent avoir établi l’équivalence de tous les items et identifié les
biais, composants problématiques ou aspects de l’instrument qui pourraient être inadéquats
pour une ou plusieurs populations prévues,
-apporter des informations sur l’évaluation de la validité du test pour chaque
population prévue,
-si les différentes versions comportent des questions différentes du fait de la non
équivalence de certains items, les résultats des différentes populations ne peuvent plus être
comparés entre eux.
Concernant l’administration :
-Les développeurs de tests doivent anticiper les problèmes potentiels et faire en
sorte d’y remédier par la préparation de matériels et d’instructions adaptés.
-Les administrateurs doivent être attentifs à tous les facteurs liés au matériel ou aux
procédures d’administration qui peuvent atténuer la validité des conclusions apportées par
les résultats au test.
-les instructions d’administration doivent être à la fois dans la langue visée et dans la
langue première du test pour éviter l’influence de biais sur les scores
85
-Le manuel doit spécifier tous les aspects de l’instrument et de son administration qui
nécessitent d’être examinés dans le cas d’une application dans un autre contexte culturel.
-L’administrateur doit peu intervenir et les interactions avec le sujet doivent être
minimisées. Des règles explicites doivent être indiquées et suivies précisément.
Concernant l’interprétation des scores :
-Quand un test est adapté pour être utilisé dans une autre population, les
changements apportés doivent être documentés et l’équivalence doit être prouvée.
-Les différences de score entre des échantillons de populations différentes ne doivent
pas être considérées à leur juste valeur. Les chercheurs ont la responsabilité de justifier les
différences avec d’autres évidences empiriques.
-Des comparaisons entre populations ne peuvent être faites au niveau d’invariance
qui a été établi pour l’échelle pour laquelle les scores sont reportés.
-Les développeurs de test doivent apporter des informations spécifiques sur la façon
dont les contextes socio-culturels et écologiques peuvent affecter les performances aux
tests, et doivent proposer des procédures pour prendre en compte ces effets dans
l’interprétation des résultats.
2.4.2. Les recommandations de la Conférence de Consensus en
Psychologie
En 2010, la Fédération Française des Psychologues et de la Psychologie (FFPP) a mis
en place des Conférences de Consensus organisées en thématiques et visant à regrouper les
86
spécialistes d’une question. La division n°6 concernait les « aspects interculturels de
l’examen psychologique ». Leurs conclusions sont reportées ici :
• Selon une démarche personnelle, développer une sensibilité ou un intérêt pour l’altérité
culturelle, par l’expérience vécue de cette altérité, impliquant l’acceptation d’être
culturellement transformé ou métissé.
• Préalablement à l’examen psychologique en situations interculturelles, caractériser
l’enfant ou l’adolescent qui en est l’objet, en co-construisant l’appartenance culturelle de
l’enfant et de l’adolescent et en identifiant les enjeux sociopolitiques de cette appartenance;
en évaluant le degré d’acculturation de l’enfant ou de l’adolescent à la société française et
en tenant compte de ce niveau pour définir les conditions de possibilité de réalisation de
l’examen psychologique ;en évaluant la qualité du bilinguisme en langue maternelle et en
langue française de l’enfant ou de l’adolescent et en faisant appel à un interprète ou un
médiateur si la situation l’exige.
• Choisir en toute conscience une ou plusieurs techniques d’évaluation des fonctions
psychiques de l’enfant et de l’adolescent, après avoir clairement identifié leurs limites
(traductions indisponibles, biais de construits, biais liés au matériel, étalonnages
indisponibles, absence d’adaptations, modélisation unitaire de l’interprétation) de telle
façon à pouvoir contextualiser les résultats.
• Réaliser l’examen psychologique dans les langues parlées par l’enfant ou l’adolescent,
notamment la langue maternelle.
• Adopter un système d’interprétation ou modélisation du développement affectif, cognitif,
social, de l’enfant et de l’adolescent, qui soit pluraliste, c’est-à-dire qui reconnaisse que des
87
performances culturellement différentes (ou comportements observables via des
techniques) puissent être de même qualité ou bien de même niveau de compétences.
• Utiliser systématiquement la procédure « test-apprentissage-retest », dans le cadre d’une
évaluation dite dynamique, lorsque les performances d’un enfant ou d’un adolescent
obtenues avec une évaluation classique sont faibles, et cela quelle que soit sa culture
(française ou autre).
• Inscrire dans toutes les formations universitaires, notamment les formations
professionnelles, un enseignement relatif à la psychologie (inter)culturelle et aux aspects
interculturels de l’examen psychologique de l’enfant et de l’adolescent.
• Solliciter les éditeurs de tests pour réaliser des études préalables sur les biais, pour
traduire et étalonner les tests les plus courants dans les langues les plus parlées et pour
diffuser largement, via les manuels, les informations relatives aux biais identifiés et aux
adaptations et traductions existantes.
3. La clinique transculturelle : une clinique spécifique
La clinique transculturelle ethnopsychanalytique, telle qu’elle a été théorisée par
Moro et ses collaborateurs apporte des éclairages sur le travail avec les migrants et enfants
de migrants. Dans le sillage de G. Devereux, elle aborde les enjeux de cette situation
transculturelle de rencontre, insistant notamment sur l’usage des langues maternelles et les
richesses de la traduction, l’importance d’une utilisation complémentaire de l’anthropologie
et de la psychologie, de la prise en compte de la subjectivité et du contre-transfert, et de la
co-construction d’un sens au cours du travail clinique. Elle explore les problématiques
88
spécifiques rencontrées par les migrants et leurs enfants et les prend en compte dans la
prise en charge clinique. Enfin, cette clinique insiste sur la richesse de la diversité culturelle
et les enjeux des rencontres entre cultures en montrant la fécondité du voyage entre les
mondes et la richesse autant que la complexité inhérente à l’exploration d’autres modes de
pensée. Les auteurs montrent combien ces questionnements ne peuvent être menés avec
une pensée binaire organisant le monde en catégories, mais doivent accepter tant la nuance
que la complexité. Les questions traitées ici, celles de la construction et de l’adaptation de
tests à la situation transculturelle ainsi que de l’analyse de résultats sont directement
concernées par leurs réflexions et incitent à construire une pensée nuancée, acceptant les
contradictions et la complexité, ne cherchant pas à gommer les différences par souci de
simplification mais valorisant au contraire les contrastes et les écarts entre les cultures. Leur
pensée souligne également l’importance de partir du terrain dans une démarche
pragmatique et non uniquement théorique.
3.1.
Une méthodologie
La situation de bilan est une rencontre, dont les enjeux doivent être explicités. Les
travaux de Devereux, de Nathan et de Moro notamment ont permis de mettre à jour des
enjeux propres à la situation transculturelle dans tout travail clinique, et de construire une
méthodologie dont certains aspects doivent être appliqués à la situation de bilan.
89
3.1.1. Le complémentarisme
Devereux attache une grande importance à la méthode de recherche en
ethnopsychiatrie, et il consacre une grande partie de son œuvre à construire une
épistémologie de la discipline. En effet, il mesure combien celle-ci est centrale dans la
construction du savoir : la méthode transforme les faits bruts en objets de connaissance
scientifique dans la mesure où chaque observation est une reconstruction établie à partir de
ce qui se donne à voir et de ce que le chercheur perçoit par un travail de catégorisation et
d’appropriation faite de choix méthodologiques et teintée de subjectivité.
L’épistémologie de la complémentarité date de 1972 et constitue un apport
considérable à la discipline qui utilise à la fois la psychiatrie et l’ethnopsychiatrie. Avant
Devereux le lien entre les deux disciplines n’avait pas été étudié en tant que tel. Cette
épistémologie est composée de trois principes. Tout d’abord celui de la spécificité
disciplinaire selon laquelle différents énoncés de la science ne peuvent concerner que des
aspects fragmentaires du réel. Pour pratiquer l’ethnopsychiatrie les éclairages
psychologiques et ethnologiques sont tous deux indispensables mais doivent être articulés,
sans que l’une des disciplines ne soit utilisée comme instrument au service de l’autre ou
pour pallier ses carences. Les chercheurs devront donc « procéder à des découpages de
noyaux de significations analysés à l’aide de méthodologies différenciées » (Laplantine, 2007
p. 65).
Le second principe est celui de la non-simultanéité. Il a été inspiré du principe
d’incertitude d’Heisenberg qui a montré en 1927 qu’on ne pouvait à la fois étudier la
position et la vitesse d’un électron car l’étude de l’un modifie la perception de l’autre. De la
90
même façon Devereux montre qu’on ne peut tenir au même moment un discours
psychiatrique et un discours ethnologique.
Les deux disciplines doivent donc être disjointes méthodologiquement, alors même
qu’étant donné la conception adoptée par Devereux du rapport entre psychisme et culture,
les deux démarches sont incluses épistémologiquement, social et psychisme étant en
quelque sorte l’envers et l’endroit d’une même chose.
Le troisième principe est celui de la complémentarité ethno-psychiatrique. Tout
travail de bilan en situation transculturelle doit donc utiliser à la fois la psychologie et
l’anthropologie, c’est-à-dire être à l’écoute tant du psychique que du culturel. Pourtant les
deux démarches doivent être faites successivement et non simultanément afin d’éviter que
chacune des lectures ne modifie l’autre. Enfin, Devereux insiste sur la prise en compte de la
subjectivité et du contre-transfert du chercheur (Devereux, 1980).
3.1.2. La prise en compte de la subjectivité et du contre-transfert
culturel
Le chercheur est impliqué dans sa propre pratique et peut influencer son objet
d’étude. D’abord parce qu’il est un individu qui est né et qui vit dans une société donnée ce
qui influence ses représentations. Ensuite parce qu’une partie de ses représentations sont
inconscientes et échappent ainsi au contrôle et à la volonté de se prémunir de son influence
en utilisant des instruments scientifiques les plus objectifs possibles. La recherche d’une
pure objectivité n’est pas le moyen préconisé par Devereux pour avoir accès à une image la
plus fidèle possible d’un fait humain. Pour être la plus scientifique possible, de même que le
psychanalyste sait n’avoir accès qu’à des données transférentielles sur son patient, le
chercheur doit être à l’écoute de sa subjectivité et notamment de son contre-transfert
91
culturel, c'est-à-dire de ses réactions inconscientes par rapport à la société qu’il rencontre,
et qui le transforme nécessairement. Laplantine rappelle qu’il disait à tous ses élèves : « si
vous voulez devenir des anthropologues, vous devez passer par la psychanalyse. Parce que si
vous n’êtes pas psychanalysé vous allez projeter vos fantasmes sur les autres » (Laplantine,
2007, p. 12).
Le chercheur se doit également de chercher à rester toujours dans une distance
adaptée à l’étude : s’il est trop près, soit parce qu’il étudie sa propre société de référence,
soit parce qu’il adhère totalement à celle qu’il étudie, il devient incapable d’observer le
système de représentation d’un autre que lui-même. A l’inverse, une trop grande distance
empêche le chercheur d’être entraîné vers autre chose que le connu et de faire de véritables
découvertes, tout étant alors réduit à ce qu’il connaît déjà.
Ainsi, la prise en compte de cette subjectivité permet une rupture épistémologique
par rapport à l’illusion d’une perception spontanée. Le chercheur en ethnopsychiatrie sera
ainsi influencé à la fois par le modèle que sa société utilise pour comprendre la maladie
mentale et par le modèle de la société étudiée qui a un impact sur lui. De même que le
psychologue est influencé à la fois par les théories et les techniques qu’il utilise pour
comprendre son patient que par le patient lui-même et ses propres théories (notamment
culturelles) qui ont un impact sur lui.
Comme le défend Devereux dans « De l’angoisse à la méthode » (1980), la
modification du phénomène étudié par l’observateur ainsi que la déformation inévitable
induite par l’inconscient du chercheur ne doit pas seulement être limitée par une recherche
d’objectivation qui annulerait l’implication du chercheur ou préviendrait les résultats de son
influence. Au contraire, cette subjectivité est source d’information et il faut l’exploiter en
92
analysant notamment le contre-transfert qu’il vit pendant sa recherche, c'est-à-dire « en
tenant compte des effets de la différence sur nous-mêmes et de nos réactions en retour »
(Moro, 2002, p. 182). La démarche de bilan est une démarche de recherche devant prendre
en compte les éléments transférentiels.
Pour qu’un travail soit possible, les psychologues doivent donc apprendre à se
décentrer et à analyser leur transfert et contre-transfert, sans en omettre la dimension
culturelle : le contre-transfert culturel. Il s’agit de prendre en compte les affects éprouvés
par les thérapeutes en cours de séance, et l’influence qu’ils ont eu sur leurs pensées et leurs
interventions. La représentation que le thérapeute se fait de l’altérité, de ce qu’il est capable
de percevoir ou qu’au contraire il dénie, et de façon générale tout ce que la différence
culturelle, dans cette situation, induit en lui. Parallèlement, le décentrage « présuppose une
connaissance respectueuse et approfondie de la fonctionnalité de la culture en thérapie
transculturelle » (Moro, 2004, p119). Il a pour but d’éviter « les jugements ethnocentrés »,
et les « attitudes intérieures qui constituent un véritable obstacle à la communication en
situation ethnopsychanalytique comme par exemple l’équivalence entre des éléments
appartenant à des registres différents, l’abrasion des différences, la non-reconnaissance de
l’altérité, le déni de l’ambivalence… ou à l’autre extrême, la fascination de l’exotisme »
(Moro, 2004 ; p120). La psychologie, qu’elle soit une pratique clinique ou bien une activité
d’enseignement et de recherche, est en effet ethnocentrée de la même façon que la plupart
des activités humaines, « à cause de son enculturation dans une société particulière »
(Dasen, 1993, p. 155).
Van de Vijver et Leung, en 2000, attirent de même l’attention sur l’influence des
« jugements » ou des « points de vue » des psychologues sur les résultats dans la littérature
93
consacrée à l’adaptation de tests à la situation transculturelle. Ils assimilent ces points de
vue à des bases cognitives, ou à des partis pris qui ont un fort impact sur le résultat des
recherches (van de Vijver et Leung, en 2000, p34). Ainsi, les divergences entre cultures au
niveau social sont souvent acceptées, tandis que les différences dans le domaine cognitif
sont rejetées comme étant des artéfacts de mesure. Les réactions inconscientes que la
différence culturelle de l’autre peut susciter tant chez le clinicien que chez le chercheur ont
donc un impact sur les résultats.
3.1.3. La co-construction de sens
Troadec rappelle que selon une perspective épistémologique dite positiviste, l’enfant
ou l’adolescent examiné est conçu comme ayant des caractéristiques psychologiques
intrinsèques, indépendantes des conditions de leur observation ou de leur évaluation par un
quelconque psychologue et connaissables en tant que telles (Troadec et al. 2011). Une
connaissance de ces caractéristiques positives serait alors une image « vraie » du psychisme
de l’enfant ou de l’adolescent.
Mais selon une perspective épistémologique constructiviste, revendiquée par la
psychologie culturelle (Bruner, 1991, 2000), les caractéristiques psychologiques intrinsèques
de l’enfant examiné par un psychologue dépendent, non seulement de déterminants
neurobiologiques et de son milieu social et culturel, mais aussi de la façon dont le
psychologue les conçoit, les modélise, les observe et les évalue. Dans ce cas, le produit de
l’examen psychologique n’est pas une image « vraie » des caractéristiques psychologiques
intrinsèques de l’enfant, mais une image socialement et culturellement co-construite par les
94
psychologues et qui convient plus ou moins bien à ces caractéristiques (par exemple,
Rosenhan, 1988).
C’est le point de vue de Moro qui insiste sur le fait qu’un apprentissage du décentrage
est nécessaire de la part du clinicien dont le but est de co-construire du sens avec le patient :
« accepter de sortir de ses propres références, se mettre à la place de celui qui parle et
accepter de comprendre à partir de ses propres logiques (culturelles et psychologiques) »
(Moro, 2002, p. 35). Elle rappelle qu’il faut pour cela accepter que l’autre a un vrai savoir sur
lui-même et son groupe d’appartenance.
3.1.4. L’importance des langues
La situation transculturelle implique le plus souvent la présence de plusieurs langues.
Chaque langue est intimement liée à la culture qui la véhicule, qui l’a façonnée et évolue
avec elle. Le patient, qu’il maitrise au non la langue du pays d’accueil a une langue d’origine
comme il a une culture d’origine, et c’est sur cette langue première que se sont ancrées ses
premières expériences. Lorsqu’il l’utilise il active alors une représentation du monde propre
à cette culture, par la façon dont les choses sont désignées, dont les mots s’organisent et se
classifient, par la façon dont les phrases se construisent. Accueillir une personne avec sa
langue est donc une manière de l’accueillir avec sa culture et de se donner les moyens de
travailler avec elle sans lui demander de dissimuler cette différence culturelle.
De plus la première langue, celle qui a été apprise en premier, celle de ses parents et
de la petite enfance est celle de l’intimité, de l’affectivité, avec laquelle se disent les choses
les plus profondes. C’est une des raisons pour lesquelles les thérapies transculturelles sont
95
pratiquées dès que possible dans la langue première souvent dite langue maternelle (Moro,
2006).
Pour cela, à moins que le thérapeute ne connaisse suffisamment la langue de son
patient, la relation doit s’établir par l’intermédiaire d’un traducteur. La présence de cette
personne, traducteur ou médiateur crée ainsi une situation clinique nouvelle (Davis, 2009 ;
de Pury, 1998 ; Ratcliff et Suardi, 2006 ; Hsieh, 2008 ; Mesmin, 2001 ; Paone et Malott, 2008;
Tribe et Tunariu, 2009).
Cohen-Emerique et Fayman (2005) montrent que le mode d’intervention des
médiateurs interculturels repose sur deux éléments principaux : la position de tiers et le rôle
de passeur d’identités. La position de tiers les distingue de celles des acteurs traditionnels
des institutions, dont celle du psychologue, et le rôle de passeur d’identités facilite la
communication entre univers culturels éloignés.
La diversité des langues est souvent perçue comme un obstacle pour entrer en
relation. En effet, un dialogue direct est impossible et une traduction ne peut jamais se faire
mot à mot, introduisant une « trahison » obligatoire des propos des protagonistes. Mais la
diversité des langues, si elle rend la rencontre un peu plus complexe du fait qu’elle introduit
une tierce personne pour traduire les propos, peut aussi être une chance pour enrichir la
pensée. Parler du monde en portant son attention sur la façon dont on en parle, sur la
langue qu’on utilise à cette fin ouvre sur une richesse multipliée de la rencontre. « La
diversité linguistique ne doit pas être considérée comme un obstacle à la compréhension du
monde, mais au contraire, comme la possibilité de multiplier et de complexifier ce que l’on
dit » (de Pury, 2005 p. 44). Les différences entre les cultures se nichent notamment dans les
problèmes de traduction et la diversité linguistique tient notre pensée en éveil, stimulée par
96
la multiplicité des dires qui constituent en creux des questionnements sur le monde et sur la
façon dont chaque langue le fait advenir. Parce qu’on parle toujours en langue, que c’est elle
qui construit notre perception.
A partir du moment où on accepte de faire surgir les difficultés linguistiques, on peut
se rencontrer avec elles. Il s’agit d’un travail sur les charnières, les intersections, et surtout
les transitions, un travail enfin sur les mots pour les interpréter. La multiplicité « nomade »
du métissage appelle une pluralité du dire et de l’écriture métisse qui ne peut plus être une
parole et une écriture « sédentaire » (Laplantine et Nouss, 2008 p. 77). Dans les thérapies
transculturelles, la traduction possède une place centrale et est souvent interrogée en tant
que telle pour approfondir une notion, développer les différents sens et sous-entendus d’un
terme employé, et ainsi partager davantage et mieux se comprendre.
3.1.5. Interculturel, multiculturel ou transculturel ?
Différents termes peuvent décrire le contact entre plusieurs systèmes culturels. Le
mot interculturel comporte un préfixe signifiant « entre » et évoque la rencontre entre deux
ou plusieurs cultures. Il est le plus fréquemment utilisé et a l’avantage d’être facilement
compréhensible. La situation de bilan psychologique étant un moment de rencontre entre
deux individus de cultures éventuellement différentes, il est le terme qui vient le plus
naturellement. Mais il a l’inconvénient de suggérer des ensembles culturels homogènes tant
du côté du psychologue que de celui du patient, et de sous-entendre qu’il s’agit de se
rencontrer quelque part « entre » ces cultures. Or, le patient comme le psychologue ont
souvent des appartenances culturelles multiples, et la situation peut inclure un grand
nombre de cultures même si elle ne concerne que deux individus. On pourrait alors parler de
97
situation multiculturelle. Mais c’est en réalité plutôt le contexte qui est multiculturel. La
rencontre, elle, doit se situer à un niveau qui permette de se comprendre et d’entrer en
relation.
Nous avons donc choisi le terme transculturel. Celui-ci, utilisé notamment par
l’anthropologue Fernando Ortiz Fernandez introduit la notion d’identités culturelles
plurielles. Il sous-entend que chaque ensemble culturel est lui-même multiple et hétérogène
et que la rencontre ne se fait pas au contact des deux ensembles, mais à un niveau supérieur
plus universel, qui seul assure la possibilité de se rencontrer malgré les différences. Le terme
rejoint donc par ces caractéristiques, le concept de situation « métaculturelle » proposé par
Devereux en 1970. Il est aussi la traduction la plus directe du terme cross-cultural, adopté
dans les pays anglo-saxons.
3.2.
Des problématiques spécifiques à la migration
3.2.1. Une vulnérabilité spécifique
Le travail d’évaluation psychologique avec des enfants de migrants pose également
des problèmes spécifiques du fait des problématiques qu’il y aura lieu d’explorer. Les
enfants de migrants ont en effet des problématiques psychologiques liées à leur vécu de
double culture et à l’expérience migratoire de leurs parents. Les recherches menées à
Bobigny par Moro ont montré qu’ils connaissaient une vulnérabilité (Anthony et al, 1978)
plus importante que les autres enfants, c'est-à-dire une moindre résistance aux nuisances et
aux agressions (Tomkiewicz et Manciaux, 1987, pp. 737-742). Celle-ci s’exprime notamment
entre 0 et 3 ans par des dépressions (surtout avant un an), indice d’une insécurité très
98
intense de la mère. Entre 5 et 8 ans, il a été observé de façon significative une présence plus
importante de troubles psychopathologiques que dans la population générale, et des
difficultés d’acquisition des mécanismes intellectuels nécessaires aux grands apprentissages
de l’école française (Moro, 2004, pp. 71-88).
Les enfants de migrants sont confrontés à plusieurs facteurs de vulnérabilité,
conséquence du traumatisme migratoire de leurs parents et de leur propre vécu de double
univers culturel : d’une part « la fragilité de leurs parents dont les repères ont été mis à mal
par la migration » (Moro, 2004, p. 103), de l’autre leur « propre fonctionnement clivé
s’appuyant sur un univers référentiel double dont les deux polarités sont mal assurées »
(ibid. p. 103) ;
Il a tout d’abord été observé que la grossesse est mal vécue par un grand nombre de
femmes migrantes (Moro, Neuman, Réal, 2008 ; Battaglini et al. 2002). En effet, dans leur
pays d’origine, le groupe a souvent une fonction contenante et sécurisante par rapport à la
femme enceinte qui vit un moment de régression, de reviviscence de ses propres conflits
infantiles, mais aussi un moment de questionnement sur sa propre filiation (Racamier,
1979). La communauté fournit à la femme et au couple un étayage et des représentations
(Moro et Nathan, 1989, pp 698-699) qui sont absents dans le contexte migratoire. La perte
du cadre culturel entraîne un vacillement des repères, les catégories et représentations qui
permettent d’appréhender le monde étant modifiées. La mère « perd l’assurance qu’elle
avait acquise dans la stabilité du monde externe, le monde extérieur n’est plus sécure et un
certain degré de confusion s’installe dans sa manière de se représenter son enfant et de s’en
occuper» (Moro, 2004, p. 90). Or la réalité de l’enfant se constitue à travers sa première
relation à sa mère (Stern, 1985), qui lui présente notamment un monde (Winnicott, 1949)
99
« kaléidoscopique » (Moro, 2004, p. 90). L’enfant grandit dans un contexte d’angoisse
latente et d’insécurité, générateur de doute narcissique. Il existerait une vulnérabilité
particulière des enfants nés durant la période de fragilité familiale qui se situerait aux
alentours de l’arrivée des parents dans le pays d’accueil.
Ces enfants risquent donc tout particulièrement de ressentir une angoisse et une
insécurité liées à une carence de contenance maternelle : une carence de contenance
corporelle liée aux gestes du maternage, mais aussi une carence de contenance culturelle,
l’appréhension d’un monde sécurisant perçu grâce à des catégorisations et des
représentations cohérentes, participant au bon fonctionnement des processus de pensée
d’après Gibello, 1994. Enfin le bain affectif, les pensées de la mère qui entourent l’enfant,
l’apaisent et l’humanisent, sa capacité d’imagination intuitive que Bion appelle rêverie et qui
accueille les projections-besoin du bébé, tous ces éléments peuvent être fragilisés par la
migration.
Puis les enfants de migrants grandissent au contact de plusieurs environnements
culturels différents : celui de leur famille et celui du pays d’accueil représenté notamment
par l’école. Cette situation, dans laquelle ils doivent structurer leur personnalité et
construire leur identité, les amène souvent à opérer un clivage entre les deux univers
culturels. On peut parler de problématique de l’entre-deux, caractérisée par le double lien,
la double appartenance culturelle, entraînant une difficulté à se situer à travers l’ensemble
des messages qui peuvent apparaître comme antinomiques, véhiculés par la famille et
l’environnement social (Mesmin et al. 1995). La difficulté à faire des liens, à se métisser et à
construire une identité cohérente dans ce contexte est d’autant plus forte lorsque le monde
100
dans lesquels ils vivent est mal connu des parents, et que l’école méconnait la différence
culturelle et refuse le décentrage obligatoire pour les accueillir (Moro, 2012).
Dans ce contexte l’enfant peut se sentir tiraillé entre parents et école. On peut parler
de « conflit de loyauté », qui provoque un sentiment de culpabilité inconscient. Il leur est
parfois difficile de s’inscrire dans le monde scolaire français car « le prix à payer
fantasmatique est trop important, c’est celui de la rupture affective avec leurs parents »
(Moro, 2004, p. 94). De même, l’investissement d’une nouvelle langue peut être
culpabilisant du fait d’un sentiment, inconscient, de rejeter ou de trahir la langue et la
culture maternelle. Ainsi, l’enfant se trouve face à un dilemme inconscient à savoir adopter
la langue et la culture du pays d’accueil et s’éloigner de ses parents ou refuser les
apprentissages et ne pas s’intégrer » (Berthelier, 2006). A l’école, l’enfant ne s’autorise pas
toujours à réussir, car « qu’il apprenne ou qu’il n’apprenne pas, il ne pourra pas faire
l’économie d’une trahison à l’endroit d’un clan ou de l’autre », attitude parfois induite par
les parents pour qui « apprendre c’est se séparer, s’intégrer c’est abandonner » (Yahyaoui,
1991).
3.2.2. Les enfants de migrants à l’école
L’entrée à l’école correspond pour les enfants de migrants à une rupture plus
importante encore que pour les autres enfants, du fait du changement d’univers culturel
Nicoladzé parle de traumatisme, de vécu d’insécurité, d’instabilité émotionnelle liée à la
rupture d’avec les modèles parentaux et à la coupure d’avec la fusion parentale (Nicoladzé,
1993 p. 69). Ces enfants sont en effet confrontés, au-delà de la séparation avec leur mère
(qui est en elle-même souvent plus difficile que pour les autres car leur accueil collectif avant
101
l’école est plus rare) à une séparation d’avec un monde : « leurs repères affectifs,
comportementaux, environnementaux ne trouvent plus d’écho dans le monde de l’école »
(Houchon, 1997, p. 109). Ainsi celle-ci est souvent perçue comme un lieu de séparation,
voire d’abandon lorsque l’enfant ne comprend pas que ses parents le laissent dans un milieu
aussi peu hospitalier.
Houchon (1997) constate également que l’école maternelle ne permet pas de réduire
l’écart entre les élèves selon leur origine sociale ou nationale. Il démontre combien les
méthodes modernes utilisées à l’école maternelle n’aident pas l’enfant à s’inscrire dans les
rites scolaires. En effet, avant le cours préparatoire, il n’y a plus de norme réelle : ce qui est
recherché c’est l’expression de l’enfant. Celui-ci est par ailleurs acteur de ses apprentissages,
ce qui complique la compréhension qu’il peut acquérir du rôle de l’adulte. Souvent « ils n’ont
pas compris le jeu de la communication entre l’enseignant et les élèves et pourtant ils
doivent s’exprimer » (Houchon, 1997 p. 113). Il semble donc important, sans abandonner la
pédagogie active de repenser la place du maître en comprenant pourquoi elle exige
beaucoup des élèves et reste impossible pour certains n’ayant pas intégré les mêmes
évidences culturelles.
Il faut rappeler que les enfants de migrants connaissent statistiquement plus de
difficultés scolaires que les autres :« on estime à plus de 40% le nombre de jeunes de la
« deuxième génération » qui sortent de l’école à seize ans sans avoir acquis la lecture et
l’écriture » (Moro, 2004, p. 70). De même pour les enfants étrangers : « un élève étranger
sur deux a redoublé au moins une fois à l’école élémentaire alors que cela ne concerne
qu’un Français sur quatre » (Houchon, 1997, p. 102) ; un collégien français sur deux est
orienté en seconde contre un étranger sur trois (INED, 2010). Chez les enfants de migrants,
102
ces difficultés scolaires, plus importantes que pour les autres enfants, sont accompagnées de
difficultés au niveau du langage- un retard de langage qui varie entre trois mois et un an par
rapport aux enfants français à l’entrée à la maternelle, difficultés qui s’accentuent avec l’âge
(Moro, 2004, p. 70).
Pour tenter de discriminer les facteurs sociaux des facteurs culturels dans les
difficultés des enfants, une étude dont les résultats sont présentés en 2004 par Moro
compare à un groupe d’enfants autochtones un groupe d’enfants de migrants, issus de
familles ayant le même niveau socio-économique. Les conclusions montrent que les enfants
de migrants âgés de 8 ans (27 sujets) ont significativement plus de trouble psychologiques,
plus de difficultés intellectuelles et cognitives et enfin, plus de difficultés scolaires que les
non-migrants (18 sujets). A l’intérieur du groupe indemne de toute pathologie, les
différences en ce qui concerne l’évaluation intellectuelle, langagière et scolaire subsistent
(Moro, 2004, pp. 81-88).
Beaucoup de parents de migrants ont des attentes immenses par rapport à l’école.
Dans leur
imaginaire,
celle-ci, que
souvent
ils n’ont
pas connue, débouche
immanquablement sur une profession, et donc sur une réussite sociale. Cette grande
espérance des parents vis-à-vis de l’école se traduit souvent par une confiance absolue dans
ses représentants, les professeurs des écoles. « Les parents offrent leurs enfants à notre
école, à notre culture en faisant plus ou moins consciemment le sacrifice de leur propre
culture. » (Nicoladzé, 1993, p. 67).
La pression que subit l’enfant provient aussi de processus plus discrets: l’école
impose de nouveaux repères dans le temps et dans l’espace de vie, la culture française fait
irruption dans la famille, elle y bouleverse les repères. De plus les pères délèguent le plus
103
souvent le suivi de l’école à leurs femmes, ce qui apporte d’ailleurs beaucoup pour
l’insertion de celles-ci, mais amène l’école à remanier ainsi les champs d’autorité au sein des
familles. L’enfant est ainsi porteur du sentiment de réussite ou non de la migration : « par sa
réussite à l’école, il légitime le choix et justifie les difficultés portées ; ou bien par sa nonréussite, il culpabilise les parents en réactivant l’échec. » (Nicoladzé, 1993, p. 68). Ainsi, la
pression scolaire peut être très forte et avoir des conséquences sur le vécu de l’enfant par
rapport à l’école, notamment le stress, l’inhibition, la phobie scolaire, ou au contraire le très
fort investissement permettant une réussite hors du commun.
Ces constatations conduisent à interroger le facteur « migration des parents » dans la
recherche des causes de l’échec scolaire, première étape vers une tentative de résolution du
problème. Ainsi, pour réduire les difficultés de passage entre deux mondes, certains auteurs
montrent l’importance de favoriser le dialogue entre l’école et les parents immigrés
(Berthelier, 2006 ; Perregaux et al. 2010 ; Moro, 2012).
Chomentowski propose d’aborder la culture d’origine comme « un réseau de références
vécues et symboliques » qui n’est pas celui de l’école et pourrait avoir un impact sur la façon
dont ils abordent les apprentissages : « la vie scolaire est sous-tendue par une activité
métalinguistique inconsciente à laquelle sont préparés […] les enfants occidentaux. Pour
eux, la proximité sémantique avec la culture familiale et les rencontres conceptuelles,
communes aux deux champs, permettent l’élaboration d’un cadre cohérent dans lequel le
sens nourrit la progression du cheminement cognitif. Le clivage auquel l‘enfant de migrants
doit se confronter produit l’effet inverse » (Chomentowski, 2009, p. 22). Il est alors
nécessaire de prendre en compte l’aspect second de l’apprentissage de la langue française,
qui, lorsqu’elle est apprise sans médiateur, peut comporter des approximations sémantiques
104
ou grammaticales susceptibles d’handicaper l’enfant dans ses apprentissages scolaires
(Crutzen et Manço, 2009 ; Berthelier, 2006 ; Chomentowski, 2009). De même elle constate
que certaines opérations mentales ne sont pas induites par les systèmes culturels d’origine
et qu’il est nécessaire d’introduire l’enfant dans les processus cognitifs sous-jacents, de
façon préalable aux apprentissages.
Chomentowski pose l’hypothèse qu’une des causes de l’échec scolaire de ces enfants
serait une mauvaise adaptation des techniques d’enseignement utilisées, qui ne prennent
actuellement pas en compte les différences culturelles. « Du côté de l’enseignant comme de
celui de l’enfant il y a maldonne : l’un attend des modalités d’apprentissage proches de la
représentation qu’il en reçoit dans son milieu de référence, l’autre attend un élève prêt à
apprendre, tel qu’on le lui a décrit ou tel qu’il le conçoit à la lumière de son expérience
personnelle » (ibid. p. 21).
Ces travaux sont d’autant plus intéressants pour nous que les tests psychométriques
se réfèrent aux mêmes représentations culturelles que l’école. Ainsi, « l’échec scolaire
s’avérant avant tout un produit de l’évaluation », « les tests psychométriques, qui se
référent également à la pensée opératoire, viennent simplement corroborer le constat
d’échec » (ibid. p. 21). Or, cette pensée opératoire contient des opérations mentales
induites par la langue et la culture. Par exemple, Chomentowski constate que la majorité des
enfants de migrants d’Afrique de l’Ouest « ne procèdent pas, de façon spontanée à la
comparaison d’objets. Lorsqu’ils s’y essaient pour répondre aux sollicitations, les
cheminements mentaux que nous pouvons percevoir, à travers leurs commentaires et leur
action, laissent à penser une organisation visuo-spatiale différente de celle d’enfants
occidentaux de même âge ». « Ces élèves semblent atteints d’un trouble de la similarité. Ils
105
n’ont aucune aptitude à la métaphore, à la comparaison de termes équivalents par leur
fonction ou par leur sens » (ibid. p. 165) Elle travaille ainsi la notion « autant que », très
utilisée dans les consignes d’exercice, et qui ne semble pas être familière dans la culture
familiale. Derrière cette étiquette, les enfants peuvent mettre des réalités conceptuelles
différentes de nature à induire des difficultés dans la construction des apprentissages
mathématiques. D’où la nécessité de co-construire le sens de cette expression.
Ensuite, elle constate que la relation de causalité n’a pas la même évidence pour tous
les enfants. Or, certains modes de pensée, tel que l’a également décrit F. Jullien en
développant le concept de connivence, ne se réfèrent pas à une connaissance issue d’une
science positiviste née de constats de causalité. Elle fonctionne plus par proximité, l’usage
ou l’entente, mais moins sur l’explication et la démonstration. Chomentowski rappelle qu’il
n’existe pas d’enseignement de la causalité qui est mise au rang de compétences dites
transversales qui traverse l’ensemble des champs et devrait être d’emblée acquise. Cette
notion peut être enseignée, en tant que catégorie d’expérience et que type de relation. « Il
est important de proposer à nos élèves, dont le système d’origine n’a pas la même approche
du réel, des outils de mise en œuvre d’une pensée fondée sur une approche rationnelle »
(ibid. p. 169). La pédagogie doit donc prendre en compte les différences culturelles pour
s’approcher d’une égalité réelle des chances (Moro, 2012). Elle doit chercher à dépasser une
pédagogie traditionnelle « homogénéatrice et normative, cherchant à gommer les
différences quelles qu’elles soient » (Berthelier, 2006, p. 121). Il s’agit « d’encourager
l’ouverture à la diversité culturelle en tant que facteur décisif dans la construction d’une
société qui serait enfin réellement métissée » (ibid. p. 121).
106
4. L’émergence de deux axes de travail
Pour explorer les voies d’une amélioration des pratiques de bilan en situation
transculturelle, nous travaillerons dans deux directions.
Tout d’abord nous proposons de nous pencher sur une question qui semble ne pas
avoir été tranchée de manière très claire par les recherches précédentes en psychologie
transculturelle, celle des facteurs culturels dans les tests spatiaux. En effet, si beaucoup
d’écrits mentionnent l’existence de biais culturels tant dans les tests verbaux que dans les
tests non-verbaux, d’autres continuent à considérer les tests non-verbaux comme une
solution au problème des biais culturels. C’est par exemple le cas des ECPA, le principal
éditeur de tests psychologiques, qui proposent comme solution au problème des biais
culturels, la création de tests non-verbaux, n’ayant donc pas besoin d’être traduits dans
d’autres langues. Reste donc présente l’idée selon laquelle les problèmes de biais culturels
seraient d’abord liés à des difficultés de traduction et que les épreuves non-verbales
permettraient d’éviter suffisamment de malentendus pour avoir accès à une évaluation de
meilleure qualité. Nous travaillerons sur un test visuo-spatial d’autant plus intéressant qu’il a
été décrit par de nombreux chercheurs comme un test adapté à la situation transculturelle
(Mesmin, 2002 ; le Du, 2009 ; Gaudeau, 2001 ; Démarret, 2003), la Figure de Rey et
d’Osterrieth. Nous chercherons, avec une méthodologie comparative, à évaluer l’impact de
la culture sur les réalisations.
Notre deuxième axe de travail provient de la constatation que les bilans tels qu’ils
sont pratiqués actuellement explorent très peu les compétences langagières des enfants en
situation transculturelle. Pourtant cette exploration semble absolument nécessaire car dans
les contextes plurilingues qui sont les plus fréquents dans les situations en question, les
107
enfants tissent leurs compétences langagières en fonction de leur histoire et de leurs
problématiques psychiques, et l’exploration de celles-ci est très riche en interprétation. De
plus, les prises en charge et les diagnostics varient selon qu’un enfant présente des troubles
du langage généralisés, ou des difficultés dans une des langues qui l’entourent. Si,
contrairement à ce qui se fait pour les enfants mono-lingues, les compétences langagières
sont peu étudiées en situation transculturelle, c’est parce que les professionnels ne
disposent pas d’outils à même de les éclairer. Nous proposons donc d’exposer les différentes
étapes de création et de validation d’un test d’évaluation du langage en situation
transculturelle, en montrant les difficultés rencontrées, les enjeux, les techniques de
validation et les premières remarques suscitées par sa passation.
108
PARTIE PRATIQUE
109
1. Facteur culturel et tests non-verbaux : impact de la
culture sur la structuration perceptive de la Figure
Complexe de Rey et d’Osterrieth
1.1
Préalable
1.1.1 Biais culturels et tests non-verbaux
Les connaissances en anthropologie ainsi que des recherches déjà anciennes en
psychologie transculturelle montrent combien la perception spatiale varie d’une culture à
l’autre (Berry, Poortinga, Segall et Dasen 1992 ; Harris, 1983 ; Irvine et Berry, 1988).
D’autres recherches comparatives montrent également que les tests non-verbaux
comportent tout autant voire même parfois plus de biais culturels que les tests verbaux
(Anastasi, 1988 ; Irvine et Berry, 1988 ; Vernon, 1972).
Pourtant l'idée selon laquelle les biais seraient liés uniquement à des problèmes de
traduction et de compréhension des consignes est encore présente. C’est ainsi qu’en
pensant limiter les biais culturels, des épreuves exclusivement non-verbales sont nées,
comme celle de Crampton et Jerabek, 2000. De même la Wechsler Nonverbal Scale of Ability
(Naglieri et Brunnert, 2009) est vendue en France comme une évaluation générale du
fonctionnement cognitif à partir de sub-tests non verbaux s’adressant à la fois aux patients
sourds-muets, à ceux ayant de grandes difficultés de langage et aux patients de langue et de
culture différente (ECPA, catalogue 2011). Ces tests s’appuient le plus souvent sur des
tâches visuo-spatiales, avec l’idée que ces compétences seraient développées de façon
universelle par tous (Lezak, 1995).
110
Il est donc utile d’approfondir les connaissances sur les biais culturels au sein des
tests non-verbaux. En effet, « il y a un besoin important de recherches transculturelles
susceptibles d’évaluer le degré de dépendance des fonctions cognitives non-verbales aux
variables environnementales » (Korkman, 2001). Les recherches de ce type se sont
multipliées depuis deux décennies, étudiant par exemple l’influence de l’environnement sur
la notion de nombre (Pica, Lemer, Izard et Dehaene, 2004), sur la créativité (Raina, 1999,
Chen et al., 2002), sur la perception de la perspective (Ardila, Rosselli et Rosas, 1989).
La Figure Complexe de Rey et d’Osterrieth (FCRO, Rey, 1941 ; Osterrieth, 1944) est
une tâche de reproduction et de mémorisation d’une figure complexe, qui fait appel à un
travail de structuration perceptive et qui est utilisée pour évaluer les capacités
d’organisation spatiale et de mémoire visuelle. La consigne est très courte et très facilement
compréhensible par tous les enfants, quelles que soient leurs langues, et le test fait appel à
un type de tâche proche de celles utilisées par les principaux tests « d’intelligence » : les
items performance du WISC comme les cubes de Kohs ou ceux qui étudient les processus
simultanés dans le K-ABC.
Si des différences de scores entre des groupes culturels ont pu être mis à jour au test
de la FCRO, les mécanismes qui sous-tendent ces différences sont inconnues. Pour les
étudier, il est nécessaire d’observer les processus aboutissant à la réponse du sujet et donc
au score. La FCRO est un des rares tests qui le permet, à condition d’utiliser une méthode
d’enregistrement dynamique du tracé, ce que nous avons fait, afin d’observer les techniques
de réalisation d’un grand nombre d’enfants de différentes cultures.
De plus, ce test a déjà été utilisé dans de nombreuses recherches, notamment celles
de Mesmin auprès d’enfants de migrants (Mesmin, 1995, 2002, 2005), afin d’étudier les
111
effets de la migration. Le Du, en 2009 ainsi que Taly, en 2008, classent par exemple ce test
parmi les tests « recommandés en situation transculturelle », du fait de sa sensibilité à la
problématique migratoire et parce qu’il est une des rares épreuves permettant d’observer
un processus et des stratégies d’exécution et non uniquement un produit fini.
Le test a été étalonné récemment sur un échantillon de 1200 enfants de la région
parisienne, afin de réactualiser le livret de passation. Ayant participé à ce travail, aux cotés
de Wallon et de Mesmin, nous avons un accès direct à l’ensemble de l’échantillon. L’origine
culturelle des enfants fait partie des données recueillies et il est ainsi possible de procéder à
une étude comparative et d’étudier le facteur culturel. Ayant été associée au recueil, coté
l’ensemble des protocoles et participé à l’écriture du nouveau manuel publié en 2009 aux
ECPA, nous avons de plus une bonne connaissance de cet échantillon qui permet une étude
plus approfondie des différents paramètres. Nous disposons également de recueils de
données effectués selon les mêmes modalités au Burkina Faso et en Iran.
1.1.2 Présentation du test de la Figure Complexe de Rey et d’Osterrieth
Cette épreuve a été présentée pour la première fois dans un article sur « l’examen
psychologique des cas d’encéphalopathie chronique » (Rey, 1941. pp. 286-340). L’auteur
proposait ce test pour distinguer les déficits mnésiques des insuffisances d’élaboration
perceptives. En effet, il est demandé au sujet, d’abord, de recopier une figure complexe dont
il doit analyser, décomposer et organiser les éléments perçus, puis de la restituer de
mémoire. Les difficultés éventuelles de mémorisation peuvent ainsi être distinguées de
difficultés à analyser perceptivement la figure.
112
Aujourd’hui elle est toujours utilisée pour évaluer ces capacités de structuration
perceptive dite aussi organisation spatiale, ainsi que la mémoire non-verbale des sujets,
deux compétences regroupées dans le volet non-verbal de l’intelligence. Elle permet aussi
d’évaluer les compétences grapho-motrices de l’enfant.
Figure 1 : la Figure Complexe de Rey et d’Osterrieth
Modalités de passation
La passation de ce test est très simple et se déroule en trois temps :
- Copie de la figure : le modèle est montré à l’enfant (à l’horizontale, avec
l’interdiction de le tourner) et il doit le recopier, sans utiliser de règle, de gomme ou de
compas. La consigne précise est la suivante : « Voici un dessin ; tu vas le copier sur cette
feuille »
- Reproduction de mémoire : après un court moment pendant lequel on a caché
la figure, on demande à l’enfant de la reproduire de mémoire. Il n’a pas été prévenu avant
de cette seconde étape, ce qui produit un effet de surprise et évite l’anticipation. La
113
consigne est la suivante : « Maintenant tu vas refaire le même dessin comme tu t’en
souviens. »
- Entretien final : on demande à l'enfant "c’est quoi ça ?" Cette question a été
ajoutée par Mesmin au livret de passation, parce qu’elle permet une étude plus approfondie
des processus mentaux utilisés (référence ou non à un schème familier) et parce qu’elle
apporte quelques éléments qualitatifs. Si l’enfant répond un bateau par exemple, on peut lui
demander ce qui l’a fait penser à un bateau et surtout à quel moment il y a pensé, à la copie
ou à la mémoire. Ce schème familier a pu aider l’enfant à retenir la figure.
Le principe du test, pour Rey était le suivant : dans un premier temps, il s’agit
d’évaluer de quelle manière le sujet appréhende les données perceptives qui lui sont
fournies, au moyen d’une tâche où la mémoire n’intervient guère. En un second temps, on
examine ce qui a été conservé spontanément en mémoire. Le rendement mnésique est ainsi
étudié en fonction du mode d’appréhension, et l’on pourra voir quelles sont les relations
existant entre ces deux instances, l’insuffisance mnésique pouvant coïncider soit avec un
mode d’appréhension normal, le trouble étant alors limité à la mémoire, soit avec un mode
d’appréhension moins efficace, influençant le rendement mnésique (Rey, 1941).
L’étalonnage de Rey est imparfait et limité : 10 sujets de 4 à 5 ans ; 20 à 22 sujets par
groupe d’âge de 5 à 16 ans ; 60 sujets de 16 à 60 ans (en majorité des étudiants).
Osterrieth, qui a repris le travail de Rey et l’a approfondi et étendu, propose le terme
« d’opération perceptive » (Osterrieth, 1944 pp 205-353) : ce n’est ni une épreuve de
perception ni une épreuve d’intelligence, ni une épreuve de motricité, mais d’activité
perceptive. Il perfectionne la cotation de la figure : une classification en types permet de
rendre compte des étapes par lesquelles passe successivement l’enfant dans la réalisation
114
de la figure ; une cotation numérique donne le niveau de la figure en fonction de la précision
de chaque élément. Il observe également une forte influence des perturbations d’ordre
affectif.
En effet, le vécu affectif a une forte influence sur la réalisation de la figure. La réussite
à la deuxième étape requiert l’utilisation de la mémoire des acquis récents et celle-ci peut
être très perturbée si l’enfant n’est pas suffisamment disponible, trop envahi par des
préoccupations internes. Il a été ainsi montré que la qualité de la reproduction de mémoire
était fonction inverse de l’émotivité chez des adolescents de 15 ans (Kello, 1977).
A un niveau inconscient, la figure évoque aussi l’enveloppe protectrice, séparant
dedans et dehors, intérieur et extérieur (Mesmin, 2002, p. 12). En effet, elle est faite d’une
structure contenante et d’éléments situés à l’intérieur de cette structure. Un enfant qui
intègre bien la structure d’ensemble qui joue le rôle de contour, d’enveloppe, aura plus de
facilité à reproduire la figure fidèlement et même à placer les détails correctement, qu’un
enfant qui perçoit tous les éléments sans voir ce qui les relie, ce qui les structure et les
entoure. « Le jeu qui s’opère entre contenant et contenu en fonction de l’objet présent, puis
de l’objet absent mais évoqué mentalement, apparaît révélateur des capacités de retenue
interne de l’objet, ce que le sujet est pour lui-même d’un certaine façon » (Debray, 1983). De
plus, le modèle peut susciter des images inconscientes et prendre une valeur symbolique
propre à la personne. Le sujet se projette dans son dessin, en particulier à travers son image
du corps. L’aspect symétrie-asymétrie de la figure est porteur de sens : « elle suscite chez le
sujet un rappel de son propre corps, qui est à la fois symétrique et non symétrique.
L’asymétrie est une stimulation de l’imaginaire » (Mesmin, 2002 p. 12)
115
La figure est complexe et ne représente aucun objet connu. L’enfant va devoir gérer
l’abstraction, qui le met souvent en difficulté. Il est surpris par cet exercice et montre ainsi
comment il traite la nouveauté. La complexité de la figure va le conduire à « trouver, au plus
profond de [lui-même], les ressources pour la dessiner exactement, ou déformer certains
traits, plus ou moins consciemment ». (Mesmin, 2002, p. 13)
Enfin, les scores à la FCRO ont été croisés avec d’autres paramètres. Une influence du
niveau de scolarisation sur les résultats a été montrée : Ardila et Rosselli(2003) et Ardila,
Rosselli et Rosas (1989) ont constaté, en étudiant les résultats de deux échantillons
colombiens (Amérique du Sud) que les scores augmentaient avec le niveau de scolarisation
des sujets. Unverzagt, Hall, Torke et Rediger (1996) avaient également montré que parmi des
patients afro-américains âgés, les scores moyens à la copie de figures géométriques (extraits
du CERAD-NB, Morris et al. 1989) étaient meilleurs chez les patients éduqués que chez ceux
ayant été moins scolarisés. Ferrera (1967) étudie les réalisations d’enfants de 14 ans en
difficulté scolaire (en Italie). Il constate que deux-tiers d’entre eux présentent des désordres
perceptivo-moteurs décelés grâce à la figure de Rey et d’Osterrieth.
Klicpera (1983) puis Waber (1995) ont étudié les productions des enfants mauvais
lecteurs. Ils disposent chacun d’un échantillon comportant des tranches d’âge précises : de
11 ans à 14 ans pour Klicpera et de 7 à 14 ans pour Waber. Klicpera constate que les enfants
mauvais lecteurs ne se différencient pas des autres à la figure de Rey, contrairement aux
enfants dyslexiques. Waber constate, quant à lui, que les enfants mauvais lecteurs ne
parviennent pas à adopter de meilleures stratégies de construction de la figure à mesure
qu’ils grandissent, contrairement aux autres enfants.
116
Annet a comparé les performances de droitiers et celle de gauchers ; les gauchers
s’avèrent plus performants (Annet, 1992). Weinstein s’est intéressé aux résultats
d’étudiants : ceux qui suivaient un cursus de mathématique ou de sciences présentaient de
meilleurs résultats que les autres (Weinstein, 1990).
Van Sommers (1984) constate qu’en Occident le jeune enfant commence
généralement ses dessins en bas et à droite, puis qu’au fur et à mesure de la scolarisation,
avec entre autre l’apprentissage de l’écriture, l’enfant serait amené à débuter en haut à
gauche.
Enfin, Delpature a présenté à certains enfants la figure verticalement. Il constate que
les résultats obtenus par ces sujets sont moins bons que les autres.
1.1.3 La figure de Rey et d’Osterrieth en situation transculturelle
La FCRO dans différents pays
Il a été montré que les moyennes de scores à ce test varient selon l’environnement
culturel des sujets.
Ainsi, Salmon, Jin, Zhang et Grant (1995) ont montré que des personnes âgées
chinoises réussissaient moins bien à la copie de dessins que leurs homologues finois mais
mieux à la rétention en mémoire de mots.
Ardila et Moreno, en 2001, ont administré une batterie de tests neuropsychologiques
à un échantillon d’indiens Aruaco de Colombie et ont constaté que les scores à la FCRO
étaient très faibles. A l’épreuve de copie, les Aruacos ont obtenus des scores bien plus
faibles que les colombiens de Bogota et ce de manière plus marquée pour les adultes que
117
pour les enfants, ce qui s’explique d’après les auteurs par une scolarisation des enfants et
des contacts accrus avec la culture occidentale. Les résultats des enfants de Bogota et des
enfants canadiens sont par contre proches. A la mémoire, les différences sont également
très grandes, suggérant que les Aruaco ne valorisent pas la mémoire d’une figure dépourvue
de sens et que cette tâche n’est donc pas adaptée pour évaluer la mémoire non-verbale de
ces populations.
A l’inverse, Mulenga, Ahonen et Aro, en 2001 ont administré une batterie de tests
neuropsychologiques à des enfants scolarisés en Zambie et aux Etats-Unis. Les enfants
zambiens ont obtenus des résultats inférieurs dans les domaines du langage, de l’attention,
et des fonctions exécutives mais meilleures dans les tests visuo-spatiaux, notamment la
copie de figures.
Ainsi, comme le résument Rosselli et Ardila en 2003, en comparant les résultats aux
tests de structuration visuo-spatiale entre des échantillons de personnes issues de la culture
occidentale ou d’autres cultures, les scores sont parfois meilleurs et parfois moins bons,
mais en tout cas sont le plus souvent différents. Gaudreau insiste également sur le grand
intérêt que revêt l’utilisation de cette figure, même si son interprétation est complexe,
comme nous le verrons plus loin. Il regrette pourtant que les normes ne soient pas
actualisées et que « certaines catégories de personnes ne [soient] pas représentées,
notamment les personnes âgées, ainsi que les personnes récemment immigrées et qui sont
d’origine ethnique et de culture très différentes de celles du milieu culturel dominant de leur
terre d’accueil » (Gaudreau, 2001, p28).
118
La FCRO chez les enfants de migrants
Des spécificités concernant la structuration perceptive des figures ont également été
relevées dans les réalisations d’enfants de migrants.
Démarret propose la figure de Rey à 13 enfants d’origines culturelles très variées
dans le but de vérifier l’existence potentielle de décalages par rapport aux normes de la
population française. Elle observe des dispersions internes importantes, des carences
ponctuelles en matière de contrôle émotionnel et des manques de capacité de décentration
perceptives « qui se traduisent en matière de réalisation graphomotrice par des stratégies
de type syncrétique, même quand la situation est perçue de manière globale, synthétique ou
analytique » (Démarret, 2003, p. 9).
Mesmin étudie les productions de 15 enfants de CM1 de bon niveau scolaire et de 4
cultures différentes (Mesmin et Lesage, 1995) puis sept enfants d’origine culturelle variée
(Mesmin, 2002). Elle conclut des résultats que les distorsions au test de la FCRO ne peuvent
être reliées à un déficit intellectuel ni à un trouble de la structuration spatiale et qu’elles
semblent liées aux difficultés spécifiques de ces enfants « confrontés à des problèmes
d’intégration » (Mesmin et Lesage, 1995, p. 173). Elle constate également que les
réalisations de la figure par les enfants de migrants impliquent souvent un recourt au
schème familier (Mesmin, 2002, p. 258), c'est-à-dire qu’ils assimileraient la figure « sans sens
» à un élément connu, comme une maison, une fusée, un bateau par exemple et que cette
technique les aiderait à réaliser leur copie. Elle demande alors systématiquement aux
enfants « c’est quoi ça ? » pour connaître ce schème familier. Elle précise qu’elle voit dans
cette technique « non pas une incompétence par rapport à nos procédés mais une nonadaptation à la situation » (Mesmin, 2002, p. 190). Elle remarque également l’oubli de
119
certains éléments, notamment l’axe vertical qu’elle considère comme axe porteur de la
figure, séparant deux temps : le passé et l’avenir. Leur oubli serait signe de perturbations et
de perte de repères. Enfin elle observe un redressement fréquent des figures par les enfants
africains, qu’elle analyse comme une défense contre le clivage engendré par la migration
« car le schème de la maison-case permet à ces enfants de relier leurs deux mondes »
(Mesmin, 2002, p. 173).
Elle étudie également les résultats de 30 étudiants en psychologie d’origine culturelle
variable, pour lesquels elle effectue à la fois une comparaison statistique par origine
culturelle et une étude au cas par cas, dont elle déduit que « le test n’est pas « culture-free »
mais qu’en réalité les mécanismes psychiques et moteurs qu’il met en jeu, sont liés à la
culture, aux différents modes d’éducations et peut-être même à la langue » (Mesmin, 2002,
p. 191). Elle suggère alors de «mener cette étude sur une échelle plus large et d’examiner
précisément les critères qui pourraient apparaître spécifiques de l’origine culturelle des
sujets » (Mesmin et Lesage, 1995, p. 163).
Comme elle le propose elle-même, ces remarques méritent d’être vérifiées et
approfondies par l’étude de plus grands échantillons. Il serait utile en effet de comparer les
résultats avec ceux d’enfants non migrants de culture non occidentale. Le retournement des
figures par exemple, s’il peut être un effet de la migration peut aussi être une caractéristique
culturelle transmise. De même le recours au schème familier pourrait être lié à une
problématique migratoire ou être une stratégie de reproduction répandue dans d’autres
aires culturelles.
La figure de Rey est également retenue par Le Du (2009) comme un test permettant
d’observer les effets de la migration, auprès du test des trois personnages et de celui des
120
fables de Düss. Pour elle, « la figure de Rey peut révéler l’absence de perception
globalisante, la désorganisation temporelle, la difficile différenciation entre monde interne
et externe, le sentiment de discontinuité et le mécanisme de clivage à l’œuvre dans la
construction psychique de certains enfants de migrants » (Le Du, 2009 p. 111). Elle résume
ainsi les apports de Jumel, Debray et Mesmin.
Jumel montre que deux-tiers des enfants de migrants conservent l’axe médian contre
la moitié seulement des français. Il attribue à cette médiane une fonction séparatrice
dedans/dehors et interprète ce résultat en supposant que les enfants français ne restituant
pas l’axe médian attribuent cette fonction séparatrice à l’ensemble de la figure tandis que
les enfants de migrants conservent l’axe médian car ils ne peuvent attribuer cette fonction à
la globalité de la figure. Il conclut donc à une absence de perception globalisante chez les
enfants de migrants (Jumel, 2000).
Une autre recherche explore la question de l’influence de la langue dans laquelle le
test est proposé : la langue de l’école ou bien la langue maternelle. La consigne étant très
courte, cette traduction ne concerne que les phrases suivantes : « Voici un dessin ; tu vas le
copier sur cette feuille. Tu n’as pas besoin de te dépêcher » et « maintenant tu vas refaire le
même dessin comme tu t’en souviens ». L’idée sous-jacente est que les résultats semblent
refléter une problématique de clivage entre les deux cultures, qui devrait être amoindrie par
l’utilisation de la langue maternelle. Mesmin soumet l’épreuve en langue maternelle à 7
enfants âgés de 10 à 15 ans. Les résultats montrent en réalité peu de changement par
rapport à ceux attendus si l’épreuve avait été proposée en français. Elle constate que
certains enfants semblent avoir été un peu perturbés par ce protocole, car habitués à ce
qu’un étranger s’exprime avec eux en français (Mesmin, 2002, p. 259).
121
D’autres auteurs font référence à la figure de Rey comme un test adapté aux enfants
de migrants, par exemple pour aider les conseillers d’orientation-psychologues chargés de
diagnostiquer les capacités des jeunes étrangers nouvellement arrivés en France. Dosnon et
ses collaborateurs constatent que les conseillers, soit rejettent les épreuves classiques
«constatant l’inadaptation des instruments d’investigation existants à cette population »,
soit les utilisent en essayant de tenir compte des difficultés d’adaptation des sujets examinés
et donc « en assouplissant les consignes, les temps limites de passation et [par une]
utilisation non rigoureuse des étalonnages». Les auteurs notent l’utilisation fréquente de la
figure de Rey qui permet de repérer les capacités d’organisation dans le temps, l’espace, la
concentration du sujet et ses qualités d’observation, et de mémorisation. Elle fait également
le lien avec l’apprentissage d’une langue étrangère : « l’enfant peut structurer l’ensemble du
dossier et mémoriser comme lors de l’apprentissage d’une langue étrangère » (Dosnon et al.
1993 p. 84).
1.2
Problématique
L’état des connaissances actuelles est donc le suivant :
-Les scores à la FCRO varient en fonction du niveau d’éducation des sujets (Ardila et
Rosselli, 2003 ; Ardila, Rosselli et Rosas, 1989 ; Unverzagt, Hall, Torke et Rediger, 1996 ;
Ferrera, 1967).
-Les scores à la FCRO varient selon les environnements culturels (Salmon, Jin, Zhang
et Grant, 1995 ; Ardila et Moreno, 2001 ; Mulenga, Ahonen et Aro, 2001)
-Les réalisations des enfants de migrants à la FCRO présentent des spécificités
(Mesmin et Lesage, 1995 ; Mesmin, 2002, 2005 ; Jumel, 2000 ; Démarret, 2003)
122
Les deux premières remarques concernent uniquement les scores à la FCRO et non
les techniques de réalisation. On sait que ces scores varient d’un contexte culturel à l’autre
et en fonction du niveau de scolarisation. Mais des différences de score peuvent s’expliquer
par de nombreux facteurs : différences de stratégie d’exécution, d’aisance grapho-motrices,
de mémoire de travail, de concentration. Le type de structuration perceptive, c’est-à-dire la
façon dont le sujet va décomposer mentalement la figure en sous-éléments et l’organiser
perceptivement en axes structurants, est un des facteurs qui peuvent influencer le score.
C’est d’ailleurs le facteur essentiel, mesuré spécifiquement par ce test. Nous proposons
d’étudier, à l’aide d’une technique informatique adaptée, les différences éventuelles de
structuration perceptive de figures entre groupes de sujets nés et scolarisés dans des
environnements culturels différents.
En effet, si les scores diffèrent d’une culture à l’autre au test de la FCRO, est-ce lié à
des différences dans la structuration perceptive des figures ? Il semble en effet pertinent de
se demander si l’environnement culturel ne peut pas avoir un impact sur la façon dont la
figure est perçue et donc décomposée par le sujet. Les références culturelles,
l’environnement matériel, ainsi que les besoins cognitifs nécessaires à l’adaptation au milieu
ne peuvent-ils pas influencer les modes d’appréhension d’une figure abstraite ? L’idée est
d’essayer d’avoir accès non pas uniquement au score brut comme cela a été fait jusqu’à
aujourd’hui dans les recherches quantitatives, mais au processus sous-jacent pour
comprendre les variations de score.
La troisième remarque concerne des spécificités observées dans les réalisations
d’enfants de migrants. Elles ont été constatées au sein d’études de cas et aucune recherche
quantitative n’a établi de généralisation à ce sujet. Nous proposons donc d’étudier à grande
123
échelle des réalisations d’enfants de migrants à la FCRO. Est-ce uniquement l’environnement
socioculturel de la vie quotidienne qui influence les réalisations ou également les éléments
socioculturels transmis par la famille après une migration ? Pour pouvoir étudier l’impact de
la culture transmise par les parents, après une migration, sur les réalisations, nous
proposons de comparer les figures d’enfants de différentes origines culturelles tous
scolarisés dans les mêmes écoles en Ile-de-France. Si des différences apparaissent entre
groupes, nous pourrons affirmer que le test n’est pas biaisé uniquement lors de son
exportation à l’étranger mais aussi lors de son utilisation en France avec les enfants d’origine
migrante. La culture et le niveau de scolarisation étant très difficiles à distinguer lors de
comparaisons entre groupes éloignés, nous étudierons l’impact socioculturel et discuterons
la distinction entre l’influence de la culture et celle du niveau social. Par ailleurs, deux
éléments peuvent influencer les réalisations des enfants de migrants : la culture transmise
par la famille et l’impact de la migration. Nous cherchons à distinguer ces influences dans la
discussion.
1.3
Hypothèse
Nous posons deux hypothèses que nous étudierons dans deux études différentes :
-Il existe un impact de l’environnement socioculturel sur les réalisations à la FCRO et
notamment sur la structuration perceptive de la figure.
-Il existe un impact de la culture transmise, après une migration, sur les réalisations
d’enfants de migrants à la FCRO et notamment sur la structuration perceptive de la figure.
124
1.4
Méthodologie
Nous proposons donc deux études successives : l’une compare les méthodes de
réalisation des figures entre groupes d’enfants vivant dans des pays différents : au Burkina
Faso, en Iran et en France, tous scolarisés à l’école primaire ; l’autre étudie l’influence de la
culture transmise sur l’organisation perceptive des figures par des enfants tous scolarisés en
France mais d’origines culturelles variées.
Tous les recueils ayant été pratiqués selon les mêmes modalités, nous présentons
d’abord celles-ci dans une méthodologie commune aux deux recueils.
1.4.1 Recueils de données
Les passations ont été effectuées individuellement ; elles comprenaient d’abord un
dessin du bonhomme, puis une FCRO, tous deux réalisés avec un stylo numérique, dont nous
parlerons plus loin. Seules les productions à la FCRO seront analysées ici, mais le dessin
préalable d’un bonhomme a permis à l’enfant de se familiariser avec la situation et le stylo
numérique. Nous disposons de trois recueils de données : un réalisé en France (N=914), un
au Burkina Faso (N=76) et un en Iran (N=45). Tous ont été effectués sur la supervision de
Wallon et de Mesmin par des étudiants en psychologie, des psychologues ou des
professionnels de l’enfance (pour le recueil iranien uniquement). Nous avons effectué le
recueil burkinabé (N=74) ainsi que 60 protocoles dans des écoles de région parisienne. Les
consignes ont été les mêmes, l’ordre de passation aussi, ainsi que les modalités de cotation.
125
Méthode électronique de recueil
Les protocoles ont été recueillis à l’aide d’un stylo électronique (système « Anoto »)
qui enregistre la trace dynamique laissée sur le papier, ainsi que plusieurs autres paramètres
comme la vitesse du tracé ou la pression. Grâce à un logiciel adapté, il était ainsi possible de
visualiser sur l’écran le dessin en train d’être réalisé. Ce logiciel s’appelle ELIAN, acronyme d’
« Expert Line Information Analyser » ou « Analyseur expert des informations tirées des lignes
» et a été développé par Wallon et son équipe entre 1995 et 2005. Il restitue à l’écran le
déroulement du tracé suivant divers modes : dynamique, selon plusieurs vitesses, pas à pas
(trait par trait, point par point), en avant ou en arrière. Divers modes colorés permettent en
outre de visualiser instantanément le nombre des traits, leur ordre et leur direction, les
vitesses instantanées ainsi que la pression. De plus, il fournit nombre de paramètres chiffrés,
tels que les temps, la longueur du tracé, les vitesses et les dimensions. L’intérêt de cette
technique est double : d’une part, elle permet de ne pas prendre de note pendant la
passation et de ne pas demander au patient, comme dans une passation traditionnelle
d’utiliser successivement des crayons de couleur différente pour retrouver l’ordre de
réalisation. Le logiciel restitue les informations utiles comme l’ordre dans lequel le dessin a
été tracé, les vitesses d’exécution, parfois variables tout au long du dessin, les pauses, les
ajouts de dernière minute… D’autre part, cette technique permet d’obtenir des données
statistiques immédiates sur de nombreux paramètres, de comparer les résultats d’un
individu au groupe, pour mettre en relief les éléments particuliers, ou d’effectuer des
comparatifs entre sous-groupes.
La figure 2 présente le logiciel lors de la visualisation d’une figure.
126
Figure 2 : Capture d’écran de la ROCF vue par le logiciel « Elian » (tracé fini)
1.4.2 Paramètres étudiés
Procédure de cotation
Trois cotations sont effectuées : la cotation numérique, la cotation en types de
reproduction et l’orientation des figures. L’intégralité des cotations nous a été confiée, sous
la supervision de Mesmin et Wallon ce qui donne une grande homogénéité à ce travail.
La cotation numérique
La cotation numérique, adaptée à partir des travaux d’Osterrieth (1944) par Taylor
(1959) est la méthode la plus commune pour évaluer l’exactitude de la réalisation (Knight,
Kaplan et Ireland, 2003). La figure est alors divisée en 18 détails, chacun étant noté de 0 à 4
selon la précision de la copie, avec un score total de 72 points. Nous avons coté tous les
127
protocoles de la recherche. 10% des figures, tirées au sort, ont été recotées à l’aveugle par
une autre psychologue. Toutes les figures ayant été cotées par la même personne on peut
considérer la cotation comme très homogène.
La cotation en types de reproduction :
Afin de coter la façon dont chaque sujet a mentalement organisé ou décomposé la
figure pour pouvoir la reproduire et la mémoriser, nous avons utilisé la classification en
types établie par Osterrieth (1944) et reprise dans le nouveau manuel du test (Wallon,
Mesmin, 2009). Chaque type se base sur un ordre de reproduction différent qui met à jour
une stratégie d’exécution. Comme pour la cotation numérique, nous avons coté les figures
des trois recueils. De même, 10 % des figures, tirées au sort, ont été recotées à l’aveugle par
une autre psychologue.
La cotation compte sept types :
- Type 1 : le sujet commence par le rectangle central, tracé bord par bord en levant le
stylo entre chaque trait. Ce type est rare chez les enfants.
-Type 2 : le sujet débute par un détail puis trace le rectangle central, ou commence
par le rectangle mais celui-ci comporte au moins un angle tracé sans lever le stylo (technique
ayant été repérée comme plus enfantine par Osterrieth en 1944). Il a donc repéré que le
rectangle structure la figure dans son ensemble.
-Type 3 : le sujet commence par le contour de la figure (incluant le triangle de droite),
soit qu’il termine avant de commencer les détails à l’intérieur, soit qu’il interrompt pour
tracer les axes de l’armature. Le sujet ne structure donc pas la figure autour du rectangle,
128
mais il tente de construire l’enveloppe (armature ou contour) avant de placer les détails à
l’intérieur.
-Type 4 : le sujet procède par juxtaposition de détails. Il ne structure pas la figure
dans sa globalité mais la découpe en détails collés les uns aux autres.
-Type 5 : les détails sont dessinés de façon anarchique, sans que rien ne les relie. Le
dessin final présente des détails éparpillés sur la feuille.
-Type 6 : la figure est réduite à un schème familier n’ayant qu’un rapport lointain avec
la figure.
-Type 7 : le tracé n’a pas de lien avec la figure ou elle est très incomplète et rien ne
peut y être reconnu, il s’agit d’un « griffonnage ».
De nombreuses figures se réfèrent à un schème familier, sans pour autant déformer
beaucoup la figure. Il est souvent difficile de choisir entre une cotation de la figure selon l’un
des quatre premiers types et le type renvoyant au schème familier (type 6), surtout
lorsqu’on devine que l’enfant s’est inspiré d’un schème familier mais qu’il a fait l’effort de
rester le plus proche possible du modèle. Nous avons donc limité le type 6 aux rares dessins
qui s’écartaient totalement du modèle et le transformaient en un dessin familier.
Pour Rey et Osterrieth, ces différents types évoluaient au cours du développement
de l’enfant : les plus jeunes procédaient par juxtaposition de détails plus ou moins reliés
entre eux et les plus âgés repéraient la structure avant de dessiner, en traçant d’abord le
rectangle central. Le type adulte, ou type 1, est caractérisé par le tracé du rectangle central
réalisé trait par trait, c'est-à-dire les 4 côtés du rectangle n’étant pas dessinés sans lever le
stylo, comme on l’observe le plus souvent chez les enfants. Le type 4 devait donc être de
moins en moins fréquent lorsqu’on avançait en âge, et le type 1 de plus en plus fréquent. Le
129
type 3 où le sujet commence par le contour de l’armature centrale puis s’interrompt pour
dessiner d’autres détails de l’intérieur ou de l’armature, devait être une phase intermédiaire,
courte, entre les deux autres types. Rey n’a jamais travaillé sur de grands échantillons mais
plutôt au cas par cas, insistant sur l’observation individuelle. Il n’a donc jamais cherché à
prouver les a priori théoriques avancés. Osterrieth, qui a poursuivi son travail, a, quant à lui,
effectué une petite étude quantitative, qui lui a donné les résultats suivants pour la copie :
Il observe une croissance des types 1 et 2 et une décroissance des types6 et 7. Les autres
types sont à peu près constants au cours du développement.
L’orientation des figures
Nous avons coté H pour les figures horizontales et V pour les figures dessinées à la
verticale. Les quelques cas intermédiaires, c'est-à-dire les figures en biais ont été coté V. En
effet, rappelons que le sujet n’a pas l’autorisation de tourner le modèle. La figure qu’il
recopie est donc à l’horizontale devant ses yeux. S’il la reproduit en biais sur sa propre
feuille, on peut donc en conclure qu’il fait l’effort, comme les enfants qui reproduisent à la
verticale, de tourner mentalement la figure. Sinon il dessinerait à l’horizontale, comme le
modèle qu’il regarde. Notons que les cas de figures en biais concernent toujours la copie, et
donnent lieu de mémoire à des figures verticales, prouvant que l’enfant a tourné la figure
mentalement pour l’analyser, la structurer et la mémoriser.
Les différentes cotations sont résumées dans le tableau 2.
130
Critère
Interprétation
Modalités
La cotation numérique
Exactitude de la réalisation
Note de 0 à 72
La cotation en types
Méthode utilisée, modalité
d’organisation perceptive
Type 1 à Type 7
L’orientation du dessin
Éventuelle spécificité culturelle
Vertical ou Horizontal
Tableau 2 : les différentes cotations effectuées, leurs interprétations et leurs modalités
Analyse statistique
Les variables mesurées ont été décrites par leurs moyennes et leurs écarts-types
pour la cotation numérique (variable quantitative), et par des pourcentages pour la cotation
en types et l’orientation des figures (variables qualitatives).
Les groupes d'enfants ont été comparés à l'aide de régressions linéaires multiples
ajustées sur l'âge pour la cotation numérique (variable quantitative) et à l'aide de
régressions logistiques ajustées sur l'âge pour l’orientation des figures (variable binaire).
Pour comparer les groupes d'enfants en fonction de la répartition en types de reproduction,
nous avons utilisé le test sur Khi 2.
1.5
Analyse comparative Burkina Faso/Iran/France
1.5.1 Participants
Les participants sont tous des enfants du niveau de la scolarité primaire, répartis de
façon régulière entre 6 et 11 ans et sont tous scolarisés. Ils sont organisés en trois groupes,
selon le pays où ils vivent : en France, au Burkina Faso, ou en Iran. Les modalités de
131
passations sont les mêmes : en individuel, accompagnées d’un dessin du bonhomme, avec
un stylo numérique, avec les mêmes consignes et le même ordre de passation.
Les échantillons ont été choisis pour leur diversité culturelle et parce qu’il semblait
intéressant de comparer les techniques de réalisation d’enfants de la même culture que
celle des concepteurs du test et d’enfants d’une culture très différente. Il paraissait
également utile de comparer deux échantillons d’enfants de culture non-occidentale très
différents, mais ayant des niveaux de scolarisation ainsi que des niveaux socio-économiques
pouvant être considérés comme équivalents. En effet, si l’Iran a un niveau de
développement et un niveau de scolarisation moyen supérieur à celui du Burkina Faso 2,
cette différence est compensée par le lieu de vie des enfants dans leurs pays respectifs : un
quartier pauvre de Téhéran où le niveau de vie et de scolarisation est faible, et un quartier
d’Ouagadougou, où le niveau économique et de scolarisation est plus élevé qu’à la
campagne.
Le recueil burkinabé :
Le recueil burkinabé, qui comprend 76 protocoles a été effectué en 2006 à
Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest. Les enfants étaient élèves de
l’école d’été organisée conjointement par l’association N’téké, dont nous étions présidente
depuis trois ans, et des partenaires africains. Chacun recrutait des moniteurs français et
burkinabé qui assuraient, ensemble, les cours et les animations.
60% de scolarisation au Burkina Faso en 2009 contre 99% en Iran en 2007 selon les données de la
Banque Mondiale, elles-mêmes reprise des statistiques de l’UNESCO en ce qui concerne l’éducation
(http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.PRM.NENR)
2
132
Cette école était située dans un quartier très largement peuplé de personnes
d’ethnie mossi et de religion catholique. Un bureau nous avait été réservé au sein de l’école
pour y effectuer les passations. Nous recevions les enfants un par un, pendant les heures de
classe.
Au début de chaque session nous faisions une présentation de notre travail
auprès des moniteurs français et burkinabé, lors d’une réunion organisée pour cela. Nous
passions ensuite dans les classes pour nous présenter aux enfants, accompagnée du
responsable des moniteurs burkinabé qui traduisait pour éviter toute incompréhension, et
expliquions aux enfants notre travail.
Les passations ont été faites avec l’aide d’un traducteur burkinabé pour les enfants
des trois premiers niveaux (CP1, CP2 et CE1, le CP étant divisé en deux niveaux). Les enfants
plus âgés parlaient suffisamment français pour bien comprendre les consignes. Le rôle de
traducteur a été joué successivement par trois des moniteurs, qui se libéraient pour
participer à l’étude. Nous avons pris le temps de donner à chacun d’eux les explications
nécessaires sur l’attitude à avoir pendant les passations : traduire simplement nos paroles,
ne pas aider les enfants ni leur demander de se dépêcher ou de s’appliquer sans notre
assentiment.
Le recueil iranien
Le recueil iranien, qui comprend 45 protocoles a été effectué dans un quartier
défavorisé du sud de Téhéran dans une ONG dans laquelle 400 enfants et adolescents entre
6 et 16 ans poursuivent une scolarité élémentaire. Le recueil des dessins a été effectué dans
133
la bibliothèque, sur une table indépendante disposée dans un angle, par une enseignante au
cours de l’été 2008.
Le recueil français
Le recueil français a été réalisé entre 1995 et 1999 en vue du ré-étalonnage français
de la figure complexe de Rey (Nouveau manuel de la figure complexe de Rey, ECPA, 2009).
Les protocoles complets sont au nombre de 1200. Nous avons travaillé sur les protocoles
recueillis à partir de 1996, les premiers ne spécifiant pas les origines des enfants dont nous
avions besoin pour la deuxième étude. Notre échantillon est donc de 914 sujets. Le recueil a
été effectué dans des écoles de la région parisienne, tirées au sort et de façon standardisée,
par des étudiants en fin d’études de psychologie.
Pour chaque école tirée au sort un chercheur prenait contact avec le directeur de
l’établissement et le recueil était organisé pour tous les enfants de chaque classe de l’école,
après avoir reçu l’autorisation des parents de chaque élève et de l’inspecteur. Les sujets sont
donc tous âgés de 6 à 13 ans et scolarisés à l’école primaire.
Le tableau 3 présente les caractéristiques de chaque population en termes d’âge
et de sexe.
Burkina(n=76)
Iran(n=45)
France(n=914)
Age moyen (+/écart-type)
8,60 (+/-2,13)
9,72 (+/-2,10)
8,34 (+/-1,71)
% garçons
43
44
48
Tableau 3 : Age et sexe des enfants de chaque groupe
134
1.5.2. Résultats
Concernant l’exactitude de la reproduction
Le tableau 4 ainsi que la figure 3 présente les scores moyens et leur répartition pour
chaque groupe d’enfants.
Burkina Faso (n=76)
Iran (n=45)
France (n=914)
Score moyen FCRO
en copie (+/- écarttype)
28,78 (+/-17,49)
45,45 (+/-17,67)
52,96 (+/-16,24)
Score moyen FCRO
en mémoire (+/écart-type)
21,32 (+/-14,99)
27,59 (+/-18,55)
28,7(+/-15,24)
Tableau 4 : Scores des enfants de chaque groupe
Les « boites à moustaches » ci-dessous (figure 3) donnent une représentation
graphique des variations d’un groupe à l’autre. Le trait représente la médiane et les bords
hauts et bas de la « boite » représentent les quartiles. Les hauts et bas des « moustaches »
représentent les maximum et minimum.
135
Figure réalisée de mémoire
0
0
10
10
20
20
30
30
40
40
50
50
60
60
70
70
Figure copiée
Burkina
France
Iran
Burkina
France
Iran
Figure 3 : scores à la FCRO dans chacun des groupes pour la figure copiée et la figure réalisée
de mémoire
Les contrastes entre groupes sont importants, surtout en copie, l’écart allant jusqu’à
24 points sur 72 (entre le groupe d’enfants vivant en France et celui vivant au Burkina Faso).
Une corrélation entre le pays des sujets et l’exactitude de la reproduction montre un
lien significatif, en copie (p<0,001), et en mémoire (p<0,001).
Concernant la répartition en types d’organisation perceptive
Le tableau 5 présente la répartition des enfants de chaque groupe par types de
réalisations.
136
Copie
Mémoire
Types
Burkina Faso (n=76)
Iran (n=45)
France (n=914)
2
6 (8%)
6 (13%)
53 (6%)
3
58 (76%)
20 (44%)
434 (47%)
4
5 (6%)
4 (9%)
350 (38%)
5
1 (1%)
1 (2%)
0 (0%)
6
0 (0%)
0 (0%)
15 (2%)
7
4 (5%)
2 (4%)
6 (1%)
ND
2 (6 %)
12 (26%)
56 (6%)
2
5 (7%)
6 (13%)
104 (11%)
3
58 (76%)
17 (37%)
401 (44%)
4
5 (7%)
2 (4%)
213 (23%)
5
1 (1%)
2 (4%)
0 (0%)
6
0 (0%)
0 (0%)
37 (4%)
7
3 (4%)
2 (4%)
93 (10%)
ND
4 (5%)
16 (21%)
66 (7%)
Tableau 5 : Répartition des enfants de chaque groupe par types de reproduction.
On constate que le type 3 (reproduction en premier lieu du contour de la figure),
même s’il est majoritaire dans chaque groupe, est très prépondérant au Burkina Faso avec
76% des figures en copie comme en mémoire. Le type 4 (juxtaposition d’éléments) est bien
plus fréquent en France que dans les deux autres pays avec, pour la copie : 38% des figures
en France contre 9% en Iran et 6% au Burkina Faso. La même prépondérance est constatée
en mémoire. Il y a donc des différences importantes dans la répartition des types de
reproduction. L’analyse statistique montre effectivement une corrélation significative entre
le pays de résidence des sujets et la répartition des types de reproduction en copie comme
en mémoire (p<0,001 en copie et p<0,01 en mémoire).
137
Concernant l’orientation des figures
Le tableau 6 présente l’orientation des figures en fonction de l’origine culturelle.
Orientation
Burkina Faso
(n=76)
Iran (n=45)
France (n=914)
H
30 (40%)
42 (93%)
860 (94%)
V
46 (60%)
3 (7%)
54 (6%)
H
29 (38%)
41 (91%)
910 (99%)
V
47 (62%)
4 (9%)
4 (1%)
Copie
Mémoire
Tableau 6 : Orientation des figures pour chaque groupe
On constate que les contrastes sont très grands avec, en copie 60% des figures
dessinées à la verticales au Burkina Faso contre seulement 7% en Iran et 6% en France, et en
mémoire 62% des figures dessinées à la verticales au Burkina Faso contre seulement 9% en
Iran et 1% en France. Le test statistique est bien sûr significatif avec un p<0.001 en copie
comme en mémoire.
1.5.3. Conclusion de l’étude et discussion des résultats
Réponse à l’hypothèse
Les résultats montrent des contrastes très forts entre les groupes, que ce soit au
niveau du score, ce qui était attendu à la lecture de la littérature, au niveau de la répartition
en types de reproduction, ou encore au niveau de l’orientation des figures. Le pays de
138
résidence et donc l’environnement de vie a un impact sur la structuration perceptive des
figures, qui a une influence sur les scores. L’hypothèse est vérifiée.
Des contrastes plus forts pour la reproduction de mémoire
Pour la reproduction de mémoire, les contrastes sont souvent plus forts que pour la
copie. Cela s’explique par l’absence du modèle, les sujets ayant l’obligation de se référer
uniquement à ce qu’ils ont mémorisé. Cette mémorisation dépend directement de la façon
dont la figure a été organisée mentalement lors de sa perception. La structuration
perceptive des figures apparaît donc encore plus clairement lors de la restitution de
mémoire que lors de la copie de la figure.
Une influence culturelle ou du niveau scolaire ?
Les environnements de vie, dans chaque pays, se caractérisent par des contextes
culturels différents mais aussi par des niveaux scolaires différents. Rappelons que l’influence
du niveau d’éducation sur les scores obtenus à la FCRO a été montrée dans plusieurs
recherches (Ardila et Rosselli, 2003 et Ardila et al, 1989; Unverzagt et al, 1996). Les
différences de score entre enfants scolarisés en France et scolarisés en Iran ou au Burkina
Faso pourraient donc être liées au niveau scolaire. Les contrastes observés avec la
population vivant en France sont en effet certainement à nuancer du fait de l’impact de la
familiarité des enfants français avec ce type de tâches et avec les formes géométriques.
L’utilisation de stylos et de papier est également plus répandue, notamment en dehors de
l’école. On peut d’ailleurs reconnaître cette familiarité dans le grand nombre de figures
139
construites par juxtaposition de formes géométriques chez les enfants vivant en France qui
reconnaissent des formes connues qu’ils ont l’habitude de dessiner (38% en copie contre 6%
au Burkina Faso et 9% en Iran). Ils ont souvent reçu une éducation très précoce à la
nomination et à la reconnaissance des formes géométriques, comme en attestent les
nombreux jouets pour jeunes enfants qui sont utilisés par les familles françaises dans le but
d’apprendre aux enfants, par le jeu, à se familiariser avec les formes géométriques.
Lorsque l’on compare par contre le groupe d’enfants iraniens scolarisés à Téhéran
dans un quartier pauvre, et le groupe d’enfants burkinabés, on peut considérer que si les
contextes culturels sont très différents, les niveaux d’éducation apparaissent comme
relativement équivalents. Les grandes différences observées semblent donc être liées
surtout aux contextes culturels. Pourtant il serait utile à ce propos d’étudier précisément le
niveau de scolarisation dans chaque pays ainsi que la familiarité des sujets à ce type de tâche
(connaissance des formes, aisance à les reconnaître et à les tracer).
Fréquence des reproductions verticales au Burkina Faso
L’un des résultats les plus marquants de cette étude est la fréquence de
reproductions verticales chez les enfants burkinabés (62% en mémoire).
En Iran comme en France on ne trouve pas cette spécificité et la reproduction à la
verticale très rare.
On peut noter à ce propos que la FCRO, si on la regarde à la verticale, ressemble à
une case traditionnelle africaine, plus qu’à une maison occidentale.
140
Après chaque passation, le psychologue demandait à l’enfant « à quoi cela te fait-il
penser ? ». Les enfants ayant reproduit la figure à la verticale ont répondu une maison, une
case ou une église et ces figures correspondent à une organisation perceptive de type 3. A
titre d’exemple, nous présentons en figure 4 la décomposition de la reproduction de
mémoire d’un des sujets ayant utilisé cette technique de réalisation. Cette fillette qui a
assimilé la figure à une case a redressé son dessin et a d’abord reproduit le contour de la
figure, correspondant à son schème familier. La figure est assez proche du modèle, même si
de nombreux détails manquent, car la structure générale est conservée. Le score final est de
37 points sur 72, et l’enfant a réalisé son dessin en 6 minutes 54.
Figure 4 : réalisation de mémoire d’une fille de 11 ans au Burkina Faso.
Les enfants burkinabés semblent avoir perçu comme une évidence que la figure
représentait une maison et était présentée dans le mauvais sens.
On peut donc supposer que l’environnement de vie des sujets impacte la perception
de la figure, chacun se référant, lors de la vision d’une figure nouvelle dépourvue de sens, à
un stock d’images intériorisées. Il peut s’agir d’un phénomène de projection à l’œuvre lors
de la perception qui conduirait chacun à projeter des représentations inconscientes dans la
figure (Abt et Bellak, 1950, Anzieu et Chabert, 1961). Ce mécanisme, à la base de la plupart
des tests de personnalités psychanalytiques permet d’expliquer que le contexte culturel
141
puisse avoir un impact direct sur les représentations inconscientes évoquées par une figure
abstraite.
La majorité des enfants burkinabés perçoit la figure dans sa totalité et lui attribue un
sens contrairement aux enfants français, plus familiers avec les formes géométriques, qui
semblent percevoir d’avantage un assemblage hasardeux d’élément connus dont ils
déduisent une forme globale. Rappelons qu’au Burkina Faso les productions humaines,
comme les éléments naturels, ont souvent un sens caché, le hasard possédant une place
plus réduite qu’en Occident. Les enfants attribuent donc un sens à ce qu’ils perçoivent.
Notons également que l’école burkinabé ne valorise pas la production imaginaire et que les
leçons de dessin visent à apprendre aux enfants à représenter des éléments le plus
fidèlement possible. Il se peut donc qu’ils ne puissent concevoir qu’un adulte leur présente
un dessin sans signification et qu’ils cherchent à lui donner du sens pour satisfaire ses
attentes supposées.
En tournant mentalement la figure, les enfants burkinabés se sont compliqué la
tâche, ce qui peut expliquer les moyennes de scores plus faibles dans ce groupe par rapport
aux autres. Les figures 5 et 6 montrent des exemples de figures tournées mentalement et
reproduites à mi-chemin entre horizontal et vertical, reflétant ainsi l’effort fait par les
enfants pour modifier l’orientation des figures.
142
Figure 5 : Réalisation en copie d’une fille de 8 ans au Burkina Faso. L’enfant a d’abord
demandé à tourner le modèle. A la question « c’est quoi ça ? » elle a répondu : « ça
ressemble à une case, ici la tête d’une personne ». Le dessin a été réalisé en 14 min et 9
secondes.
Figure 6 : Reproduction en copie d’une fille de 9 ans au Burkina Faso. L’enfant a d’abord
demandé à tourner le modèle. Elle n’a rien répondu à la question « c’est quoi ça ? ». Le
dessin a été réalisé en 15 minutes et 11 secondes.
143
Autres spécificités :
En Iran, le type 2 est plus fréquent que dans les autres populations (perception du
rectangle central comme structurateur de la figure), alors même qu’il n’y a pas d’éducation
précoce aux formes géométriques. Ces enfants ont souvent analysé la figure autour de sa
structure centrale.
En France, c’est le type 4(juxtaposition d’éléments) qui est plus fréquent que dans les
autres populations en copie comme en mémoire. On peut supposer que cela s’explique ici
par l’importance dans les techniques éducatives en France de l’enseignement des formes
géométrique.
Une simple étude des scores ne suffit donc pas à décrire les différences de réalisation
à ce test. En étudiant les structurations perceptives, on observe que ce qui fait varier ce
score ce sont d’abord des différences de stratégies d’exécution. Les enfants burkinabés
attribuent un sens à la figure et la tournent, peut-être parce que celle-ci ressemble trop à
une case traditionnelle pour être à leurs yeux un ensemble neutre de figures géométriques.
Observe-t-on également un impact de la culture d’origine sur les scores et la
structuration perceptive des figures chez des enfants vivant en France ?
1.6. Analyses comparatives au sein du recueil français
1.6.1. Participants
Au sein du recueil effectué en région parisienne (N=914), les origines culturelles des
enfants rencontrés ont été notées par les examinateurs.
144
Tous les enfants sont scolarisés dans les mêmes écoles et c’est l’influence de la
culture d’origine des enfants, telle qu’elle est transmise par les parents, qui sera étudiée.
Les origines culturelles sont au nombre de six : origine occidentale (O), maghrébine
(M), Afrique sub-saharienne (A), antillaise (ANT), indienne (IND) et asiatique (AS). Il existe
également une catégorie ND pour « non déterminé » concernant tous les protocoles pour
lesquels les origines ne sont pas spécifiées (mention d’un point d’interrogation ou d’une
lettre illisible). Nous y avons ajouté les protocoles indiquant deux origines, correspondant
aux situations de métissage des parents, pour ne retenir dans les autres catégories que les
enfants dont les deux parents ont les mêmes origines.
La répartition par groupe est décrite par le tableau et le graphique suivants :
Origines
Nombre d'enfants
O
405 (44,3%)
M
231 (25,3%)
A
115 (12,6%)
AS
34 (3,7%)
ANT
30 (3,3%)
IND
13 (1,4%)
ND
86 (9,4%)
Tableau 7 : nombre d’enfants par groupe
145
Figure 7 : nombre d’enfants par groupe
On peut constater que ces pourcentages correspondent à peu près à ceux recueillis
au niveau national (d’après l’INSEE, en 2008, la répartition des immigrés en France par
nationalité est la suivante : 28,5% d’Afrique du Nord, 12,5% d’Afrique Sub-saharienne et
7,7% d’Asie3). Pour 86 enfants l’origine culturelle n’est pas spécifiée, soit du fait d’un
problème de prise de note (oubli, lettre illisible…) soit parce qu’il s’agit de situation de
métissage entre les parents, que nous avons coté ainsi pour simplifier le travail d’analyse.
L’âge moyen du recueil est d’environ 8 ans et demi. Le plus jeune est âgé de 5 ans et
le plus âgé de 13 ans. Pour 35 enfants sur 914 l’âge n’a pas été spécifié.
Il y a 417 filles (45,6 %) et 438 garçons (47,9 %). Pour 59 enfants le sexe est inconnu
(mention illisible ou oubliée).
811 enfants sont droitiers (88,7 % de l’échantillon) et 95 sont gauchers (10,4 % de
l’échantillon). Pour 8 enfants, la latéralisation est inconnue (mention illisible ou non
spécifiée).
Répartition des étrangers par nationalité, INSEE, 2008
(http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=etrangersnat)
3
146
Le tableau 8 ci-dessous résume les caractéristiques de la population.
Recueil d'Ile de France
Age moyen (+/écart-type)
8,34 (+/-1,71)
% garçons
48
% gauchers
10,4
Tableau 8 : répartition des enfants de l’échantillon selon différents paramètres
La répartition par âge se fait de manière équivalente dans les différents groupes
d’origine culturelle (p=0,32 au test de corrélation de Kruskal-Wallis non significatif au seuil
de 5%), de même que la répartition filles/garçons (p=0,56 au test du khi2, non significatif) et
la répartition entre gauchers et droitiers (p=0,1 au test exact de Fisher et p=0,02 au test du
khi2 pour quatre groupes d’origine au lieu de six (A, M, O, AO=AS+ANT+IND).
1.6.2. Résultats
Concernant l’exactitude de la reproduction
Le tableau 9 ainsi que la figure 8 présentent les scores moyens et leur répartition
pour chaque groupe d’enfants.
147
O (n=405) M (n=231)
A (n=115)
AS (n=34)
ANT
(n=30)
IND (n=13)
Score moyen
FCRO en copie
(+/- écart-type)
46,74 (+/15,63)
52,39 (+/16,06)
50,42 (+/16,94)
51,59 (+/15,62)
49,23 (+/16,18)
51,62 (+/15,66)
Score moyen
FCRO en
mémoire (+/écart-type)
29,21 (+/15,63)
28,15 (+/14,77)
23,63 (+/15,40)
30,26 (+/15,22)
27,20 (+/11,79)
28,69 (+/14,96)
Tableau 9 : scores à la FCRO selon l'origine culturelle
Les « boites à moustaches » ci-dessous (figure 8) donnent une représentation
graphique des variations d’un groupe à l’autre. Le trait représente la médiane et les bords
hauts et bas de la « boite » représentent les quartiles. Les hauts et bas des « moustaches »
représentent les maximum et minimum.
Figure réalisée de mémoire
0
0
10
10
20
20
30
30
40
40
50
50
60
60
70
70
Figure copiée
A
ANT
AS
IND
M
O
A
ANT
AS
IND
M
O
Figure 8 : scores à la FCRO selon l'origine culturelle
148
On constate d’abord une certaine homogénéité des scores comparée aux forts
contrastes qui existaient entre les populations françaises, iraniennes et burkinabés. Mais les
moyennes varient ici tout de même assez sensiblement, jusqu'à 4 points sur 72 en copie
entre les enfants d'origine occidentale et les enfants d'origine africaine, 6,63 points sur 72 en
mémoire entre le groupe d'enfants d'origine asiatique et le groupe d'enfants d'origine
africaine. Lorsqu’on calcule la corrélation entre les deux variables, on obtient pour les deux
étapes du test, que ce soit en copie ou en mémoire, un p=0,05. Il y a donc un lien
statistiquement significatif entre l’origine culturelle des sujets et l’exactitude de la
reproduction en copie comme en mémoire.
Concernant la répartition en types d’organisation perceptive
Le tableau 10 présente la répartition en types de réalisations des enfants de chaque
groupe.
149
Copie
Mémoire
Type
O (n=405)
M (n=231)
A (n=115)
AS (n=34) ANT (n=30) IND (n=13)
2
22 (5%)
13 (6%)
7 (6%)
3 (9%)
2 (7%)
0
3
205 (51%)
108 (47%)
51 (44%)
14 (41%)
15 (50%)
4 (31%)
4
155 (38%)
92 (40%)
42 (37%)
16 (47%)
10 (33%)
7 (54%)
5
0
0
0
0
0
0
6
0
5 (2%)
6 (5%)
0
0
1 (8%)
7
3 (1%)
0
1 (1%)
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
ND
20 (5%)
13 (6%)
8 (7%)
1 (3%)
3 (10%)
1 (8%)
2
51 (13%)
28 (12%)
7 (6%)
9 (26%)
2 (7%)
0
3
187 (46%)
99 (43%)
43 (37%)
14 (41%)
13 (43%)
5 (38%)
4
99 (24%)
58 (25%)
20 (17%)
4 (12%)
10 (33%)
4 (31%)
5
0
0
1 (1%)
1 (3%)
0
0
6
8 (2%)
13 (6%)
12 (11%)
0
0
1 (8%)
7
41 (10%)
16 (7%)
21 (19%)
4 (12%)
2 (7%)
2 (15%)
0
0
2 (1%)
3 (3%)
0
0
0
ND
19 (5%)
15 (6%)
8 (6%)
2 (6%)
3 (10%)
1 (8%)
Tableau 10: Répartition en types de réalisation selon l'origine culturelle
Les variations entre les groupes sont assez faibles pour l’exercice de copie, et elles ne
sont pas
statistiquement significatives (p=0,17). Pour la restitution de mémoire, les
variations apparaissent légèrement plus importantes et sont significatives au seuil de 5%
(p=0,02).
Parmi les trois groupes largement majoritaires, le groupe des enfants originaires
d’Afrique Sub-saharienne se différencie avec un type 2 faible en mémoire (6% des
productions contre respectivement 12% et 13% chez les enfants d’origine maghrébine et
150
occidentale) et un type 4 moins important (17% contre 25% chez les enfants originaires du
Maghreb). Le type 3 est également moins représenté (40% des figures contre 46% chez les
enfants d’origine occidentale) alors qu’au Burkina Faso ce type était très nombreux, bien
plus qu’en France (respectivement 76% et 44%). A l’inverse les types 6 et 7, réduction à un
schème familier et dispersion des éléments de la figure, sont très nombreux en mémoire. Si
on les additionne on obtient 30% des figures chez les enfants originaires d’Afrique Subsaharienne alors qu’ils représentent 12% tant pour les enfants originaires du Maghreb que
d’Occident. De nombreuses figures sont donc très loin du modèle. Chez les groupes moins
nombreux, on trouve un type 2 fréquent chez les enfants d’origine asiatique (26%) et un
type 4 également très fréquent chez ceux d’origine antillaise (33%).
Concernant l’orientation des figures
Le tableau 11 présente la répartition de l'orientation des figures, verticales ou
horizontales selon l'origine culturelle des enfants.
Copie
Mémoire
O (n=405)
M
(n=231)
A (n=115) AS (n=34)
H
399
(96,1%)
212
(92,9%)
99 (85,9%) 34 (100%) 24 (79,2%) 13 (100%)
V
15 (3,9%)
15 (7,1%)
14 (14,1%)
0
5 (20,8%)
0
H
385
(94,8%)
207
(88,9%)
91 (73,6%)
33 (97%)
24 (75%)
13 (100%)
V
20 (5,2%)
1 (3%)
6 (25%)
0
23 (11,1%) 24 (26,4%)
ANT
(n=30)
IND (n=13)
Tableau 11: Orientation des figures en fonction de l’origine culturelle
151
Les différences entre groupes sont importantes et une régression logistique ajustée
sur l’âge donne des résultats très significatifs montrant qu’il existe un lien entre orientation
des figures et origine culturelle (p<0,001 pour la copie comme pour la mémoire). Par
exemple la proportion de dessins réalisés verticalement de mémoire est de 26,4% chez les
enfants d’origine africaine, c’est-à-dire plus d’un quart des enfants, contre 0% chez les
enfants d’origine indienne, 3% pour ceux d’origine asiatique et 5,2% chez les enfants
d’origine occidentale.
Deux spécificités apparaissent très clairement : comparés aux enfants d’origine
occidentale, les enfants d’origine africaine ont tendance à réaliser leur figure à la verticale
tandis que les enfants d’origine occidentale ont tendance à la réaliser à l’horizontale si on les
compare à tous les autres groupes. Pour l’épreuve de reproduction de mémoire, les enfants
d’origine africaine ont ainsi 5,08 fois plus de chances de dessiner verticalement que les
autres. Les enfants d’origine occidentale ont 66% de chances en moins de dessiner
verticalement que les autres enfants.
La figure 9 présente l’analyse multi-variée qui permet de décrire l’organisation des
données, la distribution conjointe de toutes les variables. Elle permet d’observer les
relations existant entre toutes les variables de la base de données.
152
d=2
f.typ.C.simplifiés.7
Eigenvalues
337
162
794
273
342
347
210
324
512
675
783
97
f.typ.C.simplifiés.6
152
320
276
Origines.simplifiées.A
141
150
765
764
3
110
112
121
128
139
164
163
166
171
187
196
218
264
272
283
302
311
362
376
448
493
498
527
534
576
591
599
605
604
639
646
661
711
716
715
714
732
739
793
821
845
850
873
17
23
35
53
78
88
92
9
902
126
195
278
720
758
5894
8
104
245
632
841
879
48 f.typ.C.simplifiés.3
111
114
116
129
138
140
169
181
185
190
199
198
197
205
212
214
223
230
240
239
238
246
248
258
257
256
279
282
281
294
293
299
298
306
308
310
319
325
327
335
334
340
346
355
363
369
383
382
392
391
390
389
394
397
399
405
404
403
408
407
411
416
415
418
422
425
430
440
439
447
446
445
465
471
481
485
484
492
501
500
506
516
515
519
523
526
529
528
540
545
544
543
547
551
550
549
553
555
559
558
557
561
563
566
565
568
572
571
575
574
583
586
585
589
588
595
594
593
598
601
607
610
613
627
633
637
640
643
645
647
660
672
671
674
676
678
680
683
688
687
691
693
699
698
701
705
704
703
708
713
730
733
756
762
761
771
770
778
777
788
787
792
795
800
806
808
810
813
818
822
825
824
827
831
833
839
838
837
847
846
860
859
862
869
882
892
896
899
898
907
14
20
19
18
27
26
33
42
41
45
52
55
63
98
4
182
570
569
611
621
651
695
694
738
743
809
863
870
69
95
108
107
106
118
122
124
132
143
145
147
149
155
154
157
160
159
173
209
219
237
252
300
318
488
775
780
779
823
836
855
881
16
30
46
54
62
73
148
151
174
179
183
191
201
200
289
344
409
449
663
662
754
784
848
25
28
221 Origines.simplifiées.O
233
235
267
307
331
330
348
414
423
482
537
546
548
554
587
602
702
712
722
781
889
105
127
165
184
189
211
244
243
254
269
339
368
402
458
462
461
477
510
530
592
606
642
644
664
679
682
707
724
755
766
776
829
853
880
893
895
50
49
80
87
86
94
Origines.simplifiées.ANT
577
618
686
763
59
120
131
144
153
178
186
226
251
280
744
34
103
115
130
135
137
142
168
203
228
232
236
241
250
260
275
288
290
305
353
352
366
396
421
420
419
427
431
438
437
442
463
472
474
476
479
483
487
489
520
542
552
581
596
609
612
614
620
624
623
626
630
629
628
636
635
656
690
710
727
729
740
742
753
757
772
774
786
797
796
804
803
802
801
812
811
819
840
844
854
857
856
867
871
876
875
887
901
905
911
914
11
22
29
39
43
56
58
60
64
68
70
72
83
82
91
2600
1
7
125
313
503
37 f.typ.C.simplifiés.2
90
100
102
133
177
176
188
193
192
202
206
208
213
217
216
215
220
231
255
263
262
261
266
265
271
270
285
284
292
291
297
296
295
301
309
312
314
316
321
326
332
345
349
351
359
358
357
365
373
375
378
377
388
387
386
395
398
406
413
412
417
429
428
444
455
454
453
452
457
460
459
464
466
470
469
468
475
491
495
497
499
509
508
507
514
517
522
525
524
533
532
535
539
538
541
556
564
567
579
584
608
615
631
638
649
654
653
659
658
657
668
667
666
681
684
692
697
696
706
723
726
725
735
737
741
749
748
747
751
767
782
785
789
799
815
820
826
843
861
868
878
883
885
888
890
900
904
906
908
912
21
57
74
76
85
99
842
134
136
343
597
10
12
15
31
36
84
89
6909
158
426
480
582
619
634
689
719
816
874
71 835
75
333
338
364
486
504
625
641
650
652
109
113
119
123
170
172
222
225
229
234
242
253
274
277
287
304
317
323
670
736
791
877
884
38
47
66
81
96
Origines.simplifiées.M
f.typ.C.simplifiés.4
101
117
156
167
175
194
204
207
259
268
286
303
329
328
336
356
361
360
367
370
372
374
381
380
384
401
424
436
435
434
433
432
441
443
451
456
467
478
490
494
496
505
513
518
521
531
536
560
562
590
603
648
669
673
709
718
717
728
745
750
752
760
759
769
773
798
805
807
814
817
828
830
852
858
864
886
891
897
910
913
13
24
32
40
44
51
61
65
67
77
79
93
677
322
350
721
872
247
Origines.simplifiées.IND
180
224
227
354
473
700
903
146
161
341
450
502
580
617
616
622
731
746
768
832
834
249
685
790
865
315
371
379
385
393
400
410
511
573
578
655
665
734
849
851
866
Origines.simplifiées.AS
Figure 9: Analyse multi-variée des données étudiées (logiciel R)
On constate que les origines culturelles se dégageant le plus du reste des variables
sont les origines indiennes, asiatiques et africaines. Ce résultat n’est pas surprenant puisque
les analyses bi-variées précédemment effectuées ont montré que ces groupes se
différenciaient des autres selon de nombreuses modalités : cotation en types, verticalité des
figures… Notons que ce résultat est moins pertinent pour les deux groupes d’enfants
d’origine asiatique et indienne du fait de la petite taille de leur effectif, qui rend les résultats
plus difficiles à généraliser.
Deux autres variables apparaissent très éloignées du centre du schéma : Il s’agit des
deux types de reproduction 6 et 7(f.typ.C.simplifiés.6 et f.typ.C.simplifiés.7). Ces deux types
sont minoritaires mais ne sont pas répartis de façon équitable selon les autres variables. Ils
sont par ailleurs très peu nombreux. Concernant l’origine culturelle, qui nous intéresse ici,
on a par exemple repéré que le type 6 était beaucoup plus fréquent chez les enfants
153
d’origine africaine et maghrébine que chez les autres enfants, ce qui explique la proximité
dans le schéma entre les variables « origine africaine » et « type 6 ».
1.6.3. Conclusion de l’étude et discussion des résultats
Réponse à l’hypothèse
Même si tous les enfants sont scolarisés en Ile-de-France, il existe un impact de la
culture transmise par les parents sur les réalisations, comme le montrent les variations
significatives de scores, pour l’épreuve de copie comme de mémoire. L’hypothèse est donc
vérifiée.
La structuration perceptive ne varie pas de façon statistiquement significative pour
l’épreuve de copie, même si on observe notamment plus de réalisation à la verticale chez les
enfants d’origine africaine. Lors de la restitution de mémoire, les différences de répartition
en types sont par contre statistiquement significatives : on observe notamment un type 2
plus fréquent chez les enfants d’origine asiatique (perception d’un rectangle central
organisateur de la figure), une verticalité et un type 7 (figures très détériorées) plus
fréquent chez les enfants d’origine africaine, un type 3 (tracé du contour de la figure) plus
fréquent chez les enfants d’origine occidentale et un type 4 (juxtaposition d’éléments) plus
fréquent chez les enfants d’origine antillaise.
Ce résultat est plus inattendu que pour la première étude comparative entre enfants
français, burkinabés et iraniens. Il montre que les biais culturels dans les tests non verbaux
ne doivent pas être pris en compte uniquement en vue d’une exportation du test et de son
154
adaptation à d’autres contextes culturels et langagiers, mais qu’ils existent également
lorsqu’on les utilise avec des enfants vivant en France et y étant scolarisés.
En copie : comment expliquer les différences de score ?
Les structurations perceptives varient ici d’un groupe à l’autre en mémoire et non en
copie. Pour la copie les variations de score doivent donc être liées à d’autres facteurs
intervenant
dans
l’exercice,
comme
par
exemple
l’aisance
grapho-motrice,
la
compréhension de la consigne, la concentration (très liée à l’état émotionnel du sujet) ou la
familiarité avec le tracé des formes géométriques. Chacun de ces paramètres mériterait
d’être étudié pour savoir s’ils sont sensibles à la culture ou si la variation de score d’un
groupe à l’autre est liée à un autre paramètre associé, comme, par exemple, le niveau de
scolarisation des parents. Concernant la compréhension de la consigne, Mesmin a comparé
les productions de deux groupes d’enfants de migrants, l’un ayant reçu la consigne en
français, l’autre à qui elle était traduite en langue maternelle (Mesmin, 1999). Aucune
différence n’a été observée entre les deux groupes.
En mémoire : un impact de l’origine culturelle ou de la migration sur les
réalisations ?
Pour l’épreuve de mémoire, il existe des différences statistiquement significatives
entre les groupes concernant les répartitions des types de structuration perceptive. Ce sont
les productions des enfants d’origine africaine qui se différencient le plus des autres avec
notamment 26,4% des figures dessinées à la verticale. Ce résultat rappelle celui trouvé, de
manière plus accentuée, chez les enfants vivant en Afrique (62% au Burkina Faso). On peut
155
donc supposer qu’il existe une transmission de ces modalités de réalisation après la
migration. Mais on trouve au Burkina Faso un type 3 prépondérant, alors qu’il est rare chez
les enfants d’origine africaine scolarisés en France (plus rare que dans les autres
populations), où il y a par contre un grand nombre de figures détériorées de type 6
(réduction à un schème familier) et 7 (détails dispersées). Peut-être pourrait-on y voir un
impact du choc migratoire, comme l’a décrit Mesmin dans ses études de cas (Mesmin,
2002). Certains enfants ont en effet des techniques de réalisation proches de celles utilisées
au Burkina Faso, d’autres proches de celles des enfants d’origine occidentale et enfin,
certains ont des figures très détériorées, oscillant peut-être entre des démarches de
réalisation différentes ce qui pourrait montrer une difficulté à passer d’un monde à l’autre
(Mesmin, 2002).
Une influence de l’origine culturelle ou du niveau scolaire des parents?
Si l’impact de la scolarisation sur les scores à la FCRO a déjà été mis à jour (Ardila et
Rosselli, 2003 et Ardila et al, 1989; Unverzagt et al, 1996), le fait que les enfants soient tous
nés et scolarisés dans les mêmes écoles d’Ile de France permet de s’assurer d’un niveau de
scolarisation équivalent. Quoiqu’il a été montré par Klenberg Korkman et Lahti-Nuuttila
(2001) que le niveau d’éducation des parents en Finlande avait une influence sur les
résultats à de nombreux tests non-verbaux. Les différences de score apparaissant à la FCRO
entre les enfants d’origine culturelle variée en Ile-de-France pourraient donc très
vraisemblablement être liées au niveau de scolarisation des parents ; les parents issus de
pays économiquement plus pauvres ont en effet un niveau scolaire souvent plus faible.
Néanmoins, il reste surprenant que malgré une scolarisation commune en France, le
156
contexte culturel familial garde une influence sur la structuration perceptive des figures. Les
différences existant entre enfants d’origine culturelle non-occidentales ne sont pas non plus
aisément explicables.
Nous pouvons par ailleurs constater l’homogénéité relative des résultats des enfants
de région parisienne au regard des importantes différences que nous avions observées pour
les enfants burkinabés par rapport aux enfants d’origine française. On voit dans ces résultats
l’importance du contexte culturel du pays d’accueil et du métissage qui se produit en France
grâce à la culture de l’école. En effet, même s’il y a des différences entre les groupes
d’origine culturelle différente, on constate que quelle que soit leur origine culturelle tous ces
enfants dessinent de façon voisine, en comparaison avec des enfants baignés dans un autre
univers culturel.
1.7. Conclusion générale des deux études
Les résultats de la comparaison entre les productions d’enfants de France, d’Iran et
du Burkina Faso montrent des contrastes très forts entre les groupes, tant au niveau du
score, ce qui était attendu à la lecture de la littérature, qu’au niveau de la répartition en
types de reproduction. Au Burkina Faso, le type 3 est prépondérant (76% en copie et
mémoire), c'est-à-dire que les enfants ont perçu une enveloppe structurante au sein de
laquelle sont dessinés les détails. Dans 60% des cas les figures sont tournées mentalement
pour être reproduites à la verticale. En Iran le type 3 est par contre peu fréquent, moins
qu’en France (pour la mémoire 37% contre 44%) et la reproduction à la verticale très rare
(7% en copie, 9% de mémoire). Le type 2 (perception du rectangle central comme
structurateur de la figure) est légèrement plus fréquent que dans les autres populations,
157
notamment en copie avec 13% des cas contre 8% au Burkina Faso et 6% en France. En
France, le type 4, c'est-à-dire la construction par juxtaposition de détails est bien plus
fréquent que dans les autres populations : 38% en copie alors qu’au Burkina Faso et en Iran
on n’en trouve respectivement que 6% et 9%. La reproduction à la verticale est très rare.
Dans la deuxième étude, on constate que même si tous les enfants sont scolarisés en
Ile de France, il existe un lien entre les scores obtenus et l’origine culturelle pour l’épreuve
de copie comme de mémoire. S’agissant de la répartition en types de reproduction, on
n’observe pas de lien significatif avec l’origine culturelle pour la copie. En revanche, il en
existe un pour la reproduction de mémoire où les différences de scores peuvent notamment
être expliquées par une influence de l’origine culturelle sur la structuration perceptive (lien
significatif entre la répartition des types et l’origine culturelle à la mémoire). On observe plus
de réalisation à la verticale chez les enfants d’origine africaine (26,4% contre 5,2% chez les
enfants d’origine occidentale) et des types 6 et 7 plus fréquents (détails éparpillés ou
réduction à un schème familier). Lors de la restitution de mémoire, on observe également un
type 2 plus fréquent chez les enfants d’origine asiatique : 26% d’entre eux perçoivent un
rectangle central comme organisateur de la figure.
Les contrastes observés entre les productions des enfants des différentes populations
confirment l’hypothèse que l’environnement culturel a un impact sur l’organisation
perceptive des formes géométriques. Cet impact est particulièrement important d’un pays à
l’autre, mais il existe aussi concernant le contexte culturel familial après une migration, et
donc la culture transmise. Ces études permettent également de dire que si le score varie
d’un groupe à l’autre, c’est notamment parce que la culture influence la structuration
perceptive de la FCRO.
158
Pour confirmer les résultats il serait utile de comparer des groupes plus homogènes
et en prenant en compte le niveau de scolarisation des parents ainsi que la familiarité à la
tâche proposée, par exemple par un petit entraînement préalable à la tâche.
1.8. Forces et limites des résultats:
Cette recherche comporte certaines limites. La classification en groupes contraint à
tracer des frontières relativement artificielles entre des ensembles contenant des réalités
très diverses. Les origines culturelles sont catégorisées ici en ensembles géographiques
grossiers. Mais cette classification était indispensable pour que soit possible une étude
statistique. Ces groupes sont d’autant plus hétérogènes qu’on s’intéresse ici à des situations
de métissage et que les enfants migrants de première génération sont dans le même groupe
que les enfants de migrants et les petits enfants de migrants. Pourtant nos résultats
montrant d’importants contrastes entre les groupes, on peut affirmer que cette
classification n'est ni infondée ni dépourvue d'intérêt. Mais il serait utile, dans une recherche
ultérieure d'affiner ces catégories.
De plus le recueil de l’origine culturelle a une fiabilité limitée puisque les parents
n'ont pas été consultés. Certains enfants ainsi que certains enseignants ne connaissaient pas
les pays de naissance des parents. C'est pourquoi nous avons crée une catégorie "origine
non-déterminée" et n'avons retenu dans nos groupes que les enfants pour lesquels
l'information était claire. Nous avons ainsi retiré de ces groupes toutes les situations de
doute. Encore une fois, l’existence de contrastes importants entre les groupes prouve que
les recueils se sont basés sur des données à peu près correctes.
159
Mais une étude sur de grands échantillons a l’inconvénient d’écraser les extrêmes. Si
les résultats sont très dispersés, le calcul de l’écart-type permet de le signaler. Mais les
quelques cas qui différent largement des autres, s’ils sont peu nombreux, sont totalement
ignorés alors qu’ils apporteraient peut-être des informations très précieuses à la clinique.
Autre limite, les recueils ont été effectués dans une région unique, la région
parisienne. Mais celle-ci a l'intérêt d'être une région accueillant beaucoup de migrants
d'origines culturelles variées.
Enfin, pour confirmer les résultats il serait utile de prendre en compte le niveau de
scolarisation des parents ainsi que la familiarité à la tâche proposée, par exemple par un
petit entraînement préalable à la tâche.
La recherche comporte aussi des forces. La taille importante de l'échantillon donne une
forte fiabilité aux résultats. Ceux-ci sont francs et massifs. L'utilisation d'un cotateur unique
pour toutes les figures améliore également la fiabilité des résultats. La méthode de passation
avec un stylo numérique est novatrice et permet d'avoir accès non uniquement au score
mais aussi à la structuration perceptive des figures. Enfin, le sujet est original et n'a jamais
été étudié.
160
2. Validation d’un test de langage pour enfants allophones
La question du bilinguisme est centrale dans la clinique avec des enfants migrants ou
de migrants. Ces enfants grandissent au contact de plusieurs langues et de plusieurs
environnements culturels et il est indispensable de prendre en compte cette diversité dans
leur prise en charge. Pour améliorer les bilans psychologiques, l’évaluation de leurs
compétences dans chacune des langues est essentielle.
Au sein d’une équipe pluridisciplinaire, nous contribuons depuis cinq années à la
validation d’un test d’évaluation des compétences langagières adapté à ces situations de
multilinguisme : l’ELAL d’Avicenne (ELAL pour Evaluation Langagière pour Allophones et
primo-arrivants) destiné à améliorer les bilans psychologiques avec les enfants de migrants.
Ce test a été créé par l’équipe pluridisciplinaire du Centre du Langage de l’Hôpital Avicenne,
centre référent pour les troubles du langage et des apprentissages. La validation de l’ELAL d’
Avicenne et l’étude des facteurs familiaux et transculturels associés au bilinguisme chez les
enfants de migrants nés en France s’inscrivent dans le cadre d’un Projet Hospitalier de
Recherche Clinique national obtenu en 2008.
Nous montrerons quel travail a été fait pour construire ce test de la façon la plus
adaptée possible à une population diverse culturellement, et quels choix méthodologiques
guident sa validation. L’aspect transculturel du test, d’emblée destiné à être traduit et
adapté à différents contextes complexifie sa création et sa validation, par le choix d’items et
de modalités de passation adaptées, ainsi que par une méthode de validation
transculturelle. Celle-ci étant en cours nous proposerons quelques remarques suscitées par
les premiers recueils de données effectués.
161
2.1
Préalable
2.1.1 Les types de bilinguisme
Définir le bilinguisme peut paraître simple au premier abord : on dit de quelqu’un
qu’il est bilingue s’il parle deux langues. Pourtant, si l’on cherche à être plus précis, on se
trouve confronté à la difficile question de décider quelle est la compétence minimale requise
dans chacune des langues pour parler de bilinguisme. Faut-il forcément avoir une
« compétence de locuteur natif dans les deux langues » (Bloomfield, 1935) ? ou « posséder
parfaitement les deux langues » (Le nouveau Petit Robert, 1993) ? Ou peut-on prendre en
compte l’existence presque inévitable d’une inégalité de compétence? En réalité, beaucoup
de personnes que l’on appelle couramment bilingues n’ont pas des compétences de locuteur
natif dans les deux langues, en ce qui concerne chaque habileté linguistique. On peut alors
parler d’habiletés minimales comme dans la définition suivante : « le bilingue est quelqu’un
qui possède une compétence minimale dans une des quatre habiletés linguistiques, à savoir
comprendre, parler, lire et écrire dans une langue autre que sa langue maternelle »
(Macmara, 1967, cité par Hamers et Blanc, 1983, p22). Définir précisément ces habiletés
minimales est difficile et évaluer la qualité d’un bilinguisme revient donc à évaluer les
compétences dans chacune des langues, puis à décider si l’on peut considérer celles-ci
suffisantes pour parler de bilinguisme.
On peut parler de bilinguisme précoce lorsque les deux langues sont acquises avant
cinq ans, période privilégiée pour apprendre à maîtriser une langue parfaitement (BijeljacBabic, 2000). Les autres bilinguismes étant considérés comme « tardifs ». Si les deux langues
sont apprises dès le début de l’acquisition du langage, on parle de bilinguisme simultané,
par opposition aux bilinguismes consécutifs quand une des langues est apprise
162
secondairement. On parle de bilinguisme actif si le sujet est capable de comprendre et de
parler dans les deux langues. A l’inverse, beaucoup d’enfants ont un bilinguisme passif, c’està-dire qu’ils comprennent mais ne s’expriment pas dans une des deux langues (BensekharBennabi et Serre, 2005). Le bilingue équilibré est celui qui a une compétence équivalente
dans les deux langues (Lambert, cité par Hamers et Blanc, 1983, p. 23) ; cette situation est
rare, la plupart des bilingues ayant une des langues dominante par rapport à l’autre (Cutler
et al. cité par Bijeljac-Babic, 2000). Enfin, on parle de bilinguisme additif s’il n’existe aucun
rapport conflictuel ou compétitif entre les deux langues. Au contraire, lorsqu’il y a une
dévalorisation d’un système linguistique par rapport à un autre, il arrive que l’apprentissage
d’une langue se fasse au détriment de l’autre. C’est le cas lorsque la langue maternelle est
dévalorisée par rapport à la langue seconde.
Les enfants de migrants ont donc le plus souvent un bilinguisme précoce, consécutif
et passif du fait de la dévalorisation fréquente de la langue maternelle au profit de celle du
pays d’accueil.
Enfin, il arrive que la langue maternelle soit touchée par un phénomène appelé
« attrition » (Bennabi-Benseckhar et Serre, 2005), consistant en une réduction des
connaissances linguistiques initialement acquises, pouvant aller jusqu’à l’oubli total de cette
langue.
2.1.2 Les différentes pathologies du langage
Les troubles du langage sont regroupés sous la notion de troubles spécifiques du
développement du langage oral (TSDLO). Ils concernent les troubles dans lesquels les
163
modalités normales d’acquisition du langage sont altérées dès les premiers stades du
développement.
On distingue les retards simples de parole et langage et les dysphasies
développementales. Les retards simples de parole et langage concernent les situations où le
langage se développe lentement mais en suivant les étapes normales. Dans ce cas l’enfant
possède les potentialités nécessaires mais ne les mobilise pas, et la prise en charge
orthophonique permet des progrès rapides. Au contraire, quand la compétence linguistique
est atteinte, on parle de dysphasie développementale, trouble sévère et durable qui persiste
malgré une rééducation orthophonique intensive. Ces dysphasies peuvent toucher le versant
expressif seulement, auquel cas la compréhension est préservée. Parfois, elles touchent le
versant réceptif ce qui rend impossible toute communication par le langage.
La distinction entre ces dysphasies et les troubles envahissants du développement est
difficile à faire (Bishop, 2000 ; Leyfer, 2008). En effet, il existe une étiologie commune entre
troubles de la personnalité et dysphasie, liées à des angoisses de séparation ou de perte
d’objet (Misès, 2002, Flagey, 2003). Rappelons que langage et séparation sont mutuellement
dépendants et que « pour pouvoir parler à quelqu’un encore faut-il être hors de, sans fusion,
sans symbiose, sans interpénétration » (Golse, 1990, p150). Le langage, dans sa dimension
symbolique se situe dans un espace transitionnel permettant la séparation (Winnicott,
1975). Rappelons également qu’il est impossible de réduire le langage à une fonction
instrumentale uniquement communicative. Celui-ci est en effet à la base de l’élaboration et
de la structuration de la pensée, et une altération l’affectant implique une grande partie de
la vie psychique d’un enfant.
164
Pour distinguer les simples retards de langage ou de parole des dysphasies
développementales, il va être nécessaire d’évaluer la qualité du langage, dans les deux
langues, si l’enfant évolue dans un contexte bilingue. En effet, il faudra distinguer les
difficultés d’acquisition d’une des langues, voire des deux, des difficultés d’acquisition du
langage en général.
Il existe également un autre trouble, appelé mutisme sélectif ou extra-familial qui se
définit par l’impossibilité pour un enfant de parler à l’extérieur de la maison ou en présence
d’étrangers. Celui-ci serait lié à une forme d’anxiété sociale, ou de troubles phobiques (Elizur
et Perednik, 2003). Mais la prévalence de ce mutisme est 3 à 4 fois plus élevée chez les
enfants de migrants que dans le reste de la population.
2.1.3 Le bilinguisme chez les enfants de migrants
Beaucoup d’enfants de migrants commencent à être intensément en contact avec le
français lors de leur première séparation du foyer familial, à l’entrée à l’école. La langue
seconde devient alors celle de l’adaptation sociale et des fonctions cognitives alors que la
langue première reste centrée sur les fonctions affectives liées à la communication
quotidienne au sein du foyer (Berthelier, 1987). Certains auteurs considèrent que le niveau
de maitrise qu’ils sont susceptibles d’atteindre dans la seconde langue dépend du niveau de
connaissance initial dans la langue maternelle (Hagège, 1996, p. 117, Akif, 2002). La langue
maternelle leur fournit en effet les bases cognitives et affectives qui leur permettent de
découvrir le monde et serviront de base pour l’apprentissage de la seconde langue. C’est
également le point de vue de Bentolila (2008) pour qui on n’entre dans un processus
sémiotique langagier qu’une seule fois et dans la langue maternelle, d’où l’importance de la
165
qualité des apprentissages dans cette langue. Or, en France, le bilinguisme se fait rarement à
l’avantage de la langue maternelle du fait d’une dévalorisation de la plupart des langues
dites « d’origine ». Hagège abonde dans ce sens car selon lui un enfant de migrants
incompétent dans la langue de sa famille risque de cumuler des difficultés similaires dans la
seconde langue apprise à l’école. On aboutirait alors à un « semi-linguisme » où l’individu ne
connaîtrait, dans les deux idiomes que les aspects correspondants à ses besoins immédiats,
au gré des circonstances (Hagège, 1996, pp. 260-262).
Enfin, les difficultés de langage des enfants de migrants doivent être vues à la lumière
des connaissances apportées par la pratique clinique en psychiatrie transculturelle. Moro
souligne en effet que beaucoup d’entre eux ont tendance à établir un clivage entre le monde
lié à la culture familiale, celui de l’affectivité et le monde du dehors, de l’école, de la
rationalité et du pragmatisme. Les troubles du langage s’inscrivent alors dans une difficulté
plus globale à tisser des liens entre ces deux mondes. Les mutismes sélectifs, en particulier,
reflètent souvent une culpabilité de l’enfant à se séparer symboliquement de sa mère pour
intégrer un autre monde dont il la sent exclue. Cette séparation sera d’ailleurs d’autant plus
difficile que cette mère est elle-même déprimée par le trauma migratoire. Il sera nécessaire
pour aider ces enfants à apprendre le français et à investir le monde scolaire des
apprentissages, d’une part de les aider à créer des liens, des passages entre ses univers
(Bennabi-Bensekhar et Serre, 2005), et d’autre part de conseiller aux parents de parler leur
langue à leur enfant, celle dans laquelle ils se sentent le mieux et qui permet de médiatiser
des liens affectifs solides (Abdelilah-Baer, 2002).
2.1.4 Les tests de langage existants pour enfants allophones
166
Les tests de langage en français sont nombreux et très utilisés par les orthophonistes.
Mais la situation devient nettement plus complexe en situation transculturelle et de
bilingualité en raison de l’inadaptation de ces outils (Stow et Dodd, 2003). Pour évaluer les
compétences d’un enfant allophone, c’est-à-direparlant une autre langue que le français, il
est nécessaire d’avoir accès à des tests permettant l’évaluation des compétences en langue
maternelle.
En France, ceux-ci sont actuellement en nombre limité et évaluent uniquement les
compétences en langage écrit des enfants scolarisés en primaire (Le réveil de Pierre,
CASNAV, Rafoni, Deruguine) ou au collège (Francequin). Ils sont destinés aux enfants primoarrivants et non francophones et évaluent les compétences en lecture et en compréhension.
D’autres outils permettent d’évaluer les aptitudes en mathématiques chez les enfants et des
adolescents non francophones à l’aide d’épreuves traduites en différentes langues (Broussy,
Charpentier).
Aux Etats Unis, existe l’OPI (Oral Proficiency Interview) qui a été développé par les
institutions gouvernementales pour fixer les objectifs de maitrise linguistique d’une langue,
dans le domaine éducatif et professionnel. Il a été créé par L’ACTFL (American council on the
teaching of foreign language) et se présente sous forme d’un entretien avec un expert
certifié par l’association. Il est traduit dans 37 langues. Cummins et al., en 1998 ont
développé un test d’évaluation des compétences langagières orales en anglais et dans 18
autres langues : la BVAT. Elle s’inspire de la WJ-R Tests of Cognitive Ability et évalue
essentiellement le lexique. Enfin, le Bilingual Aphasia Test s’adresse aux patients aphasiques
et a été adapté dans 65 langues (Paradis, 1987, cité par Fabbro et al., 2001).
167
Chez les enfants jeunes, Goldberg et al. ont montré en 2007 qu’une erreur fréquente
était d’évaluer trop précocement le lexique alors qu’il faut 34 mois d’exposition à une langue
seconde pour que les enfants d’âge pré-scolaire rattrapent le niveau du lexique de leurs
pairs monolingues. De plus, il ne faut pas oublier que le bilingue ne peut être associé à la
somme des sujets monolingues (Grosjean, 1982). Le développement langagier d’un sujet
bilingue possède ses propres spécificités, comme par exemple la répartition du lexique sur
les deux idiomes chez les bilingues simultanés. Ainsi un seul test ne peut suffire à mesurer
toutes les connaissances lexicales d’un individu bilingue (Paradis, 2005).
Il n’existe pas à ce jour d’outil validé pour évaluer la langue maternelle des enfants de
migrants, à l’usage notamment des professionnels de santé. Il existe donc un manque
d’outils à la disposition des professionnels de l’enfance dans leur activité de dépistage et de
prise en charge précoce des troubles du langage. C’est pourquoi il était nécessaire de créer
un outil transculturel d’évaluation du niveau en langue maternelle, qui est inédit et n’a pas
d’équivalent anglo-saxon : « l’ELAL d’Avicenne » (ELAL pour Evaluation Langagière pour
Allophones et primo-arrivants).
2.2
Pourquoi évaluer le bilinguisme des enfants de
migrants ?
2.2.1 Intérêt pour la clinique
Un intérêt diagnostique
Sur le plan clinique, il est indispensable de pouvoir évaluer les compétences
langagières en cas de suspicions de retard de langage, pour les enfants évoluant dans un
168
contexte multilingue comme pour les autres. Or, pour pouvoir faire cette évaluation les tests
existants ne sont valides que pour le français. Comme le fait remarquer Paradis en 2005, s’il
n’est possible d’évaluer qu’une des langues et qu’il s’agit, en plus, d’une langue à laquelle
l’enfant est exposé depuis moins de 3 ans, il faut être très prudent avant de tirer des
conclusions car tout un pan des compétences de l’enfant est ignoré (Paradis, 2005). On ne
pourra en effet pas discerner s’il s’agit d’une difficulté à apprendre le français chez un enfant
ayant de bonnes compétences dans sa langue maternelle, ou s’il s’agit d’un simple retard de
parole facilement corrigeable par une rééducation, ou encore s’il s’agit d’un enfant ayant
des difficultés plus générales à entrer dans le langage. Sans l’aide d’un test d’évaluation des
compétences en langue maternelle, les professionnels n’ont d’autre recours pour évaluer les
compétences précocement acquises par l’enfant dans cette langue première, que d’utiliser
les indications fournies par les parents ou les autres adultes de son environnement. Mais ces
indications sont difficilement utilisables car les parents ne sont pas spécialistes du
développement du langage et parce que leur point de vue n’est pas objectif. Une évaluation
faite à la fois en français et en langue maternelle doit permettre au contraire d’obtenir des
informations précises sur les compétences de l’enfant dans chacune des langues et de
distinguer différents profils :
- Harmonie des langues : les résultats sont satisfaisants aux deux tests, en français et
en langue maternelle. Les enfants sont donc à l’aise dans les deux langues et l’enfant passe
harmonieusement de l’une à l’autre.
-Dysharmonie des langues : soit l’enfant a des difficultés en français mais pas en
langue maternelle, soit c’est l’inverse. Cela peut témoigner d’une mauvaise maîtrise de la
169
langue maternelle ou d’une attrition de cette langue. Sont concernées aussi les situations où
l’enfant ne parvient pas à apprendre le français.
-Difficulté dans les deux langues : Aucune des deux langues n’est maîtrisée et les
résultats aux deux tests sont mauvais. L’enfant a peut-être un trouble du langage.
Une information sur les processus de transmission
Evaluer les compétences en langue maternelle permet donc d'améliorer l'évaluation
des troubles du langage et de proposer une prise en charge plus adaptée. Mais au-delà de la
question du langage, cette démarche apporte aussi des informations aux psychologues sur
les processus de transmission mis en œuvre par la famille et l’enfant dans le contexte
migratoire (Moro 1994, 1998, 2004 ; De Plaën et al. 1998). En effet, la transmission de la
langue maternelle est un des aspects d'une transmission plus générale de la culture d'origine
qui se fait de façon plus ou moins harmonieuse selon les familles. Cette transmission est
d'autant plus assurée que les parents ont conscience de leur envie de transmettre et se
donnent les moyens de le faire. En effet, contrairement à ce qui se passe quand la culture de
la famille et celle de la société sont les mêmes, les familles migrantes portent seules la tâche
de transmission de la culture d'origine ce qui nécessite un démarche active, une volonté.
Certaines familles peuvent se trouver en difficulté par rapport à la transmission, soit du fait
d'un vécu traumatique rendant l'évocation de la culture d'origine douloureuse, soit du fait
d'une inscription trop difficile dans le pays d'accueil les rendant peu disponibles pour
transmettre. Certains parents peuvent avoir le désir de faire "table-rase" du passé, de tout
recommencer à zéro ou bien dévaloriser leur culture d'origine au profit de la culture du pays
d'accueil. L’exploration de la question de la transmission est essentielle pour comprendre les
170
problématiques des enfants de migrants rencontrés, et les compétences effectives,
objectives, en langue maternelle seront un indice du type de transmission à l'œuvre dans la
famille. Il sera alors intéressant de les comparer à ce que les parents pensent de ces
compétences, à ce qu'ils disent de leur envie de transmettre, de leur difficulté à le faire, de
la façon dont ils vivent la migration.
Enfin, s'il est nécessaire d'évaluer les compétences cognitives dont un enfant a besoin
à l'école par des tests standardisés, évaluer conjointement la langue maternelle est une
façon de montrer à l'enfant que les compétences qui peuvent être valorisées concernent
aussi ce que la famille lui transmet. Montrer à l'enfant et à sa famille ce dont il est capable
grâce à la transmission familiale, valoriser le bilinguisme comme un point fort, un avantage
dans notre société est une manière aussi de valoriser l'enfant dans sa multiplicité culturelle.
Cette évaluation peut ainsi être le contrepoids des tests cognitifs très scolaires renvoyant le
plus souvent à la culture du pays d'accueil, surtout quand les parents ont peu fréquenté
l'école eux-mêmes. Un retour conjoint des résultats à ces deux tests est ainsi un moyen de
sortir d'un clivage entre ce qui est transmis par l'école et ce qui est transmis par les parents.
2.2.2 Intérêt pour la recherche
Mieux connaître les compétences des enfants en langue maternelle
On connaît actuellement très mal les compétences des enfants de migrants en langue
maternelle. Pour beaucoup il semble évident qu'un enfant grandissant au contact de deux
langues soit bilingue. Pourtant la pratique clinique montre que les choses sont bien plus
complexes, et une étude de 2004 est arrivée à la conclusion que les enfants présentant un
bilinguisme équilibré ne représenteraient que 5 % à 15 % des enfants dits bilingues (Moro,
171
2004, p85). Nous savons peu de choses sur les compétences réelles des enfants de migrants
dans leurs différentes langues puisqu’il n’y avait pas de test pour les évaluer. Mais il serait
intéressant de les décrire et de savoir plus précisément comment elles s’organisent dans la
majorité des cas. Une bonne maîtrise du français est-elle le plus souvent liée à une bonne
maîtrise en langue maternelle? Les enfants ayant beaucoup de compétences en langue
maternelle ont-ils généralement un niveau moins bon en langue seconde? La pratique
clinique tend à poser l'hypothèse qu'une bonne maîtrise de la langue maternelle est le plus
souvent accompagnée d'une bonne maîtrise en français. Cette hypothèse a besoin d'être
testée.
Pour le faire, nous avons décidé, au sein de l’équipe de recherche sur l’ELAL au
Centre du Langage du Service de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent d’Avicenne,
de profiter de la validation de l’ELAL pour décrire les compétences des enfants à la fois dans
leur langue maternelle mais aussi en français. Nous proposons donc des extraits de la NEE-L
(Nouvelles Epreuves pour l'Examen du Langage, Chevrie-Muller, 2001), ainsi que l’ELAL
d’Avicenne. Il sera ainsi possible d'établir un profil langagier pour chaque enfant participant
à l'étude. C’est le cadre, depuis 2008, d’un Projet Hospitalier de Recherche Clinique national.
Chercher les facteurs associés à un bilinguisme de qualité
La description du profil langagier d’un enfant de migrant, par l’évaluation des
compétences en langue maternelle et en langue seconde, rend aussi possible une
exploration plus approfondie des facteurs qui lui sont associés. Par une étude de
l’environnement de l’enfant, des pratiques langagières qui l’entourent et de tous les
paramètres qui peuvent, a priori, influencer le développement du langage, il est possible de
172
chercher quels sont les facteurs associés aux différents types de bilinguisme. Quelles sont les
composantes psychologiques des profils langagiers ? Quels sont les paramètres qui facilitent
l'apprentissage de la langue seconde et la construction d'un bilinguisme harmonieux ? La
recherche menée au centre du Langage d’Avicenne se propose ainsi de mettre en évidence
les facteurs déterminants dans l'acquisition du bilinguisme en tenant compte de l'histoire
migratoire, de la nature des affiliations culturelles, du parcours langagier. Le groupe culturel
d'appartenance, le rang dans la fratrie, l'histoire familiale sont également des variables qui
peuvent influencer non seulement le désir des parents de transmettre leur langue mais
également la capacité des enfants de la recevoir. En équipe, nous avons ainsi créé un
entretien avec les parents évoquant les pratiques langagières, l'histoire de la migration et les
questions de transmission. Il a été construit pour accéder à la fois aux pratiques langagières
au sein de la famille et aux représentations des parents. Les pratiques langagières
correspondent au contexte langagier dans lequel évolue l’enfant : qui parle quelle langue à
la maison, dans quelle langue regarde-t-il la télévision, a-t-il accès à des livres en langue
maternelle, suit-il des cours?… A travers le discours des parents sont étudiées aussi les
affiliations culturelles, l’investissement de la transmission de la langue maternelle et les
relations intra-familiales.
Ainsi, nous devrions être capables de mieux comprendre les troubles du langage chez
les enfants de migrants et d’obtenir peut-être de nouvelles pistes de réflexion sur les aides
thérapeutiques adaptées. L’apprentissage des langues ayant un impact très fort sur les
apprentissages scolaires en général, mieux connaître les facteurs favorisant l’apprentissage
173
des deux langues de manière harmonieuse doit ouvrir aussi des pistes d’amélioration de
l’accompagnement des enfants de migrants à l’école.
2.3
Création du test
La création de l’ELAL est venue répondre au besoin urgent d’évaluer le langage des
enfants fréquentant le Centre du Langage du Service de Psychopathologie de l’Enfant et de
l’Adolescent de l’Hôpital Avicenne. Nombre de ceux-ci, du fait de l’implantation
géographique de l’hôpital, sont d’origine migrante et grandissent donc souvent au contact
de deux ou plusieurs langues. Ce test émane donc directement de la clinique, son but étant
d’aider les professionnels à se repérer et à faire des choix thérapeutiques. Il a un objectif de
dépistage, d’évaluation globale.
Un des enjeux de sa création a été de produire un outil suffisamment universel pour
pouvoir être validé puis utilisé dans un grand nombre de langues différentes, avec l’aide d’un
traducteur. Il a donc fallu réfléchir aux universaux de développement du langage qu’il
pouvait mesurer ainsi qu’à un choix d’items suffisamment universel pour qu’une adaptation
transculturelle soit possible. La structure du test ainsi que le choix des items se sont faits en
fonction de ces objectifs et des caractéristiques que l’on souhaitait lui donner.
2.3.1 Cahier des charges
Un outil facilement adaptable dans de nombreuses langues
L’un des buts de l’ELAL d’Avicenne est d’être, contrairement aux autres tests de
langage, facilement adaptable d’un contexte culturel et langagier à l’autre. Autrement dit, il
174
s’agit de créer un test comportant le moins de biais culturels possibles pour préparer les
adaptations futures, tout en sachant qu’il est impossible d’éliminer tous ces biais et que des
validations par langues seront nécessaires.
S’il est difficile de créer un test de langage utilisable dans toutes les langues, c’est
notamment parce que les difficultés langagières varient d’une langue à l’autre de sorte que
les marqueurs de trouble de langage ne se retrouvent pas dans les mêmes erreurs. Par
exemple, si en français ou en espagnol les troubles peuvent être détectés notamment par
des erreurs dans l’utilisation du pronom « me » ou « te » (Paradis, Crago, Genesee et Rice
2003 ; Jacobson et Schwartz, 2002) ils touchent souvent la conjugaison du verbe à la 3 ème
personne du singulier en anglais, ou la présence de l’auxiliaire du verbe au passé (Rice et
Wexler, 2001). Il est donc impossible de traduire les tests orthophoniques d’une manière
immédiate d’une langue à l’autre. De plus les normes adaptées aux enfants monolingues
n’évaluent pas bien les enfants bilingues dans les premières années car le développement du
langage, notamment concernant le lexique, se fait de façon spécifique.
Pour construire un test facilement adaptable d’une langue à l’autre, il est donc
nécessaire de rechercher quels sont les invariants sur lesquels le clinicien pourra se baser,
pour juger des compétences du sujet.
Au cours des années 1980, des comparaisons entre les langues, menées par Slobin,
professeur de psychologie à Berkeley, ont permis de dégager des universaux dans le
processus d'acquisition du langage. La question qui se posait alors était la suivante : la
structure de la langue que doit acquérir l'enfant influence-t-elle le processus d'acquisition
lui-même ? Par une investigation de grande ampleur, conduite sur plus d'une quarantaine de
langues, il conclut à l'existence d'universaux dans le traitement du langage par l'enfant,
175
concernant le développement des notions sémantiques exprimées par le langage, dont le
rythme et l'ordre sont constants chez des enfants apprenant des langues différentes, et ce
quels que soient les moyens formels de leur expression (Slobin, 1985).
Ainsi, si un seul test traduit dans différentes langues ne peut pas évaluer de façon
précise les acquisitions spécifiques à chaque langue, et ne peut pas conduire à la
détermination d’un niveau linguistique selon les principes classiques, il est par contre
possible de mesurer des compétences langagières minimales existantes dans toutes les
langues et donc d’utiliser un outil adapté d’une langue à l’autre pour évaluer une maîtrise
minimale en langue maternelle. Il s’agit donc davantage d’un outil de dépistage que d’une
évaluation fine des compétences en langue maternelle.
Autre exigence lors de la création du test, il est indispensable que les items choisis
puissent être utilisables dans des contextes culturels très variables. Il faut donc éviter les
biais de matériel, c’est-à-dire choisir des supports qui soient les plus universels possibles.
Un test court et simple pour être utilisable avec des traducteurs
Enfin, il était nécessaire que le test soit suffisamment court et facile d’utilisation pour
que sa passation puisse être possible par des traducteurs extérieurs. Pour que la passation
soit optimale, il est en effet souhaitable que la seule langue utilisée soit la langue testée. La
présence d’une traduction instantanée des items, si le psychologue ou l’orthophoniste
donnait les consignes ensuite traduites par l’interprète, introduirait en effet un degré
supplémentaire de complexité dans l’environnement de l’enfant et pourrait influencer sa
production. Il est donc nécessaire que seul l’interprète interagisse avec l’enfant,
éventuellement assisté et guidé par l’orthophoniste ou le psychologue silencieux. Le test
176
doit donc être facile d’utilisation pour qu’un interprète, légèrement formé préalablement
mais ne pratiquant pas la psychométrie quotidiennement, puisse le faire passer
convenablement. Les indications qui seront relevées alors concernant l’évaluation de
l’accent ou la fluidité d’élocution seront d’une aide précieuse. De plus les interprètes se
déplacent sur un temps limité et il est nécessaire que le test puisse être proposé en une
seule fois.
Pour décrire les exigences qui ont mené à la construction du test, nous proposons de
les résumer dans un tableau. Nous suivrons la trame proposée par Falissard (2001, p. 52) qui
résume les principaux points à aborder systématiquement lors de l’élaboration d’un nouvel
instrument de mesure subjective en santé. Nous proposons de suivre ce guide pour établir le
cahier des charges.
Cahier des charges
Objectif de l’instrument : évaluer des compétences langagières minimales chez des enfants
allophones.
Spécification du domaine d’étude :
Définition du concept à mesurer : les compétences langagières minimales sont celles qui
sont acquises précocement dans toutes les langues selon différentes dimensions : la
production, la compréhension et la production de récit.
Population de patients cible : enfants âgés de 5 à 6 ans, c’est-à-dire étant entrés dans le
langage oral mais pas encore dans le langage écrit, et évoluant au contact d’une autre
langue que le français.
177
Instrument mesurant un état et non pas un changement d’état
Spécification des caractéristiques de l’instrument :
Paradigme de mesure retenu : mesure « théorie », c’est-à-dire à plusieurs items choisis en
fonction de la théorie sous-jacente à la définition du concept mesuré
Contexte d’utilisation : aide au diagnostic clinique, dépistage de troubles du langage sévère,
établissement du profil langagier d’un sujet.
Taille approximative de l’instrument : utilisable en trente minutes environ pour pouvoir le
faire avec un traducteur
Structure de l’instrument : un sous-score par dimension (production, compréhension et
production de récit) et un score global.
Hétéro-évaluation
Niveau d’expertise requis pour la passation : traducteur professionnel extérieur à la famille
du patient, assisté d’orthophoniste, psychologue ou psychiatre familier du test
2.3.2 Les questions autour de sa création
Une fois le cahier des charges établi, un inventaire des items potentiellement
intéressants a été effectué, notamment en s’inspirant d’autres tests d’évaluation des
compétences langagières, et en travaillant avec des professionnels du domaine, des
orthophonistes travaillant souvent avec des populations allophones. Puis, les items ont été
choisis en groupe pluridisciplinaire composé d’orthophonistes, de psychologues, de
psychiatres et d’étudiants. Ce « panel d’experts » (Falissard, 2001, p. 58) s’est réuni très
178
régulièrement jusqu’à obtenir un consensus sur les items, la structure de l’outil et le modèle
de mesure adaptés.
Choix des items
Il a fallu sélectionner des items représentant des acquisitions très précoces dans
toutes les langues et donc dans tous les univers culturels. Il a été décidé qu’on pouvait
considérer qu’un enfant avait une maîtrise acceptable dans sa langue lorsqu’il a intégré les
structures syntaxiques essentielles, un stock de vocabulaire appréciable, une variété de
façons de dire adaptées aux situations, ainsi que les règles de l’interaction avec des
locuteurs différents (Wallon, 2008). Ces différentes compétences sont regroupées en trois
catégories : compréhension, production et récit, coté selon certains critères comme la
capacité à identifier le protagoniste principal, l’action principale, une autre action et à
exprimer un dénouement.
Cette exigence de créer un test dont la structure théorique puisse être transposée
d’un contexte à l’autre a donc pour but d’éviter les biais de construit dans les futures
adaptations. Mais même si des efforts sont faits pour faciliter les adaptations futures il sera
tout de même indispensable de vérifier la validité des nouveaux outils et d’être attentifs aux
items qui paraîtront trop différents des autres et risqueront donc d’être biaisés.
Pour le lexique il a donc été nécessaire de trouver trente-six objets ou animaux,
présents dans tous les univers culturels et faisant partie du vocabulaire le plus courant dans
l’environnement des enfants. De même il a fallu trouver des supports de récits, d’images qui
puissent être compris par tous les enfants, en évitant que certains ne se sentent plus
éloignés de la thématique choisie que les autres. Même s’il est impossible de trouver des
179
thématiques totalement universelles, certains choix ont été faits : la partie de ballon où un
enfant se blesse, une dame qui oublie son sac et récompense la petite fille qui lui apporte
par un bonbon, une séance de pêche où un petit garçon attrape un poisson puis le mange en
famille. Ont également été privilégiés, pour le dénombrement ou la localisation spatiale, les
éléments de la vie quotidienne : vêtements, oiseaux, vaisselle (verre), arbre, chat, chaise…
Il est apparu que dans de nombreuses langues une partie du vocabulaire est
constituée par des emprunts à des langues occidentales, français et anglais notamment.
C’est le cas par exemple des langues arabes ou tamoules, à cause notamment des
dominations coloniales. Pour les enfants grandissant en France au contact de ces langues, le
test est alors d’autant mieux réussi en langue maternelle que le lexique demandé touche un
grand nombre de mots empruntés à la langue du pays d’accueil. Lors de la construction du
test, les mots de vocabulaire trop souvent empruntés ont donc été évités pour ne pas
surévaluer ces enfants. C’est le cas par exemple du mot « cadeau » ou du mot « banane ».
D’autres termes par contre ont été gardés malgré tout, comme « train » utilisé en français et
en tamoul. Ces spécificités, difficiles à prendre en compte lors de la création de la première
version du test seront alors à travailler dans les versions adaptées dans chaque langue.
Structure de l’outil et modèle de mesure
La structure de l’outil avait été déterminée dès le cahier des charges. Le test est
divisé en trois échelles : une de production de lexique, une de compréhension et une de
production de récit. Chacune des deux premières parties comportent cinq catégories. Pour
l’échelle de production : dénomination de couleurs, dénombrement, localisation spatiale,
lexique sur image, lexique sur objets. Pour l’échelle de compréhension : désignation des
180
couleurs, qualification d’états ou de formes, localisation spatiale, compréhension d’énoncés,
lexique sur images. Il a été décidé que les items de chaque catégorie seraient répartis de
façon à s’alterner au cours de la passation pour la rendre moins monotone. La production de
récit est située en avant-dernière position dans le test, afin de permettre à l’enfant de s’être
suffisamment habitué à la situation, de s’être accoutumé à parler la langue du test, et pour
ne pas finir sur cet exercice plus difficile que les autres. Elle comporte trois séries d’images
servant de support chacune à la production d’un récit. Un item d’apprentissage a également
été ajouté en premier lieu pour que l’enfant fasse l’expérience d’une histoire racontée à
partir de quatre images.
Le modèle de mesure est le modèle mathématique choisi pour obtenir le score final.
Ici le modèle choisi est le plus fréquent : le score final est égal à la somme des scores
obtenus aux items. Chaque échelle de production et de compréhension donne un résultat
sur 32 points, répartis en fonction des différents items choisis et l’échelle de production de
récit donne un résultat sur 36 points, 12 par récit. Le total est donc sur 100 points
(32+32+36).
Le test, dans sa version actuelle est en annexe (annexe 1).
2.4
La méthode de validation
2.4.1 Validation dans trois langues, trois contextes
Trois premières langues ont été choisies pour les premières versions du test : l’arabe,
le tamoul et le soninké. Les validations se feront sur des échantillons de 50 enfants de 5 à 6
181
ans, nés en France de parents locuteurs d’une de ces langues, et scolarisés en dernière
section de maternelle. Les deux parents doivent parler la même langue.
Les trois langues de l’étude sont très présentes parmi les populations migrantes en
France et représentent des contextes différents. La plupart des pays de langue arabe dont
sont issus les migrants sont marqués par une longue et lourde histoire coloniale avec la
France. Il en résulte un multilinguisme ambiant et une bilingualité fréquente des parents. Les
migrations sont parfois anciennes, entraînant une longue histoire de la famille en France.
D’autres migrants sont venus récemment. La langue tamoule, parlée en Inde du Sud et au Sri
Lanka, concerne une population très majoritairement arrivée récemment en France. Les
migrants venus du Sri Lanka ont souvent vécu un départ rapide à la suite d’une guerre
violente. Ce vécu traumatique accompagne une émigration de survie, où peu de
représentations préparent l’arrivée dans le pays d’accueil. Et ceci d’autant plus pour les
migrations en France du fait de l’absence d’histoire coloniale avec le pays d’origine. Le
soninké est parlé en Afrique de l’Ouest à l’Ouest du Mali, à l’Est du Sénégal et au Sud de la
Mauritanie notamment. C’est une langue de transmission orale, rarement écrite. La plupart
de ses locuteurs sont multilingues et parlent aussi d’autres langues africaines dont
notamment le bambara, et parlent le français, langue officielle dans la plupart des pays,
support des enseignements et langue véhiculée par les classes dirigeantes.
La procédure de validation choisie retient un minimum de 50 passations pour chaque
langue, dans des conditions standardisées. Ces passations sont réalisées dans des écoles par
des psychologues chercheurs locuteurs de ces langues.
182
2.4.2 Des validations dans les pays d’origine
Afin de s’assurer que la théorie définitoire des compétences langagières minimales
mesurées par le test est correcte dans chaque contexte et que le test mesure bien, comme il
est attendu, des acquisitions effectuées précocement, il est nécessaire de s’assurer que des
enfants natifs de parents locuteurs de cette langue et évoluant dans un contexte où cette
langue est majoritaire voire unique réussissent parfaitement tous les items. Etant donné que
ces conditions ne peuvent être réunies que dans les pays où la langue en question est
majoritaire, il a été décidé de faire des validations dans les pays d’origine pour chaque
version. Pour cette validation un nombre de 20 protocoles est requis et permettra de vérifier
que le test « sature » chez ces enfants non-migrants. Si ce n’est pas le cas, la définition des
compétences langagières minimales universelles à la base de la création du test d’avèrerait
mauvaise, ou en tout cas leur caractère universel serait à nuancer. Pour la première vague
de validations il est donc nécessaire de se rendre au Sri Lanka ou en Inde pour le tamoul, au
Mali, en Mauritanie ou au Sénégal pour le soninké et au Maroc, en Algérie ou en Tunisie
pour l’arabe.
2.4.3 Les mesures de fidélité et validité pour chaque version
Chaque traduction du test dans une nouvelle langue donne lieu à la création d’une
nouvelle version du test dont les propriétés psychométriques doivent être mesurées. En
effet, comme nous l’avons vu plus haut, la traduction d’un test peut donner lieu à de
nombreux biais langagiers et culturels (de construit, de matériel…) qu’il faut identifier et, si
possible, éviter par des modifications par rapport au test source.
183
Que mesure l’instrument ?
Différentes mesures de validation sont nécessaires, comme nous l’avons vu en partie
théorique.
D’abord celles qui évaluent si le test mesure bien ce qu’il doit mesurer, en
l’occurrence des compétences minimales précoces en langue maternelle. On étudie les
relations entre les différents items, par exemple par des équations structurelles, afin de
s’assurer qu’ils explorent un seul concept, qu’ils forment une famille unidimensionnelle.
C’est la validité structurelle. On peut également vérifier la validité de contenu en s’assurant
que chaque item contribue à explorer ce que mesure le test, c’est-à-dire ici si chaque item
ne mesure que des connaissances langagières précoces, sous différentes formes.
Il va être nécessaire, d’autant plus que les différentes versions touchent à des univers
culturels et à des langues différentes, de vérifier la validité conceptuelle (en anglais
« construct validity »). Il s’agit de vérifier que dans le nouvel environnement culturel, la
construction en sous-parties choisie lors de la définition du concept mesuré, ainsi que le
poids de chaque partie et de chaque item par rapport aux autres, c'est-à-dire la pondération,
est valide. Ici, il s’agit de s’assurer qu’il est pertinent de donner, dans le score, telle
importance au récit ou à la production par rapport à la compréhension. Le test étant
construit sur le concept d’universaux langagiers, la construction du test est censée être
valide et équivalente pour toutes les langues.
Mais cela mérite d’être vérifié. Par exemple la production d’un récit occupe une place
importante dans le score globale (plus d’un tiers des points). Si la structure du test s’avérait
équivalente dans toutes les langues, la relation entre le score obtenu au récit et aux autres
épreuves devraient être à peu près la même dans tous les contextes culturels. Or, la
184
capacité à construire un récit, librement, et sans l’intermédiaire d’un représentant de la
culture n’apparaît peut-être pas partout à un même niveau de compréhension et de
production de lexique. Des recherches à Madagascar montrent par exemple que des règles
implicites régissent les prises de parole : seuls les adultes référents de la culture sont
autorisés à prendre la parole pour faire un récit. Les autres, et notamment les enfants, se
réfèrent à ceux-ci ou aux traditions pour s’exprimer (Racotomalala, 2012). Les enfants
malgaches ont donc souvent des difficultés à formuler un récit à partir d’images inédites
pour eux, même si leur niveau langagier est bon. Ils auront alors un score au récit plus faible
par rapport aux autres scores que dans un contexte culturel français et leurs compétences
langagières générales risquent d’être sous-estimées avec l’ELAL d’Avicenne. La structure
même du test nécessite alors peut-être des aménagements.
Enfin, d’autres mesures permettant de vérifier expérimentalement la théorie
définitoire pourraient être pratiquées. On pourrait faire par exemple une mesure de la
validité convergente, c’est-à-dire vérifier que les résultats de l’enfant sont cohérents avec les
prévisions de locuteurs de la langue, ou avec d’autres mesures langagières faites avec un
test différent, si cela existe. La validation de l’ELAL d’Avicenne en français pourra par
exemple compter une validation convergente avec un autre test de langage comme la N-EEL.
Que vaut la mesure ?
Une autre série de mesures concerne la valeur de la mesure, ses propriétés
métriques.
La
fiabilité,
ou
consistance
interne
revient
à
nouveau
à
vérifier
l’unidimensionnalité de l’instrument et à souligner, par des mesures de cohérence, si
certains items, dont les résultats sont toujours très différents de ceux des autres items, ne
185
mesurent pas en réalité autre chose que le concept voulu. Ces items mériteront d’être
étudiés et devront soit être maintenus parce qu’ils apportent quelque chose à la mesure,
soit être modifiés pour s’approcher davantage du concept mesuré, soit être supprimés. On
doit mesurer ensuite si l’outil est précis : obtient-on les mêmes résultats d’une fois sur
l’autre (fidélité test-retest) et d’un examinateur à l’autre (fidélité inter-juge) ? Pour cela la
procédure adoptée est celle de l’enregistrement des productions des enfants qui donneront
lieu à plusieurs cotations par des examinateurs différents. Le même enfant ne peut pas en
effet passer le test à plusieurs reprises avec des personnes différentes, car cela modifierait
trop ses productions par un effet d’apprentissage. C’est donc la cotation dont la fidélité
inter-juges sera mesurée. Enfin, il faudrait s’assurer que l’instrument est sensible, c’est-à
dire qu’il est capable de discriminer des profils différents. On pourrait mesurer par exemple
dans quelle mesure des enfants ayant des compétences différentes en langue maternelle,
évaluée par exemple par une échelle visuo-analogique par des locuteurs de la langue,
obtiennent des résultats différents.
Si des biais apparaissent lors de ces mesures, des changements d’items seront
effectués. Compte tenu des spécificités de chaque langue, les résultats obtenus avec deux
versions différentes du test ne pourront, dans ce cas, pas être comparés entre eux.
2.5
Premières remarques
La phase de validation ayant commencé, nous avons à ce jour fait 18 passations, en
binôme avec différents interprète-psychologues, dont huit en tamoul, quatre en arabe et
trois en soninké. Nous avons également participé à l’organisation des passations auprès des
écoles concernées. Ce travail, ainsi que les premières passations effectuées et les discussions
186
qu’elles ont suscitées au sein de l’équipe de recherche permettent de faire ces premières
remarques.
2.5.1 Les débats autour de la traduction
La traduction de l’ELAL dans les trois langues d’étude, nécessaire avant la validation
de l’outil, a suscité de nombreux débats. Ceux-ci ont été particulièrement vifs pour la
traduction en arabe, langue comportant des différences importantes selon les régions et les
niveaux de langue. Ainsi il est apparu que certains items pouvaient être traduits de diverses
façons selon la région d’origine ou le registre linguistique, plus ou moins familier ou soutenu.
Par exemple, une « roue » (item de l’échelle de compréhension) peut être traduite par
« rouida » ou « jajara » dans certaines régions. Face à cette situation plusieurs
aménagements sont possibles : la première est de considérer que les variantes de l’arabe
sont trop différentes pour créer une seule version et que cette version unique ne testera pas
tous les enfants de langue arabe d’une manière satisfaisante. Dans ce cas il faudra valider
non pas une seule version en arabe mais une en arabe d’Algérie, une en arabe du Maroc, de
Tunisie, avec un échantillon de passation suffisant pour chaque version. L’autre possibilité
est de chercher à adapter la version arabe du test en faisant les aménagements suffisants
pour la rendre utilisable pour les différentes langues. Il s’agit alors d’éviter les items
conflictuels ou de trouver un moyen de limiter les biais liés à ces différences de vocabulaire.
Pour les items de production de vocabulaire il suffit de préciser dans le manuel toutes les
réponses acceptées. Pour la production de récit, cela nécessite de ne travailler qu’avec des
interprètes capables de comprendre les différents arabes pour lesquels la version sera
validée. En revanche ce sont certains items de compréhension qui posent problème. Lorsque
187
l’enfant doit désigner, parmi plusieurs images quelle est celle qui correspond à ce qui est dit,
il est possible de lui proposer d’abord la version du mot qu’il est le plus probable qu’il
comprenne, et, en cas d’erreur, de lui proposer une autre version du mot. Si l’enfant se
corrige naturellement l’item sera alors validé. Cette solution reste alors valable si l’enfant a
de nombreux choix, ce qui n’est pas le cas actuellement dans l’échelle de compréhension. Il
sera donc nécessaire de transformer tous les items où l’enfant n’a à choisir qu’entre deux
dessins.
Etant donné que le but du test n’est pas d’évaluer une connaissance fine du
vocabulaire mais un niveau minimal de compétences en langue maternelle, cette solution,
plus souple, parait plus à même de répondre aux besoins des cliniciens.
2.5.2 Un outil qui semble efficace mais valorise les connaissances
scolaires
Malgré les efforts faits pour choisir des items liés au contexte de vie quotidien des
enfants quelle que soit leur culture, il apparaît dans ces premières passations que les items
concernant les couleurs et le dénombrement sont souvent plus échoués que d’autres
items. Ils semblent en effet très liés aux apprentissages scolaires et peut-être plus
généralement valorisés par la culture occidentale. Le test commence par les couleurs, ce qui
peut inhiber les enfants qui ne connaissent ces mots que dans la langue de l’école, le
français, et sont en difficulté pour passer dans leur langue maternelle. Ces items restent
malgré tout des connaissances de base qui semblent saturer dans les pays d’origine même si
elles sont peut-être moins enseignées par les familles dans la migration.
188
Lors de ces premières passations les enfants sont d’ailleurs plus à l’aise en français,
lors de la passation de la NEE-L que dans leur langue maternelle, confirmant que la
transmission de la langue maternelle ne se fait pas automatiquement mais que beaucoup
d’enfants de cinq ans abordent les apprentissages scolaires en français sans avoir une
première langue sûre servant de base à l’apprentissage d’une langue seconde. Le décalage
entre les deux langues s’observe notamment à la production de récit, plus difficile dans la
langue maternelle qu’en français, et suscitant souvent une grande timidité, comme si ce
type d’exercice était inhabituel dans la langue première.
2.5.3 L’accueil dans les écoles
La recherche nécessite un long travail de terrain. Les parents sont informés de l’étude
par un membre de la recherche lors de réunions de rentrée et par un mot dans le carnet de
correspondance de l’enfant, rédigé dans les trois langues concernées par la première série
de validation (tamoul, soninké et arabe). Ce document se trouve en annexe (annexe 2). Puis
pour que le premier contact avec les chercheurs ait lieu il faut que les parents se manifestent
d’eux-mêmes, soit au directeur soit directement aux chercheurs qui ont laissé leurs
coordonnées. Les directeurs doivent alors faire signer aux parents une feuille de
consentement pour pouvoir transmettre leur numéro de téléphone au psychologue. Dans la
pratique il est rare que les parents fassent la démarche spontanément et ce sont alors aux
enseignants et directeurs de les relancer et de leur exprimer leur confiance à l’égard de
l’équipe de recherche. Une fois les parents disposés à donner leur numéro de téléphone aux
chercheurs, ceux-ci peuvent prendre le relais et organiser les choses directement avec les
189
parents. Enseignants et directeurs sont ainsi mis au centre de l’étude, et leurs réactions et
attitudes vis-à-vis de l’école ont un impact direct sur l’avancée de la recherche.
Les réactions à l’égard de la recherche ont été très variables d’une école à l’autre.
Certaines écoles, déjà engagées dans des réflexions anciennes sur l’accueil des enfants de
migrants, ont accueilli la recherche avec enthousiasme. Il a alors été très facile de rencontrer
les familles concernées par la recherche, c’est-à-dire parlant le tamoul, l’arabe ou le soninké,
parce que l’équipe enseignante connaissait les langues parlées par les parents ou pouvaient
les demander facilement, et parce que les enseignants ont présenté la recherche avec plaisir
et facilité. Les recueils ont donc pu se faire aisément dans un climat de confiance et de
simplicité. Dans ces écoles la diversité culturelle semble donc pouvoir s’exprimer simplement
et les pratiques des enseignants se sont adaptées à la multiplicité de langues, avec la mise en
place par exemple de petites réunions entre parents locuteurs d’une même langue et
enseignants communiquant par l’intermédiaire d’un traducteur.
Dans d’autres écoles la prise de contact avec les familles s’est avérée beaucoup plus
difficile. Plusieurs réactions peuvent être distinguées. Dans un certain nombre
d’écoles, l’équipe a accueilli le projet avec une bonne volonté apparente, semblant adhérer
au principe de l’étude et en comprendre les enjeux. Pourtant, une fois le processus entamé,
on constatait un manque d’engagement réel. Les parents intéressés n’étaient pas relancés,
les directeurs ne se renseignaient pas sur les familles potentiellement concernées par la
recherche et si un accord de principe avait été donné au départ, le projet n’était pas porté
en interne par les professionnels. Parmi ces écoles, on compte notamment certains
établissements de Seine-Saint-Denis où l’équipe enseignante est très jeune et peu
expérimentée et où ces questions de langues et de cultures sont vécues comme un élément
190
de complexité supplémentaire devant lequel beaucoup de professeurs, de bonne volonté,
nous ont exprimé leur manque de repère et leur souhait d’être aidés. Dans ces écoles, la
difficulté à mettre en place la recherche semble s’inscrire dans une hésitation plus globale à
mener des projets s’ajoutant au travail quotidien, déjà lourd pour des enseignants en début
de carrière. Pour d’autres écoles, à Paris notamment, le peu d’engagement des
professionnels semble plutôt attribuable à une relation ambivalente par rapport cette
question de l’accueil des différentes langues et cultures à l’école. Une adhésion de façade
pourrait masquer une certaine indifférence à l’égard de cette problématique voire même
une prévention, une gêne ou un désaccord sous-jacent. Dans ces écoles, seuls quelques
parents très motivés d’emblée par la recherche et souhaitant rendre service pouvaient être
rencontrés. Ces parents, déjà conscients de l’importance du bilinguisme sont souvent ceux
qui, par ailleurs, s’engagent dans la défense de leur langue et la transmettent activement à
leur enfant, ce qui rend notre échantillon moins représentatif des familles migrantes dans
leur ensemble.
Enfin, l’équipe de recherche a été confrontée à plusieurs écoles au sein desquelles le
projet a suscité de la gêne, des critiques voire parfois un refus d’y participer. Les arguments
avancés concernent alors le risque, d’après les directeurs ou enseignants en question, de
stigmatiser les enfants reçus pour la recherche ainsi que leurs parents, à qui on demande
d’évoquer au sein de leur école ce qui leur semble relever de la sphère privée, à savoir la
langue qu’ils parlent et le pays d’où ils viennent. Cette réaction est argumentée au nom de
certains idéaux républicains et laïques qui soutiennent que tous les enfants doivent être
égaux à l’école et que leurs appartenances spécifiques, culturelles, religieuses ou ici
langagières, ne doivent pas être soulignées, l’école ayant pour mission d’enseigner un socle
de connaissances et de valeurs communes à tous les enfants. Ces enseignants ou directeurs
191
expriment également une crainte que parents et enfants se sentent stigmatisés, voire
rejetés si leur origine culturelle, ou leur pratique d’une autre langue à la maison est
soulignée. Dans leur esprit l’appartenance à un autre groupe culturel que celui du pays
d’accueil est donc a priori porteuse de honte et de gêne. La peur de la stigmatisation et du
racisme est alors si forte que les enseignants préfèreraient se comporter comme si
l’institution scolaire ne voyait aucune particularité, même si celles-ci, comme par exemple la
diversité des langues, sont très perceptibles.
Or, c’est au contraire en ne valorisant pas les différences culturelles et la richesse
qu’elles portent qu’elles sont vécues comme un potentiel facteur de rejet. Dans ces écoles le
fait même de demander aux parents quelle langue est parlée à la maison ou de faire savoir à
l’ensemble de la classe qu’un enfant parle une autre langue que le français semble agressif
et a priori dévalorisant.
2.5.4 L’accueil de la recherche par les enfants et leurs parents
De la part des parents l’accueil par rapport à la recherche a globalement été positif.
Ils étaient surpris et heureux de voir un « mot » dans le carnet de correspondance rédigé
dans leur langue, et ensuite d’être appelés par un psychologue parlant également leur
langue pour la présentation de la recherche. Cette prise en compte de leur culture, pour une
recherche ayant pour but de mieux aider les enfants de migrants est reçue comme un geste
d’accueil qui favorise l’adhésion. Les difficultés se sont ensuite présentées dans
l’organisation concrète des rencontres, certains parents manquant beaucoup de temps et
ayant des difficultés à se libérer.
192
Certains parents ont montré des réticences à répondre à la recherche par méfiance,
peur de dévoiler des informations à une institution. C’est le cas notamment des parents
vivant des situations administratives difficiles, mal à l’aise par un manque de documents
officiels à jour ou des emplois non déclarés.
De la part des enfants, les réactions varient beaucoup d’une école à l’autre. Avant de
rencontrer un enfant, le binôme de chercheurs (interprète et psychologue) se rend dans sa
classe pour se présenter à tous les enfants et expliquer la raison de leur entretien avec lui. Ils
évoquent alors, selon un petit discours standardisé qui a été écrit par l’ensemble du groupe
de recherche, la diversité et le voyage des langues à travers le monde, le fait que certains
enfants connaissent plusieurs langues et l’importance de leur aide pour faire avancer la
recherche. Lors de ce petit discours à la classe, les réactions des enfants, ainsi que de leur
enseignant varient beaucoup. Certains professeurs participent en effet d’eux-mêmes pour
reformuler certaines phrases, poser des questions aux enfants pour voir s’ils ont bien
compris ou encourager certains enfants à manifester leurs compétences bilingues. D’autres
au contraire restent en retrait et n’interviennent pas du tout. Dans certaines classes, tous les
enfants lèvent le doigt pour montrer leur compétence dans différentes langues et témoigner
de leur désir de participer à la recherche, tandis que dans d’autres tous les enfants se taisent
et aucun ne montre qu’il pourrait être concerné par la recherche.
On peut supposer que les
attitudes des enseignants et directeurs ont des
conséquences sur le comportement des enfants. En effet, si, dans certaines écoles, les
différences que les enfants eux-mêmes voient et ressentent ne sont effectivement pas
nommées, ils pourraient en conclure qu’elles doivent être cachées pour éviter la gêne
qu’elles provoquent. Leur tendance à cacher leurs particularités, à en avoir honte, à opérer
193
un clivage douloureux entre les mondes de la maison et de l’école pourrait ainsi se voir
renforcée et valorisée par les adultes, au risque que plus tard, à l’adolescence, l’affirmation
de soi passe au contraire par une revendication violente des différences, à la hauteur de la
pression ressentie pour les dissimuler. De telles hypothèses méritent donc d’être
approfondies et éprouvées par une étude détaillée des attitudes et des discours des
directeurs et des enseignants, dont les réactions semblent extrêmement diverses sur les
sujets dont il est question.
Lors de la passation de l’ELAL, les enfants ont aussi des réactions diverses. Certains
sont à l’aise et fiers de montrer leurs compétences. D’autres gênés par leurs erreurs en
langue maternelle, se montrent très inhibés. Nous avons également remarqué que certains
enfants ne semblent pas se sentir autorisés à parler leur langue maternelle à l’école. Avant
qu’ils ne dévoilent leurs compétences lors de la passation de l’ELAL d’Avicenne, il faut parfois
du temps et des encouragements. Est-ce parce que parler sa langue maternelle c’est aussi
sortir de l’ombre et de l’uniformité ? C’est le cas notamment pour les enfants ayant
pourtant une bonne connaissance de leur langue maternelle mais semblant en difficulté
pour la parler dans le cadre de l’école et avec quelqu’un qu’ils ne connaissent pas. Le clivage
construit entre la maison et l’école semble alors très fort et difficile à dépasser.
Enfin, pour tous ces enfants, la rencontre avec les chercheurs est l’occasion
d’expérimenter le passage d’une langue à l’autre, puisque, dès les présentations, tout est dit
successivement dans les deux langues. Ils perçoivent également que les deux langues sont
exactement sur le même plan, sans hiérarchisation. Peut-être ce moment peut-il alors les
aider à découvrir leur multiplicité et leur richesse, en sortant du clivage imposé par
l’institution scolaire.
194
DISCUSSION
195
1. Rappel des résultats et apport à la littérature
Concernant les tests non-verbaux
Nos résultats mettent à jour un impact de la culture, ainsi que de la culture transmise
en situation migratoire, sur la structuration perceptive des figures. Il y a notamment de
fortes spécificités dans les productions des enfants burkinabés, que l’on retrouve dans les
productions d’enfants d’origine africaine en France.Non seulement des contrastes existent
entre des enfants évoluant dans des univers culturels différents de par le pays où ils vivent
et où ils sont scolarisés, mais les différences sont aussi marquées entre des enfants
scolarisés en France mais issus d’univers culturels différents. Le facteur culturel est donc très
présent dans cette épreuve non-verbale d’organisation perceptive, établissant ainsi que les
biais culturels ne se limitent pas uniquement à des problèmes de traduction, ni à l’usage
d’images ou de vocabulaire peu familier pour certains enfants, mais que la culture a un
impact sur les processus de pensée et les stratégies cognitives.
On découvre que les différences de score à la Figure Complexe de Rey et d’Osterrieth
entre personnes de culture différente, déjà observées par Ardila et Moreno, en 2001, sont
dues notamment à des différences de structuration perceptive des figures et donc à des
processus cognitifs différents. La culture influence donc les résultats aux tests non-verbaux à
un niveau très profond et non uniquement au niveau de l’aisance grapho-motrice ou de la
mémoire de travail visuelle.
Ces résultats confirment les recherches qui montrent combien la perception spatiale
varie d’une culture à l’autre et qui révèlent que les tests non-verbaux comportent tout
autant voire même parfois plus de biais culturels que les tests verbaux (Anastasi, 1988 ;
Irvine et Berry, 1988, Vernon, 1972, Berry, Poortinga, Segall et Dasen 1992 ; Harris, 1983). Ils
196
confirment également les recherches, menées sur de plus petits échantillons, de Mesmin
(Mesmin 1999).
Ces résultats montrent donc combien les démarches de réduction des biais culturels
par l’utilisation de tests non-verbaux est caduque. On peut donc exprimer des réserves à
l’égard du manuel du K-ABC qui propose de ne faire passer que l’échelle spécifique nonverbale pour les enfants non francophones de culture différente, de celui de la Wechsler
Nonverbal Scale of Ability (Naglieri et Brunnert, 2009), qui s’adresse à la fois « aux patients
sourds-muets et à ceux de langue et de culture différente » (ECPA, catalogue français 2011),
ainsi que de l’échelle non-verbale de Crampton et Jerabek, 2000créée pour limiter les biais
culturels.
Eviter, pour mesurer des performances, d’utiliser le langage et des supports matériels
marqués culturellement n’est pas suffisant pour éviter les biais culturels. En masquant les
différences, on peut même se demander si l’usage de ces tests non-verbaux n’est pas encore
plus hasardeux en raison des erreurs d’interprétation qu’il peut générer. En effet, de
nombreux psychologues peuvent ignorer l’existence d’un biais culturel plus discret que
lorsque l’obligation d’une traduction ou l’évidente inadaptation du support le rend très
visible. Le risque est alors de faire une confiance aveugle aux résultats, entraînant des
erreurs importantes, quand la prise de conscience de biais invite au contraire le psychologue
à complexifier son interprétation.
Concernant l’évaluation des compétences langagières
Une fois validé, l’ELAL d’Avicenne permettra d’améliorer la qualité des évaluations
langagières d’enfants ayant dans leur environnement langagier une autre langue que le
197
français. La création de ce test constitue donc un apport, aucun test ne permettant
aujourd’hui d’évaluer les compétences minimales, avec un traducteur, dans une autre
langue que celle de l’école. Cet outil permettra ainsi de distinguer les enfants ayant des
difficultés à acquérir une des langues, des enfants ayant des troubles plus globaux dans
l’acquisition de la fonction langagière. Il informera aussi sur les transmissions à l’œuvre dans
la famille et sur les capacités de l’enfant à les recevoir.
Sa création constitue aussi un apport au sein des travaux sur l’élaboration de tests
adaptés à nos sociétés multiculturelles. En effet, la recherche utilise une méthode originale,
avec un choix d’items basés sur des universaux de développement ainsi qu’avec un
processus de validation adapté, intégrant des validations dans les pays d’origine.
Nous proposons maintenant de réfléchir, à l’issue des travaux présentés plus haut, de
notre pratique clinique et de notre connaissance de la littérature, à ce qui peut être
recommandé pour améliorer les bilans psychologiques en situation transculturelle,
concernant tant l’adaptation du cadre du bilan par les psychologues les proposant que les
pistes de recherche qui permettront d’améliorer ces pratiques. Nous chercherons à montrer
les perspectives qui sont ouvertes par les recommandations des commissions d’experts que
nous avons présentées dans la partie théorique. Nous aborderons le positionnement du
psychologue face à la différence culturelle, l’importance de la rigueur complémentariste,
l’effet de la rencontre entre langues et univers culturels sur les enfants de migrants et le
souci de ne pas normaliser les productions humaines pour laisser de la place à l’altérité.
198
2. Pratiquer des bilans en situation transculturelle : les
adaptations du cadre et des pratiques cliniques
2.1
Quel positionnement adopter ?
Différents éléments sont nécessaires pour améliorer la qualité du bilan dans la façon
dont le psychologue se positionne par rapport au patient. Certains auteurs, comme Moro,
dans la lignée de Devereux, approfondissent cette question ainsi que celle des enjeux
inconscients de la situation transculturelle. D’autres l’évoquent de façon plus succincte,
indirecte. La littérature américaine par exemple développe peu cette question qui est
davantage traitée par les psychologues d’orientation analytique. Mais, comme nous le
verrons, leurs travaux font parfois mention d’éléments qui se rapprochent de ces
considérations.
Nous évoquerons trois dimensions nécessaires pour pratiquer le bilan psychologique
en situation transculturelle : le décentrage, la prise de conscience des enjeux inconscients de
la situation et la contextualisation.
Se décentrer signifie sortir de ses propres références pour chercher à comprendre un
problème à partir des logiques culturelles de l’autre. Cela nécessite donc une certaine
curiosité, une ouverture à l’altérité, une envie de se familiariser avec un autre système de
référence. Comme le rappelle Moro, il n’est pas nécessaire d’être soi-même migrant, ou
bilingue, pour cela. Mais ce qui importe c'est d'avoir fait l'expérience du décentrage en
s’étant familiarisé avec certains systèmes culturels autres que celui d’origine du psychologue
(Moro, 2002, p. 164). La Commission de Consensus en Psychologie (CCP, 2010) souligne aussi
199
l'importance de «développer une sensibilité ou un intérêt pour l’altérité culturelle » (CCP,
2010 in Troadec et al. 2011 p. 380).
En plus de chercher à se décentrer en prenant de la distance avec ses propres
représentations culturelles pour adopter autant que possible le point de vue de l’autre, il est
nécessaire de prendre conscience des enjeux inconscients de la situation : les réactions du
patient à la différence culturelle, celles du psychologue à cette même différence, ainsi que
ce que le patient projette sur lui du fait de ces différences. Devereux a ainsi insisté sur
l’importance que revêt l’analyse du contre-transfert dans toute situation clinique, incluant
donc le bilan psychologique (Devereux, 1980). Il ajoute à la notion de contre-transfert utilisé
classiquement par la psychanalyse une dimension spécifique : le contre-transfert culturel,
c’est-à-dire les réactions que le transfert du patient provoque inconsciemment chez le
psychologue, mais dans sa dimension culturelle (ibid.). Quelles sont mes réactions face à la
différence ? Que provoque chez moi l’appartenance culturelle de l’autre ? Et comment estce que je réagis à ce que mon appartenance culturelle provoque chez l’autre, à la façon dont
il investit cette dimension de moi-même ? Dans une situation de bilan, les projections et
relations transférentielles sont limitées par l’aspect plus structuré de la rencontre, rendant le
psychologue moins neutre que dans une situation d’entretien et limitant la rencontre et le
partage d’émotions. Pourtant une relation de type transférentielle apparaît tout de même et
il est nécessaire d’en prendre conscience et de l’analyser.
Les éléments transférentiels sont influencés à la fois par des éléments individuels
propres au patient et au psychologue, et par des éléments collectifs ayant marqué
l’inconscient de chacun : colonisations, guerres et conflits, domination économique… A ce
propos L’International Test Commission (ITC, 2000 et 2010) alerte contre les dangers des a
200
priori en recommandant d’« être attentif aux stéréotypes sociaux se rapportant au groupe
auquel appartient la personne testée et à éviter d’interpréter le test d’une façon qui
perpétue de tels stéréotypes » (ITC, 2000, trad. Vrignaud, Castro et Mogenet, 2003, p. 23
§2.7.10). La CCP conseille quant à elle d’identifier les enjeux socio-politiques de
l’appartenance du patient: « préalablement à l’examen psychologique en situations
interculturelles, caractériser l’enfant ou l’adolescent qui en est l’objet, en co-construisant
l’appartenance culturelle de l’enfant ou de l’adolescent et en identifiant les enjeux
sociopolitiques de cette appartenance » (CCP, 2010 in Troadec et al. 2011 p. 380).
Devereux insiste également sur l’importance de la contextualisation et de la rigueur
complémentariste. La spécificité de la situation transculturelle, que l'on cherche à évaluer ou
à intervenir sur la souffrance, est que les données recueillies ne pourront être sérieusement
étudiées que du double point de vue culturel et psychologique. Toutes les productions
devront être lues de manière complémentaire et non simultanée selon les données
culturelles disponibles, c’est-à-dire avec une lecture anthropologique d’une part et selon les
données psychologiques individuelles de l’autre. Cette rigueur n’est possible que si le
clinicien a accès à des connaissances sur les éléments culturels propres à telle ou telle tâche,
ou à tel ou tel exercice. Les deux commissions d'experts soulignent à ce propos l'importance
d’une bonne information sur la culture des patients rencontrés et d‘une conceptualisation
du développement de l’enfant qui soit pluraliste et prenne en compte la diversité: « adopter
un système d’interprétation ou modélisation du développement (…) qui soit pluraliste » pour
la CCP, (CCP, 2010 in Troadec et al. 2011 p. 380), et « interpréter les résultats à la lumière
des informations disponibles sur les personnes testées » pour l’ITC (ITC, 2000, trad.
Vrignaud, Castro et Mogenet, 2003, p. 23, §2.7.5). Il est donc nécessaire, par un travail de
recherche fondamental, d’étudier les productions à chaque test dans différents contextes
201
culturels de manière à déterminer les spécificités éventuelles de tel ou tel groupe et de
manière à savoir quels paramètres sont susceptibles d’être influencés par la culture. Si ces
données ne sont pas toujours disponibles, le détour par ce questionnement et l’usage de
cette double lecture contribue au décentrage du psychologue, amené ainsi à ne pas
s’attacher seulement à ce qui est reconnaissable d’emblée mais aussi aux différences qui, si
elles existent, ont sans doute des significations.
2.2
Quels tests choisir ?
Pour pratiquer un bilan, le psychologue aura aussi la tâche de choisir les outils qu’il
utilisera. Si le patient appartient à un groupe pour lequel des tests ont été adaptés, il devra
bien sûr choisir ceux-ci en priorité. Il pourra alors respecter les recommandations de l’ITC :
« s’assurer que les tests ne sont pas biaisés et sont adaptés pour les différents groupes qui
vont être testés » (ibid. p. 20, §2.3.1) et « s’assurer que les dimensions évaluées sont
significatives pour chacun des groupes et que des données sont disponibles sur l’existence
de différences possibles dans les performances au test » (ibid. p. 20, §2.3.2). Ces
recommandations sont en réalité assez théoriques car il arrive rarement, en situation
transculturelle, que les psychologues aient à leur disposition des tests respectant ces
exigences.
Dans la situation où aucun test n’a été validé pour le groupe d’appartenance du
patient, le psychologue aura d’abord la charge de décider s’il est possible d’utiliser des tests
ou si ceux-ci risquent d’être trop biaisés pour apporter des informations utiles.
Les critères permettant de décider si le bilan est possible sont difficiles à définir. La
CCP propose une typologie des situations interculturelles dans laquelle il apparaît que
202
l’examen est impossible si patient et psychologue ne partagent ni la langue ni la culture et
que les outils ne sont pas adaptés (CCP, 2010 in Troadec et al. 2011, p. 356). Mais comment
savoir si le patient partage ou non les éléments culturels propres au test utilisé ? Les patients
scolarisés en France peuvent par exemple avoir plusieurs appartenances culturelles. La CCP
propose à ce propos « préalablement à l’examen psychologique en situations interculturelles
[de] caractériser l’enfant ou l’adolescent qui en est l’objet [...] en évaluant le degré
d’acculturation de l’enfant ou de l’adolescent à la société française et en tenant compte de
ce niveau pour définir les conditions de possibilité de réalisation de l’examen
psychologique » (ibid. p. 380). Mais comment évaluer ce degré d’acculturation à la société
française ? Aujourd’hui, aucune échelle ne permet de définir clairement un degré
d’acculturation dont la définition varie selon le modèle théorique et dont les critères
diffèrent selon les cultures d’origine. Une telle évaluation s’effectue donc nécessairement de
façon plus intuitive, voire subjective, et il serait intéressant de réfléchir aux critères qui
doivent être pris en compte pour l’effectuer.
Concernant l’évaluation cognitive, dans les situations où le psychologue manque
d’information pour décider si un bilan est possible, il peut éventuellement proposer un test
sans tirer de conclusion en cas d’échec. En effet, si l’enfant réussit les différents items,
l’information ainsi fournie peut être précieuse car il rare qu’un test surévalue les
compétences de sujets ayant une autre culture que celle de ses concepteurs. S’il échoue il
sera par contre impossible de dire si c’est pour des raisons d’inadaptation du test ou parce
que l’enfant a des compétences limitées dans les domaines étudiés. Par contre, dans ce type
de situation, les recherches présentées ici montrent aussi combien le recours aux tests nonverbaux est inadapté, même lorsqu’aucun autre outil n’a été validé pour une population.
203
Ceux-ci comportent trop de biais pour être utilisés dans le but de limiter l’impact de la
différence culturelle.
Lorsque les tests sont trop inadaptés culturellement, Hayes propose d’évaluer le
fonctionnement intellectuel et les éléments de psychopathologie du patient en lui
demandant de raconter son histoire. Elle propose d’évaluer s’il est capable de faire un récit
détaillé et clair, si sa façon de raconter semble adaptée en prenant en compte son contexte
culturel, s’il semble connaître les informations que la plupart des personnes de sa culture et
de son âge connaissent, s’il a des problèmes de communication comme des difficultés à
trouver ses mots ou à faire des phrases. Elle propose d’évaluer aussi s’il semble concerné par
ses difficultés et s’il en a une connaissance suffisante, tout en analysant le climat émotionnel
qu’il instaure (Hayes, 2009, p. 139). Des méthodes de bilan plus ouvertes que les tests
peuvent également être utilisés, tels que les dessins, les récits d’histoires ou de contes, les
jeux.
Pour investiguer les dimensions affectives et inconscientes, certains tests peuvent
servir de support matériel suscitant la projection et permettent une interprétation fine, tels
que le Test des Trois Personnages (Backès Thomas, 1969), le Test de Patte-Noire, dans sa
version avec un mouton (Corman, 1961), ou le Scéno-test (von Staabs, 1973). Ces tests
peuvent en effet être utilisés sans recours à l’étalonnage, en adoptant une analyse
qualitative des productions du sujet. Les tests standardisés peuvent aussi être employés de
façon limitée pour récolter de l’information et non dans le but d’effectuer des comparaisons
avec des groupes de référence (Paradis, 2005).Enfin, un test ayant fait l’objet de validations
dans des groupes culturels variés, tel que le TEMAS (Costantino, Malgady et Rogler, 1988),
en cours de validation en France, est très attendu.
204
Lorsque les psychologues décident d’utiliser des tests en situation transculturelle, ils
devraient choisir ceux qui apportent le plus d’information sur leurs limites. C’est en effet
grâce à ces informations qu’ils pourront contextualiser les résultats. C’est ce que conseillent
les commissions d’experts, que ce soit la CCP ou l’ITC: « choisir […] une ou plusieurs
techniques d’évaluation […] après avoir clairement identifié leurs limites (traductions
indisponibles, biais de construits, biais liés au matériel, étalonnages indisponibles, absence
d’adaptations, modélisation unitaire de l’interprétation) de telle façon à pouvoir
contextualiser les résultats », pour la CCP (CCP, 2010 in Troadec et al., 2011, p. 380) ou de
« bien connaître les échelles utilisées, les caractéristiques des normes ou des groupes de
référence et les limites des scores » et de « prendre en compte tout indice d’une
familiarisation antérieure avec le test lorsqu’il existe des données disponibles concernant
l’effet d’une telle familiarisation » pour l’ITC (ITC, 2000, trad. Vrignaud, Castro et Mogenet,
2003, p. 23, §2.7.5 et §2.7.12). Ils pourront aussi choisir les tests proposant le plus d’items
d’apprentissage pour limiter cet effet de familiarisation antérieure. Ils devront ainsi
connaître parfaitement les tests qu’ils utilisent et choisir leurs outils en fonction de la
quantité d’information disponible sur leurs limites et sur les biais déjà identifiés dans
certaines populations.
Ainsi, il est essentiel de bien connaître les tests utilisés, en se renseignant sur les
données mises à disposition par la littérature scientifique et les éditeurs de tests sur les biais
culturels qu’ils peuvent comporter. Il est important également de se méfier des items nonverbaux et de n’utiliser des étalonnages que quand c’est réellement nécessaire. Dans ces
situations, le choix se portera de préférence sur les tests les moins saturés en facteurs
culturels et sur les méthodes de passation et d’interprétation laissant le plus de place
possible à une lecture complémentariste. Dans les situations où le recours au test est utile et
205
où le psychologue ne dispose pas de tests validés pour le patient qu’il prend en charge, il lui
faudra soit choisir de ne pas utiliser de test et de renoncer à recueillir certaines
informations, soit de les utiliser en prenant des précautions dans l’analyse des résultats.
2.3
Quelle méthode de passation utiliser ?
Les différentes commissions n’insistent pas sur les mêmes points concernant les
méthodes de passation à recommander en situation transculturelle. La CCP propose
d’utiliser une évaluation dynamique : « utiliser systématiquement la procédure testapprentissage-retest dans le cadre d’une évaluation dite dynamique lorsque les
performances d’un enfant ou adolescent obtenues avec une évaluation classique sont faibles
et cela quelle que soit sa culture (français ou autre)»(CCP, 2010 in Troadec et al. 2011, p.
380).
L’ITC par contre n’évoque pas la méthode dynamique, qui nécessite des interactions
avec le sujet et une intervention directe du passateur. L’ITC insiste surtout sur l’importance
de limiter les interactions au minimum « l’administrateur doit peu intervenir et les
interactions avec le sujet doivent être minimisées. Des règles explicites doivent être
indiquées et suivies précisément » (ITC, 2010 § A6). Or, une telle attitude de distance risque
selon nous d’inhiber certains enfants déjà peu familiers avec ce type d’exercice. Même s’il
est indispensable de suivre précisément les procédures d’administration du test, il nous
semble important, comme aux experts de la CCP, de favoriser un climat détendu et
spontané. La méthode dynamique peut le permettre en revenant sur les items échoués pour
chercher à s’approcher avec finesse d’une compréhension de son patient, en interagissant
avec celui-ci et en utilisant des techniques d’apprentissage.
206
Il sera donc nécessaire de choisir des tests comportant de nombreux items
d’apprentissage pour limiter l’effet de familiarité. En cas d’erreur du sujet, des méthodes
test-apprentissage-retest au cours du test permettent d’évaluer dans quelle mesure la
personne est capable d’apprendre à résoudre des tâches inconnues (Cuellar, 1998, p. 174 ;
Loarer, 2001, p. 70).
La rencontre autour du bilan en situation transculturelle doit aussi tenir compte des
implicites que comporte le bilan. De même que pour entamer une relation thérapeutique il
est essentiel de prendre le temps d’expliquer cette pratique afin d’en co-construire le sens
avec le patient. Cela permet d’améliorer son vécu et de rendre les résultats plus fiables. La
situation de tête à tête par exemple, est moins habituelle et plus menaçante dans certains
contextes culturels, comme le rappelle Salmi en 2004 : « traditionnellement le tête à tête est
réservé à certaines formes d’initiation secrètes ; […]on a rarement l’occasion de se retrouver
seulement à deux, sauf bien sur pour l’acte sexuel. De près ou de loin le groupe est
constamment présent. ». Il va donc être nécessaire de construire ce qui est d’habitude
implicite en expliquant davantage et en prenant le temps de discuter et de partager autour
de cette pratique, tant avec le sujet qu’avec ses parents s’il est jeune, avant de proposer un
bilan.
2.4
Quelle langue utiliser lors du bilan ?
La clinique transculturelle a montré combien les enfants de migrants peuvent être
apaisés par l’introduction dans les dispositifs de soins de techniques permettant de faire des
liens entre les univers, les langues, la famille et les institutions. A ce titre, le traducteur,
élément central des soins transculturels, est un des leviers thérapeutiques essentiels
207
(Rousseau C, Measham T, Moro M.,2011 ; Tribe R, Tunariu A. 2009; Hsieh E., 2008; Paone TR,
Malott KM.2008).
De même, prendre en compte lors du bilan la multiplicité des appartenances
culturelles de l’enfant, en intégrant au dispositif clinique les différentes langues qui
composent son univers familier, en utilisant des techniques et matériels qui ne sont pas à
l’évidence marqués par les références culturelles d’un des environnements, en
communiquant avec ses parents sont autant de façons de l’aider à créer des liens entre les
différents mondes qui l’habitent et à se sentir reconnu.
Pratiquer un bilan introduisant cette diversité culturelle et linguistique peut ainsi être
une première étape dans le soin aux enfants de migrants qui feront alors l’expérience d’être
reçus avec leur diversité culturelle.
Mais comment introduire les différentes langues de l’enfant dans bilan ?
Une des solutions est de faire passer les tests dans la langue première, grâce à une
traduction instantanée des items. C’est ce qui est recommandé par la plupart des
spécialistes : « dans la mesure du possible donner les consignes du test dans la langue
principale des personnes testées, même quand le contenu du test a été conçu pour fournir
des informations sur les connaissances et les compétences dans une seconde langue » (ITC,
2000 trad.Vrignaud, Castro et Mogenet, 2003, p. 22, §2.5.6) ou, de la part de la CCP :
« réaliser l’examen psychologique dans les langues parlées par l’enfant ou l’adolescent
notamment la langue maternelle» (CCP, 2010 in Troadec et al. 2011, p. 380). Les experts
pensent donc que les évaluations seront améliorées par l’usage de la langue maternelle. Si
nous sommes d’accord dans la plupart des cas, nous pensons que les choses sont parfois
plus complexes, notamment pour les enfants parlant bien le français et étant scolarisés en
208
France, ce que nous allons voir plus loin. Rappelons également que traduire un test ne suffit
pas à le rendre valide et que beaucoup d’items restent invalides après avoir été traduits du
fait des biais de construit.
Concernant les épreuves projectives, il a été montré combien l’utilisation de la langue
maternelle améliorait la qualité des évaluations car la langue première est celle du monde
de l’enfance, la plus intime, et donc la plus à même de laisser émerger l’inconscient. Il est
donc préférable dans la mesure du possible d’utiliser cette langue pour les passations de ce
type de test, à condition d’avoir accès à une bonne traduction et à condition aussi que le
sujet ait une pratique suffisante dans cette langue première.
Pour les tests cognitifs, le choix de la langue dans laquelle utiliser un test va dépendre
en partie du niveau du sujet dans chacune de ses langues. Il est donc essentiel en premier
lieu d’évaluer le bilinguisme. A ce propos, l’ITC recommande que les utilisateurs de tests
s’assurent « autant que possible que le niveau de compétence des sujets, pour la langue
dans laquelle le test sera administré, est contrôlé de manière systématique » (ITC, 2000
trad.Vrignaud, Castro et Mogenet, 2003, p. 22, §2.3.11) La CCP recommande,
« préalablement à l’examen psychologique, […] de caractériser l’enfant ou d’adolescent qui
en est l’objet […] en évaluant la qualité du bilinguisme en langue maternelle et en langue
française et en faisant appel à un interprète ou un médiateur si la situation l’exige » (CCP,
2010 in Troadec et al. 2011, p. 380). Si elle recommande d’évaluer « la qualité du bilinguisme
en langue maternelle » rappelons qu’aujourd’hui aucun test ne permet de le faire
correctement. L’ELAL d’Avicenne est donc un outil très attendu, car il permettra, une fois
validé, d’effectuer cette évaluation.
209
Mais pour les tests cognitifs et instrumentaux, les questions sont plus complexes et
tout dépend du niveau de l’enfant dans ses différentes langues. S’il est plus à l’aise dans sa
langue maternelle, utiliser cette langue peut lui permettre de se libérer d’une tâche de
compréhension des consignes, ce qui l’aidera à mobiliser toutes ses capacités sur les
exercices demandés. Le test ne sera pas nécessairement valide pour autant mais les erreurs
liées à des difficultés de compréhension seront évitées. Il ne faut pas pour autant oublier
dans ce cas de prendre les résultats avec précautions et de les contextualiser. A l’inverse, si
le sujet est plus à l’aise dans sa langue seconde que dans sa langue première, il risque d’être
sous-évalué si les tests sont passés dans une langue maternelle qu’il maîtrise mal.
Si le sujet a un niveau équivalent dans les deux langues, la question n’appelle pas de
réponse évidente. En effet, s’il est intéressant d’introduire la langue maternelle, on peut se
demander s’il n’est pas troublant pour un enfant scolarisé en France d’être évalué dans une
autre langue que celle de l’école, d’autant que les items des tests ressemblent souvent à des
exercices scolaires. Certains enfants risquent de ne pas réussir à mobiliser des compétences
acquises dans une langue seconde s’ils doivent les mettre en œuvre dans leur langue
maternelle. Rappelons la recherche de Mesmin en 2002 : elle propose la FCRO à des enfants
de migrants en donnant la consigne dans leur langue maternelle, grâce à un traducteur. Les
réalisations ne sont pas améliorées par ce dispositif et elle note au contraire que certains
enfants semblent troublés par l’utilisation de cette langue dans un contexte scolaire et pour
un tâche proche des exercices de l’école (Mesmin, 2002, p. 257). Lors de la passation de
l’ELAL, nous avons aussi pu constater combien il était difficile, pour une majorité d’enfants,
d’utiliser leur langue maternelle pour répondre à des questions relevant des apprentissages
scolaires (couleurs, nombres…), même quand leurs compétences sont bonnes dans cette
langue.
210
La question de la meilleure langue à utiliser pour faire passer les tests peut donc être
discutée lorsque le sujet parle bien le français mais que ce n’est pas sa langue maternelle. S’il
est décidé, dans ce cas, de faire passer les tests cognitifs en français, il est tout de même
souhaitable, pour toutes les raisons que nous avons déjà présentées, d’introduire la langue
maternelle dans le bilan. Cela pourra se faire justement par l’évaluation des compétences
dans celle-ci, grâce à l’ELAL d’Avicenne. La langue maternelle sera introduite, valorisant les
compétences spécifiques des enfants circulant entre plusieurs univers culturels et les
apaisant éventuellement en réduisant le clivage entre les deux cultures. Les tests seront
ensuite passés dans la langue utilisée à l’école si le niveau de l’enfant est suffisant dans cette
langue et dans sa langue première si ce n’est pas le cas.
3. Améliorer
les
pratiques
de
bilan
en
situation
transculturelle : les axes de recherche nécessaires
Parallèlement à ces adaptations dans les passations de bilans en situation
transculturelle, il est nécessaire de mener des recherches pour améliorer les pratiques.
D’abord en
approfondissant les connaissances sur la variabilité socio-culturelle des
fonctions cognitives, des stratégies de résolution de tâches, des représentations, des vécus
subjectifs, des symptomatologies… Ce sont en effet ces recherches fondamentales qui
créent des connaissances de base sur lesquelles s’appuyer pour contextualiser des
constatations cliniques, constater l’inadaptation d’outils d’évaluation ou en imaginer de
nouveaux. L’autre mission importante de la recherche est en effet de créer de nouveaux
outils d’évaluation permettant d’améliorer la qualité des bilans.
211
Concernant l’élaboration de nouveaux outils, plusieurs courants existent. Certains
cherchent à créer des tests entièrement non-verbaux pour limiter les biais culturels (Naglieri
et Brunertt, 2009 ; Crampton et Jerabek, 2000). Nous avons montré que cette démarche est
vouée à l’échec étant donné que les biais ne proviennent pas que des problèmes de
traduction et que les tâches visuo-spatiales sont elles aussi très saturées en facteur culturel.
La plupart des recherches américaines concernent l’adaptation de tests existants à d’autres
contextes culturels, avec des mesures d’équivalence des versions une fois celles-ci crées (van
de Vijver et Leung, 1997, 2000 ; Byrne 2006, 2009 ; Embretson et Reise, 2000 ; Hambleton,
Merenda et Spielberg, 2005 ; Byrne et Watkins, 2003). Un courant issu de l’anthropologie
propose la création de tests spécifiques à un groupe culturel donné (Cervantes, Padilla et
Salgado de Snyder, 1990 ; Kinzie, 1982 ; Johns, 1996). Nous verrons également qu’une
démarche intéressante consiste à créer des tests en anticipant les futures adaptations
comme cela a été fait pour le TEMAS (Costantino, Malgady et Rogler, 1988), le PSYCa3-6
(Marquer et al. 2012 ; Mouchenik et al. 2010), ou l’ELAL d’Avicenne (Wallon et al. 2008).
Choisir quel type de recherche mener pour améliorer les bilans n’est pas évident. Les
difficultés sont nombreuses : diversité des représentations culturelles et des modalités de
développement qu’il s’agit de ne pas écraser, difficulté à traduire des tests qui comportent
des biais conceptuels ou de matériel, différences linguistiques complexifiant la relation… De
plus, ces appartenances culturelles, qui imprègnent tous les aspects du psychisme tant
affectifs que cognitifs, sont multiples et il est vain de vouloir les rassembler en catégories
homogènes. Les identités culturelles sont en perpétuel mouvement et les enfants de
migrants sont métis dans le sens où ils créent du nouveau à partir de plusieurs éléments
culturels.
212
On peut classer les différents types de recherches nécessaires en trois catégories :
mener des travaux pour mieux connaître l’impact de la culture sur les processus cognitifs,
créer de nouveaux tests et adapter des tests existants à d’autres contextes culturels.
3.1
La recherche de biais : savoir où sont les différences
On peut considérer qu’une des missions de la recherche est de travailler à mieux
cerner de quelle manière les différences culturelles influencent les résultats au test : où sont
les biais, quels processus varient d’un contexte à l’autre, quelles sont les spécificités
observables. Plus les concepteurs de tests auront de connaissances sur ces données plus ils
seront capables de construire des tests moins saturés en facteurs culturels et plus facilement
adaptables à d’autres contextes. Ils pourront aussi informer les usagers de ces variations
potentielles afin de leur permettre d’affiner leurs représentations et de contextualiser leurs
résultats.
Les études comparatives entre groupes culturels constituent une des méthodes pour
connaître les spécificités culturelles et les éléments qui paraissent variables d’un groupe
culturel à l’autre. On pourrait tenter l’analogie entre l’apport d’une étude comparative pour
l’évaluation transculturelle et celui des recherches ethnologiques pour la clinique
transculturelle. En effet, dans le cas d’une clinique utilisant des tests, seule l’observation de
la résolution de la tâche par des personnes originaires de différentes cultures permet de
constituer une base de référence culturelle. De la même façon encore, la pratique
thérapeutique entend les questions culturelles grâce à une certaine connaissance des
représentations culturelles établie par l’anthropologie.
213
Le travail de recherche de bais devrait être effectué notamment par les concepteurs
de tests qui doivent informer des changements apportés à chaque nouvelle version. L’ITC
recommande la plus grande transparence de la part des concepteurs de tests et rappelle
également qu’une comparaison entre populations ne doit pas conduire à des conclusions ne
prenant pas en compte le contexte, dans la mesure où le test n’est pas adapté pour chacune
de ces populations : « les différences entre des échantillons de populations différentes ne
doivent pas être considérées au pied de la lettre (« at face value »). Les chercheurs ont la
responsabilité de justifier les différences avec d’autres équivalences empiriques» (ITC, 2010,
§I.2).
De façon générale, la CCP détaille nettement moins ses recommandations
concernant les orientations de la recherche que l’ITC. Mais elle insiste sur la nécessité de
« solliciter les éditeurs de tests pour réaliser des études préalables sur les biais » (CCP, 2010
in Troadec et al. 2011 p. 380), c’est-à-dire de mener un travail de fond qui doit être diffusé
largement (« diffuser largement, via les manuels, les informations relatives aux biais
identifiés »). Elle propose également de « traduire et étalonner les tests les plus courants
dans les langues les plus parlées » et de « diffuser l’information sur les adaptations et
traductions existantes » (ibid. p. 380).
3.2
La création de nouveaux tests adaptés à des contextes
culturels précis
Créer de nouveaux tests s’avère une des meilleures solutions quand un besoin
émerge de la pratique clinique. En effet, elle permet de créer des items émanant de la
214
culture, avec un étalonnage adapté et d’améliorer ainsi considérablement les évaluations.
Par exemple la Vietnamese Depression Scale (Kinzie et al. 1982 ; Dinh, Yamada et Lee, 2009)
est née du besoin d’évaluer des patients vietnamiens pour lesquels les échelles existantes
sous-estimaient les signes de dépression et les risques suicidaires. Le choix des 43 items a
été fait en fonction des représentations culturelles de la santé mentale au Viêt-Nam et des
symptômes rapportés par un grand nombre de patients vietnamiens. Ces patients ayant
tendance à somatiser leurs souffrance psychique (Kinzie, 1981) une grande place est faite
aux plaintes somatiques tels que maux de tête, de dos, problèmes de sommeil et d’appétit.
Deux concepts culturels sont introduits dans l’échelle : la honte ou le déshonneur (nhuc
nohu) et le fait de devenir fou (muon dien leu). Enfin, les auteurs ayant constaté que les
symptômes de dépression étaient souvent associés à des symptômes de stress posttraumatiques, du fait de l’histoire du pays, de nombreux items évaluent également cet
aspect de la souffrance ressentie par les patients. L’échelle a été reconnue comme étant
d’une grande aide également dans l’évaluation des réfugiés vietnamiens aux Etats-Unis
(Buchwald et al, 1995).
De même l’Hispanic Stress Inventory est née du besoin d’évaluer le niveau d’anxiété
les populations latino-américaines aux Etats-Unis (Cervantes, Padilla et Selgado de Snyder,
1990). En cherchant à valider leur test, les auteurs ont décidé de créer deux versions
différentes de l’échelle : une pour les immigrants et une pour les enfants de migrants nés
aux Etats-Unis. Ces échelles prennent en compte des caractéristiques culturelles jugées
comme centrales dans l’étude du stress. Les sous-échelles sont les suivantes : stress
conjugaux, stress professionnel ou économique, stress parental, conflits culturels au sein de
la famille et stress de la migration, uniquement dans la version pour les immigrants euxmêmes.
215
Malgré son grand intérêt, cette démarche comporte également des limites. Elle crée
des tests à nouveau sursaturés en facteurs culturels, qui risquent d’être difficiles à utiliser
dans les sociétés multiculturelles pour lesquelles la culture de référence de chaque individu
est souvent difficile à déterminer. Quand bien même serait-il possible d’administrer pour
chacun un test émanant de son univers culturel, cela nécessiterait la création d’un très grand
nombre de versions du test. L’autre inconvénient de cette approche est qu’elle est très
coûteuse puisqu’elle nécessite des études de terrain approfondies. Elle reste néanmoins la
démarche la plus sérieuse pour permettre des évaluations précises sans plaquer les
référents d’autres cultures, et on peut espérer que de tels outils soient crées en nombre par
les psychologues des pays émergents pour qu’ils disposent d’outils adaptés à leurs
populations. En effet, transposer un test occidental, même en cherchant à adapter le
« construit » théorique, amène parfois soit à reconstruire le test complètement soit à créer
un test aux présupposés théoriques peu adaptés.
3.3
L’adaptation de tests existants
Tout en sachant qu’il est impossible d’éviter tous les biais culturels, cette démarche
consiste à partir d’un test existant pour l’adapter à un nouveau contexte culturel. Les items
trop saturés en facteurs culturels sont détectés puis supprimés. Ensuite, des programmes de
re-standardisation permettent de chercher les items inadaptés dans leur « construit » ou
leur matériel, pour les supprimer, les modifier, voire ajouter si besoin d’autres items utiles et
adaptés, grâce à des experts culturels. La démarche se termine par la création de nouvelles
normes.
216
Cette approche permet, contrairement à la création de tests nouveaux, de ne pas
repartir à zéro pour chaque terrain. Elle économise donc beaucoup de temps et de travail.
Elle part de l’hypothèse que si des différences existent d’une culture à l’autre, elles peuvent
être suffisamment limitées pour qu’il ne soit pas nécessaire de créer à chaque fois des tests
totalement nouveaux. Mais elle sous-estime l’importance des théories. En effet, elle ne se
base pas sur celles-ci mais sur des recueils statistiques permettant d’établir des normes pour
des catégories déjà existantes dans la première version du test. Le risque est alors
d’importer des catégories n’ayant pas de sens pour l’individu ou pour le soignant et
n’entraînant en conséquence aucun soin émanant de ces mêmes théories culturelles.
L’ITC notamment recommande cette démarche. Elle préconise de créer des nouvelles
versions par populations de langue et cultures différentes. Chacune de ces versions doit être
équivalente à la version source et doit être validée. La langue utilisée doit être appropriée
pour chaque les population pour laquelle la version est prévue, ainsi que les techniques de
test, format des items, conventions du test, procédures ainsi que le contenu des items et le
matériel qui doivent être familiers à toutes les populations. Si des transformations sont
apportées à certaines versions, elles ne doivent pas être comparées entre elles (ITC,
2010,§D1-10).
Le nombre de versions à créer pour obtenir une validité satisfaisante pour chacune
d’elles est difficile à déterminer. Il est bien sûr impossible de décliner les validations à l’infini,
et découper la population en groupes culturels suffisamment homogènes est très délicat. Les
nuances entre les groupes culturels peuvent être importantes et choisir la composition des
groupes de référence est difficile, ce d’autant plus que les métissages multiplient le nombre
d’appartenances culturelles.
217
L’ITC ne tranche pas cette question. Elle espère qu’une multiplicité de versions
pourra être élaborée afin de disposer d’une version pour chaque culture représentée parmi
les patients rencontrés. Chaque version a la prétention d’être valide et de ne posséder aucun
biais pour la population en question. Pourtant, cet idéal est presque impossible à atteindre.
Les recommandations qui sont indiquées dans la section interprétation insistent d’ailleurs
sur la nécessité d’informer les utilisateurs des items qui varient d’une culture à l’autre ou des
caractéristiques de telle ou telle culture, pour qu’ils puissent nuancer un score brut. « Les
développeurs de tests doivent apporter des informations spécifiques sur la façon dont les
contextes socio-culturels et écologiques peuvent affecter les performances aux tests et
doivent proposer des procédures pour prendre en compte ces effets dans l’interprétation
des résultats » (ITC, 2010, §I.4). De même, dans la section administration : « Les
administrateurs doivent être attentifs à tous les facteurs liés au matériel ou aux procédures
d’administration qui peuvent atténuer la validité des conclusions apportées par les résultats
au test » (ITC, 2010,§ A2). La recherche de pureté et de validité de chaque version pour tous
les patients, qui court le risque de simplifier et de figer les identités culturelles, ne paraît
donc de toute façon pas réaliste.
De plus, il est fréquent que la structure d’un test soit trop éloignée des réalités d’une
culture pour pouvoir être adapté. Dans ce cas le nouvel outil risque de plaquer les
représentations ou valeurs de la culture d’où émane le test sur une autre population et de
perdre ainsi son intérêt.
218
3.4
La création de tests facilement adaptables
Pour pouvoir faire des bilans de qualité dans nos sociétés multiculturelles, l’idéal
serait de construire des nouveaux tests en anticipant les futures adaptations. Il ne s’agit
donc pas de créer des tests très adaptés à telle ou telle culture traditionnelle, puisque ces
tests sont d’emblée saturés en facteurs culturels et difficilement exportables. Même si éviter
tous les biais est impossible, il s’agit de créer des tests ayant le moins de références
possibles à un univers culturel particulier afin de pouvoir plus facilement les transposer d’un
contexte à l’autre, moyennant quelques adaptations. Il faut alors accepter de créer des tests
moins précis, moins détaillés, davantage destinés à faire du dépistage qu’à poser des
diagnostics. Une fois la première version réalisée, il sera alors nécessaire de procéder à des
validations spécifiques pour chacun des contextes étudiés, en effectuant des mesures de
validité, fiabilité et fidélité par versions. Certains ajustements peuvent alors être
indispensables pour adapter chaque version à son contexte culturel.
L’ITC recommande d’ailleurs aux éditeurs de tests d’anticiper les futures adaptations :
« Pour préparer d’éventuelles versions nouvelles, le manuel doit spécifier tous les aspects de
l’instrument et de son administration qui nécessitent d’être examinés dans le cas d’une
application dans un autre contexte culturel » (ITC, 2010, § A1). Rappelons que cela implique
un très gros travail de recherche, contenant des études comparatives permettant de
d’identifier les paramètres qui varient d’une culture à l’autre. Mais essayer d’éviter les items
trop saturés en facteurs culturels et réfléchir sur les aspects du test ou de son administration
qui pourraient être biaisés peut préparer un futur travail d’adaptation à d’autres contextes.
C’est la méthode qui a été choisie pour créer le test ELAL d’Avicenne qui évalue les
compétences langagières des enfants allophones et qui sera validé petit à petit dans
219
différentes langues. Il se base sur des universaux de développement du langage et utilise un
matériel faisant le moins référence possible à un univers culturel particulier. Une fois la
première version créée, il fera l’objet de validations transculturelles et d’adaptations, si
nécessaire, pour chaque version.
Le PSYCa 3-6 (Psychological screening for young childrende 3 à 6 ans), échelle
d’évaluation de la souffrance psychologique chez l’enfant, est également construit selon les
ces principes (Marquer et al. 2012, Mouchenik et al. 2010). Cette échelle de dépistage forme
une base peu saturée en facteurs culturels et, lors de la validation transculturelle de chaque
version, des items peuvent être ajoutés ou modifiés en fonction du contexte culturel sans
dénaturer le test.
Enfin, le TEMAS (Tell-me-a-story, Costantino, Malgady et Rogler, 1988), qui a déjà fait
l’objet de nombreuses adaptations, a été créé d’emblée dans le but d’être décliné en de
nombreuses versions de langue et de cultures différentes.
4. Le travail clinique en situation transculturelle : une
«pragmatique de la nuance »
Ainsi, différents types de recherches sont utiles pour améliorer les bilans en situation
transculturelle. Mais on peut constater qu’aucune solution n’est dépourvue d’inconvénients,
que ce soit adapter des tests existants, en créer de nouveaux ou travailler uniquement avec
les outils actuels en prenant acte de leurs limites.
En effet, les adaptations de tests risquent tout de même d’appliquer à un contexte
les outils construits pour un autre en exportant dans d’autres cultures des codes, valeurs,
220
conceptions qui proviennent de la culture qui a créé le test. Elles imposent alors les
références du plus dominant économiquement, celui qui a pu financer la construction de la
première version. Elle ne peut donc pas égaler en qualité la construction de nouveaux tests
émanant du contexte culturel pour lequel il est construit. De plus elle conduit forcément à
catégoriser les appartenances culturelles et ne prend pas en compte la réalité des
métissages.
Construire de nouveaux tests à partir de recueils de données dans des milieux
culturels spécifiques est long et difficile et conduit à créer de nouveaux outils très saturés en
éléments culturels qui ne seront valides que dans la population en question. Ils seront alors
difficilement adaptables aux sujets d’autres cultures. Ils ne conviendront pas non plus pour
les sociétés multiculturelles où les éléments culturels se mélangent et où la plupart des
individus ont des appartenances multiples et métissées.
Ne pas développer de nouveaux outils et continuer à utiliser des tests non adaptés
risque de générer par ailleurs des erreurs préjudiciables au patient et oblige le psychologue à
se fier à sa propre intuition en modifiant certains items, en transformant quelques notations,
en « trichant », en quelque sorte, sur les étalonnages. Cette situation crée une grande
insécurité pour le praticien et ne possède aucune fiabilité. Sans recours à un étalonnage
valide, il ne peut se fier qu’à son expérience et à ce qu’il connaît de la culture de son patient.
Si chaque approche a ainsi ses limites, ses risques et ses défauts, il est cependant
indispensable d’agir. Seule une approche pragmatique peut aboutir à ajuster les pratiques,
en se laissant guider par les besoins réels de la clinique et en choisissant de créer ou
d’adapter les outils en fonction des situations et des tests déjà présents.
221
La seule voie raisonnable réside donc dans l’acceptation de la complexité et dans un
pragmatisme consistant à construire ou adapter des outils en fonction des besoins réels
auxquels sont confrontés les cliniciens. Il est nécessaire de renoncer à disposer d’outils
« parfaits » qui seraient tout à fait adaptés pour chaque patient. Il est impossible aussi de
trouver une seule solution qui aurait peu de défauts et serait la meilleure dans toutes les
situations. Le travail en situation transculturelle ne peut donc s’accomplir que dans la
nuance, la complexité et le pragmatisme et résiste en cela à un certain degré de
théorisation. Il semble qu’il ne puisse se passer d’une part de tâtonnement, de bricolage et
d’intuition. Les nuances dans les différences de perception, de langage, de rapport au
monde sont infinies et tout travail de catégorisation, de mesure, les simplifie et les écrase.
S’il est indispensable d’y procéder, dans une certaine mesure, pour créer des tests adaptés, il
est impossible de faire disparaître ces différences. C’est d’ailleurs dans ces tensions nées des
différences culturelles que réside notamment la richesse de la diversité.
Une pensée rigide cherchant à catégoriser systématiquement et à trouver des
solutions simples ne permet donc pas d’avancer face à cette question qui impose à la fois
nuance, pragmatisme et complexité, notamment du fait que les cultures sont vivantes, se
transforment et se rencontrent, ce qui impose de la souplesse à la réflexion. Les outils de
mesure ne peuvent jamais être parfaits car les découpages en groupes culturels homogènes
sont impossibles étant donné l’importance des nuances, des métissages, et le nombre de
critères qu’il faudrait prendre en compte. Ces tests ne doivent donc être utilisés que comme
une aide pour le clinicien seul capable de contextualiser et de nuancer les résultats.
On retrouve chez différents auteurs, travaillant dans des disciplines différentes sur
les phénomènes de rencontres entre cultures, le même souci d’une pensée nuancée et
222
pragmatique: Laplantine en anthropologie, qui cherche à décrire les sociétés métissées et en
constante évolution, Jullien en philosophie, qui réfléchit à l’impact de la mondialisation sur
les différentes cultures amenées à se rencontrer et parfois à se confronter et Moro en
psychiatrie qui met en place une clinique adaptée aux patients migrants et à leurs enfants.
Ces auteurs montrent que pour rendre compte de ce monde contemporain métissé
la pensée doit s’adapter ; elle doit, selon Laplantine, sortir d’une logique binaire et
catégorielle pour mieux concevoir les nuances, les entre-deux (Laplantine, 2007). Jullien
évoque quant à lui une pensée qui empreinte autant à la connaissance qu’à « cet autre
possible de la science qui forme alternative avec elle » (Jullien, 2010 p. 33) : la connivence,
« ce savoir indigène » que nous allons décrire.
Dans les deux cas il s’agit de prendre un peu de distance avec une pensée purement
cartésienne (Laplantine, 2007, p. 112), qui semble très adaptée aux sciences dures mais
parait trop rigide, presque simplificatrice, quand il s’agit de penser les infinies nuances de
l’humain, du psychique et de la culture. En quelque sorte il s’agit d’un métissage de notre
pensée au contact des autres et notamment des minorités.
Nos travaux nous ont amené à comprendre que c’est aussi ce type de pensée qui
permet de réfléchir aux bilans psychologiques en situation transculturelle et d’avancer à la
fois dans l’amélioration des pratiques cliniques d’évaluation psychologique et dans la
construction de pistes de recherches adaptées aux besoins des psychologues.
223
4.1
Penser les métissages
Laplantine prend des distances par rapport Devereux, dont il a été l’élève, à qui il
reproche une pensée trop positiviste, trop catégorielle, structuraliste et universaliste. Il
considère que cette pensée est trop rigide pour pouvoir aborder la question du métissage et
de toutes les nuances et contradictions de celui-ci. Il cherche à défendre une
ethnopsychiatrie inscrite dans le temps, moins positiviste, d’avantage capable de penser les
contradictions et les évolutions.
Il invite alors à sortir d’une pensée binaire et catégorielle pour entrer dans une
pensée « modale » capable d’aborder les nuances, les oscillations, les graduations, le
désordre, les compromis et les modulations propres à la réalité des métissages. Il déplore
que « la pensée encore aujourd’hui largement dominante [soit] une pensée de la séparation
qui procède à une organisation binaire de notre espace mental ainsi qu’à une répartition
dualiste des gens et des genres » (Laplantine et Nouss, 2008, p. 62), pensée qui reste
marquée par la difficulté à accepter la perte de formes pures originelles qui se seraient
mélangées et du cloisonnement rassurant entre espaces mentaux ou culturels.
Il emprunte à Bastide sa capacité à penser la contradiction, la cohésion et la
cohérence d’une société en se référant moins que Devereux à la notion de système et de
structure. Comme lui il se veut être un « penseur de la convergence, de la conciliation et de
la modulation » (Laplantine, 2007, p. 16). Il adopte ainsi une vision optimiste des évolutions
des sociétés, qui créent toujours du nouveau par des processus de compensation, de
rééquilibrage, d’interpénétration et rejette ainsi « la vision sceptique et désenchantée de
Levi-Strauss (celle de Tristes Tropiques, 1955) et la vision pessimiste de Devereux qui était
224
aussi celle de Freud ». Il leur reproche une réflexion désabusée sur la « décomposition et la
dégradation d’un ordre préalable formant système » (ibid, p. 16).
Pratiquer des bilans psychologiques en situation transculturelle impose d’accepter,
du fait des métissages culturels, qu’aucun test ne soit parfaitement adapté à chacun. Il est
nécessaire que le psychologue accepte une certaine dose de compromis, de modulation et
qu’il fasse donc appel à sa capacité d’aborder les nuances et les graduations propres à la
réalité des métissages. Il est en effet impossible de catégoriser les cultures en groupes
d’étalonnage parfaitement homogènes et impossible de créer autant de tests qu’il existe de
nuances culturelles et linguistiques. Il est également impossible de créer des tests purs, sans
biais culturels. Une part de contextualisation et de capacité à nuancer et à adapter ses
pratiques est donc indispensable dans tout bilan et encore plus en situation transculturelle
du fait de la complexification qu’elle entraîne. Mener des recherches pour améliorer les
pratiques de bilan et les tests à notre disposition impose également de faire des choix avec
cet esprit de nuance et de pragmatisme.
Laplantine invite à ouvrir notre réflexion à d’autres modes de pensée que le
rationalisme cartésien et la science positiviste qui ont marqué l’occident depuis cinq siècles
(Laplantine, 2007, p. 112). Il ne s’agit pas de dévaloriser ce modèle très fécond, mais de le
faire évoluer, de lui ajouter autre chose, comme il le dit lui-même : « une épistémologie
métisse ne doit pas à notre avis chercher à abolir, mais plutôt à problématiser, à
complexifier et à affiner l’analyse de catégories qui ne seront plus seulement pensées dans
l’espace, mais dans le temps » (Laplantine et Nouss, 2008, p. 76). Ainsi, ce qui peut
apparaître entre le totalement blanc et le totalement noir, « le pas vraiment malade mais
pour autant pas vraiment en bonne santé », ou la thèse et l’antithèse, ce sont « des écarts
225
différentiels », des « espaces intermédiaires infiniment flous et flottants » (ibid. p76). Il
donne l’exemple du clair-obscur, du loup-garou, des nuances musicales et picturales ou de la
mélancolie. Celle-ci « se déplace à travers une gamme extrêmement subtile d’émotions qui
vont de la déception au malaise en passant par la morosité, le mal de vivre, la lassitude,
l’amertume, le dégoût, la déprime » (Laplantine, 2007, p106).
Ainsi, l’acte thérapeutique, en tant que soin et contrairement au traitement, ne peut
être pensé avec une catégorisation uniquement binaire. Car il se base en grande partie sur la
relation avec le thérapeute qui se doit de trouver une distance adaptée à son patient, ni trop
proche ni trop loin, et évolue au fil des expériences, ce qui en fait non seulement un savoir
mais un art (Laplantine, 2007, p. 116). De même l’évaluation en santé mentale se construit
dans une relation et n’est jamais qu’une image co-construite par un psychologue et son
patient. La dimension relationnelle est importante, et avec elle les aspects subjectifs liés aux
interprétations du clinicien. Ceux-ci ne sont pas des freins à l’efficacité d’une mesure, qui
sans eux seraient plus pure. Mais au contraire ils complètent et corrigent les limites du test
qui est incapable de refléter cette pensée « modale ».
Moro
soutient
également
« une
position
pragmatique,
éclectique,
une
ethnopsychanalyse non idéologique, ouverte sur la société » (Moro, 2002, p. 34). Elle refuse
ainsi de simplifier et d’abraser la complexité humaine en réduisant de l’inconnu à du connu.
Elle propose une clinique souple, à même de faire toute la place à l’altérité culturelle grâce
notamment à une multiplicité de regards qui permet de complexifier les interprétations et
d’utiliser les ressources subjectives de chaque thérapeute. Elle théorise cette approche sans
la figer, en laissant de la place à l’improvisation et à la nuance.
226
Ainsi, le travail clinique de bilan psychologique devrait pouvoir utiliser une pensée
capable d’aborder les nuances, les oscillations, et les graduations. Lorsque patient et
psychologue ont des appartenances culturelles qui diffèrent beaucoup, les contradictions,
les compromis, les nuances et les modulations propres à la réalité des métissages
apparaissent de manière plus marquée encore. Comme on l’a vu, catégoriser les
appartenances culturelles d’une façon rigide, avec une pensée de la séparation, est non
seulement difficile mais souvent erroné. De même la complexité de la situation
transculturelle, pour qu’elle puisse faire une place à la différence et à l’imprévu doit s’ouvrir
à la nuance pour éviter la simplification qu’entraîne une trop grande rigidité.
Jullien va montrer qu’en plus d’être plus fidèle à la réalité, cette pensée, en faisant de
la place à la diversité culturelle est également plus féconde. Pour cela il est nécessaire de
métisser notre pensée et d’emprunter à différentes « ressources » culturelles : la connivence
et la connaissance (Jullien, 2010, p. 34).
4.2
Métisser notre pensée
Jullien est très attentif aux écarts qui créent une tension et permettent de faire
avancer la réflexion, de créer des idées, de réfléchir. Une pensée trop conformiste, un
consensus ne met pas la pensée en action (ibid, p. 51). Le rôle de l’intellectuel est de « faire
travailler les écarts, ouvrir la place à l’autre, maintenir la possibilité d’un dehors » (ibid. p.
63). On peut penser que c’est aussi le rôle du psychologue, surtout en situation
transculturelle.
Il invite à garder un état d’esprit d’ouverture et d’intérêt pour les différences
culturelles afin d’éviter toute tendance à la simplification en laissant apparaître les écarts
227
créés par les différences entre les cultures, elles-mêmes riches et fécondes. Laplantine
insiste aussi sur cette « pensée de la tension, c'est-à-dire résolument temporelle, qui évolue
à travers les langues, les genres, les cultures, les continents, les époques […] une pensée de
la multiplicité de la rencontre » (Laplantine et Nouss, 2008, p. 71). Moro a montré combien
le travail sur les nuances linguistiques, ainsi que sur les différences de perception d’un même
fait, est porteur de sens et permet un approfondissement, une compréhension affinée d’une
situation. Elle propose de travailler sur ces nuances en prenant le temps, par exemple, de
traduire avec les patients un mot dans toutes les langues de la famille pour en faire surgir
toutes les facettes, toutes les tensions, les contradictions (Moro, 2010). Ces différences, tant
au niveau des vécus subjectifs que des démarches cognitives sont le plus souvent perçues
comme des obstacles au bilan, des biais à éliminer, alors qu’il est nécessaire de les valoriser.
Les bilans devraient de la même façon pouvoir accueillir une certaine dose de tension, de
nouveauté, pour que le psychologue puisse éventuellement être surpris par les réalisations
d’un sujet. Le praticien devrait pouvoir prendre le temps d’approfondir, de déplier cette
spécificité pour ouvrir éventuellement un nouveau champ de compréhension inattendu.
Jullien propose de se nourrir d’une pensée différente de la raison scientifique, qui
fait alternative avec elle et qui ouvre ainsi un écart permettant une nouvelle fécondité. Le
savoir issu de cette pensée, il le nomme « connivence », pour le différencier de la
connaissance issue de la science (Jullien, 2010, p. 34). Il correspond au savoir accumulé par
les populations « indigènes » que commence seulement à toucher la mondialisation. Il s’agit
d’un savoir maintenu tacite, quand la connaissance est explicite, un savoir qui ne s’enseigne
pas de façon discursive et méthodologique mais « se noue, se tisse au fil des jours, sans
qu’on y vise et même sans qu’on y pense » (ibid. p. 35). Enfin, de même que l’épistémologie
du métissage proposée par Laplantine propose de sortir d’une logique de scission et de
228
séparation, ce savoir, contrairement à la science, ne se construit pas par rupture entre
« sujet » et « objet », et se développe de façon globale, sans morceler en domaines
parallèles, sans hiérarchiser. De plus, « sa sémiologie est secrète, diffuse, ambiguë, oblique ;
ses codes sont divers, non exclusifs » (ibid. p35). Elle est « le fruit de l’habitude et du temps
passé ; elle repose sur l’entente, le maniement, l’usage et, le moins possible, sur l’explication
et la démonstration » (ibid. p. 37).
Or, cette connivence apparaît comme un possible culturel, une ressource à la
disposition de tous, infiniment exportable et exploitable. Car chez Jullien, tous les possibles
culturels sont accessibles si on prend le temps de se les approprier, de se laisser métisser par
eux et ils deviennent cumulatifs, « se greffent, se fécondent et se capitalisent » (ibid. p15).
Lui-même, en tant que spécialiste de la pensée confucianiste, affirme exploiter indéfiniment
ses ressources : « le propos subtil, l’évitement de la thèse et de la définition, le sens de
l’équilibre et de la « régulation » (ibid. p. 16). Sans pour autant que celle-ci efface l’intérêt de
la pensée cartésienne, les deux « ressources » se trouvant au contraire enrichies par le
travail sur l’écart qui apparaît entre elles.
Il promeut ainsi une pensée qui emprunterait autant à la connaissance qu’à la
connivence, qui exploiterait différentes « ressources » culturelles en prenant le soin de
travailler les écarts ainsi formés et qui mettent la pensée en tension. Il montre d’ailleurs que
c’est déjà ce que nous faisons, sans en avoir conscience, en passant par exemple d’un
monde professionnel dominé par la science à un monde privé où l’on trouve des traces de
cette pensée de la connivence : le « babil » entre amants, qui « replie la langue en idiome »,
ne cherchant pas réellement à produire un sens, mais à « maintenir verbalement une
entente tacite », ou la poésie, « qui fait ostensiblement sécession d’avec le discours de la
229
science » (ibid. p. 39). La relation qui s’établit entre un psychologue et un patient, même au
cours d’une évaluation, se nourrit notamment de cette forme de connaissance faite de
ressentis et d’intuition. Et celle-ci est d’autant plus importante en situation transculturelle
qu’elle permet d’enrichir l’interprétation des résultats à des tests standardisés qui doivent
être utilisés avec prudence.
Le bilan psychologique est un acte, qui, comme le dit Laplantine, impose de sortir
d’une logique uniquement binaire pour entrer dans une pragmatique nuancée. Les mélanges
culturels multiples, les métissages ainsi que la complexité des phénomènes psychiques
nécessitent d’utiliser une pensée modale, apte à saisir les nuances et mise en tension par les
différents angles de vue qui peuvent être activés. Le psychologue clinicien aura la tâche
d’utiliser des ressources à la fois subjectives, basées sur ses ressentis qu’il ne doit pas exclure
mais analyser, et comparatives, c'est-à-dire mesurées grâce à des tests adaptés.
La situation transculturelle impose donc un degré de complexité supplémentaire qu’il
faut pouvoir prendre en compte et accepter. Cette complexité est aussi ce qui donne toute
la richesse à ces bilans et il est nécessaire de la valoriser, comme pouvant révéler des
« écarts » permettant un approfondissement et un enrichissement de nos connaissances et
de nos perceptions du monde au contact de l’autre.
5. Le contre-transfert du chercheur
Le contre-transfert a été d’abord formulé à propos de la relation thérapeutique. Il
s’agit des réactions du thérapeute à ce qui est projeté sur lui par le patient. Devereux a
ajouté aussi les réactions du thérapeute à l’altérité culturelle du patient, qui peuvent
influencer son écoute et ses actions. Mais le contre-transfert joue aussi un rôle important
230
dans la recherche. En effet, comme Devereux le précise en 1980 dans son ouvrage « De
l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement », le choix d’un sujet de
recherche, d’une méthodologie ainsi que l’interprétation des données, tous ces éléments
sont très influencés par les réactions inconscientes du chercheur, explicites ou implicites, par
rapport à son objet de recherche. Il doit donc faire partie de son travail d’élaborer son
contre-transfert afin de s’en servir pour éclairer ses résultats et en informer ses lecteurs.
Nous allons donc procéder à cette démarche introspective et chercher à exposer en
quoi notre histoire personnelle a guidé le choix du sujet et de la méthodologie.
Mes origines culturelles sont composées de plusieurs influences. Je suis d’origine
juive du côté maternel et chrétienne du côté paternel ; polonaise du côté maternel, belge et
française, mélange de breton et d’alsacien, du côté paternel. Une complexité qui n’est pas
en elle-même très originale mais qui est amplifiée par les différences d’origine religieuse.
L’union de mes parents a été conflictuelle dans chacune des familles. J’ai ressenti leur
combat pour défendre cette mixité et j’ai moi-même été façonnée par ce métissage. Mon
histoire m’a donc rendue sensible et concernée par ces questions de contact, de rencontres
et de mélanges entre cultures. De plus, l’identité juive, à elle seule, est porteuse dans ma
famille de beaucoup de questionnements, parce qu’elle n’est reliée à aucune croyance
religieuse et est faite d’un attachement à une culture juive d’Europe de l’Est qui s’est
beaucoup modifiée avec les migrations et la guerre. Ce bain de questionnement sur les
caractéristiques culturelles de cette identité a sûrement ouvert ma curiosité sur ce qu’est
une culture, l’influence qu’elle a sur la personnalité, et dans quelle mesure les individus de
cultures variées diffèrent ou se ressemblent. Dans mes recherches, elle m’a aussi beaucoup
231
incité à la prudence par rapport aux définitions trop arrêtées d’univers culturels et m’a
rendue attentive à la complexité d’un tel concept.
Mais d’autres éléments sont intervenus. Dès que j’ai atteint l’âge de cinq ans, mes
parents ont emmené leurs enfants tous les étés en voyage, afin de découvrir le monde. Ces
séjours de quatre à six semaines avaient lieu dans des pays souvent très pauvres et surtout
lointains culturellement. J’ai été ainsi très jeune confrontée au dépaysement et à la diversité
culturelle et, arrivée à l’âge adulte, j’ai poursuivi ces expériences au cours de mes
engagements personnels dans l’humanitaire et l’aide au développement. Cette expérience
du décentrage et la connaissance que j’avais d’autres univers culturels m’ont notamment
permis, pendant tout mon cursus de psychologie, de constater combien ce qu’on apprenait
était spécifique à notre culture, sans que cela ne soit évoqué. Et cette constatation m’a
particulièrement marquée concernant la psychométrie. Je remarquais que les personnes
immigrées, issues de pays que je connaissais pour certains, n’étaient pas évoquées par nos
professeurs de psychométrie qui nous enseignaient quelles sont les bonnes et les mauvaises
réponses, sans mentionner à quel point les compétences qu’ils mesuraient étaient
spécifiques de notre culture. Mon souhait de pallier ce manque en me penchant sur le
problème de l’utilisation des tests en situation transculturelle était donc autant lié à un
engagement qu’à un simple intérêt. Mon histoire personnelle et notamment les conflits
familiaux engendrés par le judaïsme de ma mère, ainsi que l’antisémitisme dont mes grandsparents ont souffert pendant la guerre, m’ont rendue très sensible à toute forme de
discrimination. Je savais que ce sujet était particulièrement délicat à traiter du fait justement
des interprétations discriminatoires qu’il est possible de porter si l’on n’est pas attentif à la
complexité des phénomènes. Mais je trouvais inacceptable d’exclure de fait certaines
populations de nos outils de soins et il me semblait donc qu’il fallait se confronter à cette
232
question difficile, plutôt que d’abandonner ce champ à des travaux éventuellement
éthiquement contestables.
J’avais le souhait, en commençant à étudier ce sujet, de trouver des solutions, des
« marches à suivre », pour adapter les tests et améliorer les situations de bilan. La lecture
d’auteurs contemporains ainsi que la mise en œuvre de recherches transculturelles m’a
éveillée à la complexité et fait prendre conscience de l’impossibilité de trouver des solutions
simples, des pistes de recherches sans défaut. Cette thèse rend compte de ce cheminement.
Ma méthodologie a également été influencée par mes réactions concernant le choix
des questions à poser lors du recueil de figures complexes de Rey et d’Osterrieth dans des
écoles de région parisienne. Il faisait partie de notre protocole de recueillir pour chaque
enfant son origine culturelle, mais aucune question précise n’était proposée. Poser cette
question me semblait difficile et, lors de la première passation, j’ai ressenti un malaise en
interrogeant l’enfant sur ses origines et en voyant ses difficultés à me répondre. En effet, à
son âge, je n’aurais pas pu répondre à cette question simplement. D’abord parce que
comme je l’ai dit plus haut, mes origines sont assez complexes et que si je n’avais pas pu
évoquer chacune je me serais retrouvée dans des conflits de loyauté. Ensuite parce que
j’avais reçu les récits de guerre de mes grands-parents maternels, très traumatiques. Ceux-ci
m’avaient rendue très attachée à l’identité juive qui me semblait me distinguer des autres
enfants dont la famille n’avait pas souffert de la même manière. Enfant, cela aurait
certainement compliqué ma relation au chercheur me posant la question, qui m’aurait
semblé entrer dans mon intimité en m’interrogeant ainsi. Une réaction que nous avons pu
retrouver, avec mes collègues de recherche, dans les familles ayant connu la guerre,
notamment dans les passations de l’ELAL d’Avicenne auprès d’enfants tamouls du Sri Lanka.
233
J’ai donc constaté que cette question était sensible, qu’elle l’aurait été pour moi et
l’était certainement aussi pour d’autres enfants. Pour pouvoir la poser le plus sereinement
possible, j’ai donc choisi de préciser au maximum la question posée aux enfants, en retirant
les notions d’origine ou de culture et en me fondant sur un élément objectif : « est-ce que tu
sais dans quel pays sont nés tes parents ? ».
Enfin, s’agissant du travail sur la transmission des langues dans la migration, il existe
également un lien assez fort entre mon histoire personnelle et cette recherche. En effet mes
grands-parents sont venus en France avec une langue, le yiddish, qui n’a été transmise que
partiellement à leurs enfants et qui n’a pas pu l’être à leurs petits-enfants. Cette
transmission était certainement difficile car elle était pour mes grands-parents la langue du
passé quand l’avenir était au français. De plus, contrairement ce que l’on constate dans la
plupart des migrations il n’y avait pas chez ces Juifs d’attachement très fort à un pays
d’origine qui aurait conservé la langue et la culture, puisqu’ils appartenaient à un peuple
ayant migré de nombreuses fois et, surtout, que le monde de la culture yiddish d’Europe
centrale avait disparu avec la Shoah. Mes grands-parents sont donc bilingues et j’ai fait, avec
eux et avec ma mère, l’expérience du passage d’une langue à l’autre, de ce qui ne peut être
dit que dans une langue parce qu’imprégné de la culture de celle-ci. Aujourd’hui le yiddish,
malgré des tentatives de revitalisations, a en grande partie disparu et la tristesse de voir
s’évanouir tant d’éléments culturels auxquels nous n’aurons bientôt peut-être plus accès
m’a rendue sensible à l’importance de la transmission de la langue.
234
CONCLUSION
Nous avons cherché à apporter une contribution aux techniques de bilan en situation
transculturelle de plusieurs manières. D’abord en menant une réflexion sur les enjeux
théoriques soulevés par la question, qui suppose d’accepter un certain degré
d’universalisme des structures psychiques et de travailler avec une définition de la culture
comme d’un processus intégrant la diversité des métissages. Nous avons ensuite montré les
difficultés à utiliser les tests étalonnés en situation transculturelle du fait de différents types
de biais. Il est indispensable, soit de créer de nouveaux tests, soit d’adapter et non
uniquement de traduire, ceux qui existent déjà.
La première étude que nous avons menée apporte de nouvelles connaissances sur les
biais culturels dans les tests non-verbaux en montrant combien la structuration perceptive
d’une figure géométrique varie d’un contexte culturel à l’autre. Elle montre également une
influence de la culture transmise sur les réalisations, invitant ainsi à la prudence dans
l’utilisation des tests non verbaux non seulement lors de l’exportation de tests mais aussi
quand ils sont utilisés avec des patients ayant une origine culturelle différente de celle des
créateurs du test. La deuxième étude apporte une contribution concernant l’évaluation des
compétences langagières chez les enfants grandissant au contact de plusieurs langues. Elle
propose un nouveau test basé sur des universaux de développement du langage, qui devrait
être utilisable, une fois validé, dans un grand nombre de langues. La technique utilisée pour
sa création, anticipant les futures adaptations à de nouveaux contextes culturels, ainsi que
235
l’introduction de validations dans les pays d’origine constituent également un apport dans
l’élaboration de tests utilisables en situation transculturelle.
Pour pratiquer les bilans en situation transculturelle, les psychologues doivent
réaffirmer l’importance de la sensibilité clinique. Ils doivent se montrer ouverts aux
différences culturelles, curieux de l’autre et attentifs à tous les éléments du contexte qui
peuvent influencer les résultats. Ils doivent évaluer la faisabilité d’un bilan et choisir les tests
dont ils connaissent le mieux les limites. Les méthodes dynamiques de passation sont plus
adaptées à la situation transculturelle et les items d’apprentissage d’une grande aide. Enfin,
il est indispensable d’introduire la langue maternelle dans les bilans, pour accueillir les
patients et surtout les enfants de migrants avec leurs différences culturelles et linguistiques
en valorisant cette multiplicité. Cela peut se faire avec une évaluation des compétences en
langue maternelle qui donnera des informations tant sur les compétences langagières
réelles des enfants que sur les modalités de transmission à l’œuvre dans leur famille et leur
capacité à les recevoir. Des recherches peuvent être menées dans différentes directions
pour améliorer les bilans en situation transculturelle. Il est nécessaire de mener des
recherches fondamentales pour mieux connaître l’impact de la culture sur les processus
cognitifs. Ce sont ces données qui permettront notamment de contextualiser les résultats
aux tests. Les cliniciens ont également besoin de nouveaux tests utilisables dans des groupes
culturels pour lesquels ils sont aujourd’hui démunis. Ceux-ci peuvent être soit adaptés à
partir de tests existants soit créés à partir des données recueillies sur le terrain. Il est
également possible, à l’instar de l’ELAL d’Avicenne, de créer des tests adaptables le plus
facilement possible à un maximum d’univers culturels.
236
Mener ces réflexions conduit à adopter une démarche très pragmatique et montre
combien la pensée doit s’adapter à monde contemporain de plus en plus globalisé, fait de
rencontres et de mélanges culturels intenses. Les cultures voyagent et se métissent et
l’enjeu est de ne pas considérer la complexité inhérente à cette diversité comme un obstacle
mais plutôt comme une richesse. Ceci rend certes un peu plus difficile la pratique des bilans
psychologiques et la mise en place de tests adaptés. Mais c’est aussi l’occasion, pour les
psychologues, d’enrichir les points de vue, de remettre en question les théories, de se
montrer créatifs. Comme l’ont montré Jullien ou Laplantine, les mélanges culturels invitent
également à métisser notre propre pensée pour la rendre plus souple, plus nuancée et plus
ouverte à la subjectivité comme à la complexité.
237
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