L’Encéphale, 2006 ; 32 : 738-45, cahier 1 L’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD possède-t-elle une valeur prédictive ?
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Résumé. La recherche de facteurs de risque suicidaire per-
met de définir des populations à risque. Elle ne donne pas
au clinicien d’informations sur l’éventualité imminente d’un
passage à l’acte. Des instruments psychométriques cher-
chent à aider le thérapeute dans cette démarche. Parmi ceux-
ci, on peut citer l’échelle d’évaluation du risque suicidaire
RSD. Son inclusion dans une étude de prévention des réci-
dives dépressives à long terme montre une validité concou-
rante satisfaisante de la RSD avec les items « suicide » de
la MADRS (
ρ
= 0,79 ; p = 0,0001) et de l’échelle Hamilton-
dépression (
ρ
= 0,70 ; p = 0,0001) et moins satisfaisante avec
le degré de dépression évalué par le score global de la
MADRS (
ρ
= 0,40 ; p = 0,0001). Le suivi à court terme sous
traitement démontre la sensibilité de la RSD qui s’améliore
plus rapidement que la MADRS. Ceci pose certaines ques-
tions par rapport à l’augmentation du risque suicidaire décrite
dans la littérature pour certains antidépresseurs. Le suivi à
moyen terme permet de tester la validité prédictive de la RSD.
Il confirme un niveau de risque suicidaire aggravé à partir d’un
score de 7, avec le décès par suicide de 2 patients parmi les
15 qui avaient lors de leur inclusion un score entre 7 et 10 à
la RSD. En revanche, aucun suicide, ni aucune tentative de
passage à l’acte n’ont été à déplorer, sur les 18 mois de suivi,
dans le groupe témoin des 88 patients pour lesquels la RSD
était inférieure ou égale à 6 à J0 (p = 0,02 au test exact de
Fisher).
Mots clés : Échelle ; Évaluation ; Risque suicidaire ; Suicide ; Ten-
tative de suicide ; Validité prédictive.
INTRODUCTION
Le risque suicidaire peut-il être évalué ? Certains
auteurs pensent que seule la reconnaissance de facteurs
de risque suicidaire demeure possible. Mais celle-ci ne
permet pas de répondre à la question de l’éventualité d’un
passage à l’acte, à un moment précis, chez une personne
donnée, ayant ou non des facteurs de risque. D’où la
nécessité de développer des moyens d’aide au
diagnostic permettant de faciliter une telle approche.
L’inclusion de l’échelle d’évaluation du risque suicidaire
RSD (5) dans une étude de prévention des récidives
dépressives a permis d’étudier sa validité prédictive, ainsi
que sa validité concourante face à la MADRS.
DÉPRESSION ET RISQUE SUICIDAIRE
La conférence de consensus sur la crise suicidaire (6)
rappelle que 60 à 70 % des suicidants ont consulté un
médecin généraliste dans le mois précédant leur passage
à l’acte, 36 % dans la semaine avant, et que la mise en
place d’un programme spécifique sur l’île de Gotland
(Suède) a permis de diminuer le taux de suicide de 60 %
en deux ans. Aussi recommande-t-elle la mise en place
d’une expérience de formation sur ce modèle.
Mais si l’amélioration du dépistage et de la prise en charge
de la dépression est nécessaire, est-elle suffisante ?
Une enquête réalisée en France (13), auprès de
2 502 médecins généralistes et 667 psychiatres de ville,
portant sur leur dernier patient ayant fait un passage à
l’acte, montre que sur un an, les psychiatres se sont retrou-
vés confrontés en moyenne à plus de 4 tentatives de sui-
cide et les médecins généralistes à 2,63. Seuls 11 % des
omnipraticiens et 5 % des psychiatres ne signalent pas de
passage à l’acte suicidaire dans leur clientèle durant cette
période. À l’inverse d’une idée souvent émise, lors du pas-
sage à l’acte, la relation entre le thérapeute et le patient
existe depuis longtemps : en moyenne 3 ans et demi pour
le spécialiste et près de 6 ans pour le médecin généraliste.
Tous les deux ont été consultés par leurs patients
durant le mois précédant dans 70 % des cas environ, voire
80 % lorsque le patient va décéder et est suivi par un spé-
cialiste.
Dans près de 82 % des cas pour le généraliste et de
77 % pour le spécialiste, les praticiens estiment que la
consultation qui précède l’acte est en rapport direct avec
un état dépressif.
Ainsi, 8 fois sur 10, le diagnostic de dépression est
posé. En revanche, les intentions suicidaires de ces
patients qui ne vont pas tarder à passer à l’acte ne sont
repérées que dans 6 % des cas par le médecin généraliste
et 11,8 % par le psychiatre.
Cela montre bien l’intérêt d’améliorer la capacité des
médecins à porter le diagnostic de dépression, mais plus
encore celle d’apprécier le risque suicidaire. Certains
cependant appréhendent de renforcer le risque de pas-
sage à l’acte en abordant ces questions. La conférence
de consensus citée plus haut insiste sur la nécessité de
ne pas hésiter à questionner les patients sur leurs idées
de suicide : « cette attitude, loin de renforcer le risque sui-
cidaire, ne peut que favoriser l’expression des troubles,
si l’entretien est fait dans un climat de confiance, avec tact
et sans émettre de jugement de valeur, en sorte que le
patient se sente reconnu dans sa souffrance ».
FACTEURS DE RISQUE SUICIDAIRE
Le problème majeur qui se pose au clinicien convaincu
de la nécessité de rechercher et d’évaluer le risque suici-
daire d’un patient devient alors de savoir comment le faire.
Le plus souvent, il n’a pas été formé à cette démarche. Il
peut rechercher les facteurs de risque suicidaire classi-
ques maintes fois cités. La conférence de consensus sur
le risque suicidaire propose de rechercher :
– les facteurs de risque dits primaires : présence de
troubles psychiatriques (leur association, même lorsqu’ils
sont subliminaires, augmente le risque), antécédents per-
sonnels ou familiaux de suicide, communication d’une
intention suicidaire, impulsivité (elle représente un trait qui
facilite le passage à l’acte) ;
– les facteurs secondaires : pertes parentales préco-
ces, isolement social, chômage, difficultés financières et
professionnelles, événements de vie négatifs qui peuvent
être des facteurs prédisposants ou précipitants ;
– les facteurs tertiaires : sexe, âge, période de vulné-
rabilité.