Le français de spécialité et la description de représentations

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Le français de spécialité
et la description de représentations graphiques 1
Véronique SANCTOBIN
An SLOOTMAEKERS
Interfacultair Instituut voor Levende Talen
KULeuven
En français de spécialité, l'entraînement à la description de représentations graphiques nous
semble d'un intérêt primordial pour deux raisons.
Tout d'abord, quelques années de pratique nous ont appris que la description d'une
représentation graphique est une aptitude que nos étudiants (2e année de sciences économi-
ques et de sciences sociales) ne possèdent que de façon lacunaire, surtout en langue
étrangère.
Le problème s'avère pourtant d'importance si l'on considère que l'utilisation de représenta-
tions graphiques a connu une véritable explosion dans la presse écrite. En effet, ces
représentations graphiques constituent un moyen approprié pour encoder de grandes quantités
de données de façon à les rendre facilement consultables. Il semble d'ailleurs que le lecteur
considère effectivement ces graphiques comme des outils communicatifs véhiculant un
contenu, et non seulement comme des dessins servant uniquement à accrocher l'attention.
C'est le graphique en particulier qui a retenu notre attention, et plus particulièrement le type
de graphique que Bowen (1992 : 55,70) qualifie de "time series graph", un type de graphique
qui représente l'évolution d'une variable sur l'axe du temps. En effet, ce type de graphique est
fréquemment utilisé dans la presse écrite pour la représentation de concepts socio-
économiques.
1. La "lecture" de graphiques
Bertin (1967) considère la lecture de graphiques comme un processus de construction de
sens. Nous illustrerons ses propos à l'aide du graphique présenté ci dessous 2 :
1 La présente publication est une version remaniée de Sanctobin et Slootmaekers (1995). Pour de plus amples
informations d'ordre bibliographique, nous invitons le lecteur à consulter ladite publication.
2 Le Soir, 21.05.93.
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Pour Bertin (1967 : 140), il existe trois niveaux de décodage, à savoir le "niveau élémentaire
de lecture", le "niveau moyen de lecture" et finalement le "niveau supérieur" ou "lecture
d'ensemble". Examinons-les un à un en nous référant au graphique donné.
Pour appréhender une représentation graphique, le lecteur peut poser différents types de
questions. S'il pose des questions visant à obtenir des données concernant un seul élément
isolé dans la représentation graphique, il se trouve au premier niveau de la lecture, à savoir le
"niveau élémentaire".
Le lecteur peut par exemple se poser la question de savoir à combien s'élève la population
asiatique en 1950. En se posant ce type de question, il sollicite la représentation graphique en
tant que "banque de données", dont il veut extraire une donnée particulière.
Le lecteur peut également poser une question visant à obtenir des informations concernant
non plus un élément isolé, mais au contraire un groupe d'éléments : quelle est l'évolution de
la population asiatique?
C'est le "niveau moyen" de la lecture. Les images ne sont donc plus interprétées de façon
isolée, mais par ensembles. Un tel type de questions engendre un commentaire global d'une
partie du graphique.
Finalement, si le lecteur-décodeur pose une question "introduite par l'ensemble de la compo-
sante" (Bertin (1967 : 140)), il se trouve au "niveau supérieur" de la lecture. Il se pose alors la
question de savoir comment la population mondiale a évolué pendant les derniers siècles.
Cette question engendre un commentaire global, qui prend en compte la totalité du graphique
et sonde les intentions de communication de son auteur.
C'est ce dernier niveau que le lecteur doit essayer d'atteindre, affirme Bertin (1967 : 153),
même si cela ne va pas de soi. En effet, de nombreux lecteurs n'arriveraient même pas à
transgresser le niveau élémentaire.
Pourtant, il est absolument nécessaire que le lecteur atteigne ce niveau supérieur, puisque s'il
y arrive, "tous les niveaux inférieurs sont lisibles, alors que l'inverse n'est pas vrai" (Bertin
(1977 : 13)). Qui plus est, "(...) notre mémoire ne peut retenir la multitude des informations
élémentaires. Il faut réduire cette multitude, découvrir des éléments semblables, les grouper,
les classer" (Bertin (1977 : 180)).
2. Les objectifs d'apprentissage
L'apprenant doit être capable de comprendre le fonctionnement du graphique, c'est-à-dire d'en
dégager les relations au niveau moyen et global, pour être capable de le décrire en langue
étrangère.
Ceci implique notamment des connaissances du lexique technique ("En abscisse, ... en
ordonnée, ..."), de l'expression de la comparaison ("X est plus élevé que Y, ..."), de la quantité
("X s'élève à 3 pour cent", ...) et des fluctuations ("X augmente ..."), de la localisation ("En
Belgique, ...") et de la chronologie ("Entre 1990 et 1998, ..."), et finalement l'aptitude de
manipuler les articulateurs du discours ("Premièrement ..., deuxièmement, finalement", "par
contre...", "en effet", ...). Certains aspects seront développés dans ce qui suit.
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3. La phase de décodage
Pour aider l'apprenant à analyser des graphiques, la grille suivante est proposée. Elle permet
de "questionner" le graphique :
quel est le sujet du graphique ?
cela se passe-t-il ?
quand cela se passe-t-il ?
comment se présente la situation, au niveau global et moyen ?
Un graphique peut cependant contenir plus d'un sujet ou plus d'une localisation
spatiale/temporelle. Cela donne les possibilités suivantes :
Sujet1 + Sujet2 + ... + Sujetn = une comparaison
1 + Où2 + ... + Oùn = une comparaison
Quand1 + Quand2 + ... + Quandn = une évolution 3
Le résultat de ce questionnement est représenté par l'apprenant dans un schéma de données, à
partir duquel il va rédiger sa description. Pour l'exemple cité, le résultat serait alors le
suivant :
Sujet = la population
= dans le monde (comparaison) 1 = en Asie
Où
2 = en Afrique
Où
3 = en Amérique Latine
Où
4 = en Europe
Où
5 = en Amérique du Nord
Quand = de 1800 à 2050 (évolution + prévision)
Commentg = évolution à la hausse en général, sauf pour Où4 et 5
Commentm = Commentm1 = explosion
Comment
m2 = flambée
Comment
m3 = augmentation
Comment
m4 = légère baisse
Comment
m5 = stagnation
4. La phase de rédaction
4.1. Exercices préparatoires
C'est surtout pendant la phase de rédaction que l'apprenant est confronté à des problèmes
d'ordre langagier. Nous estimons dès lors que cet apprenant doit d'abord se familiariser avec
l'outillage langagier à utiliser avant de se lancer dans la phase de rédaction proprement dite.
Dans ce qui suit, nous proposons un aperçu non exhaustif de cet outillage, conçu pour un
public d'apprenants de niveau moyen à avancé. Pour faciliter la lecture de ce texte, les
3 Si Quandn se situe dans le futur, il s'agit d'une prévision.
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données sont présentées en annexe. Pour chaque partie, nous tentons de donner quelques
suggestions pour l'exploitation didactique de ces données. Le lecteur aura ensuite soin
d'adapter le matériel présenté aux besoins de l'apprenant.
4.1.1. Tout d'abord, il convient d'accorder de l'importance au "vocabulaire technique" (par
exemple : "la courbe", ...) à utiliser, même si celui-ci ne provoque pas beaucoup de problèmes
chez l'apprenant, semble-t-il (Voir Annexe 1) 4. Ceci peut se faire en soumettant à l'apprenant
des graphiques fictifs (construits de façon très sommaire, comme dans l'Annexe 1) à décrire.
4.1.2. Ensuite, une attention importante doit être portée au maniement du vocabulaire
nécessaire pour exprimer une quantité et au vocabulaire exprimant des fluctuations, vu la
fréquence très élevée de celui-ci dans le discours économique, comme l'a montré Verlinde
(1995 : 140)).
L'Annexe 2 propose une liste contextualisée de ce vocabulaire 5. Le lecteur constatera que
nous estimons qu'il ne suffit pas de donner des listes de verbes/substantifs à l'apprenant, mais
qu'il faut également munir celui-ci d'informations lui permettant d'utiliser ces
verbes/substantifs de façon correcte. En d'autres termes, des informations sur la valence
nominale/verbale ainsi que sur les possibilités combinatoires de ce vocabulaire s'avèrent
indispensables, ne fût-ce que pour sensibiliser l'apprenant à des questions du type
les patrons augmentent les salaires > les salaires augmentent
Notre collègue Serge Verlinde (1995) a analysé 18 formes 6 exprimant des fluctuations dans
un corpus (non littéraire) étendu, du point de vue de leur valence, de leur fréquence dans le
discours ainsi que de leur possibilités combinatoires. Les résultats de cette analyse ont été
intégrés dans l'Annexe 2. Ces données prennent pour point de départ le sens des expressions
en néerlandais, en vue de faciliter leur consultation par l'apprenant.
Ces expressions peuvent s'activer grâce à l'exercice figurant dans l'Annexe 3. En effet, dans
cet exercice, il s'agit de décrire les différentes étapes d'un graphique imaginaire. De cet exer-
cice ressortent les relations entre les différentes expressions (synonymes et antonymes, déri-
vés,...). Par sa présentation, il est susceptible de favoriser l'appropriation de ce vocabulaire.
Pendant un second moment, l'apprenant est soumis à des exercices de reformulation, du type
suivant :
connaître une faible progression = augmenter faiblement
forte = augmenter fortement
importante = augmenter de façon importante
progression constante = augmenter de manière constante, etc.
être en baisse constante = baisser de façon constante
présenter une baisse rapide = baisser rapidement, ...
d'autres adverbes/adjectifs : ...sensible(ment), net(tement), modéré(ment), régulier (èrement), ...
4 Les Annexes, bien que remaniées par nous, contiennent de l'information faisant partie du "fonds commun" du
matériel didactique développé à l'ILT. Nous tenons par ce biais à remercier tous les collègues, anciens et actuels,
d'y avoir participé, en particulier les Professeurs J.Binon et S.Verlinde.
5 Voir également l'aperçu dans Danilo et Penfornis (1993 : 51).
6 A savoir : (s')accroître/accroissement, augmenter/augmentation, croître/croissance, hausser/hausse,
progresser/progression, (se) réduire/réduction, diminuer/diminution, baisser/baisse, régresser/régression.
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Il va de soi qu'on peut également travailler les oppositions :
lent <-> rapide
faible <-> fort, ...
4.1.3. Puisque certains graphiques présentent une comparaison de différentes variables, il
convient également d'introduire des formules pouvant exprimer la comparaison. Pour ce
faire, l'apprenant ne dispose pas uniquement de moyens grammaticaux (les degrés de
comparaison), mais également de moyens lexicaux. L'Annexe 2 ("l'expression d'une quantité"
: 1.4., 1.6., 1.7.) donne un aperçu des moyens lexicaux à la disposition de l'apprenant.
Nous abordons cette problématique par le biais d'exercices de traduction.
4.1.4. Les indicateurs géographiques et temporels méritent également quelque attention. Pour
ce qui est des indicateurs géographiques, il est bien sûr impossible de prétendre à
l'exhaustivité, mais il nous semble qu'un aperçu de l'emploi des prépositions devant les pays
est primordial, celui-ci pouvant bien sûr se compléter d'un aperçu de celles précédant les
continents, les provinces, les villes, etcétéra, en fonction des besoins de l'apprenant et de ses
connaissances préalables. Si le temps le permet, on peut également travailler les noms des
pays (ici, le bon sens l'emportera !) avec l'apprenant.
En ce qui concerne les exercices, nous préconisons des exercices à trous pour l'entraînement
à l'emploi des prépositions et l'emploi de cartes géographiques pour faciliter l'emploi des
noms des pays.
Pour ce qui est des indicateurs temporels, il convient d'attacher de l'importance aux
prépositions et conjonctions devant les indications de temps, comme par exemple :
Pour indiquer une situation :
en 1998, pour l'année 1998, pendant l'année 1998, avant 1998, ...
Pour indiquer une évolution :
de 1990 à 1998, à partir de '90, jusqu'en '98, entre 1990 et 1998, depuis '90, ...
Pour indiquer une comparaison :
pendant les années 1980, 1990 et 1998, ....
4.1.5. L'articulation du discours mérite une attention toute particulière. En effet, l'apprenant
doit pouvoir manier les formules pour introduire un texte ainsi que pour le subdiviser en
grandes parties, telles les formules mentionnées sous l'Annexe 4.
Dans le même ordre d'idées, des exercices ayant pour but de stimuler l'emploi des
connecteurs, c'est-à-dire des expressions reliant des (parties de) phrases (voir l'Annexe 5)
s'avèrent nécessaires. L'attention doit surtout porter sur les connecteurs
d'enchaînement/d'énumération ("D'une part, ... d'autre part",...), sur les connecteurs
d'opposition ("Contrairement à ", ...), et sur les connecteurs d'explication et de précision ("En
effet", ... ).
Une brève explication s'impose. L'approche est contrastive et onomasiologique, puisque nous
abordons les connecteurs par le biais du sens pour déboucher sur des formes.
En effet, les constructions les plus fréquentes ont été subdivisées en six types. Le "type 1" par
exemple est un connecteur reliant deux (parties de) phrases, le "type 2" introduit un
substantif, ... (Voir également l'Annexe 5).
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