Objet : Le maintien d`une croissance élevée de l`économie kenyane

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AMBASSADE DE FRANCE AU KENYA
SERVICE ÉCONOMIQUE RÉGIONAL
28 juin 2016
Rédigé par Christophe Cottet
Revu par Benoit Gauthier
Objet : Le maintien d’une croissance élevée de l’économie kenyane exige le renforcement de la gestion
financière de l’Etat
Pivot économique de la communauté de l’est africain, le Kenya est, depuis 2015, le premier pays à revenu
intermédiaire de la région. Il a en effet bénéficié d’une accélération marquée de sa croissance économique
depuis 2005, portée par le secteur des services et le rattrapage des investissements dans les infrastructures.
Ce dynamisme est lié à des réformes économiques et politiques d’ampleur mais aussi à une politique
budgétaire expansionniste qui se traduit par une hausse marquée des taux d’endettement.
Le maintien d’une trajectoire de croissance élevée et soutenable nécessitera de piloter finement des besoins
de financement croissants tout en améliorant l’efficacité de la dépense publique en investissement, notamment
au travers de mécanismes de partenariat public-privé. La maîtrise de l’impact budgétaire de la
décentralisation en cours constituera également un enjeu de premier ordre dans les années à venir.
1. L’économie la plus importante et la plus riche d’Afrique de l’Est, largement dominée par le secteur
des services
L’accélération de la croissance au cours de la décennie et la réévaluation du PIB à la hausse de 20% ont placé
le Kenya parmi les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure en 2015. Avec un PIB par habitant de
1432 USD en 2015, le Kenya est le pays le plus riche de l’EAC, devant la Tanzanie (969 USD par habitant),
le Rwanda (743 USD par habitant), l’Ouganda (625 USD par habitant) ou, en dehors de l’EAC, l’Éthiopie
(702 USD par habitant). L’économie kenyane est bien la plus importante de la région en volume, avec un PIB
évalué à 63 Mds USD en 2015, d’une taille équivalente à celle de l’Ethiopie et supérieure à celle de la
Tanzanie (46 Mds USD) ou l’Ouganda (25 Mds USD).
Le Kenya a en effet bénéficié d’une accélération marquée de sa croissance économique au cours des dernières
années qui a s’établit à 5,9 % en moyenne depuis 2010, contre 2 % en moyenne au cours de la décennie 90 et
3,4% en moyenne au cours de la décennie 2000. Cette accélération s’est traduite par une hausse de 25 % du
PIB réel par habitant entre 2005 et 2015, alors qu’il n’avait pas progressé entre 1980 et 2005. La taille du pays
et cette dynamique récente favorise ainsi l’émergence d’une « classe moyenne » composée d’un nombre
croissant de consommateurs non-pauvres.
L’économie est portée par le secteur des services, à l’origine de 70% de la croissance économique de ces dix
dernières années et qui représente 50 % du PIB en 2015. Plusieurs facteurs structurants de l’économie
expliquent ce rôle central :
- la croissance ne repose pas sur des matières premières agricoles ou minières, même si des réserves
pétrolières ont été identifiées dans le nord du pays ;
- le pays occupe une fonction centrale logistique, industrielle, bancaire et financière, médicale, éducative et
d’innovation à l’échelle de la sous-région et au-delà, qui génère des activités tertiaires supérieures ;
L’importance des services révèle cependant en creux la faible productivité du secteur agricole et
l’industrialisation encore limitée du pays. Ce secteur représente tout de même 30 % du PIB, et le Kenya a su
créer des secteurs compétitifs dans certaines spécialités : thé, fleurs coupées et légumes. Son importance dans
le PIB du secteur apparait cependant limitée au regard du fait qu’il absorbe les deux-tiers de la population
active.
La valeur ajoutée du secteur industriel représente quant à elle 20 % du PIB. Le déclin de cette part sur la
période récente souligne la difficulté du Kenya, à passer d’une économie du négoce à un stade industriel. Les
pouvoirs publics développent des stratégies d’industrialisation à grand renfort d’incitations fiscales.
Plus fondamentalement l’accélération de croissance est liée à des réformes économiques et politiques
d’ampleur et à la politique budgétaire expansionniste du gouvernement.
L’amorce de l’accélération de croissance est d’abord liée à une série de réformes économiques mises en
œuvre au cours de la décennie 90. Ces réformes ont permis de libéraliser très largement l’économie. Un
secteur privé bien structuré et une population bien formée a ainsi pu tirer parti de l’accélération de la
croissance mondiale observée à partir du milieu des années 2000.
Sur la période récente, l’adoption d’une nouvelle constitution a en outre contribué à la stabilisation de la vie
politique et à l’ancrage de l’État de droit. La décentralisation en constitue le fondement, avec le transfert vers
47 comtés d’importantes compétences dans les domaines de l’eau, de la santé, de l’agriculture et du réseau
routier notamment.
Enfin, depuis 2009, le gouvernement a mis en œuvre une politique budgétaire expansionniste qui a contribué
à soutenir la croissance. L’effort de dépenses a notamment porté sur le rattrapage des investissements dans le
secteur des transports et de l’énergie.
2. L’amélioration de la gestion publique est un élément-clé de la soutenabilité de la trajectoire de
croissance
Le FMI estime que la dynamique d’accélération de la croissance pourrait se maintenir en 2016 et au-delà,
avec un potentiel de croissance à moyen terme du pays de 6,5%. Le soutien budgétaire à la croissance engagé
depuis s’est toutefois traduit par un creusement du déficit qui a atteint 8,6% du PIB sur l’année fiscale
2014/15. Le rythme d’accumulation de la dette s’est accru en conséquence : en cinq ans seulement, le taux
d’endettement public est passé de 41% du PIB en 2011/12 à plus de 50% du PIB en 2015/16. A ce stade, le
FMI juge encore la trajectoire d’endettement soutenable et il faut souligner que le Kenya est un des rares pays
africains à ne pas avoir eu recours à l’initiative PPTE.
Cette tendance à la hausse constitue cependant un enjeu désormais bien identifié par le gouvernement et par le
FMI : le dernier accord de précaution conclu avec le Kenya (stand-by agreement) prévoit que le déficit public
devrait être ramené à 3,8% du PIB en 2018/19.
Pour parvenir à cette réduction, la stratégie retenue par les pouvoirs publics consiste à faire peser
essentiellement l’effort d’ajustement sur la dépense courante. Le potentiel d’augmentation des recettes
publiques est en effet relativement limité, celles-ci représentant déjà près de 20% du PIB. Le FMI
recommande une réduction des dépenses fiscales, qui permettrait d’accroître à la marge les recettes.
Les réformes fiscales les plus rentables ont cependant déjà été mises en œuvre, notamment l’instauration
d’une TVA. Celles à venir – en particulier la fiscalisation du foncier et des revenus du capital - seront plus
difficiles à mettre en œuvre. Par ailleurs, le gouvernement souhaitant maintenir un niveau d’investissement
public élevé et poursuivre ainsi la politique de rattrapage des investissements dans les infrastructures, la
dépense courante constitue de fait l’agrégat à ajuster.
Tout l’enjeu de la stratégie budgétaire est de piloter la réduction du déficit public tout en limitant ses effets
récessifs sur la croissance. Compte tenu du poids du soutien budgétaire à la croissance, au cours des dernières
années, toute diminution trop brutale du déficit public pourrait peser sur la dynamique économique du pays ;
et un affaiblissement de la croissance rendrait plus complexe le maintien de l’endettement dans une trajectoire
soutenable.
3. L’amélioration de l’efficacité de la dépense publique constitue un enjeu majeur pour la soutenabilité
de la trajectoire des finances publiques kenyanes
Elle impose la maîtrise des trois enjeux suivants :
- piloter efficacement la décentralisation budgétaire : la mise en œuvre de la décentralisation a engendré une
augmentation nette de la dépense publique d’environ 16% : la création des 47 comtés, entités nouvelles sans
moyens propres et dans autonomie fiscale et budgétaire, se traduit par une multiplication des charges de
structure (bâtiment, équipements, véhicules, etc.), le recrutement de personnels nombreux, et l’apparition de
nombreux doublons entre le gouvernement central et les comtés.
Alors que jusqu’alors l’augmentation du déficit public était principalement provoquée par l’effort
d’investissement du gouvernement, la décentralisation explique l’essentiel de la dynamique budgétaire depuis
2013.
C’est pourquoi la maîtrise des enjeux budgétaires liés à la décentralisation est un risque majeur pour la
trajectoire des finances publiques : le transfert des compétences dévolues – agriculture, infrastructures, eau,
santé notamment – ne permettra d’atteindre les objectifs de réduction de la dépense courante que s’il
s’accompagne de la réduction effective des charges de structure au niveau central.
- améliorer l’efficacité de l’investissement public : il s’agit là encore d’un enjeu majeur pour le
gouvernement étant donnée la priorité mise sur l’investissement public.
Les grands projets du gouvernement, construits sur des modèles de développement intégrés, comme par
exemple le développement du corridor nord du Kenya (LAPSSET), suscitent des interrogations quant à leur
ambition et à la qualité du processus qui a conduit à leur sélection.
Par ailleurs, les modes de passation des marchés ne garantissent pas systématiquement le meilleur prix, ni les
meilleures conditions de financement, alors que les faibles capacités administratives des acheteurs publics
conduisent souvent à des erreurs et des contestations.
Le développement des partenariats public-privé est une orientation pertinente du gouvernement, dans une
perspective d’amélioration de la sélection des investissements, qui pourrait favoriser une allocation plus
optimale de ressources rares. A l’exception du secteur électrique, l’expérience du gouvernement en la matière
reste cependant limitée encore, les grands projets dans les infrastructures conçus selon ce schéma rencontrant
des retards.
- renforcer la gestion des finances publiques, notamment la gestion de la dette : le gouvernement dispose
d’une stratégie de réformes de la gestion des finances publiques. Cette stratégie couvre l’ensemble des
fonctions transversales, de la mobilisation des recettes à l’audit externe. L’ensemble de ces réformes peut
permettre d’accroître l’efficacité des finances publiques. Le FMI souligne cependant plus spécifiquement les
faiblesses structurelles du Trésor kenyan en matière de gestion des besoins de trésorerie de l’Etat et de la dette
publique. La crise de trésorerie de l’État en septembre 2015 a démontré qu’elle résultait directement de
l’absence de gestion prévisionnelle rigoureuse des besoins de financement de l’Etat.
Cette imprévision affecte les taux d’intérêt bancaires, exerce un effet d’éviction sur l’investissement privé et
renchérit le coût du financement de l’Etat. Elle souligne en outre l’absence de toute stratégie explicite
d’endettement de l’Etat, susceptible de constituer un point d’ancrage de la politique économique et
budgétaire.
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