Cependant, son omniprésence ne va pas sans une impression de flou associée à
son emploi. Entend-on strictement la même chose dans tous ces domaines ? Peut-
on distinguer au contraire différentes formes de créativité mobilisées au sein des
organisations, chacune identifiable à travers les discours mais également retrouvée
dans les productions de ces dernières (Michaud, 2011) ? À quel élément essentiel à
la vie des organisations est-elle censée répondre pour être ainsi constamment
mobilisée, voire galvaudée ? Est-elle si facilement inoculable au sein des différents
services ? Comment s’accommode-t-elle avec une logique gestionnaire de plus en
plus rationalisante où le risque économique inhibe l’ambigüité inhérente à la mise
en place de réels processus de création ?
Nombre d’auteurs ont abordé la relation organisation et créativité du point de vue
de la gestion de l’innovation (Auger, 2009 ; Hauch, 2002 ; King, 1990 ; Paris, 2007), du
climat ou, encore, des conditions facilitatrices (Amabile et al., 1996). Plusieurs ont
investi le champ des industries créatives et de la sociopolitique de la créativité et de
l’innovation, tentant de repérer les conditions socioéconomiques produisant des
externalités créatives (Delgado, Porter et Stern, 2010 ; Florida, 2003 ; Hutton, 2006 ;
Simon, 2009).
Toutefois, la dimension communicationnelle est souvent occultée, comme si les
fonctions et les structures se vivaient hors des interactions et des relations (Trujillo,
1983).
Ainsi, quel rôle joue la communication organisationnelle dans sa dissémination, sa
légitimation ou, à l’inverse, son inhibition ? Comment, d’un point de vue
communicationnel, performe-t-on ou incarne-t-on la créativité au sein des
organisations (Cooren, 2010 ; Gaertner, 2010), et comment se transmettent et se
débattent les différentes idéologies de la créativité (Baillargeon, 2014 ; Hackley et
Kover, 2007) entre les corps de métiers (Drazin, 1990, Drazin et al., 1999 ; Hirschman,
1989), malgré l’apparente incommunicabilité de la nature même de la création
(Paris, 2010). Ainsi, nous proposons d’encourager l’étude de la créativité en
interrogeant le caractère constitutif ou organisant des tensions, des performances et
des discours faits au nom de cette créativité.
Ce dossier thématique a pour objectif de susciter la réflexion autour de l’inflation de
l’emploi du terme créativité au sein des organisations, plus particulièrement au
regard des métiers et des usages de la communication. Outre l’intention de penser
de manière critique son emploi dans un tel contexte, nous appelons des textes
portant « une réflexion théorique ancrée dans des observations empiriques [afin de]
contribuer au renouvellement des pistes de recherche ou des pratiques »2 autour de
quatre axes apparaissant particulièrement problématiques.
2 http://www.revuecsp.uqam.ca/ojs/index.php/communiquer/about/editorialPolicies#focusAndScope