Visualização do documento HUBERT, R. L'amour intellectuel selon Spinoza et la question de la sublimation.doc (108 KB) Baixar EPhEP 2012 12 (ES9-MT3)8 L'amour intellectuel selon Spinoza et la question de la sublimation Hubert Ricard L'amour intellectuel selon Spinoza et la question de la sublimation Hubert Ricard 12 décembre 2011 Je m'en vais bavarder cinq minutes avant de passer à mon texte qui est assez technique et qui sera peut être par moment un peu lourd à entendre, comme ça en rappelant que Spinoza, puisque c'est de lui qu'il s'agit dans mon propos, je vais traiter du désir et de l'a mour, de l'Amour intellectuel, en relation avec ce que Lacan nous a dit de la sublimation. Spinoza était un juif portugais, d'origine, puisque, évidemment il vivait à Amsterdam, sa langue maternelle était d'ailleurs l'espagnol parce qu'à l'époque le Portugal était, pendant un siècle a été n'est-ce pas sous la domination de l'Espagne. Vous savez que dans sa jeunesse, c'était un très bon juif qui était bien vu par sa conduite morale, mais qui avait des idées qui ne convenaient pas à l'ensemble de la communauté et qui ont abouti à son excommunication qui était une peine extrêmement grave, ça peut arriver quelques fois, enfin, ça arrive à toutes les religions, ces phénomènes d'intolérance. On le comprend en lisant Spinoza qui effectivement n'est pas quelqu'un qui se trouve dans le registre de la religion judaïque. Néanmoins, je crois qu'on a dit beaucoup de bêtises sur ce point. Il n'est pas vrai que Spinoza mettait en danger sa communauté par exemple. je vous rappelle que la Hollande était le pays le plus libre de l'Europe à l'époque, il y avait disons, un gouvernement libéral qui était lié à la très grande richesse d'Amsterdam qui était la capitale économique de la planète et qui avait un talent remarquable pour saboter les lois qu'imposait la minorité calviniste qui s'agitait avec beaucoup d'intolérance. Et dans cette Hollande tolérante, Spinoza a pu tout de même vivre après son excommunication sans trop de contraintes. Il avait changé son prénom Baruch était devenu Bénédictus, mais ça ne voulait pas dire qu'il s'était converti au christianisme. Spinoza a préféré le christianisme au judaïsme parce que c'était une religion de l'universel alors que le judaïsme était une religion d'un peuple particulier mais malgré certaines expressions ambiguës de l'Ethique, on peut dire qu'il n'était pas du tout chrétien dans ses positions ; il trouvait sans aucun doute les dogmes du christianisme absurdes et il a même critiqué certains points de la morale chrétienne dans l'Ethique, particulièrement la phrase de Jésus Si on te frappe sur une joue, tends l'autre joue, ça c'est quelque chose que Spinoza ne trouvait pas acceptable étant donnée son éthique du conatus qui est une éthique de la force et de la joie. Il a vécu toute sa vie dans une communauté d'hommes libres, qui étaient un petit peu fascinés par le personnage dont l'intelligence est absolument prodigieuse. Il n'a pas pu vraiment publier son œuvre parce que le Traité théologico-politique, il l'a publié, mais d'une manière anonyme, c'est un livre qui a d'ailleurs provoqué un scandale épouvantable, et l'Ethique, vers 1675, il a essayé de publier le texte et les calvinistes se sont mis à hurler, et finalement il n'a pas pu le faire. Ce sont ses amis qui après sa mort en 1677 ont organisé la publication. Voilà, ces quelques remarques qui m'ont permis d'indiquer certains points, je vais les faire suivre tout simplement d'une remarque importante : c'est que Lacan passe pour avoir beaucoup aimé Spinoza, pour l'avoir beaucoup lu dans sa jeunesse, mais en même temps, on peut dire qu’il s'y est relativement peu référé. Et comparativement à Platon, à Descartes, à Aristote, à Kant, Spinoza qui pourtant est un philosophe d'une taille tout à fait comparable à celle de ces grands noms semble l'avoir peu retenu. Alors je donne quand même quelques références : - d'abord dans sa Thèse sur la psychose paranoïaque : la phrase qui est mise en exergue qui est une proposition de l'Ethique de la troisième partie, c'est la proposition 57,[1] je vais y revenir au cours de mon exposé, - il y a ensuite une formule qui revient constamment dans son séminaire, en tous cas très fréquemment, c'est la formule le désir est l'essence de l'homme,[2] c'est une formule sur laquelle je vais m'attarder un peu, - et puis les deux dernières pages du séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse qui sont un commentaire assez critique à l'égard de Spinoza - et enfin une reprise de la formule qui caractérisait Dieu à partir de l'universalité du signifiant en utilisant une formule toute autre qui est Autre Chose, ou Chose autre que le Tout. Et cette formule intervient dans La Science et la vérité qui est un des écrits les plus importants, je crois que c'est page 345, j'y reviendrai.[3] Je vais commencer tout de suite à parler du désir et de l'amour, et c'est toujours un peu difficile parce que Spinoza utilise un vocabulaire technique. Ce que je veux dire, c'est que je connais beaucoup de gens qui ont voulu lire l'Ethique, qui ont commencé par la première partie ce qui paraît logique, qui ont essayé de passer à la seconde et la plus grande partie a renoncé. Je crois que c'est une erreur de méthode : la seule manière d'entrer dans Spinoza, c'est de commencer par la troisième partie, parce que les deux premières parties sont vraiment très difficiles. Évidemment, idéalement, c'est ce qu'il faut faire. Mais on est dans le concret de Spinoza dans la troisième partie et dans les parties qui suivent parce que c'est une théorie des affects, De Affectibus, et comme je vous l'ai dit, je vais parler du désir et de l'amour, c'est par là, en me plongeant dans cette partie que je vais essayer de dire quelque chose sur Spinoza, mais je ne ferai pas ce que j'ai fait pour Les méditations de Descartes l'année dernière, c'est à dire suivre le texte de très près, parce que ce serait vraiment quelque chose d'impossible à tenir comme gageure. Le livre de Spinoza est d'une extrême complexité, il est écrit dans un langage tout à fait technique et un commentaire mot à mot est quelque chose qui demanderait un temps considérable. Je vais donc en rester en quelque sorte à un certain nombre de points essentiels qui concernent cette théorie des affects et le fait que cette théorie peut déboucher dans la cinquième partie de l'Ethique sur le fameux Amour intellectuel de Dieu qui est censé être la cime de l'attitude de l'homme libre que Spinoza essaie de promouvoir. Tout d'abord, première remarque sur la préface de cette quatrième partie, c'est que Spinoza refuse de prendre un point de vue de moraliste et d’exhorter les hommes par exemple à réprimer leurs passions. Il a tout à fait la même perspective que la science moderne, que ce soit celle de la psychologie de type scientifique ou celle de Freud. Et dans cette préface, il nous dit par exemple à propos de ses adversaires : on dirait qu'ils conçoivent l'homme dans la Nature comme un empire dans un empire[4]. Or c’est une illusion, effectivement, de croire que l'homme est indépendant de la nature. Aussi bien son corps que son âme sont soumis aux lois et aux règles universelles de la nature. Et, nous dit-il, les Affects de la haine, de la colère et de l'envie suivent de la même nécessité et de la même vertu de la nature que les autres choses singulières[5]. Il y a donc l'idée d'une détermination de nos affects qui est quelque chose qui doit être en quelque sorte conçu, compris, par l’entendement. Et il y a à rendre intelligibles ces affects, à les expliquer par leur cause en utilisant la même méthode géométrique utilisée pour les autres choses naturelles. Je cite la dernière phrase de la préface de la troisième partie : Je considérerai les actions et les appétits humains comme s'il était question de lignes, de surfaces et de solides. Vous voyez donc que c'est une perspective très engagée qu'on peut peut-être trouver réductrice dans un premier temps, mais je crois que c'est important de noter l'originalité de cette position de Spinoza au XVIIème siècle parce qu’elle prend le contre pied de toutes les théories des facultés de l'âme qui étaient à ce moment là en cours dans la pensée du temps. Alors, à partir de là, je vais commencer donc à traiter de deux affectûs, de l'amour, mais peut-être en premier lieu le désir. Comme Lacan s'est beaucoup référé au désir essence de l'homme, je crois qu'on va dire tout de suite que la confrontation du désir et de l'amour, c'est quelque chose qui semble être une clé de ce que pourrait être une lecture de Spinoza à l'aune de la psychanalyse : marquer l'affinité du discours si original que tient Spinoza avec notre appréhension moderne du psychisme, en même temps que ce qui tient à une différence radicale que Lacan a pointée dans le texte des quatre concepts. Spinoza choisit l'amour et il élude le désir. Et c'est étonnant puisque justement Lacan ne cesse de se référer à la formule le désir est l'essence de l'homme, donc, c'est cette formule que je vais essayer d'expliciter. Dire que le désir est l'essence de l'homme, c'est dire beaucoup quand même. Parce que cela suggère que le désir n'est pas une simple faculté, une tendance d'importance secondaire relativement à la pensée ou à l'esprit, comme c'est le cas pour la plupart des philosophes classiques, je pense à Descartes, mais qu'il est l'élément constitutif essentiel de l'être humain. Et même en un certain sens, nous allons le voir, pour l'homme, la norme et la valeur suprême. Étant donnée la place centrale que Lacan assigne au désir dans son articulation, cet élément très original de la pensée de Spinoza ne pouvait que le retenir. Alors évidemment, la clé de la notion de désir, c'est cette fameuse notion de conatus qui est une notion métaphysique qu'on traduit par effort, effort pour persévérer dans l'être ou dans l’existence, et qui est la clé de la notion de désir. Et c'est cette puissance d'exister qui est en même temps puissance d'agir, qui s'identifie à l'essence même de l'individu. Je signale au passage que Spinoza récuse l'idée de virtualité, tout ce qui est, est un acte, l'individu passe évidemment par des degrés plus ou moins grands de perfection, sa puissance augmente ou diminue, mais ce qu'il peut être n'est jamais que ce qu'il est, effectivement. On peut d'ailleurs évoquer d'autres expressions synonymes dans le langage de Spinoza, de ce persévérer dans son être, j'ai dit persévérer dans l'existence, une formule plus générale qui interdit toute interprétation réactive ou défensive, à mon sens, par exemple : agir, vivre et conserver son être sont la même chose.. Et c'est ça qu'effectivement l'homme a, en exerçant son conatus, en quelque sorte, à réaliser. Elles valent donc électivement ces formules pour le désir qui est la traduction affective du conatus. Je retiendrai que ce dispositif ontologique avec l'idée de l'accroissement ou de la réduction de la puissance d'agir se traduit en termes d'affect par les sentiments positifs de joie et de tristesse qui constituent avec le désir les affectus, les affects, fondamentaux pour Spinoza. Et ainsi, c'est un simple coup de chapeau au Spinoza qui précède la troisième partie, aux deux premières parties de l'Ethique, il lie ainsi sa théorie des affects et des passions aux deux premières parties de l'Ethique qui traitent de métaphysique et de théorie de la connaissance et dont je vous épargnerai aujourd'hui. Si le désir n'est que la traduction du conatus en terme d'affect, on peut dire que nous désirons les choses qui nous font éprouver de la joie et augmentent notre puissance d'agir, et celles qui nous permettent d'exclure la tristesse. Et tous les termes de volonté pour l'âme, d'appétit ou de désir pour le corps, la fameuse définition : le désir est l'appétit avec conscience de lui-même n'est pas une définition lourde si je puis dire parce qu'il précise immédiatement après que l'appétit reste le même que l'homme ait ou n'ait pas conscience, et elles renvoient toutes au même conatus. Et on comprend bien que cette insistance sur le désir, ait pu retenir Lacan. Si vous prenez par exemple quelqu'un comme Descartes, qui est le contemporain, enfin qui est un peu antérieur à Spinoza, on voit que le désir cartésien, c'est une passion de l'âme qui peut ou non se manifester, et même la volonté libre que Descartes distingue absolument du désir, enfin en tous cas du désir sensible, elle reste conditionnée par la conscience et par la pensée. L'homme est une res cogitans et c'est la pensée qui constitue son essence effectivement. Pour Spinoza, c'est le même désir, le même conatus, qui concerne aussi bien le corps que l'âme et qui est la donnée première dans chaque individu. Ajoutons autre chose. Il n'y a pas pour Spinoza de bien extérieur au désir par rapport auquel il faudrait l'ordonner ou le moraliser. Il y a la célèbre formule du scolie de la neuvième proposition de la troisième partie que je cite : Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons. et c'est donc le désir qui est la mesure du bien et d'une certaine façon la seule valeur qui puisse faire norme pour un individu. Donc, un désir, un désir de vivre heureux, ou bien d'agir, d'être et de vivre, est l'essence de l'homme et toutes ces notions ne prennent leur valeur que relativement au développement de la puissance du conatus. Ce ne sont pas des qualificatifs qui viendraient s'ajouter de l'extérieur au désir, ils sont impliqués par l'accomplissement du désir de chacun et il y a chez Spinoza un refus radical de la répression propre au discours religieux. Malgré son insistance sur la notion de dieu, son refus toujours proclamé de l'athéisme, Spinoza est tout à fait en dehors des systèmes religieux. Le dieu de la religion et le dieu de Spinoza ne sont pas les mêmes. Donc, à partir de là, à partir du fait que c'est l'individu et son désir qui est la mesure dernière, on peut reprendre l'énoncé que Lacan a cité : 3-55, au début de son texte sur la psychose paranoïaque L'affectus de chaque individu diffère, je traduis le latin parce que y ' a pas la traduction française, diffère de l'affectus d'un autre autant que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre. et ce qui est vrai des affectus, variétés de la Joie et de la Tristesse est vrai du désir puisque dans la même proposition, on retrouve le même énoncé appliqué cette fois au désir : Le désir est la nature même où l'essence de chacun et donc le désir de chacun diffère du désir d'un autre autant que la nature ou l'essence de l'un diffère de la nature ou de l'essence de l'autre. Donc le désir n'est pas l'essence de l'homme en général, parce que souvent on arrête la phrase, au moment où elle ne doit pas l'être, il est donc l'essence de chacun et le principe de l'action bonne, c'est l'essence singulière de chaque être. Vous voyez que ce souci de la singularité, c'est quelque chose qui ne pouvait effectivement que rencontrer l'intérêt de Lacan. C'est à dire que dans une cure analytique, la singularité du désir de l'analysant est quelque chose qui doit à toute force être prise en compte et il est intéressant de voir qu'un philosophe classique a pu déjà dans le système qu'il propose, insister sur cette mise en place. Alors, est-ce qu'il faut interpréter le désir de Spinoza dans le sens d'un individualisme? Je ne crois pas. Et je vais quand même ajouter quelques correctifs pour éviter ce qui pourrait être un malentendu. L'éthique de Spinoza c'est aussi, tout en étant une éthique du désir, une éthique de la raison et une éthique de la vie sociale, ça n'est pas incompatible pour lui. D'abord il y a évidemment des désirs excessifs qui dit-il concernent telle ou telle partie de l'individu et peuvent nuire à l'ensemble de l'âme et du corps. Manière très abstraite de dire les choses n'est-ce pas. Au contraire, le Désir qui naît de la Joie et qui concerne l'individu dans son ensemble, pris en lui-même, est forcément positif. A fortiori sera-ce le cas d'un désir qui naît de la Raison. Qu'est-ce qui se passe? L'âme individuelle, en enchaînant les unes aux autres les idées vraies dans une déduction, peut à partir de là aboutir à l'intelligere, au comprendre, et écarter les mobiles passionnels ce n'est pas d'ailleurs qu'elle détruira les passions, elle les comprendra en comprenant leur cause. Et il est certain qu'ici il y a de façon sous-jacente l'idéal d'un savoir vrai sur le psychisme beaucoup plus important que les références moralistes qui à l’époque de Spinoza correspondent à des exhortations sur la maîtrise des passions, n'est-ce pas. Le conatus de toute façon anime les idées vraies de la raison autant que les idées imaginatives ou les passions, et être raisonnable donne plus de puissance d'agir que de ne l'être pas. Et la conséquence c'est que la vie sociale s'impose pour l'homme raisonnable. Nous lisons dans la proposition 73 de la quatrième partie de l'Ethique qui constitue un traité de l'homme libre, que l'homme qui est dirigé par la raison, est plus libre dans la cité où il vit selon le décret commun que dans la solitude où il n'obéit qu'à lui même. Non seulement être raisonnable donne plus de puissance d'agir que de ne l'être pas, puisque l'homme se conduit mieux et peut mieux préserver sa force et sa puissance, mais cela permet l'accord avec les autres hommes dans la mesure où la vie en commun permet d'aboutir à des idées vraies selon ce que j'appellerai une sorte de raison communicationnelle. Je pense qu'Habermas devait beaucoup à la théorie de la raison de la seconde partie de l'Ethique, qui est d'ailleurs un passage d'une difficulté épouvantable et qui à cause de cela est tout de même assez peu populaire, je le dis au passage. Des hommes qui vivent en commun selon les lois de la raison ont bien entendu plus de puissance d'agir que l'individu isolé. Et comme on le voit, Spinoza qui est penseur de la démocratie puisque il considère dans le Traité théologico-politique que c'est le meilleur des systèmes même si, enfin d'une certaine façon, on peut dire qu'il est le plus grand précurseur des Lumières. J'aurais tendance à dire que cet homme qui écrivait au milieu du XVIIème siècle a déjà formulé l'essentiel de la philosophie des Lumières, sauf peut-être la croyance en un progrès historique qui n'est pas exclu chez Spinoza mais qui n'est vraiment pas mis en évidence effectivement. Mais il y a chez lui une sorte de paysage de la rationalité extrêmement complet dont je ne peux évidemment pas ici donner le détail, mais qui fait que quand on a lu Spinoza, on a l’impression de le retrouver constamment dans toute la philosophie du XVIIIème siècle. Alors, tout ce que je viens d'expliquer du désir chez Spinoza explique la référence très appuyée de Lacan, je vous l'ai dit, ça n'empêche pas la critique qu'il effectue à la fin des quatre concepts : Spinoza, nous dit-il, a institué le désir dans la dépendance de ce qu'il appelle cette universalité des attributs divins, une raison universelle en somme, qui n'est pensable, ajoute Lacan, qu'à travers la fonction du signifiant. C'est pas très clair, mais enfin on peut dire ceci : le conatus dépend de la causalité divine qui nécessite toute chose, et notamment à travers lui la puissance d'agir du sujet et cette action divine s'effectue dans les attributs divins, la pensée et l'étendue qui sont parfaitement intelligibles. Le désir le plus parfait et le plus puissant, là pour nous ça fait quand même question, est un désir parfaitement clair que l'individu connaît dans sa vérité. Si ce pur symbolique ne peut être lu dans la théorie psychanalytique qu'à partir de la fonction du signifiant, je ne crois pas forcer les choses, enfin je prends un risque, en énonçant que Spinoza réduit le désir et le sujet lui-même au signifiant. Autrement dit élude tout ce qui est de l'ordre de la castration symbolique et on peut penser que l'amour effectivement c'est plutôt de l'ordre de l'aveuglement, que cet amour qui accomplit en quelque sorte le désir rationnel et en toute lucidité s'adresse à Dieu à la fin de l'Ethique, quant au désir tel que Lacan le conçoit, c'est exactement le contraire. C'est à dire que nous savons qu'il vise le manque à être, qu'il est la métonymie de ce manque à être et qu'il cherche toujours à le préserver. Il fait exactement le contraire de ce que fait le conatus de Spinoza. ça pose d'ailleurs un problème, là je bavarde une minute, parce que je n'ai pas fait état d'un passage qui est très impressionnant, ou si vous me permettez cette boutade, c'est pas très rigoureux mon propos, Spinoza réfute la pulsion de mort. C'est à dire il soutient la thèse que lorsqu'un individu se détruit par exemple dans un suicide ou montre en quelque sorte un désir apparemment négatif, ça ne peut pas venir de lui ; ça ne peut venir que d'une causalité extérieure. En lui-même, le conatus est pleinement positif. Alors c'est à la fois complètement à l'envers par rapport à Freud évidemment, mais je crois qu'on peut dire que le fait qu'il ait tellement insisté sur ce point est l'indice que il y avait quelque chose qu'il ne voulait visiblement pas laisser passer d'une certaine manière dans le discours philosophique. Bon, ça, ... parce que tout le monde dit la vérité,... vous le savez, c'est une chose que les psychanalystes savent bien. Est-ce que dans ces conditions tout semble se construire autour d'un dieu signifiant idéal et de l'amour qui lui est adressé à l'opposé de ce que tout ce que la psychanalyse peut nous enseigner concernant la vérité du désir? Je crois que les choses sont plus complexes, c'est ce que j'essaierai de montrer un peu plus loin n'estce pas, pour deux raisons. D'abord, parce que Lacan ne va pas en rester à l'universalité du signifiant, mais il va se référer aussi à la Chose, das Ding. Et d'autre part comme je le montrerai, chez Spinoza l'idéal, si je puis dire, se résorbe en quelque sorte, même s'il y a amour, dans le savoir vrai de la nécessité pour ne pas dire de la structure. J'emploie ce terme volontairement et je reviendrai tout à l'heure sur cette question. Donc, la question du désir en quelque sorte reste posée, mais en même temps c'est peut-être avec l'amour que les choses vont trouver leur plein achèvement. Alors je passe à la question de l'amour maintenant dans un second temps en soulignant d'emblée que c'est un affectus qui joue un rôle essentiel mais qui ne fait pas partie tout de même, je l'indique, des affectus absolument premiers que sont le Désir, la Joie et la Tristesse qui expriment directement la puissance d'agir du conatus, puisque la Joie correspond à l'augmentation de la puissance d'agir et la Tristesse à sa réduction. Mais on peut définir l'amour immédiatement à partir de la Joie comme la Joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure. A son premier niveau nous sommes face à un amour sensible disons un amour imaginatif. Le mot imaginatif est très ambigu chez Spinoza et c'est pour ça que je vais me permettre une digression sur ce que j'appellerai sa théorie de l'imaginaire à partir de quoi je reviendrai sur l'amour imaginatif. Le terme imagination chez Spinoza fait l'objet d'un emploi spécifique. L'idée imaginative ou imago mentis qui représente un corps extérieur comme présent, il s'agit d'ailleurs plutôt de perception que d'imagination, n'est pas l'idée du corps extérieur mais elle est l'idée de l'affection ou de la modification du corps propre par le corps extérieur. Elle a donc une double cause. Cette idée du corps extérieur et l'idée du corps qu’est l'âme et qui est affectée et elle exprime donc autant la nature du corps propre que celle du corps intérieur et même davantage. Vous voyez que la fonction de la vérité du sensible est d'emblée mise en question parce que d'une certaine façon, il y a une confusion essentielle dans l'image sensible, on ne sait pas s'il s'agit vraiment de la chose extérieure ou s'il s'agit du corps propre. Et cette confusion est indémêlable. Il n'y a pas la possibilité de distinguer sur le plan du sensible perception effective et hallucination. Et il faut faire appel à un axiome de causalité, qui met en place les éléments par rapport à la situation du corps propre relativement aux autres corps extérieurs et qui permet ainsi de faire la distinction. Donc, un imaginaire qui par définition est confus. Spinoza est en même temps par excellence le philosophe bien avant Nietzsche de la dévalorisation de la conscience. Il n'y a pas de cogito possible au plan de l'existence dans la durée. Mais simplement quoi? La présence de ces images mentales confuses. Et au moment où elle surgit dans l'âme imaginative, simple agrégat d'images, l'image se présente comme une donnée originaire. Au commencement était l'image. Tel est le crédo de l'âme individuelle existant dans la durée. La conscience empirique, elle croit que tout commence avec elle, et à ce moment là on voit bien que c'est une illusion parce que la vérité elle est donnée par l'ordre causal ou rationnel qui engendre à partir d'un principe et de causes les conséquences et les effets. La caractérisation du libre arbitre, qui est une illusion pour Spinoza, est directement liée à ce caractère confus de l'image mentale et de la conscience empirique. On croit qu'on agit à partir de soi-même parce que d'emblée il y a l'image d'un objet désiré et il n'y a rien avant. Donc à partir de là, on peut dire que le libre arbitre et la spontanéité absolue qu'il suppose proviennent d'une ignorance : c'est parce que je ne sais pas ce qui détermine ce qui est présent dans ma conscience que du même coup je m'imagine que je le produis seul. Qui donc à ce moment-là est à l'origine d'un acte? Confrontez ça avec les belles certitudes naïves et un peu idiotes d'une certaine psychologie moderne. Eh bien ce qui effectivement produit toute chose c'est le moi. Qu'est-ce que c'est que le moi? nous dit Spinoza. En réalité, le moi, c'est un index vide qui surgit à la place de la cause ignorée. Faute de pouvoir connaître la cause de son désir, l'individu s'imagine qu'il le produit seul, mais en réalité ce moi n'est que verbal, Spinoza n'est pas un philosophe du langage c'est plutôt dévalorisant ce qu'il dit, et qui redouble la prétention d'originarité de l'image. Je cite par exemple : Ce qui est donc leur idée de la liberté c'est qu'ils ne connaissent aucune cause de leurs actions car ce qu'ils disent, que les actions humaines dépendent de la volonté, ce sont des mots auxquels ne correspond aucune idée[6]. Il faudrait peut-être d'ailleurs penser à une confrontation avec Wittgenstein sur ce point, je pense à ce qu'il dit dans les recherches philosophiques, j'aurai peut-être l'occasion d'en reparler dans une conférence ultérieure. Donc, à partir de là, on peut dire que tout le système imaginaire est accroché à ce pôle illusoire du moi doté de libre arbitre, et intervient à ce moment-là la mise en place de ce que Spinoza appelle le délire de la doctrine des fins qui est le délire religieux où nous voyons intervenir, toujours à la place de cause ignorée, le personnage de Dieu par exemple qui est censé mettre de l'ordre dans l'univers. Tout ceci effectivement est l'indice que d'une certaine manière Spinoza ne fait pas une théorie de l'imagination mais d'un ordre imaginaire, et nous le verrons d'ailleurs quand il s'agira de comprendre les implications à l'amour imaginatif. J'ajouterai une chose : là ça serait jouer sur les mots que de dire que Spinoza disons a préfiguré l'inconscient, ça, ça n'est pas sérieux de parler comme ça. Mais, voilà ce qui est le fait : c'est que non seulement l'âme ne se perçoit pas clairement comme cause partielle mais elle ne se perçoit pas du tout comme cause. Elle ne se perçoit même pas elle-même dans la conscience sensible car elle n'a pas de connaissance claire et distincte d'elle-même. Avoir conscience, c'est ne pas se connaître, c'est seulement connaître disons ce qui se passe en soi, il y a la constitution d'une perspective sur la réalité à la place du point de vue sur le tout ou du savoir absolu qui est celui de l'entendement divin. Et donc dans ces conditions, ce qui est vraiment la connaissance s'exclut du champ de la conscience imaginative de l'âme. Alors qu'estce qui serait à la place de l'inconscient évidemment c'est le savoir absolu de l'entendement divin. Mais le fait que le sujet imaginatif et le moi soient complètement coupés de ce savoir absolu de l'entendement divin, qu'ils ignorent effectivement par nature, l'indice de la faiblesse de l'imaginaire et de sa confusion intrinsèque. Et on peut encore faire remarquer que cet imaginaire, Spinoza le dévalorise d'une manière radicale, il n'y a certainement pas de nouage dans son cas parce que d'abord il fallait le constituer dans son insuffisance et dans son aveuglement, et puis que c'est aussi là qu'il situe entièrement les doctrines religieuses. Donc, à partir de là, on peut peut-être dire que Spinoza nous présente, une théorie de l'imaginaire qui transcende les différences entre les individus, et c'est ce que montre la question de l'amour imaginatif, parce que à partir de là on peut dire que nos affects dans la sphère imaginative où ils se trouvent sont déterminés de l'extérieur. Il y a toute une série de lois psychologiques déterminées sur la consécution des images, des imago mentis, et des affects qui leur sont liés puisque, aussi bien les idées sensibles que les affects de joie et de tristesse sont dans cette sphère du sensible. Alors par exemple un principe de similitude, une chose semblable par un simple trait à une autre chose provoquera le même affectus d'amour ou de haine qu'elle. Principe de l'imitation des affectus. Il suffit que l'autre en tant qu'il est semblable à nous éprouve un affect pour que nous l'éprouvions nous-mêmes et cette imitation concerne aussi d'ailleurs le désir puisque nous aurons le désir de ceux qui sont semblables à nous et qui désirent. Et par conséquent, il y aura une imitation. Et à partir de ce principe fondamental, se déploie ce que l'on pourrait appeler la transitivité des affects à propos de toutes leurs espèces. Si quelqu'un affecte de Joie la chose que nous aimons, nous serons affectés de Joie à son égard, si inversement elle l'affecte de Tristesse nous serons affectés de Haine; [7] l'autre qui l’aime nous fait aimer davantage celui que nous aimons déjà, et évidemment il y a le phénomène de jalousie qui est symétrique inverse, et nous nous efforcerons de faire tout ce que les autres considèreront avec Joie et d'éviter ce qu'ils ont en aversion. [8]Il y a effectivement une espèce de Massenpsychologie qui est mise en place sans que peut-être la fonction d'idéal soit dégagée parce que ça, ça supposerait un élément symbolique, et Spinoza veut parfaitement isoler l'imaginaire. Enfin on comprend que l'illusion du libre arbitre que je développai tout à l'heure qui fait que nous attribuons aux autres la responsabilité des affects qu'ils provoquent en nous, grave erreur car ils ont des causes multiples mais ignorées, donne plus d'intensité aux affects réciproques de l'un et de l'autre et aussi plus d'aveuglement. Et par conséquent, on voit que l'amour imaginatif, l'amour passion, déréglé, aboutit à des conflits destructeurs. Ce qui est important, c'est pas tellement cette thèse qui était la thèse d'un petit peu de tout le monde si je puis dire à l'époque, c'est le fait que Spinoza essaie de la régler par un déterminisme strict, c'est à dire de nous fournir des lois, des lois où l'individu joue peu de place, c'est un simple réceptacle des affects qui se mettent à jouer entre les individus et qui déborde en quelque sorte ce qui pourrait être leur individualité au sens d'une individualité libre. Et donc dans ces conditions, il y a incontestablement une poursuite de son projet de la préface de la troisième partie, lorsqu'il prétendait réduire les affects à des lignes, des solides ou des volumes n'est-ce pas. C'est à dire utilisait la méthode géométrique pour connaître le psychisme. Alors, il n'y a pas que cet amour imaginatif, il y a bien entendu la possibilité d'une amitié rationnelle. Il faut penser le passage de l'amour passion à l'amitié rationnelle dans un groupe d'individus ou dans une société. Bien sûr il n'y a pour Spinoza aucune exception au déterminisme universel mais lorsque nous pensons rationnellement, nous formons activement des concepts nous dit-il à partir de nous-mêmes, ça ne veut pas dire que le nous-mêmes ne soit pas pris dans la série des causes, au lieu d'être le jouet de la réalité extérieure, des affects extérieurs, nous sommes actifs puisque les pensées rationnelles sont enchaînées par nous et nous comprenons ce que nous faisons. A ce moment-là, les illusions de l'amour passion sont détruites par la référence à l'ordre nécessaire de la nature et à l'infinité des causes qui déterminent un acte. Ce qui est remarquable et ce qui rend les choses possibles c'est que les êtres humains possèdent tous la Raison, même si tous ne la mettent pas en œuvre. Qu'elle leur est commune. Et à partir de ce moment-là, c'est un des postulats de la doctrine, il y a la possibilité d'une rencontre des motivations de l'action. Ils peuvent faire la même démarche, ils peuvent s'accorder et se lier les uns aux autres. Et Spinoza par exemple définit la générosité comme le désir par lequel chacun sous le seul commandement de la Raison s'efforce d'aider les autres hommes et de les lier à lui par l'amitié. Il y a une théorie de ce qu'il appelle les notions communes où il essaie d'enraciner je dirai dans l'âme individuelle de chaque individu des éléments qui permettent la possibilité d'un accord. Ce n'est pas un signifiant-maître qui vient de l'extérieur, ce n'est pas une rationalité divine de type platonicien, c'est une rationalité qui est conquise en quelque sorte dans l'expérience du dialogue. Et c'est à partir du moment où les hommes peuvent éventuellement se parler et comprendre qu'ils ont des intérêts communs qu'il y a alors pour eux la possibilité à partir de ces notions communes de se mettre d'accord sur leurs actes et du même coup d’acquérir une plus grande puissance d'agir puisque c'est toujours le conatus qui est en quelque sorte en jeu dans ce genre d'opération. Et à partir de là, on doit en même temps faire une remarque, là, j'avais fait tout un développement sur le parallélisme mais je vais le passer parce qu'il est évidemment un peu trop technique, à partir d'une remarque très simple. Lorsque les individus s'accordent dans des raisonnements, dans des pensées vraies qui sont déduites, les uns avec les autres, vous savez que Spinoza était un grand admirateur des mathématiques, il a dit que le moment le plus important de l'histoire ce n'était certainement pas à ses yeux une révélation religieuse c'était l'émergence de la géométrie d'Euclide, n'est-ce pas et après tout ça peut se défendre comme thèse, et donc à partir de là, on peut dire que ce développement par conséquent de la Raison, animé par le conatus, évite de faire appel à l'idée de maîtrise. La solution des problèmes du psychisme pour Spinoza c'est le savoir, c'est la connaissance, ce n'est pas l'effort de volonté. A partir du moment où vous connaissez et où vous comprenez immédiatement le corps est en quelque sorte.., traduit cette compréhension. Il n'y a pas d'action de l'âme sur le corps ni d'action du corps sur l'âme. Il y a une sorte de causalité conjointe qui fait que tout effort rationnel entraînera ipso facto à ce moment-là dans le corps ce qu'on appelle habituellement une conduite réglée. Donc à partir de là nous pouvons comprendre que l'amitié rationnelle correspond à une sorte de sous bassement affect... Arquivo da conta: Manuzita.LR Outros arquivos desta pasta: 2012-03-20_chantal_jaquet-le_statut_problématique_de_la_raison_chez_spinoza.mp3 (57316 KB) 2012-03-30_antonio_negri-spinoza_une_autre_puissance_d'agir.mp3 (50588 KB) AZEVEDO, A. A arte dos afetos em Deleuze e Espinosa.pdf (182 KB) A_consciência_pode_conhecer_tudo.docx (23 KB) BRASSAT, E. Séminaire sur Espinosa.docx (15 KB) Outros arquivos desta conta: Chaui Cidade - Subjetividade Deleuze Deleuze e Guattari Guattari Relatar se os regulamentos foram violados Página inicial Contacta-nos Ajuda Opções Termos e condições Política de privacidade Reportar abuso Copyright © 2012 Minhateca.com.br