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EPhEP 2012 12 (ES9-MT3)8 L'amour intellectuel selon Spinoza et la question de la sublimation Hubert Ricard
L'amour intellectuel selon Spinoza et la question de la sublimation
Hubert Ricard
12 décembre 2011
Je m'en vais bavarder cinq minutes avant de passer à mon texte qui est assez technique et qui
sera peut être par moment un peu lourd à entendre, comme ça en rappelant que Spinoza, puisque c'est
de lui qu'il s'agit dans mon propos, je vais traiter du sir et de l'amour, de l'Amour intellectuel, en
relation avec ce que Lacan nous a dit de la sublimation.
Spinoza était un juif portugais, d'origine, puisque, évidemment il vivait à Amsterdam, sa langue maternelle
était d'ailleurs l'espagnol parce qu'à l'époque le Portugal était, pendant un siècle a été n'est-ce pas sous la
domination de l'Espagne. Vous savez que dans sa jeunesse, c'était un très bon juif qui était bien vu par sa
conduite morale, mais qui avait des idées qui ne convenaient pas à l'ensemble de la communauté et qui ont
abouti à son excommunication qui était une peine extrêmement grave, ça peut arriver quelques fois, enfin,
ça arrive à toutes les religions, ces phénomènes d'intolérance. On le comprend en lisant Spinoza qui
effectivement n'est pas quelqu'un qui se trouve dans le registre de la religion judaïque. Néanmoins, je crois
qu'on a dit beaucoup de bêtises sur ce point.
Il n'est pas vrai que Spinoza mettait en danger sa communauté par exemple. je vous rappelle que la Hollande
était le pays le plus libre de l'Europe à l'époque, il y avait disons, un gouvernement libéral qui était lié à la
très grande richesse d'Amsterdam qui était la capitale économique de la planète et qui avait un talent
remarquable pour saboter les lois qu'imposait la minorité calviniste qui s'agitait avec beaucoup
d'intolérance. Et dans cette Hollande tolérante, Spinoza a pu tout de même vivre après son excommunication
sans trop de contraintes. Il avait changé son prénom Baruch était devenu Bénédictus, mais ça ne voulait pas
dire qu'il s'était converti au christianisme.
Spinoza a préféré le christianisme au judaïsme parce que c'était une religion de l'universel alors que le
judaïsme était une religion d'un peuple particulier mais malgré certaines expressions ambiguës de l'Ethique,
on peut dire qu'il n'était pas du tout chrétien dans ses positions ; il trouvait sans aucun doute les dogmes du
christianisme absurdes et il a même critiqué certains points de la morale chrétienne dans l'Ethique,
particulièrement la phrase de Jésus Si on te frappe sur une joue, tends l'autre joue, ça c'est quelque chose
que Spinoza ne trouvait pas acceptable étant donnée son éthique du conatus qui est une éthique de la force
et de la joie.
Il a vécu toute sa vie dans une communauté d'hommes libres, qui étaient un petit peu fascinés par le
personnage dont l'intelligence est absolument prodigieuse. Il n'a pas pu vraiment publier son œuvre parce
que le Traité théologico-politique, il l'a publié, mais d'une manière anonyme, c'est un livre qui a d'ailleurs
provoqué un scandale épouvantable, et l'Ethique, vers 1675, il a essayé de publier le texte et les calvinistes
se sont mis à hurler, et finalement il n'a pas pu le faire. Ce sont ses amis qui après sa mort en 1677 ont
organisé la publication.
Voilà, ces quelques remarques qui m'ont permis d'indiquer certains points, je vais les faire suivre tout
simplement d'une remarque importante : c'est que Lacan passe pour avoir beaucoup aiSpinoza, pour
l'avoir beaucoup lu dans sa jeunesse, mais en même temps, on peut dire qu’il s'y est relativement peu référé.
Et comparativement à Platon, à Descartes, à Aristote, à Kant, Spinoza qui pourtant est un philosophe d'une
taille tout à fait comparable à celle de ces grands noms semble l'avoir peu retenu.
Alors je donne quand même quelques références :
- d'abord dans sa Thèse sur la psychose paranoïaque : la phrase qui est mise en exergue qui est une
proposition de l'Ethique de la troisième partie, c'est la proposition 57,[1] je vais y revenir au cours de mon
exposé,
- il y a ensuite une formule qui revient constamment dans son séminaire, en tous cas très fréquemment, c'est
la formule le désir est l'essence de l'homme,[2] c'est une formule sur laquelle je vais m'attarder un peu,
- et puis les deux dernières pages du séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse qui
sont un commentaire assez critique à l'égard de Spinoza
- et enfin une reprise de la formule qui caractérisait Dieu à partir de l'universalité du signifiant en utilisant
une formule toute autre qui est Autre Chose, ou Chose autre que le Tout. Et cette formule intervient dans
La Science et la vérité qui est un des écrits les plus importants, je crois que c'est page 345, j'y reviendrai.[3]
Je vais commencer tout de suite à parler du désir et de l'amour, et c'est toujours un peu difficile parce que
Spinoza utilise un vocabulaire technique. Ce que je veux dire, c'est que je connais beaucoup de gens qui
ont voulu lire l'Ethique, qui ont commencé par la première partie ce qui paraît logique, qui ont essayé de
passer à la seconde et la plus grande partie a renoncé. Je crois que c'est une erreur de méthode : la seule
manière d'entrer dans Spinoza, c'est de commencer par la troisième partie, parce que les deux premières
parties sont vraiment très difficiles. Évidemment, idéalement, c'est ce qu'il faut faire. Mais on est dans le
concret de Spinoza dans la troisième partie et dans les parties qui suivent parce que c'est une théorie des
affects, De Affectibus, et comme je vous l'ai dit, je vais parler du désir et de l'amour, c'est par là, en me
plongeant dans cette partie que je vais essayer de dire quelque chose sur Spinoza, mais je ne ferai pas ce
que j'ai fait pour Les méditations de Descartes l'année dernière, c'est à dire suivre le texte de très près, parce
que ce serait vraiment quelque chose d'impossible à tenir comme gageure. Le livre de Spinoza est d'une
extrême complexité, il est écrit dans un langage tout à fait technique et un commentaire mot à mot est
quelque chose qui demanderait un temps considérable. Je vais donc en rester en quelque sorte à un certain
nombre de points essentiels qui concernent cette théorie des affects et le fait que cette théorie peut
déboucher dans la cinquième partie de l'Ethique sur le fameux Amour intellectuel de Dieu qui est censé être
la cime de l'attitude de l'homme libre que Spinoza essaie de promouvoir.
Tout d'abord, première remarque sur la préface de cette quatrième partie, c'est que Spinoza refuse de prendre
un point de vue de moraliste et d’exhorter les hommes par exemple à réprimer leurs passions. Il a tout à fait
la même perspective que la science moderne, que ce soit celle de la psychologie de type scientifique ou
celle de Freud. Et dans cette préface, il nous dit par exemple à propos de ses adversaires : on dirait qu'ils
conçoivent l'homme dans la Nature comme un empire dans un empire[4]. Or c’est une illusion,
effectivement, de croire que l'homme est indépendant de la nature. Aussi bien son corps que son âme sont
soumis aux lois et aux règles universelles de la nature. Et, nous dit-il, les Affects de la haine, de la colère
et de l'envie suivent de la même nécessité et de la même vertu de la nature que les autres choses
singulières[5]. Il y a donc l'idée d'une détermination de nos affects qui est quelque chose qui doit être en
quelque sorte conçu, compris, par l’entendement. Et il y a à rendre intelligibles ces affects, à les expliquer
par leur cause en utilisant la même méthode géométrique utilisée pour les autres choses naturelles. Je cite
la dernière phrase de la préface de la troisième partie : Je considérerai les actions et les appétits humains
comme s'il était question de lignes, de surfaces et de solides. Vous voyez donc que c'est une perspective
très engagée qu'on peut peut-être trouver réductrice dans un premier temps, mais je crois que c'est
important de noter l'originalité de cette position de Spinoza au XVIIème siècle parce qu’elle prend le contre
pied de toutes les théories des facultés de l'âme qui étaient à ce moment en cours dans la pensée du temps.
Alors, à partir de là, je vais commencer donc à traiter de deux affectûs, de l'amour, mais peut-être en premier
lieu le désir.
Comme Lacan s'est beaucoup référé au désir essence de l'homme, je crois qu'on va dire tout de suite que la
confrontation du désir et de l'amour, c'est quelque chose qui semble être une clé de ce que pourrait être une
lecture de Spinoza à l'aune de la psychanalyse : marquer l'affinité du discours si original que tient Spinoza
avec notre appréhension moderne du psychisme, en même temps que ce qui tient à une différence radicale
que Lacan a pointée dans le texte des quatre concepts. Spinoza choisit l'amour et il élude le désir. Et c'est
étonnant puisque justement Lacan ne cesse de se référer à la formule le désir est l'essence de l'homme, donc,
c'est cette formule que je vais essayer d'expliciter.
Dire que le désir est l'essence de l'homme, c'est dire beaucoup quand même. Parce que cela suggère que le
désir n'est pas une simple faculté, une tendance d'importance secondaire relativement à la pensée ou à
l'esprit, comme c'est le cas pour la plupart des philosophes classiques, je pense à Descartes, mais qu'il est
l'élément constitutif essentiel de l'être humain. Et même en un certain sens, nous allons le voir, pour
l'homme, la norme et la valeur suprême. Étant donnée la place centrale que Lacan assigne au désir dans son
articulation, cet élément très original de la pensée de Spinoza ne pouvait que le retenir. Alors évidemment,
la clé de la notion de désir, c'est cette fameuse notion de conatus qui est une notion métaphysique qu'on
traduit par effort, effort pour persévérer dans l'être ou dans l’existence, et qui est la clé de la notion de désir.
Et c'est cette puissance d'exister qui est en même temps puissance d'agir, qui s'identifie à l'essence même
de l'individu. Je signale au passage que Spinoza récuse l'idée de virtualité, tout ce qui est, est un acte,
l'individu passe évidemment par des degrés plus ou moins grands de perfection, sa puissance augmente ou
diminue, mais ce qu'il peut être n'est jamais que ce qu'il est, effectivement. On peut
d'ailleurs évoquer d'autres expressions synonymes dans le langage de Spinoza, de ce persévérer dans son
être, j'ai dit persévérer dans l'existence, une formule plus générale qui interdit toute interprétation réactive
ou défensive, à mon sens, par exemple : agir, vivre et conserver son être sont la même chose.. Et c'est ça
qu'effectivement l'homme a, en exerçant son conatus, en quelque sorte, à réaliser. Elles valent donc
électivement ces formules pour le désir qui est la traduction affective du conatus. Je retiendrai que ce
dispositif ontologique avec l'idée de l'accroissement ou de la réduction de la puissance d'agir se traduit en
termes d'affect par les sentiments positifs de joie et de tristesse qui constituent avec le désir les affectus, les
affects, fondamentaux pour Spinoza. Et ainsi, c'est un simple coup de chapeau au Spinoza qui précède la
troisième partie, aux deux premières parties de l'Ethique, il lie ainsi sa théorie des affects et des passions
aux deux premières parties de l'Ethique qui traitent de métaphysique et de théorie de la connaissance et dont
je vous épargnerai aujourd'hui.
Si le désir n'est que la traduction du conatus en terme d'affect, on peut dire que nous désirons les choses qui
nous font éprouver de la joie et augmentent notre puissance d'agir, et celles qui nous permettent d'exclure
la tristesse. Et tous les termes de volonté pour l'âme, d'appétit ou de désir pour le corps, la fameuse
définition : le désir est l'appétit avec conscience de lui-même n'est pas une définition lourde si je puis dire
parce qu'il précise immédiatement après que l'appétit reste le même que l'homme ait ou n'ait pas conscience,
et elles renvoient toutes au même conatus. Et on comprend bien que cette insistance sur le désir, ait pu
retenir Lacan. Si vous prenez par exemple quelqu'un comme Descartes, qui est le contemporain, enfin qui
est un peu antérieur à Spinoza, on voit que le désir cartésien, c'est une passion de l'âme qui peut ou non se
manifester, et même la volonté libre que Descartes distingue absolument du désir, enfin en tous cas du désir
sensible, elle reste conditionnée par la conscience et par la pensée. L'homme est une res cogitans et c'est la
pensée qui constitue son essence effectivement. Pour Spinoza, c'est le même désir, le même conatus, qui
concerne aussi bien le corps que l'âme et qui est la donnée première dans chaque individu. Ajoutons autre
chose.
Il n'y a pas pour Spinoza de bien extérieur au désir par rapport auquel il faudrait l'ordonner ou le moraliser.
Il y a la célèbre formule du scolie de la neuvième proposition de la troisième partie que je cite : Nous ne
désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la
désirons. et c'est donc le désir qui est la mesure du bien et d'une certaine façon la seule valeur qui puisse
faire norme pour un individu. Donc, un désir, un désir de vivre heureux, ou bien d'agir, d'être et de vivre,
est l'essence de l'homme et toutes ces notions ne prennent leur valeur que relativement au développement
de la puissance du conatus. Ce ne sont pas des qualificatifs qui viendraient s'ajouter de l'extérieur au désir,
ils sont impliqués par l'accomplissement du désir de chacun et il y a chez Spinoza un refus radical de la
répression propre au discours religieux. Malgré son insistance sur la notion de dieu, son refus toujours
proclamé de l'athéisme, Spinoza est tout à fait en dehors des systèmes religieux. Le dieu de la religion et
le dieu de Spinoza ne sont pas les mêmes.
Donc, à partir de là, à partir du fait que c'est l'individu et son sir qui est la mesure dernière, on peut
reprendre l'énoncé que Lacan a cité : 3-55, au début de son texte sur la psychose paranoïaque L'affectus
de chaque individu diffère, je traduis le latin parce que y ' a pas la traduction française, diffère de l'affectus
d'un autre autant que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre. et ce qui est vrai des affectus, variétés
de la Joie et de la Tristesse est vrai du désir puisque dans la même proposition, on retrouve le même énoncé
appliqué cette fois au désir : Le désir est la nature même où l'essence de chacun et donc le désir de chacun
diffère du désir d'un autre autant que la nature ou l'essence de l'un diffère de la nature ou de l'essence de
l'autre. Donc le désir n'est pas l'essence de l'homme en général, parce que souvent on arrête la phrase, au
moment elle ne doit pas l'être, il est donc l'essence de chacun et le principe de l'action bonne, c'est
l'essence singulière de chaque être. Vous voyez que ce souci de la singularité, c'est quelque chose qui ne
pouvait effectivement que rencontrer l'intérêt de Lacan. C'est à dire que dans une cure analytique, la
singularité du désir de l'analysant est quelque chose qui doit à toute force être prise en compte et il est
intéressant de voir qu'un philosophe classique a pu déjà dans le système qu'il propose, insister sur cette mise
en place.
Alors, est-ce qu'il faut interpréter le désir de Spinoza dans le sens d'un individualisme? Je ne crois pas. Et
je vais quand même ajouter quelques correctifs pour éviter ce qui pourrait être un malentendu. L'éthique de
Spinoza c'est aussi, tout en étant une éthique du désir, une éthique de la raison et une éthique de la vie
sociale, ça n'est pas incompatible pour lui. D'abord il y a évidemment des désirs excessifs qui dit-il
concernent telle ou telle partie de l'individu et peuvent nuire à l'ensemble de l'âme et du corps. Manière très
abstraite de dire les choses n'est-ce pas. Au contraire, le Désir qui naît de la Joie et qui concerne l'individu
dans son ensemble, pris en lui-même, est forcément positif. A fortiori sera-ce le cas d'un désir qui naît de
la Raison. Qu'est-ce qui se passe? L'âme individuelle, en enchaînant les unes aux autres les idées vraies
dans une déduction, peut à partir de aboutir à l'intelligere, au comprendre, et écarter les mobiles
passionnels ce n'est pas d'ailleurs qu'elle détruira les passions, elle les comprendra en comprenant leur
cause. Et il est certain qu'ici il y a de façon sous-jacente l'idéal d'un savoir vrai sur le psychisme beaucoup
plus important que les références moralistes qui à l’époque de Spinoza correspondent à des exhortations
sur la maîtrise des passions, n'est-ce pas. Le conatus de toute façon anime les idées vraies de la raison autant
que les idées imaginatives ou les passions, et être raisonnable donne plus de puissance d'agir que de ne l'être
pas. Et la conséquence c'est que la vie sociale s'impose pour l'homme raisonnable. Nous lisons dans la
proposition 73 de la quatrième partie de l'Ethique qui constitue un traité de l'homme libre, que l'homme qui
est dirigé par la raison, est plus libre dans la cité où il vit selon le décret commun que dans la solitude où il
n'obéit qu'à lui même. Non seulement être raisonnable donne plus de puissance d'agir que de ne l'être pas,
puisque l'homme se conduit mieux et peut mieux préserver sa force et sa puissance, mais cela permet
l'accord avec les autres hommes dans la mesure la vie en commun permet d'aboutir à des idées vraies
selon ce que j'appellerai une sorte de raison communicationnelle. Je pense qu'Habermas devait beaucoup à
la théorie de la raison de la seconde partie de l'Ethique, qui est d'ailleurs un passage d'une difficulté
épouvantable et qui à cause de cela est tout de même assez peu populaire, je le dis au passage. Des hommes
qui vivent en commun selon les lois de la raison ont bien entendu plus de puissance d'agir que l'individu
isolé. Et comme on le voit, Spinoza qui est penseur de la démocratie puisque il considère dans le Traité
théologico-politique que c'est le meilleur des systèmes même si, enfin d'une certaine façon, on peut dire
qu'il est le plus grand précurseur des Lumières. J'aurais tendance à dire que cet homme qui écrivait au milieu
du XVIIème siècle a déjà formulé l'essentiel de la philosophie des Lumières, sauf peut-être la croyance en
un progrès historique qui n'est pas exclu chez Spinoza mais qui n'est vraiment pas mis en évidence
effectivement. Mais il y a chez lui une sorte de paysage de la rationalité extrêmement complet dont je ne
peux évidemment pas ici donner le détail, mais qui fait que quand on a lu Spinoza, on a l’impression de le
retrouver constamment dans toute la philosophie du XVIIIème siècle.
Alors, tout ce que je viens d'expliquer du désir chez Spinoza explique la référence très appuyée de Lacan,
je vous l'ai dit, ça n'empêche pas la critique qu'il effectue à la fin des quatre concepts : Spinoza, nous dit-il,
a institué le désir dans la dépendance de ce qu'il appelle cette universalité des attributs divins, une raison
universelle en somme, qui n'est pensable, ajoute Lacan, qu'à travers la fonction du signifiant. C'est pas très
clair, mais enfin on peut dire ceci : le conatus dépend de la causalité divine qui nécessite toute chose, et
notamment à travers lui la puissance d'agir du sujet et cette action divine s'effectue dans les attributs divins,
la pensée et l'étendue qui sont parfaitement intelligibles. Le désir le plus parfait et le plus puissant, là pour
nous ça fait quand même question, est un désir parfaitement clair que l'individu connaît dans sa vérité. Si
ce pur symbolique ne peut être lu dans la théorie psychanalytique qu'à partir de la fonction du signifiant, je
ne crois pas forcer les choses, enfin je prends un risque, en énonçant que Spinoza réduit le désir et le sujet
lui-même au signifiant. Autrement dit élude tout ce qui est de l'ordre de la castration symbolique et on peut
penser que l'amour effectivement c'est plutôt de l'ordre de l'aveuglement, que cet amour qui accomplit en
quelque sorte le désir rationnel et en toute lucidité s'adresse à Dieu à la fin de l'Ethique, quant au désir tel
que Lacan le conçoit, c'est exactement le contraire. C'est à dire que nous savons qu'il vise le manque à être,
qu'il est la métonymie de ce manque à être et qu'il cherche toujours à le préserver. Il fait exactement le
contraire de ce que fait le conatus de Spinoza. ça pose d'ailleurs un problème, je bavarde une minute,
parce que je n'ai pas fait état d'un passage qui est très impressionnant, ou si vous me permettez cette boutade,
c'est pas très rigoureux mon propos, Spinoza réfute la pulsion de mort. C'est à dire il soutient la thèse que
lorsqu'un individu se détruit par exemple dans un suicide ou montre en quelque sorte un désir apparemment
négatif, ça ne peut pas venir de lui ; ça ne peut venir que d'une causalité extérieure. En lui-même, le conatus
est pleinement positif. Alors c'est à la fois complètement à l'envers par rapport à Freud évidemment, mais
je crois qu'on peut dire que le fait qu'il ait tellement insisté sur ce point est l'indice que il y avait quelque
chose qu'il ne voulait visiblement pas laisser passer d'une certaine manière dans le discours philosophique.
Bon, ça, ... parce que tout le monde dit la vérité,... vous le savez, c'est une chose que les psychanalystes
savent bien.
Est-ce que dans ces conditions tout semble se construire autour d'un dieu signifiant idéal et de l'amour qui
lui est adressé à l'opposé de ce que tout ce que la psychanalyse peut nous enseigner concernant la vérité du
désir? Je crois que les choses sont plus complexes, c'est ce que j'essaierai de montrer un peu plus loin n'est-
ce pas, pour deux raisons. D'abord, parce que Lacan ne va pas en rester à l'universalité du signifiant, mais
il va se référer aussi à la Chose, das Ding. Et d'autre part comme je le montrerai, chez Spinoza l'idéal, si je
puis dire, se résorbe en quelque sorte, même s'il y a amour, dans le savoir vrai de la nécessité pour ne pas
dire de la structure. J'emploie ce terme volontairement et je reviendrai tout à l'heure sur cette question.
Donc, la question du désir en quelque sorte reste posée, mais en même temps c'est peut-être avec l'amour
que les choses vont trouver leur plein achèvement.
Alors je passe à la question de l'amour maintenant dans un second temps en soulignant d'emblée que c'est
un affectus qui joue un rôle essentiel mais qui ne fait pas partie tout de même, je l'indique, des affectus
absolument premiers que sont le Désir, la Joie et la Tristesse qui expriment directement la puissance d'agir
du conatus, puisque la Joie correspond à l'augmentation de la puissance d'agir et la Tristesse à sa réduction.
Mais on peut définir l'amour immédiatement à partir de la Joie comme la Joie qu'accompagne l'idée d'une
cause extérieure. A son premier niveau nous sommes face à un amour sensible disons un amour imaginatif.
Le mot imaginatif est très ambigu chez Spinoza et c'est pour ça que je vais me permettre une digression sur
ce que j'appellerai sa théorie de l'imaginaire à partir de quoi je reviendrai sur l'amour imaginatif. Le terme
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