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Sens et portée de la notion de
compétence dans le nouveau
programme de formation
Marie-Françoise Legendre
Université de Montréal
1. QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LA NOTION DE COMPÉTENCE
1.1 La notion de compétence : des ancrages théoriques variés
Le nouveau programme de formation prend appui sur une conception de
l’apprentissage fondée sur l’apport des perspectives (socio) constructives et
(socio) cognitivistes. Les premières ont un ancrage essentiellement épistémologique et
mettent l’accent sur le caractère construit et socialement négocié des savoirs, d’où
l’importance de tenir compte des contextes dans lesquels ils s’élaborent et de
l’influence des interactions sociales et culturelles sur leur mode de constitution. Les
secondes ont un ancrage psychologique et soulignent le le central que jouent, dans
tout apprentissage, les processus cognitifs à l’aide desquels l’individu interagit avec son
environnement et traite l’information.
Par ailleurs, le programme est maintenant formulé en termes de compétences à
développer, ces compétences étant indissociables du sujet qui les possède et les met en
oeuvre, alors que les programmes antérieurs étaient formulés en termes d’objectifs
correspondant aux contenus de connaissances à faire acquérir aux élèves, ces contenus
étant pour ainsi dire extérieurs au sujet. Deux aspects majeurs marquent donc le
nouveau programme de formation : la conception de l’apprentissage mise de l’avant qui
tient compte de l’apport des sciences cognitives et se distancie de la perspective
béhavioriste longtemps dominante; le passage des objectifs aux compétences. Quels
liens y a-t-il entre les perspectives théoriques sous-jacentes à la conception de
l’apprentissage privilégiée dans le cadre de la réforme et le choix de formuler le
programme par compétences ?
Précisons d’emblée que la notion de compétence n’est pas en elle-même
socioconstructiviste ou cognitiviste et qu’elle peut être interprétée en prenant appui sur
divers cadres de référence. Elle est parfois assimilée à celle d’objectifs généralement
associés à des comportements facilement mesurables et observables. Se trouve alors
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privilégié un cadre de référence béhavioriste. Adopter le langage des compétences ne
suffit donc pas à modifier la structure des programmes qui peut demeurer foncièrement
additive, séquentielle et linéaire. Il faut souligner cependant que la notion de
compétence a graduellement pris une certaine autonomie dans le champ de l’éducation
et s’est peu à peu dissociée de celle d’objectifs (Perrenoud, 1997). Se sont alors
graduellement imposés de nouveaux cadres de référence issus tant de l’épistémologie
que de la psychologie cognitive ou de la psychologie du développement. Une certaine
ambiguïté demeure toutefois sur le sens donné à cette notion. C’est pourquoi il ne suffit
pas d’utiliser le langage des compétences pour s’inscrire dans une approche
socioconstructiviste ou cognitiviste de l’apprentissage. Ce qui pourrait expliquer que
plusieurs ne perçoivent pas clairement les liens entre la conception de l’apprentissage
mise de l’avant par la réforme et le choix de formuler les programmes selon une
approche par compétences. Il importe de clarifier ces liens.
Ce n'est pas à partir de la notion de compétence que l'on peut inférer
la conception de l'apprentissage qui lui est sous-jacente, mais bien
l'inverse. C'est la conception de l'apprentissage retenue qui permet
de clarifier le sens donné à cette notion.
1.2 La notion de compétence : une idée pas complètement nouvelle
L’école n’est pas totalement étrangère au souci de développer des
compétences. En ce sens, l’idée de compétence ne constitue pas une nouveauté absolue.
On pourrait en effet aisément supposer que, quelle que soit la façon dont les
programmes sont formulés, un enseignement de qualité est un enseignement qui amène
l’élève non seulement à acquérir de nouvelles connaissances, mais à développer des
compétences. Par conséquent, ce n’est pas parce que les programmes antérieurs étaient
rédigés dans le langage des objectifs que les enseignants ne se préoccupaient pas de
développer des compétences. Inversement, si le fait de formuler les programmes par
compétences vise à induire certaines pratiques pédagogiques, cela ne suffit pas à
garantir le recours à des stratégies d’enseignement susceptibles de développer des
compétences. Certaines des pratiques pédagogiques qui ont cours peuvent dès lors très
bien s’inscrire dans une logique de développement de compétences alors que d’autres
peuvent s’en écarter. Il importe de savoir les reconnaître, d’identifier celles qui peuvent
soutenir le développement de compétences et de les renforcer. En ce sens, le nouveau
programme de formation ne conduit nullement à mettre au rancart les pratiques
existantes, mais invite plutôt à les recadrer en les examinant sous un nouvel éclairage. Il
suppose également la capacité à porter un regard critique sur certaines pratiques. Il
arrive en effet que les connaissances disciplinaires occupent toute la place au détriment
de leur mise en oeuvre dans des situations signifiantes. Par exemple, un enseignement
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disciplinaire, centré sur la mémorisation de connaissances spécifiques sans aucune
préoccupation au regard des situations dans lesquelles ces connaissances sont mises en
oeuvre, ne favorise pas le développement de compétences. Les élèves sont alors incités
à mémoriser des connaissances spécifiques dans le seul but de répondre aux questions
d’un examen et non à développer des compétences.
Les réalités pédagogiques auxquelles renvoie la notion de
compétence ne sont donc pas complètement inédites, mais il importe
de savoir reconnaître, dans les pratiques existantes, ce qui favorise le
développement des compétences ou ce qui, au contraire, l’entrave.
2. POURQUOI PRIVILÉGIER UN PROGRAMME AXÉ SUR LE
DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES?
Plusieurs raisons ont conduit à privilégier un programme par compétences
plutôt que par objectifs. Nous en retenons essentiellement trois : le regard critique sur
les résultats de la scolarisation, les dérives des programmes par objectifs et l’influence
de la formation professionnelle.
2.1 Le regard critique sur les résultats de la scolarisation
De nombreuses recherches, dans divers domaines du savoir, ont mis en
évidence le peu de réinvestissement et de transfert des acquis scolaires. Les
connaissances apparemment acquises par les élèves sont en effet très peu réinvesties
non seulement dans des contextes extra-scolaires, mais à l’intérieur même du contexte
scolaire d’un niveau de scolarité au suivant ou même d’une discipline à l’autre. Les
enseignants déplorent d’ailleurs souvent le manque de préalables de leurs élèves,
autrement dit la difficulté à pouvoir prendre appui sur les acquis qui devraient
normalement avoir été réalisés à travers leur scolarité. Ce qui frappe alors est moins
l’absence de connaissances que l’incapacité à les évoquer et à en faire un usage
approprié. On qualifie souvent ces connaissances d’inertes, l’élève étant incapable de
les réutiliser de façon fonctionnelle et judicieuse dans d’autres situations. Or, une
connaissance inerte est, par définition, non mobilisable. Elle ne constitue pas une
ressource pour l’apprenant.
Des lacunes importantes dans les habiletés intellectuelles de « haut niveau »
ont également été soulignées. L’accent mis sur la mémorisation d’un très grand nombre
d’éléments de contenus spécifiques se fait souvent au détriment d’habiletés
intellectuelles complexes telles que le raisonnement logique, le jugement critique,
l’argumentation, qui semblent assez peu sollicités par les apprentissages scolaires. On
dénote enfin une centration sur les contenus au triment des processus de pensée qui
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en permettent l’appropriation et l’utilisation. La formation paraît en effet davantage
centrée sur l’accumulation de connaissances que sur la formation de la pensée, c’est-à-
dire, sur le développement des processus de raisonnement nécessaires à des
apprentissages structurés et signifiants.
2.2 Les dérives des programmes par objectifs
La tendance à vouloir décrire de manière exhaustive tous les apprentissages
visés sous la forme d’objectifs nombreux et morcelés a conduit à une prolifération
d’objectifs. Le Conseil supérieur de l’éducation, dans son rapport de 1994 sur la
rénovation du curriculum du primaire et du secondaire (Conseil supérieur de
l’éducation, 1994b) avait dénombré pas moins de six mille objectifs uniquement à
l’ordre secondaire ! Cette décomposition des savoirs à enseigner en un très grand
nombre d’objectifs spécifiques s’est avéré exercer une contrainte importante sur les
pratiques pédagogiques des enseignants qui sentent une forte incitation à « couvrir le
programme ».
La formulation des programmes par objectifs a également conduit au
morcellement des connaissances et à l’atomisation des compétences. Le découpage des
savoirs en petites unités, relativement faciles à évaluer, amène à aborder les
connaissances de manière additive et linéaire plutôt que dans leurs interrelations au sein
d’un ensemble plus large qui leur donne sens. Cela ne facilite nullement l’intégration
des savoirs qui constitue pourtant un enjeu majeur de la formation, particulièrement à
l’ordre secondaire (Avis du CSE, 1990). Quant à l’atomisation des compétences, elle
va dans le même sens que le morcellement des connaissances puisqu’elle incite à se
centrer sur des habiletés élémentaires, qui peuvent être maîtrisées à plus ou moins court
terme, au détriment de compétences plus complexes faisant appel à des connaissances,
habiletés ou attitudes diversifiées, dont le développement s’effectue à plus long terme.
Un autre effet pervers des programmes par objectifs est la centration sur
l’évaluation au détriment de l’apprentissage. Nous observons en effet une forte
tendance à assujettir l’apprentissage à l’évaluation en mettant l’accent sur les produits
ou manifestations observables de l’apprentissage plutôt que sur les démarches de
pensée. À titre d’exemple, le recours un peu trop exclusif à des examens à choix
multiples ne permet guère d’évaluer le degré d’intégration des savoirs ou les types de
raisonnements auxquels ont recours les élèves. Si les modes d’évaluation privilégiés
peuvent convenir à des apprentissages linéaires et atomisés, ils s’avèrent inappropriés à
l’évaluation d’apprentissages plus globaux s’effectuant par une restructuration des
acquis antérieurs plutôt que par simple ajouts de nouveaux éléments de savoir
(Legendre, 2001a, à paraître).
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2.3 L'influence de la formation professionnelle sur la formation générale
Le choix de formuler les programmes par compétence n’est évidemment pas
étranger à une certaine influence de la formation professionnelle. Cette dernière a
d’ailleurs oppour des programmes par compétences bien avant la formation générale.
Ce qui ne signifie cependant pas que le sens donné à la notion de compétences est
exactement le même en formation professionnelle et en formation générale. Il n’en
demeure pas moins que ces deux types de formation tendent à se rapprocher et que la
coupure traditionnellement établie entre elles tend à s’estomper.
D’une part, la formation professionnelle requiert de plus en plus l’acquisition
d’habiletés générales qui étaient autrefois davantage le propre de la formation générale.
En effet, même dans les domaines professionnels, il apparaît de plus en plus
indispensable, en raison de la complexification croissante des tâches, de maîtriser des
habiletés intellectuelles complexes. Par ailleurs, le renouvellement constant des savoirs
et l’essor rapide des technologies nécessitent des capacités d’adaptation au changement
faisant appel à des outils intellectuels flexibles. La formation ne vise plus à adapter les
individus à un répertoire de situations relativement délimité, mais à les rendre
adaptables à un vaste répertoire de situations très diversifiées. La nature même du
travail exige une plus grande souplesse et adaptabilité au changement et à la nouveauté
(Rey, 1996). D’autre part la formation générale emprunte à la formation
professionnelle l’objectif de rendre davantage opérants, dans de nombreuses situations
de la vie quotidienne, les savoirs acquis au cours de la formation. Elle vise de plus en
plus à favoriser l’établissement d’un rapport plus pragmatique au savoir. Autrement dit,
les connaissances acquises en contexte scolaire doivent avoir une valeur pratique et
pouvoir s’appliquer dans la vie courante. Le sens des savoirs est très étroitement relié à
leur usage, lequel n’est pas uniquement d’ordre pratico-pratique, puisqu’on peut user
de ses connaissances tant pour agir que pour questionner, résoudre des problèmes,
comprendre des situations et autres. Il n’est plus possible ainsi de se contenter de
remplir la tête des élèves « au cas où » ces savoirs leur seraient utiles un jour. Il faut
d’emblée aborder le problème de leur utilité au moment même de leur acquisition.
L’approche par compétences invite donc l’école à se recentrer sur la
formation de la pensée, les démarches d’apprentissage de l’élève et
le sens des savoirs en lien avec leurs contextes et conditions
d’utilisation variés.
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