Le fonctionnement de l’école primaire / Doc. 7
LES COMPÉTENCES TRANSVERSALES
1/ Elles sont au cœur de la nouvelle politique pour l'école (cf. Loi d’orientation de 1989). Le livret MEN - Les cycles à l'école primaire, 1991 - les
présente sous un double caractère :
D'une part, comme des compétences communes à plusieurs domaines disciplinaires: « Ainsi, et à titre d'exemple, la structuration de l'espace
fait intervenir des domaines aussi variés que, notamment, la géométrie, la géographie, les arts plastiques, l'éducation physique et sportive, le
langage » ;
D'autre part, comme des compétences qui servent dans plusieurs domaines disciplinaires : « pour la maîtrise de la langue, qu'il s'agisse de
l'expression orale, de la lecture, de l'utilisation de l'écrit ou de la production d'écrits, tous les domaines disciplinaires doivent être mobilisés en
permanence. En retour, ces compétences servent tous les autres apprentissages. Il s'agit donc, par essence, d'une compétence transversale. »
Une compétence transversale est donc à la fois une compétence qui se construit dans différents domaines disciplinaires et une compétence
qui permet de construire les apprentissages communs à différents domaines disciplinaires.
La maîtrise de la langue, pour prendre cet exemple, se construit en français, mais aussi en histoire, en sciences, etc., de même qu'elle permet
d'apprendre en français, en histoire, en sciences, etc.
2/ Une question se pose alors : à quel objectif obéit l'inscription des compétences transversales dans les programmes de l'école primaire ?
On ne peut chercher à répondre à cette question sans commencer par inventorier ces compétences transversales. Elles sont au nombre de 5:
deux compétences proprement transversales :
- « construction de la personnalité, acquisition de l'autonomie et apprentissage de la vie sociale »
- « construction des concepts fondamentaux d'espace et de temps
une compétence à la fois transversale et disciplinaire : « dans le domaine de la langue » : « langue orale, lecture, écriture, production d'écrits ».
Il est alors difficile de ne pas reconnaître que les compétences transversales obéissent d'abord dans leur apparition à un choix d'École :
celui d'une École qui se donne pour mission l'éducation et non plus seulement l'instruction. C'est le sens même de la première compétence
transversale mentionnée dans le Livret. On peut alors comprendre que les compétences transversales soient sans cesse interrogées dans leur
rapport aux compétences disciplinaires: la construction de la personnalité est-elle une compétence spécifique, possédant en quelque sorte son mode
d'acquisition propre, ou bien une compétence qui n'existe que par les compétences disciplinaires qui permettent de l'acquérir ? Une telle
interrogation nous renvoie en réalité au débat éducation/instruction : l'École éduque-t-elle outre le fait qu'elle instruit et transmet des savoirs ou
bien parce qu'elle instruit ?
Les compétences transversales obéissent ensuite à un choix des apprentissages scolaires fondés sur l'acquisition de méthodes de travail.
C'est en ce sens que les compétences transversales se traduisent en des compétences méthodologiques; par exemple, la construction des concepts
fondamentaux de temps et d'espace par l'acquisition de la mémoire. Une telle traduction montre tout particulièrement que les compétences
transversales prennent leur sens dans l'acquisition des méthodes et des outils intellectuels du savoir qu'elles permettent : apprendre à gérer son
temps, à présenter un travail avec soin, à faire un résumé, à se servir d'un dictionnaire, etc., sont autant d'exemples faisant apparaître que les
compétences transversales engagent un rapport au savoir qui est plus de l'ordre d'« apprendre à apprendre » que de celui de l'enregistrement de
contenus de connaissances.
Il apparaît alors que les compétences transversales sont d'abord intimement liées à l'objectif de lutte contre l'échec scolaire
propre à
la nouvelle politique pour l'école (1989). Que ce soit le souci d'éducation, celui de faire acquérir des méthodes de travail, ou encore celui de faire
de la maîtrise de la langue un enjeu transversal à toutes les disciplines, mobilisant à ce titre toutes les énergies des responsables scolaires de
l’éducation. Dans tous les cas, il s'agit d'affirmer cela même qui stigmatise l'échec scolaire : le retard pris par l'École pour s'adapter à la demande
économique et sociale:
« L’École, au cours des dernières décennies, a considérablement progressé dans son efficacité; beaucoup plus de jeunes obtiennent des
diplômes élevés correspondant à un niveau d'exigence maintenu, Mais pendant le même temps, et en particulier au cours des quinze dernières
années, la demande de formation et de qualification, qu'elle soit d'origine sociale ou économique, a progressé plus vite. Il faut donc que l’Ecole
accroisse encore son efficacité pour combler le décalage qui s'est ainsi créé et qu'elle le fasse dès le début de la scolarité. » (Les Cycles à l'école
primaire, 1991)
En ce sens, les compétences transversales ne répondent pas simplement aux besoins d'éducation que l'homme connaît par la seule
particularité de sa nature humaine. Elles sont une construction historique et sociale. Sans doute, les compétences disciplinaires ont, elles aussi, leur
histoire; elles n'en sont pas moins supportées par le besoin qu'éprouve, l'homme, du seul fait de sa nature, d'avoir à construire son humanité. Que
serait l'homme s'il ne savait ni lire, ni écrire, ni compter ? Les compétences transversales ont pour vocation de retraduire les compétences
disciplinaires à travers le seul filtre d'exigences sociales : maîtriser la lecture ne devient, par exemple, l'objet d'une compétence transversale qu'à
partir du moment où apprendre à lire devient d'abord une priorité dans une société où l'illettrisme condamne à la marginalisation sociale et à
l'exclusion du monde du travail. De la même manière, l'épanouissement de la personnalité ne devient un objet de compétence transversale que
lorsqu'une société n'arrive plus elle-même à pourvoir aux tâches d'éducation des enfants. Nous dirions même que la construction des notions
d'espace et de temps ne devient une compétence transversale qu'à partir du moment où une société n'est plus d'elle-même capable d'offrir à ses
enfants les repères qui leur permettraient de s'orienter dans le monde dans lequel ils vivent.
B. Barthelmé, M. Prouchet, La pratique enseignante : son sens, ses enjeux, Hatier, 1997, p. 149-151.
« Notre système éducatif, qui fait acquérir des compétences propres aux disciplines scolaires, se justifie par le présupposé qu'à travers elles, se
développent des compétences plus générales, utiles dans la vie et dans les activités professionnelles. D'autre part, l'analyse de l'échec scolaire
conduit aussi à faire l'hypothèse de compétences générales dont la maîtrise conditionnerait la réussite à l'école et dont l'absence engendrerait
l'échec. Ainsi les pédagogues sont-ils amenés à faire usage de la notion de "compétence transversale." », in Les Compétences transversales : illusion
ou utopie, thèse de doctorat de B. REY, soutenue en 1995 à l'université Lumière-Lyon 2.