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LCR Formation 72
1. Qu'est-ce que le contrôle ouvrier?
La revendication du contrôle ouvrier est à l'ordre du jour. La F.G.T.B. prépare un congrès extraordinaire à ce
propos. De nombreux syndicats britanniques l'ont adoptée. L'extrême-gauche ouvrière et étudiante en France en a
fait un de ses objectifs principaux. Dans de nombreuses entreprises italiennes, les travailleurs d'avant-garde non
seulement la propagent mais s'efforcent - comme chez FIAT - de la mettre en pratique à des moments propices.
Il s'agit d'une vieille revendication du mouvement ouvrier international. Elle a surgit au cours de la révolution russe.
L'Internationale Communiste l'adopta à son troisième congrès. Elle joua un rôle important dans les luttes
révolutionnaires en Allemagne en 1920-23. Les syndicats belges la propagèrent au cours des années'20. Trotsky
l'inscrivit dans le « Programme de transition » de la IVe Internationale. André Renard la reprit vers la fin des
années '50.
Mais au cours des deux dernières décennies, elle était tombée en désuétude dans le mouvement ouvrier et
syndical plus large. Deux générations de travailleurs n'ont plus reçu d'éclaircissements à ce propos. Il est donc
urgent d'en préciser le sens et la portée, d'indiquer sa valeur dans la lutte pour le socialisme, et de la délimiter des
variantes réformistes de cogestion et de "participation".
La réforme de structure anticapitaliste par excellence.
Le contrôle ouvrier est une revendication transitoire, une réforme de structure anticapitaliste par excellence. Cette
revendication part en effet de préoccupations immédiates de larges masses pour les amener à déclencher des
luttes qui, en pratique, remettent en question le régime capitaliste et l'État bourgeois. Car le contrôle ouvrier est le
type même de revendication que le capitalisme ne peut ni intégrer ni digérer, comme il a pu intégrer et digérer
toutes les revendications immédiates des soixante dernières années (des augmentations de salaires à la journée
des 8 heures, en passant par la législation sociale et les congés payés).
Écartons en passant une objection qui vient de «puristes» sectaires: « En réclamant des réformes de structure
anticapitalistes, vous êtes des réformistes», nous disent-ils. « Votre formule ne contient-elle pas le mot « réforme
»? L'objection est infantile. Elle est aussi malhonnête, du moins de la part de tous ceux qui ne s'opposent pas
systématiquement à la lutte pour des réformes. Nous pourrions la comprendre, à la rigueur, de la part de certains
anarchistes qui rejettent la lutte pour les augmentations des salaires. Ils ont tort, mais ils ont au moins le mérite
d'être logiques avec eux-mêmes.
Mais que dire de ceux qui sont favorables à toutes les luttes pour les augmentations des salaires, la réduction de la
durée du travail, l'abaissement de l'âge de la pension, le double pécule de vacances, la gratuité des soins
médicaux et des produits pharmaceutiques, mais qui, en même temps, rejettent les réformes de structures
anticapitalistes? Ils ne se rendent même pas compte qu'ils luttent, eux aussi, pour des réformes, mais que la
différence entre eux et nous, c'est qu'ils luttent seulement pour des réformes dont le capitalisme a maintes fois
prouvé sa capacité de les réaliser, de les intégrer dans son système, qui n'ébranlent donc pas ce système.
Par contre, le programme des réformes de structure anticapitalistes a ceci de particulier qu'il est irréalisable dans
un régime capitaliste fonctionnant normalement; qui fait exploser ce système; qu'il crée une situation de dualité de
pouvoir et qu'il débouche rapidement sur une épreuve de force révolutionnaire. Le moins qu'on puisse dire, c'est
que les augmentations de salaires - quelque importantes qu'elles soient pour élever le niveau de combativité et de
culture des travailleurs - n'ont point cette logique-là.
En réalité, toute l'argumentation de nos adversaires « puristes » est fondée sur une confusion infantile. Car n'est
pas réformiste quiconque lutte pour des réformes; sinon Lénine serait le premier des réformistes, car il n'a jamais
rejeté la lutte pour la défense des intérêts immédiats des travailleurs. Est réformiste quiconque croit que la lutte
pour les réformes suffit pour abattre le capitalisme petit à petit, graduellement, et sans renversement du pouvoir de
la bourgeoisie.
Mais les partisans du programme des réformes de structure anticapitalistes n'ont nullement cette illusion-là ils ne
croient ni à l'avènement graduel du socialisme, ni à la conquête du pouvoir par la voie électorale ou parlementaire.
Ils sont convaincus que le renversement du capitalisme nécessite un affrontement global, extra-parlementaire,
entre les travailleurs en lutte et l'État bourgeois. Le programme des réformes de structure anticapitalistes a
précisément pour but d'amener les travailleurs à déclencher des luttes qui conduisent à un tel affrontement. Au lieu
de quoi, nos critiques « puristes » se contentent en général de lutter pour des revendications immédiates, tout en
faisant de la propagande abstraite pour la révolution, sans jamais se poser la question de savoir comment celle-ci
éclatera en pratique.
Un exemple éloquent : mai 1968 en France
La grève générale de mai 1968 - après celle de décembre 1960 - janvier 1961 en Belgique- nous offre une
excellente illustration de l'importance clé de ce problème. Dix millions de travailleurs étaient en grève. Ils
occupaient leurs usines. S'ils étaient mus par le désir d'éliminer beaucoup d'injustices sociales accumulées par le
régime gaulliste au cours de ses dix dernières années, ils visaient manifestement plus loin que de simples
revendications salariales.
La manière dont ils rejetaient en masse les premiers "accords de Grenelle" qui leur avaient pourtant accordé une
augmentation des salaires de 14% en moyenne, reflète nettement cette volonté d'aller plus loin. Mais si les
travailleurs n'avaient point envie de se contenter de revendications immédiates, ils n'avaient aucune idée précise
de ce qu'ils voulaient exactement. Ils ne savaient pas comment entamer la lutte dans ce sens.
S'ils avaient été éduqués, au cours des années et des mois précédents, dans l'esprit du contrôle ouvrier, ils
auraient su quoi faire: élire dans chaque entreprise un comité qui commencerait par ouvrir les livres de comptes
patronaux: calculer eux-mêmes le véritable prix de revient et taux de profit des firmes; établir un droit de veto sur
l'embauche et les licenciements et sur toute modification de l'organisation du travail; remplacer les chefs d'équipe
et contre-maîtres désignés par le patron par des compagnons de travail élus (ou par un membre de l'équipe
fonctionnant à tour de rôle comme responsable).
Pareil comité se serait évidemment heurté à l'autorité patronale à tous les niveaux. Rapidement, les travailleurs
auraient dû passer du contrôle ouvrier à la gestion ouvrière. Mais cet intervalle aurait été utilisé pour dénoncer
l'arbitraire, l'injustice, la gabegie et le gaspillage patronaux à toute la nation, et pour organiser des congrès locaux,
régionaux et nationaux de comités de grève et de comités de contrôle ouvrier, qui auraient fourni aux travailleurs
en lutte les instruments d'organisation et d'auto-défense indispensables pour affronter l'État bourgeois et la classe
capitaliste dans leur ensemble.
Tout problème économique et social tend à poser un problème de pouvoir de classe
L'exemple de mai 1968 en France nous indique une des raisons principales pour laquelle la revendication du
contrôle ouvrier occupe forcément une place de choix dans toute stratégie socialiste visant à renverser le
capitalisme dans les pays industrialisés. Elle sert de tremplin essentiel entre toute lutte d'ensemble de la classe
ouvrière contre le patronat grève générale avec occupation d'usines et l'esquisse d'une lutte pour la conquête du
pouvoir.
Pour que la première débouche sur seconde, il faut que les travailleurs entament celle-ci non comme quelque
chose d'abstrait, introduit artificiellement dans leurs combats par la propagande de groupes révolutionnaires, mais
comme naissant des besoins mêmes de leur combat. La revendication du contrôle ouvrier (qui implique la
contestation du pouvoir capitaliste à tous les échelons, et qui tend à faire naître, d'abord à l'usine, puis dans le
pays, un pouvoir ouvrier embryonnaire opposé à celui du Capital) est le meilleur pont entre la lutte pour les
revendications immédiates et la lutte pour le pouvoir.
Il y a deux autres raisons pour lesquelles cette revendication est si importante à l'étape actuelle du capitalisme et
de la lutte anticapitaliste des travailleurs. La concentration capitaliste; la fusion croissante entre les monopoles et
l'État bourgeois; le rôle de garant du profit des monopoles que l'État joue de plus en plus dans les pays
impérialistes; la tendance croissante à l'organisation et à la «programmation » de l'économie sous le néocapitalisme: tous ces traits principaux de l'économie d'aujourd'hui transfèrent le centre de gravité de la lutte de
classes de plus en plus de l'entreprise et de la branche industrielle vers l'économie dans son ensemble.
Dans l'économie capitaliste « dirigée », tout se tient étroitement. Une augmentation des salaires est annulée par la
hausse des prix, des impôts ou par la para-fiscalité (par exemple, augmentation des cotisations à la Sécurité
Sociale, ou réduction des avantages de celle-ci). Le niveau de l'emploi régional est bouleversé par la rationalisation
capitaliste ou par le déplacement des investissements vers d'autres régions. Le patronat s'efforce d'imposer une «
politique des revenus », rattachant les salaires à la productivité, mais refuse en même temps aux travailleurs les
moyens de déterminer celle-ci en connaissance de cause.
S'il se contente de lutter périodiquement pour des adaptations ou des augmentations de salaires, le mouvement
syndical est sûr d'être berné. Toute la logique de la lutte des classes nationale (et internationale) l'amène à
contester les rapports entre prix et salaires, salaires et monnaie, augmentations des salaires et augmentations de
la productivité, que le patronat et les gouvernements à sa solde cherchent à lui imposer comme « inévitables ».
Mais cette contestation ne peut se faire efficacement, c'est-à-dire en connaissance de cause, que si les livres de
comptes sont ouverts, que si le secret bancaire est levé et si les travailleurs font surgir au grand jour tous les
mécanismes secrets du profit et de l'exploitation capitalistes.
Il va sans dire que dans cet esprit-là, le contrôle ouvrier s'exerce par les délégués élus des travailleurs devant le
monde du travail et la nation dans leur ensemble, et non par quelques dirigeants syndicaux rencontrant en secret
quelques chefs patronaux. Nous y reviendrons, car la distinction est d'une extrême importance.
Lutter pour le contrôle ouvrier ou accepter le chômage.
Nous vivons une période de transformations techniques de plus en plus rapides: la troisième révolution industrielle.
Au cours de ces transformations, des branches d'industrie, des métiers, des professions ouvrières, sont liquidés en
l'espace de quelques années. Sans cesse les capitalistes s'efforcent de subordonner le travail des hommes aux
exigences de machines de plus en plus chères et de plus en plus complexes.
En même temps que le travail des manoeuvres disparaît peu à peu des usines, le nombre de techniciens
directement intégrés à la production augmente. Le niveau de qualification et d'instruction des travailleurs s'élève
rapidement. La tendance vers l'instruction généralisée jusqu'à 17 ou 18 ans, qui se manifeste de plus en plus, en
est un indice fort net.
Or, plus les travailleurs sont instruits, plus ils sont combatifs, et moins ils supporteront que des administrateurs de
société, des directeurs et des « chefs » souvent moins au fait de la production et du fonctionnement des machines
qu'eux-mêmes leur dictent ce qu'ils ont à produire, comment ils doivent le produire, et dans quelles conditions ils
ont à le faire. La structure hiérarchique de l'entreprise doit leur peser d'autant plus lourdement que l'écart de
connaissances techniques entre travailleurs et patrons s'amenuise progressivement et n'est souvent maintenu que
par un monopole artificiel des informations sur le fonctionnement de l'entreprise dans son ensemble, que le patron
se réserve jalousement.
Il est un fait que les statistiques des causes des grèves, tant en Grande-Bretagne qu'en Italie, révèlent que les
conflits de travail concernent de moins en moins des questions de salaires proprements dits, et de plus en plus
l'organisation du travail, le processus de production lui-même. La Belgique est quelque peu en retard à ce propos;
Ce retard ne tardera pas à être comblé.
La revendication du contrôle ouvrier, en impliquant un droit de regard et de veto immédiat pour les travailleurs dans
toute une série de domaines de la vie de l'entreprise - tout en refusant toute responsabilité pour sa gestion, aussi
longtemps que subsiste la propriété et l'État capitalistes - répond donc à une exigence qui naît de la vie
économique et sociale elle-même. La structure de l'entreprise ne correspond plus aux besoins de l'économie et
aux aspirations des travailleurs.
Dans ce sens, cette revendication est éminemment anticapitaliste. Car le capitalisme ne se caractérise en
définitive ni par des bas salaires, ni même par un grand nombre de chômeurs (bien que les récessions périodiques
y restent inévitables et importantes). Il se caractérise par le fait que le Capital, que les capitalistes, commandent
aux hommes et aux machines. Contester ce droit de commande, lui opposer un pouvoir d'une autre nature, c'est
commencer dans les faits le renversement du régime capitaliste.
II - Participation: non! Contrôle : Oui!
L'expérience enseigne aux travailleurs que leur sort immédiat et futur dépend du fonctionnement d'ensemble de
l'économie. Ils en concluent de plus en plus qu'il serait vain de lutter exclusivement pour défendre leur pouvoir
d'achat ou pour augmenter les salaires, sans se préoccuper des prix, du calcul de l'index, de la fiscalité, des
investissements et de la «rationalisation» capitaliste des entreprises.
En effet, la classe capitaliste réussit trop de fois à « récupérer » des augmentations de salaires par la voie de la
hausse des prix ou de l'augmentation des impôts directs ou indirects qui grèvent les revenus des travailleurs. Elle
fausse le jeu de l'échelle mobile en truquant l'index ou en appliquant la trop fameuse « politique de l'index » (des
augmentations des prix qui « contournent » les produits repris pour le calcul de l'index).
Elle grignote la puissance syndicale dans des régions à combativité ouvrière élevée en déplaçant
systématiquement les investissements et les entreprises et en recréant ainsi le chômage (les métallurgistes
liégeois en savent quelque chose). Elle s'assure toujours des réserves de main-d'oeuvre en faisant coexister des
zones en croissance rapide avec des zones sous-développées ou en déclin. Bref, elle met en branle tous les
leviers de la vie et de la politique économique pour défendre ses intérêts de classe.
Si les travailleurs se contentent dès lors de réclamer des augmentations de salaires, ils sont sûrs d'être grugés.
Cela ne signifie pas que les luttes pour les salaires et les revendications immédiates soient dépassées ou inutiles,
bien au contraire. Mais cela signifie qu'il ne faut point se limiter à réclamer une répartition plus avantageuse pour le
Travail de la valeur nouvelle qu'il a seul créée. Cela signifie qu'il faut contester le fonctionnement de l'ensemble de
l'économie capitaliste.
De la défense du patronat de droit divin
Jadis, les patrons se contentaient de défendre leur droit divin d'être «seuls maîtres à bord » - les droits sacrés de la
propriété. Toute revendication syndicale qui comportait une ingérence quelconque dans la gestion des entreprises
(sans parler de celle de l'économie dans son ensemble), était repoussée avec indignation comme une « usurpation
», premier pas vers la «confiscation » et le « vol ».
Mais aujourd'hui, l'argumentation patronale est devenue beaucoup plus souple, De la défense du «patronat dedroit-divin » elle se replie prudemment vers la « défense de l'entreprise ». Elle admet implicitement (et souvent
explicitement) que les travailleurs « ont quelque chose à dire » sur ce qui se passe dans leur entreprise, leur
région, voire la vie économique nationale dans son ensemble (des traités internationaux comme celui instaurant la
C.E.E. ou le Marché Commun mentionnent même prudemment le droit des travailleurs à être « associés » à la
solution de problèmes de l'économie internationale).
Cette évolution du raisonnement patronal correspond évidemment à une évolution des rapports de force. Quand le
Capital était tout-puissant et le Travail faible et divisé, les patrons pouvaient régner en maniant les armes les plus
brutales. Lorsque le Capital s'affaiblit, parce que son système est entré irrémédiablement dans une crise de
structure, à l'échelle mondiale, et que le Travail s'organise et se renforce considérablement, des moyens de
domination plus subtils doivent être inventés; sinon, c'est toute la domination qui risquerait de s'effondrer.
Ainsi on passe imperceptiblement de la doctrine cynique des « droits sacrés de la propriété » (c'est-à-dire le droit
du plus fort) à la doctrine mielleuse et hypocrite des « relations humaines ». Ainsi naît le mirage de la «
communauté d'entreprise », à laquelle le Capital et le Travail devraient être associés « dans le respect de leurs
intérêts légitimes ».
... A l'attrape-nigaud de la « participation ».
Mais l'évolution de la doctrine patronale en matière d'entreprise ne constitue pas seulement un reflet passif de
l'évolution des rapports de force entre classes sociales. Elle reflète également une visée tactique du patronat. Il
s'agit d'impliquer les organisations syndicales, ou même des représentants élus par les travailleurs, dans une
pratique quotidienne de collaboration de classes, qui permettrait de désamorcer le caractère explosif des conflits
sociaux et de faire baigner le monde du travail dans un climat permanent de conciliation et de marchandage, climat
qui finirait par émousser toute combativité et toute tentative d'opposer la puissance organisée des travailleurs à la
puissance financière des capitalistes.
On peut établir une analogie entre la modification d'attitude de la bourgeoisie intervenue, à partir de 1914, à l'égard
de la social-démocratie d'abord, des directions syndicales ensuite, et cette évolution vers une attitude plus souple
concernant les «droits exclusifs et sacrés de la propriété » sur l'entreprise.
Dans les trois cas, il s'agit d'affaiblir l'adversaire de classe par la séduction, après avoir vainement tenté de le
briser par la violence, la répression ou la pression économique. On « intègre » donc des ministres sociauxdémocrates dans des gouvernement de coalition. On « intègre » des dirigeants syndicaux dans des commissions
paritaires. Pourquoi ne pas « intégrer » des délégués ouvriers dans des Conseils d'entreprise « associés à la
gestion »?
L'expérience de la cogestion en Allemagne occidentale est particulièrement éloquente à ce propos. Elle a été un
puissant moyen d'affaiblissement de la force syndicale et de la combativité ouvrière. Les travailleurs avaient
l'illusion d'avoir acquis « des droits » au sein de l'entreprise; celle-ci devenait, à leurs yeux, quelque peu « leur »
entreprise. Mais qu'un retournement de conjoncture se produise, et ils perdaient non seulement leurs avantages
extra-conventionnels (accordés par les patrons à l'époque de grande pénurie de main-d'oeuvre), mais encore une
partie de leurs revenus «normaux ») sinon leur emploi.
L'entreprise capitaliste révéla une fois de plus sa véritable nature : domaine où le patron règne en maître, ne
laissant à ses chers travailleurs que l'illusion d'une « association » d'attrape-nigaud. De Gaulle n'a donc rien
inventé avec sa « participation ». Devant vendre leur force de travail à des patrons, qui sont libres de les licencier
lorsque la « rentabilité de l'entreprise » le réclame, les travailleurs restent des prolétaires. Pouvant librement
commander aux hommes et aux machines (très souvent acquis avec l'argent des autres, c'est-à-dire de l'État), les
patrons restent ce qu'ils étaient auparavant : des capitalistes.
Travailleurs et organisations ouvrières ne doivent prendre aucune parcelle de responsabilité pour la
gestion des entreprises capitalistes.
Des idéologues naïfs, partisans de la conciliation, rétorquent: « Vous, méchants marxistes, plaidez la cause de la
lutte des classes à outrance, alors que les capitalistes, assagis, sont prêts à faire des concessions et à mettre leur
lutte de classe en sourdine. » Il n'en est évidemment rien.
En cherchant à entraîner les organisations ouvrières et les travailleurs dans le guet-apens de la collaboration de
classes, le patronat poursuit de son côté une lutte de classe imp1acable. Il conserve intégralement ses armes: la
richesse financière, la propriété capitaliste des entreprises et des banques, la subordination de la vie économique
à ses impératifs de profit.
Mais en même temps il paralyse ou cherche à détruire la seule arme dont disposent les travailleurs: leur capacité
de s'organiser et d'entamer un combat commun pour leurs intérêts de classe, c'est-à-dire le fonctionnement des
organisations des travailleurs au profit des travailleurs. En cherchant à soumettre ces organisations à «l'intérêt
général », alors que l'économie est plus que jamais dominée par le profit capitaliste, le patronat obtient une victoire
éclatante dans sa lutte de classe contre les salariés-appointés.
C'est pour cette raison que les syndicats et les travailleurs doivent refuser de faire la moindre concession à «
l'esprit d'entreprise » répandu par le patronat. Ils doivent refuser systématiquement de prendre la plus petite
parcelle de responsabilité pour la gestion d'entreprises et de l'économie capitalistes. Contrôler pour contester, oui ;
participer ou partager la gestion : non; tel est l'intérêt des travailleurs.
Deux arguments sont souvent opposés à cette thèse traditionnelle du mouvement ouvrier, qu'André Renard
défendait encore avec force dans « Vers le Socialisme par l'Action ». D'abord on affirme que les travailleurs ont,
malgré tout, un intérêt dans la survie des entreprises; la disparition d'une grande entreprise n'implique-t-elle pas la
suppression de milliers d'emplois, l'extension du chômage?
L'argument oublie qu'en régime capitaliste, la concurrence et la concentration capitalistes sont inévitables. En «
associant » le sort des travailleurs à celui des entreprises, on ne risque pas seulement de les lier à des perdants
dans une lutte féroce. On transporte aussi la concurrence capitaliste au sein de la classe ouvrière, alors que
l'expérience a démontré que c'est seulement par leur organisation et unité de classe que les travailleurs ont une
chance quelconque de se défendre contre le système du Capital.
Le même argument n'a pas plus de valeur lorsqu'il est appliqué aux régions. «Nous ne voulons pas socialiser des
cimetières. Il faut donc s'associer aux patrons pour sauver « nos » industries, disent certains syndicalistes.
Le malheur, c'est que ces industries ne sont point « nôtres » mais capitalistes, même si le capital provient à neuf
dixièmes de subsides d'État. Ces industries sont soumises aux lois de la concurrence capitaliste. Entraîner les
travailleurs dans cette voie, c'est se soumettre aux impératifs de la rentabilité et du profit. C'est acquiescer à la «
rationalisation », à l'accroissement de la productivité, à l'accélération des cadences, à une exploitation plus intense
des travailleurs.
C'est également accepter la réduction de l'emploi. De là à accepter les licenciements, voire les réductions des
salaires, il n'y a qu'un pas. Dès qu'on met le premier pas sur cette voie, le chantage patronal devient tout-puissant.
Pour le briser, il faut de prime abord refuser la collaboration, et engager l'action pour imposer le maintien du
volume de l'emploi, par les réformes de structure anticapitalistes.
«Contrôle ouvrier» et «participation» s'opposent bel et bien l'un à l'autre.
Ensuite, il y a un argument plus subtil: « Pour pouvoir contrôler, il faut être informé, pourquoi ne pas participer dans
le seul but de glaner les informations?» Un sophiste ajoute qu'il n'y a pas de distinction absolue entre la
participation et le contrôle. La réponse est très simple: tout dépend de l'objectif de l'action et de la pratique qu'on
suit. « Participer » sans accepter la moindre responsabilité pour la gestion, est-ce de cela qu'il s'agit?
Mais qu'attend-on dès lors pour divulguer les fameuses « informations » glanées à tous les travailleurs? C'est
interdit, les patrons se refuseront de poursuivre ce jeu qui deviendrait pour eux un jeu de dupes! A la bonne heure!
Mais n'admet-on pas ainsi que sans pareille divulgation, en acceptant le secret, «la concertation» et des parcelles
de «co-responsabilité», on entre précisément dans le jeu des capitalistes? En pratique, la différence entre
«participation. » et «contestation» n'est pas difficile à établir ; il suffit, chaque fois, d'enregistrer la réaction des
patrons, même les plus «libéraux» pour s'en apercevoir.
«Vous voulez donc l'agitation pour l'agitation, en réclamant l'impossible », rétorquent les défenseurs de l'ordre
bourgeois. Nullement. Nous voulons remplacer un régime par un autre, le pouvoir de classe du Capital par le
pouvoir de classe des travailleurs.
A cette fin, nous voulons que les travailleurs prennent clairement conscience des mille moyens dont dispose la
bourgeoisie, au sein du régime actuel, de les tromper, de les exploiter et de les plumer. Voilà pourquoi nous
réclamons le contrôle ouvrier. Et si une modification radicale des rapports de forces rendait possible sa réalisation pour une brève période transitoire - nous voudrions que pour le réaliser, les travailleurs s'organisent de façon à
créer, au sein des entreprises et de l'économie tout entière, un contre-pouvoir qui deviendrait rapidement le noyau
d'un nouveau pouvoir d'État.
«Participation», cela signifie: s'associer au Capital, accepter avec lui des arrangements secrets, des conciliabules
permanents, des «comités de concertation», et même des « comités de contrôle (comme ceux du gaz et de
l'électricité), où les travailleurs ne contrôlent rien du tout mais deviennent co-responsables, aux yeux de l'opinion,
des tarifs surélevés et des bénéfices plantureux des trusts.
«Contrôle ouvrier», cela signifie : publicité pleine et entière; discussion de tous les « secrets » de l'entreprise et de
l'économie devant des assemblées générales de travailleurs; mise à nu de tous les rouages de l'économie
capitaliste; ingérence «illégale» des travailleurs dans toutes les prérogatives de la Propriété, de la Direction et de
l'État. Cela signifie donc, du même fait, naissance d'un pouvoir d'un type nouveau, infiniment plus démocratique et
plus juste que celui de la «démocratie» bourgeoise, d'un pouvoir dans lequel tous les travailleurs (85% de la
population active de ce pays) prennent ensemble les décisions qui déterminent leur destin.
III. La position de la CSC; participation, oui, mais...
La C. S. C. s'est penchée à plusieurs reprises sur le problème de la "nature" de l'entreprise. Elle lui avait déjà
consacré un rapport en 1964. Le rapport « Responsable de l'avenir », présenté à son XXIVe Congrès d'octobre
1968, y revient longuement. Le chant du cygne de Gust Cool en tant que président de la C.S.C. fut justement la
présentation de ce rapport devant le congrès. Une résolution spéciale sur « La réforme de l'entreprise" fut
présentée à ce même congrès.
Tous ces documents sont frappés du sceau de la même contradiction. La C.S.C. possède une doctrine: celle de la
collaboration de classes. Ses militants de base et surtout ses affiliés-t liés connaissent une pratique et subissent
une expérience, qui s'appellent, qu'on le veuille ou non: lutte de classes. Concilier ces deux éléments
irréconciliables, voilà à quoi s'acharnent les dirigeants de la C. S. C.
Un diagnostic souvent pertinent, même s'il est incomplet.
Lorsque les dirigeants de la C. S. C. décrivent la situation subie par les travailleurs dans le système de l'entreprise
- qu'on ne veut caractériser par le terme qui convient, à savoir celui de l'entreprise capitaliste, et qu'on doit donc
désigner sous forme de toutes sortes de qualifications insignifiantes ou banales, comme « entreprises d'aujourd'hui
», « entreprises actuelles », « système contemporain », etc. - ils mettent souvent le doigt sur des plaies
douloureuses pour leurs membres.
Les entreprises sont souvent fermées (de manière injustifiée, ajoute la résolution du XXIVe Congrès. Mais «
injustifiée » de quel point de vue ? Celui de l'actionnaire qui veut sauvegarder son dividende ?). Il y a des
licenciements massifs. Même en bonne conjoncture, le chômage réapparaît, parce que la production qui a
augmenté est réalisée par un nombre décroissant de travailleurs. Ce chômage risque d'augmenter davantage du
fait des « vagues successives d'automation, la mise en place progressive de computers ou la mécanisation très
prononcée ». La personnalité de l'homme au travail est de plus en plus menacée par les « nouvelles techniques
d'organisation, de production et de gestion ». L'espoir des jeunes générations est cruellement déçu par la manière
dont évolue la vie économique. Etc., etc.
Voilà des constatations qui rencontreront sans aucun doute l'approbation de la majorité des 900.000 affiliés de la
C.S.C. Ceux-ci en font l'expérience, quotidiennement ou périodiquement, dans leur chair. Pas besoin d'ajouter de
grands discours pour exprimer ces vérités élémentaires: à l'usine, c'est le patron qui commande. Ses impératifs de
profit passent avant les intérêts des travailleurs et des « personnes humaines ».
Ce que Cool, Keulers, Dereau et Houthuys -le nouveau président de la C. S. C. -n'ont pas ajouté, mais qui a
pourtant toute son importance, c'est que ces plaies ne résultent ni de la mauvaise volonté des patrons, ni du
manque de compréhension mutuelle entre patrons et travailleurs, mais de la logique implacable du système
capitaliste.
Si le patron ne subordonne pas le fonctionnement de l'entreprise à des impératifs de profit, il réalisera moins de
bénéfices que ses concurrents; il recevra moins de crédits; il pourra accumuler moins de capitaux; il prendra du
retard dans la course au progrès technique. Au rythme où s'ag- grave aujourd'hui la concurrence nationale et
internationale entre capitalistes, il sera bientôt liquidé par ses concurrents.
Il en résulte donc qu'il est impossible de supprimer les plaies et de maintenir le régime capitaliste. « Humaniser »
les rapports de production en maintenant la propriété et l'économie capitalistes, c'est vouloir que les animaux
cessent de se dévorer dans la jungle, tout en maintenant celle-ci, avec tout ce qu'elle implique.
« Participer » à la jungle ?
Écoutons le brave Cool verser une larme sur l'autel de l'économie « de service »; « Sommes-nous réellement au
service du travailleur, au service de son bonheur réel, et notre époque ne prouve-t-elle pas que le bonheur ne
consiste pas seulement à « avoir », mais aussi à « être » ? Le bonheur, c'est-à-dire ne pas seulement penser à
soi-même mais aux autres dans le monde qui ont faim, qui non seulement connaissent la pauvreté, mais meurent
faute de nourriture... ? N'attachons-nous pas trop d'importance à l'argent, au bien-être matériel, même si nous
devons leur sacrifier notre liberté de producteur et de consommateur, notre liberté de personne humaine ?
Le bien-être matériel n'alimente-t-il pas un égoïsme croissant, au détriment de la solidarité qui nous unit non
seulement aux travailleurs de notre entreprise, de notre commune, de notre pays, mais à tous les travailleurs, aux
citoyens du monde entier, surtout à ceux qui vont courbés sous le joug de l'injustice ? ..»
Belle envolée, même si nous trouvons le reproche adressé aux travailleurs belges qu'ils attachent «trop
d'importance à l'argent » plutôt de mauvais goût, compte tenu du niveau moyen de leurs salaires (surtout pour les
jeunes, les femmes, les moins bien qualifiés, qui abondent justement dans les rangs de la C. S. C.).
Mais d'où vient donc cet « égoïsme croissant », sinon de la sacro-sainte « libre entreprise », qui a élevé au niveau
d'un dogme le principe du « chacun pour soi »? La propriété privée des moyens de production, l'économie de
marché, peuvent -elles aboutir à autre chose qu'à la concurrence - ? La concurrence, en économie monétaire,
peut-elle aboutir à autre chose qu'au désir d'obtenir le maximum de revenus ? Toute l'ambiance sociale: tout le
système d'enseignement; tous les moyens de diffusion massive; toute la vie économique, n'inculquent-ils pas, jour
et nuit, à tous les individus, qu'il importe avant tout de « réussir individuellement », s'il le faut en écrasant les autres
?
La fameuse « liberté du producteur », comment peut-on la réaliser sous la férule du Capital, qui produit pour le
profit et non pour la « réalisation de la personne humaine » ? La fameuse « liberté du consommateur », comment
peut-on la réaliser sous le règne d'une publicité, derrière laquelle se profilent les dix groupes financiers qui
contrôlent la vie économique de la nation ?
Or, Gust Cool, Keulers, Dereau et Houthuys ne veulent pas abolir la propriété privée des moyens de production. Ils
ne veulent pas supprimer le capitalisme. Ils ne veulent pas éliminer le contrôle de l'économie nationale et
internationale par les holdings, trusts et autres monopoles. Ils ne veulent pas qu'on touche à la concurrence, ni à
l'économie de marché, ces beautés de la jungle.
Mais comment la « participation » des syndicalistes à la gestion d'entreprises fondées sur le profit éviterait-elle les
fermetures d'entreprises, lorsque le profit est menacé ou disparaît ? Comment la « participation » des syndicalistes
à la gestion de l'économie évitera-t-elle les concentrations d'entreprises, lorsque celles-ci résultent précisément de
la concurrence ? Comment la « participation » des syndicalistes rétablirait-elle la « liberté du producteur et du
consommateur », alors que dans le cadre de l'économie capitaliste de plus en plus automatisée, l'homme
deviendra de plus en plus un simple appendice des machines et un consommateur de plus en plus téléguidé et
manipulé ?
Il n'y a pas d'« économie de service » possible en régime capitaliste. Les dirigeants de la C.S.C. se sont empêtrés
dans d'inextricables contradictions doctrinales. Ils ne pourront pas en sortir, sauf par des pirouettes, qui reflètent
plutôt le peu de respect qu'ils ont à l'égard de leurs affiliés.
Mais parmi ces affiliés, le nombre de ceux qui saisiront ces contradictions ne cessera d'augmenter. Car au fur et à
mesure que les affiliés de la C. S. C. font l'expérience de la lutte de classes, l'expérience des contradictions du
régime capitaliste, ils sont amenés à se poser des questions sur la nature de ce régime, questions que les chefs de
la C.S.C. ne cherchent qu'à esquiver. Et plus ces affiliés saisiront la nature du régime, plus ils comprendront que
leurs intérêts et leurs convictions réclament que, loin de collaborer avec lui ou d'y « participer », on le renverse et le
remplace par un régime socialiste fondé sur l'autogestion collective et planifiée des travailleurs.
En France, cette idée a fait d'énormes progrès parmi les affiliés de la C.F.D.T. au cours des dernières années. Ces
progrès se sont encore accélérés au cours des derniers mois, après l'expérience tonifiante de la grève générale de
mai 1968. Gageons que Cool voudrait éviter à tout prix pareille explosion en Belgique, pour que les affiliés de la
C.S.C. ne tirent pas des conclusions similaires d'expériences analogues.
Une montagne qui accouche d'une souris.
Après avoir dénoncé les innombrables « violations de la personne humaine » dont le régime économique
capitaliste (pardon: actuel) est coupable, les dirigeants de la C.S.C. se contentent de réclamer le vote d'une loi sur
l'enregistrement comptable ; l'extension des droits des Conseils d'entreprise et la constitution d'une commission
paritaire d'étude avec le patronat (!) en vue d'une réforme de l'entreprise. La montagne a accouché d'une souris; et
la pauvre bête semble frappée de cachexie dès sa naissance.
Passons sur la farce de la commission d'étude paritaire avec le patronat, d'une réforme de l'entreprise qui devrait
éliminer toutes les plaies mentionnées plus haut. Croit-on un seul instant que les patrons peuvent accepter qu'on
maintienne dans l'usine un personnel en surnombre, d'après les lois de la concurrence ? Mais tous les « progrès »
dont ils se réclament, y compris le fameux "progrès technique », a justement pour but d'éliminer ce personnel!
Gageons que le résultat de ces conciliabules ne sera pas la guérison des plaies mais l'adoption de multiples
pansements et pilules sucrées pour que le malade ne souffre pas trop. Cela correspond évidemment à d'excellents
motifs de charité; mais cela n'élimine ni les plaies, ni surtout leur réapparition de plus en plus répétée.
La loi sur l'enregistrement comptable constitue une réforme utile, à condition de servir une politique de contrôle
ouvrier; sinon elle ne représente qu'une mesure de rationalisation de l'économie capitaliste, de laquelle les
travailleurs n'ont pas à se mêler, et qui finira d'ailleurs par se retourner contre eux.
Mais justement, de ce contrôle ouvrier, il n'en est pas question à la la C.S.C. parle beaucoup des licenciements et
des fermetures d'entreprises «injustifiées». Mais la première chose à réclamer, en face d'une telle évolution, ne
serait-ce pas l'ouverture des livres de comptes patronaux ? Et pas seulement ceux des patrons qui ont fait faillite,
mais ceux de tous les patrons, surtout depuis que la crise charbonnière nous a enseigné comment les holdings et
groupes financiers peuvent « friser » leur comptabilité pour que les pertes apparaissent toutes dans les secteurs
qui réclament (et reçoivent) des subsides publics, tandis que les profits apparaissent tous dans les secteurs qui «
font confiance à l'initiative privée », et dont on veut pousser les actions en Bourse? Puisque ces groupes - font une
compensation globale des « pertes et profits » des sociétés qu'ils contrôlent, ce sont donc les livres de comptes de
toutes les sociétés qu'il faudrait ouvrir!
Comment déterminer quelles fermetures sont « justifiées » et lesquelles ne le sont pas, sans ouvrir les livres de
comptes et supprimer le secret bancaire ? Mais sans doute les dirigeants de la C.S.C. n'aiment-ils pas « violer les
droits de la propriété », c'est-à-dire du Capital. Ils préfèrent, du coup, quoi qu'ils en disent, que ce Capital viole
constamment, sans arrêt, les fameux « droits de la personne humaine» dont on se gargarise tant... sauf quand il
s'agit d'en tirer quelques conclusions revendicatives.
IV. La FGTB, entre la théorie et la pratique
Le problème du contrôle ouvrier a été réintroduit dans la doctrine de la F.G.T.B. par la « tendance Renard » au
cours des années '50. Il a mûri surtout au lendemain de la grande grève de 60-61, point culminant de la
radicalisation des travailleurs de ce pays depuis la période 1932-36. Comme la « participation» est à la mode, et
que la C S. C. s'est penchée à plusieurs reprises sur « la réforme de l'entreprise », la F.G.T.B. ne peut décemment
se taire à ce propos. Aussi prépare-t-elle un congrès extraordinaire sur le problème du contrôle ouvrier, dont les
préparatifs - qui se passent pour le moment, hélas, au secret, comme s'ils n'intéressaient pas l'ensemble des
militants syndicaux! - et les discussions méritent une très grande attention.
Doctrinalement, la F.G.T.B. se trouve manifestement à la croisée des chemins. Depuis une bonne décennie, un
clivage de plus en plus net est en effet apparu entre la doctrine - qui s'est progressivement radicalisée, du moins
en Wallonie, ainsi qu'à Bruxelles et dans certaines régions flamandes - et la pratique, qui ne cesse de virer à droite
en Flandre, et qui a commencé à se détériorer aussi en Wallonie depuis plusieurs années.
Il s'agit de savoir, à propos d'un problème aussi brûlant et aussi net que celui du contrôle ouvrier, si la doctrine
s'appliquera à la pratique de collaboration de classes, ou si une nouvelle radicalisation de la doctrine obligera la
pratique de s'infléchir vers la gauche, comme ce fut le cas, en partie, entre 1956 et 1962.
Un contrôle mal défini peut dédouaner la gestion capitaliste.
Du point de vue de la doctrine, toute co-responsabilité de la gestion capitaliste est exclue. On ne vise donc que le
contrôle. Lorsque la revendication de la nationalisation de l'industrie de l'électricité fut abandonnée en échange de
l'établissement d'un comité de contrôle, on prit bien soin de distinguer celui-ci du « comité de gestion », réservé
aux seuls patrons. Contrôle en régime capitaliste; cogestion en régime socialiste: voilà le principe louable auquel
on se référait. Voyons cependant la pratique.
En se contentant d'un simulacre de contrôle, qui respecte le secret des livres de comptes patronaux, et qui introduit
d'ailleurs un nouveau secret dans les rapports entre dirigeants syndicaux et affiliés du syndicat, on peut en fait
couvrir la gestion capitaliste. C'est une participation qui n'ose pas dire son nom, mais qui se rapproche en pratique
de ce principe de collaboration de classes.
Ainsi, après quelques années de pratique du « comité de contrôle de l'électricité », André Renard et les camarades
qui dirigeaient le secteur Gazelco s'aperçurent qu'ils ne contrôlaient rien du tout; ils couraient le risque de
dédouaner, aux yeux des travailleurs et de la masse des consommateurs, une gestion capitaliste plus que jamais
inspirée des impératifs de profit et non de ceux du « bien commun ».
Aussi commencèrent-ils par réclamer un véritable contrôle sur le calcul du prix de revient, qui est inconcevable
sans l'ouverture des livres de comptes et la confrontation, sur place, dans les centrales, des chiffres comptables
patronaux avec la réalité économique et financière saisie directement par les travailleurs et les techniciens. Ils y
ajoutèrent d'ailleurs des revendications précises, réclamant une sorte de droit de veto en matière de tarification,
d'investissements, de rationalisation.
Rien de cela ne fut obtenu. On se contenta d'étendre les accords de la « Table Ronde » au secteur du gaz, lors du
renouvellement de l'accord en 1965. Quant au secteur Gazelco, il relança, fort à propos, la revendication de la
nationalisation de l'électricité, mais sans jamais pouvoir entrainer la F.G.T.B. dans une véritable campagne à ce
propos.
L'attribution, à des sociétés privées, de la distribution du gaz naturel des Pays-Bas, augmenta encore l'aspect
scandaleux du profit partant d'un monopole de service public que réalisent les trusts du gaz et de l'électricité. Mais
la F.G.T.B. a mis ce scandale au frigo. Elle ne mène même plus une campagne d'éducation de ses affiliés et du
public sur le thème de la nationalisation sous contrôle ouvrier.
Contrôle et participation s'excluent mutuellement.
Dans la conclusion de la brochure qu'il consacra en 1962 à la nationalisation du secteur de l'électricité, le secteur
Gazelco écrit ce qui suit : « Notre adhésion aux institutions de la « Table Ronde », Comité de Gestion et Comité de
Contrôle, a donc un sens précis. Dans un système capitaliste, les organisations syndicales ont, en effet, une
mission de contrôle à remplir. Cela ne peut les conduire toutefois à s'associer à la gestion privée des industries et
à en partager les responsabilités»
Les auteurs de cette brochure attirent eux-mêmes l'attention sur un élément de contradiction présent dans cette
doctrine, dès cette époque. En effet, ils ne rejettent pas toute oeuvre de rationalisation, mais constatent : « Nous
ne pouvons perdre de vue que dans un système capitaliste, la rationalisation se fait presque toujours au détriment
de la classe ouvrière. » Ils sont donc amenés à ajouter (en caractères gras) : « Aussi n'admettrons-nous jamais
que les travailleurs, manuels ou intellectuels, soient les victimes de mesures de rationalisation.
Or, quelques années plus tard, la Centrale des Métallurgistes F. G. T. B. était confrontée avec un problème
analogue. S'étant fourvoyée en acceptant la priorité des problèmes régionaux à résoudre - indépendamment de la
nature de classe de l'économie - cette Centrale décida d'entrer dans le Comité de Concertation de la politique
Sidérurgique.
Or, il était inévitable que ce Comité fasse oeuvre de rationalisation. Le mouvement syndical F.G.T.B. Accepta donc
de s'associer aux mesures de rationalisation. La pratique autant que la doctrine avaient glissé d'un cran par rapport
aux beaux principes de 1959 et de 1962. On admit les mesures de rationalisation dont les travailleurs étaient les
victimes (c'est-à-dire une forte réduction du volume de l'emploi). On se contenta d'exiger des palliatifs sociaux, afin
d'éviter que les travailleurs n'en souffrent pas trop.
La pratique glissa du contrôle vers la cogestion, et ce dans les pires conditions: cogestion d'un secteur en déclin
relatif où se posait le problème de la réduction de l'emploi. La doctrine suivra-t-elle? C'est un des enseignements
que nous apportera le congrès extraordinaire de la F.G.T.B. C'est aussi un objectif d'action pour les militants de la
F.G.T.B.: éviter qu'on introduise dans la doctrine syndicale la confusion néfaste entre contrôle ouvrier et cogestion
(ou participation), qui transforme les organisations syndicales d'instruments de défense des intérêts des travailleurs
contre les patrons, en instruments de défense des intérêts des entreprises capitalistes (y compris contre les
intérêts des travailleurs).
Une « participation » qui risque de devenir une complicité
Si la doctrine syndicale continue à refuser la cogestion au niveau de l'entreprise et de la branche d'industrie, il n'en
va plus de même, depuis belle lurette, de la pratique en ce qui concerne l'économie dans son ensemble. Au
Conseil central de l'Économie, au Comité national d'Expansion économique, au Bureau de programmation, et dans
de nombreux organismes du même genre, des représentants syndicaux élaborent paisiblement, aux côtés des
représentants patronaux, des analyses, diagnostics, synthèses et programmes en commun. Quelquefois, ils
formulent des avis divergents. Souvent, ils arrivent à des conclusions communes.
Il en découle une atmosphère de bonne entente et de collaboration disons le mot: de collaboration de classes - qui
a permis à Louis Major de s'écrier, dans le discours qui mit fin à sa carrière de secrétaire général de la F.G.T.B.
(pour entamer celle de Ministre du Roi) : « Les rapports entre syndicats et patrons sont en Belgique les meilleurs
du monde ».
Nous ne croyons pas que le principe soit celui de savoir s'il faut ou non siéger dans tel ou tel organisme. Ce qui est
important, c'est la raison pour laquelle on y siège, et ce qu'on y fait en pratique. y siéger pour rassembler des
informations qui servent le combat syndical quotidien; pour dénoncer les tares et abus du patronat; pour mettre à
nu les déficiences structurelles du mode de production capitaliste, si criantes et si visibles dans ce pays; pour
améliorer la qualité, l'audience, la vigueur de l'agitation menée parmi les travailleurs, nous ne voyons pas ce qu'il y
aurait de répréhensible dans cette tactique contestataire, pour citer un mot à la mode.
Mais ce n'est évidemment pas la pratique des représentants de la F.G.T.B. Ceux-ci ne contestent point; ils
collaborent. Parlant au week-end d'études organisé par la Fondation André Renard, les 26 et 27 novembre 1964, à
Ronchiennes, Jacques Yerna affirmait à propos du Bureau de Programmation: « On a laissé le néo-capitalisme
absorber la planification comme il a absorbé tant d'autres choses de notre programme, et au lieu de faire un pas de
plus, d'imposer notre conception, le mouvement syndical s'est contenté de prendre dans ce qu'on lui offrait ce qui
lui plaisait et de rejeter le reste. »
Notons qu'au niveau de la Wallonie, les dirigeants de la F. G. T. B. risquent maintenant de répéter la même
expérience, à une échelle plus large, et avec des répercussions qui risquent d'être encore plus néfastes.
Ne se sont-ils pas associés aux capitalistes du Conseil Économique Wallon pour élaborer en commun toutes
sortes de « programmes régionaux » qui ne peuvent pas ne pas respecter et imposer l'impératif du profit capitaliste
? On est loin du désir « d'imposer notre conception ». On n'est même plus prêt à. « rejeter le reste ». On se
contente, humblement, de mendier un accord minimum avec le patronat « wallon », avant de défendre les intérêts
de tel trust ou de tel holding contre tel autre trust ou tel autre holding, accusé de favoriser « la Flandre ». « Notre
conception » des réformes de structure anticapitalistes, notamment l'idée maîtresse d'arracher aux holdings le
contrôle sur la vie économique du pays, ne sert plus de guide pour l'action.
A la croisée des chemins
Les militants de la F. G. T. B. qui se pencheront sur les documents qu'on devra bien un jour leur soumettre au sujet
du contrôle ouvrier, devront éviter trois écueils : celui de vouloir adapter la doctrine à la pratique, c'est-à-dire de
théoriser et d'accepter doctrinalement la conception de la cogestion et de la participation. Ne crions pas que c'est
impossible. La tentation existe - notamment chez les dirigeants flamands de la F.G.T.B. - de s'aligner
systématiquement sur les positions de la C.S.C.
Et l'exemple de l'étranger, comme celui de l'Allemagne occidentale, est là pour démontrer que toute une génération
de militants syndicaux peut perdre la tête devant les confusions nées de la « participation » ; celui de la « fuite en
avant », c'est-à-dire de jeter un voile pudique sur la contradiction entre la doctrine et la pratique, et de se contenter
de fignoler la première sans modifier la seconde (ce qui implique évidemment que cette doctrine-là serait
condamnée à rester lettre morte); celui de la confusion délibérée, qui consisterait à mêler les formules et les
objectifs « contestataires » et « participationnistes », sous prétexte d'« unité », de « réalisme » et de « compromis
entre camarades ». Cela ne pourra qu'émasculer davantage la doctrine, et accentuer le glissement vers une
collaboration de classes généralisée, et une intégration accentuée dans le régime capitaliste.
A ces trois écueils, les militants de la F.G.T.B. conscients des intérêts des travailleurs et de la crise du régime dans
laquelle nous sommes installés dans ce pays, devraient opposer un programme de contrôle ouvrier à contenu
concret, qui, partant des préoccupations immédiates des masses et des problèmes qui Se posent au pays, tentent
d'élever à un niveau plus élevé la contestation globale de l'économie capitaliste et de l'État unitaire qui est la seule
possibilité réaliste d'assurer l'avenir du monde du travail.
Nous nous efforcerons, en guise de conclusion, de présenter quelques exemples d'un tel contenu concret que
devrait prendre le mot d'ordre de contrôle ouvrier. Mais nous devons insister sur le fait qu'aussi importante que
l'adoption d'un programme revendicatif allant dans ce sens, serait l'adoption d'un programme d'action qui
marquerait la volonté de rompre avec la pratique de la collaboration de classes, et qui esquisserait un plan de
mobilisation par étapes de toutes les énergies et de tout le potentiel de combat des travailleurs, en vue d'en
arracher la réalisation par tous les moyens.
Propositions en guise de conclusion
Comment le thème du contrôle ouvrier peut-il s'intégrer dans des luttes effectives menées par les travailleurs ?
Comment l'agitation pour le contrôle ouvrier peut-elle contribuer à stimuler la combativité des masses laborieuses,
élever le niveau de leur conscience de classe, contribuer au déclenchement de luttes qui débordent du cadre du
régime capitaliste, c'est-à-dire contribuer à créer une situation pré-révolutionnaire ?
Nous nous sommes efforcés de répondre à ces questions d'abord par une analyse du problème en général, en
réfutant des objections couramment opposées à cette stratégie, et en examinant de manière critique les timides
tendances de la C.S.C. et de la F.G.T.B. d'aborder, sinon une véritable lutte pour le contrôle ouvrier, du moins les
problèmes soulevés par ce mot d'ordre.
Nous n'avons évidemment pas la prétention de clôre ainsi la question. Nous désirons provoquer un véritable débat.
Nous espérons surtout que des militants de base, représentants authentiques des travailleurs dans les entreprises,
participeront à cette discussion.
Plus on discutera du contrôle ouvrier parmi les travailleurs, plus de controverses seront suscitées par ce problème,
et plus nombreux deviendront les ouvriers, les employés et les techniciens qui élargiront l'horizon de leurs
perspectives au delà des limites du réformisme et du néo-réformisme.
Mais la discussion théorique, c'est-à-dire abstraite, peu importe qu'elle soit partielle ou qu'elle vise à saisir la
question dans son ensemble, est insuffisante pour stimuler pareille discussion. Il lui faut un complément sous guise
de propositions pratiques.
Ces propositions pratiques doivent toutes correspondre aux critères avancés au début de notre analyse : elles
doivent partir de préoccupations immédiates des travailleurs; elles doivent être de nature telle que le capitalisme
ne puisse les intégrer dans un fonctionnement normal de son système ; elles doivent donc créer une situation de
dualité de pouvoir qui tendra vers un affrontement global entre le Capital et le Travail; elles doivent élargir
l'expérience pratique des travailleurs quant à la nature fondamentale du régime capitaliste et à la manière de le
contester globalement, c'est-à-dire préparer les masses laborieuses à aborder cet affrontement dans les meilleures
conditions de conscience et d'organisation possibles.
1.Ouvrez les livres de comptes.
D'innombrables sources - dont la plupart sont d'origine non marxiste, voire nettement bourgeoises - attestent de
l'impossibilité de se fier aux statistiques de source patronale pour connaître la réalité de la vie économique de ce
pays (ainsi que de tous les pays capitalistes). Les bilans patronaux, les déclarations fiscales, les déclarations sur
les successions, faussent la réalité économique.
Ces faux ne sont pas fabriqués gratuitement. Ils poursuivent des buts précis. Il s'agit soit de frauder le fisc, soit de
sous-évaluer les profits afin de justifier des refus d'augmentation des salaires, soit de tromper l'opinion publique
quant aux incidences réelles de telle ou telle revendication syndicale. Chaque fois qu'un débat s'ouvre avec le
patronat, soit sur des augmentations des salaires, soit sur l'appréciation de la productivité, soit sur les
conséquences économiques d'une revendication syndicale, il faut répondre systématiquement: « Nous refusons de
discuter les yeux bandés. Mettez cartes sur table! Ouvrez vos livres de comptes. »
La valeur de cette revendication en tant que réforme de structure anti-capitaliste, c'est-à-dire en tant que
revendication transitoire, sera d'autant plus accrue, si on lui ajoute trois conditions d'application.
D'abord l'ouverture des livres de comptes doit se faire publiquement et ne pas rester limitée à un séance close
avec quelques dirigeants syndicaux, dont on connaît la tendance à la « bonne » entente avec le patronat.
Ensuite, l'analyse des bilans et de la comptabilité doit être facilitée par l'adoption de mesures légales
d'uniformisation (enregistrement comptable). Enfin et surtout, la vérification de la comptabilité et des bilans ne doit
pas seulement se faire sur la base des chiffres, mais doit s'effectuer sur les lieux de travail même, en y associant la
masse des travailleurs.
Il est facile de friser un bilan en sous-évaluant un stock de matières premières. Mais cette valeur disparue des
chiffres ne peut rester cachée devant les travailleurs qui réceptionnent, stockent, entretiennent et vérifient
régulièrement ces mêmes marchandises.
On objecte souvent que les travailleurs seraient incapables de vérifier des bilans. Nous publions, en annexe, des
suggestions concrètes avancées en Grande-Bretagne, par les camarades de la « Campagne pour le Contrôle
ouvrier », pour faciliter l'étude des bilans et de la comptabilité capitalistes par des représentants des travailleurs.
En général, ces objections sont fortement exagérées par ceux qui désirent éviter qu'on égratigne les « droits de la
propriété ». Elles ressemblent comme une goutte d'eau à celles avancées jadis par la réaction pour justifier son
refus du suffrage universel, à l'égard des travailleurs « ignorants », « mal éduqués », « non préparés à prendre
cette grave responsabilité », etc., etc.
2.Droit de veto sur les licenciements et les fermetures d'entreprises
La préoccupation principale qui anime les luttes ouvrières de ces dernières années est incontestablement la
crainte du chômage, des licenciements et de la réduction du volume de l'emploi, en Wallonie et dans plusieurs
régions flamandes.
La politique du reclassement et de la réadaptation professionnelle s'est avérée une faillite. Elle n'a pas pu
empêcher un déclin rapide du niveau de l'emploi dans les arrondissements visés. Quant à la reconversion
industrielle, l'expérience enseigne qu'on ne peut se fier ni au Grand Capital, ni à son État unitaire, ni aux divers
gouvernements bourgeois ou de coalition avec la bourgeoisie, pour la mettre en oeuvre efficacement.
Dans ces conditions les travailleurs ont de plus en plus le sentiment qu'il est inadmissible qu'un régime
économique pour lequel ils n'ont pas la moindre responsabilité leur impose les frais de ses mutations industrielles.
Pour obtenir effectivement la garantie du maintien du volume de l'emploi, ce qu'ils doivent dès lors réclamer, c'est
un droit de veto effectif sur les licenciements et les fermetures d'entreprises.
Cette application concrète du principe du contrôle ouvrier implique la réouverture forcée d'entreprises fermées par
leurs patrons, et leur gestion par les travailleurs eux-mêmes.
Elle implique que des fonds soient libérés, à charge de la classe capitaliste dans son ensemble, pour permettre le
fonctionnement de ces entreprises pendant une phase transitoire, avant que n'intervienne la création d'entreprises
modernes, propriété publique, gérées sous contrôle ouvrier ,pour prendre la relance de ces vieilles boîtes.
Notre camarade Pierre Le Grève avait déposé une proposition de loi dans ce sens, lorsqu'il était député. Il est utile
d'y revenir chaque fois qu'un cas de fermeture d'entreprises ou de licenciements des travailleurs se présente. Non
pas pour susciter une illusion quelconque que ce contrôle ouvrier-là puisse se réaliser par la voie électorale ou
parlementaire, mais pour stimuler la prise de conscience des travailleurs et obliger les dirigeants des organisations
de masse se revendiquant de la classe ouvrière à prendre position par rapport à ces projets.
3.Contrôle ouvrier sur l'organisation du travail dans les entreprises.
La structure hiérarchique de l'entreprise apparaît de plus en plus comme anachronique, au fur et à mesure que
s'élève le niveau de qualification technique et de culture des travailleurs. Dans les entreprises des secteurs
industriels « en pointe », où un pourcentage élevé du personnel est composé de techniciens ayant un niveau
d'enseignement technique moyen ou supérieur , cet anachronisme est particulièrement frappant. Mais même dans
l'ensemble de l'industrie, la complexité croissante du processus de production fait que, par exemple, des équipes
d'ouvriers d'entretien comprennent souvent mieux l'engrenage concret de la fabrication et les goulots
d'étranglement qui apparaissent périodiquement, que des ingénieurs haut placés, sans parler des membres du
Conseil d'administration.
Aux multiples conflits qui surgissent, sur les lieux du travail, du caractère hiérarchique des rapports entre ouvriers
et employés d'une part, « chefs » et contremaîtres d'autre part, il faut ajouter les perturbations qu'occasionnent
dans la vie des travailleurs des transformations de plus en plus multiples dans l'organisation du travail.
La modification de la technique supprime souvent des métiers et des qualifications acquis à grand peine.
L'accélération des cadences accroît la tension nerveuse et la fatigue des travailleurs, et augmente le nombre
d'accidents du travail. Les principales victimes de ces transformations ne peuvent se contenter du modeste droit de
suggestion que leur accorde la législation actuelle sur les conseils d'entreprise et les comités de sécurité et
d'hygiène. Ils doivent réclamer un contrôle ouvrier intégral sur l'organisation du travail, contrôle qui implique non
seulement le droit d'être informé d'avance de toute transformation proposée, mais encore celui de pouvoir faire
opposition de manière suspensive à celle-là.
Lorsque les travailleurs auront pris l'habitude de répondre à chaque incident qui les oppose à un chef d'équipe ou
un contremaître par la revendication du contrôle ouvrier, un grand pas aura été fait en direction du renversement
de ces rapports hiérarchiques, et du remplacement des « chefs » par des travailleurs élus par leurs compagnons,
révocables à tout instant, et responsables seulement envers la base et non envers le patron.
4.Contrôle ouvrier sur l'index des prix de détail.
Nous vivons en Belgique sous le régime de l'échelle mobile en matière de salaires, c'est-à-dire d'adaptation
automatique de ceux-ci à toute augmentation de l'index officiel du coût de la vie qui dépasse un certain seuil,
variable selon les accords paritaires (en général 2,5 ou 2%). Ce régime protège les travailleurs partiellement contre
l'érosion du pouvoir d'achat de leurs salaires et traitements. Cette garantie n'est que partielle, pour des raisons
maintes fois exposées dans "La Gauche". Contentons-nous aujourd'hui d'en mettre en évidence une seule: le
manque de représentativité et de sincérité de l'index des prix de détail.
Celui-ci est en effet publié par le gouvernement. Et le gouvernement n'est que trop souvent tenté de donner un
coup de pousse dans le sens de la « politique de l'index » (c'est-à-dire de son trucage), non seulement pour faire
plaisir aux patrons, mais aussi et surtout pour espacer l'ajustement périodique des traitements des agents des
services publics, qui pèse lourdement sur le budget.
Il est vrai que la Commission des Prix a le droit de ne pas reconnaître la sincérité de l'index, de faire opposition à
telle ou telle décision du gouvernement en matière de prix ou de relevé des prix. Mais cette opposition n'est pas
suspensive.
Un véritable contrôle ouvrier sur l'index des prix de détail - mesure indispensable pour protéger de manière plus
efficace le pouvoir d'achat des travailleurs contre la hausse permanente du coût de la vie - impliquerait donc que
l'opposition syndicale à l'index du gouvernement puisse avoir force suspensive (droit de veto).
Elle implique également que ce contrôle puisse s'effectuer à la base, et que des équipes de travailleurs et de
ménagères opèrent régulièrement des relevés réels de prix dans les diverses régions du pays.
5.Suppression du secret bancaire
La fraude fiscale a été une des tartes à la crème de tous ceux qui ont prétendu rationaliser la gestion de l'économie
capitaliste dans ce pays au cours des quinze dernières années. Elle correspond à une des tares les plus
frappantes du régime, qui fait que ce sont aujourd'hui les salariés-appointés qui paient à la fois la majeure partie
des impôts indirects et la majeure partie des impôts directs.
La multiplication des mesures légales réformes fiscales, contrôles administratifs, s'avère inopérante pour éliminer
cette injustice flagrante. La suppression du secret bancaire, et l'introduction d'un contrôle ouvrier sur toutes les
opérations financières, serait par contre une mesure efficace qui mettrait rapidement fin au scandale.
Récemment, on a assisté à une immense évasion des capitaux en France. Tout le monde s'est demandé qui a été
l'auteur de cette évasion. Le gouvernement gaulliste s'est bien gardé de préciser qu'il n'est pas difficile de répondre
à cette question, du moins en grande partie.
En effet, en régime de propriété privée, la confiance ne règne jamais entre banquiers et gros déposants, au point
où de vastes opérations financières soient possibles sans laisser des traces d'écriture. Un contrôle ouvrier sur ces
écritures bancaires exercé notamment par des employés de banque dévoués au peuple - ferait vite apparaître la
plupart des coupables.
6.Contrôle ouvrier sur les investissements.
Un des traits les plus frappants du néo-capitalisme, c'est qu'il y a socialisation d'une partie croissante des frais et
faux frais de production, alors que les bénéfices et la propriété restent évidemment privés. Dans ce pays, une
grande partie des investissements à long terme a été financée au cours des vingt dernières années par l'État.
L'étude des bilans successifs de la Société Nationale de Crédit à l'Industrie est particulièrement instructive à ce
propos. Aussi bien Sidmar que Chertal ont été en majeure partie financées à l'aide de capitaux publics. Il en sera
de même de la rationalisation proposée par la fusions Cockerill-Ougrée - Providence-Espérance.
Mais alors que les capitaux sortent en partie croissante de la poche des contribuables (c'est-à-dire en majeure
partie de la poche des travailleurs) ce ne sont pas seulement les bénéfices et les actions qui restent dans le
domaine privé; c'est aussi le droit de décision sur la localisation des investissements et sur leur destination.
Réclamer le contrôle ouvrier sur les investissements, c'est donc réclamer, non pas la co-responsabilité des
dirigeants syndicaux pour la gestion capitaliste de l'industrie, mais le droit de veto syndical sur ces
investissements, quant à leur localisation, leur forme et leur destination, prévues par le patronat.
Il est clair que ce contrôle-là débouche sur l'élaboration d'un plan de développement d'ensemble de l'économie,
fondé sur l'établissement de priorité de besoins par la masse des travailleurs eux-mêmes. Le MPW en parla
beaucoup jadis, quand il fut question du « plan populaire de Wallonie ». Mais ce « plan » a été abandonné avec
beaucoup d'autres choses, quand les successeurs d'André Renard ont esquissé la courbe rentrante vers leur réabsorption par le P. S. B.
On le voit, la campagne pour le contrôle ouvrier forme un tout qui, sans passer à côté des problèmes qui
intéressent quotidiennement les travailleurs, agit dans un sens précis : celui d'accentuer leur méfiance à l'égard du
régime capitaliste, celui d'accroître la confiance dans leurs propres forces, et la résolution de décider de leur avenir
économique par leur propre action anticapitaliste.
Ernest MANDEL
ANNEXE
Comment étudier la comptabilité patronale
Le professeur Michael Barratt-Brown a rédigé en ; mars 1968 une petite brochure pour l'Institut du Contrôle Ouvrier
en Grande-Bretagne (1) qui a pour but de populariser la propagande pour ce mot d'ordre outre-Manche. La
brochure souligne que l'ouverture des livres de comptes ne devrait pas seulement viser à dévoiler des faits et
chiffres que les capitalistes s'efforcent de cacher aux travailleurs. Elle devrait également chercher à évaluer et à
interpréter les informations reçues de cette manière.
A cette fin, la brochure de Michael Barratt-Brown contient un grand nombre de questions auxquelles des comités
de contrôle ouvrier dans les entreprises devraient s'efforcer de trouver une réponse. La nature même de ces
questions indique jusqu'à quel point le contrôle ouvrier constitue un véritable apprentissage de la gestion ouvrière,
de la gestion des entreprises par les travailleurs eux-mêmes. Ces questions sont groupées en six catégories: I. Production. Il. -Organisation et gestion. III. -Ventes et marketing. IV. -Finances. V. -Politique de l'emploi. VI. Contribution à la communauté. ( Par manque de place, nous n'incluons pas le chapitre VI dans ce Post-Scriptum. )
Un mouvement syndical conscient de ses responsabilités aurait dû créer au niveau régional et national des cours
et une École centrale du Contrôle ouvrier qui formerait des cadres ouvriers et employés dans les techniques
nécessaires pour une étude efficace et critique des livres de comptes patronaux. Les dirigeants syndicaux qui ont
négligé de le faire allèguent en même temps de la prétendue « ignorance », ou du moins du « manque de
formation », des travailleurs pour conclure que le contrôle ouvrier est « impraticable ».
Les travailleurs étudieront ces questions avec attention. Mais en même temps, ils ne se laisseront pas effrayer par
le caractère ardu de certains problèmes que le contrôle ouvrier leur posera incontestablement. D'abord, il n'est pas
nécessaire que chaque ouvrier ou chaque employé individuel doive répondre à toutes ces questions: le contrôle
ouvrier doit être appliqué collectivement par les délégués élus par les travailleurs, s'appuyant sur la grande masse.
La masse des connaissances de détail dispersées parmi mille travailleurs, cela fait en définitive plus de
connaissances que même l'universitaire le mieux formé n'aura rassemblées au bout d'une longue carrière de
directeur.
Ensuite, pour apprendre à nager, il faut se jeter à l'eau. En voulant aborder la pratique du contrôle ouvrier
seulement si toutes les connaissances nécessaires ont été préalablement rassemblées, certains cherchent en
réalité à remettre cette pratique aux calendes grecques, c'est-à-dire à l'empêcher à tout jamais. Les carences de
l'étude individuelle, la pratique pourra y suppléer progressivement. C'est dans cet esprit qu'il faut aborder les
questions élaborées par Michael Barrat Brown.
Est-il nécessaire de répéter une fois de plus que le contrôle ouvrier s'oppose à la "participation», et que les
questions qui ont trait à des améliorations possibles du fonctionnement des entreprises ne doivent pas être
conçues comme des suggestions à faire aux patrons, mais comme la dénonciation publique de la gabegie du
système capitaliste et de ses représentants?
I. PRODUCTION
1. -La composition de la production.
a) A quoi sert-elle ? Quelle priorité pour la société en général ? A qui est-elle destinée ? Quelle priorité pour des
individus ?
b) Pourrait-elle être améliorée à ces fins, rendue meilleur marché, plus sûre ? Cela vaudrait-il la peine de la rendre
meilleure, meilleur marché, plus sûre - du point de vue social, individuel ? Quels seraient dans ce cas les frais
supplémentaires ? Le prix de marché?
c) Une association de consommateurs a-t-elle fait un test de ces produits ? Des tests ont-ils été faits par des
institutions autonomes ? Quelles étaient les réactions de la firme à l'égard de ces tests, si leur résultat était négatif
?
d) Y a-t-il beaucoup de déchets de la production ? Les sous-produits sont-ils utilisés et, si oui, à quelles fins ? Cela
vaudrait-il la peine de réduire les déchets -quels en seraient les frais ? Quels en seraient les avantages financiers ?
e) La demande se maintiendra-t-elle pour la production, si les revenus augmentent, les goûts se modifient, la
technologie change ? Un modèle meilleur marché pourrait-il élargir le marché ?
f) Quels autres types de production sont recherchés ou expérimentés par la firme -encore une fois à quelle fin et
pour qui ?
2.-Recherche et développement.
a) Quelle est la politique de la firme dans ce domaine ?
b) Combien est dépensé pour la recherche pure, en pour-cent du chiffre d'affaires ? Pour différentes formes de
recherche, y compris la recherche concernant l'emballage ?
c) Quel usage est fait d'autres possibilités de recherches ? y a-t-il des contacts à ce propos avec d'autres firmes ?
Quelles sont les conditions financières de ces recherches en commun ?
d) Quelle est la comparaison de ces recherches avec celles de firmes du même genre ?
e) y a-t-il eu des retards ou échecs dans l'adoption de nouvelles idées ? Pour quelles raisons ?
f) La firme dépend-elle de brevets ou de licences étrangers ?
3.-Machines employées dans la production -par phase séparée :
a) Sont-elles les meilleures pour chaque procédé ? Cela vaudra-t-il la peine d'en avoir de meilleures ? Quels en
seraient les coûts, l'apport financier, etc.?
b) Sont-elles achetées sans soumission, d'une firme associée ?
c) Quelle est la sécurité du travail avec ces machines ?
d) y a-t-il un transfert facile, peu onéreux, entre les différentes phases de la production ?
e) Cela vaudrait-il la peine d'introduire des machines-transfert ?
f) Emploie-t-on l'étude des méthodes ? Par qui et à quelle fin ? ,
g) La firme emploie-t-elle des sous-traitants ? A quelles conditions ?
4.-Transport et transferts -entre différents départements et vers l'extérieur de la firme :
a) Y a-t-il des déplacements inutiles de travailleurs, de marchandises, de sous-produits, etc. ?
b) Des parties du réseau sont-elles inutiles, comportent-elles des gaspillages, des risques pour la sécurité des
travailleurs ?
c) Serait-il utile d'élaborer un réseau de transmission nouveau ? Comment teste-t-on le flux de la production ?
Utilise-t-on des méthodes d'analyse mathématiques ?
d) L'équipement est-il adéquat: les grues, chaînes, trolleys, ascenseurs, locomotives, etc. ?
e) Les chemins et rails internes sont-ils bien conçus, propres, non dangereux pour les travailleurs ?
f) Tient-on compte des frais sociaux en employant le transport routier, le rail ou d'autres formes de transport ?
g) Qu'est-ce qui a déterminé la localisation des "Usines de la firme ? A-t-on globalisé les coûts sociaux en plus des
coûts privés ?
5.-Achats et stocks -pour chaque département et usine :
a) Les stocks sont-ils suffisants ? Trop larges ? Calculez les coûts individuels et sociaux de stocks insuffisants ou
trop larges.
b) Comment la firme achète-t-elle les matériaux ? Par ses propres grossistes ou firmes associées ? En quantités
larges ou non ?
c) Quel est le système de programmation employé ?
d) Les stocks sont-ils bien situés, contrôlés, comptabilisés ?
e) Y a-t-il beaucoup de travaux en cours ? En pour-cent du chiffre d'affaires total ?
f) Y a-t-il des temps d'arrêt pour attendre des pièces manquantes ?
g) La coopération avec d'autres firmes pourrait-elle être développée ?
h) La liaison entre départements est-elle suffisante ?
6.-Le contrôle de la qualité
a) Quel est le système d'échantillonnage et de test à différentes phases de la production ? Peut-on l'améliorer ?
b) Comment les dimensions sont-elles déterminées ?
c) Y a-t-il trop de modèles, de variations ? La standardisation se ferait-elle au détriment du consommateur ?
d) Modifie-t-on régulièrement le prix ?
Il. -ORGANISATION
1.-Directeurs et autres dirigeants principaux
a) Qui sont-ils ? Combien d'entre eux proviennent de familles qui ont fondé la firme ? De banques ou holdings qui
financent ( contrôlent) la firme ? Du personnel de gestion lui-même ? Combien de membres de leurs familles
participent à cette gestion ? A temps plein et à mi-temps ?
b) Quelle est leur qualification ? Combien sont détenteurs ou licenciés universitaires, ingénieurs universitaires,
ingénieurs-techniciens ?
c) Quelle est leur rémunération, et quels sont les avantages en nature dont ils jouissent: voitures, chauffeur,
allocations d'essence, secrétaire privé, repas en notes de frais, assurance vie payée par la firme, assurance
maladie et pension idem, contrats pour éducation des enfants, maisons subsidiées par la firme, idem congés,
primes de fin d'exercice et autres extras ?
d) Sont-ils liés à des partis politiques ou groupes de pression industriels ? Sont-ils actifs dans des associations
patronales ?
e) Quelle est la procédure de licenci~ment ? La durée du préavis ? L'indemnité de licenciement ?
2.-Structure de gestion
a) Comment les décisions centrales sont-elles prises ? Comment sont-elles coordonnées ?
b) Quel est le rayon de responsabilité de chaque directeur ?
c) Quelle est la véritable délégation de pouvoir, au sein de la firme de chaque usine, de chaque département ?
d) Combien fait-on de planning à long
e) Emploie-t-on un computer ?
3.-Proportion
a) Personnel ment, de:ssin et t et publicité.
b) Personnel d gestionnaires et contremaîtres.
c) Production, y compris l'emballage.
d )" Entretien et réparations.
e) Transport.
Ces chiffres sont-ils excessifs ? comment peut-on le vérifier ?
4.-Consultation
a) Quel est le fonctionnement des conseils d'entreprise aux différents niveaux ?
b) Comment fonctionne l'élection (2) ?
c) Font-ils des suggestions ? Celles-ci sont-elles appliquées par la direction ?
d) La direction fonctionne-t-elle de manière hiérarchique ou par des comités consultés à tous les niveaux ?
Comment cela se compare-t-il avec d'autres firmes analogues ?
5.-Comptabilité et statistiques a) Quel est le système employé ? Qui en est responsable ? A chaque niveau ? Emploie-t-on un computer ?
b) y a-t-il réaction vers le niveau auquel les décisions sont prises ?
c) Quelle est la collaboration avec le gouvernement ? Avec quel ministère ?
d) Les bilans sont-ils honnêtes, corrects ?
e) La comptabilité est-elle souple, c'est-à-dire peut-on l'employer à d'autres fins que celles qui sont apparentes ?
6 -Emplois de computers
a) A quelles fins des computers sont-ils employés : pour contrôler la production, remplacer le travail d'employés,
des calculs techniques et scientifiques, la comptabilité, ou à d'autres fins ?
b) y a-t-il un système intégré d'information de la direction ? y a-t-il un projet d'introduire pareil système ? y a-t-il un
système de stockage des informations concernant la production ? Qui a accès à ces informations ?
c) Comment les données sont-elles collectées et transcrites sous une forme lisible par le computer ?
d) La firme possède-t-elle son propre computer ? Sera-t-elle raccordée par téléphone au réseau public de
computers ?
e) Les codes du computer sont-ils utilisés pour transmettre des informations à l'extérieur de la firme ?
f) L'in~roduction du computer a-t-elle eu de bons ou; r de mauvais effets pour le personnel ? y 8.t-11 des consul,tations avec le personnel sur les effets du computer ? , Sur les manières dont il faudrait I!utiliser ? Sur l'emploi , du
computer dans le domaine de la politique de pro- duction ? Quelles formes de consultations sont possibles et
avantageuses pour le personnel à ce propos ?
7.-Recrutement et formation professionnelle
a) Comment la direction est-elle recrutée (voies familiales, voies internes, verticales, externes par annonces, etc.,
etc.) ?
b) Comment la formation professionnelle est-elle assurée à chaque niveau ? Quel est le système des promotions,
des stimulants, etc. ?
d) Quelles sont les possibilités de passer outre les « barrières de classe » ?
e) Quel est le budget des « frais de main-d'oeuvre » ?
8.-Sous-traitance
a) Quel en est le volume ?
b) Sur quelle base est-elle pratiquée ?
c) Comment est-elle contrôlée ?
d) Quelle est l'attitude des sous-traitants à l'égard des syndicats ?
e) Quels critères sont employés (devraient être employés) pour utiliser des sous-traitants plutôt que l'activité de la
firme propre ?
9.-Capacité de production
a) Qui décide de la capacité de production ? Comment la décision est-elle prise ?
b) Quel contrôle exerce-t-on sur les coûts unitaires ?
III.-VENTES ET MARKETING
1.-Quelle est la politique de la firme en matière de croissance ? Quelle est l'évolution du chiffre d'affaires, global et
par action ?
a) Quelle est l'évolution des ventes dans le pays ?
b) Quelle est l'évolution des exportations ?
c) Quelle est l'évolution des ventes dans les succursales à l'étranger ? Comment évalue-t-on l'évolution des
débouchés ?
Méthodes de vente -grossistes, représentants, détaillants, réseau de distribution appartenant à la firme. Comment
peuvent-elles être améliorées ?
3.-Quelles sont 1es marges bénéficiaires ajoutées aux coûts de production ? Pourrait-on les réduire ?
4.-Quels sont les frais d'emballage et de publicité pour les produits de la firme ? Pourrait-on les , réduire ?
Comment peut-on évaluer ces possibilités ?
5,-Quels sont les rapports entre le département des ventes et celui de la production, en matière de Il contrôle de
qualité, nouveaux modèles, services, etc. ? .
6.-y a-t-il moyen d'obtenir des commandes en bloc, pour longues périodes, sur le marché intérieur en exportation ?
Quelle est la coopération du gouvernement ?
7.-y a-t-i 1 des prix spéciaux, des rabais pour acheteurs spéciaux ? Qui les contrôle ? Quels critères sont appliqués
?
IV.-FINANCES
I.-Quelle est la forme légale de la société ?
II.1. -Quelles sont les sources de son financement ? Moyens propres (familiaux, actions), emprunts obligataires,
crédits publics, hypothèques, avances en compte-courant, etc.? Dans quelles proportions ? Quelles sont les
charges financières globales par rapport au chiffre d'affaires et aux bénéfices bruts ? Peuvent-elles être réduites ?
Comment se comparent-elles avec celles de firmes analogues ?
3. -Quelle est l'évolution des profits depuis dix ans ? Par rapport au chiffre d'affaires, aux moyens propres, par
personne employée ? y a-t-il des bilans publiés et, si non, pourquoi ?
4. -Dividendes et réserves: Quelle est la politique de la firme en cette matière ? A-t-elle changé récemment ? Idem
en ce qui concerne l'émission de nouvelles actions ( augmentation du capital) ?
rl~clp,a~es decl~lons ,fl.nanclères :. QUI l
6. -Critères pour décisions d'investissements
a) Comment le capital fixe est-il amorti ?Comment l'avoir est-il évalué ?
b) Comment estime-t-on le vieil outillage pat rapport à des projets nouveaux?
c) Quel système utilise-t-on pour évaluer la rentabilité du capital ? Cash f1ow? Rapport moyen, etc., etc. ?
c) A partir de quel taux de rentabilité considère-t-on un projet valable ?
d) Quelles sont les considérations externes à ce propos ? Dangers d'absorption de la firme, liens familiaux, autres
actionnaires?
7. - Politique des prix
a) La firme fait-elle partie d'un cartel ?
b) A-t-elle conclu un gentlemen's agreement avec d'autres firmes ?
c) Dicte-t-elle les prix dans sa branche ?
d) Applique-t-elle la règle d'ajouter un pourcentage le fixe de bénéfices bruts aux coûts de production ?
e) y a-t-il un concurrence sur les prix? De quelle sorte?
8. - Calcul des coûts de production
Comment pratique-t-on pour :
a) répartir les frais généraux ;
b) calculer les subsides inter-départementaux ;
c) tenir compte des sous-produits;
d) inclure le remplacement de l'outillage;
e) évaluer les stocks ;
f) évaluer les coûts sociaux ;
g) tenir compte des subsides gouvernementaux. Calcule-t-on les coûts marginaux, et comment établit-on des
prévisions en matière des coûts ?
9. -Avoirs
Comment sont-ils évalués ? En revoit-on souvent la valeur ? y a-t-il des preuves de sous-évaluation ?
v. -POLITIQUE D'EMPLOI
1. -.Structure des salaires { y compris les avantages extra-conventionnels) :
-du personnel de direction et de gestion ;
-des employés, hommes et femmes ;
-des contremaîtres, hommes et femmes ;
-des ouvriers manuels, hommes et femmes, qualifiés,
spécialisés et manreuvres.
a) Quelle est la politique de la firme dans ce domaine ?
b) La tension des salaires est-elle trop grande ? Comment peut-elle être réduite?
c) Quelles sont les anomalies dans le système derémunération ? Comment peut-on les évaluer?
d) Les rémunérations sont-elles liées à un quelconque niveau aux profits de la firme ? Si oui, à l'aide de quels
critères ?
2. -Négociations salariales
a) Avec quels syndicats la firme négocie-t-elle nationalement ? Quels sont les critères avancés ? Cherchet-elle à
lier l'augmentation des salaires à celle de la productivité {3) ?
b) Localement ? Applique-t-elle le travail aux pièces ? Au rendement ? D'après quelles normes, quel système ? y
a-t-il des primes à la production, par équipe, atelier , département, usine, firme ?
c) Quelle est la fraction des travailleurs qui ne sont pas syndiqués ? y a-t-il des raisons particulières pour cela ?
Comment une unité plus grande peut-elle être atteinte parmi les travailleurs ? Parmi les ouvriers et les employés ?
3. -Embauche et licenciements
a) Les syndicats ont-ils le droit d'être consultés à ce propos ? Comment peut-on modifier la situation ?
b) Quelles sont les garanties, les préavis extra-légaux, etc. ?
c) y a-t-il un closed shop ?
d) En cas d'excès de main-d'reuvre, y a-t-il consultation avec les syndicats ? Idem en cas de réorganisation ?
e) y a-t-il des projets de transfert de main-d'oeuvre à d'autres départements {usines) de la même firme ?
f) Comment peut-on améliorer la situation des travailleurs ?
g) y a-t-il des revendications particulières en matière d'allocations de licenciement ?
4. -Hommes et machines. ...
a) Qui décide sur la tâche que chaque ouvrier {employé) a à accomplir ?
b) y a-t-il à ce propos des consultations d'avance ?
c) Peut-on améliorer à ce propos le contrôle que les ouvriers exercent éventuellement sur 1a distribution des
tâches ?
5. -Durée du travail
a) Quelle est la durée réelle du travail ? Quel est le nombre total des jours payés sans travail ( congés légaux et
extra-légaux, jours fériés légaux et extra-légaux) ?
b) Quelle est l'ampleur des heures supplémentaires ? Peut-on la réduire sans réduire les revenus des travailleurs,
et ce à quelles conditions ?
c) Quelles sont les pauses ? Quels ennuis le travail à pauses cause-t-il aux travailleurs ?
d) Lorsque la production est réduite, y a-t-il eu des expériences de distribution du travail disponible entre toute la
main-d'ceuvre ? Quel a été le résultat de ces expériences ?
6. -Sécurité et santé
a) Garde-t-on des documents sur tous les accidents du travail ?
b) y a-t-il un médecin attaché à l'entreprise en permanence ?
c) Comment fonctionne le Comité de sécurité et d'hygiène ? Comment fonctionne l'inspection du travail ?
d) y a-t-il un système de vérification en matière de sécurité et d'hygiène ?
e) y a-t-il des facilités pour le sport et la récréation ?
f) Comment peut-on améliorer ces facilités, vu ce qui existe dans d'autres firmes ?
g) Quelle est l'attitude de la firme en matière de récréation, de sports, d'activité politique des membres du
personnel, etc. ?
7. -Education et perfectionnement professionnel
a) y a-t~il un système de formation professionnelle des apprentis rattaché à la firme ?
b) Combien de matières de formation (éducation) générale inclut-il ?
c) Y a-t-il des facilités de réadaptation professionnelle rattachées à la firme, dans ta localité où elle est situee, etc. .
d) Des crédits d'heures sont-ils accordés pour perfectionnement professionnel des travailleurs adultes ? Pour les
cours écoriomiqùes des délégués syndicaux ? .Ya-t-il I,In fonds de perfectionnement professionnel ? Quelle est sa
dotation annuelle ?
a: -Chômage et mise à la pension
a) Y a-t-il des indemnités de licenciement, au-delà des dispositions légales ? Des allocations dè pension extralégales ?
b) Comment pourrait-on les améliorer ?
c) Les syndicats {;ontrôlent-ils les licenciements ?
d) Y a-t-il des décisions en matière de réemploi-des travailleurs âgés, accidentés, invalides, etc. pour des tâches
légères ?
(1) Michael Barratt-Brown : « Opening the Books I), The Institute for Workers Control, Nottingham, 91 Goldsmith
Street, 1968.
(2) Nous avons légèrement modifié ce passage, car en Grande-Bretagne, il n'y a pas de dispositions légales en
matière d'éléctions des Conseils d'entreprise, de leurs compétences, etc.
{3) Nous avons également modifié ce passage, car en Grande-Bretagne, les salaires ne sont pas rattachés à
l'index.
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