Le marché politique et l'offre de services publics Le marché politique n'est pas autre chose que le lieu où s'échangent des votes contre des promesses d'interventions publiques. Le Gouvernement n'est pas autre chose qu'un producteur dont la particularité est de produire non pas des biens privatifs, mais des biens collectifs... De la même façon que l'entrepreneur court après le profit, on peut considérer que l'acteur politique est essentiellement motivé par la recherche du pouvoir, c'est-à-dire par la recherche d'un capital électoral suffisant pour accéder et se maintenir à des responsabilités gouvernementales. L'entrepreneur politique se comporte de façon à maximiser ses chances de réélection. Il y réussit en décidant de produire des "biens collectifs" qui ne seront pas nécessairement demandés par toute la population mais au moins par certaines catégories de citoyens qui, en échange, lui apporteront leurs voix. Lepage, Henri (1980), Demain, le libéralisme, Paris, Hachette, coll. ''Pluriel", p. 126-145, extraits La loi de Wagner Constatation générale de l'extension des activités de l'Etat Des comparaisons dans l'histoire (dans le temps) et dans l'espace, comprenant divers pays montrent que chez les peuples civilisés en voie de progrès, peuples dont nous avons seuls à nous occuper ici, un développement régulier de l'activité de l'État et de l'activité publique exercée à côté de l'État par les diverses administrations autonomes. Cela se manifeste au point de vue extensif et intensif : l'État et les dits corps autonomes se chargent de plus en plus d'activités nouvelles et exécutent d'une façon de plus en plus complète et plus parfaite ce qui est l'objet de leurs activités anciennes et nouvelles. Ainsi, un nombre toujours croissant de besoins économiques du peuple, surtout de besoins collectifs, sont satisfaits et le sont de mieux en mieux par l'Etat et ces corps autonomes. Nous en avons la preuve manifeste et mathématique dans l'accroissement des besoins financier de l'État et des communes. L'État particulièrement, conçu comme une économie ayant à pourvoir la population de certains biens, notamment de biens collectifs pour certains besoins, devient par là d'une façon absolue de plus en plusL'État particulièrement, conçu comme une économie ayant à pourvoir la population de certains biens, notamment de biens collectifs pour certains besoins, devient par là d'une façon absolue de plus en plus important pour l'économie nationale et pour les individus. Mais aussi son importance relative s'accroît : c'est à dire qu'une portion relative toujours plus grande et plus importante des besoins collectifs d'un peuple civilisé en progrès se trouvent satisfaits par l'État, et non plus par d'autres économies privées ou collectives, propositions qui ne souffre que quelques exceptions réelles, mais la plupart du temps apparentes seulement, si l'on envisage les autres économies collectives de contrainte (commune, cercle, province) créées par la suite de la décentralisation de l'administration publique et de l'organisation de l'administration autonome. Mais si l'on synthétise l'État et ces économies collectives de contrainte qu complètent son activité, ce qui est nécessaire à diverses fins, il s'ensuit un accroissement de l'activité des économies collectives de contrainte dans leur ensemble ou de l'activité « publique », notamment centrale et communale, aux dépens de l'activité des autres économies collectives et privées. Dans la mesure où le recouvrement des dépenses de l'activité publique s'effectue suivant le principe de l'économie collective, il en résulte aussi un accroissement du caractère communiste de l'économie nationale. Mais bien que ce ne soit pas toujours dans la même mesure et de la même façon, néanmoins la seule entreprise par des administrations publiques de l'activité économique, entraîne avec elle un tel résultat, même si le principe économique privé des rétributions est appliqué absolument ou en partie au recouvrement des frais et au règlement des compensations. L'unité typique de la vie économique, la famille, satisfait ainsi de plus en plus la plus grande partie de ses besoins, non plus suivant le principe économique privé de la compensation spéciale, mais suivant le principe économique collectif plus ou moins communiste de la compensation générale du service rendu et du service reçu en échange. En d'autres termes, une portion plus grande des dépenses du budget familial est attribuée à l'impôt surtout à la commune et à l'État, à des taxes payées à ces organisations et à des cotisations volontaires à des économies collectives libres, à des sociétés etc… Même quand subsiste, comme dans l'emploi du principe des honoraires, le principe de la compensation spéciale, la réglementation des prix s'effectue quand même autrement, suivant des taxes. De même le mode de production déréglé de l'économie privée se règle suivant les besoins évalués par l'autorité, et dans le service public avec son système de traitements, apparaît, en ce qui concerne la répartition des produits entre le sujet juridique et économique et les « forces du travail » (fonctionnaires), un système de taxation sociale des salaires qui remplace la réglementation économique privée des salaires ; toutes ces institutions ont une tendance vers une organisation plutôt socialiste de l'économie nationale, de la production, de la répartition, du recouvrement des frais, tendance qui nous éloigne de l'organisation individualiste de l'économie nationale. On voit encore par là combien insuffisante est l'estimation d'après la valeur échange dans la théorie ordinaire. En beaucoup de cas, en effet, elle n'est pas un phénomène qui se produit toujours nécessairement, mais un phénomène historique, remplacé dans une autre constitution d'économie nationale par l'estimation d'après la valeur d'usage et la valeur de coût : dans quelle mesure ? Seule l'expérience postérieure nous l'apprendra. Mais tout accroissement du système économique collectif, surtout de contrainte, restreint la sphère de l'estimation d'après la valeur d'échange. L'extension de l'activité publique se manifeste, dans les domaines des deux fins d'État, conduisent aussi à un développement toujours plus grand de l'activité de l'État, de la commune, etc…même dans la sphère des besoins matériels et individuels. Les raisons profondes de cette extension de l'activité de l'État et des économies collectives de contrainte ou de l'activité « publique » peuvent en partie se déduire (a priori) de l'essence de l'État et de la commune déterminée par l'expérience chez les peuples en progrès ; on peut en partie les induire des faits particuliers qui mettent en évidence l'extension de cette activité. Leur connaissance nous autorise à parler d'une loi économique) de l'extension croissante de l'activité publique et spécialement de l'État, loi qu'on doit ainsi formuler dans l'économie financière : loi de l'accroissement du besoin financier public dans l'État et les corps administratifs autonomes. Wagner, Adolphe (1912), Les fondements de l'économie politique, (1867), Paris, p. 378 La vérification de l'effet de seuil L'examen du mouvement d'ensemble des dépenses publiques et des recettes fiscales suggère une forte influence des deux guerres mondiales. C'est en vue de tenir compte du rôle de celles-ci, et d'une manière générale des crises nationales majeures qu'a été émise la thèse de "l'effet de déplacement" dans un ouvrage consacré aux dépenses publiques au Royaume-Uni par A.T. Peacock et J. Wiseman (The Growth of Public Expenditure in the United Kingdom) Selon ces auteurs, dans les périodes de calme ou de "non guerre", les attitudes de la population à l'égard de la fiscalité sont susceptibles d'avoir beaucoup plus d'influence sur les décisions relatives au niveau et au taux de croissance de la dépense publique que les conceptions portant directement sur les augmentations souhaitables de la dépense. Il peut ainsi exister un écart persistant entre les conceptions sur les dépenses publiques et celles sur les limites de la fiscalité. Cet écart peut être réduit par l'apparition de crises nationales de grande échelle, telles les guerres. Ces bouleversements peuvent engendrer un "effet de déplacement", haussant le niveau des ressources et des dépenses publiques. Une fois la crise terminée, de nouvelles conceptions sur la charge fiscale tolérable apparaissent, et un nouveau palier de dépense peut être atteint, les dépenses publiques absorbent de nouveau une part sensiblement constante du produit national mais différente de la part observée précédemment au bouleversement. (…) Cette thèse peut être résumée ainsi. Le rapport des dépenses publiques G au produit national Y augmenterait par à-coups, des sauts (coïncidant avec les périodes de crise) entrecouperaient des paliers, des périodes deCette thèse peut être résumée ainsi. Le rapport des dépenses publiques G au produit national Y augmenterait par à-coups, des sauts (coïncidant avec les périodes de crise) entrecouperaient des paliers, des périodes de relative stabilité au cours desquelles le rapport G/Y varierait peu. Il en irait ainsi parce que : La demande de financement public de services dits collectifs serait toujours supérieure aux possibilités fiscales ou parafiscales de financement Il existerait une pression fiscale maximum acceptée par la population dont le niveau varierait très peu, sauf en période de guerre ou de crise économique profonde après laquelle le niveau nouvellement atteint serait accepté, mais demeurerait sensiblement inchangé jusqu'à la crise suivante. (…) En toute rigueur, si on laisse da côté l'effet de révélation, la test de l'hypothèse exige une analyse empirique de la charge fiscale, de la stabilité du rapport G/Y et des sauts fondée sur une spécification théorique précise. Hélas, celle-ci fait défaut et se trouve à 1a source de la majeure partie des divergences d'interprétation. (…) Que peut-on dire de la charge fiscale maximum tolérable ? Il faut bien reconnaître qu'il n'est pas facile de savoir dans quelle mesure elle a été maximum, sans théorie sur le comportement des contribuables et sans référence à la répartition de la charge entre contribuables. Simplement, une approximation de la charge fiscale est fournie par le rapport des prélèvements à caractère fiscal T à la production intérieure brute Y (figure). L'évolution du rapport T/Y marque effectivement une rupture d'une sous-période à l'autre . le niveau minimum d'une sous-période donnée est toujours supérieur au niveau maximum de la période précédente. Nous avons vu que ce mouvement recouvre une modification de la composition du prélèvement fiscal caractérisée par l'affaiblissement de la place de l'Etat ainsi que la baisse relative de la charge fiscale de l'Etat depuis 1965. En conséquence le niveau de l'ensemble des ressources publiques s'est-il trouvé sous contrainte des ressources fiscales ? La réponse n'est pas évidente pour les ressources fiscales affectées à la fourniture d'un service, comme les cotisations de sécurité sociale. La contrainte a sans doute joué pour les collectivités locales, en temps de paix, du fait de la tutelle exercée par l'Etat et de leurs possibilités d'emprunt réglementées. Quant à l'Etat, l'équilibre budgétaire toujours recherché n'a été atteint qu'épisodiquement depuis la première guerre mondiale. L'insuffisance des ressources budgétaires prévues et effectives par rapport aux dépenses a atteint des niveaux records entre 1920 et 1926, dans les années précédant la seconde guerre et jusqu'à la fin des années cinquante. En fait la capacité d'équilibrage, c'est-à-dire d'ajustement des dépenses aux ressources n'est apparue qu'avec des gouvernements forts : le gouvernement Poincaré en 1926-1929, le Gouvernement gaulliste à partir de 1958. Au cours des autres années depuis la première guerre mondiale, l'instabilité politique et les troubles divers qu'à connu le pays conduisent en vérité à admettre que le niveau des ressources fiscales n'a exercé qu'une contrainte très incertaine sur les dépenses de l'Etat. D'un autre côté, la thèse de la constance ou tout au moins de la relative stabilité du rapport G/Y dans les périodes non troublées apparaît très fragile dans le cas français ainsi que le suggère fortement l'examen des données présenté plus haut. La méthode de vérification En vue de tester un effet de seuil, nous avons retenu plusieurs séries de dépenses - les dépenses de l'Etat ; de l'Etat et des collectivités locales ; de l'Etat, des collectivités locales, et de la sécurité sociale - ces mêmes séries sans les dépenses liées à la guerre - ces mêmes séries sans les dépenses liées à la guerre ni la défense. Les sous-périodes considérées sont séparées par les guerres. Elles couvrent les périodes 1872-1912, 1920-1938, 1947-1971. De plus, comme l'évolution des dépenses subit des modifications sérieuses en 1930, et que le rythme de la croissance des dépenses change vers 1956 si l'on considère la période récente, nous avons aussi fait un test d'effet de seuil pour 1947-57 par rapport à 1929-38, pour 1947-71 par rapport à 1929-36, et 1947-57 par rapport à 1920-38. Les régressions utilisées sont de la forme : log N = a log N + b,. où G représente les dépenses à prix constants, Y représente la production intérieure brute à prix constants, N représente la population. Soit : y = a 1 x + b 1 la régression pour la période antérieure à la crise y = a x + b celle pour la période postérieure à la crisey = a x + b celle pour la période postérieure à la crise Le test de présence d'effet de seuil consiste à évaluer la probabilité que la valeur des dépenses après la crise, calculée par le deuxième ajustement, appartienne au prolongement du premier ajustement. Les résultats observés 1- On observe donc un saut après la première guerre mondiale pour toutes les séries de dépenses lorsque ne sont pas ôtées les dépenses liées à la guerre. Si l'on retranche ces dépenses, alors la présence d'un saut est infirme par le test ; ceci s'explique par le volume très important de ce type de dépenses (en particulier des intérêts de la dette) durant l'entre-deux-guerres par rapport à l'avant guerre. 2- Après la seconde guerre mondiale, la présence d'un saut est confirmée pour toutes les séries si les périodes de référence sont 1920-38 et 1947-71. Lorsque des périodes plus courtes (1929-38 ou 1947-57) sont prises en compte, les résultats sont moins systématiques. On constate cependant un saut pour toutes les séries relatives aux dépenses. de l'État, ou de 1'Etat, des collectivités locales, et de la sécurité sociale. Les séries où interviennent les dépenses de l'État et des collectivités locales ne présentent pas de seuil, la part des dépenses des collectivités locales s'étant fortement réduite durant la guerre au profit de l'État, et ne se développant qu'en période de paix. Mais à nouveau lorsqu'on ajoute la sécurité sociale, son. expansion est telle après 1947 qu'elle compense la diminution due aux collectivités locales et qu'un saut apparaît. Ces résultats sont fortement atténués par le fait que les coefficients des régressions effectuées pour 1920-33 sont rarement significatifs, et l'ajustement des dépenses à la production intérieure brute (PIB) n'est pas toujours possible sous cette forme : l'évolution des dépenses n'est pas régulière entre les guerres. Par contre en prenant comme référence, pour le seuil dû à la seconde guerre, 1929-38, période postérieure à la crise, les régressions effectuées sont meilleures car l'évolution est plus régulière, et le test confirme la présence d'un saut pour toutes les séries relatives à l'Etat, et à l'Etat avec les collectivités locales et la sécurité sociale. En conclusion, on constate la présence d'un saut après les guerres pour les dépenses de l'Etat, et pour les dépenses de toutes les administrations (État+collectivités locales + sécurité Sociale] ; la notion de saut ne prend son sens que par référence à des périodes encadrant les guerres pour lesquelles le mouvement des dépenses par rapport à la production intérieure brute est régulier, ce qui n'est vérifié que pour des périodes assez courtes, de quelques années. A plus long terme, en temps de paix, on constate en effet que le rapport des dépenses à la PIB connaît des évolutions différentes. André, Christine et Delorme, Robert, (1972), L'évolution des dépenses publiques en longue période et le rôle de l'Etat en France (1872-1971), Paris, CEPREMAP, p. 25-31 Les causes de la croissance des dépenses publiques Documents associés - Données statistiques Dépenses publiques de l'Etat par domaine (1872-1970) André Christine et Delorme Robert, (1983), L'Etat et l'économie, Paris, Seuil