24
VSÉVOLOD MEYERHOLD
BAISSER DE RIDEAU
25
Hier à la réunion des gens de théâtre Ys. Meyerhold a pronon
un grand discours. En fait, il s'agit d'une reprise de l'expo de
Leningrad qui était une attaque des animateurs des autres théâtres
et non une véritable autocritiques.
Pour la première fois son ancien ami Kerjentsev lui-même traite
Meyerhold sans ménagement:
Il a conduit son théâtre dans une impasse ... Il a été incapable de
produire la moindre autocritique ... Il n'a pas le courage de
condamner ses erreurs ... Finalement il a chassé la dramaturgie
soviétique du répertoire de son théâtre
9
Tous les thèmes que celui-ci utilisera, un an plus tard, pour bri-
ser les reins de Meyerhold sont déjà réunis. Le dernier reproche est
aussi le plus perfide; il sera repris inlassablement à partir de ce
moment-là jusqu'à l'hallali final. Ce Meyerhold qui se prétendait le
chef de l'Octobre théâtral, c'est-à-dire une sorte de Lénine du
théâtre, est en réalité complètement dépassé par les événements
que vit le pays.
Ses dernières créations sont bien éloignées des réalités de
l'époque:
la Dame aux camélias,
avec ses accents nostalgiques,
la
Dame de pique,
dont il a sit l'action au début du
XIXe
siècle, et
enfin un jeu théâtral regroupant sous le nom de
Trente- Trois Éva-
nouissements
trois comédies en un acte de Tchekhov. Sont-ce des
œuvres soviétiques?
Le metteur en scène pond qu'il ne demande pas mieux que de
partager l'élan révolutionnaire, mais qu'il n'a pas de bonnes pièces
à sa disposition. Aucun des dramaturges encensés par la critique ne
lui paraît authentiquement révolutionnaire. Kirchon, Afinoguénov,
Pogodine, Virta, autant d'écrivains de circonstance dont l'œuvre est
viciée à la base et ne peut servir de tremplin ni à l'imagination de
l'homme de théâtre ni à la dynamisation du public ..
Les deux thèmes d'actualité à l'ordre du jour sont l'industriali-
sation et la collectivisation. Les pièces de Pogodine, consacrées à
la vie industrielle, comme
le Poème de la hache
ou
le Rythme,
sont
des exercices popularisant les mots d'ordre de la propagande avec
un art de la communication qui peut faire illusion. Meyerhold en
souligne la «médiocrité
10
».
Quand au thème rural, il est l'apanage
de Nikolaï Virta dont la pièce
la Terre
va bicnl(')j {;ll'e jouée par le
Théâtre artistique de Moscou.
Meyerhold s'explique malgré 10111
plll~
l'II
d,~11I1I Hill'
œUl.: queslion l.:sscnlÏl.::le.
JI
s\:st brollil IIVI'I' phudtlllll'l
dl'J1111111I1rgl.:s
:'1
cause de sa méthode de travail qui consiste à se servir du texte
comme d'un canevas sur lequel il brode sans scrupule. Il essaie
gauchement de se justifier:
Dans mon théâtre on travaille beaucoup avec les auteurs. Il est
vrai que Vichnievski s'est enfui, que Selvinski s'est brouillé avec
moi, parce qu'il n'a pas apprécié la manière dont j'ai remanié sa
pièce; quant à Bezymenski il travaille lentement, ou bien il cherche
un autre théâtre que le mien
11.
Et il conclut son autocritique en expliquant que, depuis lors (le
début des années trente), il est toujours à la recherche. d'un auteur
dramatique avec lequel il y aurait entente réciproque. Ce qu'il
attend d'un texte de théâtre, c'est de fournir au moins une ou deux
scènes particulièrement convaincantes dans lesquelles se cristallise
un moment exceptionnel de communion entre l'acteur et le
spectateur. Ces instants de révélation sont aussi des actes
politiques, puisqu'il s'agit d'éveiller la conscience du public.
Mais en
1936,
on fait sèchement comprendre à Meyerhold que
son temps est passé. Alors qu'en
1923,
pour la célébration de ses
vingt-cinq ans de carrière, il avait été l'un des rares hommes de
théâtre à avoir été honoré du titre d'Artiste du peuple de la Répu-
blique de Russie, la promotion de
1936,
qui consacre les Artistes
du peuple de l'URSS, l'ignore.
Meyerhold accuse le coup.
Sa troupe adresse à Kerjentsev une lettre collective au contenu
pathétique, qui nonce l'étouffement progressif dont est l'objet le
Théâtre national Meyerhold depuis déjà deux ou trois ans.
Depuis l'automne
1932
celui-ci fonctionne à titre provisoire dans
la salle du Passage de la rue Tverskaïa
*,
située en plein centre de
Moscou, non loin du Théâtre artistique, mais dont les dimensions
réduites ne permettent plus les effets monumentaux. Les soixante-
dix élèves de l'école du théâtre Meyerhold ont s'installer dans
un quartier éloigné, ce qui complique leur participation aux
spectacles comme figurants.
Espérant que le nouveau responsable des Affaires artistiques
sera plus attentif que son prédécesseur, les auteurs de la lettre
adressée à Kerjentsev rappellent que depuis quelques années les
autorités semblent fTappées d'amnésie à propos de ce théâtre:
contrairement aux habitudes on n'a célébofficiellement ni les dix
ans (le 7 novembre
1930),
IIi I(;s qllin;r,e ans de sa création
1\
1\('1\11,11('111('111 1 1
u(1\
1
n:
1\IIIIIIIClV",
42
VSÉVOLOD MEYERHOLD
BAISSER DE RIDEAU
43
Les chiens sont lâchés. Meyerhold est coupable des deux crimes qui
valent la condamnation
à
mort: menchevisme et trotskisme. Il s'agit
évidemment de calomnies pures. Dans la version de
Mystère bouffe
montée en 1921 un personnage de menchevik a bien été introduit par
Maïakovski, mais il est odieux et ridicule.
Quant
à
Trotski, Meyerhold s'était adressé
à
lui pour lui emprunter
des véhicules militaires du temps il était commissaire du peuple
à
la
Guerre. Mais depuis, Staline avait exercé son ire implacable contre
Trotski et les trotskistes. Les procès de 1936 et de 1937 avaient eu pour
cible principale le trotskisme. Le destin de Meyerhold est scellé.
En dix-sept ans vingt-trois pièces ont été proposées au public par ce
théâtre. Le répertoire est toujours, pour un théâtre, le révélateur essentiel
de son visage politique. Quel est donc le visage politique du théâtre de
Meyerhold, quelles sont les pièces qui ont été montées sur cette scène?
Le théâtre s'est surtout intéressé au répertoire des classiques du
passé. Mais ces pièces ont été représentées en s'aidant du miroir défor-
mant du formalisme. Au lieu d'attirer l'attention sur le côté idéologique
des œuvres classiques, V. Meyerhold s'est totalement consacré à leur
aspect extérieur: interprétation sophistiquée du texte, élucubrations
artificielles, jeux de scène abracadabrants, goût de l'épate et autres
procédés frelatés.
Le Révizor
n'a pas été interprété dans le style réaliste,
mais en s'inspirant de l'interprétation mystique donnée dans son livre
Gogol et le diable
par l'émigré blanc Mérejkovski. Victime de l'esprit
d'épate,
Malheur
à
l'esprit
a perdu toute sa charge politique dirigée
contre le régime bureaucratique tsariste. Les vaudevilles simples et
clairs de Tchekhov, le grand auteur réaliste du théâtre russe, ont été
transformés en
Trente-Trois Évanouissements,
c'est-à-dire en une œuvre
d'où, sous l'effet d'acrobaties et d'artifices, disparaît le beau texte de
Tchekhov.
Ici sont repris les reproches qui ont été faits par les divers critiques
dits marxistes : déformation intolérable des œuvres classiques, absence
de dénonciation des rapports de classe. Mérejkovski est, certes, l'auteur
d'une étude intéressante qui met en relief l'aspect diabolique de l'œuvre
de Gogol. Mais Meyerhold s'en est-il inspiré? Il suffit d'associer
Meyerhold
à
l'œuvre d'un émigré qui, de surcroît, continue de son exil
à
combattre le régime soviétique pour le couvrir d'opprobre.
La situation est bien plus grave pOlir les pièces des dramaturges
soviétiques. Non sculemcnt
Hlll'llIll.:
dc
Ct'l4
plt'ces
nI.:
s'est m,tÏnlcnllC
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réJ1l:rloirc
dlllh6!111'<,.·,
1111Ii/1 1'0111'111
1'1111""
1
(·II(':'III'Onl
pHS
Glé
IIHII!-
es dans d'autres théâtres soviétiques. En d'autres termes le travail que
V. Meyerhold a consacré aux dramaturges soviétiques est resté stérile [
... ]. Ainsi il apparaît clairement que Meyerhold ne peut pas (et sans
doute ne veut pas) comprendre la réalité soviétique, est incapable de
refléter les problèmes qui préoccupent tous les citoyens soviétiques et
de marcher d'un même pas avec tous les artistes soviétiques. En réponse
aux reproches qui lui sont faits sur l'absence de répertoire soviétique
dans son théâtre, V. Meyerhold répond une année après l'autre qu'il n'y
a pas de pièce satisfaisante, mais aussi qu'il n'a pas de lieu théâtral
adéquat [ ... ]. Son théâtre a fait très consciencieusement la peinture de
ce monstrueux personnage qu'est le «petit-bourgeois», sans être capable
de procéder à une analyse sociale de ce type de personnage et sans avoir
la volonté de le faire.
Ce personnage du «petit-bourgeois» dont on reproche
à
Meyerhold
de s'enticher, c'est l'homme de la rue essayant de se tirer des embûches
que lui tend une société de plus en plus tentaculaire. Mais n'est-ce pas
aussi le fonctionnaire au tempérament «petitbourgeois»,
à
l'encontre
duquel s'exerce la satire des pièces comiques du théâtre Meyerhold?
Dans plusieurs pièces montées dans ce théâtre, la réalité soViétique
a été présentée sous une forme grossièrement caricaturale, baignant
dans une atmosphère de persiflage et d'opposition. La pièce
Une fenêtre
sur la campagne
était une caricature de la campagne soviétique [ ... ]. On
s'attendrissait dans cette pièce face aux vestiges d'un lourd passé
(l'absence de culture) et on ignorait le rôle dirigeant du parti et la lutte
de la campagne contre les koulaks. La pièce
le Second Commandant
d'armée
a montré de manière monstrueusement caricaturale les
combattants de notre Armée rouge [ ... ] laissés sans directives ni du
parti ni de la hiérarchie militaire. LÉtat-major y était dépeint sur un Ion
de persiflage calomniateur. La pièce
le Coup de feu
de Bézymenski était
pénétrée d'une conception trotskiste. La cellule du parti y était montrée
comme un organisme bur~aucratique, composé de petitsbourgeois
bornés.
Pendant plusieurs années V. Meyerhold s'est battu avec entêtement
pour obtenir l'autorisation de monter cette calomnie abjecte contre la
famille soviétique qu'est la pièce
Je veux un enfant
de l'ennemi du
pcuple Trétiakov
23
ou la pièce
le Suicidé
d'Erdman l'on défend le
droit des petits-bourgeois à l'existence et qui constitue une protestaI ion
contre la dictature du prolétariat [ ... ].
En somme les choix de Meyerhold en matière de théâtre
clllllcillpondil s01l1 1.:111 il:,n;lllclll errll1l6s. Les mltarités
ont
cu
la
CIII\PITRE Il
.N'aissance d'un homme de théâtre
C'est l'image du spectateur et non l'image
de la vie que reflète l'art. Oscar Wilde
1.
Les origines
En mars 1896 à Moscou, un jeune étudiant en droit est admis
fI
1'6cole d'art dramatique de la Société philharmonique. Sa réci
1111
ion
du monologue d'Othello devant le sénat a tellement frappé
hljmy
qu'il ac~ède directement à la deuxième année. Il y rejoint
1111
belle-
sœur Ekatérina Munt pour laquelle il éprouve un tendre lil~ntiment.
Les études d'art dramatique de cette école privée, larHl;ment
subventionnée par des mécènes, durent trois ans. L'enlil;ignement
est pragmatique: les élèves travaillent divers extraits (le pièces au
cours de l'année, et, à la fin de celle-ci, ils doivent .Iollcr des
spectacles complets, tradition qui s'est conservée jus
q!l'à
nos jours.
Mais cette école innove. Elle accorde une importance particulière
à la formation culturelle des futurs acteurs, négligée jusque
Ii\.
À
côté
des cours techniques de diction et de déclamation, ils twnt initiés à
1'« histoire du théâtre et des écoles théâtrales
».
Le personnage le
plus influent de cette institution est l'écrivain, draIIlaturge et critique
Alexandre Némirovitch-Dantchenko qui veut 1\ )l'mer des acteurs
cultivés. en Géorgie, son père était en Harr1Ïson, il s'est lié
d'amitié avec le futur acteur Alexandre Soum1 mtov qui, sous le
pseudonyme de Ioujine, c'est-à-dire «l'Homme
d!l
Sud
»,
sera une
des vedettes du théâtre Maly. Les premières comédies du
dramaturge Némirovitch datent de 1882 :
l'Églantier
d
les
Américains.
En 1896, il obtient le prix Griboïédov pour son drame
le
Prix de la vie,
distinction qu'il refuse car il estime que c'est ~ Anton
Tchekhov qu'elle devrait revenir. Il admire
la Mouette,
qui vicnt
d'être créée à Saint-Pétersbourg, malheureusement sans que ks
acteurs en comprennent la valeur novatrice.
60
VSÉVOLOD MEYERHOLD
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
61
:rattitude de Némirovitch est d'autant plus remarquable que le
génie de Tchekhov n'a été reconnu que tardivement. Meyerhold
rappellera avec humour quels étaient les écrivains reconnus dans sa
jeunesse :
Croirez-vous qu'on considérait alors un Boborykine comme plus
important que Balzac, qui de son côté était mis au même rang que
Paul de Kock. On plaçait Spielhagen au-dessus de Stendhal, on
engageait Tchekhov à prendre des leçons auprès d'un Scheller-
Mikhaïlov et, jusqu sa mort, qui a été un choc pour la Russie
cultivée, l'opinion générale était qu'il était du niveau de Potapenko
1.
Avec son sens du théâtre, Némirovitch s'efforce de donner à ses
élèves une méthode de travail, combinant la psychologie, l'analyse
des personnages et surtout l'approche littéraire de l'œuvre
dramatique. Il affirme que l'acteur doit comprendre la vie et non se
contenter d'emprunter, comme on le faisait couramment, les
techniques de jeu transmises par les vedettes. Ces préceptes qui
semblent aller de soi paraissaient novateurs en cette fin de siècle.
Mais quel est ce nouvel élève admis si brillamment à l'école d'art
dramatique? Ce n'est plus un adolescent, il a vingt-deux ans et
possède déjà une expérience théâtrale acquise dans le cadre du
théâtre amateur.
Il est le
10
février
1874*
à Penza, chef-lieu de «gouverne-
ment» situé au sud-est de Moscou. Par un phénomène qui n'a rien
d'étonnant dans cet immense empire tsariste cohabitent les
peuples les plus divers, il fait partie d'une famille de nationalité
allemande. On parle allemand à la maison, et son père, Emil
Meyergold, riche propriétaire foncier, fabricant et commerçanl de
liqueurs et notamment de vodka, est un émigré de fraîche datc qui
parle le russe avec un fort accent germanique. Sa mère, Alvina
Neeze, est quant à elle une Allemande de la Baltique tout à fail
russifiée. Notre héros est le huitième enfant de cette grande famille.
Il sera baptisé dans la confession luthérienne, celle de sa mère, avec
les prénoms de Karl, Theodor et Kasimir.
Le père est un personnage haut en couleur qui règne en despote
sur les siens, tout en entretenant une seconde famille qui
*Le calendrier utilisé en Russie jusqu'en mars 1918 est en retard de douze jours au
XIXe siècle et de treize jours au xxe par rapport au calendrier gr6gc
1
rien adopté en
Occident. Les dnles données dans le texte sont, autant que possible, celles du calendrier
gn'.gorien, ou «nouveau style» (n.s.), les dales dll calendrier julien relevant de l'" (Ilicien
slyle» (a.s.). (Pour \'61al civil Meyerhold ('sl né le 30 Janvier [a.s.], ce
(II
il "OITCSpOIl(
11111
10 février [n.s.I.)
compte deux enfants. Meyerhold joue souvent avec son demifrère
Boris et sa demi-sœur Lidia, qui ont à peu près le même âge que lui.
Sa re, au tempérament maladif, reporte ~ur ses enf~n!s son
affection frustrée. Elle veloppe en eux le gout de la poeSIe et de
la musique, notamment chez les deux plus jeunes, Fiodor ~t Karl.
Ce dernier apprend le piano dès son plus jeune âge et contlnuera
lorsqu'il sera au gymnase (l'école secondaire). Il p::endra ensuite
des cours de violon et continuera à jouer de cet Instrument tout au
long de sa vie.
Membre de la guilde des marchands, Emil Meyergold a sa lo,ge
DU
théâtre local. On invite à la maison les acteurs en tournee. Ainsi
Vassili Dalmatov, un des grands noms du théâtre ~~xandra
de
Saint-Pétersbourg, que Meyerhold retrouvera lorsqu rI y sera
î'lommé metteur en scène en
1908,
laisse à son père une photo
dédicacée.
À
la maison on organise des soirées musicales et dan-
santes.
Emil Meyergold est le modèle même de ~es «marc~ands»
fusses, excessifs dans leur comportement, qUI adorent farre des
Ii'asques dans un bon pays bourgeois comme la France. Il rend
régulièrement visite à sa tante qui vit à Paris, et de là il gagne
Monte-Carlo où il dilapide sa fortune.
Le jeune Karl entre au gymnase à dix ans : les études secondaires
en Russie durent sept ans, mais bien vite cet enseignement
lui
pèse
au point qu'il devra redoubler plusieurs classes. Il n'obtiendra son
certificat de fin d'études qu'en
1895,
à l'âge de vingt et
Ull
ans! . ,
Entre-temps son père est mort, ce père avec lequel rI ne s en-
tendait pas, et la maison Meyergold, reprise p.ar Alfred" le frère
ntné,
est mise en faillite. Dans un 'pay~ sO,umls au sY,sterr:e des
Costes, Karl a perdu tout statut social: Il n est plus qu un SImple
Il'chtchanine
c'est-à-dire un «résidant de la ville de Penza», ce
Gl"j
le situe ,dans la classe des
~<
pe~its-bourge~is ». M~is il ,est
Illoureux d Olga Munt, une amIe d enfance qUI appartIent a la
ohlesse. Les deux demoiselles Munt, Olga et Ekatérina sa sœur,
Olll
des orphelines recueillies par une tante. Elles trouvent chez
."
Meyerhold une deuxième famille.
Au moment de partir pour Moscou où il va entreprendre des '1udcs
dc droit, le jeune Karl Meyergold se fiance avec Olga et se t)lIvcltit
à l'orthodoxie. Par cette démarche il affirme son attah<.'IIH.:nt à la
Russic comme patrie, rompant tout lien avec l'AlletI~IIC; en ontre,
devenu russc, il peut s'inscrire sans difficultés l'illIivCl'silé. SOli
nom cst russifié Cil Meyerhold, et son prénom d
1
rOl\Il (: COIII l'l:
ccilli dl) Vsévnlnd,
CI;
prénom
à
cons?nanc?
ol'nlldll·IIIl'IIIIiIIlVC l"sln'Illi dl" \'~l"rivlIllI Vsl"volnd
,,111'1"111111"
<jlll,
62
VSÉVOLOD MEYERHOLD
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
63
précurseur de Tchekhov, a mis fin
à
ses jours dans un accès de
mélancolie, ce qui en fait un héros adulé par la jeunesse.
Son ami Rémizov, en relégation
à
Penza, le caractérise ainsi:
I:année il s'est marié et il est passé de Karl à Vsévolod, il
est passé également du luthéranisme à l'orthodoxie ... Olga
Mikhaïlovna Munt, la femme de Meyerhold, est la nièce de
Pantchoulidzé, le maréchal de la noblesse* de Penza, auteur de
l'Histoire de la Garde
à
cheval.
«La grande bourgeoisie s'est unie à la
féodalité », c'est ainsi que j'ai traduit dans mon langage de l'époque
la liaison Meyerhold-MuntPantchoulidzé ... Quant à moi j'inoculais à
Meyerhold mon «marxisme ». Il écoutait mes raisonnements avec la
même passion que moi je l'écoutais parler de théâtre. Il était très
impressionnable et croyait à tout ce qui était exaltant et
extraordinaire même si c'était irréalisable, tel que mon paradis sur
terre libéré des «exploiteurs»
2.
Dans son journal intime, ce jeune homme
à
la croisée de deux
cultures tentera de définir son identité véritable.
À
uninterlocuteur
qui s'excuse d'avoir violemment critiq devant lui l'empereur
Guillaume, il répond avec fougue:
Que représente Guillaume pour moi? Comment pourrais-je dire
que l'Allemagne est mon pays? C'est ridicule. J'ai dix-neuf ans, voilà
donc dix-neuf ans que je vis au milieu des Russes, que j'ai assimi
les habitudes du peuple russe, que je l'aime: mes éducateurs sont
Gogol, Pouchkine, Lermontov, Tourguéniev, Tolstoï, Dostoïevski et
tous les autres grands poètes et écrivains russes; c'est en russe que je
prie et tout à coup il faudrait que j'appelle l'Allemagne mon pays?
Ne seraitce pas absurde
3
?
Si celui qui s'appelait encore Karl Meyergold était un piètre élève
de l'enseignement secondaire, c'est notamment parce qu'il consacrait
le meilleur de son temps
à
sa passion, le théâtre.
TI
y avait dans la
ville de Penza un théâtre lopour la saison de septembre au Mardi
gras.
Les théâtres impériaux des capitales faisaient relâche pendant le
grand carême, les cinquante jours précédant Pâques. Aussi de
nombreux acteurs partaient-ils en tournée en province les troupes
locales leur cédaient la place
à
partir du Mardi gras, ou bien leur
servaient de faire-valoir s'ils venaient jouer en solistes. En
1891
c'est
le grand acteur Nikolaï Rossov qui vient
à
Penza où
1
joue Tchatski
(le Malheur d'avoir de l'esprit),
Hamlet et Otheno.
*
Président de l'assemblée des
lIohll'/I,
L __
C'est ce même Rossov qui, on l'a vu, viendra lui manifester sa
sympathie près de cinquante ans plus tard.
Arri
à
l'âge de l'adolescence, Karl se lance dans l'aventure du
théâtre amateur. Le
14
vrier
1892
(il a dix-huit ans), «avec l'au-
torisation des autorités», est donnée dans une maison privée une
représentation du
Malheur d'avoir de l'esprit
par des «amateurs d'art
dramatique
».
Fiodor joue le rôle principal, celui de Tchatski, tandis
que Karl joue celui de pétilov, un fâcheux. Il est en même temps l'
{( assistandu metteur en scène. Olga, sa fiancée, joue le rôle de
Sofia, la coquette dont est épris Tchatski, tandis que le rôle de Lisa,
la soubrette, est joué par sa ur Ékatérina. Cinq jours après on
apprend la mort d'Emil Meyergold {( après une longue et
douloureuse maladie», ce qui apparemment n'a pas empêcson fils
de jouer la comédie. Entre le théâtre et la vie, celui-ci a très tôt fait
son choix.
Dans son journal intime, on lit ceci : {( Je sais que je peux devenir
un bon acteur.. , C'est mon ve le plus cher: j'y pense peutC!tre
depuis l'âge de cinq ans, Je voudrais monter sur scène ... mais, bien
sûr, jamais en province
4
Et pourtant la province à cette époque ne le cédait en rien aux
capitales sur le plan du développement culturel. Penza était une ville
très animée avec une population bigarrée les ouvriers russes se
mêlaient aux paysans et paysannes mordves. Tous les lins sur la
place du Marché s'installait la foire avec ses tentes et ses baraques de
montreurs d'animaux, ses manèges et ses loteries, S'y pressaient des
soldats, des paysans, des artisans, des jeunes femmes des faubourgs,
des mendiants. Meyerhold se souviendra loute sa vie des
bonimenteurs perchés sur des estrades d'où ils lapent sur les
tambours et font tinter grelots et timbales, des downs rivalisant de
bouffonnerie, des mannequins géants reprétlentant quelque fable
touchante, des Chinois jonglant avec des couteaux, des diseurs de
bonne aventure armés de leur orgue de Barbarie sur lequel perchait
un perroquet, du Kalmouk muet montreur de serpent et des commis
de magasins s'amusant
à
couri r sur des échasses!
La jeune Russie se formait dans ces lieux reculés désenclavés
depuis l'apparition du chemin de fer. Et surtout, les précautions de la
police qui chassait des capitales les esprits forts en les
exi
III
nt en
province contribuaient à diffuser un peu partout les idées nouvelles.
Kossovski, le professeur de piano de Meyerhold, est un Polonais
exilé
à
la suite dll sOlllèv(.;!11ent de 1863, témoin des Injllstices
d
dcs violcnces dc l'ElIlpÎI'C l'lisse. Le jeune Moscovite
i\ll'xl'Y
RélltÏZ()V, assi/',lIé
:1
1'(o:-1i(kIH'l'
j)
1'1'1lZ:1
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