24 - Fi-Théâtre

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VSÉVOLOD MEYERHOLD
Hier à la réunion des gens de théâtre Ys. Meyerhold a prononcé
un grand discours. En fait, il s'agit d'une reprise de l'exposé de
Leningrad qui était une attaque des animateurs des autres théâtres
et non une véritable autocritiques.
Pour la première fois son ancien ami Kerjentsev lui-même traite
Meyerhold sans ménagement:
Il a conduit son théâtre dans une impasse ... Il a été incapable de
produire la moindre autocritique ... Il n'a pas le courage de
condamner ses erreurs ... Finalement il a chassé la dramaturgie
soviétique du répertoire de son théâtre9•
Tous les thèmes que celui-ci utilisera, un an plus tard, pour briser les reins de Meyerhold sont déjà réunis. Le dernier reproche est
aussi le plus perfide; il sera repris inlassablement à partir de ce
moment-là jusqu'à l'hallali final. Ce Meyerhold qui se prétendait le
chef de l'Octobre théâtral, c'est-à-dire une sorte de Lénine du
théâtre, est en réalité complètement dépassé par les événements
que vit le pays.
Ses dernières créations sont bien éloignées des réalités de
l'époque: la Dame aux camélias, avec ses accents nostalgiques, la
Dame de pique, dont il a situé l'action au début du XIXe siècle, et
enfin un jeu théâtral regroupant sous le nom de Trente- Trois Évanouissements trois comédies en un acte de Tchekhov. Sont-ce là des
œuvres soviétiques?
Le metteur en scène répond qu'il ne demande pas mieux que de
partager l'élan révolutionnaire, mais qu'il n'a pas de bonnes pièces
à sa disposition. Aucun des dramaturges encensés par la critique ne
lui paraît authentiquement révolutionnaire. Kirchon, Afinoguénov,
Pogodine, Virta, autant d'écrivains de circonstance dont l'œuvre est
viciée à la base et ne peut servir de tremplin ni à l'imagination de
l'homme de théâtre ni à la dynamisation du public ..
Les deux thèmes d'actualité à l'ordre du jour sont l'industrialisation et la collectivisation. Les pièces de Pogodine, consacrées à
la vie industrielle, comme le Poème de la hache ou le Rythme, sont
des exercices popularisant les mots d'ordre de la propagande avec
un art de la communication qui peut faire illusion. Meyerhold en
souligne la «médiocrité 10 ». Quand au thème rural, il est l'apanage
de Nikolaï Virta dont la pièce la Terre va bicnl(')j {;ll'e jouée par le
Théâtre artistique de Moscou.
Meyerhold s'explique malgré 10111 plll~ l'II d,~11I1I Hill'
œUl.: queslion l.:sscnlÏl.::le. JI s\:st brollillé IIVI'I' phudtlllll'l
dl'J1111111I1rgl.:s :'1
BAISSER DE RIDEAU
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cause de sa méthode de travail qui consiste à se servir du texte
comme d'un canevas sur lequel il brode sans scrupule. Il essaie
gauchement de se justifier:
Dans mon théâtre on travaille beaucoup avec les auteurs. Il est
vrai que Vichnievski s'est enfui, que Selvinski s'est brouillé avec
moi, parce qu'il n'a pas apprécié la manière dont j'ai remanié sa
pièce; quant à Bezymenski il travaille lentement, ou bien il cherche
un autre théâtre que le mien 11.
Et il conclut son autocritique en expliquant que, depuis lors (le
début des années trente), il est toujours à la recherche. d'un auteur
dramatique avec lequel il y aurait entente réciproque. Ce qu'il
attend d'un texte de théâtre, c'est de fournir au moins une ou deux
scènes particulièrement convaincantes dans lesquelles se cristallise
un moment exceptionnel de communion entre l'acteur et le
spectateur. Ces instants de révélation sont aussi des actes
politiques, puisqu'il s'agit d'éveiller la conscience du public.
Mais en 1936, on fait sèchement comprendre à Meyerhold que
son temps est passé. Alors qu'en 1923, pour la célébration de ses
vingt-cinq ans de carrière, il avait été l'un des rares hommes de
théâtre à avoir été honoré du titre d'Artiste du peuple de la République de Russie, la promotion de 1936, qui consacre les Artistes
du peuple de l'URSS, l'ignore.
Meyerhold accuse le coup.
Sa troupe adresse à Kerjentsev une lettre collective au contenu
pathétique, qui dénonce l'étouffement progressif dont est l'objet le
Théâtre national Meyerhold depuis déjà deux ou trois ans.
Depuis l'automne 1932 celui-ci fonctionne à titre provisoire dans
la salle du Passage de la rue Tverskaïa *, située en plein centre de
Moscou, non loin du Théâtre artistique, mais dont les dimensions
réduites ne permettent plus les effets monumentaux. Les soixantedix élèves de l'école du théâtre Meyerhold ont dû s'installer dans
un quartier éloigné, ce qui complique leur participation aux
spectacles comme figurants.
Espérant que le nouveau responsable des Affaires artistiques
sera plus attentif que son prédécesseur, les auteurs de la lettre
adressée à Kerjentsev rappellent que depuis quelques années les
autorités semblent fTappées d'amnésie à propos de ce théâtre:
contrairement aux habitudes on n'a célébré officiellement ni les dix
ans (le 7 novembre 1930), IIi I(;s qllin;r,e ans de sa création
1\ 1\('1\11,11('111('111
1 1 u(1\ 1 n: 1\IIIIIIIClV",
42
BAISSER DE RIDEAU
VSÉVOLOD MEYERHOLD
Les chiens sont lâchés. Meyerhold est coupable des deux crimes qui
valent la condamnation à mort: menchevisme et trotskisme. Il s'agit
évidemment de calomnies pures. Dans la version de Mystère bouffe
montée en 1921 un personnage de menchevik a bien été introduit par
Maïakovski, mais il est odieux et ridicule.
Quant à Trotski, Meyerhold s'était adressé à lui pour lui emprunter
des véhicules militaires du temps où il était commissaire du peuple à la
Guerre. Mais depuis, Staline avait exercé son ire implacable contre
Trotski et les trotskistes. Les procès de 1936 et de 1937 avaient eu pour
cible principale le trotskisme. Le destin de Meyerhold est scellé.
En dix-sept ans vingt-trois pièces ont été proposées au public par ce
théâtre. Le répertoire est toujours, pour un théâtre, le révélateur essentiel
de son visage politique. Quel est donc le visage politique du théâtre de
Meyerhold, quelles sont les pièces qui ont été montées sur cette scène?
Le théâtre s'est surtout intéressé au répertoire des classiques du
passé. Mais ces pièces ont été représentées en s'aidant du miroir déformant du formalisme. Au lieu d'attirer l'attention sur le côté idéologique
des œuvres classiques, V. Meyerhold s'est totalement consacré à leur
aspect extérieur: interprétation sophistiquée du texte, élucubrations
artificielles, jeux de scène abracadabrants, goût de l'épate et autres
procédés frelatés. Le Révizor n'a pas été interprété dans le style réaliste,
mais en s'inspirant de l'interprétation mystique donnée dans son livre
Gogol et le diable par l'émigré blanc Mérejkovski. Victime de l'esprit
d'épate, Malheur à l'esprit a perdu toute sa charge politique dirigée
contre le régime bureaucratique tsariste. Les vaudevilles simples et
clairs de Tchekhov, le grand auteur réaliste du théâtre russe, ont été
transformés en Trente-Trois Évanouissements, c'est-à-dire en une œuvre
d'où, sous l'effet d'acrobaties et d'artifices, disparaît le beau texte de
Tchekhov.
Ici sont repris les reproches qui ont été faits par les divers critiques
dits marxistes : déformation intolérable des œuvres classiques, absence
de dénonciation des rapports de classe. Mérejkovski est, certes, l'auteur
d'une étude intéressante qui met en relief l'aspect diabolique de l'œuvre
de Gogol. Mais Meyerhold s'en est-il inspiré? Il suffit d'associer
Meyerhold à l'œuvre d'un émigré qui, de surcroît, continue de son exil à
combattre le régime soviétique pour le couvrir d'opprobre.
La situation est bien plus grave pOlir les pièces des dramaturges
soviétiques. Non sculemcnt Hlll'llIll.: dc Ct'l4 plt'ces nI.: s'est m,tÏnlcnllC ilii
réJ1l:rloirc dlllh6!111'<,.·, 1111Ii/1 1'0111'111 1'1111"" 1 (·II(':'III'Onl
pHS
Glé IIHII!-
43
té es dans d'autres théâtres soviétiques. En d'autres termes le travail que
V. Meyerhold a consacré aux dramaturges soviétiques est resté stérile [
... ]. Ainsi il apparaît clairement que Meyerhold ne peut pas (et sans
doute ne veut pas) comprendre la réalité soviétique, est incapable de
refléter les problèmes qui préoccupent tous les citoyens soviétiques et
de marcher d'un même pas avec tous les artistes soviétiques. En réponse
aux reproches qui lui sont faits sur l'absence de répertoire soviétique
dans son théâtre, V. Meyerhold répond une année après l'autre qu'il n'y
a pas de pièce satisfaisante, mais aussi qu'il n'a pas de lieu théâtral
adéquat [ ... ]. Son théâtre a fait très consciencieusement la peinture de
ce monstrueux personnage qu'est le «petit-bourgeois», sans être capable
de procéder à une analyse sociale de ce type de personnage et sans avoir
la volonté de le faire.
Ce personnage du «petit-bourgeois» dont on reproche à Meyerhold
de s'enticher, c'est l'homme de la rue essayant de se tirer des embûches
que lui tend une société de plus en plus tentaculaire. Mais n'est-ce pas
aussi le fonctionnaire au tempérament «petitbourgeois», à l'encontre
duquel s'exerce la satire des pièces comiques du théâtre Meyerhold?
Dans plusieurs pièces montées dans ce théâtre, la réalité soViétique
a été présentée sous une forme grossièrement caricaturale, baignant
dans une atmosphère de persiflage et d'opposition. La pièce Une fenêtre
sur la campagne était une caricature de la campagne soviétique [ ... ]. On
s'attendrissait dans cette pièce face aux vestiges d'un lourd passé
(l'absence de culture) et on ignorait le rôle dirigeant du parti et la lutte
de la campagne contre les koulaks. La pièce le Second Commandant
d'armée a montré de manière monstrueusement caricaturale les
combattants de notre Armée rouge [ ... ] laissés sans directives ni du
parti ni de la hiérarchie militaire. LÉtat-major y était dépeint sur un Ion
de persiflage calomniateur. La pièce le Coup de feu de Bézymenski était
pénétrée d'une conception trotskiste. La cellule du parti y était montrée
comme un organisme bur~aucratique, composé de petitsbourgeois
bornés.
Pendant plusieurs années V. Meyerhold s'est battu avec entêtement
pour obtenir l'autorisation de monter cette calomnie abjecte contre la
famille soviétique qu'est la pièce Je veux un enfant de l'ennemi du
pcuple Trétiakov23 ou la pièce le Suicidé d'Erdman où l'on défend le
droit des petits-bourgeois à l'existence et qui constitue une protestaI ion
contre la dictature du prolétariat [ ... ].
En somme les choix de Meyerhold en matière de théâtre
ont cu la
clllllcillpondil s01l1 1.:111 il:,n;lllclll errll1l6s. Les mltarités
CIII\PITRE Il
.N'aissance d'un homme de théâtre
C'est l'image du spectateur et non l'image
de la vie que reflète l'art.
Oscar Wilde
1. Les origines
En mars 1896 à Moscou, un jeune étudiant en droit est admis fI
1'6cole d'art dramatique de la Société philharmonique. Sa réci 1111 ion
du monologue d'Othello devant le sénat a tellement frappé hljmy
qu'il ac~ède directement à la deuxième année. Il y rejoint 1111 bellesœur Ekatérina Munt pour laquelle il éprouve un tendre lil~ntiment.
Les études d'art dramatique de cette école privée, larHl;ment
subventionnée par des mécènes, durent trois ans. L'enlil;ignement
est pragmatique: les élèves travaillent divers extraits (le pièces au
cours de l'année, et, à la fin de celle-ci, ils doivent .Iollcr des
spectacles complets, tradition qui s'est conservée jusq!l'à nos jours.
Mais cette école innove. Elle accorde une importance particulière
à la formation culturelle des futurs acteurs, négligée jusqueIi\. À côté
des cours techniques de diction et de déclamation, ils twnt initiés à
1'« histoire du théâtre et des écoles théâtrales ». Le personnage le
plus influent de cette institution est l'écrivain, draIIlaturge et critique
Alexandre Némirovitch-Dantchenko qui veut 1\ )l'mer des acteurs
cultivés. Né en Géorgie, où son père était en Harr1Ïson, il s'est lié
d'amitié avec le futur acteur Alexandre Soum1 mtov qui, sous le
pseudonyme de Ioujine, c'est-à-dire «l'Homme d!l Sud », sera une
des vedettes du théâtre Maly. Les premières comédies du
dramaturge Némirovitch datent de 1882 : l'Églantier d les
Américains. En 1896, il obtient le prix Griboïédov pour son drame le
Prix de la vie, distinction qu'il refuse car il estime que c'est ~ Anton
Tchekhov qu'elle devrait revenir. Il admire la Mouette, qui vicnt
d'être créée à Saint-Pétersbourg, malheureusement sans que ks
acteurs en comprennent la valeur novatrice.
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VSÉVOLOD MEYERHOLD
:rattitude de Némirovitch est d'autant plus remarquable que le
génie de Tchekhov n'a été reconnu que tardivement. Meyerhold
rappellera avec humour quels étaient les écrivains reconnus dans sa
jeunesse :
Croirez-vous qu'on considérait alors un Boborykine comme plus
important que Balzac, qui de son côté était mis au même rang que
Paul de Kock. On plaçait Spielhagen au-dessus de Stendhal, on
engageait Tchekhov à prendre des leçons auprès d'un SchellerMikhaïlov et, jusqu'à sa mort, qui a été un choc pour la Russie
cultivée, l'opinion générale était qu'il était du niveau de Potapenko
1.
Avec son sens du théâtre, Némirovitch s'efforce de donner à ses
élèves une méthode de travail, combinant la psychologie, l'analyse
des personnages et surtout l'approche littéraire de l'œuvre
dramatique. Il affirme que l'acteur doit comprendre la vie et non se
contenter d'emprunter, comme on le faisait couramment, les
techniques de jeu transmises par les vedettes. Ces préceptes qui
semblent aller de soi paraissaient novateurs en cette fin de siècle.
Mais quel est ce nouvel élève admis si brillamment à l'école d'art
dramatique? Ce n'est plus un adolescent, il a vingt-deux ans et
possède déjà une expérience théâtrale acquise dans le cadre du
théâtre amateur.
Il est né le 10 février 1874* à Penza, chef-lieu de «gouvernement» situé au sud-est de Moscou. Par un phénomène qui n'a rien
d'étonnant dans cet immense empire tsariste où cohabitent les
peuples les plus divers, il fait partie d'une famille de nationalité
allemande. On parle allemand à la maison, et son père, Emil
Meyergold, riche propriétaire foncier, fabricant et commerçanl de
liqueurs et notamment de vodka, est un émigré de fraîche datc qui
parle le russe avec un fort accent germanique. Sa mère, Alvina
Neeze, est quant à elle une Allemande de la Baltique tout à fail
russifiée. Notre héros est le huitième enfant de cette grande famille.
Il sera baptisé dans la confession luthérienne, celle de sa mère, avec
les prénoms de Karl, Theodor et Kasimir.
Le père est un personnage haut en couleur qui règne en despote
sur les siens, tout en entretenant une seconde famille qui
*Le calendrier utilisé en Russie jusqu'en mars 1918 est en retard de douze jours au
siècle et de treize jours au xxe par rapport au calendrier gr6gc 1 rien adopté en
Occident. Les dnles données dans le texte sont, autant que possible, celles du calendrier
gn'.gorien, ou «nouveau style» (n.s.), les dales dll calendrier julien relevant de l'" (Ilicien
slyle» (a.s.). (Pour \'61al civil Meyerhold ('sl né le 30 Janvier [a.s.], ce (II il "OITCSpOIl(
11111 10 février [n.s.I.)
XIXe
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
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compte deux enfants. Meyerhold joue souvent avec son demifrère
Boris et sa demi-sœur Lidia, qui ont à peu près le même âge que lui.
Sa mère, au tempérament maladif, reporte ~ur ses enf~n!s son
affection frustrée. Elle développe en eux le gout de la poeSIe et de
la musique, notamment chez les deux plus jeunes, Fiodor ~t Karl.
Ce dernier apprend le piano dès son plus jeune âge et contlnuera
lorsqu'il sera au gymnase (l'école secondaire). Il p::endra ensuite
des cours de violon et continuera à jouer de cet Instrument tout au
long de sa vie.
Membre de la guilde des marchands, Emil Meyergold a sa lo,ge
DU théâtre local. On invite à la maison les acteurs en tournee. Ainsi
Vassili Dalmatov, un des grands noms du théâtre ~~xandra de
Saint-Pétersbourg, que Meyerhold retrouvera lorsqu rI y sera
î'lommé metteur en scène en 1908, laisse à son père une photo
dédicacée. À la maison on organise des soirées musicales et dansantes.
Emil Meyergold est le modèle même de ~es «marc~ands»
fusses, excessifs dans leur comportement, qUI adorent farre des
Ii'asques dans un bon pays bourgeois comme la France. Il rend
régulièrement visite à sa tante qui vit à Paris, et de là il gagne
Monte-Carlo où il dilapide sa fortune.
Le jeune Karl entre au gymnase à dix ans : les études secondaires
en Russie durent sept ans, mais bien vite cet enseignement lui pèse
au point qu'il devra redoubler plusieurs classes. Il n'obtiendra son
certificat de fin d'études qu'en 1895, à l'âge de vingt et
Ull ans!
.
,
Entre-temps son père est mort, ce père avec lequel rI ne s entendait pas, et la maison Meyergold, reprise p.ar Alfred" le frère
ntné, est mise en faillite. Dans un 'pay~ sO,umls au sY,sterr:e des
Costes, Karl a perdu tout statut social: Il n est plus qu un SImple
Il'chtchanine c'est-à-dire un «résidant de la ville de Penza», ce
Gl"j le situe ,dans la classe des ~< pe~its-bourge~is ». M~is il ,est
Illoureux d Olga Munt, une amIe d enfance qUI appartIent a la
ohlesse. Les deux demoiselles Munt, Olga et Ekatérina sa sœur,
Olll des orphelines recueillies par une tante. Elles trouvent chez ."
Meyerhold une deuxième famille.
Au moment de partir pour Moscou où il va entreprendre des '1udcs
dc droit, le jeune Karl Meyergold se fiance avec Olga et se t)lIvcltit
à l'orthodoxie. Par cette démarche il affirme son attah<.'IIH.:nt à la
Russic comme patrie, rompant tout lien avec l'AlletI~IIC; en ontre,
devenu russc, il peut s'inscrire sans difficultés l'illIivCl'silé. SOli
nom cst russifié Cil Meyerhold, et son prénom d 1 rOl\Il (: COIII l'l:
ccilli dl) Vsévnlnd, CI; prénom à cons?nanc?
ol'nlldll·IIIl'IIIIiIIlVC l"sln'Illi dl" \'~l"rivlIllI Vsl"volnd
,,111'1"111111" <jlll,
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VSÉVOLOD MEYERHOLD
précurseur de Tchekhov, a mis fin à ses jours dans un accès de
mélancolie, ce qui en fait un héros adulé par la jeunesse.
Son ami Rémizov, en relégation à Penza, le caractérise ainsi:
I:année où il s'est marié et où il est passé de Karl à Vsévolod, il
est passé également du luthéranisme à l'orthodoxie ... Olga
Mikhaïlovna Munt, la femme de Meyerhold, est la nièce de
Pantchoulidzé, le maréchal de la noblesse* de Penza, auteur de
l'Histoire de la Garde à cheval. «La grande bourgeoisie s'est unie à la
féodalité », c'est ainsi que j'ai traduit dans mon langage de l'époque
la liaison Meyerhold-MuntPantchoulidzé ... Quant à moi j'inoculais à
Meyerhold mon «marxisme ». Il écoutait mes raisonnements avec la
même passion que moi je l'écoutais parler de théâtre. Il était très
impressionnable et croyait à tout ce qui était exaltant et
extraordinaire même si c'était irréalisable, tel que mon paradis sur
terre libéré des «exploiteurs» 2.
Dans son journal intime, ce jeune homme à la croisée de deux
cultures tentera de définir son identité véritable. À uninterlocuteur
qui s'excuse d'avoir violemment critiqué devant lui l'empereur
Guillaume, il répond avec fougue:
Que représente Guillaume pour moi? Comment pourrais-je dire
que l'Allemagne est mon pays? C'est ridicule. J'ai dix-neuf ans, voilà
donc dix-neuf ans que je vis au milieu des Russes, que j'ai assimilé
les habitudes du peuple russe, que je l'aime: mes éducateurs sont
Gogol, Pouchkine, Lermontov, Tourguéniev, Tolstoï, Dostoïevski et
tous les autres grands poètes et écrivains russes; c'est en russe que je
prie et tout à coup il faudrait que j'appelle l'Allemagne mon pays?
Ne seraitce pas absurde 3 ?
Si celui qui s'appelait encore Karl Meyergold était un piètre élève
de l'enseignement secondaire, c'est notamment parce qu'il consacrait
le meilleur de son temps à sa passion, le théâtre. TI y avait dans la
ville de Penza un théâtre loué pour la saison de septembre au Mardi
gras.
Les théâtres impériaux des capitales faisaient relâche pendant le
grand carême, les cinquante jours précédant Pâques. Aussi de
nombreux acteurs partaient-ils en tournée en province où les troupes
locales leur cédaient la place à partir du Mardi gras, ou bien leur
servaient de faire-valoir s'ils venaient jouer en solistes. En 1891 c'est
le grand acteur Nikolaï Rossov qui vient à Penza où 1 joue Tchatski
(le Malheur d'avoir de l'esprit), Hamlet et Otheno.
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
C'est ce même Rossov qui, on l'a vu, viendra lui manifester sa
sympathie près de cinquante ans plus tard.
Arrivé à l'âge de l'adolescence, Karl se lance dans l'aventure du
théâtre amateur. Le 14 février 1892 (il a dix-huit ans), «avec l'autorisation des autorités», est donnée dans une maison privée une
représentation du Malheur d'avoir de l'esprit par des «amateurs d'art
dramatique ». Fiodor joue le rôle principal, celui de Tchatski, tandis
que Karl joue celui de Répétilov, un fâcheux. Il est en même temps l'
{( assistant» du metteur en scène. Olga, sa fiancée, joue le rôle de
Sofia, la coquette dont est épris Tchatski, tandis que le rôle de Lisa,
la soubrette, est joué par sa sœur Ékatérina. Cinq jours après on
apprend la mort d'Emil Meyergold {( après une longue et
douloureuse maladie», ce qui apparemment n'a pas empêché son fils
de jouer la comédie. Entre le théâtre et la vie, celui-ci a très tôt fait
son choix.
Dans son journal intime, on lit ceci : {( Je sais que je peux devenir
un bon acteur.. , C'est mon rêve le plus cher: j'y pense peutC!tre
depuis l'âge de cinq ans, Je voudrais monter sur scène ... mais, bien
sûr, jamais en province4,»
Et pourtant la province à cette époque ne le cédait en rien aux
capitales sur le plan du développement culturel. Penza était une ville
très animée avec une population bigarrée où les ouvriers russes se
mêlaient aux paysans et paysannes mordves. Tous les lins sur la
place du Marché s'installait la foire avec ses tentes et ses baraques de
montreurs d'animaux, ses manèges et ses loteries, S'y pressaient des
soldats, des paysans, des artisans, des jeunes femmes des faubourgs,
des mendiants. Meyerhold se souviendra loute sa vie des
bonimenteurs perchés sur des estrades d'où ils lapent sur les
tambours et font tinter grelots et timbales, des downs rivalisant de
bouffonnerie, des mannequins géants reprétlentant quelque fable
touchante, des Chinois jonglant avec des couteaux, des diseurs de
bonne aventure armés de leur orgue de Barbarie sur lequel perchait
un perroquet, du Kalmouk muet montreur de serpent et des commis
de magasins s'amusant à couri r sur des échasses!
La jeune Russie se formait dans ces lieux reculés désenclavés
depuis l'apparition du chemin de fer. Et surtout, les précautions de la
police qui chassait des capitales les esprits forts en les exiIII nt en
province contribuaient à diffuser un peu partout les idées nouvelles.
Kossovski, le professeur de piano de Meyerhold, est un Polonais
exilé à la suite dll sOlllèv(.;!11ent de 1863, témoin des Injllstices d
dcs violcnces dc l'ElIlpÎI'C l'lisse. Le jeune Moscovite i\ll'xl'Y
RélltÏZ()V, assi/',lIé :1 1'(o:-1i(kIH'l' j) 1'1'1lZ:1 pOlir s(.;s idé(.;s polillqlll;S, illilÏlJ Moy('dioid Il l'id~()IClI,I(' ~(H'llIlIsl('l'III1:trxisl(;.
* Président de l'assemblée des lIohll'/I,
L __
63
66
VSÉVOLOD MEYERHOLD
Tchekhov. Celle-ci affirmera plus tard avoir tout de suite remarqué ce
nouveau venu qui forçait l'attention:
Je me rappelle très précisément sa face pleine de charme, son visage
mobile et nerveux, ses yeux pensifs, sa mèche rebelle sur un front
intelligent et expressif, sa retenue qui confinait à la sécheresse. Lorsque je
le connus mieux, je fus frappée par sa culture, l'acuité de son esprit et le
raffinement de tout son être 10.
Tout en suivant cette formation, Meyerhold continue à fréquenter
assidûment le théâtre et les salles de concerts. La Société philharmonique,
dont l'École d'art dramatique fait partie, est célèbre pour son activité
musicale. Elle fait largement connaître la musique contemporaine et notre
apprenti acteur entend notamment, outre les symphonies de Beethoven, des
ouvertures de Wagner, des fragments de Psyché de César Franck, ou la
symphonie Rome de Bizet. Il croit moins à la valeur des institutions qu'à
celle de sa propre intuition. Toujours dans son journal intime:
De même qu'il ne suffit pas d'être passé par l'enseignement supérieur
pour devenir un oracle de la science, de même il ne suffit pas d'avoir suivi
un cours d'art dramatique pour devenir un artiste cultivé. C'est
particulièrement vrai pour nos écoles russes, si mal conçues. C'est
pourquoi, tant pendant ses études que par la suite, il faut s'efforcer de se
cultiver d'une manière autonome, en dehors de l'institution scolaire 11 •
Les examens avaient lieu à l'époque du grand carême sur la scène du
théâtre Maly déserté. En mars 1897, Meyerhold participe à plusieurs
spectacles de fin d'année: il joue dans la Fiancée du tsar de Meï, Un gant
du Norvégien Bjq')rnson et la Guerre des papillons de Sudermann. Son
maître Némirovitch lui délivre une attestation qui est un modèle du genre :
Meyerhold a été admis directement en deuxième année. Pendant l'année
il a joué plus souvent que les autres élèves, même ceux de troisième année.
Il a une bonne habitude de la scène qu'il maîtrise, bien que dans ses gestes
et ses mouvements il ne se soit pas encore débarrassé d'habitudes acquises
en province. Il n'a pas un tempérament puissant, mais il pourra le
développer; son style ne brille pas par sa souplesse, sa voix est quelque peu
voiJée. En diction, il avait des défauts qu'iJ a rapidement éliminés. SOI]
visage n'est pas très hcurcux mais convient parfaitement :, deN r(\h·,,: dl'
cOl1lposition 12.
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
6
7
Avec perspicacité Némirovitch relève les limites d'un homme au
physique ingrat: visage anguleux, au long nez, cheveux ébouriffés, voix
sourde et peu expressive, corps manquant de grâce. En revanche il décèle en
lui une soif de travail que rien ne peut étancher: il est prêt à jouer tous les
rôles, et il a l'intelligence du métier. Ces caractéristiques resteront
pratiquement inchangées pendant toute la carrière ultérieure de Meyerhold,
qui saura tourner ses défauts d'acteur en atouts pour la mise en scène.
I.:été 1897 le retrouve à Penza et de nouveau au « théâtre populaire », où il
joue notamment dans plusieurs pièces d'Ostrovski comme le Gouffre, Entre
soi on s'arrange et On ne vit pas comme' on veut.
3. La fin des études d'art dramatique
En regagnant Moscou à l'automne 1897 pour sa dernière année d'études,
Meyerhold sait que de ses résultats dépendra le montant du contrat qu'il
négociera avec un directeur de théâtre.
Les examens, qui se déroulent du 22 février au 26 mars, comportent cinq
spectacles: Vassilissa Melentiéva, pièce historique d'Ostrovski, et Amour
tardif du même auteur, Olga, fille de fonctionnaire de Sévernaïa, le
Monde où l'on s'ennuie de Pailleron et les Dernières Volontés de
Némirovitch- Dantchenko. Les deux médailles d'argent, correspondant à la
mention très bien, sont attribuées respectivement à V sévolod Meyerhold et
à Olga Knipper.
I.:attestation de fin d'études rédigée par Némirovitch reprend en la
développant celle qu'il a établie l'année précédente:
Parmi les élèves de l'École philharmonique, Meyerhold est un phénomène exceptionnel. Il suffit de dire que c'est la première fois qu'un élève
obtient la meilleure note en histoire du théâtre, histoire de la littérature et
histoire de l'art. Une bonne volonté rare parmi la gent masculine du cours,
un grand esprit de sérieux à l'égard de son travail. Malgré l'absence de ce
charme qui permet à l'acteur de se gagner facilement la sympathie du
public, Meyerhold a toutes les chances de tenir dans n'importe quelle troupe
une position de premier plan. La qualité III plus remarquable de sa
personnalité scénique est son emploi vaste d varié. Il a joué dans notre
cours plus de quinze grands rôles, du vicillard de caractère au benüt de
vaudeville, et il est difficile de dire 01'1 il a été Ic mcilleUl: Travaillcllr
nclmrné, capable de maintenir l'unité dl: lOI], sndHlll1 hicn sc gl'Îl1Icr, il Il
dll tl'lIIpérnment et l'expérience d'un 111;1('111' Il cco 111 pli L'.
68
VSÉVOLOD MEYERHOLD
Il faut évidemment tenir compte du fait que ces attestations sont
destinées aux directeurs de théâtre à la recherche de nouveaux acteurs.
On peut néanmoins penser que Némirovitch ne force pas le ton.
Meyerhold apparaît d'emblée comme un être exceptionnel, dont les
qualités dépassent celles des acteurs habituels.
Une belle carrière s'ouvre donc devant lui.
Il reçoit des offres de Borodaï, de Kharkov, et Malinovskaïa, de
Iaroslavl, les plus renommés des directeurs de théâtre de province. Le
public de ces deux villes est bon connaisseur et il s'agit
. là d'un bon tremplin pour entrer dans le métier. Le salaire proposé est de
l'ordre de mille roubles par an, ce qui est considérable pour un débutant.
Pourtant Meyerhold va accepter une offre moins intéressante (neuf cents
roubles) pour un projet dont l'avenir est incertain. Il s'agit d'entrer dans
la troupe d'un théâtre qui n'existe pas encore mais dont il a été question
tout au long de l'année.
Olga Knipper nous donne une idée de cette atmosphère d'expectative et de mystère :
Nous étions très excités par des bruits vagues sur la création à Moscou d'un petit théâtre, très « spécial»; déjà on voyait passer à l'école la
silhouette pittoresque de Stanislavski avec sa chevelure grise et ses
sourcils noirs [ ... ]; déjà il nous avait vus au cours d'une répétition de La
Locandiera, épreuve au cours de laquelle notre cœur était étreint
d'émotion; déjà au milieu de l'hiver notre professeur NémirovitchDantchenko avait dit à Savitskaïa, à Meyerhold et à moi-même que nous
pourrions entrer dans cette troupe si son rêve de création se réalisait, et
nous préservions précieusement ce secret 14.
En réalité, le projet de création d'un théâtre nouveau a été élaboré par
Némirovitch-Dantchenko et Stanislavski au cours d'une rencontre
célèbre qui a duré toute une nuit de juin 1897. Ce projet part de l'idée
que le public réclame des œuvres plus chargées d'émotions et de pensées
que les habituels drames et vaudevilles qui envahissent les scènes; il est
également fondé sur la conviction que l'on peut trouver des acteurs
capables de représenter cette veine nouvelle, des acteurs aspirant à une
vision poétique du monde.
La trajectoire de Némirovitch, dramaturge et professeur d'art
dramatique, le conduit naturellement à la tête d'un théâtre. Meycphold
va être emporté dans son sillage.
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
69
4. L'apprentissage du métier d'acteur (1898-1902)
Le Théâtre artistique de Moscou est une des rares institutions
théâtrales qui soit sortie en quelque sorte toute armée du cerveau de ses
créateurs. Les objectifs, le fonctionnement, le programme lont définis à
partir d'une conception moderne de la culture et de ion rôle dans la
société. Tels des ingénieurs, Stanislavski et Némiluvitch dessinent
largement l'épure de leur projet avant de passer • sa réalisation. Ils
veulent créer un « théâtre établi sur des principes nouveaux, tout en étant
à l'affût d'hommes capables de participer à ce théâtre 15 ».
Ils ne recherchent pas la rentabilité, mais font appel à des ID)écènes
éclairés partageant leur idéal : apporter à un public Ivide de s'ouvrir sur
le monde la nourriture spirituelle dont il a besoin. Les deux initiateurs du
Théâtre artistique vont imposer à 111 Russie, qui ne connaissait jusque-là
que des théâtres de cour tl1tièrement financés par le trésor impérial, le
premier théâtre ~rivé qui se propose non seulement d'égaler ses
concurrents par ln qualité de ses spectacles, mais aussi de les surpasser
par le Choix d'un répertoire moderne et démocratique. Les quelques
mutres théâtres privés ouverts récemment dans les deux capitales 1J0nt
loin de nourrir une telle ambition.
Pour bien souligner son projet culturel, le théâtre s'appelle à
es débuts: « Théâtre artistique de Moscou accessible à tous », ce 1~1i le
démarque radicalement des théâtres impériaux conçus 'clllr lIn public
aristocratique, auquel se mêlent hauts fonctiond{lires et bourgeois aisés.
La nouveauté est dans le choix du répertoire. Le Théâtre artisque se
donne pour but de répondre aux aspirations de la 111 nesse et de la
classe moyenne naissante. Il se tourne vers des tlteurs rompant avec la
routine des drames à la française lIi envahissent les scènes de l'époque.
L'accent est mis sur les Jeurs spirituelles et artistiques, sur cette
sensibilité nouvelle le:: l'on trouve chez des dramaturges comme Ibsen,
Hauptmann, '\.Idermann ou Tchekhov. Outre cette tendance
moderniste,
théâtre devra aussi montrer qu'il est capable de jouer les clasques
mondiaux et de se faire une place dans le monde théâtral lise en
montant des œuvres spécifiquement nationales.
Quel fTémissement de joie et quelles expectatives grandioses Qur
Meyerhold lorsqu'en juin 1898, il est admis dans cette nouIle abbaye de
Théll:me qui, scloll 1111 plan bien établi, se réunit lUI C:IIllpngnc, dalls
ks Cllvil'OIIS dl' MOSCOII, P()\\I' travailler loin l'agilalioll du ln
111611'0\101(" SlllId"II,vllld (·xif!.(~ 1111 comporte-
70
VSÉVOLOD MEYERHOLD
ment irréprochable qui doit trancher avec les images de bohème
habituellement associées au monde des coulisses. La jeune troupe
accepte volontiers cette discipline partagée et poursuit son travail de
formation pendant quatre mois, de la mi-juillet à la mioctobre. Tout
l'avenir de Meyerhold se trouvera façonné par ces premières
impressions. En quelques mois son exaltation naïve sera confrontée
à la dure réalité des rapports humains. Il connaîtra sa première
grande frustration.
Les deux premiers mois, la tâche de faire travailler les acteurs
revient à Stanislavski. Il fait répéter à Meyerhold plusieurs rôles,
Tirésias dans Antigone de Sophocle, le prince d'Aragon dans le
Marchand de Venise le rôle-titre du Tsar Fiodor Ioannovitch
d'Alexeï Tolstoï, et le' personnage de l'Ange de la mort:dans l'A~somption de Hannelé, de Gerhardt Hauptmann. À partIr du mOIS
d'août, c'est au tour de Némirovitch de diriger la troupe. Il a réussi à
convaincre un Stanislavski réticent de mettre au programme la
Mouette. Il confie à Meyerhold le rôle de Treplev, ce jeune écrivain
neurasthénique en qui l'acteur novice se reconnaît parfaitement.
Mais sa fierté subit au même moment .une blessure douloureuse.
Némirovitch lui retire le rôle du tsar FIOdor pour le confier à
Moskvine, un acteur plus expérimenté.
Le nouveau théâtre est enfin inauguré en octobre 1898, mais,
l'Assomption de Hannelé ayant été interdite par la censure, la saison
s'ouvre avec le Tsar Fiodor (dont l'interdiction vient d'être levée).
Faute d'y jouer le rôle principal, Meyerhold y incarne un personnage
important, le prince Chouïski, intrigant de. haut ~ol. Le répertoire
s'enrichit au dernier moment de la Locandtera, plece déjà montée
par Stanislavski à la Société d'art et de littérature. Meyerhold y joue
le rôle masculin principal, celui du marquis de Forlipopoli.
On sait l'événement que fut la création à Moscou de la Mouette.
C'est le triomphe de la mise en scène, c'est-à-dire d'une vision
cohérente, équilibrée, concevant le spectacle comme un tout organique, cohérent, à l'opposé de l'amateurisme qui avait présidé à la
création, deux ans plus tôt, à Saint-Pétersbourg. Meyerhold, dans le
personnage de Treplev, réclame ces «formes nouvelles» qui sont la
marque de la modernité. Treplev a éc;it une p~èce « symboliste» où
il exprime, dans un langage abstraIt et futunste, toute l'angoisse
d'une existence frustrée de tendresse et d'amom:
Nina, la jeune fille qu'il aime comme dans un rêve, est l'interprète de
cette voix d'outre-tombe qui crie du fond des âges:
Les êtres humains, les lions, les aigles et les faisans, les cerfs, les
oies, les poissons muets qui pellpll'1I1 k:-: ('11\ IX, les étoiles de IIW!' l.:I
Il'Ii
L~ __ _
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
71
créatures microscopiques, tous ces êtres vivants, ayant achevé leur 1
riste périple, se sont éteints ... Il fait froid, froid, froid; autour c'est le
vide, le vide, le vide; règne l'épouvante, l'épouvante, l'épouvante ...
Le corps des êtres vivants est tombé en poussière ... leur âme s'est
fondue (;:11 une âme unique ... Je suis l'âme d'Alexandre et de César et
de Shakespeare et de Napoléon et de la dernière des sangsues. En
moi la conscience des êtres humains se confond avec l'instinct des
animaux et le me rappelle tout, tout, tout et je vis à nouveau chacune
des vies qui flont en moi ... Il est une seule chose qu'il me soit donné
de connaître, {;'cst que, dans la lutte opiniâtre et cruelle contre le
diable, source des fmces matérielles, je serai victorieuse, moi, l'âme
... 16.
Comme toujours chez Tchekhov, le pathétique ne va pas sans
\,Ine certaine ironie. Il n'est pas sûr que Meyerhold ait su rendre le
côté ambigu du personnage. Son jeu ne recueille pas une
IiIpprobation unanime, comme on en jugera par ces notations du
critique Ouroussov :
Le quatrième acte est joué trop lentement. Il faudrait aller plus
vite, IiIvec moins de ces silences dont abusent Meyerhold (Treplev)
et RoxaIIova (Nina). La grande scène du troisième acte entre la
mère et le fils tsl jouée d'une manière heurtée, sèche, avec une
lourdeur qui nuit à l'Impression recherchée; il me semble que M.
Meyerhold laisse échapper des notes criardes, a des intonations
déplacées. De m,ême au pr~Illier acte, il est un peu trop brusque.
Cependant dans 1 ensemble Il loue avec chaleur et intelligence 17.
Au printemps suivant, peu avant la fin de la saison, Tchekhov
rencontre cette troupe qui a fait triompher une pièce qu'il croyait
(lVoir ratée. La mouette deviendra l'emblème fétiche du théâtre, Qui
la reproduira sur le rideau, sur les moulures de l'entrée et sur h:s
programmes des spectacles. Une solide amitié se noue entre
l'écrivain déjà mûr et l'acteur débutant. Avec sa bienveillance coutllmière Tchekhov jouera le rôle de directeur de conscience auprès
cie ce jeune homme tourmenté,
,~.
La deuxième saison (1899-1900) est celle ou le Théatre artIsIlque
s'impose vraiment dans le paysage théâtral de Moscou. Après le
succès du Tsar Fiodor, dont le sujet est tiré de l'histoire lusse, le
théâtre récidive en jouant la Mort d'Ivan le Terrible, qui hdt partie
du même cycle. Le rôle du tsar est tenu par StaniIJlllvski, mais
Meyerhold lui seri de doublure. Une photo nous le filon 1 re assis Sll r
son trÔne, l'a i!' ('1'1'1.'<.:1 iVl'llIcnt « terrible ». Les crillqucs
n:prochcl'onl l;('IWlldlllll tl l'II('f('1I1' d'exagérer l'aspect ]'I/Ilholof-'.iq\l(·
dll SO\lVI:;r:tÎlI.
72
VSÉVOLOD MEYERHOLD
Les rôles principaux sont peu à peu monopolisés par deux
excellents acteurs, Stanislavski et Moskvine, et Meyerhold se voit
relégué dans des rôles secondaires comme, dans la Nuit des rois,
celui de Malvolio, un fat prétentieux et ridicule. Némirovitch lui
confie néanmoins un texte qui correspond tout à fait à son emploi,
celui de Johannes Vokerat dans Ames solitaires de Hauptmann.
Meyerhold est enchanté d'interpréter un auteur qu'il apprécie au
point d'avoir traduit de l'allemand, sur les conseils de Rémizov, sa
pièce Avant le lever du soleil. Il demande à Tchekhov de l'aider dans
l'analyse du rôle:
En ce qui concerne la nervosité, lui explique patiemment
l'écrivain, il ne faut pas la souligner afin que la nature pathologique
ne vienne pas masquer, écraser ce qui est le plus important, à savoir
la solitude, état que ne ressentent que les organismes élevés et sains
(au sens le plus élevé). N'appuyez pas trop sur la nervosité, ne la
montrez pas comme un trait caractéristique, n'en faites pas trop,
autrement vous aurez un jeune homme non pas solitaire mais
simplement irascible 18.
Ces conseils n'ont pas été mis à profit, si l'on en croit Olga
Knipper qui écrit à son mari :
Meyerhold a dépensé beaucoup d'énergie, beaucoup de nerfs, il a
beaucoup travaillé mais on lui reproche son jeu saccadé, son
agitation, son excès de nervosité 19,
Il lui faudra sans doute du temps pour assimiler en profondeur
les leçons de Tchekhov, qui fait de la sobriété le critère de l'artpour
l'écrivain comme pour l'acteur - et qui confie à sa femme:
Il faut exprimer la douleur comme on le fait dans la vie, c'est-àdire sans taper des pieds ou secouer les bras, mais par le ton, le
regard, non par la gesticulation mais par la grâce, Vous
m'objecterez que ce sont les conventions du théâtre, mais aucune
convention ne justifie le mensonge 20.
Lorsque Meyerhold sera devenu metteur en scène, le problème
de la convention théâtrale sera au centre de ses réflexions. Tous ses
efforts consisteront à résoudre la contradiction entre la nature
conventionnelle du théâtre et l'exigence de vérité, point soulevé par
Tchekhov.
Pour sa troisième saison (1900-1901), le Théâtre artistique fa i 1
un pas de plus vers la reconnaissance officielle. Il abandonne 10
qualificatif d'« accessible;I IOIlS» qlli risquait de le disqwdil'icr
HIIX
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
73
yeux du public cultivé, mais surtout il obtient l'autorisation d'effectuer une tournée dans la capitale et d'y jouer pendant le grand
carême dans la salle du théâtre Alexandra. C'est une consécration
que de pouvoir affronter un public qui a la réputation d'être plus
raffiné et plus exigeant que celui de Moscou.
Le déclin de Meyerhold acteur se poursuit, même s'il se voit
encore confier un rôle important, celui de Touzenbach dans les Trois
Sœurs. Il n'apparaît ni dans la Princesse des neiges d'Ostrovski, ni
dans Un ennemi du peuple d'Ibsen qui sont les morceaux de
bravoure du Théâtre artistique, et il ne fait qu'une brève apparition
dans Quand nous nous réveillerons d'entre les morts, également
d'Ibsen.
Il n'y a pas de pire déception pour quiconque que de se voir peu à
peu mis à l'épart. Meyerhold est attiré par les rôles sérieux qui
traduisent l'angoisse de l'homme moderne, mais son physique ingrat
et ses dons d'imitateur l'orientent vers des rôles comiques, de
composition: le marquis de Forlipopoli, le prince d'Aragon,
Malvolio. Lorsqu'il accepte d'écouter ses mentors il arrive à des
réussites remarquées. Comme le dit Némirovitch, à propos d'une
reprise de la Mouette :
Nous avons modifié deux ou trois petites choses dans l'interprétalion de Treplev. Et encore ce n'est pas moi, mais Tchekhov, Au
début Meyerhold donnait dans la violence et l'hystérie, ce qui ne
correspond pus du tout à l'optique de l'auteur. Maintenant il y a mis
du moelleux el a trouvé le ton juste, Son défaut principal consistait à
jouer le premier acte comme si c'était le dernier21•
Bien plus tard, Meyerhold évoquera cette période ingrate:
Pendant ma jeunesse j'ai travaillé avec Stanislavski; il me
considémit comme un affreux braillard et m'obligeait sans cesse à
baisser le Ion; moi je ne comprenais pas et m'appauvrissais ainsi
moi-même 22.
Il en vient à douter de sa vocation et, à vingt-six ans, traverse
unc véritable crise d'adolescence :
J'ai l'impression que quelqu'un m'attend derrière la porte, attend
heure pour entrer et transformera toute mon existence. Je pâlis à
l'Idée que je jouerai enfin un joUI' vraiment et j'attends, j'attends,
j'attcmds 2.1,
11011
Ollalru Illois pl liS Innl, il r('11I'1'lul ('('11(' pinillie dans IIlle IcUre
mdn'ss('{' JI 'IHll'ld,()v
01'(
il ('11111'1111 :
76
VSÉVOLOD MEYERHOLD
les animateurs et amis du théâtre. À la fin du mois de janvier 1902, on
apprend le no'm de ceux qui sont retenus comme sociétaires. Si
Tchekhov est convié, à son grand étonnement d'ailleurs, à bénéficier de
cette faveur, plusieurs acteurs et metteurs en scène du théâtre se voient
écartés. C'est le cas de Meyerhold, qui en est profondément ulcéré.
Cette exclusion trouve peut-être son explication dans un incident qui
a eu lieu lors de la création de la pièce de Némirovitch Dans les rêves,
le 21 décembre 1901. Sans craindre d'indisposer son ancien professeur,
Meyerhold a fait connaître publiquement le peu de cas qu'il faisait de
cette œuvre. Il confie à Tchekhov:
La pièce de Némirovitch a révolté le public. Il adopte une attitude
lénifiante à l'égard de la bourgeoisie, alors qu'elle est détestée du public
et particulièrement de la jeunesse. C'est pittoresque, haut en couleur,
mais c'est dépourvu de signification et de sincérité. Le dramaturge
apparaît comme un disciple de Boborykine [l'auteur à la mode] et j'ai
honte pour mes idoles, les Tchekhov et les Hauptmann, honte que
l'auteur se soit efforcé de fourrer leur atmosphère dans une macédoine
de mauvais goût... Pourquoi tant de travail, tant de dépenses 26 ?
Conscient d'avoir été excessif, Meyerhold essaie de s'en expliquer
avec Stanislavski pour qui il éprouve toujours du respect:
Le plus grand désespoir de ma vie, affirmera~t-il plus tard, ce fut
lorsque Stanislavski se fâcha avec moi. La cause de cette brouille réside
dans les classiques bavardages du théâtre. Au cours de la première de la
pièce de Némirovitch des sifflements se firent entendre. Or je venais
d'écrire à Anton Tchekhov une lettre où je manifestais ma
désapprobation à l'égard de cette pièce. On le sut au théâtre, je ne sais
comment27• On fit le rapprochement entre ma lettre et ces sifflements et
on raconta à Stanislavski que c'était moi qui avais monté cette cabale:
c'était absurde mais, je ne sais pourquoi, il y crut. Il cessa de me parler,
je voulus me justifier, il ne m'autorisa pas à le voir. Par la suite tout se
trouva éclairci, et il manifesta envers moi une cordialité encore jamais
vue, comme s'il se sentait en faute envers moi. C'est alors que je
compris à quel point je tenais à son amitié28•
Déjà en froid avec Némirovitch, voilà Meyerhold brouillé avec celui
sur qui il avait reporté son affection filiale. Se sentant rejeté, il prend la
décision de quitter le théâtre et fonde une troupe composée d'une
vingtaine de transfuges (dont sa bene-sŒur I~kalérin:\ Mun!:). Ils
prennent à baille théfllre ll1unicip:d de I<IH~rsoIl, pditt:
NAISSANCE D'UN HOMlVlE DE THÉÂTRE
77
~e touristique d~ ~rimée, où ils vont s'efforcer de mettre en pratIque les
leçons tirees de leur apprentissage auprès du meilleur théâtre de Russie.
. Partagé entre les affres du désespoir et les aspirations à un avemr
prometteur, Meyerhold dresse pour son journal intime un état des lieux
sans complaisance :
Je ~uis malheureux plus souvent que je ne suis heureux, mais le bonheur, Je le trouverai dès que j'aurai pris des forces pour me lancer dans
I~ lutte active. Dans la nouvelle pièce de Gorki il y a un personnage qui
dIt: «Il faut prendre la vie à bras-le-corps.» Comme c'est vrai! Dans
Malva le vagabond déclare: «Il faut constamment s'activer pour que ça
bouge autour de soi, pour sentir qu'on est vivant. La vie, il faut sans
cesse la remuer, autrement elle se fige.» Comme c'est vrai! Dans le dr~e
de Treplev, de Johannes, de Touzenbach, il y a beaucoup de moiI?~me,
surtout chez Treplev. Lorsque j'ai joué ce rôle pour la première l"Ols en
1898, j'étais en train de vivre quelque chose de semblable; le rôle de
J?hannes a coïncidé avec l'attirance que j'éprouvais pour l'individualIsme; quant aux aspirations de Touzenbach, à ses appels au travail
et à une lutte active, ils m'ont aidé à sortir du domaine d'un idéalisme
passif. Me voilà donc prêt à me jeter dans un travail sain frémissant Hé
à l.a vie. ~e veux bouillonner, m'élancer pour créer, p;s seulemen~
détruIre, maiS créer en détruisant. Maintenant c'est la crise, le moment
le plus dangereux. Et ma conscience raffinée, mes doutes, mes hésitations, mes analyses intérieures, la critique du monde extérieur l'attrait
po~r les doctrines, tout cela doit être uniquement un moyen. Tout cela
dOIt déboucher sur quelque chose d'autre 29.
6. Directeur de troupe ... en province (1902-1904)
Rien ne sera plus salutaire pour cet homme renfermé sur ses
problèmes intérieurs que de se colleter avec les réalités. Maintenant .que
le cordon ombilical avec sa maison mère est coupé, il va deVOIr se
tr~ns~ormer.en ~imateur de théâtre, c'est-à-dire ce perlIonnage qUI mene
le Jeu, dIrecteur littéraire metteur en scène et 'urtout inspirateur d'un théâtre
dont il faço~ne le visage, le style, les rar?ports ~vec le public. Le théâtre
doit être perçu comme un c ••. gam~me VIvant, avec sa cohérence
interne, sa lisibilité, sa perIIJnnahté.
" Meyerhold .c~fectu~ au printemps 1902 son premier voyage à l,(·t
r:.H~gel: JI ~Istte MIlan et découvre Je lac Majeur. Fasciné par
!u1;1,v,lé gl'OlIIlIanlc de la grande ville, il y voit la préfiguration de ]"
dvilislltioIlllrlmiltc doltt SOit thé{\ln: sc rCl':llc hél':lll\:.
80
VSÉVOLOD MEYERHOLD
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e pu lC rea
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sortir de ses habitudes. En outre, e la~l lh e mà~e eI?- scen~;st
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créatIOn de Przy yszews . En outre, e metteur
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convaincant:
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d'une nuit d'été, les admirables scènes comiques res, ans eh ange r sain et sans complication ont été transformées en
plrant un,umoU tacle de guigna avec
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semblaient à des boutiquiers
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complètement le c and lrr e.cI e,.u sl1u'à la rendre absurde. Le seul
personnage intéressens e a pIèce JO "'J- s
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sant est celui de Fir , joué par pevtsov ».
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d rI1ière pièce qui clôt la saison, le 8 février 1904.
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Meyerhold qui a po~r am ll~n ~re )<<..;. ~,fe!e u ~ ea~re .. ' . est-i
parvenu a ses ns. n se OIgnant u realmpressIOnmste », •• d' . 1 f d bl"l
l' . que qUI contInue aVOIr a aveur u pu lC, 1
ls~e psY~h?l?gtlement à des manifestations d'incompréhension
se eurte mev!ta
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NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
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polonais Pchybychevsld .
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81
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aIle Jeu théâtral, traduits en russe en 1904, où il défend une philosophie tout à l'opposé du positivisme toujours dominant. Pour lui,
c'est à travers l'art et lui seul que l'on peut arriver à une
connaissance de l'âme, c'est-à-dire de l'absolu. Son esthétique
l'ccherche dans l'inconscient, qu'il appelle «l'âme nue », les pasIlions essentielles qui se manifestent à travers les pulsions
IIcxuelles. Pris dans le carcan d'une société qui ne croit qu'à l'inIcllect et à la raison, l'être sensible ne trouve d'échappatoire que
cluns la folie ou la mort. Le nouveau drame s'oppose à la tradition
n~Hliste et exprime «la lutte de l'individu contre lui-même, c'est-àdire avec des réalités psychiques. Ainsi le champ de bataille s'est
olodifié, nous sommes en présence d'une âme humaine, mais brillée
et souffrante. Le drame est celui des sentiments et des presIcmtiments, des remords et de la lutte intérieure, c'est le drame de
flllquiétude, de l'horreur et de l'épouvante 37 ».
Neige est l'illustration de ses idées: on y assiste à la marche
lw::xorable du destin au sein d'une réalité paisible, immobile et
,"otidienne. C'est une pièce en quatre actes, chiffre pair qui sou1 aile
le caractère statique d'une œuvre où se déploient les varia110 liS de
la vie intérieure (tristesse, inquiétude, joie enfantine, 'Iwic, jalousie,
désespoir), Le drame se déroule au plus profond d" l'hiver, un hiver
recouvert par une épaisse couche de neige. La n~lge est pure et
blanche comme la mort; la fonte des neiges, 1\IIIIonciatrice du
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lIouvelle et Bronka, abandonnée, se jette dans une fissure du lie
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Fil sa qualité de conseiller littéraire de la troupe, Rémizov
mtvOlc en avril 1904 dans la revue symboliste la Balance
l'existence •• lu Compagnie du Nouveau Drame:
Le Nouveau Drame propose un théâtre situé sur le même niveau 10
qui rait bouillonner la philosophie et l'art, un théâtre habité par
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80
VSÉVOLOD MEYERHOLD
à la modernité. Celle-ci se manifeste essentiellement par la dissolution progressive du héros au sein d'un drame à caractère poétique
ou métaphysique. Au-delà d'Ibsen, Hauptmann et Tchekhov, la
Compagnie du Nouveau Drame veut s'ouvrir à des dramaturges
européens comme Schnitzler, Maeterlinck ou Przybyszewski*.
Le public réagit avec réticence à cette tentative pour le faire sortir
de ses habitudes. En outre, le travail de mise en scène est souvent
trop hâtif. Des œuvres comme le Malheur d'avoir trop d'esprit
(Griboïédov), la Forêt ou Argent fou (Ostrovsld) auraient été montées
avec une «négligence évidente 35», ce qui vaut également pour Neige,
une création de Przybyszewski. En outre, le metteur en scène-acteur
manifeste un goût du grotesque qui est loin d'être convaincant:
Dans le Songe d'une nuit d'été, les admirables scènes comiques respirant un humour sain et sans complication ont été transformées en
un grossier spectacle de guignol avec cris, gloussements et beuglements poussés par les artisans, tandis que les couples d'amoureux
ressemblaient à des boutiquiers en train de se disputer.
En ce qui concerne Monna Vanna «les couleurs brillantes de Maeterlinck étaient délavées, fanées et assombries, sans compter que les
acteurs ne savaient pas leur rôle». Enfin la Cerisaie «est devenue une
chose banale avec laquais, servantes et gouvernantes de vaudeville,
sans compter un Piotr incompréhensible, prononçant les mots:
"Salut, vie nouvelle!" avec une nuance de comique vaudevillesque
qui a suscité les rires du public. Lopakhine apparaît comme un fils
de marchand imbécile, un parfait débauché, ce qui déforme
complètement le sens de la pièce jusqu'à la rendre absurde. Le seul
personnage intéressant est celui de Firs, joué par Pevtsov36 ».
C'est cette dernière pièce qui clôt la saison, le 8 février 1904.
Meyerhold, qui a pour ambition d'être «à la tête du théâtre
impressionniste », est-il parvenu à ses fins? En s'éloignant du réalisme psychologique qui continue d'avoir la faveur du public, il se
heurte inévitablement à des manifestations d'incompréhension sinon
d'hostilité. La pièce troublante de Przybyszewski, Neige, montée en
décembre 1903, va servir d'emblème programmatique à Meyerhold
qui la redonnera à plusieurs reprises (Tiflis à l'automne 1904, puis
Poltava au cours de l'été 1906). Personnage polymorphe, le
dramaturge polonais, qui revendique le «satanisme », a l'ambition de
créer une écriture dramatique nouvelle. Il a publié en 1902 une série
d'articles sous le titre la Dramaturgie
* Se prononce en polonais Pchybychcvski.
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
81
et le Jeu théâtral, traduits en russe en 1904, où il défend une philosophie tout à l'opposé du positivisme toujours dominant. Pour lui,
c'est à travers l'art et lui seul que l'on peut arriver à une connaissance
de l'âme, c'est-à-dire de l'absolu. Son esthétique recherche dans
l'inconscient, qu'il appelle «l'âme nue », les pas~ions essentielles qui
se manifestent à travers les pulsions sexuelles. Pris dans le carcan
d'une société qui ne croit qu'à l'intellect et à la raison, l'être sensible
ne trouve d'échappatoire que dans la folie ou la mort. Le nouveau
drame s'oppose à la tradition réaliste et exprime «la lutte de
l'individu contre lui-même, c'est-àdire avec des réalités psychiques.
Ainsi le champ de bataille s'est modifié, nous sommes en présence
d'une âme humaine, mais bri~ée et souffrante. Le drame est celui
des sentiments et des presB(;ntiments, des remords et de la lutte
intérieure, c'est le drame de 1'1 nquiétude, de l'horreur et de
l'épouvante 37».
Neige est l'illustration de ses idées: on y assiste à la marche
Jllcxorable du destin au sein d'une réalité paisible, immobile et
quotidienne. C'est une pièce en quatre actes, chiffre pair qui soulI~ne le caractère statique d'une œuvre où se déploient les varialions
de la vie intérieure (tristesse, inquiétude, joie enfantine, envie,
jalousie, désespoir). Le drame se déroule au plus profond de l'hiver,
un hiver recouvert par une épaisse couche de neige. La ndge est pure
et blanche comme la mort; la fonte des neiges, nnnonciatrice du
printemps, sera aussi le présage de la mort. C'est KllÎce au sacrifice
de la neige que la nature, préservée alors même qu'on la croyait
morte, pourra reprendre vie. Thaddée est heureux l'VI'C sa jeune
femme Bronka, qui est pure comme un flocon de l~i:!lgc. Par sa seule
présence Éva, la femme fatidique, sera la cause dei! leur malheur.
Thaddée part avec Éva pour se lancer dans une vlc nouvelle et
Bronka, abandonnée, se jette dans une fissure du Ille gelé qui est
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