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VSÉVOLOD MEYERHOLD
NAISSANCE D'UN HOMME DE THÉÂTRE
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:rattitude de Némirovitch est d'autant plus remarquable que le
génie de Tchekhov n'a été reconnu que tardivement. Meyerhold
rappellera avec humour quels étaient les écrivains reconnus dans sa
jeunesse :
Croirez-vous qu'on considérait alors un Boborykine comme plus
important que Balzac, qui de son côté était mis au même rang que
Paul de Kock. On plaçait Spielhagen au-dessus de Stendhal, on
engageait Tchekhov à prendre des leçons auprès d'un Scheller-
Mikhaïlov et, jusqu'à sa mort, qui a été un choc pour la Russie
cultivée, l'opinion générale était qu'il était du niveau de Potapenko
1.
Avec son sens du théâtre, Némirovitch s'efforce de donner à ses
élèves une méthode de travail, combinant la psychologie, l'analyse
des personnages et surtout l'approche littéraire de l'œuvre
dramatique. Il affirme que l'acteur doit comprendre la vie et non se
contenter d'emprunter, comme on le faisait couramment, les
techniques de jeu transmises par les vedettes. Ces préceptes qui
semblent aller de soi paraissaient novateurs en cette fin de siècle.
Mais quel est ce nouvel élève admis si brillamment à l'école d'art
dramatique? Ce n'est plus un adolescent, il a vingt-deux ans et
possède déjà une expérience théâtrale acquise dans le cadre du
théâtre amateur.
Il est né le
10
février
1874*
à Penza, chef-lieu de «gouverne-
ment» situé au sud-est de Moscou. Par un phénomène qui n'a rien
d'étonnant dans cet immense empire tsariste où cohabitent les
peuples les plus divers, il fait partie d'une famille de nationalité
allemande. On parle allemand à la maison, et son père, Emil
Meyergold, riche propriétaire foncier, fabricant et commerçanl de
liqueurs et notamment de vodka, est un émigré de fraîche datc qui
parle le russe avec un fort accent germanique. Sa mère, Alvina
Neeze, est quant à elle une Allemande de la Baltique tout à fail
russifiée. Notre héros est le huitième enfant de cette grande famille.
Il sera baptisé dans la confession luthérienne, celle de sa mère, avec
les prénoms de Karl, Theodor et Kasimir.
Le père est un personnage haut en couleur qui règne en despote
sur les siens, tout en entretenant une seconde famille qui
*Le calendrier utilisé en Russie jusqu'en mars 1918 est en retard de douze jours au
XIXe siècle et de treize jours au xxe par rapport au calendrier gr6gc
1
rien adopté en
Occident. Les dnles données dans le texte sont, autant que possible, celles du calendrier
gn'.gorien, ou «nouveau style» (n.s.), les dales dll calendrier julien relevant de l'" (Ilicien
slyle» (a.s.). (Pour \'61al civil Meyerhold ('sl né le 30 Janvier [a.s.], ce
(II
il "OITCSpOIl(
11111
10 février [n.s.I.)
compte deux enfants. Meyerhold joue souvent avec son demifrère
Boris et sa demi-sœur Lidia, qui ont à peu près le même âge que lui.
Sa mère, au tempérament maladif, reporte ~ur ses enf~n!s son
affection frustrée. Elle développe en eux le gout de la poeSIe et de
la musique, notamment chez les deux plus jeunes, Fiodor ~t Karl.
Ce dernier apprend le piano dès son plus jeune âge et contlnuera
lorsqu'il sera au gymnase (l'école secondaire). Il p::endra ensuite
des cours de violon et continuera à jouer de cet Instrument tout au
long de sa vie.
Membre de la guilde des marchands, Emil Meyergold a sa lo,ge
DU
théâtre local. On invite à la maison les acteurs en tournee. Ainsi
Vassili Dalmatov, un des grands noms du théâtre ~~xandra
de
Saint-Pétersbourg, que Meyerhold retrouvera lorsqu rI y sera
î'lommé metteur en scène en
1908,
laisse à son père une photo
dédicacée.
À
la maison on organise des soirées musicales et dan-
santes.
Emil Meyergold est le modèle même de ~es «marc~ands»
fusses, excessifs dans leur comportement, qUI adorent farre des
Ii'asques dans un bon pays bourgeois comme la France. Il rend
régulièrement visite à sa tante qui vit à Paris, et de là il gagne
Monte-Carlo où il dilapide sa fortune.
Le jeune Karl entre au gymnase à dix ans : les études secondaires
en Russie durent sept ans, mais bien vite cet enseignement
lui
pèse
au point qu'il devra redoubler plusieurs classes. Il n'obtiendra son
certificat de fin d'études qu'en
1895,
à l'âge de vingt et
Ull
ans! . ,
Entre-temps son père est mort, ce père avec lequel rI ne s en-
tendait pas, et la maison Meyergold, reprise p.ar Alfred" le frère
ntné,
est mise en faillite. Dans un 'pay~ sO,umls au sY,sterr:e des
Costes, Karl a perdu tout statut social: Il n est plus qu un SImple
Il'chtchanine
c'est-à-dire un «résidant de la ville de Penza», ce
Gl"j
le situe ,dans la classe des
~<
pe~its-bourge~is ». M~is il ,est
Illoureux d Olga Munt, une amIe d enfance qUI appartIent a la
ohlesse. Les deux demoiselles Munt, Olga et Ekatérina sa sœur,
Olll
des orphelines recueillies par une tante. Elles trouvent chez
."
Meyerhold une deuxième famille.
Au moment de partir pour Moscou où il va entreprendre des '1udcs
dc droit, le jeune Karl Meyergold se fiance avec Olga et se t)lIvcltit
à l'orthodoxie. Par cette démarche il affirme son attah<.'IIH.:nt à la
Russic comme patrie, rompant tout lien avec l'AlletI~IIC; en ontre,
devenu russc, il peut s'inscrire sans difficultés l'illIivCl'silé. SOli
nom cst russifié Cil Meyerhold, et son prénom d
1
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ccilli dl) Vsévnlnd,
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prénom
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ol'nlldll·IIIl'IIIIiIIlVC l"sln'Illi dl" \'~l"rivlIllI Vsl"volnd
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