cinéma, et/ou, plus subtil, parfois dissimulé derrière le premier, un modèle temporel inspiré de
la musique (mais où la danse peut prendre parfois, par exemple chez Meyerhold, une grande
importance
).
L’usage des modèles externes s’exprime surtout au début du XXe siècle, car c’est à
cette époque que l’essentiel du travail théorique se fait, mais les modèles plastique et iconique,
ou encore chorégraphique, visiblement dominants sur les scènes d’aujourd’hui, investies en
masse par des plasticiens, des vidéastes et des chorégraphes metteurs en scène au sein du
théâtre actuel scéno-centrique, ou, selon le terme de Hans-Thies Lehmann, post-dramatique,
sont très souvent associés à un modèle musical, plus secret, plus difficile à saisir...
Ainsi un « théâtre d’images » comme celui du Théâtre du Radeau et de François
Tanguy, où la scène est composée comme un tableau abstrait traversé de lignes, de volumes et
de couleurs, et le décor comme une installation plastique jusque dans le choix des matériaux
utilisés, est-il également un théâtre musical : par exemple, la construction scénique des
spectacles Coda et Ricercar, dont les seuls titres se réfèrent à des formes musicales précises,
est transposée, tant au niveau spatial que temporel d’un modèle musical explicite.
On se concentrera cependant ici sur le modèle musical tel qu’il se déploie chez les
fondateurs de la mise en scène occidentale moderne au tournant du XXe siècle que sont
Antoine, Craig, Stanislavski et Meyerhold alors qu’ils tentent de donner à ce nouvel art,
encore peu reconnu et qui n’a que peu d’autonomie face à la littérature, une dignité et des lois
équivalentes à celles qui existent dans les Beaux-arts, dans la danse et dans la musique.
Si nous parlons de modèle, c’est qu’il ne s’agit pas chez ces théoriciens et praticiens de
la mise en scène, d’emprunter à la musique de leur temps. La question n’est pas non plus celle
de la place qu’ils accordent concrètement à la musique dans leurs spectacles, autre aspect
passionnant de la relation théâtre-musique, que j’ai explorée dans d’autres cadres chez
Stanislavski
ou chez Brecht
, mais que je ne traiterai pas ici.
Il s’agit plutôt, dans notre cas, de cerner l’idée que se font ces artistes théoriciens du
théâtre de l’art dont ils cherchent à s’inspirer, en l’occurrence la musique, de cerner l’idéal
esthétique ou les fantasmes qu’ils projettent en lui, de comprendre comment et pourquoi ils
s’y réfèrent, enfin, de mesurer en quoi le modèle musical a inspiré des réformes essentielles
dans la mise en scène du début du XXe siècle.
On verra que chacun a une conception spécifique de la musique et qu’ils en usent très
diversement, selon qu’ils défendent une esthétique réaliste ou symboliste, selon qu’ils
s’inscrivent dans une approche idéaliste ou pragmatique de la scène, mais qu’ils y puisent tous
des lois, des exemples, un vocabulaire esthétique, qu’elle est pour eux un secours, un recours,
voire un rêve, qu’ils cherchent et parfois trouvent en elle des solutions aux problèmes plus ou
moins concrets que leur posent aussi bien la pratique de la mise en scène elle-même, que la
vie de la troupe, le jeu des acteurs, leur rapport aux textes qu’ils souhaitent monter, la relation
scène/salle.
Voir Muriel Plana, « Puissance et fragilité de la danse dans la relation théâtre-musique : de Meyerhold à la
Needcompany » dans Quel dialogisme dans la relation théâtre-musique-danse ?, Journée d’études de l’Institut
de Recherches Pluridisciplinaires Arts Lettres Langues (IRPALL), organisée par Elise van Haesebroeck,
Floriane Rascle et Herveline Guervilly, Université Toulouse II-Le Mirail, jeudi 8 avril 2010.
Voir Muriel Plana, « Musique et son dans la mise en scène stanislavskienne, entre méfiance et plaisir » dans
Interactions entre musique et théâtre, Journées d’études organisées par Guy Freixe et Bertrand Porot (CRAIF et
CERHIC), 23 octobre 2008 et 13 mai 2009, Université de Reims et Université d’Amiens, à paraître dans
Corridor, CRAIF, Université d’Amiens, 2010.
Voir Muriel Plana, « Les songs dans la comédie, jubilation et subversion. L’exemple de la réécriture de
L’Opéra du Gueux (1728) de John Gay par Bertolt Brecht (1928) », dans La Comédie en mouvement. Avatars du
genre comique au XXe siècle, sous la direction de Corinne Flicker, Publications de l’Université de Provence,
2007.