STEIN, Peter, Essayer encore, échouer toujours, (1999), Bruxelles, éditions Ici-bas, coll. « Ici-bas/Théâtre », 2000.
Mais pour utiliser de pareils outils, il faut
d'abord qu'il y ait des maîtres, qu'existe une
réalité forte qu'on puisse mettre en discussion,
La démarche la plus intéressante dans tous les
domaines artistiques consiste
à briser
les limites,
à
les transgresser, Si j'ai toujours essayer de me
trouver des maîtres
à
respecter, c’était d’abord
parce que leur statut m'offrait la possibilité de
les interroger, de me confronter
à
eux, de
«pisser avec les grands» (en quelque sorte.
C'est exactement le conseil que Thalès adresse
à Homunculus dans le second de FAUST II :
« Des petits ne feront que des choses petites, /
Tandis qu'avec des grands, le petit devient
grand.» J'ai besoin de cette rambarde, pour
éviter de basculer dans les « abysses du
néant ». Tout est venu de cette conviction
première. Et c’est peut-être aussi pour cette
même raison que je n’aime pas la pédagogie.
Comme je l'ai dit, j'ai remarqué très tôt que
j'étais capable de déchiffrer un texte
dramatique en y ajoutant toutes ces choses
qu'un véritable auteur de théâtre n’écrit pas.
C’est la grande différence entre une texte lit-
téraire et un texte dramatique, ces vides, ces
lacunes constitutives qui doivent être comblées
par la présence des corps et le jeu des
mouvements sur un plateau, tout un système de
relations dans le temps et l'espace. J'ai besoin
de cette sorte d'architecture interne propre à
l'imagination théâtrale des vrais auteurs
dramatiques, elle rejoint ma passion pour
l'architecture, qui a été l'objet de mes premières
études, Cette disposition naturelle ne me sert
absolument de rien avec des gens qui ne
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savent pas écrire pour le théâtre. Flaubert en
est un exemple fameux. Sa TENTATION DE
SAINT ANTOINE est une pièce qu'on lit avec
émerveillement, on ressent l’élan formidable qui
pousse Flaubert à créer des mondes pleins de
fantaisie, mais toute cette invention n’a rien à voir
avec le théâtre. Tout est écrit, il n’y a aucune
nécessité d’ajouter quoi que ce soit, on n'a pas
besoin d'un plateau, d'un espace, de la présence
des corps, qui viendraient relier tous ces mots par
un discours extra-littéraire.
Il en va tout
autrement chez Tchekhov. On ne comprend un
texte de Tchekhov qu'à partir du moment où
on y ajoute la scénographie décrite dans les
didascalies, ainsi que les divers mouvements et
émotions des personnages présents sur le
plateau. Il
faut l’unité secrète du texte, elle est
la fondation du travail.
Toutes ces considérations m'ont conduit à me fixer
toujours plus radicalement sur la langue, Et je dois
aussitôt ajouter que ce sont les acteurs qui m'ont
enseigné la beauté de ma propre langue, Je suis
incapable de parler, je ne sais pas chanter, mais j'ai
toujours eu l'idée que la langue allemande était une
matière très riche, qu'il était possible de la manipuler
et d'en faire quelque chose. Grâce aux acteurs, et
spécialement par le biais des techniques de diction et
d'articulation utilisées par Fritz Kortner, j'ai été mis en
contact avec tout un monde de beautés
musicales et
d'émotions associées à la façon de dire et de parler
l'allemand, C'est un aspect qui s'est mis à compter
toujours plus dans ma pratique
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