Analyse sociologique du dopage

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ANALYSE SOCIOLOGIQUE
DU DOPAGE
L’analyse sociologique du dopage rencontre plusieurs difficultés :
 L’importance des analyses objectivistes (médicales ou physiologiques)
Historiquement, les sciences dures sont celles qui se sont le plus intéressées au
fonctionnement des sports, de l’athlète.
Les sciences humaines se sont plus intéressées à l’aspect culturel du mouvement, à la
pédagogie, à l’apprentissage.
rq : Critique sociologique du sport capitaliste par Jean-Marie Brohm.
La question du dopage a donc été abordée par les physiologistes, les pharmacologues. Ce
sont eux qui ont mis au point les produits dopants car ils se sont intéressés à des questions
de santé publique et ces produits avaient à l’origine des propriétés thérapeutiques.
Les médecins se sont engagés dans la lutte contre le dopage. Leur rôle consiste à identifier
les produits, à prononcer des jugements et à sanctionner. On est dans une logique
normative.
Les sociologues sont peu conviés à répondre à ce problème, d’autant moins que leur
discours dérange. Le sociologue n’est pas compétent pour dire ce qu’il faut faire ou ne pas
faire.
Le sociologue n’est pas dans une logique normative. Il va plutôt considérer que la limite
fixée est arbitraire ; comme toute norme, elle est historiquement, socialement,
culturellement constituée. Elle résulte des luttes de pouvoir entre différents acteurs,
différentes institutions qui ont des intérêts divergents.
La sociologie remet même en cause la lutte contre le dopage ; le sociologue est contreproductif et donc dérange.
 Le poids des publications d’opinion, des témoignages, du travail journalistique
Le dopage est un problème social avant d’être un problème sociologique.
Le problème social est le « fait de société » ; c’est un phénomène collectivement perçu
comme problématique. Les médias y jouent un rôle fondamental ; ils diffusent les
éléments d’opinion de manière massive.
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Le traitement sociologique de la question du dopage est différent du traitement
médiatique. La sociologie va s’intéresser à ce dont on parle, de qui on parle et quels sont
les présupposés. La sociologie va donc déconstruire l’image médiatique pour analyser
plus en profondeur et reconstruire de façon sociologique.
 Le caractère réprimé du dopage
Il n’existe pas de données statistiques fiables sur le dopage, le dopage étant interdit. Les
données sur le dopage mesurent plus l’efficacité des contrôles que les pratiques déviantes.
On retrouve les mêmes difficultés pour la délinquance.
Pour qu’une réelle connaissance sociologique d’un phénomène se développe, il est
nécessaire que la vigueur de la condamnation sociale diminue. De plus en plus, on analyse
le dopage non pas comme une pratique mais comme une conduite. On affilie le dopage à
la drogue.
 La caractérisation, la définition du dopage
Pour se surpasser, l’athlète a besoin d’un environnement médical qui lui permet de mieux
récupérer, … Ces aides extérieures permettent de réaliser une performance sans pourtant
qu’elles soient considérées comme du dopage. Il est donc impossible pour le sociologue
de déterminer la limite du dopage. Par contre, il peut faire porter son analyse sur la
construction de cette limite : Comment se construit-elle ? Comment s’impose-t-elle aux
acteurs à un moment de l’histoire ? ( histoire sociale du dopage).
 Le dopage est attribué aux seuls sportifs ( responsabilité individuelle)
Toute la lutte contre le dopage est orientée autour de la constitution de listes de produits et
de tests permettant de les détecter.
Le sportif est considéré comme maître de ses actes et responsable. Ce type de
raisonnement dispense toute remise en question du problème du dopage.
La question du dopage révèle des mécanismes de la société.
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PLAN :
I.
II.
III.
IV.
V.
Traitement journalistique du dopage et ses effets
Histoire sociale du dopage
1. de 1868 à 1962
2. de 1963 à 1967
3. de 1967 à aujourd’hui
Les usages du dopage
L’évolution sociale des conduites médicamenteuses
Analyse de l’émergence du dosage parallèlement au déclin des fédérations
BIBLIOGRAPHIE :
CNRS – Décembre 1998 – « Dopage et société » - 2000
Pascal Duret et Patrick Trabal – « Le sport et ses affaires » - éd. Métailié – 2001
Alain Ehrenberg – « Le culte de la performance »
Patrick Laure – « Le dopage » - PUF – 1995
François Siri – « La fièvre du dopage - Du corps du sportif à l’âme du sportif » - coll.
Autrement – n° 197
- Patrick Laure – « Dopage et société » - 2000
-
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I. LE TRAITEMENT JOURNALISTIQUE DU DOPAGE ET SES
EFFETS
Le dopage est d’abord une construction journalistique.
Les médias se sont mobilisés pour faire du dopage une affaire (= un objet, un phénomène
qui est traité de manière récurrente par des journalistes d’investigation). Ces journalistes
d’investigation vont construire une histoire avec des rebondissements.
Lorsqu’on étudie le dopage, on est donc contraint d’étudier son traitement médiatique.
A. LA CONSTRUCTION DU DOPAGE COMME UNE AFFAIRE
Les médias, lorsqu’ils construisent une affaire, sont confrontés à un nombre limité de
principes.
1. LA CIRCULATION CIRCULAIRE DE L’INFORMATION
Quand un journal titre sur un sujet, les autres vont le reprendre, ce qui conduit à
penser qu’on est en face d’un phénomène de grande ampleur.
La première source d’information de la presse est représentée par leurs confrères (ex :
Agence France Presse).
ex : Fin 1995 – début 1996, les quotidiens d’information générale indiquaient que 85
sportifs de haut niveau français avaient été contrôlés positif au cannabis. Ce sujet a été
repris par plusieurs quotidiens.
Lorsque les journaux parlent du dopage, ils emploient un vocabulaire médical ou un
vocabulaire guerrier (ex : « Sport et vie » : « Sur le front du dopage »).
rq : Pierre Bourdieu – « Sur la télévision » - éd. Libre – 1996
2. L’ILLUSION DU « JAMAIS VU »
L’information est construite comme un scoop. Les médias présentent ces affaires en
considérant qu’il y a un fort accroissement de la pratique. Ils confondent la mise en
évidence de la pratique avec sa naissance (ex : les tests de détection du cannabis ont été
mis en place seulement en 1992 et systématisés en 1996).
En 1966, 37 contrôles ont été réalisés dans toutes les fédérations. 12 cas ont été contrôlés
positifs ( 37%).
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Le laboratoire national de dépistage du dopage a détecté entre 1980 et 1995 une évolution
de 0,7% à 2,6% de contrôles positifs (dont 1,3% de contrôles positifs au cannabis en
1995).
JO
Montréal 1976
Moscou 1980
Los Angeles 1984
Séoul 1988
Barcelone 1992
Atlanta 1996
Sydney 2000
Nombre de
contrôles
1786
1645
1507
1598
1849
1799
2000
Cas positifs
Taux de dopage
11
0
12
10
5
0
9
0,62%
0
0,8%
0,63%
0,27%
0
0,45%
 pas de réelle évolution du taux de dopage
 pas d’augmentation du nombre de contrôles malgré la médiatisation de plus en plus
forte du dopage
 Moscou et Atlanta : 0 cas de dopage ???
(= 2 pays pour qui les J.O. ont une grande importance politique et économique)
3. LA STIGMATISATION DE L’INDIVIDU
Le dopage est présenté par la presse comme un comportement le plus souvent individuel.
Lorsque la presse apprend un contrôle positif, elle se focalise sur le sportif lui-même
(ex : L’affaire Ben Johnson, Richard Virenque, Djamel Bouras, …).
Le plus souvent on s’inquiète peu de savoir qui a fourni le produit. L’information est
présentée de manière à faire du dopage un comportement exclusivement individuel.
4. LE TRAVAIL DE CONSTRUCTION DE LA PREUVE JOURNALISTIQUE
Dans l’affaire du Tour de France 1998, ce sont les journalistes d’investigation qui se sont
emparés des déclarations du médecin Willy Woet. Les journalistes d’investigation
prennent la place des journalistes sportifs. Ils vont chercher à obtenir une légitimité en
montrant leur indépendance vis-à-vis des sportifs.
En 1998, ils vont aller fouiller dans les poubelles. Pour construire la preuve, ils mettent
bout à bout des signes éparts et font passer ces regroupements pour les différentes facettes
d’une réalité :
- la morphologie de l’athlète (prise de masse musculaire)
- la vie des proches de l’athlète
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- la suspicion vis-à-vis de l’amélioration des performances
- l’utilisation de formules interrogatives qui enferment dans de fausses
alternatives de type vrai/faux.
B. LES STRATEGIES DE DEFENSE ET LES VALEURS DES SPORTIFS
SUSPECTES OU ACCUSES
1. LA STRATEGIE DE DEFENSE
Duret et Trabal distinguent 2 types de défense :
 Lorsque le sportif est suspecté de dopage, il adopte le plus souvent des stratégies de
contre-attaque de 2 grands types :
- « C’est pas moi c’est l’autre » = stratégie qui consiste à renverser la
rumeur par une autre rumeur.
- La 2e stratégie est plus complexe. Elle se décompose en 3 phases :
1. 1ere phase : se présenter en victime de la presse. Il faut arriver à
faire passer les journalistes pour des agresseurs.
2. 2e phase : se présenter comme prêt pour lutter contre la
tricherie. L’idée est de montrer que sa passion pour la vérité est
plus forte que celle des journalistes.
3. 3e phase : dénoncer les tricheurs mais avec sympathie, c’est-àdire pour se montrer bien veillant avec eux, les considérer
comme des victimes d’un système. Ainsi, le sportif montre qu’il
n’est pas animé d’un sentiment d’animosité mais d’un désir de
vérité.
 Lorsque le sportif est accusé, il doit changer de stratégie pour une stratégie plus
défensive.
- 1ere stratégie : le détournement.
Cette stratégie consiste à faire porter la responsabilité à un tiers. Le sportif
se présente comme victime d’un système qui l’a manipulé. Il met en
question son entraîneur, son médecin, son entourage. Il se présente comme
la victime d’une mécanique dont les ressorts lui échappent. Cette stratégie
est coûteuse sur le plan de l’image car le sportif est présenté comme un
nigaud.
- 2e stratégie : la banalisation.
Cette stratégie consiste à minorer le dopage au nom de la poursuite des
records. C’est la stratégie vérité. Cette stratégie est également coûteuse
parce que la réhabilitation du sportif est compromise.
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- 3e stratégie : le retournement.
Cette stratégie consiste à utiliser l’argument du dopage au nom du progrès
de l’humanité. Le sportif se réfère à des valeurs qui le dépassent pour
justifier son ‘sacrifice’. Le but pour le sportif est de continuer à être admiré
et surtout ne pas être pardonné.
- 4e stratégie : la conversion.
Le sportif se présente comme un être en devenir qui, après avoir fait des
erreurs, a pris conscience d’une réalité. Il déclare avoir honte de s’être
dopé, avoir du mépris pour ce qu’il a fait, et après une période de
bannissement, il a retrouvé sa véritable identité et il va s’opposer à la
progression du dopage.
- 5e stratégie : l’attitude militante, la défense pour la libéralisation du
dopage.
Le sportif considère que le dopage doit être autorisé sous contrôle. La lutte
anti-dopage revient à couronner les meilleurs tricheurs. L’impossibilité de
faire des contrôles efficaces aboutit à des inégalités flagrantes.
Cette stratégie est peu utilisée.
2. LES VALEURS DU CYCLISME PROFESSIONNEL
Les cyclistes sont soumis à des exigences physiques extrêmement dures.
Pour accomplir ces épreuves, les cyclistes doivent mettre en œuvre des valeurs morales :
 La notion d’engagement total
Le coureur ne doit jamais cesser de combattre. Il ne doit pas en « garder sous la pédale ».
Se cache derrière cela la notion de souffrance.
Cet engagement total se fait pour l’équipe mais aussi pour se singulariser. Le coureur sert
son leader mais participe aussi aux échappées, aux sprints finaux, …
 La fidélité à la famille
Il existe 5 lois :
- la fidélité
- la discrétion
- la loyauté envers le chef
- le sens du dévouement
- la solidarité.
L’équipe cycliste professionnelle se construit par analogie avec la vie de famille. Le
« noyau » de l’équipe se renferme sur lui-même et exclut les autres cercles pour se
protéger des agressions extérieures.
rq : notion de cité chez Duret et Trabal.
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Duret et Trabal expliquent qu’il existe un certain nombre d’épreuves initiatiques pour
intégrer le cercle familial de l’équipe cycliste.
Cette notion de respect de la famille passe par :
- le respect de la loi du silence
- le respect de l’employeur
- se conduire en homme.
Le cyclisme professionnel est basé fortement sur la notion de virilité, de capacité à résister
à la souffrance.
Les cyclistes résistent aux interrogatoires judiciaires comme ils résistent à la fatigue sur un
vélo. Il ne faut pas craquer, ne pas trahir (ex : défense de Virenque qui a nié pendant très
longtemps alors que toutes les preuves l’accusaient).
rq : Max Weber – 4 types d’actions :
- émotionnelles
- traditionnelles
- rationnelles en finalité
- rationnelles en valeur.
La stratégie de Virenque peut paraître irrationnelle en apparence pour le commun des
mortels, mais elle est tout à fait logique du point de vue de la famille cycliste qui défend
des valeurs de fidélité, de respect de l’employeur et de virilité.
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II. DES DEFINITIONS A GEOMETRIE VARIABLE : HISTOIRE DE LA
LUTTE ANTI-DOPAGE
La constitution de listes de produits dopants est le résultat d’un processus qui a commencé
dans les années 30. Avant cette époque, la consommation de produits à des fins de
performance était courante.
Des années 30 aux années 60, il y avait une condamnation morale du dopage, mais pas
de dépistages ; c’était donc un coup d’épée dans l’eau.
A. DE L’ENCOURAGEMENT A LA CONDAMNATION DU DOPAGE (1868 –
1962)
Durant la fin du 19e siècle jusqu’aux années 20, la consommation de produits est
encouragée dans la population en général, chez les travailleurs en particulier et par voie de
conséquence chez les sportifs.
Les médecins préconisent l’utilisation de produits : calcium, phosphore, alcool, arsenic,
morphine, strychnine + camphre (= stimulant cardiaque à condition de ne pas en abuser).
Les épreuves sportives vont rapidement exiger l’accomplissement de performances. Elles
vont exalter l’endurance, la lutte acharnée entre les adversaires, la résistance à l’effort
intense. Il faut être plus résistant que la machine, et pour cela on considère qu’il faut
consommer des produits.
En 1868 a lieu la 1ere course cycliste dans le bois de Saint-Clou (distance = 2 km).
En 1879 ont lieu les 6 jours de Paris où l’on consomme de l’éther.
En 1903 a lieu le 1er Tour de France. La distance totale parcourue est de 2428 km en 15
étapes. On y consomme plusieurs produits, dont la strychnine qui est extrêmement
dangereuse.
Aux JO de 1904 et 1908, 2 athlètes sont morts juste après avoir passé la ligne d’arrivée.
En 1924, un journaliste interview un cycliste qui lui raconte que dans le Tour de France les
cyclistes consomment un tas de produits pour résister à la douleur, et ceci est tout à fait
normal.
A partir des années 20 s’élèvent des voix dénonçant le dopage en s’appuyant sur 2
arguments :
- la préservation de la santé des sportifs
Certains produits qu’utilisent les sportifs sont dénoncés comme très
dangereux.
- le respect de l’éthique sportive
On considère que le fait que certains sportifs bénéficient de produits et pas
d’autres nuit à l’égalité des chances.
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D’emblée, ce sont les substances qui sont incriminées plus que les comportements. Les
premiers règlements visent les substances.
En 1938, le CIO déclare que toute personne qui reçoit ou offre du dopage ne devrait
pas être admise aux meetings d’amateurs ni aux Jeux Olympiques.
La fédération internationale d’escrime est une des premières à condamner le dopage. En
1940, elle édite un règlement : « Tout doping d’un tireur au cours ou avant une épreuve
sera radicalement interdit ».
Cette condamnation est essentiellement morale. Il faut attendre 1962 pour que la
fédération médico-sportive italienne publie les résultats d’une enquête auprès de
pharmacologues et de physiologistes pour déterminer les substances qui augmentent
artificiellement les capacités de l’athlète.
B. LES PREMIERES LISTES DE PRODUITS INTERDITS AUX SPORTIFS
(1963 – 1967)
Les premières listes de produits interdits aux sportifs ont 3 points communs :
- elles ne font que des recommandations
- elles foisonnent de produits
- les produits indiqués ne peuvent pas, pour la plupart, être dépistés.
La première réflexion internationale sur le dopage a lieu le 27 janvier 1963 lors du
colloque d’Uriage-les-bains.
Le dopage y reçoit sa première définition officielle fondée sur la santé et l’éthique : « Est
considéré comme doping […] ».
Une commission scientifique est chargée de dresser une liste de produits mais cette liste
n’est pas dévoilée pour ne pas inciter à la consommation de ces produits.
Le 9 novembre 1963, le conseil de l’Europe fournit une définition du dopage plus éthique :
« […] ».
Une liste de produits est à nouveau constituée mais elle n’est divulguée qu’aux médecins.
La France et la Belgique vont être à la pointe de la lutte contre le dopage.
La France va proposer une série de mesures législatives.
ex : Lors de la signature d’une licence sportive, le pratiquant s’engage à ne pas utiliser de
produits dopants.
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Le 2 avril 1965 est mise en place la première loi anti-dopage en Belgique. Cette loi interdit
toute substance destinée à accroître les possibilités physiques de l’athlète et susceptible de
nuire à sa santé.
En juin 1965, la France édite également sa première loi anti-dopage.
En 1966, on édite une liste de produits interdits en donnant leurs équivalents chimiques,
liste dévoilée aux sportifs.
En 1967, l’UCI (Union Cycliste Internationale) est la première fédération à produire sa
propre liste de produits interdits (amphétamines, dérivés d’amphétamines et stupéfiants).
La même année, le CIO produit également une liste qui va souffrir d’un remaniement
constant ( problème de crédibilité) et qui ne sera jamais appliquée.
En 1984, le CIO introduit la notion de seuil de positivité pour la caféine et la testostérone.
En 1988, 2 catégories sont distinguées :
- les substances dopantes
- les substances soumises à restriction (alcool et anesthésiques locaux).
Au cours des années 80, toutes les fédérations vont adopter des listes plus ou moins
restrictives.
Le 28 juin 1989 est publié un deuxième texte de lutte contre le dopage comprenant 500
produits. Cette loi ne s’appuie plus que sur un seul critère pour définir le dopage : celui de
l’éthique. Le critère de santé disparaît.
C. LES EFFETS DE LA MULTIPLICATION ET DE L’HETEROGENEITE DES
LISTES
ex : Pedro Delgado est contrôlé positif à un produit qui est dans la liste française mais pas
dans celle de l’UCI.
La profusion des listes devient problématique.
Depuis 1990, on tend vers une homogénéisation des listes et des contrôles.
Liste du décret 98-464-50 du 17 juin 1998 :
I.
Classes des substances interdites
a. Stimulants (ex : amphétamines, caféine)
b. Narcotiques naturels ou synthétiques
c. Agents anabolisants (ex : testostérone, nandrolone)
d. Diurétiques
e. Hormones peptidiques et glycoprotéiniques et analogues (ex : EPO, HGH)
II.
Méthodes interdites
a. Dopage sanguin
b. Manipulation pharmacologique physique ou chimique
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III.
Classes des substances soumises à restriction
a. Alcool
b. Marijuana
c. Anesthésiques locaux (ex : morphine)
d. Corticostéroïdes
e. Bêtabloquants (ex : Propanolol)
Une agence mondiale anti-dopage a été créée en nombre 1999 et a tenu sa première
réunion le 13 janvier 2000. C’est une structure regroupant les représentants des Etats et les
agences sportives.
 La lutte anti-dopage est récente et en voie de structuration.
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III. LES USAGES DU DOPAGE ET L’EVOLUTION DU SPORT DE
COMPETITION
1er argument : Le dopage est lié à l’accroissement des charges d’entraînement des
athlètes.
A. L’ACCROISSEMENT DES CHARGES DE TRAVAIL
Le système compétitif a considérablement évolué.
Le circuit des épreuves officielles s’est étendu. Il y a eu la création de meetings privés.
Il y a eu une inflation d’épreuves qui s’est réalisée au prix d’un rétrécissement progressif
de l’inter-saison.
Le cycliste a eu un accroissement important de sa charge de travail, accroissement
aussi bien quantitatif que qualitatif :
- En 1905, le coureur Petit Breton courait 25 jours par an à une moyenne de 25
km/h.
- En 1946, le coureur Robic courait 66 jours par an.
- En 1980, le coureur Bernard Hinault courait 250 jours par an à une moyenne de
37,5 km par an.
Henry Pellessier (années 20-30), en 24 ans de compétition, a effectué environ 52 000 km.
Eddy Merckx (années 70), en 13 saisons, a effectué environ 400 000 km.
A cela s’ajoutent les volumes d’entraînement, dépassant souvent 20h/semaine.
Pour ces cadences infernales, la tentation est grande d’avoir recours à des aides
médicamenteuses.
2e argument : Le sport de haut niveau entraîne une centration sur la performance.
B. LA CENTRATION SUR LA PERFORMANCE
Au fur et à mesure de sa carrière, le sportif de haut niveau doit réaliser des
investissements physiques, psychologiques de plus en plus élevés. Ces investissements
l’amènent à faire des choix de vie (ex : s’entraîner au détriment de ses loisirs, de ses
études, de la préparation de sa carrière post-sportive, de sa famille). Cet investissement
agit comme un cercle vicieux. Plus on renonce, plus on souhaite que ces renoncements
soient rentables. Le sportif est condamné à réussir.
On peut considérer le dopage comme un dernier recours pour éviter de tout perdre.
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3e argument : Tous les agents du système sportif tirent profit du dopage.
C. LE DOPAGE PROFITE A TOUT LE MONDE
1. CHEZ LES PROFESSIONNELS
- Le sportif gagne en notoriété et en rémunération.
- L’entraîneur et l’équipe médicale dépendent de la carrière du sportif ; de bons
résultats vont accroître leur reconnaissance.
- L’intérêt du spectacle dépend du niveau de prestation. Si le spectacle est attrayant,
le nombre de spectateurs augmente et le prix du spot publicitaire augmente aussi
par voie de conséquence.
- La fédération gagne en notoriété.
- La victoire d’un sportif participe à la renommée d’une nation sur le plan
international.
La logique même du sport de haut niveau détermine des délits de dopage.
Il ne faut pas oublier que le dopage touche également le monde amateur.
2. LE DOPAGE CHEZ LES AMATEURS
J.-M. Faure a étudié le dopage dans le monde amateur en 1984. Il a suivi une centaine
d’épreuves mineures en France. Ces courses étaient des courses amateurs, donnant une
prime de 1000 à 3000F à l’arrivée, avec en bénéfice des primes octroyées par des
partenaires à chaque tour.
Faure a déterminé deux groupes de participants :
- les « chasseurs de primes » : ce sont d’anciens professionnels qui ont eu des
carrières éphémères et obscures. Souvent, ils ont été les « domestiques » des
grands champions. Au sein du peloton amateur, ils regroupent leurs forces par 4 ou
5 pour remporter les primes.
- Les « trimeurs du vélo » : ce sont des amateurs tout aussi acharnés au résultat
mais ils n’ont aucune illusion sur leur réussite sportive. Ce sont des apprentis, des
ouvriers sans qualifications, des ouvriers agricoles qui essaient de récolter
quelques primes pour boucler les fins de mois. Ils doivent trimer pour remporter
ces primes et doivent faire usage de produits dopants.
Ces deux catégories de coureurs ont pour point commun le monde du travail. Ce sont
souvent des fils d’ouvrier, de paysan, qui ont une culture corporelle fondée sur une
représentation mécaniste du corps. L’utilisation de leur corps fait partie de leur
condition d’existence ; ils ont toujours travaillé avec leur corps. Ils attendent de lui qu’il
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fonctionne et sont donc peu sensibles aux discours qui condamnent le dopage au nom de
l’intégrité corporelle.
Chez les marathoniens, Faure a réalisé une enquête en 84-86. Il a repéré que la moitié des
marathoniens appartiennent aux catégories favorisées (cadres supérieurs, …) ; leur statut
social n’est pas engagé par leur pratique sportive.
Ceci étant, les performance se font au prix de nombreuses heures d’entraînement et d’un
travail sur soi, d’une morale. Pour gagner quelques secondes, ces sportifs consomment
sans nécessité des produits efficaces. Cette consommation s’inscrit dans le prolongement
d’autres consommations médicamenteuses pour préparer des concours, des examens, …
Ils n’engendrent aucune culpabilité car la question des moyens utilisés ne se pose pas. Seul
compte la performance et l’excellence individuelle.
 Le dopage n’est pas forcément lié à des conditions d’existence mais on peut
retrouver dans le dopage des facteurs culturels.
 On peut avoir des justifications de prise de produits rationnelles.
 Le dopage peut se faire sans culpabilité.
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IV. LE DOPAGE ET LES EVOLUTIONS SOCIALES DES CONDUITES
MEDICAMENTEUSES
Deux grandes analyses permettent d’expliquer les conduites médicamenteuses dans la
société contemporaine.
A. VULNERABILITE DES INDIVIDUS
R. Castel : « Les métamorphoses de la question sociale » (1995)
On assiste à une détérioration des système de solidarité traditionnels :
- augmentation de la vulnérabilité des individus sur le marché du travail
- déclin des réseaux traditionnels de solidarité.
Les réseaux familiaux sont de moins en moins présents pour venir au secours des
individus.
Les fédérations sportives sont organisées selon la même logique :
- la référence à une grande idéologie
- l’organisation pyramidale
 l’adhésion à la base se fait sur une logique de convivialité, d’appartenance locale,
une logique corporatiste, et une logique sociétaire, une logique d’inscription dans un
espace publique.
Ce qui fait la force de cette organisation est le nombre d’adhérents.
Le principe de délégation pose problème : peut-on avoir confiance envers les personnes
qui nous représentent ? (ex : affaire de l’Arc).
 Les grandes organisations ont délaissé le principe de solidarité.
 Vulnérabilité dans le monde du travail
L’identité sociale se construit en grande partie autour du travail salarié.
Cette centralité du travail a été brutalement remise en cause par des évolutions des
économies et par la flexibilité (= n’importe qui peut être au chômage sans pré-avis).
Cette vulnérabilité de l’individu, sa solitude face à l’adversité, provoque chez l’individu
une volonté de :
- se rendre indispensable auprès de l’entreprise
- augmenter sa charge de travail
qui provoque la prise de médicaments pour améliorer sa performance, son rendement.
 Je prends des médicaments pour me maintenir.
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B. LA VALEUR DE LA PERFORMANCE COMME ABSOLUE
Alain Ehrenberg – « Le culte de la performance » - éd. Calmar-Lévy (1991)
On a une tendance de la société à privilégier la performance individuelle. Il devient
indispensable d’être jeune, en bonne santé, …, ce qui attire à consommer des
médicaments, vitamines, du viagra, … L’idée est d’être performant soi-même.
 Je prends des médicaments pour réussir.
Comment transférer ces logiques dans l’explication des phénomènes du dopage ?
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V. LE DOPAGE, SYMPTOME DU DECLIN DU POUVOIR DES
FEDERATIONS
Anne-Marie Waser – « La fièvre du dopage » - éd. Autrement
On considère que la lutte contre le dopage et le discours sur cette lutte vise à maintenir la
crédibilité et le pouvoir du système fédéral.
Jusque dans les années 50, le système fédéral a maintenu son monopôle sur la gestion du
sport et sur le système de consécration.
Pour Anne-Marie Waser, le discours anti-dopage émerge avec l’affaiblissement de ce
pouvoir lié à la montée du professionnalisme et aux transformations des manières de
pratiquer. La lutte contre le dopage est un moyen pour les fédérations de réaffirmer
un pouvoir qui leur échappe.
A. IMPOSITION D’UNE ETHIQUE SPORTIVE A LA FIN DU 19e
1. LES 3 POLES DU CHAMP DES EXERCICES CORPORELS
A la fin du 19e siècle, l’exercice corporel est structuré autour de 3 pôles :
- les jeux traditionnels (ex : soule, quilles, …), développés par des Républicains
- les gymnastiques qui apparaissent au début du 19e sous l’impulsion de personnes
comme Amoros, … Elles ont un certain succès auprès de la classe ouvrière.
- les sports anglo-saxons dont l’émergence est liée à l’industrialisation. En
Angleterre, le sport s’est développé dans les écoles ; c’était un moyen pour les
élèves de se défouler.
Le sport a également émergé de la noblesse, et ce sont eux qui ont fondé l’éthique
sportive.
2. LES CAUSES DE L’ATTRAIT DE LA NOBLESSE POUR LES PRATIQUES
SPORTIVES
- Les sports sont une forme de symbolisation d’activités traditionnelles (ex : escrime,
équitation)
- Les pratiques nouvelles sont l’occasion pour les nobles d’affirmer des valeurs qui sont
traditionnellement attachées à leur position. Ces valeurs sont par exemple le goût du
risque, le culte de la prouesse, le fair-play (= distance avec les enjeux du jeu).
- Les pratiques sportives sont des activités gratuites et désintéressées.
- Les pratiques sportives permettent aux nobles d’entretenir et d’étendre leur réseau de
relation.
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3. L’ETHIQUE SPORTIVE
L’éthique sportive est composée de 3 grands aspects :
- une morale chrétienne qui se manifeste dans le respect de l’adversaire, dans la
générosité, dans l’amnégation, dans la conception d’un effort qui passe par la
souffrance.
- une morale républicaine : principe d’égalité des chances, principe de la
méritocratie (= chacun doit être récompensé en fonction de son mérite).
- les valeurs nobles et bourgeoises.
Valeurs nobles et bourgeoises
- Education
 Courage, formation de la personnalité
 Goût du risque, prouesse, exploit
 Energie, courage, esprit d’initiative
 Fair-play
 Performance
Valeurs petite bourgeoisie
- Instruction
 Intelligence
 Culture
 Esprit critique
 Retenue
 Savoir, érudition
Pierre de Coubertin a été un des grands défenseurs de cette éthique sportive. Il était
d’ailleurs très opposé au dopage qu’il associait au professionnalisme.
Pour de Coubertin, l’éthique sportive devait se fonder sur l’amateurisme car, si l’on
met de l’argent dans le sport, on va attirer les ouvriers et il n’y aura alors plus d’égalité des
chances car les ouvriers, contrairement aux nobles, ont l’habitude de travailler avec leur
corps. Pour de Coubertin, l’appât du gain provoquera le dopage.
 Selon De Coubertin, la morale chrétienne, la morale républicaine, les valeurs
nobles et bourgeoises, ainsi que l’amateurisme doivent être liés sous peine que le
dopage n’émerge.
B. LA CONSTITUTION DES INSTANCE DE LEGITIMATION ET DE
CONSECRATION SPORTIVE
C. LE RENFORCEMENT DU POUVOIR SPORTIF PAR LA
RECONNAISSANCE DE L’ETAT
Dans la circulaire de 1945, l’Etat délègue son pouvoir de développement, de gestion et
d’organisation du sport aux fédérations.
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D. AFFAIBLISSEMENT DU POUVOIR SPORTIF
L’affaiblissement du pouvoir sportif se manifeste de 2 grandes façons :
- la généralisation du sport professionnel
Le sport professionnel se fonde sur 2 grands systèmes de valeurs : l’esprit du
capitalisme (« Auri sacra fames »  loi du profit + « les affaires sont les
affaires ») et la logique du spectacle qui veut que ce qui compte n’est pas
forcément le résultat sportif mais que le spectacle plaise au plus grand nombre de
personnes.
- le processus de désaffiliation
Avec la massification de la pratique sportive et l’essor des pratiques de plein air,
les gens ne voient plus l’intérêt d’être licencié. On retrouve donc ce phénomène
chez les plus jeunes qui refusent les contraintes du club, mais aussi chez des plus
anciens qui ne veulent plus une pratique exclusivement compétitive. On retrouve
également ce phénomène dans les pratiques de glisse urbaine avec 2
caractéristiques fondées sur la liberté, la connivence et la convivialité.
E. LA DEFENSE DIFFICILE DES VALEURS SPORTIVES : L’ATTITUDE
AMBIGUË DES FEDERATIONS FACE AU DOPAGE
Les valeurs sportives sont de plus en plus difficiles à défendre. L’éthique sportive devient
de plus en plus déconnectée de sa logique originelle (= phénomène d’hystérésis).
Cette déconnexion entre l’éthique et la réalité sportive se manifeste dans les contrôles antidopage car ceux-ci sont confiés à des sociétés en dehors des fédérations.
Ambiguïté du pouvoir médical lui-même : « Les médecins sont un facteur favorisant du
dopage ».
Anne-Marie Waser classe les médecins en 3 catégories :
- les médecins spécialistes de la lutte anti-dopage qui, quand ils n’arrivent pas à
détecter un produit, ont tendance à la considérer inefficace.
- les médecins exerçant dans les fédérations qui ont tendance à nier le dopage.
- les médecins personnels des champions qui prônent un rééquilibrage avec
l’utilisation de substances qu’ils considèrent inoffensives.
Pour Anne-Marie Waser, la lutte anti-dopage existe parce que les fédérations
cherchent à défendre à tout prix une éthique qui a de moins en moins de sens. De ce
fait, elles ont une position relativement ambiguë face au contrôle, face au dépistage et face
à la prévention.
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